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Page 1 Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, professeur du service éducatif : [email protected] , Contacts relations publiques : Margot Linard : [email protected] Jérôme Pique : [email protected] er pédagogique Dossier pédagogique 85LeBoutdelaroute©RegisNardoux L L e e B B o o u u t t d d e e l l a a r r o o u u t t e e de Jean Giono mise en scène François Rancillac Représentations du 29 mars au 1 er avril 2011

er pédagogique Dossier pédagogique - Le réseau de … · 2011-11-09 · Théâtre de l’Aquarium Le Fanal, ... sa belle-mère vit cloîtrée dans le noir de sa chambre, ... qui

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Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, professeur du service éducatif : [email protected], Contacts relations publiques : Margot Linard : [email protected] Jérôme Pique : [email protected]

er pédagogique

Dossier pédagogique

85LeBoutdelaroute©RegisNardoux

LLee BBoouutt ddee llaa rroouuttee de Jean Giono

mise en scène François Rancillac

Représentations du 29 mars au 1er avril 2011

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de Jean Giono

mise en scène François Rancillac

dramaturgie Frédéric Révérend

scénographie Jacques Mollon

lumière Cyrille Chabert

son Daniel Cerisier, Fabrice Drevet

création bayan (accordéon) Olivier Innocenti

costumes Ouria Dahmani-Khouhli

Avec

Eric Challier, Jean

Charlotte Duran, Mariette

Jean-Pierre Laurent, Barnabé

Tommy Luminet, Albert

Claudine Baschet, La Grand-mère

Tiphaine Rabaud-Fournier, Mina

Emmanuelle Stochl, Rosine

production

La Comédie de Saint-Etienne – Centre dramatique national

Théâtre de l’Aquarium

Le Fanal, Scène nationale de Saint-Nazaire

Le texte de la pièce est édité chez Folio/Gallimard.

Ce spectacle est dédié à Paule Annen.

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LLee BBoouutt ddee llaa rroouuttee

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Synopsis page 4

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SSyynnooppssiiss

Par une nuit d’hiver, en pleine montagne, ça toque à la porte ! Entre, sans qu’on l’y invite, un grand

gaillard au sourire fêlé et à la parole douce, tout étonné lui-même d’être parmi des humains. « Est-ce ici

le bout de la route ? », il demande, ainsi qu’un peu de repos pour la nuit, et de l’ouvrage pour demain.

Rosine, la patronne, le dévisage en silence : la faucheuse lui a ravi coup sur coup son mari et son aînée.

Depuis, sa belle-mère vit cloîtrée dans le noir de sa chambre, piaulant sa douleur toute la sainte journée.

Sa cadette, Mina, est bien fiancée à l’Albert, qui est brave berger, mais sera-t-il de taille pour tenir la

ferme ? Alors, contre toute attente, la rêche Rosine accueille l’étranger, et lui promet du labeur jusqu’à

plus soif. Voilà comment Jean fit halte parmi les vivants…

Ce n’est pas que Jean travaille : il se saoule de travail. Du matin au soir, il remue la terre, bat le blé, pétrit

le pain, soigne les bêtes, coupe du bois ou monte des murs comme s’il voulait se dissoudre dans l’effort

et la sueur. Au village, il a tôt fait d’être aimé de tous, jeunes et vieux, car Jean sait pour chacun, d’un

grand rire ou d’un mot juste, délester les cœurs et redonner espoir. À son côté, on se sent comme

revivre : même la grand’mère est sortie de sa retraite endeuillée pour venir lui parler !

Mais pourquoi Jean reste-il si solitaire ? On dit qu’il parle tout haut parfois, la nuit, des heures à

converser avec une femme imaginaire – sa propre femme, justement, d’après certains, celle qu’il a fuie

en apprenant qu’elle le trompait avec un autre homme…

Enfin arrive le printemps si longtemps désiré, et la nature est éclaboussante de vitalité. Mina, elle,

s’étiole, consumée par son amour pour Jean qu’elle cache de moins en moins, que chacun sait au

village, sauf l’intéressé qui ne voit rien... Albert a renoncé, Rosine a alerté Jean, Mina a ravalé toute

pudeur pour se déclarer, mais rien n’y fait : quand Jean réalise enfin la situation, il attrape son baluchon

et reprend la route en s’excusant : avec sa femme, il ne fait plus partie du monde des vivants…

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LLEE PPRROOJJEETT AARRTTIISSTTIIQQUUEE

PPrréésseennttaattiioonn ddee llaa ppiièèccee

ppaarr llee mmeetttteeuurr eenn ssccèènnee :: FFrraannççooiiss RRaanncciillllaacc RReennaaiissssaannccee

Nombre de romans de Giono d’avant-guerre, contemporains du Bout de la route (1931), racontent une

re-naissance. Que ce soit un village abandonné qui se repeuple grâce à la rencontre d’un paysan et

d’une « fille de rien » (Regain), une famille desséchée par la honte qui reprend vie grâce à l’amour fou

d’un ouvrier agricole pour la « fille perdue » de la maison (Un de Baumugnes), ou tout un plateau

provençal désertifié peu à peu réinvesti par la nature, les cultures, les animaux et les oiseaux, grâce à

l’enthousiasme d’un poète acrobate (Que ma joie demeure), etc. – chaque fois il s’agit d’une victoire de

la vie sur la mort : l’eau re-circule dans les veines de la terre, le désir irrigue à nouveau les corps, et c’est

un recommencement.

Il en est d’abord ainsi dans Le Bout de la route : la ferme, où Jean atterrit un soir, au hasard de sa

marche, est comme tétanisée par le deuil. Le maître de la maison a brutalement péri il y a quelques

années, suivi tout récemment par sa fille aînée, fracassée par une roche dévalant la montagne... Depuis,

la Grand’mère s’est cloîtrée dans une chambre, geignant nuit et jour sa douleur comme une folle.

Depuis, Rosine, la maîtresse de maison, s’est enfermée derrière un masque d’autorité et de dureté pour

supporter la charge de toute la maisonnée : elle est devenue « Rosine la Sauvage ».

Tout autour de la ferme, c’est la nuit (quasi omniprésente dans la pièce), une nuit froide, cristallisée

d’étoiles et de silence…

La seule petite herbe malingre qui réussit à pousser, bon gré mal gré dans ce monde minéralisé par la

mort, est l’amour encore informulé de Mina (la cadette) et du jeune forestier, Albert, qui descend chaque

mardi de ses hauteurs pour partager un moment avec la jeune fille, jusqu’à ce que Rosine le mette

dehors.

