2
Evaluer la part visuelle dans les difcultés de lecture : cas clinique de Benoît The part played by eyesight in reading difculties: a clinical case Orthoptiste, centre Saint-Jean-de-Dieu, 223, rue Lecourbe, 75015 Paris, France INTRODUCTION Benoît est un jeune garçon de 9 ans qui se présente à notre consultation pour un bilan orthoptique dans le cadre de difcultés à la lecture. Cette dernière est lente et fatigable. Il n'y a pas de difcultés phonologiques. Benoît est scolarisé en CE2 et cette lenteur à la lec- ture le pénalise dans de nombreuses matiè- res. C'est, par ailleurs, un enfant intelligent et vif d'esprit. Il est à 32 semaines d'aménor- rhée et ne présente pas d'autre trouble asso- cié. Sur le plan orthoptique, il a déjà effectué trois séries de séances de rééducation orthop- tique dans le but, dixit les parents, de « réduire une divergence intermittente par un intense travail en convergence ». Sur le plan ophtal- mologique, les fonds d'yeux sont normaux et l'examen de la réfraction sous Skiacol ne retrouve pas d'amétropie. OBSERVATION Bilan sensoriel L'acuité visuelle (échelle MODE) est de OD 10/10 P2 ; OG 9/10 P2. La vision des couleurs (test d'Ishiara) et des contrastes (test de Serret) est normale. Les capacités accommodatives sont norma- les pour l'âge : PPA OD 8 dioptries ; PPA OG 8 dioptries. L'examen des capacités fusionnelles (sur mire fovéolaire de près et sur point lumineux de loin) en statique montre une nette insufsance en divergence : D2/4 ; D'2/2 (Règle sur OD/ règle sur OG) avec des larmoiements. Les capacités en convergence sont normales : C40/40 ; C'40/40. En dynamique, il est impossible de tester la divergence tant l'exercice est douloureux pour Benoît. . . Stéphanie Blanc Mots clés Vision fonctionnelle Stratégies oculo-lexiques Capacités fusionnelles Test de lecture comparée Keywords Functional sight Ocular-lexical strategies Fusional capacity Comparative reading test Adresse e-mail : [email protected] RÉSUMÉ Benoît, 9 ans, ancien prématuré, est adressé à l'orthoptiste par son pédiatre dans le cadre de difcultés de lecture. Le bilan orthoptique de Benoît va mettre en évidence des troubles sensoriels et optomoteurs qui empêchent l'œil directeur de jouer correctement son rôle dans les stratégies oculo-lexiques. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Benoit preterm at birth and now aged 9 was referred to an orthoptist by his paediatrician because of reading difculties. The orthoptic examination revealed sensorial and optomotor problems that prevent the dominant eye to play its part in ocular-lexical strategies. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Revue francophone d'orthoptie 2013;6:7071 Dossier / Cas clinique 70 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2013.05.008

Evaluer la part visuelle dans les difficultés de lecture : cas clinique de Benoît

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Evaluer la part visuelle dans les difficultés de lecture : cas clinique de Benoît

Revue francophone d'orthoptie 2013;6:70–71Dossier / Cas clinique

Evaluer la part visuelle dans lesdifficultés de lecture : cas cliniquede Benoît

The part played by eyesight in reading difficulties:a clinical case

Stéphanie Blanc

Orthoptiste, centre Saint-Jean-de-Dieu, 223, rue Lecourbe, 75015 Paris, France

Mots clésVision fonctionnelleStratégies oculo-lexiquesCapacités fusionnellesTest de lecture comparée

KeywordsFunctional sightOcular-lexical strategiesFusional capacityComparative reading test

RÉSUMÉBenoît, 9 ans, ancien prématuré, est adressé à l'orthoptiste par son pédiatre dans le cadre dedifficultés de lecture. Le bilan orthoptique de Benoît va mettre en évidence des troublessensoriels et optomoteurs qui empêchent l'œil directeur de jouer correctement son rôle dansles stratégies oculo-lexiques.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SUMMARYBenoit preterm at birth and now aged 9 was referred to an orthoptist by his paediatrician becauseof reading difficulties. The orthoptic examination revealed sensorial and optomotor problems thatprevent the dominant eye to play its part in ocular-lexical strategies.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

INTRODUCTION OBSERVATION

Adresse e-mail :[email protected]

Benoît est un jeune garçon de 9 ans qui seprésente à notre consultation pour un bilanorthoptique dans le cadre de difficultés à lalecture. Cette dernière est lente et fatigable. Iln'y a pas de difficultés phonologiques. Benoîtest scolarisé en CE2 et cette lenteur à la lec-ture le pénalise dans de nombreuses matiè-res. C'est, par ailleurs, un enfant intelligent etvif d'esprit. Il est né à 32 semaines d'aménor-rhée et ne présente pas d'autre trouble asso-cié. Sur le plan orthoptique, il a déjà effectuétrois séries de séances de rééducation orthop-tique dans le but, dixit les parents, de « réduireune divergence intermittente par un intensetravail en convergence ». Sur le plan ophtal-mologique, les fonds d'yeux sont normaux etl'examen de la réfraction sous Skiacol neretrouve pas d'amétropie.

