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L’euroscepticisme ambiant semble reculer. Les citoyens portent des regards plus positifs sur les bénéfices d’être européen. Les responsables assument plus clairement leur confiance dans l’Europe et s’engagent à traiter sur le fond de l’avenir de l’Union. Cette évolution des esprits et des visées ne doit rien au hasard. L’Europe, et particulièrement la zone euro, bénéficient actuellement d’une constellation favorable pour avancer vers plus d’intégration. Les perspectives économiques sont plutôt encourageantes ; les grands défis actuels du terrorisme et du réchauffement climatique apparaissent d’emblée comme des questions transnationales ; la géopolitique mondiale est bousculée et appelle des réactions dépassant la logique des frontières nationales. L’économie de la zone euro d’abord. Elle sort de la tourmente déclenchée en 2008 par la crise des subprimes . Certes, la Grèce demeure écrasée par sa dette et les banques italiennes détiennent des créances douteuses. Mais la menace du Grexit s’éloigne et la surveillance multilatérale de l’Union bancaire réduit les inquiétudes. Après un pic de 12 % en 2013, le chômage s’approche des 9 %. Les prévisions de croissance sont revues à la hausse et pourraient dépasser en 2017, 36 Eté 2017 Université de Strasbourg : Bureau d'économie théorique et appliquée (BETA). Editorial - L’alignement des planètes Michel Dévoluy Sommaire La faisabilité et les périls du financement du revenu universel Meixing Dai, Nicolas Mazuy............................................3 Les taux d’intérêt nominaux négatifs sont-ils efficaces pour relancer la croissance des crédits et de l’économie ? Fanny Loux, Meixing Dai................................................ 9 Croissance économique et taille du secteur public Phu Nguyen-Van, Thi Kim Cuong Pham.......................21 L’avenir économique de l’Europe dans la perspective de la Commission européenne Gilbert Koenig................................................................25 La concurrence fiscale et les projets d’harmonisation de l’impôt sur les sociétés dans l’Union européenne Damien Broussolle......................................................... 35 Le tournant métropolitain de la politique régionale européenne René Kahn...................................................................... 43

Editorial - L’alignement des planètes · 2019. 11. 7. · comme en 2016, celle des États-Unis (1,7 % contre 1,6 %). L’inflation, toujours très faible et révélatrice de l’atonie

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Page 1: Editorial - L’alignement des planètes · 2019. 11. 7. · comme en 2016, celle des États-Unis (1,7 % contre 1,6 %). L’inflation, toujours très faible et révélatrice de l’atonie

L’euroscepticisme ambiant semble reculer. Les citoyens portent des regards plus

positifs sur les bénéfices d’être européen. Les responsables assument plus

clairement leur confiance dans l’Europe et s’engagent à traiter sur le fond de

l’avenir de l’Union. Cette évolution des esprits et

des visées ne doit rien au hasard. L’Europe, et

particulièrement la zone euro, bénéficient

actuellement d’une constellation favorable pour

avancer vers plus d’intégration. Les perspectives

économiques sont plutôt encourageantes ; les

grands défis actuels du terrorisme et du

réchauffement climatique apparaissent d’emblée

comme des questions transnationales ; la

géopolitique mondiale est bousculée et appelle

des réactions dépassant la logique des frontières

nationales.

L’économie de la zone euro d’abord. Elle sort de

la tourmente déclenchée en 2008 par la crise des

subprimes. Certes, la Grèce demeure écrasée par sa dette et les banques

italiennes détiennent des créances douteuses. Mais la menace du Grexit

s’éloigne et la surveillance multilatérale de l’Union bancaire réduit les

inquiétudes. Après un pic de 12 % en 2013, le chômage s’approche des 9 %. Les

prévisions de croissance sont revues à la hausse et pourraient dépasser en 2017,

N° 36

Eté 2017 Université de Strasbourg : Bureau d'économie théorique et appliquée (BETA).

Editorial - L’alignement des planètes

Michel Dévoluy

SommaireLa faisabilité et les périls du financement du revenu universel

Meixing Dai, Nicolas Mazuy............................................3

Les taux d’intérêt nominaux négatifs sont-ils efficaces pour relancer la croissance des crédits et de l’économie ?

Fanny Loux, Meixing Dai................................................9

Croissance économique et taille du secteur public

Phu Nguyen-Van, Thi Kim Cuong Pham.......................21

L’avenir économique de l’Europe dans la perspective de la Commission européenne

Gilbert Koenig................................................................25

La concurrence fiscale et les projets d’harmonisation de l’impôt sur les sociétés dans l’Union européenne

Damien Broussolle.........................................................35

Le tournant métropolitain de la politique régionale européenne

René Kahn......................................................................43

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comme en 2016, celle des États-Unis (1,7 % contre 1,6 %). L’inflation, toujours

très faible et révélatrice de l’atonie économique, se redresse lentement, alors

qu’elle était encore à 0 % en 2015. Deux indices ne trompent pas : le culte de

l’austérité budgétaire est mis en retrait et la politique des crédits aisés portée par

la BCE n’est plus contestée. D’ailleurs, la Commission européenne, la BCE et le

FMI confirment tous ces signes d’optimisme.

Les grands défis ensuite. La lutte contre le terrorisme appelle une solidarité

européenne. Les polices, les renseignements et les systèmes judiciaires doivent

impérativement plus et mieux coopérer. Cela paraît acquis. Le désengagement

du président américain sur le climat donne une responsabilité supplémentaire à

l’Europe. Elle doit montrer l’exemple et prouver que rien n’est possible sans une

coopération résolue entre les grandes régions du monde.

La géopolitique enfin. Monsieur Trump pousse l’Europe à s’affirmer dans trois

domaines. Une défense européenne doit de plus en plus se substituer au

parapluie de l’OTAN. L’isolationnisme politique américain pousse les

Européens à prendre seuls en charge leurs intérêts vitaux à travers le monde. Le

protectionnisme économique croissant des États-Unis appelle une réponse

résolument unifiée de l’UE. Ajoutons que le Brexit tend à démontrer l’aspect

aventureux de vouloir se retrouver seul dans la géopolitique mondiale après

avoir appartenu à un ensemble reconnu et respecté.

En outre, deux derniers événements politiques majeurs viennent surligner cet

alignement des planètes en faveur d’une Europe plus intégrée. En effet, le choix

d’un président français résolument pro-européen et des élections au Royaume-

Uni relativisant les bienfaits du Brexit participent à rehausser le projet européen.

Le contexte est donc propice et les esprits mûrissent. Il appartient désormais aux

citoyens européens, au Parlement européen et aux responsables politiques

nationaux d’assumer une marche résolue vers une intégration politique pour la

zone euro. La conduite à suivre est connue : un budget financé par l’impôt, une

harmonisation fiscale et sociale, une défense commune et des grands projets

fédérateurs. N’ayons pas peur de franchir le pas, l’histoire nous regarde. Et les

générations futures attendent un avenir plus sûr et apaisé.

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La faisabilité et les périls du financement du revenu universelMeixing Dai*, Nicolas Mazuy*

La campagne présidentielle française de 2017 a mis le débat sur le revenu universel sur ledevant de la scène notamment grâce au candidat socialiste, Benoît Hamon. Les différentesversions du revenu universel proposées impliquent un financement plus ou moins impor-tant pour assurer son application. Malgré l’échec du candidat socialiste à l’élection prési-dentielle, il est certain que d’autres le proposeront dans le futur en France ou ailleurs dansle monde. Dans cet article, nous revenons sur les questions de financement de ce revenu endiscutant de sa faisabilité et de ses périls dans une économie nationale ouverte à l’écono-mie mondiale.

Le revenu universel est censé répondre auproblème de pauvreté causé par laglobalisation et les révolutionstechnologiques. Il est théoriquement possibleet socialement justifiable de l’introduire.Dans la perspective d’un coût potentiellementsubstantiel pour la société, l’instauration d’unrevenu universel pose indubitablement laquestion de son financement. Une littératureacadémique s’est, depuis longtemps, penchéesur le développement d’un panel depropositions quant à son financement. Cetarticle s’intéresse à la viabilité de différentsmodes de financement et discute des risquesdu financement par l’impôt dans un contexted’économie ouverte avec une forte mobilitédu travail et du capital.

1. Le coût de financement du revenu universel en France

Le coût du financement d’un revenu universeldépend de nombreux facteurs tels que le sonniveau ou encore le nombre de personnes quile reçoivent. Dans le cas français, à titred’exemple, le Mouvement Français pour unRevenu de Base (MFRB) évalue son coût à13,7 % du PIB pour des montantscorrespondant à 450€ et 200€ mensuelrespectivement par adulte et par enfant.1 Si onadmet l’idée de remplacer certaines dépensessociales telles que le Revenu de SolidaritéActive (RSA) et les allocations familiales parce revenu universel, il convient de considérer

1 Rapport de J.-E. Hyafil et A. Amaru (2014) présentépar le Mouvement Français pour un Revenu de Baseau groupe politique Europe Ecologie – Les verts en2014.

uniquement le coût net du revenu universellorsqu’on parle de son financement. En effet,une fois déduit les prestations socialesremplacées, le coût net du revenu universelpourrait être, déjà, divisé par deux. Parailleurs, Wright (2000) avance la possibilitéd’économie à travers la diminution des coûtsde gestion administrative des prestationssociales grâce au remplacement de diversesaides sociales par un revenu universel unique.Plus généralement, la littérature s’accorde àdire que le revenu universel ne s’ajoute pasaux prestations sociales existantes mais vienteffectivement en remplacement de certainesd’entre d’elles. Dès lors, Dolan (2014)montre le caractère tout à fait réalisable durevenu universel à partir du moment où ilsimplifie et remplace une partie des aidesexistantes.

Bien qu’une partie de la dépense liée aurevenu universel soit compensée par lasuppression de diverses aides socialesexistantes, les différents pronostics d’unprojet susceptible d’être accepté par lapopulation suggèrent que sa mise en placegénère un besoin de financementsupplémentaire important pour L’État. Eneffet, le jeu politique implique que touteréforme sociale ne peut se réaliser facilementqu’en améliorant les acquis sociaux. Cetteobservation implique une possible sous-évaluation du coût de financement par lesdiverses estimations actuelles. En fixant unrevenu universel suffisamment élevé pourgarantir un niveau de vie minimalsocialement acceptable et en augmentantconsidérablement la population qui le reçoit,la dépense totale pourrait rapidement s’élever

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR7522, F-67000 Strasbourg, France.

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à un montant exorbitant pour legouvernement.

2. Les modes de financement selon lalittérature économique

En matière de financement, il n’y a pas demiracle possible sauf si l’on fait la découverted’importants gisements de ressourcesnaturelles au moment de l’instauration de cerevenu. Le mécanisme keynésien est loin degarantir qu’un programme de revenuuniversel crée son propre financement enstimulant suffisamment la croissance et doncles recettes fiscales comme le suggèrentcertains de ses fervents défenseurs. Sinon,comment peut-on expliquer que beaucoupd’États ont accumulé tant de dette publique ?Le financement du revenu universel par ladette publique conduit tôt ou tard à la faillitede l’État. Si un État, initialement membre dela zone euro, choisit de sortir de celle-ci pourpouvoir financer le revenu universel via lacréation monétaire, on peut s’attendre à uneforte inflation voire une hyperinflation dansle pays en question.

La non-soutenabilité des modes definancement mentionnés ci-dessus impliqueque l’essentiel du financement devrait êtreassuré par les impôts, ce qui explique que lalittérature économique à propos dufinancement du revenu universel soitprincipalement consacrée à ce mode definancement.

Dès le XVIIIe siècle, Thomas Paine (1797),dans « Agrarian Justice » soutenaitl’instauration d’un revenu universel financépar une taxe supportée par les propriétairesterriens. Depuis Paine, de nombreux auteursont multiplié les propositions.

De façon globale, nous pourrions distinguerdeux principales catégories de propositionsrelatives au financement par les recettesfiscales. Les propositions de la premièrecatégorie portent sur un financement pardiverses ressources qui n’alourdit pasdirectement la charge fiscale supportée par lesménages. Celles de la seconde catégorieconsidèrent des réformes fiscales, affectantprincipalement l’impôt sur le revenu et ledegré de redistribution des richesses.

Les propositions appartenant à la premièrecatégorie suggèrent l’utilisation des recettesde la taxe foncière ou d’une taxe sur lesressources naturelles comme énoncées par

Hudakova (2015) et Van Parijs (2004, 2013)reprenant eux-mêmes Crotty (1986),Davidson (1995) ou encore Robertson (1999).Plus précisément, ce dernier ne propose pasune taxe sur la consommation des ressourcesnaturelles par les citoyens mais met en avantune logique inverse. Ce sont « lesorganisations », c’est-à-dire les firmesexploitantes, qui devraient rémunérer lasociété dans sa globalité pour le bénéficeobtenu de l’exploitation des ressourcesnaturelles d’une communauté. Dès lors, unetaxe supportée par les firmes afin de financerun revenu universel est considérée commeune compensation au titre de l’exploitationdes ressources naturelles. C’est d’ailleursl’option qui a été choisie par l’État del’Alaska qui, depuis 1982, verse un revenuuniversel, variable dans le temps en fonctionde la rente pétrolière et gazière.2

De plus, dans l’optique d’éviter unalourdissement de la charge fiscale, d’autresinstruments fiscaux ont été étudiés.Notamment, Bresson (1999) et Wright (2000)soutiennent l’idée d’une taxe Tobin sur lesmouvements spéculatifs de capitaux.

Selon les propositions de la deuxièmecatégorie, le revenu universel pourrait reposersur un mode de financement plus direct, basésur la fiscalité des revenus. Groot (1997) meten avant un potentiel problème d’adhésion etde soutien populaire dans la mesure où lefinancement du revenu universel seraitsupporté exclusivement par les revenus destravailleurs actifs. De plus, il souligne le faitque ce financement est instable et nonpérenne en période de chômage élevé parexemple. Il est donc nécessaire de remettre àplat la fiscalité sur les revenus de manièreglobale pour rendre viable le financementd’un revenu universel. Plus précisément,comme le soutient Palier (2007), l’idée d’unélargissement de la base visant à fairecontribuer la totalité des revenus semble faireconsensus. Cette idée est également partagéepar Bourguignon et Chiappori (1998),Landais, Piketty et Saez (2011) ou encore DeBasquiat (2011). Dans sa simulation del’instauration d’un revenu universel enFrance, le MFRB a incorporé l’idée d’uneréforme de la fiscalité sur les revenus. Ilpropose, à titre d’exemple, d’assurer le coûtnet du revenu universel par un nouveaubarème de l’impôt sur le revenu décomposé

2 Voir notamment, O’Brien et Olson (1990) et Palmer(1997) pour une analyse plus spécifique portant surl’Alaska.

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en 7 tranches de 31,6 % à 45 % payé par tous,y compris ceux qui perçoivent les salaires lesplus bas. Les ménages les plus aisés verrontleurs revenus nets d’impôts diminués (malgréle versement du revenu universel) tandis queles ménages les moins aisés, verront leursrevenus augmentés malgré le paiement del’impôt à 31.6 % sur les revenus quin’incluent pas le revenu universel, dès lors,non taxable. Le coût net (impôt sur le revenu– revenu universel distribué) représente ainsiune augmentation de la fiscalité à hauteur de100 milliards d’euros environ et sonfinancement devrait reposer sur les classes derevenus les plus élevées.

Un autre mode de financement viable à longterme existe. Celui-ci implique un effortd’investissement public dans les actifsmobiliers et immobiliers pour créer desrecettes (dividendes, loyers et péages)suffisamment élevées pour financer le revenuuniversel. Ceci signifie un revenu universelassez faible si on le met en placeimmédiatement et une augmentationprogressive dans le temps au fur et à mesureque l’État augmente ses actifs et ses revenus.Malgré le fait que L’État peut profiter destaux d’intérêt actuellement bas pour investirmassivement, ce mode de financementnécessite un effort budgétaire important pourpouvoir investir ainsi qu’une réorientationplus efficace de certaines catégories desdépenses publiques dans cette perspective.Plus les citoyens acceptent que L’État fassecet effort d’épargne et d’investissement, pluson peut espérer un revenu universel futurélevé. Cette solution de longue haleinepourrait paraître peu attrayante aux yeux desdirigeants politiques et des électeurs s’ils sontimpatients de partager la richesse. Elle ne serapas une solution miracle car son niveau nepourra pas être élevé si l’État n’arrive pas àdégager suffisamment de ressourcesfinancières pour investir.

3. Le financement par l’impôt dans une économie mondialement intégrée

Du fait qu’une économie nationale estgénéralement très intégrée à l’économierégionale et mondiale, il convient de prendreen compte l’impact de l’ouvertureéconomique sur le financement par l’impôtqui semble être le plus susceptible d’êtreadopté. En effet, dans une économie ouverte,le niveau d’imposition sur le revenu ducapital et du travail dépend d’une part de laperformance de l’économie nationale et

d’autre part de la concurrence fiscale desautres pays. De plus, la performanceéconomique dépend elle-même du niveaud’imposition et de la manière dont les impôtssont prélevés. Il faut veiller ici à ne pas scierla branche sur laquelle on est assis.

Dans un monde très intégré, un pays situé àcôté de grands pays développés pourrait biens’en sortir en instaurant un taux d’impositionfaible pour accroître la base d’imposition. Sicette politique est soutenue par les principauxpartis politiques du pays et menée habilementet de manière durable, elle permettraitd’accroître sensiblement les entrées descapitaux et des travailleurs qualifiés, etd’augmenter la croissance et finalement lesrecettes fiscales du fait d’une based’imposition plus importante. Ce pays estplus susceptible de financer un revenuuniversel mais son application devient moinspressante car les offres d’emploi y sontabondantes. Dans l’Union européenne (UE),les pays mettant en place un État-providenceet des taux d’imposition élevés seraientsoumis à une dure concurrence fiscale(Hansson 2007).

Face aux petits pays voisins de ce type, ungrand pays doit-il participer à la concurrencefiscale ? Dans l’UE, les grands pays nepeuvent faire changer que marginalement lafiscalité des petits pays et cela n’est possibleque lorsque ces derniers sont contraints parune crise d’endettement public. Latransmission d’informations renforcée entreles autorités fiscales nationales mise en placeau sein de l’UE depuis quelques annéespermet de lutter contre l’évasion fiscale maispas contre les sorties définitives de capitauxet de personnes très qualifiées qui changentde résidence fiscale.

Une harmonisation fiscale au niveau del’OCDE, sinon au niveau de l’UE serait unesolution qui permettrait de résoudre leproblème de concurrence fiscale pour les paysmembres de l’UE. Reste à savoir quel est leniveau d’impôt harmonisé. Celui-ci pourraitêtre considéré comme trop bas dans certainspays dont les dépenses sociales sontimportantes mais trop haut pour d’autres quise focalisent sur la croissance. Au nom de lasouveraineté nationale, l’harmonisationfiscale serait refusée par la majorité des pays.

L’impossibilité d’harmoniser la politiquefiscale ne signifie pas qu’un grand pays nepeut pas imposer les revenus du capital et dutravail à un taux d’imposition élevé. Dans uncontexte de mouvement libre des biens, desservices et des facteurs de production, le tauxd’imposition optimal qu’un pays peutappliquer sur les divers revenus des acteurs

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privés dépend des avantages compétitifs del’économie nationale et du degré deconcurrence commerciale, sociale et fiscaleau niveau international. Il faut aussi veiller àce que le taux d’imposition ne soit pas tropélevé de sorte qu’il évite d’inciter les acteursprivés à ne pas travailler et investir. Un grandpays doté des infrastructures matérielles(routes, ports et aéroports, etc.) etimmatérielles (système éducatif, institutionsde recherches, lois et régulationséconomiques et financières, etc.) performanteet d’un grand marché peut en effet appliquerun taux d’imposition plus élevé que dans unpetit pays, sans toutefois risquer de miner sonpropre potentiel de croissance à long terme.Une concentration des activités de productionde biens et de services, des professionnelstrès qualifiés, des informations, et desservices spécialisés très performants destinésaux entreprises innovantes est favorable auxactivités d’innovation et à la création derichesse. Il s’agit ici des effetsd’agglomération positifs (Krugman 1991 etGlaeser 2010).

Malgré cet avantage en termes d’effetsd’agglomération, cela ne signifie pas qu’ungrand pays peut lever des impôts sanscontraintes et distribuer un montant tropimportant de recettes fiscales sous forme derevenu universel. Dans un pays comme laFrance où le taux d’imposition est déjà élevé,il est difficile d’imaginer qu’il soit possibled’augmenter sensiblement les impôts. Enplus, la France n’est pas la mieux lotie pourinnover dans les secteurs les plus créateurs derichesse. L’État a besoin de dépenser plus etmieux dans les infrastructures matérielles etimmatérielles afin d’améliorer ou demaintenir les avantages compétitifs del’économie française. Il en résulte qu’unrevenu universel compatible avec lacontrainte budgétaire de l’État et viable àlong terme pourrait exister mais risque d’êtrebeaucoup moins élevé que ce que beaucoupde politiciens et d’électeurs espèrent.

4. La stabilité dynamique du financement du revenu universel

L’adoption du revenu universel et l’évolutionde son niveau dépendent du niveau decompréhension du fonctionnement del’économie par les électeurs (Beilharz etGersbach 2016). Dans une économie où lesagents privés comprennent mieux le

fonctionnement de l’économie, un tel projetne serait pas mis en place, comme l’a montréle vote en Suisse en 2016.

Si le revenu universel est mis en place, lesystème de vote universel détermine que sonniveau pourrait être relevé assez fortementd’une élection à l’autre tant que les électeursmoins aisés financièrement pensent à leurintérêt immédiat sans prendre en compte leseffets d’externalités négatifs d’un revenuuniversel élevé sur la performance globale del’économie. En effet, ces effets négatifsn’affectent qu’avec retard et indirectement lebien-être de chaque individu. Le système estinstable car d’une part, les dépensespourraient augmenter suite à des relèvementsenvisageables du revenu universel et à uneaugmentation prévisible du nombre depersonnes bénéficiaires, et d’autre part, lesrecettes fiscales pourraient baisser en raisonde la concurrence fiscale. Cette dernièreimplique que la hausse du taux d’impositionnécessaire pour répondre au besoin impératifde recettes pourrait encourager les sorties decapitaux et de personnes qualifiées dont desentrepreneurs talentueux, et ainsi fairediminuer la base d’imposition.

Il en résulterait un déséquilibre croissant dubudget de l’État et une hausse incontrôlablede la dette publique. Le seul frein à la haussed’un tel revenu serait une crise de solvabilitémajeure de l’État.

5. Conclusion

Un système de revenu universel peut être misen place dans un seul pays de l’UE comme laFrance malgré la concurrence fiscale et lamobilité des facteurs de production.Toutefois, un revenu universel compatibleavec l’équilibre budgétaire de l’État et unecroissance soutenue de l’économie nationalerisque d’être faible. Étant donné le principede fonctionnement des démocratiesoccidentales, il y a un risque de déséquilibrebudgétaire croissant qui pourrait, à longterme, miner le fonctionnement de ce systèmeet la croissance de l’économie nationale.