C’est alors que débarque cet étrange étranger qu’est Jean, à la voix douce, au sourire triste, à la poigne

solide et au verbe haut. Avec lui, c’est une bouffée d’air et de lumière qui rentre dans la salle « voûtée et

noire ». Sa bonté profonde, sa franchise inébranlable, son absence totale de peur, son regard pénétrant

vont déstabiliser les habitants de la ferme, les obliger à parler, à se reparler, à secouer la cendre qui

étouffait les langues et les cœurs. Ce « raconteur d’histoires » (est-ce un hasard s’il porte le prénom

même de l’écrivain ?), ce nouvel Orphée fuyant son Eurydice, sait, par son art de la parole, frayer de

nouveaux passages aux puissances du désir dans les terres les plus arides, les cœurs les plus

desséchés. Alors c’est Albert qui ose enfin déclarer son amour à Mina (qui entre en scène, couronnée de

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pervenches, première fleur du printemps, aux vertus curatives : tout un symbole !). Alors c’est Rosine qui

accepte contre toute attente de recevoir l’étranger, et s’autorise à nouveau l’humour et la tendresse. Et

c’est la Grand’mère qui se glisse hors de sa chambre pour parler avec Jean. Et c’est Jean lui-même,

blessé à mort par la trahison de sa femme, qui redevient comme un enfant en buvant le verre de lait

offert par Albert, Jean qui baptise son hôte « maman Rosine », et qui est comme ré-accouché par la

Grand’mère, au cœur de la nuit, en réussissant enfin à pleurer toutes les larmes retenues depuis des

jours et des jours de marche aveuglée…

Ce « regain », provoqué par l’arrivée de Jean, ramène le soleil dans la pièce de Giono (tout le deuxième

acte se passe durant une chaude après-midi d’automne éblouie de lumière et de verdure) et semble

même contaminer tout le village (incarné par le vieux Barnabé et la jeune Mariette), lui aussi « réveillé »

par la bonté et le franc-parler de cet homme singulier, qui passe ses journées à travailler pour les autres,

à aider. Pendant que le pain (autre symbole !) cuit dans le four banal, les filles et les garçons dansent au

pied du chêne la fête de la vie…

Si ce n’est que Jean n’est pas de la partie…

LL’’aapppprroocchhee dduu mmeetttteeuurr eenn ssccèènnee

Première pièce de Giono (1941), qui en écrira bien d’autres, Le Bout de la route est sans doute aussi la

plus belle. Simple comme une tragédie grecque, ample comme un roman, elle déploie une langue

incroyable, goûtant à pleine bouche l’humus et l’air vif des montagnes, sans pittoresque aucun, avec

des mots qu’on dirait trouvés le long du sentier comme des trésors d’humanité, gros des rires et des

larmes de toute vie d’homme et de femme, de la naissance à la mort.

Jean l’étranger est aussi « raconteur d’histoires » : par son art de la parole, il sait frayer de nouveaux

passages aux puissances du désir dans les terres les plus arides, les cœurs les plus desséchés. Mais,

paradoxalement, cet artiste du « regain », ce sourcier de l’amour est lui-même comme absent du monde

des vivants : trahi par la femme de sa vie, il ne peut continuer à mettre un pied devant l’autre qu’à

condition de se mentir à lui-même, d’entretenir l’illusion d’une vie conjugale idéale en s’inventant une

épouse fidèle mais fantomatique !… Et, à force de s’aveugler, Jean passera à côté de l’amour de Mina,

qu’il aura lui-même aidé à éclore…

Le théâtre, ce lieu d’où l’on voit, est l’endroit idéal pour donner à voir l’invisible : l’espace des fantômes

et des morts, qui vous côtoient et vous accompagnent dans la vie, jusqu’à parfois vous étouffer… Chez

Jean Giono (« Jean » comme le voyageur qui vient toquer à la porte…), cet invisible, pour être visible,

semble aussi avoir un prix : l’aveuglement…

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NNootteess ddee mmiissee eenn ssccèènnee eett éélléémmeennttss ddee ddééccoorrss

L’immense beauté de la pièce de Giono est dans ce double mouvement contradictoire : ouverture à la vie, à la lumière, à la sensualité, à la bonté de toute une communauté humaine réveillée par l’arrivée de Jean – lequel se renferme peu à peu en son for(t) intérieur, se coupe du monde des vivants pour continuer à aimer passionnément un fantôme, une illusion. Quelle scénographie peut-on imaginer pour donner à voir et à entendre cet aveuglement progressif ? Cela va mieux en le disant : tout naturalisme naïf sera évidemment honni de la représentation (ainsi que tout pittoresque rural ou folklorique – malgré tant d’a priori, Giono est tellement loin de ça !). Et pourtant, le réel doit pouvoir y vibrer de sa présence brute : la terre, la lumière, le feu, etc. – ainsi que des objets à forte intensité symbolique : le lait, le pain, les pervenches, la fleur dans la poche de la veste, le jeu de dames, etc. Quasiment toute la pièce se passe en intérieur. C’est comme si une fois entré et accueilli dans la ferme de Rosine, Jean n’en sortait plus : il s’y réfugie, s’y protège (de lui-même et de sa douleur). Il peut aller et venir pour son travail, sortir aux champs ou dans la forêt, on ne le voit jamais dehors : incapable en fait de rencontrer l’autre et son espace propre. Pourtant, tout l’invite à sortir de lui-même : son énergie au labeur, la sympathie qu’il dégage et l’affection que lui portent les autres villageois. Le deuxième acte fait d’ailleurs vibrer constamment la possibilité qu’aurait Jean de franchir des seuils, de sortir dehors, de « s’extérioriser » : d’abord (au premier tableau), le four banal est bien un antre sombre et chaud où Jean aime à se réfugier (presque un ventre de mère !), mais sa porte s’ouvre sans arrêt sur la lumière éclaboussante de l’après-midi, dehors, sur les rumeurs du bal où tournoient les jeunes gens, là-bas. Le deuxième tableau de l’acte II se passe, lui, carrément en extérieur, alors que Mina toque à la fenêtre de Jean pour l’inviter à la rejoindre sous l’arbre, dans la nuit… C’est alors que les seuils, que Jean refuse de franchir, deviennent criants : il répond à la jeune fille d’abord depuis sa fenêtre, puis du pas de sa porte… qu’il ne dépassera jamais pour répondre à l’appel de l’amoureuse ! Alors, le troisième acte nous ramène dans la salle de ferme du début de la pièce : la boucle est bouclée, il n’y a pas d’échappée possible, d’ouverture vers un ailleurs ou vers autrui : l’espace est définitivement clos, bouché, saturé de mots tranchants et de désirs ravalés : implosif !

La scénographie imaginée par Jacques Mollon donnera discrètement corps à ce mouvement d’ouverture possible et de renfermement inéluctable, de tension du dehors (avec sa vie, ses désirs, sa lumière et ses couleurs) qui réclame (vainement !) ses droits sur la nuit intérieure dans laquelle Jean se terre progressivement.

