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1429 RÉFÉRENCES UNIVERSITAIRES A vant d’être un anglicisme, serious game, est peut-être un oxymore, c’est-à-dire selon le Dictionnaire Larousse, « le rap- prochement de deux mots qui semblent contradic- toires ». En effet, s’agissant d’enseignement et de pédago- gie, associer « jeu » et « sérieux » apparaissait jus- qu’à peu comme inapproprié ; pour s’en convaincre, il suffit de relire Jean Piaget. Il constatait dans un ouvrage 1 publié en 1969 : « le jeu est un cas typique des conduites négligées par l’école traditionnelle, parce que paraissant dénuées de signification fonctionnelle. Pour la pédagogie traditionnelle, il n’est qu’un délassement ou que l’abréaction d’un superflu d’énergie ». Et quelques lignes plus loin, il ouvre une perspective nouvelle : « le jeu – levier puis- sant de l’apprentissage – est donc, sous ses deux formes essentielles d’exercice sensorimoteur et de symbolisme, une assimilation du réel à l’activité pro- pre, fournissant à celle-ci son alimentation néces- saire et transformant le réel en fonction des besoins multiples du moi. » Voilà donc le jeu heureusement réintégré parmi les approches les plus utiles à l’apprentissage et donc à la formation de nos étudiants. Il est vrai que les jeux peuvent parfaitement prendre en compte trois des facteurs principaux générale- ment considérés comme favorisant l’apprentis- sage des étudiants : d’abord, ils permettent d’en- tretenir et d’accroître la motivation ; ensuite, ils impliquent que ces étudiants participent et pren- nent une part active au déroulement de l’enseigne- ment ; enfin, ils incluent volontiers ce droit à l’erreur qui fait que l’étudiant, plus facilement, s’engage, se trompe le cas échéant, se corrige et finalement progresse… En cette fin d’année 2012, le serious game* bénéfi- cie justement d’une recrudescence d’intérêt consi- dérable dans le secteur de l’enseignement supé- rieur en général et pour les études médicales en particulier. Cela tient à la convergence de deux arguments principaux : il y a d’une part la nécessité croissante de mieux préparer tous les étudiants à leurs responsabilités professionnelles, jusqu’à garantir leur niveau de compétences (singulière- ment pour tout ce qui concerne la sécurité des patients), d’autre part les possibilités offertes par les nouvelles technologies éducatives. L’informa- tique est désormais suffisamment miniaturisée, banalisée et domestiquée, de manière à intégrer en toute fiabilité le son numérique et l’image vidéo. Ainsi se trouvent réunies les conditions pour déve- lopper un enseignement faisant largement interve- nir les simulations** et tout ce qu’elles induisent. Si bien qu’il est aujourd’hui licite de profiter pleine- ment des expérimentations qui avaient été menées tout au long des 50 dernières années. À l’origine des travaux sur la simulation dans la for- mation médicale, on trouve le Nord-Américain Harold S. Barrows – l’un des initiateurs du curricu- lum « révolutionnaire » de la faculté McMaster à Hamilton, au Canada. Harold S. Barrows, s’inté- ressant à l’analyse décisionnelle et au raisonne- ment médical, 2, 3 avait, à la fin des années 1960, proposé son « jeu de cartes » grâce auquel, dans le cadre d’un entretien oral avec son ensei- gnant/tuteur, un étudiant pouvait construire — pas à pas — une démarche diagnostique ou thérapeu- Jean-Michel Chabot Faculté de médecine, Marseille Serious game (un oxymore?) Et aussi sur le Web Des vidéos Des photothèques Des quiz • Qu’est-ce qui peut tomber à l’examen ? Les réponses Tests de lecture Tous les items en version PDF LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 62 Décembre 2012 * 615 000 000 résultats (!) à une recherche Google le 1 er décembre 2012 (dont des schémas intéressants sur Google images). ** Sur cette question, la HAS doit publier au premier trimestre 2013 un « Guide des bonnes pratiques en matière de simulation en santé ».

