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Entretien avec Georg Nigl Après Paris, Bruxelles, Dijon et Aix-en-Provence, le baryton autrichien Georg Nigl présente à la MC2: Grenoble Le Voyage d’hiver de Schubert, dans une version mise en scène par le Néerlan- dais Johan Simons, agrémentée de pièces de musique contemporaine signées Mark Andre. Une approche originale pour un chanteur hors du commun. Parlez-nous de votre parcours. Georg Nigl Je suis né à Vienne en Autriche. Très tôt, j’ai su que je voulais devenir chanteur. Nous habitions à côté des Petits Chanteurs de Vienne et j’ai demandé à ma mère d’intégrer cette école : en 1982, après avoir réussi l’examen d’entrée, je suis devenu soprano solo au sein de cet ensemble. En 1988, ma voix a mué et, à l’âge de 16 ans, je suis entré, en tant que comédien, dans la troupe du Burgtheater de Vienne. J’ai ensuite étudié à la Haute École de Musique de Vienne, que j’ai quittée au bout de trois ans, l’approche étant, selon moi, trop scolaire et pas assez artistique. J’ai alors suivi des leçons privées auprès de la soprano allemande Hilde Zadek. Comment définissez-vous votre voix ? G. N. Je me définis comme baryton lyrique même si, en France, vous parleriez plus de baryton léger. Toutefois, je ne pense jamais en termes de tessiture car je me rap- proche avant tout de la musique qui me touche, ayant ainsi chanté plusieurs fois Wozzeck, un rôle, a priori, pas adapté à ma voix. Je refuse que l’on me mette dans des cases comme tend à le vouloir notre époque. Vous êtes baryton. Or Le Voyage d’hiver a été écrit pour une voix de ténor. Parlez-nous de cette version d’origine. G. N. À l’époque de la création, les lieder étaient donnés en privé, devant un cercle intime, et non dans de vastes salles de concert comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut également rappeler que la conception de la voix de ténor était différente au 18e siècle : le créateur de l’œuvre, le ténor Vogel, chantait aussi des rôles de baryton, d’autant que le diapason était plus bas qu’aujourd’hui et que nous ne savons pas si, dans les années 1820, les barytons légers chantaient plus en voix de tête ou de poitrine. Pour toutes ces raisons, Le Voyage d’hiver ne doit, à mon sens, pas nécessairement être interprété par une voix de ténor. Comment en êtes-vous venu à accepter d’interpréter Le Voyage d’hiver dans une version mise en scène ? G. N. J’ai toujours été intéressé par les idées nouvelles en matière de musique classique. C’est aux Bouffes du Nord, alors que je donnais mon récital O Mensch, une création de Pascal Dusapin, également auteur de la mise en scène, qu’Hervé Boutry, directeur de l’Ensemble Intercontemporain m’a proposé de chanter Le Voyage d’hiver en version scénique. Il souhaitait y intercaler des pièces instrumentales du compositeur Mark Andre (né en 1964). J’ai d’abord été intrigué : c’était un peu comme si un artiste d’aujourd’hui avait voulu apposer ses toiles sur le plafond de la chapelle Sixtine ! Heureusement, les pages de Mark Andre sont très en lien avec la musique de Schubert dont, à mon sens, elles facilitent la compréhension. Concernant la mise en scène, je n’aurais jamais accepté de chanter Le Voyage d’hiver comme un opéra et en cela, j’aime aussi beaucoup le travail de Johan Simons qui, même s’il y a bien une narration, ne raconte pas d’histoire à proprement parler. Enfin, la scénographie du plasticien belge Michaël Borremans est si belle que j’ai tout de suite accepté la proposition. Quel rapport le piano entretient-il avec la voix ? G. N. Chez Schubert, cette question est toujours très inté- ressante. Schubert était un bon chanteur et un accompa- gnateur accompli. Dans les lieder, la voix et le piano sont donc intimement liés - aucun ne prime sur l’autre – et cette musique requiert des deux interprètes une étroite collaboration ce que je retrouve chez Andreas Staier. Comme les autres pianistes avec lesquels je travaille, Andreas Staier n’est pas spécialisé dans les lieder mais pratique aussi la musique de chambre, ce qui est très profitable. Grand intellectuel, excellent pianiste, il est doté d’une réelle ouverture d’esprit, essayant toujours de comprendre l’œuvre à partir de son histoire. Quels sont vos projets ? G. N. Je viens de chanter Orfeo de Monteverdi, mis en scène par la chorégraphe allemande Sasha Waltz, à l’Opéra des Pays-Bas à Amsterdam et au Grand Théâtre de Luxembourg, et m’apprête à interpréter Jakob Lenz de Wolfgang Rihm, que j’adore, à Stuttgart, puis à la Monnaie de Bruxelles. À Bruxelles, je vais ensuite créer, après Faustus, the Last Night en 2006 au Staatsoper de Berlin et Passion en 2008 au Festival d’Aix-en-Provence, Penthesilea de Pascal Dusapin tirée du drame de Kleist, Penthésilée, et donner La Belle Meunière en récital. Samedi 24 janvier 19h30 L’ÂME ALLEMANDE BARYTON GEORG NIGL PIANO ANDREAS STAIER ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN DIRECTION JULIEN LEROY MISE EN SCÈNE JOHAN SIMONS © MC2: – Extraits des propos recueillis et traduits de l’anglais par Anne Le Nabour Le 10 décembre 2014

Entretien avec Georg Nigl

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L'Âme allemande, le 24 janvier 2015 à la MC2

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Entretien avec Georg Nigl

Après Paris, Bruxelles, Dijon et Aix-en-Provence, le baryton autrichien Georg Nigl présente à la MC2: Grenoble Le Voyage d’hiver de Schubert, dans une version mise en scène par le Néerlan-dais Johan Simons, agrémentée de pièces de musique contemporaine signées Mark Andre. Une approche originale pour un chanteur hors du commun.