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Nous avons beaucoup regardé ensemble les splendides tableaux « Outrenoirs » de Pierre Soulages, recouverts de cette pâte d’un noir absolu, telle une terre luisante, pétrolifère, labourée par les griffes terribles (mais sensuelles) d’un immense râteau métaphysique… Toutes les surfaces (sol, murs) du décor du Bout de la route seront recouvertes d’une semblable peau de nuit minérale et striée, qui vibrera sous la lumière. Car ici, c’est le noir qui révèle la lumière… Le rideau s’ouvrira sur un espace ouvert, sombre, apparemment sans limite (comme si la salle du premier acte n’avait d’abord pas de murs, béante sur l’immensité de la nuit). Petit à petit, au fur et à mesure qu’on apprend le destin de Jean, on devinera au lointain un grand mur, bouchant l’horizon. Mais déjà une petite fenêtre d’un vert intense y apparaîtra soudain, pour permettre à Albert de redire à Jean, depuis le dehors, l’amitié qui vient de naître (ou rouge ? ou jaune ? comme les petites ouvertures aux couleurs primaires, trouées par Le Corbusier dans les épaisses murailles de ses églises…). Puis la paroi du fond glissera doucement vers le public et commencera à se disloquer, à laisser place à des fentes de lumières colorées, qui s’insinueront dans le four banal (II,1). Elle s’ouvrira ensuite franchement sur la nuit du deuxième acte (II,2), pour se reconstituer enfin en muraille infranchissable au troisième acte, bouchant violemment l’espace de l’avant-scène, où vont s’entrechoquer les personnages, comme asphyxiés par Jean…

Cet espace « soulagien » réclame un travail de la lumière quasi pictural, afin de révéler et faire jouer l’épiderme noir des surfaces, percé soudain de masses de couleurs presque insolentes, et où doivent vibrer les corps des acteurs… Au premier acte, j’aimerais aussi donner la sensation au public d’être comme devant l’immense cheminée de la salle de ferme : Tout le plateau baignera dans le seul flamboiement intense d’un grand feu invisible

(en projection vidéo) : c’est seulement son reflet palpitant sur les corps qui fera exister la flamme vivante : les visages rouges, comme brûlés par l’incandescence, à l’avant-scène ; des silhouettes à peine visibles au lointain. Le feu, qui est à la fois la vie et la mort… À la fin du premier acte (le plus long de la pièce), quand apparaît la Grand-mère auprès de Jean, le feu se serait comme éteint, et c’est la brûlure froide et bleutée de la lune qui envahit l’espace. La Grand-mère y entrera telle une apparition fantomatique, avec son costume de fêtes tout « en fleurs d’or et de bleu comme un vieux rêve ». Une vieille dame fragile, tendre et dangereuse à la fois : car c’est aussi une sorcière, une prêtresse du monde des morts… Dans cet espace étrange, plein de vibrations, on butera sur la présence incontournable des corps : jeunes ou âgés, impulsifs ou retenus, éclatants de désir ou comme « absentés ». C’est pourquoi, pour interpréter Jean, j’ai choisi le formidable acteur qu’est Eric Challier, qui devra, du haut de son 1,95 m et de sa puissance physique et sensuelle, donner corps à celui qui renonce justement à habiter son corps… Et toute la distribution, d’Emmanuèle Stochl à Jean-Pierre Laurent, rassemble des acteurs tout autant « incarnés », des vrais « gens », avec les pieds bien en terre, pesant tout leur poids de chair et d’os, aux visages sillonnés par l’expérience de la vie. Ce sont aussi des acteurs « à voix », comme je les aime, et qui ont un rapport amoureux à la langue. Car il nous faudra travailler celle de Giono presque comme une langue étrangère (et surtout pas comme un faux patois !) : lui rendre à la fois sa pleine concrétude, qui doit être aussi étonnante qu’évidente, avec ses soudains brefs élans lyriques, si vite contenus, tout en pudeur retenue…

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Photographies du spectacle

CCrrééddiittss pphhoottooggrraapphhiiqquueess :: RRééggiiss NNaarrddoouuxx..

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Pierre Soulages, Les Outrenoirs

La peinture de Pierre Soulages est sans parole. Et si l’artiste

s’est prêté à de nombreux entretiens, il a, en fait, très peu écrit

sur son travail. Car les mots ne peuvent rendre compte de la

matérialité de son œuvre, qui est l’objet même de sa pratique :

l’enjeu se trouve dans le face-à-face du spectateur avec la

toile, dans sa confrontation avec la matière, dans l’expérience

de sa présence. « La peinture est l’état d’absence de mot. »1 À

ce titre, ses peintures qui ne représentent rien ne sauraient être

décrites avec des images littéraires. On ne saurait parler des

grandes bandes sombres qui parcourent ses toiles en évoquant

des « stèles de silence », des « charpentes écroulées », des «

architectures nocturnes » ou des « aires de luttes entre l’ombre

de la cendre et la lumière du renouveau ». Ce serait imposer

une lecture et s’adonner à une « poétisation, qui mêle […] la sentimentalité à la peinture [et ramène]

l’abstrait à du figuratif »2. Pour cette même raison, chacune de ses œuvres ne présente aucun titre,

n’étant identifiée que par ses dimensions et la date de sa réalisation. Pour Soulages, « une peinture est

une organisation, un ensemble de relations entre les formes, lignes, surfaces colorées, sur lequel vient se

faire et se défaire le sens qu’on lui prête ». […]

Sur plus de soixante-cinq ans, l’œuvre de Soulages décline tous les usages possibles de la couleur

noire. Il l’explique ainsi : « Quand on parle de couleur ça m’agace un peu. Dans la peinture, ce qui est

important, ce sont les rapports, les relations. Avec du noir et du blanc, ou avec du noir seulement, […] on

obtient un effet que, sans paradoxe, je qualifierais de coloré, tout aussi coloré que lorsqu’on met un

jaune près d’un violet. C’est un sentiment de couleur aussi fort, mais d’une autre nature que la couleur

des Fauves par exemple3. Mais c’est de la couleur, le noir ! C’est une couleur, une couleur très violente !

Je ne parviens pas à comprendre cette distinction absurde entre, d’une part, le noir, et de l’autre, la

couleur. D’ailleurs, il n’y a pas de refus des autres couleurs, rien de négatif dans ce choix du noir, mais

un amour et sans modération… Le noir… pour moi, c’est une couleur intense, plus intense que le jaune

et qui suscite des réactions, des contrastes violents3. Je me suis souvenu de la tache de goudron sur le

mur de l’hôpital que je voyais de la fenêtre de la chambre où, enfant, je faisais mes devoirs. J’avais

douze ou treize ans. J’étais fasciné par cette tache. C’était tout à la fois une énorme éclaboussure et la

trace laissée par le balai du cantonnier qui avait goudronné la rue. Cette belle tache avait une partie

calme, lisse, pleine de noblesse qui se liait avec naturel à d’autres parties plus accidentée sou les

irrégularités de la matière faisaient une sorte de houle qui dynamisait sa forme. Le pourtour était d’un

côté rebondi et ailleurs, quelques protubérances, quelques excroissances, paraissaient à demi

inexplicables et à demi posséder cette cohérence que prend une tache de liquide projetée sur une

surface. J’attire l’attention sur l’inexplicable3. J’y lisais la viscosité, la transparence et l’opacité du

1 Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, Lausanne, éditions La Bibliothèque des arts, 2002. 2 Henri MESCHONNIC, Le rythme et la lumière avec Pierre Soulages, Odile Jacob, 2000. 3 Bernard CEYSSON, Soulages, Flammarion, 1979.

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goudron, la force de la projection, les coulures

dues à la verticalité du mur et à la pesanteur.

Ces accidents conjugués avaient créé la

cohérence et l’organisation plastique de cette

forme qui provoquait les mouvements de ma

sensibilité. Elle était jetée sur le mur et

abandonnée. J’aimais l’autorité de ce noir et sa

pauvreté de salissure alliées à la force de la

pesanteur, soumises au grain de la pierre qui

rappelait elle-même le plissement géologique

auquel elle avait appartenu3. […] Le noir c’est la

couleur qui m’a toujours accompagné, que j’ai

élue je ne sais pas pourquoi, depuis mon enfance. J’aime le noir… Pourquoi le noir ? La seule réponse

incluant les raisons ignorées tapies au plus obscur de nous-mêmes et des pouvoirs de la peinture, c’est

parce que !4 Une provocation, non. Le goût que j’ai eu enfant pour les arbres dépouillés était-il dû à mon

amour de la couleur noire ? Ou bien est-ce l’inverse : ai-je commencé à aimer cette couleur à cause des

arbres d’hiver sans feuilles ? Et de l’action que le noir des troncs et des branches avait sur le fond de ciel

ou de neige qui illuminait par contraste ? Ou bien est-ce par amour de la matière de l’écorce mouillée ?