Références bibliographiques Beilharz, H. J., & H. Gersbach (2016), “Voting

oneself into a crisis,” MacroeconomicDynamics 20(4), 954-984.

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Les taux d’intérêt nominaux négatifs sont-ils efficaces pour relancer la croissance des crédits et de l’économie ? Fanny Loux*, Meixing Dai**

Plusieurs banques centrales ont introduit des taux d’intérêt directeurs négatifs. Cette poli -tique s’est traduite par des taux d’intérêt nominaux négatifs sur les marchés interban-caires et certains segments des marchés obligataires, voire sur le marché de dépôts et decrédits bancaires. S’il est indéniable que cette politique a poussé les banques à prêter pluset a permis aux États très endettés de se financer plus facilement sur le marché financier, ilest encore trop tôt pour juger son effet sur la croissance car elle affecte à la fois le montantet le profil de risque des crédits bancaires.

La grande crise financière de 2008 achamboulé l’économie mondiale. Pourstabiliser les marchés financiers et pourpallier ses conséquences économiquesdésastreuses, les banques centrales (BC) lesplus importantes du monde ont mené despolitiques monétaires non-conventionnelles.Certaines BC remettent durablement en causel’idée qu’il existe une borne inférieure zéro(zero lower bound)1 sur le taux d’intérêtnominal et décident de passer leurs tauxdirecteurs en-dessous de zéro. Pour cela, desprogrammes d’assouplissement quantitatif(quantitative easing) sous forme d’achatmassif des titres publics et privés ont été misen place.

Gregory Mankiw est l’un des premiers àparler publiquement d’un taux d’intérêtdirecteur négatif dans le but de redynamiserle marché du crédit.2 Son appel peut êtreappuyé par une étude interne réalisée en 2009par des analystes de la Banque de réservefédérale des États-Unis, qui montre que letaux d’intérêt optimal pour l’économieaméricaine est de −5 %.3 Si on suit le schéma

1 Les arguments théoriques justifiant un « zero lowerbound » sont présentés par McCallum (2000). Ilprouve qu’à partir d’un certain seuil, proche de zéropourcent, la baisse des taux d’intérêt à court termen’a plus d’impact positif sur la croissance écono-mique car elle mène les agents économiques à préfé-rer la thésaurisation de leur épargne au placement fi-nancier devenu peu rentable.2 Gregory Mankiw, “It may be time for the Fed to gonegative,” New York Times, 18 avril 2009.3 Gutha Krishna, “Fed study puts ideal interest rate at−5 %,” financial Times, 29 Avril 2009.

théorique qui décrit la transmission de lapolitique monétaire, une baisse du tauxd’intérêt directeur de la BC devrait stimuler lacroissance économique. Selon ce schéma,l’expansion monétaire qui accompagne labaisse du taux directeur inonde les agentséconomiques de liquidités dont le placementdevrait conduire à une hausse du prix desactifs financiers et à une baisse des tauxd’intérêt de marché. L’épargne devient alorspeu attractive, les emprunts auprès desbanques bon marché et les fonds sur lesmarchés financiers plus abondants, ce quipermet de stimuler la consommation etl’investissement. Il en résulte une meilleureconjoncture macroéconomique. En économieouverte, l’effet de la politique monétairepasse essentiellement en cas de forte mobilitédes capitaux par la dépréciation de lamonnaie nationale qui stimulera la demandedes biens nationaux. La question est de savoirdans quelle mesure ce schéma est applicablequand le taux directeur devient négatif.

Cet article présente les fondements théoriquesdes taux d’intérêt nominaux négatifs,examine les antécédents historiques et discuteles implications d’une telle politique.

1. Les fondements théoriques

Malgré que l’idée de taux d’intérêt nominauxnégatifs ait longtemps été bannie du débatéconomique, étant vue commeéconomiquement impossible par denombreux économistes, les premières

* SaarLB, Allemagne.** Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR7522, F-67000 Strasbourg, France.

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réflexions à ce sujet datent de la fin duXIXème siècle.4 Défini comme le précurseurde la pensée relative aux taux négatifs, Gesell(1916) propose, contrairement au modèletraditionnel IS/LM, que la courbe de lademande de monnaie continue sa course sousl’axe horizontal pour s’adapter à l’offre.Ainsi, une hausse des réserves bancairessupérieure à celle correspondant à la bornezéro mènerait à un taux d’intérêt négatif. Lesliquidités étant disponibles en grandequantité, le coût de stockage de celles-cideviendrait alors significatif. Il serait alorsnécessaire de mettre à contribution lesépargnants ou d’inciter les autres à emprunteren les rémunérant pour ceci.

La proposition de prélèvement sur les dépôtsn’a pas eu de très larges échos mais elle a toutde même été à l’origine de quelquesinitiatives locales pendant la GrandeDépression des années 1930. Deséconomistes comme Fisher (1930) ont portéleur attention sur la théorie de Gesell et ontcommencé à promouvoir ses idées. PourFisher, si un bien peut être stocké sans coût,alors le taux d’intérêt en unités de ce bien nepeut tomber en-dessous de zéro. Ainsi, si lestock de monnaie est abondant et son coût destockage devient significatif, le taux d’intérêtnominal pourrait devenir négatif. Lesréflexions à ce sujet se sont ensuiteessoufflées.

Puis, la crise financière qui plongeal’économie japonaise dans la dépression et ladéflation inspira à nouveau la recherche sur lapossibilité d’instaurer des taux négatifs. Poursortir d’une trappe à liquidité,5 situation oùles taux d’intérêt directeurs sont proches dezéro et la BC ne peut plus les baisserdavantage pour relancer l’activitééconomique, Buiter et Panigirtzoglou (1999)et Buiter (2003) proposent d’augmenter lamasse monétaire au point de supprimer leplancher théorique à zéro pourcent des tauxd’intérêt nominaux. Pour que les taux négatifs

4 Voir Menner et Ilgmann (2011) pour l’histoire destaux d’intérêt négatifs et des propositions récentes.5 En général, plus les taux sont bas, plus les agentssont incités à détenir de la monnaie dans l’espoir queles taux augmentent à nouveau et que le cours destitres diminue. Toutefois, selon Keynes (1936), ilexiste un taux d’intérêt critique pour lequel la préfé-rence pour la liquidité est absolue. Dans cette« trappe à liquidité », la politique monétaire expan-sionniste n’est plus capable de stimuler l’économiecar la monnaie créée sera utilisée à des fins spécula-tives et non pour des investissements productifs.

se réalisent, l’abondance de liquidité devraitêtre accompagnée des taux d’intérêt négatifssur les réserves bancaires voire même sur lesbillets et pièces. Cela revient à faire payer une« taxe sur la monnaie » (currency carry tax)en référence aux travaux de Gesell.

2. Les différents taux d’intérêt : tous ne sont pas encore négatifs

Le taux d’intérêt d’un emprunt est larémunération du capital prêté versée parl’emprunteur au préteur. Les deux principauxcourants de pensée économique justifientimplicitement un taux d’intérêt nominalpositif par leur interprétation donnée au tauxd’intérêt. Les néoclassiques considèrent letaux d’intérêt comme étant le prix du temps,la récompense de l’attente du prêteur pourconsommer, ou inversement le prix de laconsommation anticipée pour l’emprunteur.Pour les néo-keynésiens, le taux d’intérêtmesure « la répugnance des détenteurs demonnaie à aliéner leur droit d’en disposer àtout moment » (Keynes, 1936), c.-à-d. qu’ilest la récompense du prêteur pour lerenoncement à sa préférence pour lesliquidités.

En pratique, il y a différentes sortes de tauxd’intérêt qu’il faut savoir différencier pourconnaître les implications du passage à destaux négatifs.

Pour commencer, il est capital pour les agentséconomiques de distinguer le taux d’intérêtnominal et le taux d’intérêt réel. Ce dernierest égal au taux d’intérêt nominal déduit dutaux d’inflation. Nous allons maintenantdifférencier les taux d’intérêt nominaux del’économie et voir lesquels sont aujourd’huinégatifs pour pouvoir ensuite étudier lesimplications de ce phénomène.

Les trois taux d’intérêts dits « directeurs » dela BC servent de base de calcul des tauxappliqués dans le système financier. Le tauxde rémunération des dépôts, plus faible queles deux autres, est le taux auquel sontrémunérés les placements des établissementsfinanciers à la BC. Le taux de refinancementest celui auquel ces établissements peuventemprunter auprès de la BC. Le tauxd’escompte (ou taux de prêt marginal), le plusélevé des trois, est le taux au jour le jourauquel la BC prête des liquidités auxétablissements financiers. Ces tauxconstituent les principaux instruments de

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politique monétaire conventionnelle surl’économie car en modifiant ces taux, la BCmodifie les conditions emprunteuses etprêteuses et donc la marge bénéficiaire desbanques. En cas de taux négatifs, la margebénéficiaire des banques ayant un surplus dedépôt diminue car elles paient pour leursdépôts à la BC mais doivent accorder descrédits à taux bas à leurs clients pour restercompétitives tout en étant confrontées à larésistance à la baisse des taux d’intérêt sur lesdépôts des clients.

Les taux d’intérêt interbancaires sont les tauxauxquels les banques se prêtent des réservesbancaires à court terme. Ils sont essentiels aucalcul des taux auxquels prêtent les banquescommerciales, mais aussi au calcul de tauxdes produits dérivés, comme les Swap ou lescontrats à terme. Les plus connus sontl’EURIBOR (Euro Interbank Offered Rate),l’EONIA (Euro OverNight Index Average) etle LIBOR (London interbank offered rate) enEurope et le Fed (Federal Funds) Rate auxÉtats-Unis. L’EURIBOR, l’EONIA et leLIBOR sont respectivement les tauxnégociés, puis offerts entre banques dans lazone euro, gérés par la Fédération bancaire del’UE, et au Royaume-Uni, publiés par l’ICEBenchmarkt Administration. Ils sont lamoyenne des taux prêteurs, communiqués parun échantillon d’établissements bancaires lesplus actifs, pour une maturité allant d’un jour(EONIA et LIBOR spot-next) à un an. Le FedRate, géré par le Federal Open MarketCommittee, est le taux auquel une banqueemprunte à une autre pour atteindre la réserveminimale et est souvent considéré comme letaux directeur aux États-Unis. Il est fixé par laFed elle-même en fonction des objectifs de sapolitique monétaire.

Les banques définissent des taux pourrémunérer les dépôts, qui sont généralementinférieurs aux taux appliqués aux prêts à tauxfixes. Leur niveau dépend, entre autre, de laconcurrence sur les marchés de dépôts et decrédits. En outre, les taux prêteurs varientd’une banque à l’autre selon leurs moyens derefinancement sur les marchés financiers et enfonction de la maturité du contrat.L’amplitude de cette variation dépend de lacourbe des taux (yield curve). Enfin, lesbanques commerciales adaptent leur margenette en fonction de la solvabilité du client, letype d’usage des fonds (prêt à laconsommation ou financement immobilier,particulier ou professionnel) et d’autresmodalités propres à chaque client et contrat.Les banques peuvent réaliser des profitsconfortables à condition qu’elles gèrent lerisque de crédit et le risque de taux d’intérêt.

Ces risques correspondent respectivement à lapossibilité d’un non-remboursement total oupartiel d’un prêt à l’échéance prévue, et à unevariation de la valeur du crédit suite à unevariation des taux d'intérêt sur les marchésfinanciers. Actuellement, de nombreuxcontrats de prêt spécifient que malgré unrefinancement à taux inférieur à zéro, labanque utilisera comme base de calcul unEURIBOR flooré à zéro pourcent. Ceci leurpermet d’augmenter implicitement leur margeet de gérer les risques croissants liés aux tauxnégatifs.

Enfin, il ne faut pas confondre le taux derendement des obligations avec le tauxd’intérêt nominal. Le taux de rendement secalcule en rapportant la somme du coupon etde la plus ou moins-value au prix d’achatd’une obligation, alors que le taux d’intérêtnominal représente le rapport entre le couponet le prix d’émission de l’obligation. Le tauxd’intérêt nominal est souvent différent dutaux d’intérêt actuariel égalisant le prix d’uneobligation et la valeur actualisée des flux derevenus et de remboursement du principal. Ilpeut être une bonne approximation du tauxactuariel à mesure que l’échéance del’obligation s’accroît.

Les taux négatifs sont désormais courants surle marché interbancaire et sur celui desobligations et ont atteint les pays de la zoneeuro depuis fin 2015, conséquences directesdes taux directeurs devenus négatifs. Ladégradation de la conjoncture économique enChine, les doutes pesant sur l’avenir desrelations entre le Royaume-Uni et l’UE etl’instabilité politique mondiale sont autant defacteurs qui dégradent la conjonctureéconomique mondiale. Ainsi, la demandepour les obligations d’État des pays les plussolvables est si forte que leurs prix s’envolentet leurs rendements deviennent négatifs. Le13 juin 2016, le taux des obligationsallemandes à 10 ans est passé pour lapremière fois à un niveau négatif, à savoir−0,024 %. L’Allemagne rejoint ainsi la Suisseet le Japon qui empruntaient déjà pour cettematurité à des taux si bas. A part les causesconjoncturelles, une cause importante de cedéclin des taux allemands est le programmede rachat d’actifs mis en place par la BCEdans le but d’accroître l’inflation.6

3. La décennie perdue du Japon et l’assouplissement quantitatif

6 « Le taux allemand à 10 ans sous 0 % pour la pre-mière fois de son histoire », Les Echos, 14/06/2016.

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Dans les médias, la situation actuelle del’Europe est parfois comparée à la crise quitouche le Japon depuis les années 1990 et quia été nommée « la décennie perdue » (the lostdecade) (Hayashi et al. 2002). Depuis 2001,la conjoncture japonaise ne s’étant pasclairement améliorée, la métaphore estdevenue « les 20 années perdues » ou « thelost score ».7

A la fin des années 1980, une bullespéculative sur les prix des actifs mobiliers etimmobiliers s’est développée suite à l’accorddu Plaza signé en septembre 1985 imposantune appréciation importante du yen, et enraison d’un taux d’intérêt au jour le jourexceptionnellement bas pour l’époque, àsavoir 3,96 % en 1987. Cette bulle fut d’uneampleur historique, dépassant celle dessubprimes aux États-Unis. Dans les années1980, les banques japonaises accordaient descrédits sans se soucier des conséquences de laspéculation. L’abondance de liquidités dans lesystème financier japonais est d’ailleursrenforcée par l’appréciation du yen, qui aentraîné des entrées massives de capitauxd’origine tant japonaise qu’étrangère.

Pour arrêter cette spéculation frénétique, laBC du Japon (BCJ) a augmenté ses tauxd’intérêt à partir de mai 1989 jusqu’à ce queles taux au jour le jour atteignent 8,23 % en1990. Ceci a fait exploser les bulles mais aaussi plongé le pays dans une grave criseéconomique et financière. La déflation quiapparut à la suite de l’éclatement des bullesconstitue un cercle vicieux qui incite lesménages à réduire leur consommation et lesentreprises à retarder leurs investissements,d’autant plus que la hausse des taux aaugmenté la charge de la dette, compliquantson remboursement par les agents auxfinances les plus fragiles. La baisse de lademande globale exerce à son tour unepression à la baisse sur les prix des biens etservices, détériorant davantage laconjoncture. La persistance de cette déflationpeut être en partie expliquée par la culturetrès averse au risque des Japonais qui lesconduit à réagir de façon très rapide et tropimportante aux chocs financiers etéconomiques.

Dans l’espoir de redynamiser la demande decrédit et de relancer l’inflation afin de sortirde ce cercle, la BCJ décida alors d’augmenterfortement la masse monétaire en circulation et

7 Leika Kihara, “Japan eyes end to decades long de-flation”, Reuters, Aug 17, 2012.

a redescendu ses taux d’intérêt à des niveauxavoisinant zéro pourcent de 1999 à 2015, sansjamais les faire passer en territoire négatifavant 2016. Cette politique n’eut pas leseffets espérés et la déflation continua de sorteque l’économie japonaise tomba dans unetrappe à liquidité (Krugman 2000). Parailleurs, les Japonais ont longtemps eu unerelation particulière avec leur banque, ce quia facilité l’accord de crédit et doncl’endettement du secteur privé mais au prixd’un taux de créances douteuses élevé. En2000, ce taux était de 9,7 % au Japon contre4,9 % en Allemagne d’après les données de labanque mondiale. La persistance de ladéflation a gravement atteint la confiance desJaponais dans leur système bancaire et lesincita à s’autofinancer plutôt que de setourner vers les banques. Entre-temps, le paysfut lourdement touché par l’éclatement desbulles spéculatives sur les nouvellestechnologies en 2001.

La politique monétaire trop conservatrice dela BCJ est une cause majeure de cette longuecrise déflationniste (Bowman et al. 2011).Elle a réagi relativement tard et a seulementusé de son instrument traditionnel : les tauxd’intérêt qu’elle n’a que lentement baissé. Enparallèle, le gouvernement n’a pas mis enplace de politique budgétaire efficace alorsque la dette publique s’envolait jusqu’à plusde 200 % du PIB. La consolidation massivedu secteur bancaire n’eut pas les effetsescomptés. Les nouvelles liquidités desbanques, n’ont pas pu remplir entièrement lamission initialement prévue qui futd’augmenter l’offre de crédit, car la demandede crédit était faible à cause de la dépressionéconomique. Elles ont donc été en grandepartie placées dans les obligations d’Étatjaponais. Une autre cause, soulignée parGoyal et McKinnon (2003), est la pressionhaussière sur le yen à laquelle résiste legouvernement japonais bien que lesexcédents commerciaux importants du Japonla justifient.

L’expérience japonaise montre quel’assouplissement quantitatif et la baisse destaux d’intérêt pratiqués par le BCJ n’ont euqu’un effet marginal sur l’accord de crédit àcause de la santé encore fragile des banqueset de la perte de confiance dans le systèmebancaire.

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4. L’expérience des taux négatifs dans les banques centrales d’Europe

La BCE passa son taux de rémunération desdépôts à −0,1 % en juin 2014, puis à −0,2 %en septembre 2014. La décision de la BCE estprincipalement motivée par la faiblesse de lacroissance et une inflation atone, largementsous la cible de 2 % fixée par la BCE. Endehors de la zone euro, les pays comme laBosnie-Herzégovine, la Bulgarie, leDanemark, la Hongrie, le Norvège, la Suisseet la Suède ont également introduit des tauxd’intérêt directeurs négatifs depuis la grandecrise financière globale.8 Les taux négatifsadoptés par les pays voisins de la zone eurovisent des objectifs différents. Certains payssuivent la politique monétaire de la BCE.D’autres comme la Suède, la Danemark et laSuisse, qui ont mis en place cette politiqueavant la BCE, visent à diminuer l’afflux decapitaux étrangers et à atténuer la pressionhaussière sur leurs monnaies, considéréescomme des valeurs refuges par lesinvestisseurs face à un euro instable, et leseffets nuisibles d’une appréciation de leurmonnaie nationale pour la croissance. Nouspassons en revue les expériences de ces troispays.

La Suisse : initiatrice des taux négatifs pourlimiter l’afflux de capitaux étrangers

La BNS décida dans les années 1970d’interdire la rémunération des avoirsétrangers placés dans les établissementsfinanciers suisses dans le but de diminuerl’afflux de capitaux étrangers, principalementoriginaires des pays exportateurs de pétrole.De 1972 à 1974, elle instaura une commissionde 2 % par trimestre sur ces dépôts. Enfin, en1979 fut décidé d’un taux de rémunérationdes dépôts négatif à la BNS toujours dans lebut de ralentir l’appréciation du franc suisse.Les taux au jour le jour, déjà très bas, sontalors devenus négatifs pendant plusieurs joursà la suite de cette intervention massive. C’estla première fois dans l’histoire économiqueque des taux d’intérêt nominaux négatifs ontété enregistrés.

Plus récemment, à cause des tensionsfinancières dans la zone euro provoquée entreautres par la crise de la dette grecque en 2012,et de la politique d’assouplissementquantitatif de la BCE, un montant de capitaux

8 Pour une revue détaillée des taux d’intérêt négatifs,voir Jobst et Lin (2016).

étrangers important a afflué vers la Suisse,accroissant ainsi le surplus de liquidités desbanques et des réserves bancaires auprès de laBNS. Cet afflux de capitaux a entraîné uneforte appréciation du franc suisse,interrompue par l’imposition par la BNS d’untaux-plancher de 1,20 francs pour un euroentre septembre 2011 et janvier 2015. Pourlutter contre l’appréciation du franc face àl’euro, la BNS a fait tomber ses tauxdirecteurs. Outre un taux de rémunération desdépôts à −0,75 %, la BNS a drastiquementbaissé sa cible pour le taux interbancaire à 3mois à −1,25 % en décembre 2014, puis l’aremonté à −0,25 %.

Ces mesures coûtent cher aux établissementsfinanciers nationaux et étrangers domiciliésen Suisse car ils détiennent une partrelativement importante de leurs liquidités enCHF déposée à la BNS, d’autant plus que lesdépôts à la BNS ont sensiblement augmentésuite à la mise en place en 2012 des règlesplus exigeantes formulées par Bâle III,notamment l’instauration d’un ratio deliquidité à court terme minimum élevé.9 Endésaccord avec cette politique, des actions ontété menées pour résister à ces taux trop bas.Un fond de pension suisse a retiré ses dépôtspour les stocker dans des coffres forts : Unemanœuvre peu rentable car cela lui a coûté2,5 % des liquidités retirées alors que lesprélèvements sur les dépôts n’excèdent pas 1% par an. Pour des raisons de coûts destockage, en 2015, la demande de billets aseulement augmenté de 4 milliards de CHF,soit moins de 0,5 % de la masse monétaire,un montant encore peu susceptible d’annulerl’impact positif des taux négatifs.

D’après une étude portant sur lesinvestissements des petites et moyennesentreprises suisses entre 2009 et 2014 réaliséepar la banque Crédit Suisse,10 les tauxd’intérêt bas n’incitent pas toutes lesentreprises à investir. Seules 30 % d’entreelles ont indiqué que les faibles taux avaientune incidence sur leur investissement. Lesecteur de la construction a le plus bénéficiédes taux bas car le financement devenu plus

9 Bâle III est un accord sur les réglementations ban-caires signé en 2010 par les pays membres du G20,mise en place en 2013 dans le but d’assurer la stabili-té bancaire mondiale. Les mesures principales sont lagarantie d’un niveau de capital propre minimal,l’adoption d’un ratio de liquidités suffisant, unemeilleure couverture de certains risques, et la mise enplace des mesures contra-cycliques. Voir Dai et Barry(2013).10 Feubli, P., E. Gachet, E. Roos & M. Botteron(2015), « Facteurs de succès pour PME suisses – In-vestir en période de taux bas et de Franc fort », In-vestment strategy & research, Credit Suisse.