Et aussi RÉFÉRENCES à l’examen? … 2013/rdp10... · 2013-04-22 · dérable dans le secteur de l’enseignement supé- ... il y a d’une part la nécessité croissante de mieux

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RÉFÉRENCES UNIVERSITAIRES

A vant d’être un anglicisme, serious game,est peut-être un oxymore, c’est-à-direselon le Dictionnaire Larousse, « le rap-

prochement de deux mots qui semblent contradic-toires ».En effet, s’agissant d’enseignement et de pédago-gie, associer « jeu » et « sérieux » apparaissait jus-qu’à peu comme inapproprié ; pour s’en convaincre,il suffit de relire Jean Piaget. Il constatait dans unouvrage 1 publié en 1969: « le jeu est un cas typiquedes conduites négligées par l’école traditionnelle,parce que paraissant dénuées de significationfonctionnelle. Pour la pédagogie traditionnelle, iln’est qu’un délassement ou que l’abréaction d’unsuperflu d’énergie ». Et quelques lignes plus loin, ilouvre une perspective nouvelle : « le jeu – levier puis-sant de l’apprentissage – est donc, sous ses deuxformes essentielles d’exercice sensorimoteur et desymbolisme, une assimilation du réel à l’activité pro-pre, fournissant à celle-ci son alimentation néces-saire et transformant le réel en fonction des besoinsmultiples du moi. »Voilà donc le jeu heureusement réintégré parmi lesapproches les plus utiles à l’apprentissage et doncà la formation de nos étudiants.Il est vrai que les jeux peuvent parfaitement prendreen compte trois des facteurs principaux générale-ment considérés comme favorisant l’apprentis-sage des étudiants : d’abord, ils permettent d’en-tretenir et d’accroître la motivation ; ensuite, ilsimpliquent que ces étudiants participent et pren-nent une part active au déroulement de l’enseigne-ment ; enfin, ils incluent volontiers ce droit à l’erreurqui fait que l’étudiant, plus facilement, s’engage, se

trompe le cas échéant, se corrige et finalementprogresse…En cette fin d’année 2012, le serious game* bénéfi-cie justement d’une recrudescence d’intérêt consi-dérable dans le secteur de l’enseignement supé-rieur en général et pour les études médicales enparticulier. Cela tient à la convergence de deuxarguments principaux : il y a d’une part la nécessitécroissante de mieux préparer tous les étudiants àleurs responsabilités professionnelles, jusqu’àgarantir leur niveau de compétences (singulière-ment pour tout ce qui concerne la sécurité despatients), d’autre part les possibilités offertes parles nouvelles technologies éducatives. L’informa-tique est désormais suffisamment miniaturisée,banalisée et domestiquée, de manière à intégrer entoute fiabilité le son numérique et l’image vidéo.Ainsi se trouvent réunies les conditions pour déve-lopper un enseignement faisant largement interve-nir les simulations** et tout ce qu’elles induisent. Sibien qu’il est aujourd’hui licite de profiter pleine-ment des expérimentations qui avaient été menéestout au long des 50 dernières années.À l’origine des travaux sur la simulation dans la for-mation médicale, on trouve le Nord-AméricainHarold S. Barrows – l’un des initiateurs du curricu-lum « révolutionnaire » de la faculté McMaster àHamilton, au Canada. Harold S. Barrows, s’inté-ressant à l’analyse décisionnelle et au raisonne-ment médical,2, 3 avait, à la fin des années 1960,proposé son « jeu de cartes » grâce auquel, dans lecadre d’un entretien oral avec son ensei-gnant/tuteur, un étudiant pouvait construire — pasà pas — une démarche diagnostique ou thérapeu-

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Jean-Michel Chabot Faculté de médecine,

Marseille

Serious game (un oxymore?)

Et aussi sur le Web

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• Des quiz

• Qu’est-ce qui peut tomber à l’examen ? Les réponses

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LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 62Décembre 2012

* 615000000 résultats (!) à une recherche Google

le 1er décembre 2012 (dontdes schémas intéressants

sur Google images).

** Sur cette question, la HAS doit publier

au premier trimestre 2013un « Guide des bonnes

pratiques en matière de simulation en santé ».

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LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 62Décembre 20121430

RÉFÉRENCES UNIVERSITAIRES

* En particulier le programmeVIPS (Virtual Internet Patient

Simulation) développé par uneéquipe suisse (https ://

www.swissvips.ch/newsite/fr/methodologie/history.htm

** Les progrès del’électronique ont

considérablement simplifié(miniaturisé) les choses

au cours des deux dernièresdécennies. Les plus anciensse souviennent certainement

du mannequin « Harvey »développé par l’université

de Miami, importé en Franceau début des années 1990, et qui permettait de simuler

26 maladies cardiaques(majoritairement

des valvulopathies). Il pesaitplus de deux tonnes !