Je ne le saurai jamais »5.

Depuis une trentaine d’années, le noir en est venu à recouvrir entièrement ses toiles. Mais la couleur

noire, explique-t-il, « n’existe jamais dans l’absolu », son intensité change en fonction des dimensions du

support, de sa forme et de sa texture. Soulages a identifié rétrospectivement les différents usages du

noir qui jalonnent son œuvre et qui constituent ce qu’il appelle les « trois voies du noir ».

« Dans ma peinture où [le noir] domine, depuis l’enfance jusqu’à maintenant, je distingue objectivement

trois voies du noir, trois différents champs d’action : le noir sur fond, contraste plus actif que celui de

toute autre couleur pour illuminer les clairs du fond ; [le noir associé à] des couleurs, d’abord occultées

par le noir, venant par endroits sourdre de la toile, exaltées par ce noir qui les entoure ; la texture du noir

(avec ou sans directivité, dynamisant ou non la surface) : matière matrice de reflets changeants6. » Mais

ces trois voies ne correspondent pas véritablement à trois périodes précises de son parcours. Soulages

les explore alternativement ici et là, et parfois simultanément, en accordant plus ou moins d’importance à

l’une ou l’autre selon les périodes.

Ainsi, les noirs sur fond sont l’objet privilégié des recherches qu’il mène dans les années 1960 et 1970.

Les noirs de texture concernent tout particulièrement la série des Outrenoirs, amorcée en 1979 lorsqu’il

commence à recouvrir entièrement la surface de ses toiles d’une épaisse couche de peinture noire. Cette

série confère à la matière de ses toiles une dimension sculpturale que l’on trouve toutefois dans les

4 Pierre SOULAGES, in Blanc… noir, Centre culturel de Boulogne-sur-Mer, 1985.

5 Bernard CEYSSON, Soulages, op. cit. 6 Henri MESCHONNIC, Le rythme et la lumière avec Pierre Soulages, op. cit.

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œuvres antérieures. De même, ses noirs avec couleurs, développés dans les premiers travaux, sont à

nouveau explorés dans les œuvres tardives lorsqu’il unit ses noirs au bleu outremer. […]

Les Outrenoirs, réalisés à partir de 1979, sont issus d’une journée de travail infructueuse au terme de

laquelle l’artiste abandonne la peinture sur laquelle il s’est acharné tout un jour. Par recouvrement

d’échecs successifs la totalité de sa toile est saturée de noir. Le lendemain matin, considérant le résultat

avec sa femme, celle-ci lui fait remarquer qu’il vient d’ouvrir une nouvelle voie. Peinture 202x452 cm, 29

juin 1979 nous montre de quelle manière il s’y engage : non seulement il n’y a plus qu’une couleur mais,

de surcroît, il n’y a qu’un outil employé, un type de geste et une consistance de peinture.

Ce polyptyque, composé de deux toiles de largeur différente réunies en une seule, joue sur le seul

rythme généré par la variation des formats et les inclinaisons des coups de brosse.

Soulages peigne la matière plus qu’il ne peint. De son pinceau, il a effectué de grands gestes horizontaux

qu’il a arrêtés avec exactitude aux bords de la toile ou à la frontière de lignes verticales préalablement

tracées au crayon. Les différentes profondeurs des sillons creusés par l’outil sont sources de variations

infinies. Plus que l’artiste, c’est ici le pinceau qui s’exprime. Cette toile témoigne d’une curiosité de

chaque instant, opposée au savoir-faire de l’artisan ou au « truc » de l’artiste.

Cet aspect essentiel de l’œuvre de Soulages semble en appeler au célèbre passage, qu’au tout début

des années 1960, l’anthropologue Lévi-Strauss consacre à la notion de bricolage dans La Pensée

sauvage. Il y compare deux figures, deux démarches possibles en matière de création : celle de

l’ingénieur et celle du bricoleur. Là où l’ingénieur projette une idée arrêtée de son œuvre et va partir à la

recherche des outils et matériaux pour la réaliser, le bricoleur n’a aucun projet en tête. À l’inverse, ce

sont les outils et matériaux dont il dispose qui déterminent ce qu’il va faire : il crée à partir de ce qu’il a

sous la main. À mesure que l’œuvre se concrétise, l’idée du résultat final se précise, elle ne sera fixée

qu’une fois le processus de création terminé.

« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de

l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus

et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos et la règle de son enjeu est de

toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils

et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport

avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de

toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec

les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est

donc pas définissable par un projet. »7 […]

7 Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, Paris, Ed. Plon, 1960.

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Que ce soit dans la transparence des vitraux ou

les reflets de la matière noire qu’il modèle à la

surface de ses toiles, Soulages en vient

progressivement à peindre directement avec la

lumière. Dans ses Outrenoirs, il obtient des gris

et des éclats de blanc à partir des seuls effets de

brillance que produisent les reliefs prononcés de

l’huile et plus tard de l’acrylique. Il ne s’agit pas

d’impressionner le spectateur par une multitude

de reflets éblouissants mais, précisément,

d’attirer l’attention sur des phénomènes discrets,

contenus. Il ne s’agit plus de faire jaillir les

contrastes de la confrontation du noir au blanc

de la toile, mais de présenter des contrastes qui

se déplacent avec le spectateur. De la lumière, il

dit lui-même : « Mes peintures n’ont rien à voir

avec le monochrome. Depuis 1979, mon

instrument n’est pas le noir mais la lumière

réfléchie par le noir – ce qui entraîne une foule de

conséquences sur le champ mental de celui qui

regarde. Si l’on trouve que ces peintures sont

seulement noires, c’est qu’on ne les regarde pas

avec les yeux, mais avec ce qu’on a dans la

tête8. Ce n’est pas le noir qui comptait pour moi,

mais le blanc, et plus précisément la lumière. Comme on s’en aperçoit mieux peut-être aujourd’hui

devant mes toiles entièrement peintes au noir qui pourtant n’ont jamais renvoyé autant de lumière. De

plus en plus noir… mais de moins en moins, parce que selon la lumière ce n’est plus noir du tout8. On

parle du noir de ces peintures-là, mais je dirais sans craindre le paradoxe que, en réalité, je ne peins pas

avec du noir, même si la matière que j’utilise quand je peins est la peinture noire, car la vraie matière que

j’utilise quand je peins est la peinture noire, car la vraie matière qui m’intéresse, c’est la lumière, et elle

dépend en partie de la qualité de la lumière incidente9. Le plus important dans une toile, c’est la lumière

et l’espace qui naissent avec elle5. Avec le noir c’est la lumière qui apparaît9. Les tableaux que je fais

avec le noir ainsi utilisé ne vivent que par la lumière qu’ils reçoivent. J’ai un atelier dans le Midi joint à la

maison. De temps en temps, on prend une toile et on l’accroche dans la partie où nous vivons. Il y a eu

longtemps au mur une peinture ocre jaune, noir, gris et blanc. Quelle que fût la lumière du jour, on

pouvait toujours dire que c’était un ocre, un gris, un blanc et un noir. Maintenant, il y a une de ces toiles

dites « noires ». Certains matins, elle est gris argent. A d’autres moments, captant les reflets de la mer,

elle est bleue. A d’autres heures, elle prend des tons de bruns cuivré. En réalité, elle est toujours en

accord avec la lumière reçue.10 »

8 Pierre SOULAGES, Noir Lumière, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1996. 9 Pierre SOULAGES, Entretien public, in : Une œuvre de Pierre Soulages, Collection Iconotexte, Marseille, 1998. 10 Olivier PAULI, Entretien avec Pierre Soulages, in Soulages. Peintures, Galerie Alice Pauli, Lausanne, 1988.