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abordable et le manque d’opportunité deplacements rentables poussent lesinvestisseurs à se tourner vers l’immobilier,considéré comme une valeur refuge. Lesentreprises voyant les taux négatifs commeune aubaine, nombre d’entre elles allouentune part importante de leurs emprunts auxplacements immobiliers ou en profite pourrestructurer leur dette courante à des taux plusavantageux. Par ailleurs, les conditions definancement se révèlent être secondaires pourla décision d’investissement et sont reléguéesderrière les facteurs externes, comme lesdemandes et les incertitudes pesant surchaque branche d’activité. L’incertitude liéeau contexte économique et politique mondial(Brexit, franc suisse fort, incertitude sur lapolitique économique des États-Unis etralentissement de la croissance des paysasiatiques) contrebalance largement lespossibles effets positifs des taux négatifs surle crédit bancaire.

La santé de l’économie suisse est trèsdépendante de la zone euro, c’est pourquoi ilest prévisible que les taux suisses restent souszéro pourcent tant que ceux de la zone euron’auront pas augmenté. Les principaux effetsnégatifs de cette politique sont subis par lesbanques qui voient leurs recettes diminuer etleurs charges augmenter. Il s’y ajoute lescontraintes de nouvelles réglementationsbancaires. Ces impacts restent tout de mêmemodérés car de nombreuses banques ontinstauré un prélèvement sur certains dépôtspour maintenir leur niveau de marge. SelonIMF (2015),11 les effets positifs sur lacroissance de crédits et sur l’économie sontlimités même s’il est encore tôt pour en tirertoutes les conclusions. Ainsi, l’additiond’effets positifs incertains sur l’économiesuisse et d’effets négatifs sur le secteurbancaire suisse ne semble pas indiquer unegrande efficacité de la politique du tauxdirecteur négatif de la BNS. Par ailleurs, laforte demande de crédits immobiliers se doitd’être surveillée de près par les régulateurspour éviter que ce phénomène se transformeen une bulle spéculative.

En Suède, la Riksbank lutte contre la récession de manière non-conventionnelle

Sur la période 2009-2010, la Riksbank a fixéun taux de rémunération des dépôts négatif(−0,25 %), pour faire face à la crise financière

11 IMF (2015), “Switzerland”, Staff Report, may.

globale. Proche de zéro et n’étant qu’un casisolé en Europe, ce taux n’a donc pas eud’incidence négative sur le secteur bancaire.Depuis juillet 2014, la Riksbank a réitérécette pratique tout en l’intensifiant. Le tauxde rémunération des dépôts et le taux derefinancement sont successivement abaissésjusqu’à ce qu’ils atteignirent respectivement−1,1 % et −0,35 %. En février 2016, laRiksbank annonça qu’elle abaissait son tauxde refinancement à −0,5 %. La Riksbankjustifie cette nouvelle baisse des taux par leniveau d’inflation qui ne remonte pas et parles politiques accommodantes des BCvoisines. Sinon, la couronne suédoiserisquerait de s’apprécier face à l’euro, ce quiserait nuisible pour les exportations et lacroissance de l’économie suédoise déjà endifficulté.12

L’un des avantages de la Suède face auxconséquences des taux négatifs est lastructure de son système bancaire qui luipermet même, dans une certaine mesure, d’entirer profit. D’abord, les banques suédoisesont une rentabilité nette des capitaux propres(return-on-equity, ROE) entre 12 et 13 %depuis 2012, largement supérieure à unemoyenne de 3 à 5 % pour les autres banqueseuropéennes. Elles ont aussi un ratio coût/revenu (cost-to-income ratio) relativementbas, qui diminuait depuis 2011 et tombaitsous la barre des 50 % en 2014 alors quecelui des banques des pays voisinsaugmentait et se situait au-dessus des 70 % enmoyenne fin 2015. Enfin, le niveau de pertesur prêts y est relativement faible : 0,1 % desprêts contre 0,5 % en moyenne dans les autresbanques européennes.13

Le niveau des taux d’intérêt n’est pasdirectement corrélé à la profitabilité desbanques car celle-ci dépend de nombreuxfacteurs tels que les coûts de refinancement,le volume et le taux de prêt pour les clients, leniveau de perte sur les créances, et lesrevenus de commission. Ainsi, les banquessuédoises ne prévoient pas d’être lourdementtouchées par ces taux, d’autant plus qu’ellesont principalement recours au financement engros (wholesale funding), notamment auprèsde fonds publics, et seulement de façonmarginale par leurs dépôts (rémunérésprincipalement à taux positif). Elles peuvent

12 « Inflation : la Suède amplifie sa politique moné-taire à taux négatif », Les Echos, 11/02/16.13 Données issues du « Banks’ interim reports », Riks-bank et SNL Financial.

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ainsi profiter d’un refinancement à tauxnégatif. Dans leur cas, la baisse des margesbancaires communément associée aux tauxnégatifs n’est pas vérifiée, et ces taux leurpermettent même de baisser leurs charges definancement.

Selon un rapport publié par la Riksbank en2015, ces taux historiquement bas mettenttout de même une pression sur le secteurfinancier. On observe une augmentation desrisques sur le marché immobilier à cause del’endettement croissant des ménages, attiréspar les conditions de prêt avantageuses.Comme en Suisse, le marché immobiliersuédois doit être surveillé de près pour éviterla formation d’une bulle spéculative.

Le rapport de politique monétaire du moisd’avril 2016 de la Riksbank montre que lestaux d’intérêt négatifs permettent d’améliorerla conjoncture suédoise par le biais de lahausse de l’offre de crédit aux conditionsavantageuses, et d’accroître les revenus netsdes banques en réduisant leurs coûtsfinanciers et en augmentant la demande decrédits et les commissions bancaires. Reste ensuspens la question du niveau de risque de cesnouveaux crédits accordés.

La Nationalbank du Danemark allie lutte contre la récession et stabilité de sa devise

Pour éviter un afflux de capitaux vers le payset assurer la stabilité du taux de change de lacouronne par rapport à l’euro, la DanmarksNationalbank (DNB), la BC du Danemark, adû ajuster sa politique monétaire. Elle aabaissé son taux de rémunération des dépôts à–0.2% en juillet 2012 puis remonta à – 0.1%en janvier 2013.

L’effet de ces décisions doit s’apprécier sousl’angle de la dette du secteur privé danois quireprésente 280 % du PIB national en 2012.Ce ratio ne cesse de diminuer grâce à labaisse des coûts du service de la dette.14 Deplus, l’amélioration de la situationéconomique se ressent dans les bénéfices desentreprises et dans les revenus des ménages,ce qui augmente leur épargne et leurs actifs etdiminue le taux de défaillance des créditsbancaires. Ainsi, les analystes de la DNBobservent que, malgré une intensification dela concurrence et des taux d’intérêthistoriquement bas, les banques n’ont pas été

14 Les ménages danois sont parmi les plus endettés dumonde. Selon la DNB, le ratio dette/PIB pour les mé-nages était de 150 % en 2012 contre environ 50 % enAllemagne. Par contre, les Danois ont un patrimoineélevé destiné au financement de leur retraite, ce quidiminue le risque de non-remboursement de leursdettes.

significativement plus laxistes sur leursconditions d’accord de crédits, excepté pourles prêts aux entreprises les plus productiveset solvables (Andersen et Kuchler 2016).

Grâce à une épargne plus importante permisepar un bon dynamisme économique, lesfirmes danoises ont un meilleurautofinancement que celles des pays voisinset manifestent une faible demande de prêtbancaire. Au vu de cette situation, la DNB aaugmenté ses taux à 0,05% en avril 2014.Puis, suite à la décision de la BCE et de laRiksbank d’instaurer des taux derémunération des dépôts négatifs, la DNBdécida de suivre le mouvement pour stabiliserla parité de sa devise face à l’euro et à lacouronne suédoise en baissant à nouveau sontaux de dépôts à −0,05 % en septembre 2014avant d’amplifier cette politique monétaireaccommodante en le fixant à −0,75% enfévrier 2015 afin de faire face à lasuppression par la BNS du taux-plancherentre le franc suisse et l’euro en janvier 2015.En effet, cette décision de la BNS créa uneincertitude sur le marché du franc suisse,incitant les investisseurs à préférer lacouronne danoise et à déplacer leurs capitauxvers le Danemark, poussant cette devise às’apprécier face au franc suisse et à l’euro. Letaux fut remonté à –0,65 % en janvier 2016après le retour à l’accalmie sur les marchés dechange.

Dans le secteur bancaire, la baisse desdéfaillances de crédits a un impact positif surle bilan des établissements financiers, maisceci est atténué, voir annulé, par la faiblessede la demande de crédit et par les tauxd’intérêt négatifs. Pour compenser les effetsdu taux d’intérêt négatif sur leurs revenus, lesétablissements financiers créent de nouveauxfrais bancaires. En 2015, les banquesdanoises ont commencé à appliquer des tauxnégatifs aux entreprises ayant les plus grosdépôts. Malgré cela, on n’observe pas pour lemoment de hausse de la demande de billetsdans le pays car le stockage est coûteux et lesdanois sont habitués aux moyens de paiementélectroniques. De plus, dès les années 1980 etplus intensivement depuis la crise de 2008, lesecteur bancaire a limité les charges depersonnel et a réduit le nombred’établissements, ce qui stabilise le ratiocoût/revenu.15

Ainsi le secteur bancaire s’adapte et semblepouvoir faire face aux difficultés liées auxtaux négatifs. Le point noir reste le mêmequ’en Suisse et en Suède : les taux négatifs

15 Danmarks Nationalbank, Financial stability report1st half, 2016.

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stimulent le marché immobilier et accroissentle risque d’une nouvelle bulle spéculative.

5. L’évolution du rôle des banques dans la transmission des taux directeurs à la sphère réelle

La transmission de la politique monétaire versl’économie n’est pas parfaite car lesvariations des taux de la BC ne sont pasentièrement répercutées par les établissementsfinanciers qui doivent prendre en compted’autres facteurs, en particulier leur méthodede refinancement, une prime de risque et leurmarge. Selon le type de banque (banque dedépôts ou banque d’affaire), selon le typed’emprunteur (entreprise, institutionnel ouprivé) et le type de crédit (immobilier,investissement productif ou à laconsommation), des taux différents serontappliqués. Les taux directeurs bas, puisnégatifs ont des répercussions différenciéessur le bilan et la profitabilité desétablissements. Ces derniers doivent s’adapterpour maintenir leur marge bénéficiaire et pours’assurer de respecter les recommandationsde Bâle III, notamment la constitution et lemaintien du niveau de capital propreréglementaire (Common Equity Tier One ouCET1).16

On distingue habituellement trois canaux detransmission de la politique monétaire. Lecanal des taux d’intérêt transmet lesmodifications des taux directeurs aux taux demarché, notamment l’EURIBOR et leLIBOR, avec une répercussion (pass-through)quasi unitaire dans la zone euro, et aux tauxdébiteurs et créditeurs des banques avec unerépercussion lente et souvent incomplète àcause du temps de modification des contrats,pour affecter au final l’investissement et laconsommation, deux composantesimportantes de la demande agrégée. Ce canalpeut être amplifié ou atténué selon lefonctionnement du marché financier et dumarché du crédit, notamment les primes derisque à inclure dans le taux d’emprunt et lesconditions de restructuration des prêts pourbénéficier des niveaux de taux actuels.

16 Les Accords de Bâle III, un ensemble de proposi-tions de régulation bancaire principalement focaliséessur le niveau de capitaux propres minimal desbanques, imposent que les établissements bancairesdoivent maintenir un ratio CET1 minimum de 4,5%.Une évolution à la hausse des recommandations surce ratio est déjà anticipée par les banques.

Le canal du prix des actifs réels et financiersdiffuse les effets des variations des tauxdirecteurs aux prix d’actifs et au taux dechange, affectant la demande globale et doncl’activité économique et l’inflation via leseffets de richesse. Les taux négatifs posent unproblème d’évaluation pour les actifs dont letaux de rendement nominal est positif car toutdépend de la durée anticipée du maintien dece type de politique. Les fonds obligatoiressouffrent davantage car la détention desobligations à taux négatifs ne peut procurerun rendement positif via la plus-value que sil’on anticipe que les taux d’intérêt baissentdavantage dans le futur. Ces fonds sont doncincités à se diversifier sur des titres plusrisqués dont le rendement nominal resteencore largement positif, notamment lesemprunts privés ou d’autres actifs peuliquides. Actuellement, ce sont les fonds depensions qui sont les plus en difficulté car ilsdoivent en plus adapter leur passif endiminuant les paiements aux retraités.

Le canal du crédit n’existe qu’en présence defrictions financières et désigne les facteursaffectant la demande et l’offre de crédit etpouvant amplifier le canal des taux d’intérêt.La demande de crédit est affectée via le canaldu bilan des entreprises et des ménages. Eneffet, une baisse des taux d’intérêt a tendanceà alléger le coût de financement externe,incitant les entreprises à se financer à crédit.De même pour les ménages, ils choisirontd’investir au moment où les conditionsbilancielles sont favorables. Les facteursaffectant le niveau et les conditions de l’offrede crédit sont classés dans deux sous-canaux:1) Le canal du crédit bancaire montrecomment certaines caractéristiquesdéterminantes du bilan des banques,notamment la taille du bilan et les liquiditésdisponibles, peuvent affecter le créditbancaire. 2) Le canal du capital bancairedésigne l’influence du niveau de fondspropres des banques sur leur capacité à faireface aux risques, tels que le non-remboursement des crédits ou le retrait massifdes dépôts.

Depuis les années 1970, l’importance et lasignification des paramètres traditionnels, quicaractérisent le canal du crédit tels que lataille du bilan, le niveau de liquidité et le ratiode capital, ne cessent d’évoluer. D’abord, lesbanques se financent de plus en plus sur lesmarchés, notamment par le recours à latitrisation qui amenuise la taille de leur bilan.Ensuite, la possibilité de vendre rapidement

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des prêts diminue le besoin de liquidité encontrepartie.17 Enfin, les différentes pratiquescomptables et le lien entre les postes de bilanet les fluctuations des prix de marché rendenttrès variable le ratio de capital. Ces évolutionsdu système bancaire impliquent que, pourévaluer la capacité et l’incitation à accorderdes prêts, il faut aussi prendre en compte denouveaux paramètres tels que le niveau deressources à court terme dans le financementtotal, l’activité de titrisation et la perceptionpar les marchés du risque pris par unebanque.

A ces canaux s’ajoute un nouveau canal detransmission révélé par la crise de 2008 : lecanal de la prise de risque (risk-takingchannel). Ce dernier met en relation stabilitémonétaire et stabilité financière en insistantnon pas sur la quantité, comme le fait le canaldu crédit, mais sur la qualité des créditsaccordés. Un assouplissement monétairemenant à des taux d’intérêt de marchédurablement bas conduit les banques à réduirela prime de risque sur les prêts et à accroîtreles prêts risqués en relâchant les conditions decrédit. En fait, des incitations mal élaboréesdans un contexte de taux bas voire négatifspeuvent favoriser la prise de risque et l’usaged’un effet de levier excessif au sein d’unebanque, susceptible de mener à des crisesgraves comme celle de 2008 (De Bandt et al.2013). Les banques peuvent ignorer dans unecertaine mesure les risques tant qu’ellespeuvent les transférer vers d’autresinstitutions financières en titrisant lescréances. Mais cela rend le système financierfragile dans son ensemble. Le caractère pro-cyclique du levier, auquel s’ajoute le décalageentre les actifs (créances de long terme) et lesengagements (emprunts et dépôts à courtterme), peut rendre les banques plusvulnérables à un retournement du marché desactifs et tend donc à amplifier les fluctuationsdes cycles financiers. Gambacorta (2009)observe dans les banques européennes etaméricaines entre 2001 et 2008 un lien entrela longue période des taux d’intérêt bas et lahausse des prises de risque dans les banques,prouvant donc l’existence de ce canal. Abbateet Thaler (2015) complète cette conclusion enprouvant qu’en cas de politique monétaireaccommodante, les banques choisissent unestratégie d’investissement plus risquée et

17 Titrisation, de l’anglais Securization : technique fi-nancière qui transforme des actifs peu liquides, telsque des créances, en titres financiers émis sur lesmarchés financiers. Cette technique permet de réduireles exigences réglementaires en capital auxquellessont soumises les banques, car les créances titriséessont sorties du bilan. Par contre, la titrisation rendl’établissement dépendant des marchés financiers.

moins efficiente, la croissance dansl’économie sera inférieure à celle dans unmodèle sans canal de la prise de risque. Unetelle politique peut donc être contre-productive si le secteur bancaire n’est pasrégulé, d’où l’écho de plus en plus fort del’importance des régulations de Bâle III.

En plus de mettre en lumière le canal de laprise de risque, la grande crise de 2008 amodifié le fonctionnement des mécanismesde transmission monétaire traditionnels.L’effet du canal des taux d’intérêt se seraitatténué, amenuisant la transmission des tauxdirecteurs vers le secteur bancaire. De même,les déterminants du canal du crédit bancaireauraient évolué.

Depuis la crise de 2008, on observe des tauxdirecteur proches de zéro pourcent alors queles taux débiteurs des prêts à court et longterme aux ménages et aux PME n’ont pasdiminué dans les mêmes proportions. Selonles données de la Deutsche Bundesbank, enAllemagne, les taux d’intérêt des prêts à laconsommation sont restés stables fluctuantentre 6 et 7 % entre janvier 2009 et avril 2014tandis que les taux des crédits immobiliers etaux entreprises passent de 5,5 % à 2,5 %. Ilsrestent donc largement au-dessus des taux dedépôt qui sont passés de 2 % à 0,5 %(Landmann et al. 2014). On pourrait en tirerla conclusion que le canal des taux d’intérêt aperdu de son efficacité et que les banquesadoptent un comportement opportuniste pouraugmenter leur marge d’intérêt. Il estimportant de toutefois nuancer cet effet carles banques ne se financent pasexclusivement à la BC et ne bénéficient doncpas toujours du taux de refinancementqu’offre cette dernière. Leurs ressources seconstituent de dépôts des clients, des prêtsinterbancaires et des émissions d’obligations.Selon Illes et al. (2015), le coût moyenpondéré de ces modes de financement aaugmenté du fait de l’instabilité financièreliée à la crise, faisant monter le niveau desprimes de risque. Il est donc difficile pour lesbanques de transférer les taux directeurs bas àses clients sans faire de perte. De même,Gambacorta et al. (2014) expliquent ceproblème de transmission par la réévaluationà la hausse du risque des emprunteurs et desbanques après la crise. Les modèlesstatistiques de notation ont été modifiés et lesrisques revalorisés augmentent alors la primede risque et donc le taux débiteur accordé auxclients. Ainsi, ces nouvelles contraintes pourle système financier entraînent deschangements fondamentaux dans lapropagation des chocs macroéconomiques.

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6. L’importance du canal de la prise de risque en période des taux d’intérêt bas

Les impacts des taux proches de zéro maispositifs ont été largement étudiés. Par contre,les études au sujet des taux négatifs sont peunombreuses. Cela s’explique par le fait queles taux proches de zéro ont été observés dansdes économies développées à plusieursreprises alors que des taux directeurs négatifssont des phénomènes relativement récents.

Cas des taux d’intérêt nominaux bas mais positifs

Plusieurs études ont analysé l’impact des tauxbas sur la prise de risque dans les accords decrédit en Europe. Maddaloni et Peydró (2011)analysent les taux bas à court et long termedans la zone euro et cherchent à savoirpourquoi et comment les conditions d’accordde crédit se sont modifiées, tandis queJiménez et al. (2014) s’intéressent à l’impactde la politique monétaire sur la compositionde l’offre de crédit selon la prise de risque.On observe les effets suivants:

- Les taux d’intérêt bas à court termeconduisent généralement à un allègementdes conditions de prêts déterminées parles banques. Cette évolution est expliquéepar la hausse de la qualité et de la valeurnette des garanties hypothécaires induitepar des taux bas, ainsi que par desmodifications de l’offre de crédit induitespar des évolutions des contraintes dubilan des banques imposées par lesnouvelles réglementations, notammentsur le capital, les liquidités et l’accès desbanques aux marchés financiers.

- Des taux à court terme trop bas duranttrop longtemps (too low for too long)amplifient l’allègement des contraintespour les crédits immobiliers et à laconsommation.

- Le niveau des taux à long terme n’affectepas significativement les conditions deprêt des entreprises mais faiblementcelles des ménages, impliquant quel’impact de ces taux sur la prise de risquepar les banques via la titrisation est faible.

- Une forte activité de titrisation amélioreindirectement les conditions d’accord de

prêts en amplifiant les effets des taux bas.Ceci s’explique notamment par laconcurrence croissante du « non-banking sector » qui peut accorder desprêts avec des conditions plus souples etavoir plus recours au financement sur lesmarchés que les banques.18

- Il existe un lien significatif entre la valeurnette d’une banque et sa prise de risquedans l’accord de crédit. La baisse destaux d’intérêt conduit les banques lesmoins capitalisées à accorder plus deprêts à des firmes plus risquées et moinssoumises à garantie que les banques pluscapitalisées, accroissant ainsi le risque dedéfaut.

Ces observations suggèrent qu’en cas de tauxd’intérêt nominaux bas mais positifs, unrenforcement de la supervision bancaire estnécessaire pour éviter une crise de la mêmeampleur que celle de 2008.

Cas des taux d’intérêt nominaux négatifs

L’impact d’une baisse des taux d’intérêtdirecteurs sous la barre du zéro est ambigu.Cette baisse, en induisant celle du coût definancement des banques et en agissant surles marchés financiers et sur les taux d’intérêtsur les crédits accordés, a des impactscontradictoires sur deux côtés du bilan etdonc sur la valeur nette des banques. Poursortir de cette ambiguïté, Heider et al. (2017)différencient ainsi le comportement desbanques avec un haut niveau de dépôts decelui des autres dans leur activité de prêt auxfirmes risquées avant et après le passage enterritoire négatif des taux de rémunération desdépôts auprès de la BCE. Deuxcomportements des banques sont mis enévidence :

- La politique du taux négatif dégrade laqualité des prêts syndiqués19 des banquesde la zone euro qui se financentprincipalement par leurs dépôts. En temps

18 Non-banking sector : établissements financiers quin’ont pas de licence bancaire ou qui ne sont pas su-pervisés par une agence de régulation bancaire natio-nale ou internationale. Ils proposent des services fi-nanciers tels que des conseils en placement, des mu-tualisations de risque ou de l’épargne contractuelle,concurrençant par leur flexibilité les banques clas-siques.19 Les prêts syndiqués sont des prêts fournis par uneassociation de plusieurs établissements financiers,réunis dans un syndicat bancaire pour financer unprojet ou une entreprise.

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normal, elles finançaient moins de firmesrisquées que celles avec peu de dépôts. Lepassage des taux sous zéro inverse latendance et referme l’écart entre les deuxtypes de banques.

- Les banques à haut ratio de dépôts onttendance à diminuer le nombre de prêtsofferts, ce qui peut mener à un manque dediversification et donc à uneconcentration des risques. Cetteobservation est spécifique à unenvironnement où les taux sont négatifs.Par contre, les taux bas n’ont pasd’influence significative sur la prise derisque des banques à haut ratio de dépôtsau niveau de l’accord de créditssyndiqués.