Parlez-nous de votre parcours.Georg Nigl Je suis né à Vienne en Autriche. Très tôt, j’ai su que je voulais devenir chanteur. Nous habitions à côté des Petits Chanteurs de Vienne et j’ai demandé à ma mère d’intégrer cette école : en 1982, après avoir réussi l’examen d’entrée, je suis devenu soprano solo au sein de cet ensemble. En 1988, ma voix a mué et, à l’âge de 16 ans, je suis entré, en tant que comédien, dans la troupe du Burgtheater de Vienne. J’ai ensuite étudié à la Haute École de Musique de Vienne, que j’ai quittée au bout de trois ans, l’approche étant, selon moi, trop scolaire et pas assez artistique. J’ai alors suivi des leçons privées auprès de la soprano allemande Hilde Zadek.

Comment définissez-vous votre voix ?G. N. Je me définis comme baryton lyrique même si, en France, vous parleriez plus de baryton léger. Toutefois, je ne pense jamais en termes de tessiture car je me rap-proche avant tout de la musique qui me touche, ayant ainsi chanté plusieurs fois Wozzeck, un rôle, a priori, pas adapté à ma voix. Je refuse que l’on me mette dans des cases comme tend à le vouloir notre époque.

Vous êtes baryton. Or Le Voyage d’hiver a été écrit pour une voix de ténor. Parlez-nous de cette version d’origine.G. N. À l’époque de la création, les lieder étaient donnés en privé, devant un cercle intime, et non dans de vastes salles de concert comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut également rappeler que la conception de la voix de ténor était différente au 18e siècle : le créateur de l’œuvre, le ténor Vogel, chantait aussi des rôles de baryton, d’autant que le diapason était plus bas qu’aujourd’hui et que nous ne savons pas si, dans les années 1820, les barytons légers chantaient plus en voix de tête ou de poitrine. Pour toutes ces raisons, Le Voyage d’hiver ne doit, à mon sens, pas nécessairement être interprété par une voix de ténor.

Comment en êtes-vous venu à accepter d’interpréter Le Voyage d’hiver dans une version mise en scène ?G. N. J’ai toujours été intéressé par les idées nouvelles en matière de musique classique. C’est aux Bouffes du Nord, alors que je donnais mon récital O Mensch, une création de Pascal Dusapin, également auteur de la mise en scène, qu’Hervé Boutry, directeur de l’Ensemble

Intercontemporain m’a proposé de chanter Le Voyage d’hiver en version scénique. Il souhaitait y intercaler des pièces instrumentales du compositeur Mark Andre (né en 1964). J’ai d’abord été intrigué : c’était un peu comme si un artiste d’aujourd’hui avait voulu apposer ses toiles sur le plafond de la chapelle Sixtine ! Heureusement, les pages de Mark Andre sont très en lien avec la musique de Schubert dont, à mon sens, elles facilitent la compréhension. Concernant la mise en scène, je n’aurais jamais accepté de chanter Le Voyage d’hiver comme un opéra et en cela, j’aime aussi beaucoup le travail de Johan Simons qui, même s’il y a bien une narration, ne raconte pas d’histoire à proprement parler. Enfin, la scénographie du plasticien belge Michaël Borremans est si belle que j’ai tout de suite accepté la proposition.

Quel rapport le piano entretient-il avec la voix ? G. N. Chez Schubert, cette question est toujours très inté-ressante. Schubert était un bon chanteur et un accompa-gnateur accompli. Dans les lieder, la voix et le piano sont donc intimement liés - aucun ne prime sur l’autre – et cette musique requiert des deux interprètes une étroite collaboration ce que je retrouve chez Andreas Staier. Comme les autres pianistes avec lesquels je travaille, Andreas Staier n’est pas spécialisé dans les lieder mais pratique aussi la musique de chambre, ce qui est très profitable. Grand intellectuel, excellent pianiste, il est doté d’une réelle ouverture d’esprit, essayant toujours de comprendre l’œuvre à partir de son histoire.

Quels sont vos projets ? G. N. Je viens de chanter Orfeo de Monteverdi, mis en scène par la chorégraphe allemande Sasha Waltz, à l’Opéra des Pays-Bas à Amsterdam et au Grand Théâtre de Luxembourg, et m’apprête à interpréter Jakob Lenz de Wolfgang Rihm, que j’adore, à Stuttgart, puis à la Monnaie de Bruxelles. À Bruxelles, je vais ensuite créer, après Faustus, the Last Night en 2006 au Staatsoper de Berlin et Passion en 2008 au Festival d’Aix-en-Provence, Penthesilea de Pascal Dusapin tirée du drame de Kleist, Penthésilée, et donner La Belle Meunière en récital.

Samedi 24 janvier 19h30

L’ÂME ALLEMANDEBARYTON GEORG NIGLPIANO ANDREAS STAIER

ENSEMBLE INTERCONTEMPORAINDIRECTION JULIEN LEROY

MISE EN SCÈNE JOHAN SIMONS

© MC2: – Extraits des propos recueillis et traduits de l’anglais par Anne Le Nabour Le 10 décembre 2014