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Peinture 324x362 cm, 1985, Polyptyque C (4 éléments de 81x362 cm, superposés), Huile sur toile

Dans ce polyptyque constitué de panneaux allongés, solidaires dans le sens de la hauteur, la peinture

met en relief une suite de gestes répétés dans un ordre précis. D’abord de grandes traînées horizontales

sont produites, à l’aide d’une brosse ou des fibres irrégulières d’une planche de bois brisée. Par la suite,

avec une raclette lisse, les reliefs obtenus sont rabattus dans une série de mouvements verticaux,

parallèles et plus ou moins inclinés selon les panneaux. Produisant comme une vannerie de peinture,

cette œuvre joue sur la répétition et le rythme qu’engendrent les écarts discrets entre chaque motif.

Les gris que génère la lumière scandent la composition. Mais, suivant la position du spectateur, ce qui

constituait une ligne claire sur une surface sombre peut s’inverser, et devenir une ligne sombre sur une

surface claire. Les peintures de Soulages « suivent » en quelque sorte le spectateur dans ses

déplacements. C’est le regardeur qui se sent regardé : la toile et le spectateur font partie du même

espace, il est inclus dans l’espace de la toile, elle intériorise sa position.

Commentant la Vierge en Majesté de Cimabue à des amis qui visitent le Louvre avec lui, Soulages

explique les ressorts de cet effet. Cette œuvre présente un ciel d’or, « ce qui veut dire que, plus qu’une

couleur, c’est un reflet, une lumière qui va du tableau vers moi qui la regarde ». Le spectateur est ainsi

« à l’intérieur de l’espace qu’il crée », la toile n’est pas dans l’ailleurs de l’image, elle est de plain-pied

dans le réel.

Sources : www.centrepompidou.fr et Sous la direction de Marcello Francone, Pierre Soulages, Célébrations

de la lumière, catalogue de l’exposition au Musée des beaux-arts de Berne, Skira/Seuil, 1999.

Page 15

JJeeaann GGiioonnoo,, LLEE BBOOUUTT DDEE LLAA RROOUUTTEE

PPrréésseennttaattiioonn ddee llaa ppiièèccee ppaarr ll’’aauutteeuurr :: JJeeaann GGiioonnoo

EExxttrraaiittss ddee llaa ppiièèccee

PERSONNAGES DRAMATIQUES

JEAN, 35 ans, étranger : chemise de grosse flanelle bleue à fleurs blanches. Ample manteau de bure

rousse.

ALBERT, 25 ans, jeune montagnard râblé. Chemise de grosse flanelle bouffante jaune. Pantalon de

velours. Béret.

MINA, 20 ans, montagnarde, l’ample jupe dodue sur les hanches, corsage à casaquin.

ROSINE, 60 ans, race de la très haute montagne. Maigre, dure, toujours vêtue de noir absolu. Pieds nus.

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LA GRAND-MERE, 75 ans, grande femme. Les riches atours de la vieille paysanne riche. Corsage à

manches en grosse soie noire à fleurs d’or. Ample jupe à six tours en futaine mordorée, tout historiée de

chimères de soie brodées en or, en bleu, en rouge ; des dragons fouettent de queues fléchées

d’étranges fleurs saignantes comme des grenades. Bijoux d’or. Strictement coiffée. Vieillard propre.

BARNABE, 50 ans, petit homme boiteux.

ARSENE, 78 ans, homme large et paisible.

MARIETTE, jeune fille.

Jeunes montagnardes avec toujours des fleurs aux dentes ou aux cheveux. Jeunes montagnards avec

des barbes blondes. Dehors, clochettes ou bruit de vent, ou ronflement des chutes d’eau.

La scène est de nos jours, dans un hameau perdu de la montagne.

ACTE I, SCENE 2

Rosine – Hé ! L’homme.

Jean s’arrête et la regarde.

Arrive.

Jean s’avance.

Tu es du pays ?

Jean – Non.

Rosine – La vérité.

Jean – Pas d’intérêt à mentir.

Rosine – Quel âge ?

Jean – Trente-cinq.

Rosine – Alors, comment ça va que tu sais le goût de mon lait.

Jean – Votre petit n’a peut-être pas juste dit : Azé poupe, mais à peu près.

Rosine – Oui, à peu près (un temps) et puis, c’est une fille.

Jean – A cet âge, vous savez, faut regarder de près pour y reconnaître.

Rosine – Comment ça va que tu connais le dedans des maisons ?

Jean – Parce que je les désire. Parce qu’on m’a tout pris. Parce que je n’ai plus rien que mon invention.

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Rosine – Qu’est-ce que c’est que cette chanson-là ?

Jean – C’est la chanson d’un homme seul. Il n’est pas seul celui qui peut toucher une bête ou un arbre,

ou s’approcher avec ses yeux du brouillard bleu ou du soleil; celui qui peut être fontaine ou ruisseau à la

fantaisie du bruit de l’eau et qui peut couler comme elle avec le reflet de tous les ciels. Il n’est pas seul

celui qui a goût au jour. Celui qui a un nez, une bouche, des yeux, des oreilles, une bonne chair d’animal.

Tout lui tient compagnie. Il y a de grosses joies qui passent dans l’air du temps comme des poissons

enflammés. Je n’ai plus rien.

Rosine – Regarde-moi un peu, toi. Tu es le premier rencontré, depuis longtemps, qui parle enfin comme

les hommes du haut pays, mon pays. Qu’est-ce que c’est que ton goût de bouche ?

Jean – Cendres, maintenant.

Rosine – J’entends assez. Mais avant ?

Jean – Avant ? Une soupe de vie.

Rosine – Alors, le changement, ça vient de quoi ? Tu as fait comment pour tout perdre ?

Jean – Vous avez aimé ?

Rosine – Ça te regarde ? J’aime tout le monde. A ma manière. Pas toujours comprise. J’aime tout le

monde.

Jean – Ça suffit, vous entendrez. Moi, j’ai tout donné à une femme. (A un mouvement de Rosine.)

Attendez. Je veux tout de suite vous dire, et ça doit se voir que ça n’est pas une chose à la jeunotte, et je

te regarde, et je te souris, et je te lèche, et je te lèche. Regardez un peu ce qui me reste (il se montre).

C’est encore assez homme. Ce que j’ai rencontré c’était une femme, exactement ce qu’il me fallait à moi.