Ces changements de comportement desbanques en période de taux d’intérêtnominaux négatifs constituent des limitesimportantes de la politique monétaire non-conventionnelle de la BCE. En temps normal,les dépôts des banques sont d’une part unesource de financement stable et peu cher pourcelles-ci, et d’autre part un moyen efficace dese protéger des fluctuations des marchés.L’instauration du taux négatif par la BCE, envue de stimuler l’offre de crédits, déstabiliseles banques qui se financent principalementpar des dépôts. Pénalisées par la baisse destaux sur les crédits, la difficulté de baisser letaux de rémunération de tous les dépôts desclients sous zéro et le montant important deliquidités excessives placées à taux négatifauprès de la BCE, ces banques sont face à unegrande incitation à prendre plus de risque parcompensation pour éviter la baisse de leurvaleur nette. L’importance de cescomportements détermine l’efficacité de lapolitique monétaire non conventionnelle.

La comparaison des comportements desbanques lorsque le taux d’intérêt est bas etlorsqu’il est négatif montre quelquessimilitudes.

- Dans les deux cas, la baisse des tauxentraîne une hausse de la prise de risquedans l’accord de crédits aux firmes.

- La structure des banques impacte la prisede risque mais de façon différente. Enenvironnement à taux bas, les banques lesmoins bien capitalisées et ayant le plusrecours à la titrisation auront tendance àprêter plus à des firmes ayant uneprobabilité de défaut élevée, alors qu’enenvironnement à taux négatif, les banquesà haut ratio de dépôts verront leur valeurnette se réduire et seront incitées à prendreplus de risques.

- La transmission de la politique monétaireau système bancaire est partielle dans lesdeux cas, notamment en cas de tauxnégatifs. Dans ce dernier cas, la marge detaux d’intérêt se voit fortement affectée etle prélèvement sur les placements desépargnants soulève des problèmesjuridiques, techniques et moraux pasencore fixés dans la zone euro.

7. Conclusion

L’idée d’éliminer la limite du taux zéro,avancée par Silvio Gesell en 1916, alongtemps été vu comme une hérésieéconomique à part quelques discussions dansle sillage de la grande dépression des années1930. La crise japonaise des années 1990, quipoussa le taux directeur du pays jusqu’à cettelimite inférieure, a permis aux discussions ausujet de l’instauration de taux négatifs dereprendre. Cette fiction devient finalementune réalité de la politique monétaire suite à lagrande crise financière globale de 2008puisque les taux d’intérêt nominaux négatifsont pu être observés dans une dizaine de paysen Europe ainsi qu’au Japon.

Malgré les potentiels effets positifs sur lacroissance, sur la stabilisation de l’inflation,voire sur la stabilisation des taux de change,la pratique des taux d’intérêt nominauxnégatifs n’est pas sans risque. En effet, lestaux nominaux négatifs perturbent lesdécisions d’épargne et de consommation desménages, les décisions d’investissement desfirmes, mais aussi les décisions desinvestisseurs qui auront du mal à savoirquelle devrait être la valeur d’équilibre desactifs financiers et réels alors que les actifs deréférence tels que les obligations d’État sont« rémunérées » par un taux d’intérêt nominalnégatif. Il y a un risque réel que cettepolitique non-conventionnelle conduise à uneformation de bulles sur les prix des actifsfinanciers et immobiliers. Par ailleurs, pourcompenser leur baisse de marge bénéficiairedu fait de la difficulté de baisser les taux derémunération de dépôts des clients, lesbanques doivent prendre plus de risques dansles prêts accordés aux entreprises. Tout celaaccroît le risque systémique dont l’ampleurdépend de la durée de cette politique.

Les risques liés aux taux d’intérêt nominauxbas ou négatifs impliquent que la BCE ne doitpas relâcher la surveillance macro-prudentielle des banques afin d’éviter lasituation des banques japonaises dans la« décennie perdue ». Par ailleurs, il est

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important de surveiller de près le marché del’immobilier pour éviter la formation d’unebulle spéculative importante.

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Croissance économique et taille du secteur public Phu Nguyen-Van*, Thi Kim Cuong Pham*

La loi de Wagner stipule que l’élasticité des dépenses publiques par rapport au revenu(PIB par habitant) est supérieure à 1. À l’aide des données de l’OCDE, nous analysons larelation entre le revenu et la taille du secteur public, en considérant les différentes catégo-ries de dépenses publiques (éducation, santé, protection sociale, protection environnemen-tale, défense, etc.). Les résultats montrent que la loi de Wagner est vérifiée pour les pays del’OCDE. Elle est notamment justifiée par les dépenses sociales et environnementales.

Le débat sur la relation entre les dépensespubliques et le PIB, ou l’importance de lataille du secteur public (ou encore laproportion des dépenses publiques dans lePIB), existe depuis fort longtemps en scienceséconomiques. Généralement, les économisteslibéraux recommandent de réduire la taille del’Etat alors que les keynésiens appellent aucontraire à plus d’interventions publiques (cequi augmente logiquement la taille du secteurpublic). Sans vouloir entrer dans ce débatidéologique, cet article a recours à desdonnées les plus récentes sur les pays del’OCDE pour fournir un aperçu sur la réalitéde cette relation. L’analyse a également pourobjectif d’identifier les différents types dedépenses contribuant à la hausse de la tailledu secteur public dans ces pays.

1. Dépenses publiques et revenu

Les travaux de recherche sur la relation entrele revenu et les dépenses publiques donnentdeux résultats principaux. D’une part, lesdépenses publiques productives(infrastructure, R&D) permettent d’améliorerles rendements du capital privé et de stimulerla croissance économique (Barro, 1990,Romer 1990). D’autre part, la croissanceéconomique, traduite par un accroissementcontinu du revenu par tête, augmentera à sontour les dépenses publiques. Ce dernierrésultat est résumé dans la loi de Wagner(Wagner, 1872) qui stipule que « plus lasociété se civilise, plus l’État estdispendieux ». Autrement dit, plusl’économie se développe, plus les dépensespubliques augmentent à cause d’une demandecroissante en infrastructure et en biens de

luxe (ou biens supérieurs).1 Cela revient àdire que la taille du gouvernement dansl’économie est croissante par rapport aurevenu. Ainsi, cette loi postule simplementque l’élasticité des dépenses publiques parrapport au revenu est plus grande que 1.La loi de Wagner fait l’objet d’une multituded’analyses empiriques utilisant différentesbases de données, à la fois sur les pays endéveloppement et sur les pays développés(Peacok et Scott, 2000, Akitoby et al. 2006,Shelton 2007, Narayan et al. 2008, Durevallet Henrekson 2011, Narayan et al. 2012, etc.).Les résultats ne sont pas concluants. Parexemple, Akitoby et al. (2006) utilisent unéchantillon de 51 pays en développement surla période de 1970-2002 pour examiner larelation à court terme et à long terme entre lerevenu et les dépenses publiques. Leursrésultats se montrent compatibles avec la loide Wagner, contraires à d’autres études moinsrécentes qui utilisent les donnéestransversales (Ram 1987). Les résultats dansNarayan et al. (2008) concernant les dépensespubliques des provinces de la Chine nepermettent pas de valider la loi de Wagner.Néanmoins, une analyse plus fine quiregroupe les provinces en différentes régionsmontre que cette loi est validée pour lesprovinces au Centre et à l’Ouest de la Chine,alors qu’elle ne l’est pas pour les régions àl’Est.Certaines études distinguent les différentescatégories de dépenses publiques. Narayan etal. (2012) s’intéressent aux dépensespubliques des États indiens en distinguant laconsommation publique du capital public.Leur résultat valide la loi de Wagner, maisuniquement pour les dépenses considéréescomme consommation publique. Bairam

1 Un bien de luxe est un bien dont l’élasticité revenuest supérieure à 1.

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR7522, F-67000 Strasbourg, France. e-mail : [email protected](P. Nguyen-Van) et [email protected] (T. Kim Cuong Pham).

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(1995) analyse les dépenses des États-Unis endistinguant les dépenses militaires desdépenses non-militaires. Cette dernièrecatégorie croît plus que le revenu, ce quivalide la loi de Wagner. Shelton (2007) utiliseun échantillon de 100 pays pour une longuepériode allant de 1970 à 2000, en considérantles différentes catégories de dépensespubliques (défense, éducation, santé publique,sécurité sociale, etc.). Les résultats de Sheltonmontrent que dans les pays riches où laproportion des personnes âgées est élevée, lesdépenses de sécurité sociale sont très élevées,ce qui justifie le lien positif entre la taille dugouvernement et le revenu. Si ces dépensespubliques ne sont pas prises en compte, lataille du gouvernement n’est plus croissantepar rapport au revenu. Ainsi, la loi de Wagnersemble être expliquée par le facteurdémographique, ce qui est également énoncédans Easterly et Rebelo (1993), Oxley (1994),Shelton (2007).

2. Données et résultats

Afin de donner un aperçugénéral sur le lien entre lesdépenses publiques et lerevenu, nous utilisons lesdonnées récemment publiéespar l’OCDE et par la Banquemondiale. Le portail desstatistiques de l’OCDE fournitdes données portant surdépenses publiques expriméesen pourcentage du PIB despays de l’OCDE.2 Lesdépenses publiques y sontclassées en différentescatégories: dépenses totales,défense, dépenseséconomiques desadministrations publiques,éducation, protection del’environnement, servicesgénéraux des administrationspubliques, santé, logement,sécurité publique, culture etreligion, et protection sociale. Les sériesportant sur le PIB et le PIB par habitant deces pays, mesurés en parité du pouvoird’achat (PPA) et exprimés en dollarsconstants 2005, sont obtenus à partir de labase de données World Development

2 Source : https://data.oecd.org/gga/general-govern-ment-spending.htm.

Indicators 2017 de la Banque mondiale.3

L’utilisation conjointe de ces deux bases dedonnées permettent de définir les séries surles différents types de dépenses publiques parhabitant, également exprimées en PPA et endollars constants 2005.4 Les donnéesrecouvrent 30 pays de l’OCDE (Australie,Autriche, Belgique, Suisse, Républiquetchèque, Allemagne, Danemark, Espagne,Estonie, Finlande, France, Royaume Uni,Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie,Japon, Corée du Sud, Luxembourg, Lettonie,Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal,Slovaquie, Slovénie, Suède et Etats-Unis)observés sur la période 1970-2015.5

Pour illustrer la relation entre les dépensespubliques et le revenu, nous présentons dansla Graphique 1 la corrélation entre lesdépenses publiques totales par habitant (axevertical gauche) et le PIB par habitant d’unepart, et les dépenses publiques par habitant enmatière de protection de l’environnement

3 Source : http://data.worldbank.org/data-catalog/world-development-indicators.4 Notons que nous utilisons les quantités en dollarspar habitant et en PPA aux prix constants 2005 pourassurer la comparabilité entre les différents pays.5 Les données ne sont pas cylindrées, i.e. certainspays ne disposent pas de données pour certaines pé-riodes. Au total, l’échantillon étudié comporte 631observations.

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Graphique 1 : Relation entre les dépenses publiques totales (axe verticalgauche), les dépenses publiques de protection de l’environnement (axe verticaldroit) et le PIB (abscisse) des pays de l’OCDE. Toutes les séries correspondentaux indicateurs par tête et sont mesurées en PPA en dollars et aux prix constants2005. Sources : OCDE et World Development Indicators 2017 de la Banquemondiale.

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(axe vertical droit) et le PIB par habitant,d’autre part. Ce graphique montre que lesdépenses publiques (en particulier lesdépenses totales et les dépenses enenvironnement) augmentent avec le revenudans les pays de l’OCDE. Cependant, nous nepouvons pas affirmer avec certitude que lesévolutions des dépenses publiques et du PIBpar habitant vérifient la loi de Wagner.

Pour répondre à cette question, nous devonscalculer les élasticités de différents types dedépenses publiques par habitant par rapportau PIB par habitant, définies pard ln DPk /d ln PIB où ln DPk et ln PIB

correspondent respectivement au logarithmedes dépenses publiques de type k ( k =dépenses totales, défense, protection del’environnement, etc.) et au logarithme duPIB par habitant.6 Le Tableau 1 présente lesélasticités ainsi obtenues. En observant le Tableau 1, nous pouvonsremarquer que la loi de Wagner est vérifiéepour les pays de l’OCDE pour la périodeobservée (1970-2015), i.e. les dépensespubliques totales augmentent plus vite que lerevenu. Cette relation positive entre la tailledu gouvernement et le revenu par tête estsurtout justifiée par les composantes socialeset environnementales. Ainsi, les domaines desanté, d’éducation, de protection sociale etdes services publics sont considérés commedes biens de luxe dont les dépensescontribuent directement à augmenter lesdépenses totales. La qualité del’environnement est également un bien deluxe puisque le ratio des dépenses

6 De manière équivalente, ces élasticités peuvent être esti-mées économétriquement à l’aide de la relation suivante :ln DPit

k=α+β ln PIBit+εit où α est la constante

de la régression, β l’élasticité des dépenses publiques decatégorie k et ε le résidu du modèle (les indices in-diquent le pays i et l’année t ). L’estimation de cemodèle nécessite une batterie de tests statistiques et de tech-niques économétriques (en particulier, des tests de station-narité et de co-intégration pour données de panel) afin degarantir le fondement et la robustesse des résultats (voirNguyen-Van et Pham, 2017, pour plus de détails).

environnementales au revenu croît de 1,141% suite à l’augmentation de 1% du revenupar tête. Ce résultat ne paraît pas surprenantvu la demande croissante concernant lesdépenses sociales et la protection del’environnement dans les pays développés, neserait-ce que par le fait que ces questionsprennent une place de plus en plus importantedans le débat public dans ces pays.

3. Conclusion

Étant données la sensibilité croissantede la population par rapport auxquestions sociales etenvironnementales (sécurité sociale,chômage, changement climatique,pollution, etc.) et l’évolution de ladémographie (vieillissement de lapopulation), nous pouvons anticiperque les dépenses publiques,notamment les dépenses sociales etenvironnementales, dans les paysdéveloppés continueront à s’accroître

dans les années à venir. Cette tendance à lahausse n’est pas nécessairement vérifiéelorsque nous utilisons des données concernantles pays à faible revenu où l’opinion publiquen’exerce pas de pression sur les décideurspublics, notamment en ce qui concerne laqualité de l’environnement. Les dépensessociales et environnementales ne sont pas lapremière priorité des pays en développementqui favorisent plutôt les dépenses publiquesproductives afin de stimuler la croissanceéconomique (Nguyen-Van et Pham, 2013). Lahausse des dépenses publiques peutcependant se heurter aux contraintesbudgétaires, notamment dans les pays qui ontun fort déficit budgétaire et des difficultés enmatière de dettes publiques.

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Tableau 1 : Elasticités de différentes catégories de dépensespubliques par rapport au PIB.

Catégorie de dépenses publiques ElasticitéDépenses totales 1,058Défense 0,654Dépenses économiques des administrations publiques 0,826Education 1,018Protection de l’environnement 1,141Services généraux des administrations publiques 1,043Santé 1,238Logement 0,787Sécurité publique 0,562Culture et religion 0,812Protection sociale 1,260

Note : Les valeurs supérieures à 1 sont mises en gras.

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L’avenir économique de l’Europe dans la perspectivede la Commission européenneGilbert Koenig*

L’article expose et évalue les cinq scénarios d’avenir que la Commission européenne sou-met aux choix des membres de l’Union européenne dans un Livre blanc présenté en 2017.La présentation de ces scénarios spécifie essentiellement l’organisation institutionnelle etjuridique que pourrait adopter l’Union européenne. Elle ne fournit que peu d’indicationssur la ligne économique qui doit être appliquée dans les périodes normales, comme celle de1999 à 2007, et dans les périodes exceptionnelles, comme celle marquée par des crises àpartir de 2008. Ces spécifications importantes pour orienter les choix des États et pour ob-tenir l’adhésion des citoyens peuvent être déduites du rapport des cinq présidents de 2015et de différents textes antérieurs.

Le rapport des cinq présidents présenté enjuin 2015 définit un processus en trois phasesqui doit compléter l’Union économique etmonétaire (UEM) à l’horizon 2025.1 Selon cerapport, la Commission européenne (CE)devait présenter, au printemps 2017, un Livreblanc décrivant les différentes étapes à suivreet les mesures concrètes à prendre au cours dela phase 2. Or, le Livre blanc publié par laCommission en mars 2017 ne se place pasdans le prolongement du rapport des cinqprésidents.2 En effet, ses réflexions portentsur l’Union européenne (UE) sans référenceparticulière à la zone euro. De plus, au lieu depréciser sa vision de l’avenir européen, la CElaisse aux membres de l’UE le choix entrecinq scénarios. Cette attitude prudente peuts’expliquer par la crainte d’un éclatement del’UE que pourrait susciter le sentiment d’unscénario unique imposé par la CE. Cettecrainte s’ajoute à celle provoquée par leBrexit et par la défiance croissante descitoyens envers l’Europe observée dans lesenquêtes effectuées par Eurobaromètre.3

Mais les avancées institutionnelles etjuridiques que le Livre blanc attribue àchaque scénario ne permettent pas, à elles

1 Commission européenne, « Compléter l’Union éco-nomique et monétaire européenne », Rapport préparépar le président de la Commission Européenne encollaboration avec les présidents du sommet de lazone euro, de l’Eurogroupe, de la Banque centraleeuropéenne et du Parlement européen, juin 2015.2 Commission européenne, Livre blanc sur l’avenir del’Europe, « Réflexions et scénarios pour l’UE27 àl’horizon 2025 », mars 2017.3 Un tiers des citoyens touchés par les enquêtes d’opi-nion font confiance à l’UE, alors qu’ils étaient 50 %il y a 10 ans.

seules, de susciter une plus grande adhésiondes citoyens à l’UE. En effet, elles constituentdes conditions nécessaires pour une meilleureorganisation de la politique macro-économique et pour des réformes structurellesnécessaires. Ces conditions ne sont cependantpas suffisantes pour assurer la réalisation del’économie européenne de prospérité que veutréaliser la CE et à laquelle pourraient adhérerles citoyens européens. La réalisation d’un telobjectif dépend de la ligne économique etsociale qui doit être appliquée dans lespériodes normales, comme celle de 1999 à2007, et dans les périodes exceptionnelles,comme celle marquée par des crises à partirde 2008. Cette ligne peut être déduite durapport des cinq présidents et de différentstextes antérieurs. Elle se place dans le cadrede l’un des scénarios qui semble avoir lapréférence de la CE, mais elle seraprobablement appliquée même si un autrescénario est retenu. Sa spécification permettrade compléter les informations sur le choixproposé par le Livre blanc sur l’avenireuropéen.

Dans cette perspective, le présent papierexpose d’abord les scénarios proposés par leLivre blanc et en évalue les conséquenceséconomiques et sociales, puis il spécifie lesprincipaux traits de la ligne économique quela Commission compte suivre dans l’avenirpour faire face à des crises dans le secteurfinancier et bancaire, dans le domaine del’économie réelle et dans les financespubliques.

1. Les scénarios

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR7522, F-67000 Strasbourg, France.

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Les cinq scénarios proposés par le Livreblanc sont décrits volontairement d’une façonsuccincte parce que leur présentation n’estdestinée qu’à enclencher un débat sur lanature de l’Union qui déboucheraprobablement, selon les préférences des Étatset les intérêts de leurs citoyens, sur uneconstruction combinant différentes élémentsde ces scénarios. Ils traduisent des ambitionsplus ou moins importantes pour l’avenir del’Europe. Le premier s’inscrit dans lacontinuité des actions européennes menéesjusqu’ici. Le scénario 3 considère que sicertains États veulent rester dans cettecontinuité, d’autres peuvent vouloir aller plusloin dans certains domaines et coopérer poury parvenir. Ce scénario aboutit à une Europe àplusieurs vitesses. Les trois autres scénariosproposent des évolutions communes pourtous les pays. Mais alors que les scénarios 2et 4 préconisent un recentrage des actions surcertains domaines, le scénario 5 traduit uneambition de faire avancer l’Europe dans tousles domaines en vue de la réalisation d’uneforme de fédéralisme.

Le scénario de la continuité

Ce scénario se place essentiellement dans lecadre des traités actuels. Il se propose demettre en chantier et de poursuivre lesréformes nécessaires notamment dans l’espritde la déclaration faite par les 27 États ausommet de Bratislava de 2016.4 Ce documentcontient une feuille de route qui comporte,sur le plan économique, les mesures concrètessuivantes : pratiquer une politiquecommerciale robuste, renforcer le marchéunique, notamment dans le secteur del’énergie et du numérique, faire une politiqued’investissement et prendre des mesures pourréduire le chômage des jeunes. Selon laCommission, la poursuite des réformesprévues dans le cadre du scénario de lacontinuité devrait aboutir à l’horizon 2025,dans le domaine économique, à uneamélioration de l’emploi, à un renforcementdu marché unique et de la disciplinebudgétaire, au développement du marché descapitaux et à une amélioration dufonctionnement de la monnaie unique.

Pour la Commission, l’avantage essentiel dece scénario consiste à préserver l’unité des 27membres de l’UE pour la réalisation des

4 Déclaration et feuille de route de Bratislava,Réunion informelle des 27 chefs d’État ou de gouver-nement, septembre 2016.

objectifs de l’union. De ce fait, ellen’envisage pas d’innovations tropimportantes dans les méthodes utilisées pourla gestion de l’UE. Dans cette perspective,elle préconise de traiter les problèmes au furet à mesure qu’ils surviennent et de conserverle consensus comme méthode de prise dedécisions. Or cette méthode nécessitegénéralement beaucoup de temps pour aboutirà une décision. De plus, du fait desconcessions qu’il faut accorder à chaquepays, cette décision risque de ne pas refléterune volonté forte de résoudre les problèmes.Une telle volonté ne semblait pas se traduire,par exemple, dans les premières décisionseuropéennes qui résultaient d’un consensuspour faire face à la crise financière touchantl’ensemble de l’UE en 2008 et à l’émergencede la crise des finances publiques grecques en2010.5 De ce fait, la nature vague de cesdécisions a conduit à détériorer la confiancedes opérateurs financiers internationaux dansla gestion européenne des crises au lieu del’améliorer selon l’objectif fixé.

Pour maintenir l’unité des 27, la Commissionne met pas en cause l’approcheintergouvernementale qui s’est développée aucours de ces dernières années par la créationd’institutions non soumises au droitcommunautaire, comme le Mécanisme destabilité financière, et par la gestion des crisesdes pays en grande difficulté, comme laGrèce, hors du contrôle du Parlementeuropéen.

En maintenant les méthodes de gestion del’Europe utilisées depuis 1999 et en limitantses ambitions à la conservation de l’UE, lescénario de la continuité a peu de chancesd’améliorer sensiblement l’adhésion descitoyens car il risque de ne pas améliorerleurs perspectives sur l’avenir de l’Europe,notamment en matière de chômage.

L’Europe à plusieurs vitesses

L’Europe à plusieurs vitesses existe déjà. Ellerésulte d’une volonté de certains États de nepas participer à l’une ou l’autre des politiquescommunes. C’est ainsi que certains Étatseuropéens ont préféré de ne pas participer à lazone euro et à l’espace Schengen. Mais cetteforme d’Europe peut aussi résulter de la

5 Voir respectivement G. Koenig (2008), « La gestioneuropéenne de la crise », Bulletin de l’OPEE, n°19,14-21, et G. Koenig (2010), « l’UEM face aux défi-cits publics de ses membres », Bulletin de l’OPEE,n°22, 9-16.

