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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1975 à 1981) CONTRAT DE MARIAGE ET RÉGIMES MATRIMONIAUX (1) * PAR CL. RENARD PROFESSEUR ÉMÉRITE DE L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE ET CH. DARVILLE-FINET ASPIRANT F.N.R.S. F. DE VILLE-SCHYNS AssiSTANTE À L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE SOMMAIRE SECTION Ire. - RÉGIME LÉGAL. I. - Régime antérieur à la loi du 14 juillet 1976. l. Actif. - Sort des pensions et des indemnités. 2. Passif. - Engagement de la femme solidairement avec son mari. 3. Suite. - Dettes de la femme antérieures au mariage. 4. Gestion. - Bail à ferme. (1) Les précédents examens de jurisprudence ont été publiés dans cette revue en 1976, p. 61 et suiv. (CL. RENARD et A. DELIÈGE), 1969, p. 53 et suiv. (J. RENAULD), 1964, p. 353 et suiv. (J. RENAULD et N. LECLERCQ), 1960, p. 225 et suiv. (J. RENAULD), 1956, p. 47 et suiv. (R. PIRET et R. PrnsoN), 1952, p. 219 et suiv. (R. PrnET et R. Pm- soN), et 1949, p. 253 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN). Le présent examen était imprimé quand a paru dans le Tijds. priv., 1982 (p. 977 à 1092), sous la signature de G. BAETEMAN, C. H. ENGELS et B. GERLO, la chronique de jurisprudence sur les Régimes matrimoniaux : Overzicht van Rechtspraak (1976- 1981) huwelijks vermogensrecht, à notre regret, il ne nous a pas été possible d'en tenir compte.

EXAMEN DE JURISPRUDENCE - KU Leuven · examen de jurisprudence (1975 à 1981) contrat de mariage et rÉgimes matrimoniaux (1) * par cl. renard professeur ÉmÉrite de l'universitÉ

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EXAMEN DE JURISPRUDENCE

(1975 à 1981)

CONTRAT DE MARIAGE ET RÉGIMES MATRIMONIAUX (1) *

PAR

CL. RENARD

PROFESSEUR ÉMÉRITE DE L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE

ET

CH. DARVILLE-FINET

ASPIRANT F.N.R.S.

F. DE VILLE-SCHYNS

AssiSTANTE À L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE

SOMMAIRE

SECTION Ire. - RÉGIME LÉGAL.

I. - Régime antérieur à la loi du 14 juillet 1976.

l. Actif. - Sort des pensions et des indemnités. 2. Passif. - Engagement de la femme solidairement avec son mari. 3. Suite. - Dettes de la femme antérieures au mariage. 4. Gestion. - Bail à ferme.

(1) Les précédents examens de jurisprudence ont été publiés dans cette revue en 1976, p. 61 et suiv. (CL. RENARD et A. DELIÈGE), 1969, p. 53 et suiv. (J. RENAULD), 1964, p. 353 et suiv. (J. RENAULD et N. LECLERCQ), 1960, p. 225 et suiv. (J. RENAULD), 1956, p. 47 et suiv. (R. PIRET et R. PrnsoN), 1952, p. 219 et suiv. (R. PrnET et R. Pm­soN), et 1949, p. 253 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN).

• Le présent examen était imprimé quand a paru dans le Tijds. priv., 1982 (p. 977 à 1092), sous la signature de G. BAETEMAN, C. H. ENGELS et B. GERLO, la chronique de jurisprudence sur les Régimes matrimoniaux : Overzicht van Rechtspraak (1976-1981) huwelijks vermogensrecht, à notre regret, il ne nous a pas été possible d'en tenir compte.

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5. Dissolution, liquidation et partage. - Imputation de la pension alimentaire attribuée à l'épouse pendant l'instance en divorce.

6. Suite.- Indemnité due par l'époux ayant occupé l'immeuble com­mun devenu indivis par l'effet rétroactif du divorce entre époux.