Je dis à moi, c’est pour différencier le moi qui parle du moi de viande. On n’a pas fait de la confiture de

framboise avec elle. On a mangé la soupe de vie en plein, à grosses gueulées solides, saines. La grosse

beauté de tout ça c’était la santé et la pureté. On avalait cette soupe de vie, pas triturée, pas écrasée, les

pommes de terre, les choux, les carottes, tout ça entier. On sentait son bonheur de vivre qui grondait là-

dedans comme un feu de chaudières.

Je lui ai tout donné, sans savoir, mais en plein. Autour de moi, maintenant, c’est sans couleur, sans goût,

sans rien.

Rosine – Parce que...

Jean – Elle en aime un autre.

Rosine – De son point de vue à elle ça se défend.

Jean – C’est ça le terrible.

Page 18

TTeexxttee eenn ppaarraallllèèllee :: eexxttrraaiitt ddee PPrréélluuddee ddee PPaann

[…]

Enfin il y eut de nouveau du large et de l’espace vide dans la rue et dans les deux cafés, et

pendant qu’on dînait, il y eut aussi, dans le ciel, comme un oiseau, un épais silence, lourd et seul. Dans

ce silence il n’y avait ni bise, ni bruit de pas, ni soupir d’herbe, ni bourdon de guêpes ; il était seulement

du silence, rond et pesant, plein de soleil comme une boule de feu.

C’est au milieu de ce silence qu’un homme arriva, par le chemin de la forêt. Il venait dans l’ombre

des maisons. Il avait l’air de se musser sous cette ombre. Il allait deux pas, puis il épiait, puis il faisait

encore quelques pas légers en rasant les murs. Il vit notre peuplier. Alors il osa traverser une grande

plaque de soleil et il vint vers l’arbre. Il resta là un moment à renifler. Il prenait le vent. Il avait le dos rond,

comme les bêtes chassées. De sa main il caressait la vieille peau de notre arbre. À un moment il abaissa

une branche et il mit sa tête dans les feuilles pour les sentir. Enfin, il avança jusqu’au Café du Peuple, il

écarta le rideau et doucement il entra.

J’avais vu ça de ma fenêtre. J’allais déjà faire ma sieste. La fête était peu de choses pour moi,

j’étais seul à la maison comme vous savez.

Maintenant, c’est d’après le dire d’Antoine qui le servit.

Il était maigre et tout sec ; sans âge. Il était sans veste, en chemise de fil bleue comme le ciel ; il

en avait retroussé les manches et on voyait ses coudes plissés et noirs comme des blessures vde

branches sur un tronc. Il avait du poil sur la poitrine comme un chien de berger.

Il demanda de l’eau. Pas plus. Et il dit :

- Je payerai.

Une fois dit, ça n’avait pas l’air qu’on puisse aller contre. On lui donna son eau. Il la voulut dans

un baquet.

Antoine m’a raconté :

- Je suis allé dans la cuisine et j’étais tout intrigué. Je n’ai rien dit à ceux du Trièves qui

mangeaient là ; je n’ai rien dit à la femme mais je l’ai regardé par un accroc du rideau. Il a bu à même la

seille comme les bêtes. Puis il a tiré de sa poche trois pommes de pin, il les a dépouillées sur la table, il

s’est mis à croquer les graines. Il les prenait à la pointe de ses ongles, il les broyait du bout des dents.

De là où je le regardais, il semblait un gros écureuil.

[…]

Jean Giono, Prélude de Pan, in Prélude de Pan et autres nouvelles, Gallimard, Folio, 2005

(nouvelles extraites de Solitude de la pitié, 1932).

Page 19

BBiiooggrraapphhiiee ddee JJeeaann GGiioonnoo

Jean Giono est né à Manosque le 30 mars 1895. D’origine

provençale par sa mère, il revendique les racines rêvées,

enjolivées de la lignée paternelle italienne. Prestige de l’idéal des

Carbonari, poursuite de la liberté jusqu’aux franges de

l’anarchisme, ivresse des grands chemins et exaltation du

compagnonnage : le fil conducteur de toute l’œuvre, de la vie

même de Jean Giono, se trouve dans la fidélité aux convictions

qui furent celles de ses père et grand-père.

Une enfance sage, une famille unie et aimante, des parents de

condition modeste (père cordonnier, mère lingère) qui donnent à

leur fils unique une éducation soignée, le respect des traditions,

le sens du devoir, le plaisir du travail bien fait, et, par-dessus

tout, une grande indépendance d’esprit. C’est un univers rural

toujours inscrit dans le XIXe siècle que Jean Giono décrit dans Jean le Bleu (1932), « [...] l’ère heureuse

du pré-machinisme » dira-t-il plus tard. Quitter le collège précocement n’interrompt nullement son

dialogue avec les auteurs classiques, Virgile et Homère surtout... Jean Giono demeurera sa vie durant un

lecteur boulimique.

La Grande Guerre représente pour lui un profond traumatisme, qui fondera le pacifisme virulent, engagé,

sans nuances, du rescapé de Verdun. C’est la prise de conscience du mal qui hantera toute l’œuvre, y

compris les plus lumineux des récits. Une fresque terrifiante publiée en 1931, Le Grand Troupeau, en

porte témoignage, tout comme la nouvelle Ivan Ivanovitch Kossiakoff, souvenir personnel de l’auteur,

qu’il évoquera toujours avec émotion.

Le solitaire, épris de liberté, le poète ivre de mots, aussi éloigné qu’on peut l’être des réalités de ce

monde, se marie en 1920. Sa vie durant il sera bon époux, père attentif, fils exemplaire, et jamais ne

s’évadera du cocon douillet des plaisirs domestiques. Ce n’est que la première des grandes

contradictions gioniennes : refusant le régionalisme, l’esprit de clocher, chantre de l’Odyssée, du grand

large (Moby Dick), de l’aventure et des cavalcades, il ne s’absentera que brièvement de Manosque, sans

pourtant s’y intégrer, et se contentera d’arpenter la Haute-Provence d’un pas de promeneur enveloppé

de sa cape de berger.

Ses premières œuvres sont des poèmes à la préciosité surannée, des récits mythologiques au lyrisme

exubérant.

Jean Giono, inlassablement, fait ses gammes, tout en assurant la subsistance de sa famille : il exerce le

métier d’agent bancaire. Puis soudain, avec La Trilogie de Pan – Colline (1928), Un de Baumugnes

(1929), Regain (1930) –, il crée un genre inédit, une épopée rustique mêlant magie, forces occultes et

réalisme quotidien dans une effusion sensuelle et païenne sur fond de tragédie grecque. Le succès est

immédiat. « Un Virgile en prose vient de naître en Provence ! » se serait exclamé Gide. Jean Giono,

désormais, va pouvoir consacrer tout son temps à l’écriture.

Page 20

Le succès, tout en le faisant sortir de l’ombre, le place dans une situation ambiguë : loin des cénacles

parisiens, peu informé, ses déclarations, ses actions apparaissent comme intempestives, naïves ou

contradictoires. Compagnon de route du communisme, il se désolidarise avec vigueur en 1935 lorsque le

P.C.F. se prononce pour le réarmement. Adhérent de l’Association des écrivains et artistes

révolutionnaires, il se place, sans le savoir, dans la mouvance du trotskisme. Célébrant la nature et les

joies simples de la vie des champs, il servira, parfois à son insu, à illustrer les thèses les plus

réactionnaires du retour à la terre. Pacifiste obstiné, il préconise un rapprochement avec l’Allemagne et

appelle à une révolte paysanne, destinée à miner l’effort de guerre !