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volonté de certains États de se regrouper et defaire des avancées dans certains domaines queles autres États ne considèrent pas commeprioritaires. Cette procédure d’intégrationdifférenciée est rendue possible par le Traitéd’Amsterdam de 1997 à travers lacoopération renforcée. Bien que cette formulen’ait abouti jusqu’ici qu’à des coopérationsdans trois secteurs (droit applicable audivorce et aux brevets, taxation destransactions financières), elle semble fairel’objet du scénario 3 du Livre blanc. Selon cescénario, il convient de poursuivre ce type decoopération dans d’autres domaines, commela défense et la fiscalité, dans le cadre destraités existants, en laissant la possibilité auxÉtats initialement exclus de ces ententes d’yadhérer ultérieurement. Le Livre blanc décritun certain nombre de mesures qu’il convientde prendre pour approfondir la coopérationdans des domaines choisis. Mais laCommission ne mentionne pas un certainnombre de propositions de coopérationrenforcée dans la zone euro, comme celleportant sur la constitution d’un noyau dur ausein de l’UEM avec une gouvernance et unbudget spécifiques.

L’adoption de ce scénario permettrait de fairedes avancées plus importantes et plus rapidesen évitant les blocages pouvant résulter dedécisions prises à l’unanimité de tous lesmembres de l’UE et les solutions à effetslimités issues des décisions fondées sur unconsensus. Elle aboutirait à une Europe danslaquelle certains membres sont engagés dansle scénario de la coopération renforcée et lesautres dans le scénario de la continuité. Lesuccès des premiers pourrait cependant inciterles seconds à adhérer à la coopération. Ceprocessus d’intégration progressive pourraitaboutir à terme à la construction de naturefédérale visée par le scénario 5 du Livreblanc.

Ce scénario pourrait cependant induire unsentiment d’exclusion de la part des pays nepouvant pas adhérer à ces coopérations dansl’immédiat, ce qui risque de mettre en causel’unité européenne. De plus, les pays décidantde coopérer dans un domaine où leurs intérêtsnationaux sont les plus importants peuventêtre amenés à privilégier ces intérêts audétriment de ceux de l’UE. On aboutiraitainsi à une Europe « à la carte » incompatibleavec le projet européen.

Les scénarios du recentrage

Les scénarios 2 et 4 réduisent les ambitionsde l’Europe en proposant un recentrage desefforts sur certains domaines. En effet, l’un se

limite à « rien d’autre que le marchéunique », car il n’y a pas de volonté detravailler ensemble dans d’autres domaines,l’autre consiste à « faire moins de manièreplus efficace ».

Le recentrage sur le marché unique

Ce scénario propose aux États de seconcentrer sur l’approfondissement dumarché unique des marchandises et descapitaux s’ils ne sont pas en mesure des’entendre sur de nombreux autres domainesd’action. De ce fait, on n’envisage plusd’évolution dans ces autres domaines et onrègle d’une façon bilatérale les problèmesd’intérêt commun qui peuvent émerger dansces derniers. Faute d’une coopérationsuffisante dans les domaines de la migrationet de la sécurité, il faudra renforcer lescontrôles aux frontières, ce qui va àl’encontre du principe de libre circulationsoutenu par l’Europe. Faute d’accordscommuns au sein de l’UE sur les questionsd’environnement, d’aide au développement etde politique étrangère, l’UE risque de ne pasêtre représentée au sein des discussionsinternationales portant sur ces problèmes.

Sur le plan économique, le renforcement dumarché unique s’accompagnera d’uneintensification de la concurrence et d’unevolonté de déréglementation. La concurrenceau sein de l’UE ne s’exercera pas seulementdans le domaine des échanges, mais aussidans les domaines sociaux et fiscaux, ce quirisque d’accroître les divergences entre lespays. Quant à la déréglementation, elle risquede se faire au détriment de la protection desconsommateurs et d’un nivellement vers lebas des normes sociales, fiscales etenvironnementales. Les échanges sontfacilités par l’existence de l’euro. Mais lamonnaie unique risque d’être affaiblie sur leplan international à cause de la perspectivesur l’avenir d’une Europe dont la capacité àagir collectivement est limitée et qui risque dene pas pouvoir faire face à une crise du faitdes divergences économiques et sociales deses membres.

Le recentrage sur le marché unique peuttrouver ses partisans parmi ceux qui pensentque les solutions à tous les problèmes sontfournies par les mécanismes des marchés etqui considéraient en 1999 que l’introductiond’une monnaie commune dans une économiesans entraves aux échanges constituait laphase finale de la construction européenne.Un tel scénario ne peut pas susciterl’adhésion d’une majorité de citoyens,notamment à cause de ses conséquenceséconomiques et sociales. A terme, les conflits

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engendrés par ces conséquences risquentmême de faire éclater l’UE.

Le recentrage sur un nombre limité dedomaines d’activité

Ce scénario est plus ambitieux que leprécédent, car il a comme objectif d’accroîtrel’efficacité de l’action européenne et non demaintenir l’unité au prix d’une régression decette action. Il propose aux membres de l’UEde se concentrer sur des domaines prioritaireset de réduire leur influence ou d’arrêter d’agirdans d’autres secteurs. Les priorités sontdéterminées par un consensus européen sur lanécessité d’accroître l’efficacité de l’actioneuropéenne dans les domaines où l’UEpossède déjà des moyens suffisants pourappliquer ses décisions, comme c’est le casactuellement dans le secteur de laconcurrence et de la surveillance bancaire. Dece fait, en intensifiant son action dans cessecteurs, l’UE peut réduire l’écart entre lesattentes des citoyens et les réalisations. Cetécart ne peut pas être réduit dans des secteursoù les compétences de l’UE sont insuffisantespour obtenir des résultats par des actionsdirectes.

Le scénario fournit quelques exemplesd’actions prioritaires envisageables. Dans ledomaine de l’innovation, des programmesimportants pourraient être mis sur pied pourfavoriser le numérique et la décarbonisationqui s’inscrit dans une politique de transitionénergétique. Dans le secteur de la sécurité, onpourrait intensifier la coopération policière etjudiciaire pour lutter contre le terrorisme.

Le renforcement de la coopération des Étatsdans des domaines européens prioritairespermet à l’UE de parler d’une seule voix dansles discussions internationales portant sur lesquestions posées dans ces secteurs.

Mais, l’application du scénario se heurte à ladifficulté de trouver un consensus concernantla répartition entre les domaines prioritaires àretenir et les secteurs à abandonner totalementou partiellement. De plus, si ce consensusexclut des domaines considérés commeimportants par les citoyens, il sera incapablede susciter une plus grande adhésion de leurpart à l’UE. Cet inconvénient peut être réduitou écarté dans les scénarios qui préconisentdes avancées dans tous les secteurs.

Le scénario d’un renforcement fédéral del’Europe

Le scénario 5 du Livre blanc s’adresse auxmembres de l’UE qui décident « de fairebeaucoup plus ensemble dans tous lesdomaines d’action ». La réalisation d’un telobjectif nécessite une coopération trèsimportante de tous les pays de l’UE dans tousles secteurs. Elle est favorisée par desdécisions rapides appliquées dans des délaisbrefs. Ces décisions doivent aboutir à uneunion européenne de la défense, à un rôlemoteur de l’UE dans les politiquesd’environnement et à une influenceeuropéenne importante dans les instancespolitiques internationales.

Sur le plan économique, le renforcement de lazone euro doit jouer un rôle moteur dans cescénario, ce qui correspond au projet de laCommission exposé dans le rapport des cinqprésidents. Il s’agit, selon ce rapport, deréaliser une plus grande intégration dans lesdomaines économiques, budgétaires etfinanciers grâce au renforcementd’institutions existantes, comme celles del’Union bancaire, et grâce à la créationd’organismes nouveaux, comme un Trésoreuropéen. Des mesures doivent égalementêtre définies pour assurer la légitimitédémocratique des décisions qui devront êtreprises pour assurer cette évolution.

La commission propose d’étendre le pouvoirde contrôle du Parlement européen etd’encourager les dialogues de ce dernier avecles parlements nationaux sur des questionsprioritaires. Mais ces mesures semblent tropfaibles pour fournir des garanties suffisantesd’un contrôle démocratique des décisionseuropéennes aux États qui doiventabandonner leur souveraineté, notammentdans le domaine des politiques budgétaires.Or la constitution d’une intégration dans lesprincipaux domaines d’actions n’assure pas laréalisation d’une union politique qui seraitpourtant nécessaire dans un ensemblepossédant une monnaie unique. Une telleunion ne peut pas être imposée à travers desconstructions institutionnelles et juridiques.Elle nécessite une large adhésion descitoyens. Une telle adhésion dépend denombreux facteurs. Elle dépend notammentdes garanties obtenues sur le fonctionnementdémocratique et solidaire de l’Europe et surl’assurance que la ligne économique del’Union conduise à cet espace de prospéritépromise au moment de la création de la zoneeuro.

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2. La ligne économique de la Commission européenne

Le rapport des cinq présidents et des textesantérieurs6 comportent plusieurs propositionsqui traduisent les perspectives de laCommission sur la ligne économique qu’ellecompte appliquée pour compléter l’UEMeuropéenne. La nature des mesures proposéesrésulte en grande partie de l’interprétation quedonne la Commission des succès et desinsuffisances de la politique économique miseen œuvre depuis la création de la zone euro.Cette interprétation peut être déduite duregard rétrospectif que jette la Commissiondans une note de 2015 sur la période 1999-2007 considérée comme à peu près normaleet sur la période exceptionnelle de crises qui asuivi.7

Cette période exceptionnelle a été marquéepar trois crises qui ont touché le secteurfinancier et bancaire, le domaine économiqueet les finances publiques. La crise financièreet bancaire a obligé les responsableseuropéens à faire des innovationsinstitutionnelles et la BCE à adopter desmesures monétaires non conventionnelles. Lacrise économique a nécessité la mise sur piedd’une politique de relance. Quant à la crisedes finances publiques, elle est traitée par unepolitique qui tente de concilier laconsolidation budgétaire et la croissanceéconomique.

L’évaluation de ces politiques oriente lespropositions de la Commission sur lesréactions que doit avoir l’Europe dansl’avenir face à des crises comparables à cellesenclenchées en 2008.

Le regard rétrospectif de la Commission surla période 1999-2007

La politique macroéconomique appliquée aucours de cette période est caractérisée par unepolitique monétaire rigoureuse et par unepolitique budgétaire généralement limitée àun mécanisme de stabilisateurs automatiques.Cette politique a permis de stabiliserl’inflation à un taux légèrement supérieur àl’objectif de 2 % fixé par la BCE et à induiredes déficits budgétaires inférieurs à l’objectif

6 Voir notamment la communication de la Commis-sion, « Projet détaillé pour une Union économique etmonétaire véritable et approfondie - Lancer un débateuropéen », Bruxelles 30-11-2012.7 Note d’analyse de quatre présidents d’institutionseuropéennes, « Vers une meilleure gouvernance éco-nomique dans la zone euro : préparation des pro-chaines étapes », Conseil européen informel 02-02-2015.

de 3 % du PIB défini dans les Traités, sauf en2003. Mais elle n’a pas permis de stabiliser lacroissance dont le taux annuel est passé de3,5 % en 2000 à 0,9 % et 0,8 % en 2002 et2003 pour atteindre 3,1 % en 2007 aprèsquelques fluctuations. Quant au taux dechômage, il est compris entre 8 % et 8,4 %pendant 4 ans et entre 8,8 % et 9,3 % pendant4 autres années.

Malgré de tels résultat, la Commissionconsidère que les conditions macro-économiques de cette période sontgénéralement favorables et que, de ce fait, ilaurait été possible de procéder à unassainissement budgétaire en réduisant le tauxd’endettement public. En effet, la part de ladette publique dans le PIB est restéelargement supérieure, au cours de cettepériode, au plafond de 60 % fixé par lestraités (72 % en 1999 et 66,3 % en 2007).Selon la Commission, pour effectuer cetassainissement, les pays de la zone euro auraitdû réaliser des excédents au cours despériodes de haute conjoncture afin de lesutiliser pour faire face aux situations de basseconjoncture. Mais cette alternance de hauteset de basses conjonctures ne semblent pascaractériser la période 1999-2007. En effet,un équilibre budgétaire n’a été réalisé qu’en2000 avec un taux de croissance de 3,5 %alors qu’au cours des autres années les tauxde croissance plus faibles se sontaccompagnés de déficits budgétaires.

En fait, la Commission semble considérer quel’absence d’efforts en faveur d’unassainissement budgétaire est due au laxismed’une grande partie des États de la zone euroqui n’ont pas respecté à un moment ou à unautre les dispositions du Pacte de Stabilité etde Croissance (PSC). Pour éviter de telsécarts, elle prévoit un renforcement de ladiscipline budgétaire déjà largementenclenché par les réformes du PSC.8 Pourcela, elle propose, dans le court terme, lacréation d’un comité budgétaire européend’experts chargés de fournir une évaluationpublique et indépendante des budgetsnationaux et de leur exécution en référenceaux objectifs de finances publiques fixés auniveau européen. Leurs conclusions devrontêtre prises en compte dans la procédure dusemestre européen. En assurant la viabilitédes dettes publiques, de telles mesures sontcensées favoriser la croissance et l’emploi.

Compte tenu de cette analyse, la Commissionpréconise, pour l’avenir, dans des situations

8 Voir G. Koenig, « Des politiques budgétaires décen-tralisées, mais encadrées », dans M. Dévoluy et G.Koenig (2015), Les politiques économiques euro-péennes, Editions du Seuil.

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conjoncturelles normales, la poursuite depolitiques budgétaires nationales qui doiventassurer la viabilité de l’endettement public etle bon fonctionnement des stabilisateursautomatiques. Quant à la BCE, elle peutégalement poursuivre sa politique de rigueurmonétaire puisqu’elle a permis de stabiliserl’inflation au cours de la période considérée.

Les innovations européennes pour faire faceà une crise financière et bancaire

Du fait de la forte intégration des marchésfinanciers internationaux, la crise financièreaméricaine enclenchée en 2006 par celle dessubprimes s’est diffusée largement en Europe.Cette diffusion a mis en grande difficulté lesétablissements bancaires européens quipossédaient des titres de grandes banquesaméricaines en difficultés et des titrestoxiques représentant des créances douteuses.Ces difficultés ont entraîné l’insolvabilité decertaines banques qui, de ce fait, ont été misesen faillite. D’autres ont dû faire face à desproblèmes de liquidité du fait que leurcapacité de remboursement de prêts de courtterme contracté sur le marché monétaire étaitmise en doute par les prêteurs éventuels.

La Commission reconnaît que le traitementde cette crise a été très pragmatique, au moinsau début, avec des décisions prises dansl’urgence. De plus, la solidarité insuffisanteentre les États a conduit à des actions souventdispersées. Du fait de l’inefficacité de cesmesures, les autorités européennes ont prisconscience de la nécessité de mieux réguler etsurveiller le secteur financier européen dansle cadre d’un système financier intégré. Danscette perspective, le Président du Conseileuropéen a élaboré en 2012 une feuille deroute spécifiant la mise en place progressived’une Union bancaire. Selon la CE, lafinalisation de cette union dans l’avenirpermettra de renforcer et de compléterl’UEM.

L’Union bancaire est fondée sur trois piliers :

- Un mécanisme de surveillance unique(MSU) opérationnel depuis 2014 sous laresponsabilité de la BCE en coopérationavec les autorités de surveillancenationales. Son rôle consiste à contrôlerrégulièrement et à sanctionneréventuellement les 130 banques les plusimportantes de la zone euro sur la based’une réglementation prudentielleuniforme concernant notamment lesfonds propres. L’organisation de la

surveillance retenue par le MSU a donnélieu à des controverses portantnotamment sur l’attribution de lasurveillance unique à la BCE. Legouvernement allemand exige notammentune séparation stricte entre les décisionsde politique monétaire et celles portantsur la surveillance bancaire. Ces dernièresdevraient être confiées à un Comitéindépendant de surveillance.9

- Un mécanisme de résolution unique(MRU) des défaillances bancaires qui estentré en vigueur en 2016. Il est formé parune autorité de résolution chargée dedéfinir les actions et un Fonds derésolution unique (FRU). Selon leprincipe du renflouement interne (bail-in)retenu par le MRU, par opposition auprincipe du renflouement externe (bail-out) appliqué antérieurement, les banquesen difficulté doivent d’abord faire appelprioritairement à leurs actionnaires, auxcréanciers obligataires et aux déposantsde plus de 100 000 euros pour les aider.Si ces aides sont insuffisantes, ellespeuvent solliciter le Fonds de résolutionunique (FRU) qui est progressivementalimenté par le secteur bancaire pouratteindre 55 milliards d’euros en 2025.Cette réforme doit éviter que le coût dusauvetage des banques reposeuniquement sur les contribuables, commece fut le cas précédemment. Mais si leFRU ne possède pas une dotationsuffisante, il devrait être en mesured’emprunter sur les marchés financiers,avec les garanties des États, desressources qui seraient mises à ladisposition des banques sous la forme deprêts. Dans ce cas, les contribuablespourraient être tout de même amenés àsupporter le coût du sauvetage desbanques en dernier ressort.

Le fonctionnement du MRU suscitequelques craintes venant notamment descréanciers et des déposants autres que lesgrandes institutions financières. En effetl’application du principe de bail-in àChypre et en Italie a mis en difficultés descitoyens qui avaient confié à leursbanques toutes leurs épargnes accumuléesau cours de leur vie en vue dufinancement de leur retraite. De même,

9 D. Masciandaro et M. J. Nieto (2013), « Gouver-nance du Mécanisme de Surveillance Unique:quelques réflexions », Revue d’Économie financière,n°112, 51-70.

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des commerçants dont l’activiténécessitait des dépôts importants ontperdu l’essentiel de leurs ressourcesfinancières pour sauver leurs banques.Pour éviter ces conséquenceséconomiques et sociales, les Étatsnationaux peuvent se sentir obligés devenir en aide aux victimes avec des fondspublics, ce qui va à l’encontre desobjectifs du MRU.10

- Un système européen d’assurance desdépôts qui a comme objet de maintenir laconfiance des déposants dans le systèmebancaire. La CE a présenté en 2015 unprojet de fonds européen de garantie desdépôts bancaires qui a étévigoureusement débattu au Parlementeuropéen. Ce Fonds est destiné àremplacer progressivement lesmécanismes nationaux de protection desdépôts inférieurs à 100 000 euros.Jusqu’en 2020, il n’intervient que si lessystèmes nationaux de protection sontincapables d’indemniser les déposants encas de faillite bancaire. De 2020 à 2024,les deux systèmes interviennent pourprotéger les déposants. A partir de 2024,le Fonds est seul à intervenir du fait dela disparition des systèmes nationaux. Ilsera alimenté par les banques enproportion de leurs dépôts pour unmontant de 45 milliards d’euros.

Ce projet suscite les réticences de certainsÉtats, comme l’Allemagne et les Pays-Bas,dont les dépôts bancaires sont très protégéset qui craignent ainsi que leurs effortsfinanciers ne bénéficient qu’aux pays dontles systèmes nationaux de protection dedépôts sont absents ou insuffisants.11 De cefait, ces États risquent de ne pas s’engagerdans des réformes en vue de la création oude l’extension de systèmes nationaux deprotection, ce qui ferait peser des risquestrop importants sur les contribuables despays ayant accepté une mutualisation.

Les conditions exigées par les pays ditsvertueux pour leur acceptation d’unegarantie européenne des dépôts pourrontéventuellement être remplies dans le longterme. Mais, en attendant, le caractèreinachevé de l’Union bancaire suscitetoujours une certaine défiance sur la capacitéde cet ensemble institutionnel à faire faced’une façon efficace à une nouvelle crise

10 C. Lejoux, « Union bancaire : le nouveau méca-nisme de sauvetage des banques pose question », LaTribune, 27-12-2015.11 R. Godin, « Pourquoi l'Allemagne refuse le dernierpilier de l'Union bancaire », La Tribune, 11-09-2015.

bancaire sans faire peser le coût dusauvetage bancaire sur le secteur public etles contribuables.

De ce fait, on sera amené à compteressentiellement sur les actions de la BCE quiont probablement évité une trop grandedétérioration de la situation économique etfinancière au cours de ces dernières années decrise financière et bancaire. En effet, lapolitique monétaire non conventionnelleinitiée par la BCE a réussi à éviter la déflationque risquait de provoquer la politiquebudgétaire restrictive et à soutenir la faiblecroissance européenne. Cette politique acependant été incapable d’orienter une grandepartie des liquidités créée par la banquecentrale vers les crédits et l’économie réelle.Il est probable qu’une coopération entre lesautorités monétaires et budgétaires auraitpermis d’obtenir de meilleurs résultats.

La politique de relance face aux crises économiques

Cette politique a été adoptée avec réticencepar la CE qui a dû accepter le non-respecttransitoire de la discipline imposée par lePSC. Cette concession n’a cependant été faiteque pour 2 ans. Selon le rapport des cinqprésidents, les mesures de relance sont àéviter dans l’avenir du fait de leurs incidencesnégatives sur les finances publiques. Ilreconnaît cependant que certains chocséconomiques peuvent être trop importantspour que leurs impacts puissent être absorbéspar les mécanismes de stabilisationautomatiques nationaux. De ce fait, il faudraitque cette absorption puisse être effectuée parl’ensemble des économies européennes sur labase d’un partage des risques au sein del’UEM.

A court terme, cet objectif peut êtreprogressivement atteint par le développementd’un filet de sécurité grâce à une intégrationfinancière plus forte et à une Union bancaireplus complète. A plus long terme, laCommission préconise l’instauration d’unmécanisme de stabilisation budgétaire auniveau de l’UEM. Cette institution n’est pasdestinée à lisser les fluctuations économiquesau niveau de l’UEM, mais à atténuer leseffets des chocs économiques importants. Ellemarque l’aboutissement d’un processusconduisant à une union budgétaire. Mais saréalisation nécessite un degré de convergenceimportant des économies européennes pouréviter des transferts permanents vers certainspays et un renforcement des modalités dedécisions budgétaires communes. Ces

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dernières pourraient être prises à terme ausein d’un Trésor de la zone euro.

Toutes ces innovations institutionnelles quidoivent aboutir à long terme à une unionéconomique et monétaire complètepermettront probablement d’améliorer lesréactions européennes à de futurs chocséconomiques comme ceux qui se sontproduits en 2009. Mais, elles ne dispenserontpas l’Europe de mettre sur pied des plans derelance pour réduire les incidencesimmédiates de ces chocs sur la croissance etl’emploi. En effet, malgré une intégrationbudgétaire complète et une organisationpolitique fédérale comme celles qui devraientse réaliser à terme en Europe, les États-Unisont dû adopter une politique de relanceimportante et soutenue pour faire repartir lacroissance et réduire le chômage.