70

Bilan sensoriel

L'acuité visuelle (échelle MODE) est de OD10/10 P2 ; OG 9/10 P2.La vision des couleurs (test d'Ishiara) et descontrastes (test de Serret) est normale.Les capacités accommodatives sont norma-les pour l'âge : PPA OD 8 dioptries ; PPA OG8 dioptries.L'examen des capacités fusionnelles (sur mirefovéolaire de près et sur point lumineux deloin) en statique montre une nette insuffisanceen divergence : D2/4 ; D'2/2 (Règle sur OD/règle sur OG) avec des larmoiements. Lescapacités en convergence sont normales :C40/40 ; C'40/40.En dynamique, il est impossible de tester ladivergence tant l'exercice est douloureux pourBenoît. . .

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2013.05.008

Page 2: Evaluer la part visuelle dans les difficultés de lecture : cas clinique de Benoît

Revue francophone d'orthoptie 2013;6:70–71 Dossier / Cas clinique

Le bilan sensoriel met en évidence une nette insuffisancedes capacités fusionnelles en divergence, en statique eten dynamique ainsi qu'une minime amblyopie de l'œilgauche.

Bilan optomoteur

La main droite est graphique, l'œil droit est directeur.La motilité semble normale.Le réflexe de convergence est bon.La déviation mesurée au test de l'écran montre une ésophoriede 2 dioptries en vision de loin (E2) et une exophorie de4 dioptries en vision de près (X'4).La motricité conjuguée est perturbée :� La fixation est instable, peu endurante et surtout très incon-fortable en monoculaire œil droit avec, là encore, de nom-breux larmoiements ;

� La poursuite est non lisse dans toutes les directions ;� Les saccades sont imprécises avec des mouvementscompensatoires et des syncinésies de la mâchoire. Ellessont peu endurantes (3 cycles). La mise en jeu de la ver-gence loin/près est difficile et douloureuse.

Le bilan optomoteur met donc en évidence une orientationdu regard perturbée : la mise en jeu de la fixation et desmouvements oculaires est difficile et inconfortable,notamment sur l'œil directeur.

Bilan fonctionnel

En raison de la plainte de Benoît, on choisira les situations-tests les plus pertinentes qui vont permettre de mettre enévidence le retentissement des troubles sensorimoteurs évo-qués ci-dessus sur l'activité de lecture :Le rôle de la vision dans la communication est préservé carle regard soutient l'émission et la réception.Le rôle de la vision dans la saisie de l'information estégalement préservé car les tests d'analyse perceptive nemontrent pas d'erreurs de perception des orientations (haut/bas et droite/gauche) ni des dimensions, ni des positionsrelatives qui pourraient expliquer d'éventuelles confusionsde lettres.Au niveau de l'organisation du geste, dans l'activité delecture :Le test de lecture E.L.F.E retrouve une vitesse de lecture de51 mots/minute, ce qui situe Benoît au 10è percentile de saclasse d'âge (c'est-à-dire que 90 % des enfants de son âge ontun score supérieur).Le test E.L.F.E est un test de lecture étalonné par le laboratoirede sciences de l'éducation de l'université Pierre MendèsFrance à Grenoble : l'étalonnage concerne la vitesse de

lecture de textes ne posant pas de problèmes de compréhen-sion, sur un échantillon représentatif d'enfants du CE1 à la 5è.Le test de lecture comparée retrouve, d'une part, une coopé-ration binoculaire inefficace et, d'autre part, un « effet frein »de l'œil directeur (ODG 51 mots/min ; OD 59 mots/min ; OG72 mots/min).Le test de lecture comparée permet de mettre en évidencel'existence ou non d'une coopération bi-oculaire dans la lectureen comparant le comportement visuel lexique spontané (lesdeux yeux lisant) au comportement lexique de chaque œil, misen évidence grâce à l'interposition de filtres rhodoïd bleus etrouges.Le bilan fonctionnel montre donc une non-efficacité del'œil directeur dans les stratégies oculolexiques ainsiqu'une mauvaise coopération binoculaire.

CONCLUSION

Le bilan orthoptique de Benoît met donc en évidence destroubles sensoriels et optomoteurs qui ne permettent pas à l'œildirecteur de jouer correctement son rôle, notamment dans lesstratégies oculolexiques, expliquant ainsi la lenteur et la fati-gabilité à la lecture. Les capacités fusionnelles inexistantes endivergence n'ont jamais été travaillées dans ce contexte dedivergence intermittente, entraînant ainsi un inconfort visuelimportant.

DISCUSSION ET PROJET ORTHOPTIQUE

La discussion autour du cas de Benoît illustre bien l'importancedu travail des capacités fusionnelles autour de l'angle objectif,et pas seulement en convergence, chez les patients présen-tant une exophorie-tropie. Il est primordial de s'assurer, aucours de la rééducation, que les capacités fusionnelles del'enfant respectent bien le rapport Convergence = 3 fois diver-gence (à partir de l'angle objectif) afin d'assurer l'efficacitévisuelle, en particulier dans la mise en jeu de la vergenceloin/près. Dans le cas de Benoît, il sera également importantd'entraîner la fixation sur l'œil directeur par des exercices delocalisation visuelle, puis de rétablir la coopération binoculaireavant d'entraîner les stratégies oculolexiques de manièrespécifique.

Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cetarticle.

71