Entre 1935 et 1939 Jean Giono est la figure de proue du groupe du Contadour... Il est difficile de définir

ce qu’était ce camp de vacances qui rassemblait deux fois par an, dans une atmosphère joyeuse et

ludique, des intellectuels de tous horizons autour du thème du pacifisme. L’agitation brouillonne de ces

intellectuels qui multiplient démarches et manifestations contre la guerre, tracts pacifistes et appels à la

désertion alors que montent les périls, compromettra gravement Jean Giono.

En 1939 Jean Giono est emprisonné durant deux mois... Il est, il est vrai, l’auteur du Refus d’obéissance

(1937) et de la Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix (1938). Il a pourtant, décevant ses

admirateurs, répondu à l’appel de la mobilisation. Moins explicable encore est son arrestation en

septembre 1944 pour des raisons symétriquement opposées à celles de 1939, et suivie de cinq mois de

détention dans des conditions très dures. Sa conduite pendant la guerre a cependant été plus que

respectable : il a pris des risques en aidant, cachant et hébergeant à ses frais réfugiés et fugitifs.

Étonnante force d’âme de Jean Giono, qui, intériorisant son expérience, fera l’éloge de la réclusion ! : «

J’aime les prisons, les couvents, les déserts...». Il ne conservera pas moins de ces temps troublés une

grande amertume... D’autant qu’une haine vindicative et tenace l’interdit de publication, le privant de

moyens d’existence.

Ce n’est qu’en 1951, avec la parution du Hussard sur le toit, que s’apaisera la vindicte. Commencent

alors les années fécondes : outre la quadrilogie du Hussard, épopée romanesque et symbolique, Giono

rédige Les Chroniques, belles et sombres méditations d’un pessimisme que tempère une sensualité

diffuse... Son intérêt pour le cinéma s’affirme, il met lui-même en scène L’Eau vive, Crésus, écrit de

nombreux scénarios, adapte ses romans à l’écran. Son activité créatrice ne faiblit jamais : il ne cesse de

publier commentaires, préfaces, essais, articles, textes sur la Provence et un dernier roman, L’Iris de

Suse, qui paraît quelques mois avant sa mort.

« La jeunesse croque à belles dents avec un appétit goulu. Quand on devient vieux, on mâche lentement

une seule bouchée, mais on la savoure, on en retire la quintessence. »

Difficile de ne pas admirer l’homme qui, dans son grand âge, conserve, ouvert sur le monde, le même

regard généreux et gai, plus attentif aux autres que soucieux de lui-même.

Le 9 octobre 1970, Jean Giono meurt dans sa maison de Manosque.

C’est la mort, disait-il, qui donne à toute chose cette beauté aiguë.

Sources : centrejeangiono.com et culturesfrance.com

Page 21

EECCHHOOSS ddaannss llaa pprreessssee

LLee BBoouutt ddee llaa rroouuttee

La pièce fut créée à Paris aux Noctambules en 1941, par une jeune compagnie, avec Alain Cuny dans le

rôle de Jean. Giono avait donné son prénom au héros de son premier texte théâtral, le Bout de la route,

qu’il avait écrit en 1931 (c’est aussi le cas dans le roman Jean le Bleu, qui date de la même époque).

Le metteur en scène François Rancillac est allé exhumer ce qui se révèle bien plus qu’une curiosité. Il dit

avoir découvert «une langue aussi concrète que lyrique, où résonnent autant les tragiques grecs que

Synge et Claudel». C’est vrai et l’on pourrait rallonger la liste : Maeterlinck, Pessoa…

Le titre est à prendre au pied de la lettre et de la métaphore. La route ne va pas au-delà du hameau où

tout se déroule, que surplombe une montagne qui pourrait être celle de Lure. Un cul-de-sac, donc, et

pour Jean, qui se sent mort en dedans, un point de non-retour. Les spécialistes de Giono ne manquent

pas de relever que l’auteur, au moment où il a écrit la pièce, traversait une terrible crise sentimentale. Et

que ce Jean qui n’a plus goût à rien parce qu’une femme l’a quitté, est un autoportrait.

Etranger séducteur. La psychologie explique tout et rien. Qui voudrait suivre ce fil pour monter la pièce

n’irait pas au-delà du mélodrame pittoresque. Le parti pris de François Rancillac est aux antipodes, qui

fait résonner le poème symboliste et mène l’histoire à la lisière du réel, dans un no man’s land tellurique

où cohabitent les vivants et les morts. Ou plutôt où Jean, le mort vivant, vient insuffler la joie de vivre à

des oubliés du bonheur.

Visitation profane, Le Bout de la route est aussi une variation sur le thème de l’étranger séducteur. Qui

débarque un soir d’hiver dans une maison hantée par le malheur, pour tirer la grand-mère de la folie,

apprivoiser la dureté de la mère, et se faire aimer au-delà du raisonnable par la fille.

Rancillac et ses comédiens (Eric Challier, Charlotte Duran, Jean-Pierre Laurent, Tommy Luminet, Anita

Plessner, Thiphaine Rabaud-Fournier, Emmanuèle Stochl) se gardent de tout naturalisme déplacé (nulle

trace d’accent paysan ou de décor de ferme). Ils jouent les situations plutôt que les sentiments, ainsi

dans cette scène quasi muette où ils sont tout simplement assis sur un banc. Ils se laissent visiter par les

mots, happer par une langue aussi concrète qu’inattendue (pas une seule phrase de Giono dont on

puisse deviner comment elle va finir). Et ils parviennent à transmettre aux spectateurs un état de

surprise : une joie qui demeure.

RENÉ SOLIS, sur http://www.liberation.fr, le 2 février 2010.

Page 22

LLee BBoouutt ddee llaa rroouuttee

Une très belle mise en scène, affûtée, précise et sensible qui restitue au plus juste la langue de

Giono, et l’âpre affrontement entre désir de vivre et absolu renoncement.

Première pièce de Giono (1931), Le Bout de la route confronte une famille tétanisée par la perte

d’êtres chers à un étrange étranger, Jean, qui fait irruption comme une bouffée de vie dans leur ferme de

montagne assombrie et emmurée par le chagrin et le silence. Nous sommes dans un village tout au bout

de la route, que barre la montagne. Corpulence paisible, bonté franche, voix douce, diction un peu

hachée, regard clair et verbe assuré, Jean (interprété avec charisme par Eric Challier) secoue la cendre

qui étouffait les cœurs et réveille l’envie de parler et d’être au monde. Lui-même a été trompé par la

femme de sa vie et il est devenu irrémédiablement absent au monde. « La terre tourne, j’y suis plus, voilà

tout. » Rosine, la maîtresse de maison au cœur solide rêve de le faire revenir à la vie. Quel contraste

entre un monde montagnard sans équivoque, rythmé par les saisons et le travail, et les méandres des

mondes intérieurs des personnages ensemencés de douleur ! La langue de Giono, « à la fois concrète,

charnue et lyrique, goûtant à pleine bouche l’humus et l’air vif des montagnes, sans pittoresque aucun »,

selon les mots de François Rancillac, frappe juste, même lorsque les mots sont à peine chuchotés, ils

font pleinement sens, ils habitent l’espace, ils laissent voir les blessures des âmes, les non-dits enfouis,

les désirs qui renaissent.