7. Suite. - Dissolution par divorce. - Preuve de l'acceptation de la femme.

8. Suite. Reprises et récompenses. 9. Suite. - Créances entre époux.

II. - Régime en vigueur depuis la loi du 14 }uillet 1976.

10. Actif du patrimoine commun. - Somme inscrite sur un carnet de dépôt au nom d'un époux (art. 1405, 4, du Code civil).

11. Droits des créanciers. - Dettes contractées pour les besoins du ménage. -Appréciation de leur caractère excessif (art. 1414, al. 2, du Code civil).

12. Gestion du patrimoine commun. - Résiliation d'un bail à loyer. -Gestion concurrente.

13. Suite. - Cautionnement. - Gestion concurrente ou conjointe (art. 1417, al. 1er, art. 1418, 2.d, art. 1419 du Code civil).- Possi­bilité d'annulation (art. 1422 du Code civil).

14. Suite. - Dérogation au principe de la gestion conjointe (art. 1420 du Code civil). a) Introduction. b) Notion de motif légitime. c) Notion d'impossibilité de manifester sa volonté. - Caractère

constant de l'impossibilité. d) Cas du mineur émancipé. e) Modalité de l'autorisation. - Caractère pur et simple ou condi­

tionnel de l'autorisation? f) Autorisation de vendre seul. -Disposition du prix de vente.

15. Gestion du patrimoine propre. -Emprunt contracté dans l'intérêt exclusif du patrimoine propre. - Gestion exclusive (art. 1425 du Code civil).

16. Disposition commune à la gestion des patrimoines propres et com­mun. - Retrait total de pouvoir. - Gestion confiée à un tiers (art. 1426 du Code civil).

17. Dissolution du régime légal. - Attribution préférentielle (art. 1446 et 1447 du Code civil).

SECTION Il. - RÉGIMES CONVENTIONNELS.

I. - Séparation de biens.

18. Preuve de la propriété personnelle d'un bien. 19. Acquisition en commun d'un bien par les époux. 20. Cession de parts indivises par un époux à son conjoint. - Portée

de l'article 1469 du Code civil.

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II. - Séparation de biens avec communauté ou société d'acquêts.

21. Composition de la société d'acquêts. 22. Compte bancaire personnel en déficit. - Caractère de la dette

envers la banque.

SEOTION Ill. - MODIFIOATION DU RÉGIME MATRIMONIAL.

23. Introduction. - Rappel des principes.

A. - Procédure de modification. - Petite ou grande procédure?

24. Passage du régime de la séparation de biens pure et simple au régime légal.

25. Passage du régime de la séparation de biens pure et simple au régime de séparation de biens avec société d'acquêts.

26. Passage du régime de la séparation de biens avec société d'acquêts au régime de la communauté universelle.

27. Clause d'apport d'un bien propre à la communauté. 28. Clause d'apport à la communauté d'un bien futur déterminé ou de

tous les biens futurs acquis par donation ou succession. 29. Clause d'attribution de la communauté au conjoint survivant.

B. - Procédure d'homologation de l'acte notarié portant modification du régime matrimonial.

30. Décès de l'un des époux. - Introduction. 31. Suite. -Position des juridictions de fond avant l'arrêt de la Cour

de cassation du 2 mai 1979. 32. Suite. - Position de la Cour de cassation. - Analyse de l'arrêt

du 2 mai 1979. 33. Suite. - Position des juridictions de fond après l'arrêt de la Cour

de cassation du 2 mai 1979. 34. Suite. - Thèses en présence. 35. Suite. - Conclusion. 36. Empêchement de comparaître en personne suite à une maladie ou

à une infirmité. 37. Incidence de la séparation de fait. 38. Mission et pouvoir du juge. - Définition des notions <<intérêt de

la famille >>, << intérêt des enfants >> et << droits des tiers >>.

39. Suite. -Conflit entre le conjoint survivant et les enfants communs aux époux.

40. Suite. - Conflit entre le conjoint survivant et les enfants issus d'une précédente union.

41. Suite. - Conflit entre le conjoint survivant et les enfants. - Ré­flexions critiques.

Revue Critique, l 983, 3 - 27

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42. Suite. - Les modalités de l'homologation. 43. Contrôle de la légalité des clauses. - Pacte sur succession future. 44. Suite. - Clause de reprise sur prisée portant sur des biens dépen­

dant de la succession de l'époux prédécédé. 45. Suite. - Licéité du passage du régime de la séparation de biens

avec société d'acquêts au régime de la séparation de biens pure et simple.