tique en interrogeant, examinant, investiguant,etc., un patient simulé (les réponses correspon-dantes étant fournies sur les cartes qu’il demandaitsuccessivement). De son côté, l’enseignant appré-ciait la pertinence des choix de l’étudiant et finale-ment la qualité (spécificité, exhaustivité, sécurité,éventuellement rapidité et même… coût) de sadémarche.Quelques années plus tard, les simulations de cascliniques (Patient Management Problem [PMP]développées par un petit groupe de medical edu-cators nord-américains qui avaient rejoint Barrows,notamment Christine McGuire, J. P. Hubbard etJ. W. Williamson) ont connu une grande vogue,étant même utilisées dans plusieurs facultés aucours de la dernière année des études prégra-duées, puis au cours des années de Residency(spécialisation, l’équivalent de notre internat) et fina-lement par les boards de spécialité, dont certainss’engageaient déjà dans une politique de (re)cer -tification professionnelle. Ces PMP offraient la pos-sibilité, par un très grand nombre de « questions-réponses » (200 à plus de 300), d’interagir — àpartir d’un motif de consultation initial — avec lemalade simulé « sur papier », de manière à conduireune démarche diagnostique et, le cas échéant, thé-rapeutique.4 Tout au long des années 1970, un pro-cédé d’encre sympathique permettait d’obtenir l’in-formation correspondant à chaque questionposée ; puis, au cours des années 1980, ces PMPont été progressivement transposés sur un supportinformatique*. Cependant, leur utilisation commeexamen de faculté ou de board a été, après un fortengouement initial, contestée, d’abord en raisond’une certaine subtilité/difficulté de construction, etsurtout parce que les pondérations et les méthodesde correction/notation étaient délicates à mettre aupoint. Pendant toutes ces années, les « jeux derôle », autre forme de simulation beaucoup plusrustique, mais très puissante pédagogiquement,poursuivaient un développement marginal. Ce n’estque très récemment que la mise en œuvre, via laHaute Autorité de santé, de dispositifs dédiéscomme l’annonce d’un diagnostic de cancer oul’annonce d’un dommage lié aux soins, a com-mencé de donner à ces jeux de rôle l’importancequ’ils méritent.Enfin, la plupart des démarches d’évaluation de lacompétence clinique ont été agrégées dans lemodèle proposé au début des années 1980 par l’Écossais R. M. Harden et intitulé Objective Struc-

tured Clinical Examination (OSCE, prononcezOSKIE, ou ECOS en français) où les techniques desimulation peuvent avoir une large place, notam-ment les mannequins** grâce auxquels le compor-tement des étudiants peut être amélioré/éva lué,depuis une simple ponction veineuse jusqu’à lagestion pratique d’une urgence vitale, dont lesparamètres peuvent être modifiés à l’infini (cesECOS sont cependant délicats et surtout lourds àorganiser, ce qui limite en pratique leur utilisation).Parmi ces techniques, on peut faire une place à partaux standardized patients (en français malades pro-grammés ou simulés). On sait 4, 5 que les standardi-zed patients sont utilisés de manière croissantedans les pays anglo-saxons, avant tout pour lesexamens des étudiants postgradués, et de manièreexpéri mentale dans les procédures d’évaluationde pratique/formation permanente ; à titre indicatif, l’University of Illinois à Chicago a constitué undépartement opérationnel regroupant une centainede ces malades simulés (qui sont, à l’origine, soitdes acteurs sous-employés, soit des enseignants àla retraite, soit des étudiants, soit enfin [sous certai-nes conditions] des anciens malades) qui peuventintervenir dans différents programmes universitairesou professionnels en Amérique du Nord.L’heure d’une utilisation croissante de la simulationpour la formation des étudiants en médecine (et del’ensemble des filières santé) semble donc venue.Cette perspective pourrait bénéficier d’un encou -ragement puissant, si les prochaines modalités desECN – annoncées pour 2016 – prenaient encompte les avantages liés à des épreuves fondéessur la simulation. Ainsi, se trouverait confirmé l’im-pact de la « loi de l’effet » énoncée par EdwardThorndike au début du XXe siècle selon laquelle l’étudiant adapte son comportement aux obstaclesqu’il doit franchir, loi souvent traduite par l’apho-risme “evaluation drives curriculum”. •

1. Piaget J. Psychologie et pédagogie. Paris : Denoel,1969.

2. Barrows HS, Tamblyn, R. Problem-based learning: an approach to

medical education. New York: Springer, 1980.

3. Barrows HS. An overview of the uses of standardized patients for

teaching and evaluating clinical skills. AAMC. Acad Med 1993;68:

443-51.

4. Goran MJ, Williamson JW, Gonella JS. The validity of patient

management problems. J Med Educ 1973;48:171-7.

5. Peabody JW, Luck J, Glassman P, et al. Comparaison of vignettes,

standardized patients and chart abstraction. JAMA 2000;283:1715-22.

6. Wiener SJ, Schwartz A, Weaver F, et al. Contextual errors and failures

in individualizing Patient Care. Ann Intern Med 2010;153:69-75.