La conciliation de la consolidation budgétaire et de la croissance économique

La politique de relance a amplifié ladétérioration des finances publiques résultantde la crise économique et des chargespubliques engendrées par le sauvetage dusystème bancaire. Une telle situation risqued’entraîner une défiance des opérateurs surles marchés financiers, ce qui se traduit parune hausse des taux d’intérêt et des difficultésde financement des déficits publics. Pourrétablir la confiance sur les marchésfinanciers, la CE décide de ne pas maintenirla relance au-delà des 2 ans prévus et de luisubstituer une politique de restrictionbudgétaire ayant comme objectif prioritairel’assainissement des finances publiques.12

Cette politique comporte des programmes deconsolidation budgétaire qui sont adoptésvolontairement par la plupart des Étatseuropéens ou imposés à ceux qui ont dû faireappel aux aides européennes du fait de leursgrandes difficultés. Elle n’est pas censéeexercer des effets significatifs sur l’activitééconomique. En effet, on admet que les effetsnégatifs de la restriction budgétaire sontcompensés, au moins partiellement, par lesincidences positives de la hausse de lademande privée qui résulte de cetterestriction. Cette hausse concerne laconsommation privée qui est stimulée par labaisse de taux d’intérêt résultant de la baissede l’appel de l’État au marché financier. Cette

12 Voir G. Koenig (2012), « Consolidation budgétaireet croissance économique », Bulletin de l’OPEE,n°26, 5-10.

réduction peut également stimulerl’investissement. Cette hypothèse decompensation explique la faiblesse dumultiplicateur budgétaire qui traduitl’incidence d’une variation des dépensespubliques sur le PIB et qui est retenu dans lesprogrammes de consolidation budgétaire. Labaisse faible de l’inflation qui doit en résulterdétermine une hausse modérée du taux desalaire réel, ce qui entraîne une baisse de lademande de travail et une hausse du chômagede faible ampleur.

Les instances européennes espèrent rassurerles opérateurs sur les marchés financiers parcette politique en attendant que les réformesstructurelles qui doivent accompagner cesactions génèrent une croissance à moyen etlong terme.

Cette politique n’a atteint que partiellementson objectif de finances publiques jusqu’ici.En effet, si la part du déficit budgétaire de lazone euro est passé en dessous de la barre de3 % à partir de 2013, la part de la dettepublique dans le PIB a continué à augmenterjusqu’à 2014 pour se stabiliser autour de 90% les deux années suivantes.

Ces résultats sont obtenus au prix d’unerécession en 2011 et 2012 et d’une croissancemodeste les autres années. Le taux dechômage est passé par un pic de 12 % en2012 et n’a pas été inférieur à 10 % jusqu’en2016. Le taux d’inflation s’est écartésensiblement de l’objectif de 2 % fixé par laBCE avec une valeur nulle en 2015 et unniveau de 0,2 % en 2016. Le risque dedéflation qu’implique cette évolution a obligéla BCE à adopter une politique monétairegénéreuse non conventionnelle avec desmesures de refinancement etd’assouplissement quantitatif.

Dans sa note d’analyse de 2015, laCommission attribue la hausse du chômagede la période de consolidation budgétaire àdes faiblesses structurelles qui « n’ont paspermis à l’offre de rattraper la demande ».Elle considère que ces faiblesses sontantérieures à la crise. Elles se manifestentnotamment par une compétitivité insuffisante.Celle-ci est due en grande partie aux rigiditéssur les marchés des produits et du travail quebeaucoup de pays n’ont pas tenté de corrigeran cours des périodes de haute conjoncture.De ce fait, au cours de la période 1999-2007,les coûts salariaux ont augmenté de façonexcessive. Pour éviter de telles dérives, lerapport des cinq présidents prévoit de créerdes autorités de compétitivité. Celles-ci

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seraient chargées d’évaluer la conformité deshausses de salaires au progrès de laproductivité dans chaque pays et de comparerces évolutions à celles observées chez sesprincipaux partenaires commerciaux. De plus,comme la baisse de compétitivité est trèsdifférente selon les pays européens, la CEpréconise des réformes qui doivent supprimerles obstacles aux convergences structurellesimportantes révélées à l’occasion des crises etfixer des normes communes portantnotamment sur le marché du travail et lacompétitivité. Ces convergences serontnégociées dans une première étape avant dedevenir obligatoire dans une seconde phase.

La foi de la Commission dans les prix relatifscomme instruments essentiels d’ajustementéconomique a probablement amené cetteinstitution à sous-estimer le multiplicateurbudgétaire qui mesure l’impact d’une baissedes dépenses publiques sur le PIB. En effet, lavaleur estimée de ce multiplicateur était de0,5, alors que les travaux empiriques du FMIont montré que sa valeur réelle était compriseentre 0,9 et 1,7 pour l’UE au cours de cettepériode.13 Cette sous-estimation est due à lacroyance qu’une baisse du taux d’intérêtsuffirait à stimuler l’investissement, alors quecette demande dépend aussi d’autres facteurs,notamment des prévisions de débouchés quisont généralement pessimistes en basseconjoncture. De plus, elle néglige les résultatsde travaux empiriques qui montrent qu’unebaisse de la demande publique s’accompagned’une réduction de la consommation privée etnon d’une hausse. La politiqued’assainissement des finances publiquesimposée à la Grèce avec persévérance depuisplusieurs années par l’Eurogroupe et la CEconstitue un exemple extrême des effetséconomiques et sociaux négatifs d’une tellepolitique malgré une baisse importante dessalaires et des pensions de retraite et uneillustration de son incapacité à réduirel’endettement public.

Il est peu probable que la politique decompétitivité préconisée par la Commissionpermette d’éviter dans l’avenir des effetsnégatifs aussi importants d’une politique derestriction budgétaire que ceux observés aucours de ces dernières années. De plus, unetelle politique qui incite chaque payseuropéen à améliorer sa part de marché audétriment des autres, risque d’accroître lesaffrontements à l’intérieur de l’Europe dontles membres sont étroitement interdépendantssur le plan commercial. Cela va à l’encontre

13 International Monetary Fund (2012), World Eco-nomic Outlook, October, 41-43.

d’une nécessaire coopération préconisée parailleurs au sein de l’Europe.

Les résultats de la politique européenne deconsolidation budgétaire et la faiblesse deleurs fondements théoriques et empiriquesincitent à envisager une politique alternativeayant plus de chance de concilier laconsolidation budgétaire et la croissanceéconomique. En adoptant comme objectifprioritaire la croissance et l’emploi plutôt quel’assainissement des finances publiques, unetelle politique permet de réduireprogressivement les déficits budgétaires enaccroissant les rentrées fiscales et enréduisant les dépenses publiques engendréespar un chômage de masse. Une tellealternative a été adoptée par les États-Unis.En effet, après avoir mis en œuvre unprogramme de relance comme l’Europe, leurgouvernement fédéral, a décidé de maintenirson soutien à l’économie. Il a obtenu desrésultats similaires à la politique européenneen matière de finances publiques avec unebaisse importante du déficit budgétaire sansamélioration sensible de la dette publiquefédérale. Par contre, le taux de croissance desÉtats-Unis reste supérieur à celui de la zoneeuro pendant toute la période sans passer parune phase de récession et le taux de chômageaméricain représente en 2016 la moitié dutaux de la zone euro.

3. Conclusion

La préférence de la Commission pour l’undes cinq scénarios d’avenir n’est pasexprimée dans le Livre blanc. Elle peutcependant être déduite d’un certain nombrede textes publiés antérieurement. Elle se portesur une forme de fédéralisme correspondantau scénario 5 et appliquée à l’UEM. C’estd’ailleurs dans ce cadre que se placent lesprojets de la CE sur la ligne économique àappliquer dans l’avenir.

Ces projets portent essentiellement sur desinnovations institutionnelles et des réformesstructurelles. Mais, les innovations proposéesne seront probablement mises en place quedans le long terme. C’est le cas notammentpour l’Union budgétaire parce qu’ellenécessite des abandons de souveraineté etpour l’Union bancaire dont la mise en œuvrecomplète se heurte à l’opposition de certainspays.

Quant aux réformes structurelles proposées,elles mettront également beaucoup de tempspour être mises en place et pour prouver leurefficacité. De plus, certaines d’entre ellessemblent insuffisamment adaptées aux

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problèmes actuels. C’est le cas par exemplede la politique de compétitivité limitée à laréduction des coûts de production pourréduire le chômage.

En attendant la réalisation de ces réformes,l’Europe n’est pas à l’abri de crises analoguesà celles supportées depuis 2008 dans le courtet le moyen terme. Or, il est peu probablequ’en maintenant sa politique deconsolidation budgétaire face aux crises desfinances publiques et en écartant toutepolitique de relance face à une criseéconomique, l’Europe soit en mesure

d’obtenir de meilleurs résultatsqu’antérieurement. Par contre, l’Europe seraun peu mieux préparée à affronter ou même àéviter une crise financière et bancaire,notamment si les procédures de contrôle desbanques fonctionnent, si le coût du sauvetageéventuel des banques n’est plus supporté parles États et si la confiance des citoyens dansleurs banques est assurée par une protectionsuffisante des déposants.

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La concurrence fiscale et les projets d’harmonisation de l’impôt sur les sociétés dans l’Union européenneDamien Broussolle*

Le gouvernement français avait annoncé fin 2016, qu’à partir de 2017 il entendait réduireprogressivement le taux de l’Impôt sur les bénéfices jusqu’à 28 % en 2020. Le nouveauprésident avait même prévu dans son programme d’atteindre un taux de 25 %. Pour cettemême période, le gouvernement du Royaume-Uni prévoit d’avoir diminué ce taux à 17 %.Ces annonces illustrent la concurrence fiscale que se livrent les États membres depuis denombreuses années en particulier sur la taxation des entreprises. Cette concurrence est ac-centuée par le traitement particulier offert à certaines entreprises (rulings) par plusieursÉtats (par exemple Luxembourg ou Suisse), mais également par les stratégies d’évasionfiscale des grandes entreprises. C’est dans ce contexte que la Commission européenne a re-lancé en octobre 2016 son projet d’Assiette Consolidée Commune pour l’Impôt sur les So-ciétés (ACCIS). La mise en œuvre de ce projet permettrait selon elle de limiter l’optimisa-tion fiscale, améliorerait la transparence ainsi que l’équité dans la répartition des basesimposables entre États membres. Cet article entend faire le point sur l’état de la concur-rence fiscale concernant l’Impôt sur les Sociétés dans l’UE, présenter le nouveau projetACCIS et en proposer une analyse. Il sera également l’occasion d’examiner la situation dela France et de s’interroger sur sa stratégie fiscale.

La concurrence fiscale touche essentiellementles facteurs économiques mobiles, soit dansun ordre décroissant de mobilité : l’épargne,le travail qualifié et les entreprises. Les fluxd’Investissement Directs sont sensibles à lafiscalité directe qui pèse sur les entreprises,dont l’Impôt sur les Sociétés (IS) estl’élément le plus visible, même si laproximité de la demande, la qualité desinfrastructures et de la main d’œuvre, ouencore le niveau de productivité, sont toutautant des éléments du choix d’implantation.Indépendamment des éléments précédents,les entreprises ont aussi tendance às’agglomérer dans l’espace. Quoiqu’il ensoit, l’Union Européenne (UE) et la zoneeuro sont des aires d’intense concurrencefiscale, puisqu’avec le marché unique lecadre réglementaire des échanges est trèsunifié, mais aussi parce qu’avec la monnaieunique la comparaison de la valeur desdifférentes charges est immédiate.

La concurrence fiscale a certes un effet derationalisation et d’amélioration del’efficacité de l’intervention publique, maiselle se traduit surtout par un processus debaisse des taux, en majeure partieincontrôlable, qui tend à mettre en difficultéles finances publiques, sans augmenter lamasse d’IDE captable. Il faut souligner quechaque pays est tour à tour acteur et victimede la concurrence fiscale. En effet en

l’absence de coordination, tout en cherchant ày échapper chaque participant l’entretient.C’est un processus similaire à celui des jeuxnon-coopératif du type dilemme duprisonnier, où le participant provoque par soncomportement ce qu’il cherche à éviter. Dupoint de vue de l’UE dans son ensemble, c’estun jeu à somme nulle à court terme etnégative à long terme (Aussillouxa et al.2017).

1. Où en est la concurrence fiscale surl’IS dans l’UE

Dans l’UE le démarrage du marché unique aconstitué un premier facteur accélérateur de la

* Université de Strasbourg (LaRGE).

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Graphique n°1 : Évolution du taux normal d’imposition dessociétés dans une sélection de pays de 1980 à 2015 (en %).

Source : OCDE « Tax database ».

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concurrence fiscale. Le taux de l’IS qui, dansles années 1980, atteignait ou dépassait defaçon courante les 50 % (graphique n°1), acommencé à diminuer à son approche.Ensuite la tendance s’est poursuivie sansinterruption avec quelques brèves rémissions.La mise en place de l’Euro a été un deuxièmeaccélérateur, l’Allemagne a ainsi diminué de10 points son taux d’IS en 2000. De sortequ’au total entre 1995 et 2016, le taux normalmoyen de l’IS dans l’UE a perdu 14 points,soit une baisse de 33 % (graphique n° 2).

Deux groupes de pays

Sauf pour les Nouveaux États Membres(NEM), l’élargissement de 2004 paraît moinsavoir affecté la tendance que les suites de lacrise de 2008. Ces derniers ont néanmoinsaussi été acteurs de la concurrence fiscale.Depuis 1995, le taux de l’IS en RépubliqueTchèque ou en Pologne a été plus que divisépar deux (PL de 40 à 19 %). Même si tous nepratiquent pas le taux minimal de la Bulgarie(10 % en 2016), ils ont toutefois un niveaumoyen d’IS significativement plus faible quecelui des anciens États membres. Les 11 Paysd’Europe Centrale et Orientale (PECO) ontun taux moyen de 17,6 % en 2016, contre27,8 % pour l’UE 15. Ces taux plus faiblessont en partie justifiés par la nécessité de

compenser des handicaps économiques, dus àleur position périphérique.

Dans l’ensemble européen, la France qui setrouvait en position favorable au début desannées 1990 (Caubet-Hilloutou et al. 1991),

s’est retrouvée jusqu’à très récemment dans laposition peu enviable du pays dont le tauxétait le plus élevé (graphique n° 3). En 2015 ilétait ainsi supérieur de 13,4 points à lamoyenne de la zone euro et de 15,2 pour cellede l’UE.

Taux apparent et taux implicite

Cette vision des choses doit toutefois êtreamendée, car l’image donnée par le tauxofficiel n’est dans la plupart des casqu’apparente. En effet, des caractéristiquesnationales particulières (assiette, déductionsspécifiques…), font que le taux réellementversé est souvent différent du taux affiché.Pour apprécier la charge fiscale réelle on

rapporte alors le volume total d’impôt payé àsa base économique (un indicateur de profit).Le taux obtenu exprime la taxation d’uneentreprise rapportée à ses revenus propres etmesure en quelque sorte la taxation effectivedu capital productif. Ce taux « réel », que l’ondénomme effectif ou implicite, peut êtrecalculé de deux manières (Partouche etOlivier 2011) : soit à partir de documentsfiscaux (approche micro-économique), soit àpartir des données de la ComptabilitéNationale (approche macro-économique).1

Bien que le taux alors obtenu soit plus prochede la réalité, il reste sensible à des élémentsexternes aux stratégies fiscales des États(notamment conjoncturels). Par principe, lemontant de l’impôt pris en compte est l'impôtpayé une année donnée et non pas l'impôt dûau titre de cette année. L’indicateur est aussi

1 Une troisième approche, également macro-économique, existe. Elle consiste à rapporter lesrecettes de l’IS au produit intérieur brut (PIB).L’assiette de l’IS étant éloignée des bases de calculdu PIB, cela ne fournit pas à proprement parler untaux d’imposition. L’indicateur obtenu est cependantintéressant dans une perspective de financespubliques. C’est une manière de comparer le poids del’impôt sur les sociétés, à celui d’autres prélèvementsobligatoires.

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Graphique n°3 : Evolution du taux apparent de l’Impôtsur les Sociétés (en %).

Données Eurostat.

NB. Pour la France, l’indicateur OCDE inclut le tauxnormal de l’IS à 33,33 %, ainsi que la contributionsociale sur les bénéfices, mais pas la contributionexceptionnelle, ni la contribution additionnelle sur lesrevenus distribués. Le taux nominal ressort donc à 34,43% en 2015 (graphique n°1). En revanche Eurostat ajouteà la contribution sociale sur les bénéfices, la contributionexceptionnelle, mais pas la contribution additionnelle surles revenus distribués. La France apparaît alors avec untaux nominal maximal de 38,0 % en 2015 (ce graphique).

Graphique n°2 : Evolution du taux moyen de l’ISdans l’UE (en %).

Données Eurostat.

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nécessairement influencé par les évolutionsde la démographie d’entreprise. La mesuremicro-économique est, pour sa part, affectéepar la méthodologie comptable utilisée pourdéfinir l’indicateur de profit. Pour des raisonsanalogues, elle ne couvre pas les sociétésfinancières.

Les deux types de mesure ne fournissent pasles mêmes taux réels : par exemple pour laFrance en 2007, l’approche micro-économique mise en œuvre par Partouche etOlivier (2011) donne un taux de 27,5 %, maisEurostat, en suivant une approche macro-économique plus large, obtient un taux de34,4 %. Pour les comparaisons internation-ales il est donc essentiel d’utiliser des tauxcalculés selon la même méthodologie. Celadit, le taux implicite fournit malgré tout uneimage plus proche de la réalité économique.En 2015 selon l’approche suivie par Eurostat,il était en moyenne approximativementinférieur de 2 points au taux officiel apparent(graphique n°4).

D’une manière générale, sur toute la période1998-2015 le taux implicite est resté inférieurau taux apparent (graphique n°4). Celaconfirme que le taux officiel n’estgénéralement pas totalement significatif.Comme le taux apparent a nettementdiminué, le rendement de l’IS aurait dûbaisser dans des proportions équivalentes,mais ce n’est pas le cas. La réduction du tauxofficiel s’est, le plus souvent, accompagnéede mesures d’assiette visant à limiter la pertefiscale. Ces mesures ont alors réduit l’écartentre le taux apparent et le taux implicite. Cedernier intervalle a été divisé par plus que 2,5(graphique n°4 ; A→B). Pour certains pays letaux implicite a même pu être brièvementsupérieur au taux apparent (CF. France ;graphique n°5).

L’écart entre la zone euro et la moyenne del’UE s’est en revanche, creusé. En 1998 lesdeux groupes de pays avaient des tauxofficiels et implicites très proches, en 2015l’écart s’approchait de 2 points (Graphiquen°4 ; cercles 1→2). Cela signifie que les tauxont plus baissé pour les pays périphériques,que pour le cœur économique de l’UE. C’est

que toutes choses égales par ailleurs, d’unpoint de vue fiscal, un grand pays a plus àperdre qu’à gagner en réduisant son tauxd’IS. En effet, la baisse va porter sur une basetaxable plus large que celle que lechangement peut lui attirer. Autrement dit,une baisse de taux attirera nécessairement unvolume d’IDE marginal par rapport auxinvestissements déjà en place. La situationd’un petit pays est inversée. La validité de ceraisonnement est néanmoins soumise àl’ampleur des écarts de taux entre pays. Au-delà d’un certain seuil, le risque de fuited’activité peut s’avérer tel, que le grand paysdoit suivre la spirale descendante des taux.On peut penser que la France se trouveproche de cette dernière situation.

La stratégie fiscale dissimulée de la France

Depuis 2010, face à la contrainte du pacte destabilité, la France a d’abord suivi unepolitique de hausse des taux et de l’assiette,

compensée ensuite par un vigoureuxsystème de déductions et crédits d’impôts.Ce deuxième volet commence à porter sesfruits en 2014 et devient vraiment visible en2016 (graphiques n° 3 et 5).

Deux principaux dispositifs modifient trèssensiblement le montant effectif de taxespayé par les entreprises : le Crédit Impôt-Recherche (CIR) et le Crédit ImpôtCompétitivité-Emploi (CICE).2 Ainsi selonles derniers chiffres connus, le montant

effectif de l’IS versé atteint moins de 55% dumontant officiel apparent (tableau n°1).S’ajoutent à cela d’autres dispositifs quirelèvent de la politique de l’emploi etviennent minorer le coût salarial, notammenttout récemment le Pacte de Responsabilité etde Solidarité (PRS), dont le montant atteint6,4 ds € en 2015 (Rabault 2016). Selon leProjet de Loi de Finances, en 2017 le montant

2 Rappelons que la réforme de la taxe professionnelle,qui ne rentre pas dans le champ de cet article, s’étaitdéjà traduite par un allégement de prélèvement surles entreprises, d’un montant de 4,5 Mds d’€ par anen régime permanent (Guéné 2012).

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Graphique n°4 : Comparaison des taux d’IS apparents etimplicites pour l’UE et la zone euro (en %).

Données Eurostat.

Graphique n°5 : Taux de l’IS apparents et implicites pourune sélection de pays (en %).

Données Eurostat.

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cumulé des CIR, CICE et PRS devaitatteindre 45 mds d’euros. Le coût pour lesfinances publiques apparaît au total trèsélevé. Néanmoins, toutes choses égales parailleurs et notamment en l’absenced’embauches, la minoration du coût salarialtend à augmenter le bénéfice, donc la base del’IS.

Finalement, le produit réel de l’IS estlargement inférieur à ce que son taux officiellaisserait présager. Du reste son produit abaissé de près de 40 % depuis 2013 et mêmede 47,5 % comparé à 2007 (tableau n°2).Compte tenu du fait que pendant cettepériode le PIB a augmenté, mêmemodestement, l’IS ne représentera plus que1,16 % du PIB en 2017 (tableau n°2).

On peut donc constater que, depuis quelquesannées, la France s’est engagée de manièreoffensive dans la concurrence fiscale, maisd’une façon qui, jusqu’à présent, ne sereflétait pas dans les taux apparents. En 2016le gouvernement avait annoncé sa volonté depoursuivre dans cette voie globale, mais defaçon cette fois-ci ouverte. Dans cetteperspective le nouveau président vise un tauxofficiel de 25 % pour 2020.

2. Le projet ACCIS de la Commissioneuropéenne

La concurrence fiscale entre États membresest d’autant plus préjudiciable, qu’elle sedéroule dans un climat général d’optimisationfiscale où les grandes entreprises mettent enœuvre de nouveau moyens pour tirer parti desdifférences entre législations. Elles peuventainsi essayer de localiser leur base taxablevers les pays à faible fiscalité, non plusseulement en déplaçant les investissements(lieu de production), mais en dissociant le

lieu où les bénéfices sont générés (lieud’activité réel) et le lieu où les bénéfices sonttaxés. Le principal instrument dedélocalisation des bénéfices s’appuie sur lesprix de transfert entre filiales. Les pratiquesd’évasion fiscale ont atteint une ampleurconsidérable. Selon l’OCDE, les pertes derecettes concernant l’IS représenteraient de

4 % à 10 % du produit de cetimpôt au niveau mondial, ce quicorrespondrait dans le cas de laFrance, à une fourchette de 2,4 à 6Md€ (CPO 2016). Dans la lignéedes mesures anti BEPS3 (érosionde la base d’imposition et transfertde bénéfices) préconisées par

l’OCDE, la France a mis en œuvre desdispositions pour prévenir les comportementsd’optimisation. Leur efficacité reste limitéetant qu’un nombre suffisant de pays neprocède pas de même. Répondre à cesdifférents enjeux est la fonction annoncée duprojet ACCIS de la Commission.