Un fantôme invisible

La grâce affûtée et sensible de la mise en scène sait laisser s’exprimer et respirer ces mots de

façon magistrale, avec humour et clarté, et sait aussi mettre en valeur les corps. Ce qui est finalement à

l’œuvre et que retranscrit très bien la mise en scène délicate et précise, c’est un âpre combat entre

l’envie de vivre, de renaître, et l’envie absolue de renoncement, parce que la douleur de la perte a tout

anéanti. Voilà pourquoi au cœur du réel surgit l’étrange, au cœur de la langue surgit un abîme d’indicibles

peines. Jean aime un fantôme invisible qui le broie. La très belle scénographie avec ses pans de murs

mobiles, ses signes clairs d’ouverture, fermeture, enfermement ou sortie, s’inspire de l’ « Outrenoir » de

Page 23

Pierre Soulages, le sol et les parois sont ainsi couverts d’une texture noire, épaisse et striée, qui capture

la lumière. Presque rien de concret donc (mis à part quelques objets), mais plutôt un univers mental

magnifiquement exploré. La scénographie, les lumières, le travail des voix, le jeu des comédiens, sans

faille, tout concourt à faire de cette mise en scène une pleine réussite.

AGNES SANTI, sur http://www.journal-laterrasse.com, février 2010.

Trop de vivants

Cette première pièce de Jean Giono écrite en 1931 dépeint, dans une langue poétique et imagée, la

tragédie d’un homme. L’histoire – autobiographique – de celui qui saura redonner vie à ceux qui

l’entourent, sans pouvoir jamais, lui, se donner réellement à eux.

Le calme d’un soir d’hiver. Une auberge perdue dans les montagnes. Seule brille la lueur vacillante d’une

bougie. Ce calme est interrompu par l’arrivée impromptue d’un visiteur. Jean nous apparaît sous

l’apparence d’un vagabond, la voix chuchotante et l’œil craintif. Il vient demander abris et couvert et se

jette goulûment sur le bol de lait qu’on lui offre. Sa fragilité et son franc-parler attendrissent ses hôtes. Au

fil du temps, il va réussir à ramener la vie dans cette auberge qui s’était assoupie sous l’effet du deuil.

Les saisons passent, arrive le printemps. Jean est devenu une figure adorée de tous au hameau, jeunes

et aînés compris. Mais il est en sursis. Cet homme viril, plein de vitalité qui travaille sans épargner ses

gouttes de sueur et offre à la ronde son sourire et sa chaleur, se refuse à l’amour. C’est la tragédie qui se

dessine en filigrane.

Page 24

La mort pour compagne

Le texte de Giono est d’une grande poésie. Il ressuscite les mots du quotidien et leur donne un lyrisme

puissant. De nombreuses images naissent à l’écoute de ces paroles ciselées, crues et chatoyantes. On

voit, on respire, on ressent. Les émotions sont à fleur de peau à mesure que les répliquent éclosent.

Les acteurs, au diapason, nous transportent dans l’univers de la pièce. Ton juste, gestuelle précise, le

village et ses habitants reprennent des couleurs sous nos yeux.

La mise en scène de François Rancillac, avec une savante technique de changements de décor et de

murs qui s’imbriquent, joue sur les oppositions entre noirceur et espoir. Aux premières scènes où les

silhouettes des personnages se dessinent comme découpées par la lumière de la bougie sur un

magnifique fond noirci, s’oppose le passage printanier peuplé de tenues colorées et bercé d’une lumière

vive.

Alors que le drame avance, la mort se fait plus présente. Cette mort qui prend la figure fantomatique de

la tendre compagne perdue de Jean, frôle aussi le spectateur. Elle est dans les voix d’outre-tombe qui

chuchotent, dans les compositions musicales aux accents oppressants. Elle est partout cette mort qui,

finalement, va l’emporter sur la vie.

ANNE CLAUSSE, http://www.ruedutheatre.eu, le 10 février 2010.

LLEE MMEETTTTEEUURR EENN SSCCEENNEE

François Rancillac, metteur en scène

Codirecteur (avec Danielle Chinsky) du Théâtre du Binôme depuis 1983, il s’attache et s’attaque à des

auteurs aussi divers et variés que Racine, Christian Rullier, JMR Lenz, Noëlle Renaude, Corneille, Jean-

Luc Lagarce, Jean Giraudoux, Rostand, Jean-François Caron, Molière, Olivier Py, Jean-Pol Fargeau,

Marie Balmary, Hanokh Levin, Remi De Vos, Eschyle, Max Frisch... Artiste associé au Théâ- tre de

Rungis de 1992 à 1994, à l’ACB – scène nationale de Bar-le-Duc de 1996 à 1999, au Théâtre du

Campagnol - CDN, au Théâtre du Peuple de Bussang de 1991 à 1994. Il a été codirecteur (avec Jean-

Claude Berutti) de La Comédie de Saint-Étienne – Centre dramatique national, de 2002 à 2009, et vient

d’être nommé à la direction du Théâtre de l’Aquarium, à La Cartoucherie de Vincennes (Paris).

Page 25

Bibliographie

- Jean Giono, Un de Baumugnes, Grasset, 1929.

- Jean Giono, Regain, Grasset, 1930.

- Jean Giono, Solitude de la pitié, Gallimard, 1932.

- Jean Giono, Un roi sans divertissement, Gallimard, 1947.

- Jean Giono, Le Hussard sur le toit, Gallimard, 1951.

- Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, Reader’s Digest, 1953.

- Jean Giono, Le Bout de la route – Lanceur de graines – La Femme du boulanger, Gallimard, 1943.

- Jean Giono, Prélude de Pan, et autres nouvelles, Gallimard, Folio, 2005.

- Pierre Encrevé, Soulages. L'Œuvre complet, 3 vol. (1946-1958, 1959-1978, 1979-1997), Seuil, 1998.

- Sous la direction de Marcello Francone, Pierre Soulages, Célébrations de la lumière, catalogue de

l’exposition au Musée des beaux-arts de Berne, Skira/Seuil, 1999.

- Pierre Encrevé, Soulages, Les peintures 1946-2006, Seuil, 2007.

- Sous la direction d'Alfred Pacquement et de Pierre Encrevé, Soulages, catalogue de l'exposition,

éditions du Centre Pompidou, 2009.

Vidéographie

- Jean Noël Cristiani, Soulages (3 films de 1987, 1994 et 2008), P.O.M. Films, 2008.

Sitographie

- Le site du centre Jean Giono :

http://www.centrejeangiono.com/

- Le Bout de la route sur Théâtre-contemporain.net :

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Le-Bout-de-la-route/

- Un extrait de Le Bout de la route :

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Le-Bout-de-la-route/extraits/

- Vidéo de la rétrospective Pierre Soulages au centre Pompidou, France 3, CultureBox, 2009 :

http://culturebox.france3.fr/all/15871/retrospective-pierre-soulages-au-centre-

pompidou/#/all/15871/retrospective-pierre-soulages-au-centre-pompidou

LA COMEDIE DE REIMS Centre dramatique national Direction : Ludovic Lagarde 3 chaussée Bocquaine 51100 Reims Tél : 03.26.48.49.00 www.lacomediedereims.fr