La stratégie d’ensemble de la Commission

Depuis 1997 la Commission Européenne,soutenue par plusieurs États, plaiderégulièrement pour une plus grandecoordination fiscale. Reste à savoir ce qu’elleentend par là. Dans sa communication sur« La politique fiscale de l’UE, priorités pourles prochaines années » (COM 2001a),adoptée en 2001, elle a défini les trois grandsaxes de sa démarche.

La politique fiscaleeuropéenne doit en priorité« servir les intérêts descitoyens et des entreprisesqui souhaitent tirer profitdes quatre libertés dumarché intérieur ». Elle doitdonc être essentiellement

axée « sur la suppression des entraves fiscalesà l’exercice de ces quatre libertés ». Ensuite,elle doit s’assurer que « les systèmes fiscauxcontribuent à un meilleur fonctionnement desmarchés des biens, des services et descapitaux, ainsi qu’au bon fonctionnement dumarché de l'emploi ». Enfin, elle devrait« continuer à favoriser les efforts de réductiondes taux nominaux et d’élargissement del'assiette imposable, afin d’atténuer lesdistorsions économiques liées aux systèmesfiscaux des États membres ». Comme on peutle constater, il s’agit exclusivement de

3 Base erosion and profit shifting.

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Tableau n°2 : Produit de l’IS en France.

2007 2012 2013 2014 2015 2016 2017 est.

Mds € 50,57 42,00 44,07 35,48 31,20 27,58 26,53

En % du PIB 2,60 2,01 2,08 1,66 1,43 1,24 1,16

Source PLF 2017 (Rabault 2016 p 17).

Tableau n°1 : Impôt sur les Société brut et net.IS brutMds €

CICE Mds €

CIR Mds €

Montant réel perçu (ISnet)

Mds € en % du brut2014 47,0 16,0 5,6 21,4 45,52015 33,5 12,5 5,3 17,5 52,2

INSEE, CPO 2016.

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préoccupations, centrées sur la réduction desdifférences (distorsions) et concernant lefonctionnement des marchés, en s’intéressantaux besoins d’agents économiques. Ladimension citoyenne et civique de la fiscalitén’apparaît pas, puisqu’elle se trouve hors dela compétence de la Commission. Il n’enreste pas moins que les effets de cetteorientation débordent largement le strictdomaine économique.4

Quoiqu’il en soit, la Commission a développéune démarche de coordination concernant enparticulier l’impôt sur les sociétés. Depuis lapublication en 2001 de la Communicationintitulée « Vers un marché intérieur sansentraves fiscales (…) » (COM 2001b), sonobjectif a été d’offrir, aux sociétés opérantdans plus d’un État membre, une AssietteCommune Consolidée pour l’Impôt sur lesSociétés (ACCIS). Elle a ainsi lancé en 2006un projet d’harmonisation des bases de l’IS,renforcé en 2011, qui n’a toutefois pasvraiment avancé jusqu’à présent. En octobre2016 la Commission a relancé ce projet sousune forme renouvelée.

Le projet présenté en octobre 2016

La nouvelle proposition ajoute d’abord deuxnouveautés au projet de 2011 :

Elle propose d’instituer une incitationstandardisée en faveur de la recherche etdéveloppement (R&D). Les entreprises severraient accorder une super-déduction pourleurs coûts de R&D. Il s’agit surtout d’unefaçon d’encadrer les pratiques des États, enfournissant un cadre européen transparent etplafonné pour un avantage fiscal qui existedéjà au plan national.

Dans un objectif de neutralité fiscale, laproposition prévoit en outre d’appliquer, à ladétention de fonds propres, un avantage fiscaléquivalent à celui dont bénéficie souvent lefinancement par l’endettement. De nombreuxpays permettent en effet aux entreprises de

4 « Certains États membres ont réussi à rendre leursrégimes fiscaux plus favorables à l’emploi, enallégeant la pression fiscale sur le travail (…). (…) laplupart des États membres réduisent les impôtsdirects sur le revenu des personnes physiques et surles bénéfices des sociétés et dans certains cas, lescotisations de sécurité sociale des employeurs et dessalariés. » (COM 2001a). Toutes choses égales parailleurs, réduire la fiscalité sur le travail (cotisationssociales), les revenus (des agents mobiles) et lesentreprises, impose nécessairement d’augmenter lafiscalité sur la consommation (TVA) et sur lesrevenus des agents peu mobiles. L’application desprincipes civiques d’égalité devant l’impôt et decontribution selon les capacités contributives s’entrouve forcément contrecarrée.

déduire les intérêts d’emprunts de leursbénéfices, mais pas les coûts liés aux fondspropres, ce qui constitue une distorsionfiscale favorisant l’endettement. Cette mesureapparaît donc de bon sens économique, maisil conviendrait d’en vérifier l’impact pratiqueavant de la mettre en œuvre (hausse des coursboursiers et diminution du rendement desactions ?). Quoiqu’il en soit, cette mesures’inscrit dans l’orientation générale deréduction de la fiscalité pesant sur lesentreprises. Une neutralité fiscale obtenue parl’extension d’un avantage, plutôt que par sasuppression, s’avère nécessairement coûteusepour les finances publiques des États.

La nouvelle proposition rénove ensuite ladémarche de l’assiette commune consolidée,qui combine deux éléments.

Elle s’appuie en premier lieu surl’établissement de règles uniformes pourcalculer le bénéfice imposable desentreprises. Cette harmonisation de l’assiettedéboucherait sur une déclaration fiscaleunifiée pour l’ensemble de l’Union. Lanouveauté est que ce dispositif seraitobligatoire pour les grands groupes dont lechiffre d'affaires total dépasse 750 millionsd’euros par an.

Le projet prévoit en second lieu uneconsolidation, ce qui aboutit pour lesentreprises à ne faire qu’une seule déclarationfiscale pour l’ensemble de leurs activités dansl’Union. Outre la simplification desprocédures que cela représente, le principalavantage est que cela leur permettrait decompenser les pertes subies dans un Étatmembre, par les bénéfices réalisés dans unautre État membre.

Une fois l’assiette européenne déterminée, lesbénéfices imposables d’une entrepriseseraient alors ventilés entre les États membresdans lesquels elle exerce une activité. Laformule de répartition proposée s’appuie surtrois facteurs pondérés également : les actifsde production (hors actifs immatériels), lamain d’œuvre (masse salariale), ainsi que lesventes (en fonction du lieu où lesmarchandises sont vendues/expédiées ou del’endroit où le service est fourni). ChaqueÉtat membre appliquerait ensuite son tauxd’imposition national à sa part des bénéficesde l’entreprise.

Un projet attirant mais trop risqué

Le projet ACCIS serait un progrès dansl’intégration économique européenne.L’addition de ses deux parties permettraitaussi de lutter contre la principale forme

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d’évasion fiscale. D’un côté l’harmonisationéliminerait l’essentiel, des asymétries etfailles des systèmes nationaux, que lesentreprises peuvent actuellement utiliser. Del’autre, la consolidation, combinée ausystème de clef de répartition, réduiraitl’intérêt d’un système de prix de transfert.Une dissociation du lieu de génération desbénéfices et du lieu d’imposition serait alorsbeaucoup moins intéressante (CPO 2016).C’est le principal argument que met en avantla Commission, il n’est pourtant pascomplètement convaincant. Outre le fait quele projet ACCIS ne supprime pas toutes lespossibilités d’évasion fiscale (Aussillouxa etal. 2017), son efficacité dépend crucialementde la conjugaison de ses deux aspects.5 Or laCommission propose de procéder en deuxétapes : « Dans un premier temps lapossibilité de convenir et de mettre en œuvrel’assiette commune et, dans un deuxièmetemps, (…) la consolidation qui, idéalement,devrait intervenir peu après » (MEMO 2016).Procéder en deux étapes c’est prendre unrisque énorme.

L’harmonisation de la base d’imposition, ensupprimant la complexité et l’opacité desfiscalités nationales, rendra les taux officielspleinement comparables. Cela va renforcer laconcurrence fiscale (CPO 2016) et relancer leprocessus de convergence à la baisse. Onpeut certes estimer que la situationparticulière des grands pays leur permet dejustifier un écart de taux de quelques pointsde pourcentage vis-à-vis des payspériphériques de l’Union (Le Cacheux etSaint-Étienne 2005). Cependant, en 2016 letaux moyen des PECO 11 était de 17,6 %,contre 27,8 % pour l’UE15 et même de 34,4% pour la France. Il y a donc une importantemarge de baisse.

Le passage à la deuxième étape du projetACCIS, permettrait assurément decontrecarrer les phénomènes pervers.Cependant les ré-allocations de base fiscalese réaliseraient au détriment principalementdes bénéficiaires actuels de la concurrence etde l’optimisation fiscales. L’assiette ACCISserait défavorable aux pays périphériques quiont développé des stratégies agressives detaux, mais pas seulement. Elle augmenteraitpour l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie,

5 La Commission en est parfaitement consciente. Elleécrit : « les avantages de l’ACCIS ne serontpleinement ressentis que lorsque l’assiette communeet la consolidation sont [sic] toutes deux mises enœuvre. » (Memo 2016).

tandis que la Belgique, le Danemark,l’Irlande, la Suède ou les Pays-Basobserveraient une évolution inverse.

On comprend que ces pays ne se précipiterontpas pour perdre leur avantage fiscal etfreineront autant que possible le passage à ladeuxième étape.6 Le mécanisme de répartitionintroduit en outre un élément de perte desouveraineté et de simili fédéralisme, quecertains États refusent absolument. Dans salogique, il rappelle le projet mort-né de 1987concernant la péréquation de la TVA entrepays membres. A supposer que la premièreétape soit engagée, le passage à la deuxièmeétape est donc très hypothétique.7 Or, plus laphase de transition sera longue, plus laconcurrence fiscale pourra se développer.

Pourquoi dans ces conditions proposer unetelle démarche en deux étapes ? Deuxinterprétations sont envisageables.

La première relève d’une vision naïve etoptimiste. Il s’agirait de provoquer unesituation intenable comme moyen d’aller del’avant. En outre comme il n’y a aucunechance que l’ensemble du projet soit acceptéd’un coup, ce serait la seule optionimaginable. Autrement dit, la stratégie del’apprenti sorcier serait la seule concevable.L’autre interprétation est plus cynique. Atravers la carotte inatteignable de la deuxièmeétape, ce serait une manière d’obtenir uneharmonisation de l’assiette tout enprovoquant une nouvelle baisse des taux, quisans cela s’avérerait injustifiable. Autrementdit, il s’agirait alors d’une stratégie debrouillage assumé.

La France prise en étau

On a vu que la première étape du projet, avecdes assiettes plus homogènes, encourage lesstratégies de concurrence fiscale par les taux(CPO 2016), mais elle a aussi une autreconséquence pour la France. Combinée avecdes décisions de la Cour de justice de l’Unioneuropéenne (CJUE) et la transposition,

6 S’ajoute aussi que les entreprises ne feraient dedéclaration que dans le pays de leur siège. Ce seraitalors susceptible de faire obstacle aux capacités decontrôle fiscal des administrations des pays où desfiliales sont implantées (CPO 2016).7 Un autre point qui mériterait d’être discuté, estl’effectivité du principe selon lequel, à l’issue de laseconde étape, chaque pays resterait maître de sontaux d’IS. L’indifférenciation de la base taxableproduite par le projet ACCIS complet, n’est-elle pasun puissant ferment de convergence des taux ?

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prévue pour 2018, de la directive anti-évasionfiscale (ATAD),8 elle rogne l’efficacité descontre-mesures qui contrebalancent le tauxapparent élevé de l’IS. C’est ainsi que le CIR,le système d’amortissement desinvestissements et le régime d’intégrationfiscale (report des pertes), seront de moins enmoins attractifs. Le dernier dispositif,modifié en 2011, est devenu la source d’uncoûteux contentieux (340 M d’euros en 2016)et devra être réformé. Donc si le tauxd’imposition français était maintenu à sonniveau actuel, la France se trouverait dansune situation particulièrement inconfortable.Le taux de l’IS doit donc baisser, diminuanten même temps le rendement potentiel del’impôt.

L’objectif de 25 % pour 2020 adoptépar le Président Macron était suggérépar le rapport du CPO (2016). Il s’agitd’une baisse totale d’environ 10 pointsen quelques années, qui engendrera unmanque à gagner supplémentaire de 4,2Mds d’euros par rapport au 28 % dugouvernement précédent.9 Cettesuggestion suppose de trouver desmesures qui élargissent suffisammentl’assiette de l’IS. Le rapport cité examineplusieurs possibilités, dont aucune ne permetde combler le trou supplémentaire créé dansles finances publiques. Au final il s’en remetà un surcroît de croissance. Cela peut a priorisembler réalisable, car ce n’est pas le premierépisode de baisse rapide que la Franceconnaîtrait. En effet, entre 1985 et 1991, letaux de l’IS est passé de 50 % à 34 %, soitune diminution de 16 points. Cette réductions’était toutefois réalisée dans un contexteéconomique de croissance,incomparablement plus rapide que celle quenous connaissons. Pendant toute la période lePIB en volume avait cru de plus de 2 % paran, il avait même dépassé 4 % pendant deuxannées. Comme l’élasticité du bénéfice desentreprises à la croissance est forte, entre1985 et 1989 le bénéfice imposable dessociétés avait doublé, ce qui fait que leproduit de l’impôt avait légèrement augmentémalgré la baisse du taux. Un tel scénario apeu de chance de se reproduire.

C’est alors uniquement à travers les futuresmodalités de répartition de la base taxableentre les États membres, que la Francepourrait voir ses recettes fiscales augmenter.Selon les estimations de la Commissioneuropéenne, en 2010 l’assiette de l’IS

8 Adoptée dans la foulée des travaux de l’OCDE.9 Un point d’IS représente 1,4 Mds d’euros (CPO2016).

français représentait 8,3 % de l’ensemble desassiettes européennes, en appliquant ladeuxième étape du projet ACCIS, elleatteindrait 10,0 % du total.

En attendant cette situation hypothétique, leplus probable est la combinaison enproportions variables des trois ingrédientssuivants : développement de taxesenvironnementales, diminution des dépensespubliques (réduction du périmètre, austéritérenforcée pour les administrations) et haussede la fiscalité sur les ménages (TVA, CSG).Ce report sur les ménages est cequ’envisageait déjà en 2005 le rapport LeCacheux et Saint-Etienne. Cette évolutionsemble du reste déjà entamée si l’on en croitle tableau n°3.

3. Conclusion

Le cadre non-coopératif de l’UE joue sansentraves notables dans le domaine de l’impôtsur les sociétés, dont le taux moyen alargement diminué depuis une trentained’années. Plusieurs pays dont la Franceenvisagent de poursuivre dans cette voie, leBrexit pouvant constituer un aiguillonsupplémentaire. La diminution des tauxofficiels s’est certes accompagnée d’uncertain élargissement d’assiette, maisglobalement il y a eu une véritable réductionde la taxation des bénéfices. Cetteconcurrence fiscale entre États se dérouledans un contexte d’optimisation fiscale. Lesgrandes entreprises profitent des différencesde taxation entre pays, mais égalementconçoivent de complexes systèmes d’évasionfiscale.

C’est dans ce cadre que la Commission arelancé fin 2016 son projet d’AssietteCommune Consolidée pour l’Impôt sur lesSociétés. Ce projet est attirant, car ilpermettrait une simplification administrativeet une réduction des pratiques d’évasionfiscale. Par ailleurs son système depéréquation de la base fiscale seraitglobalement favorable à la France. Toutefoissa mise en œuvre en deux étapes le renddangereux, car le passage à la deuxième esttrès hypothétique. Sans cela il se

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Tableau n°3 : Évolution de la répartition des prélèvementsobligatoires entre entreprises et ménages depuis 2007 (en % du PIB). Année 2007 2012 2013 2014 2015 2016 2017 prév.Ménages 22,9 24,2 24,7 25,1 25,5 25,5 25,7Entreprises 19,2 19,7 20,0 19,7 19,3 18,9 18,8Total 42,1 43,8 44,8 44,8 44,7 44,5 44,5Rabault 2016. NB. Les prélèvements obligatoires couvrent l’ensemble des impôts, ainsi que

les cotisations sociales.

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transformerait en un accélérateur de laconcurrence fiscale. Lancer le processusd’harmonisation de l’assiette, sans prévoir auminimum un moratoire sur la baisse de l’ISou, comme pour la TVA, un taux minimum,serait une démarche hasardeuse. Dans le casde l’IS, on peut toutefois penser qu’il seraitplus justifié de prévoir deux taux minimum,selon la taille du pays (population et PIB parhabitant), afin de tenir compte des différencesde situation économiques dans l’UE(Raspiller 2005). Ce serait également plusfacile à faire accepter.

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G. Wolff (2017), « Tirer le meilleur dumarché unique européen », Les notes duconseil d’analyse économique, n° 38, février.

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Raspiller, S. (2005), « La concurrence fiscale :principaux enseignements de l’analyse écono-mique », Document de travail G2005/07, IN-SEE.

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Le tournant métropolitain de la politique régionaleeuropéenne René Kahn*

Après plusieurs décennies de politique régionale visant la résorption progressive des écartsde développement (la convergence) entre les régions, la nouvelle orientation de la politiqueeuropéenne dite de cohésion s’appuie résolument sur la concentration spatiale et sur lesmécanismes économiques associés aux agglomérations urbaines et à la métropolisation :gains de productivité, capacités d’innovation, développement durable associé à l’écologieindustrielle (densification, optimisation) et marchande ainsi qu’aux nouvelles technologiesde l’information et de la communication (smart cities). Cette orientation qui prône unnouveau paradigme d’organisation spatiale en Europe génère toutefois de nouvellesformes de déséquilibres, d’inégalités spatiales et de relégations territoriales, notammentdans les villes petites et moyennes insuffisamment connectées aux pôles de l’économiemondiale.

Après avoir brièvement rappelé les évolutionsrécentes de la politique régionale européenneet son rattachement à la stratégie Europe2020, nous montrerons que la nouvellepolitique s’appuie sur les agglomérationsurbaines et en particulier sur les métropolesqui présentent des caractéristiques spécifiqueset des avantages en matière économique.L’avantage métropolitain est toutefoiscontrecarré par des fragilités structurelles etdes déséquilibres spatiaux que la politiquerégionale ne peut ignorer.

1. Les villes et les métropoles au cœurde la nouvelle politique régionale de l’Union européenne

Rappelons que les orientations stratégiques del’Union européenne (UE) ont émergé aprèsplusieurs décennies de politique régionale(PRE), notamment depuis la stratégie deLisbonne (2000), Göteborg (2001) et lastratégie Europe 2020. Europe 2020 confirmesa capacité d’orientation générale despolitiques économiques nationales etrégionales de l’UE. Cette prise de positionfait suite à de très nombreux changementsd’objectifs dans le cadre de la PRE, dont lenombre a pu varier entre trois et dix, maisaussi après les orientations stratégiquescommunautaires de 2006 (OSC) et lesanciens programmes d’initiativecommunautaire (PIC) dont URBAN etINTERREG. Il n’existe plus désormaisd’initiatives communautaires parallèles auxinitiatives nationales et régionales puisque

toutes les politiques nationales et régionalesqui interfèrent avec les compétencesexclusives ou partagées de l’UE sont censéesse caler sur une seule et unique stratégiecommunautaire. Cette stratégie dite « Europe2020 » vise « une croissance intelligente,durable et inclusive ». Elle concerne tous lespays, toutes les régions d’Europe à des titresdivers, et se traduit par 11 objectifsthématiques auxquels se rattachent toutes lespolitiques européennes et en particulier lesprogrammes de la PRE. Ces objectifs eux-mêmes se déclinent en indicateurs et par latechnique du benchmarking, conduisent àl’émergence d’une « gouvernance par lesnombres » relayée par les États, les régions etles villes. Rappelons brièvement ces 11objectifs :

1. Renforcer la recherche, le développe-ment technologique et l’innovation ;

2. Renforcer l’accessibilité, l’usage et laqualité des technologies de l’informationet de la communication ;

3. Renforcer la compétitivité des PME etcelle des secteurs agricoles, de la pêcheet de l’aquaculture ;

4. Soutenir la mutation vers une économieà faible teneur en carbone dans tous lessecteurs ;

5. Promouvoir l’adaptation au changementclimatique, ainsi que la prévention et lagestion des risques ;

6. Protéger l’environnement et promouvoirl’efficacité des ressources ;

7. Promouvoir le transport durable etsupprimer les goulets d’étranglement

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR7522, F-67000 Strasbourg, France.

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dans le réseau-clé d’infrastructures ;

8. Promouvoir l’emploi et soutenir lamobilité du travail ;

9. Promouvoir l’inclusion sociale etcombattre la pauvreté ;

10. Investir dans l’éducation, lescompétences et la formation tout au longde la vie ;

11. Renforcer la capacité institutionnelleet une administration publique efficace.

Il ne nous appartient pas ici d’analyserchacun de ces objectifs, disons simplementqu’ils constituent un ensemble qui se veutcohérent, qui semble assez neutre enapparence, mais qui vise à mettre l’ensembledes moyens humains, institutionnels,économiques, techniques nationaux etrégionaux au service d’un modèle dedéveloppement mondialiste, marchéiste,techniciste (à travers les nouvellestechnologies d’information et decommunication, NTIC) mais prétendument «durable » et « inclusif ». Les éventuellescontradictions entre la compétitivité et ladurabilité (bien que nombreuses) ne sont pasexplicitées ; la durabilité apparaît ici commeune nouvelle frontière technologique, unregain de performance dans le cadre d’unmodèle économique capitaliste inchangé(écologie marchande et industrielle).

La politique régionale européenne s’inscritaujourd’hui définitivement dans ce cadregénéral qui faute de fédéralisme politique etd’écologie politique, instaure une forme defédéralisme par les normes économiques.C’est donc à travers ces objectifs decroissance, d’emploi, de compétitivité,d’inclusion socio-économique et dedéveloppement durable que se déploient lesdifférents volets et programmes de lapolitique régionale. Cette orientation a eupour effet, probablement involontaire, deprivilégier et de placer au centre du modèleeuropéen de développement l’espace urbaindense, les agglomérations urbaines les plusimportantes, à savoir, les métropoles. Ladirection générale de la PRE, consciente decette évolution s’appelle désormais« direction générale de la politique régionaleet urbaine ».1

2. Des initiatives urbaines conformes aux objectifs thématiques de l’UE

1 http://ec.europa.eu/dgs/regional_policy/index_fr.htm.

L’Union européenne a trouvé avec les villeset les métropoles les nouveaux interlocuteursqui feront progresser la cause européenne etsa conception particulière du développement.Depuis quelques années, la PRE, dans lecadre de la politique de la cohésion, se tournevers l’urbain :

- Pogrammes URBAN2et programmesURBACT (programme de développementdurable intégré en milieu urbain) pourdévelopper les pratiques urbaines durablesà travers des réseaux de coopération ;3

- Consultations publiques en 2014 et 2015pour impliquer les acteurs urbains dans laconception et la mise en œuvre despolitiques européennes ;

- Programme urbain pour l’UE4 pourrenforcer la place et les fonctions des villesdans la construction européenne ;

- Lancement du programme « Actionsinnovatrices urbaines » ;5

- Agenda urbain (Pacte d’Amsterdam signéen mai 2016) ;

- Création d’un portail guichet unique ;6

- Plébiscite en faveur du renforcement desprérogatives et du pouvoir de décision desautorités locales urbaines, soutien massifaux politiques urbaines nationales etlocales ;

- Création d’une plateforme de donnéesurbaines pour favoriser les bonnespratiques, partenariat avec ONU pour ledéveloppement urbain dans le cadre desobjectifs de développement durable(Habitat II et habitat III), etc..7

Les initiatives européennes en faveur desvilles sont très nombreuses. Une partiesignificative des fonds structurels est

2 Les PIC URBAN I, II et (respectivement despériodes 2000-2006, 2007-2013) étaient destinés auxquartiers urbains en crise.3 http://urbact.eu/urbact-another-paradigm-european-cities.4 http://ec.europa.eu/regional_policy/fr/newsroom/news/2016/05/30-05-2016-the-urban-agenda-for-the-eu-european-cities-get-their-say-in-eu-policy-making.5 Dotées d’un budget de 371 millions d’euros pour lapériode 2015-2020, l’objectif étant d’encourager lesvilles à expérimenter des projets innovants.6 http://ec.europa.eu/regional_policy/en/policy/themes/urban-development/portal/#38.7 Les objectifs de développement durable (ODD)adoptés par l’Assemblée Générale des Nations Uniesen 2015.

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désormais fléchée « développement urbain ».Comme le souligne Mme Corina Crețu(commissaire en charge de laPRE) : « L’Union ne pourra atteindre lesobjectifs ambitieux qu’elle s’est fixés qu’avecle soutien et la participation active de sesvilles ».

De fait la Commission européenne reprendl’argumentaire développé il y a quelquesannées déjà par la Banque mondiale etl’OCDE : désormais une fraction croissantede la population européenne (mais aussimondiale) est désormais urbaine (environ 80%) et les grands centres urbains génèrent unepart croissante de la richesse, de l’emploi, etsurtout de l’innovation. Pour toutes cesraisons, le pouvoir de décision et d’initiativedes villes doit être fortement renforcé si l’onveut atteindre les objectifs européens decroissance et de compétitivité. La périodeactuelle de programmation (2014-2020) de laPRE consacre déjà une part importante de sesmoyens financiers à encourager des centainesde projets socioéconomiques à caractèreurbain visant à concrétiser les smart citiesdurables et compétitives. La prochainepériode de programmation pluriannuelle desfonds structurels, si elle est reconduite (2020-2026), mettra encore davantage l’accent surles initiatives urbaines et les NTIC pourréaliser ses objectifs à la fois macro-économiques (croissance, compétitivité,inclusion) et de développement durable(smart cities pouvant garantir la qualité del’air, la mobilité durable, la transitionénergétique, etc.). Mais l’impulsion apportéepar l’Union européenne aux initiativesurbaines transforme en profondeur l’armatureurbaine elle-même et le fonctionnement desrégions. Elle marque le passage d’un modèlepolycentrique, égalitaire à un modèle polarisémais profondément inégalitaire et morcelé.Elle conduit à distinguer parmi les villes,celles qui offrent la meilleure contribution audéveloppement régional et national, celles quiapparaissent comme les véritables « moteursde la compétitivité durable » (Van den Berg,Van der Mer et Carvalho, 2014) : lesmétropoles.

La métropole : un modèle d’organisationéconomique et spatiale en émergence dans lemonde, en Europe et en France

Les métropoles se sont, si l’on peut dire,remises en marche, dans le monde, en Europecomme en France. Elles progressent à la foisd’un point de vue formel (en tant que modèlespatial), mais aussi concret (elles semultiplient et continuent sauf exception, de

croître et de s’étendre) et institutionnel.8 Ellesdémontrent une reconfiguration spatialegénérale associée aux transformationsmajeures de l’économie et un regain d’intérêtdes aménageurs-développeurs pour le faiturbain, par-delà l’Etat et la région. Il ne s’agitpas de n’importe quel fait urbain cependantmais de systèmes urbains très connectés etentièrement intégrés à l’économiemondialisée. Elles constituent des« territoires » d’un nouveau genre, hybridesentre le national et le global, des « glocalitésmultisituées » (Ghorra-Gobin 2015). Ellessuscitent beaucoup d’engouement mais ausside questions et d’inquiétudes. La métropolepar tous ses aspects reflète l’état du mondeactuel, ses évolutions, ses forces, ses enjeux,ses faiblesses, ses contradictions. Elle reflètesurtout la conception actuelle des territoires,portée par l’Europe et les gouvernementsnationaux, territoires désormais enrôlés dansla sphère économique dans un jeuininterrompu d’échanges, de mobilités et deconcurrences. Elle constitue le modèle urbaind’organisation, aujourd’hui dominant (autourd’un pôle urbain, d’une ville centrale), quifaçonne l’espace national et régional etentraine l’économie générale. Dans le cadrede la métropolisation, la ville dense estpleinement intégrée au système productifmondialisé. La métropolisation constitue parconséquent le processus majeur dansl’évolution de l’organisation territoriale.

Que vaut ce modèle d’organisation spatial ?Est-il comme on le dit souvent, la locomotivede la prospérité ? Est-il durablement viable ?A qui est-il profitable ? Est-il inclusif ? Peut-il intégrer des espaces et des populations, enun mot, faire territoire et faire société ? Maisd’abord que sont les métropoles et qu’est-cequi les caractérise ? Depuis que lesmétropoles sont évoquées, dans l’acceptioneuropéenne du terme, le nombre demétropoles a fortement progressé.9 Elles

8 En France, après les lois de la réforme territoriale enFrance (2010-2015) le nombre de métropoles s’estspectaculairement accru. On dénombrait, 1 métropoleinstitutionnelle en 2012, 11 en janvier 2015, 15 enjuillet 2016 et 22 métropoles en décembre 2016. Les13 métropoles homologuées au 1er janvier 2016regroupaient 676 communes et 15,3 millionsd’habitants. En outre la loi du 16 décembre 2010révisée par celle du 27 janvier 2014 permet deconstituer un « pôle métropolitain » à partir d’unétablissement public de coopération intercommunale de 50 000 habitants. Les régions et les départementspeuvent y adhérer.9 L’approche et la perception des métropoles diffèrentquelque peu selon les pays et les continents. SelonCynthia Ghorra-Gobin, la métropolisation en Europecomme en France est fortement associée à ladécentralisation. Aux USA par contre, elle renvoie

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n’étaient au départ que trois villes mondiales :New-York, Tokyo et Londres. A partir desannées 1975, lorsqu’un nouveau processusd’urbanisation, associé à la création derichesses et à la mondialisation, a commencéà se généraliser, leur nombre s’est accru, pourinclure, Paris, Rotterdam, Anvers, Dortmund,Berlin, Helsinki, Budapest, Manchester,Barcelone, Osaka, Los Angeles, Chicago, SanFrancisco, Hong Kong, Shanghai, Pékin,Séoul, Dubaï, Buenos Aires, Montréal, etc., etbien d’autres mégapoles et conurbationspolycentriques. Il n’existe évidemment pas untype unique de développement urbainmétropolitain. On peut distinguer plusieursconfigurations (Mongin 2013). Elles ontcependant des points communs. Ces villes etrégions métropolitaines ont pour la plupart vuleur population s’accroître de plusieursmillions d’habitants et concentreraient, selonles travaux en économie urbaine (Derycke1999, Halbert 2009, Héraud 2015, et Veltz2015) l’essentiel de la création de richesse(VA), de la croissance économique nationalenotamment par l’innovation, dans le domainede l’économie de la connaissance. C’est« l’avantage métropolitain ». L’engouementpour ce type d’organisation urbaines’accompagne souvent d’un regain deconfiance dans la capacité des métropoles àapporter des solutions novatrices auxproblèmes rencontrés. Comme le disait déjàMichel Giraud en 1987 : « Si l’on reprocheaux métropoles d’être des lieux à risque,sources de pollution, de maladies, de misèreou de délinquance, force est de reconnaîtrequ’elles savent aussi engendrerl’imagination, le progrès scientifique etsocial, la culture, l’art, et souvent le mieux-vivre des hommes. » (Giraud 1987). Cetteposition est encore largement partagéeaujourd’hui par la Commission européenne(Commission européenne / ONU 2016)

Le débat reste toutefois ouvert car les socio-professionnels en charge du développementcomme les chercheurs, issus de plusieursspécialités (aménagement, économierégionale, urbanisme), soulèvent desproblématiques variées et apportent desarguments multiples et contrastés quant à ce

davantage à la formation de pôles périurbains (edgecity), à un phénomène de suburbanisationéconomique non planifié (spontané), associé à larévolution technologique (business suburbanization)ayant entrainé un besoin d’aménagement concerté etd’intégration politique (Metropolitan planningorganizations, Metropolitan Opportunity Institute,metropolitan areas, etc.).

modèle spatial d’organisation qui est à la foiséconomique, social et transnational. Lamétropole désigne à la fois un modèle urbaind’organisation polarisé, régionalement etinternationalement interconnecté(essentiellement à d’autres métropoles dans lemonde) prioritairement dédié à l’économie età l’innovation (essentiellement via les NTIC)ainsi qu’un processus dynamique deconcentration croissante de fonctions,10 deressources et de populations (lamétropolisation).11 Ce processus deconcentration s’effectue au détriment d’ungrand nombre de communes, notamment devilles moyennes, en déshérence, ou en coursde dévitalisation parce que déconnectées ouinsuffisamment connectées à l’économiemondiale.

3. Le problème des villes moyennes etla nécessaire réorientation de la PRE

« L’Avantage métropolitain » (Halbert, 2009)met principalement en exergue la dimensionéconomique, notamment l’efficacitéproductive et la puissance créative desmétropoles dans le contexte d’une conceptionparticulière du monde (entérinée par lesinstitutions européennes) : celle d’unecompétition territoriale transnationale. Ladimension économique comme lamondialisation sont en effet constitutives desmétropoles et « l’avantage métropolitain » estde ce point de vue, en partie démontré. Ilconvient cependant d’intégrer d’autresconsidérations. Il nous faut prendre encompte les transformations de l’organisationspatiale qui accompagnent ce modèle, sondegré de fragilité systémique, notamment dupoint de vue énergétique et environnemental,la hiérarchisation et la fragmentation del’espace, en particulier le statut du périurbaindans ses relations avec les pôles urbains10 L’INSEE a retenu en 2009, au vu d’un indice despécificité plus élevé dans les grandes villes, 5fonctions spécifiquement métropolitaines :Conception-recherche, prestations intellectuelles,commerce inter-entreprises, gestion, culture-loisirs...11 L’INSEE a un temps défini la métropolisationcomme « le processus qui conduit une ville à perdredes actifs au profit d’une ville en comptantdavantage » (La métropolisation des emplois, INSEEPREMIERE n°349, décembre 1994).

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centraux, ainsi que la perte d’influence desvilles moyennes. On peut également aborderla dimension politique de l’organisationmétropolitaine (sa gouvernance encoreincertaine et peu démocratique) ainsi que lesphénomènes sociaux associés : lesconséquences de la fin de l’égalité formelledes territoires, la ségrégation socio-spatiale,la formation d’une mosaïque sociale, lagentrification de certains quartiers centraux,la « clubbisation de la vie urbaine », ladéfiance croissante à l’égard des modèlesactuels de développement et lescomportements de sécession des élites ou vis-à-vis des élites, des instances de médiation(éducation, information, justice, recherche,etc.) et des pouvoirs publics. Toutes cesévolutions appellent à leur tour, la mise enplace de nouveaux dispositifs derééquilibrage et de cohésion territoriale(protocoles de coopération, contrats deréciprocité ville-campagne) et une réflexiongénérale sur les effets de la transformationdes territoires en zones économiquesproductives ou de chalandise, fonctionnelleset spécialisées. Comme la performanceéconomique n’assure pas automatiquement lacohérence territoriale et la cohabitation, il estlégitime de se demander si les métropolespourront faire territoire.

4. Conclusion

La métropole constituerait la réponseterritoriale la mieux adaptée aux contrainteséconomiques du moment. Il est toutefoispertinent de se demander à quel prix ? Pourcertains auteurs (Halbert 2009, Veltz 2015,Van den Berg 2014, et Héraud 2015), cesperformances économiques avérées, il neresterait qu’à ajouter une couche de multi-gouvernance pour amorcer un tournant social,faire société et territoire. Pour d’autresauteurs en revanche (Burgel 2015, Bouba-Olga et Grossetti 2015, Guilluy 2016, etSassen 2016), la métropole ne tient pasréellement ses promesses. Si elle correspondbien à une création territoriale fondéeprioritairement sur une certaine conceptionéconomique qui concentre et mobilise desressources locales au profit de certains lieux(approche place-based) et de quelques acteurstransnationaux, elle contribue à généraliser laconcurrence territoriale et ignore ce qu’ellen’intègre pas. De fait elle conduit, par une

interconnexion sélective (les métropoles viales NTIC entretiennent davantage de relationsavec d’autres métropoles mondiales qu’aveccertaines communes de leur proprehinterland) à un phénomène d’ubérisationurbaine et génère en pratique pour certains deses quartiers comme pour les populationshors-métropoles, de nombreux problèmeséconomiques, écologiques, sociaux etterritoriaux. En clair, des populations et desespaces qui ne se résument pas au clivagemétropoles/périphéries, sont exclus ou fontsécession et génèrent de nouvelles relégations(Benbassa et Attias 2017). Certes la PRE del’Union européenne s’inscrit dans une volontéde croissance durable et inclusive mais ellecontribue par ses prémisses mêmes, àrenforcer les phénomènes d’inégalitéssociales et spatiales (en particulier ladévitalisation des villes moyennesinsuffisamment connectées ouinsuffisamment compétitives). Unereconsidération des priorités de la PREs’avère ainsi nécessaire.

Références bibliographiquesBenbassa, E., & J.-C. Attias (dir.), (2017),

Nouvelles relégations territoriales, CNRSEditions.

Bouba-Olga, O., & M. Grossetti(2015), « Lamétropolisation, horizon indépassable de lacroissance économique ? », Revue de l’OFCEn°143, 117-144.

Bourdin, A. (dir.) (2015), La métropole fragile,POPSU / Le Moniteur.

Burgel, G. (dir.) (2015), Essais critiques sur laville, Infolio.

Derycke, P.-H. (1999) « Comprendre lesdynamiques métropolitaines » dans C. Lacour& S. Puissant (dir.), La métropolisation.Croissance, diversité, fractures, Anthropos, 1-19.

European Commission /UNO Habitat (2016), The State of European Cities, http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/policy/themes/cities-report/state_eu_cities2016_en.pdf.

Eurostat (2016), Urban Europe, http://ec.europa.eu/eurostat/en/web/products-statistical-books/-/KS-01-16-691.

Ghorra-Gobin, C. (2015), La métropolisation enquestion, PUF.

Guilluy, C. (2016), Le crépuscule de la Franced’en Haut, Flammarion.

Halbert, L. (2009), L’Avantage métropolitaine,PUF.

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Héraud, J.-A. (2015), « De l’économie de laconnaissance à la théorie de la créativité »,dans E. Champagnac-Ascher (dir.), Economiede la connaissance. Une dynamiquemétropolitaine ? 115-135. POPSU, Antony :Le Moniteur.

INSEE (2016), Analyse fonctionnelle desemplois et cadres des fonctionsmétropolitaines de 1982 à 2013,https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893116.

Mongin, O. (2013), La ville des flux. L’envers etl’endroit de la mondialisation urbaine. Fayard

OFCE (2015), Nouvelle économie régionale et réforme territoriale. Revue de l’OFCE n°143.

Pinson, G. (2010), « Des métropolesingouvernables aux métropolesoligarchiques », dans DATAR 2040 n°1,Aménager le changement, 65-69.

Sassen, S. (2016), Expulsions. Brutalité etcomplexité dans l’économie globale,Gallimard.

Veltz, P. (2015), communication aux Matinéesdu CGEDD « Métropoles et territoires»,Actes : http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/matinee_metropole_territoire_vers_def1_CR_cle616246.pdf.

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Les ouvrages collectifs publiés par l’OPEE

Les politiques économiques européennes

Sous la direction de Michel Dévoluy & Gilbert Koenig, 2e édition, Editions du Seuil, 2015.

Ce livre couvre tous les champs de la politiqueéconomique européenne (budget, monnaie,emploi, agriculture, industrie, élargissement,coopération internationale, etc.). Pour chaquepolitique, il décrit ses fondements, ses résultats,ses problèmes et ses perspectives.

Ouvrage deréférencecomplet etaccessible àun largepublic, ilconcerneaussi bien lesétudiants queles citoyenssoucieux decomprendrevraiment despolitiques qui,plus quejamais, setrouvent aucœur des plusvifs débats.

Cette nouvelleédition est

très largement refondue pour tenir compte desbouleversements institutionnels et politiquessurvenus après l’échec du projet de Constitutioneuropéenne (2005) et depuis la crise financièrede 2008.

Les auteurs sont des enseignants-chercheurs del’université de Strasbourg. Ils sont membres del’Observatoire des politiques économiques enEurope (OPEE) qui est rattaché au Bureaud’économie théorique et appliquée (BETA).L’ouvrage est dirigé par Michel Dévoluy etGilbert Koenig, tous deux professeurs éméritesà l’université de Strasbourg.

www.lecerclepoints.comCouverture : © John Foxx/Getty ImagesÉditions Points, 25 bd Romain-Rolland, Paris14. ISBN 978.2.7578.5041.1/Imp. en France01.15 – 10,50€

L’Europe économique et sociale : Singularités, doutes et perspectives

Sous la direction de Michel Dévoluy &Gilbert Koenig, Presses Universitaires deStrasbourg, 2011.

L’évolution future du système européen peutse placer dans la continuité sous réserve dequelques réformes destinée à améliorer lagestion des crises économiques et de rassurerles marchés financiers. Elle peut également seréaliser à la faveur de changements plusprofonds qui permet- traient notamment derapprocher le système de la conception despères de l’Europe.

L’analyse de l’orientation actuelle du systèmeéconomique et social européen permetd’évaluer le bien fondé d’une telle conception.De plus, elle lève certaines ambiguïtés,notamment celle qui porte sur la relation entrel’économique et le social. Enfin, en évaluantles performances du système et sa gestion de

la crise économique de 2008-2009, elle permetde comprendre les inquiétudes que suscite sonfonctionnement.

Le système économique et social européensuscite des interrogations et des doutes quirésultent surtout des ambiguïtés qui pèsent surla nature de ses objectifs et sur sa finalité. Ces

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ambiguïté ont émaillé toute l’histoire dudéveloppement du projet européen qui esttraversée par des tensions entrel’intergouvernemental et le fédéral, par desrivalités entre les approches libérales etinterventionnistes et par des oppositions entrel’Europe des élites et l’Europe des peuples.Ces conflits résultent essentiellement desdifficultés à trouver une voie satisfaisante pourassurer l’intégration européenne. Jean Monneta joué un rôle particulièrement important danscette recherche en essayant de faire passerdans les idées et les faits sa conception del’intégration européenne par la voieéconomique. On peut voir une application decette conception dans la création d’une unionmonétaire européenne.

Éditeur : Presses universitaires de StrasbourgSupport : Livre broché, 24€Nb de pages : 320 p.ISBN-10 : 2-86820-476-7 ISBN-13 :978-2-86820-476-9 GTIN13 (EAN13) : 9782868204769

L’Euro, vecteur d’identité européenneSous la direction de Gilbert Koenig, PressesUniversitaires de Strasbourg, 2002. (N° ISBN2-86420-201-2)

L’euro peut s’imposer durablement dansl’espace européen non seulement à cause deses avantages économiques, mais aussi grâce àsa capacité de susciter un sentimentd’appartenance à cet espace.

Cet ouvrage se propose d’étudier dans uneperspective historique et économique,comment l’instauration de l’euro peutcontribuer au développement d’un telsentiment. En tant que monnaie commune àplusieurs pays, l’euro établit des liens sociaux,économiques et juridiques entre lesEuropéens, ce qui suscite un sentimentd’attachement à une communauté. De plus, ildélimite l’espace européen vis-à-vis du restedu monde, ce qui favorise l’affirmation d’uneappartenance des citoyens à l’Europe parrapport à l’extérieur.

Cette affirmation se traduit notamment par unevolonté de détenir une monnaie forte etsusceptible de jouer un rôle important dans lesystème monétaire international. En tant quefacteur d’intégration, l’euro façonne uneorganisation économique, politique et socialeà laquelle les Européens peuvent s’identifier.Ce rôle s’exerce essentiellement parl’intermédiaire de la Banque centraleeuropéenne qui gère la monnaie commune, del’agencement des politiques macro-économiques que celle-ci engendre et desrelations de travail qui s’établissent dansl’union monétaire.

Éditeur : Presses universitaires de StrasbourgSupport : Livre broché, 22€Nb de pages : 336 p.ISBN-10 : 2-86820-201-2ISBN-13 : 978-2-86820-201-7

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O B S E R V A T O I R E D E S P O L I T I Q U E S E C O N O M I Q U E S E N

E U R O P E

Pôle européen de gestion et d’économie (PEGE), 61 avenue de la forêt Noire, 67085 Strasbourg Cedex.Site Internet : http://opee.unistra.fr

Directeur de la publication : Michel Dévoluy, Chaire Jean MonnetImprimé dans le cadre de l’Université de Strasbourg. Numéro ISSN. 1298-1184

Co-responsabilité de l’OPEE : Michel Dévoluy et Gilbert Koenig

Ont participé à la rédaction de ce bulletin : Damien Broussolle, Université de Strasbourg (LaRGE) –Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) – Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA) –Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA) – René Kahn, Université de Strasbourg (BETA ) –Fanny Loux, SaarLB – Nicolas Mazuy, Université de Strasbourg (BETA) – Phu Nguyen-Van, Université

de Strasbourg (BETA) – Thi Kim Cuong PHAM, Université de Strasbourg (BETA).

Conception graphique : Pierre Roesch, Strasbourg

Mise en page : Meixing Dai

Appel à contributions pour le Bulletin

Le Bulletin de l’OPEE qui est répertorié dans la basebibliographique REPEC fait appel à des contributions. Despropositions d’articles portant sur la construction de l’Unioneuropéenne et ses politiques économiques et sociales sont lesbienvenues. Ces articles, précédés d’un bref résumé (destiné àintroduire l’article dans le bulletin), ne doivent pas dépasser4 000 mots. Les auteurs seront informés rapidement de ladécision prise par le Comité de rédaction sur leurs propositions.Envoyez vos contributions à [email protected].