46. Suite. - Possibilité d'application de l'article 7 45ter du Code civil à l'usufruit obtenu par suite d'une clause matrimoniale.

SECTION IV. - DROIT TRANSITOIRE.

4 7. Introduction. 48. Communauté dissoute avant l'entrée en vigueur de la loi mais non

encore liquidée. 49. Procédure de divorce en cours lors de l'entrée en vigueur de la

nouvelle loi. 50. L'article 559 ancien de la loi sur les faillites. - Application parti­

culière du principe de non-rétroactivité. 51. Caractère propre ou commun d'un bien acquis avant le 28 septembre

1977. - Epoux mariés sans contrat ou ayant adopté par contrat le régime de communauté légale.

52. Suite. - Epoux mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, la communauté universelle, le régime dotal ou la sépa­ration de biens avec société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil.

53. Séparation de biens. - Présomption mucienne (articles 553 à 560 anciens du Code de commerce).

54. Suite. - Preuve de la propriété d'un bien (art. 1468 nouveau du Code civil).

SECTION V. -APPENDICE. - CONCUBINAGE.

55. Preuve de l'appartenance des biens.

SECTION Ire. - RÉGIME LÉGAL.

I. - Régime antérieur à la loi du 14 juillet 1976.

1. - ACTIF. -SORT DES PENSIONS ET DES INDEMNITÉS.

Conformément à une doctrine qu'on aurait pu croire maintenant incontestée, la Cour de cassation a dû rappeler, par deux fois, que si les pensions sont des propres, les arrérages sont communs (en l'espèce, pensions de retraite et d'invalidité des ouvriers mineurs). Dès lors, si ces arrérages ont été perçus indûment

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par les deux époux, leur remboursement incombe à la commu­nauté sans avoir égard à leur répartition entre les époux (2).

En revanche, sont propres les indemnités pour réparation d'un dommage corporel ou moral (3). La cour militaire de Bruxelles (4) décide que le droit est propre même si l'action reste limitée au remboursement de la partie des salaires qui aurait dû échoir durant le régime et serait dès lors entrée en commu­nauté. La position est conforme à l'arrêt de cassation du 1er octobre 1964, mais discutable et nous faisons nôtres à cet égard les réserves de Jean Renauld dans cette revue (5). A tout le moins, si l'action reste personnelle par son objet, le montant de l'indemnité représentatif des salaires perdus doit-il entrer en communauté?

La circonstance qu'il s'agit d'une indemnité due par un époux à son conjoint ne modifie en rien cette solution.

La cour d'appel de Mons (6) rappelle que le capital créé par une assurance de groupe est propre (7).

2. - pASSIF. - ENGAGEMENT DE LA FEMME SOLIDAIREMENT AVEC SON MARI. - En ce qui concerne l'engagement solidaire conclu par la femme avec le mari pour les affaires communes, la Cour de cassation précise que l'ancien article 1431 selon lequel la femme n'est censée s'engager qu'à titre de caution ne s'applique que si la dette a été contractée dans l'intérêt exclusif du mari ou de la société d'acquêts, ce texte, en effet, ne déroge en rien aux règles qui régissent la contribution aux dettes entre époux (8).

3. - SUITE. - DETTES DE LA FEMME ANTÉRIEURES AU MARIAGE. -L'article 1410 ancien, selon lequel les dettes de la femme antérieures au mariage n'entrent en communauté que

(2) Casa., 22 mai 1974, Pas., 1974, I, 982, Rev. not. belge, 1976, p. 456 et casa., 4 juin 1975, Pas., 1975, I, 950; Rev. not. belge, 1979, p. 39.

(3) Casa., 18 juin 1976, Pas., 1976, I, 1139. (4) Cour militaire de Bruxelles, 20 janvier 1977, Bull. ass., 1977, p. 117; R.G.A.R.,

1979, n° 10017, obs. (5) J. RENAULD, «Examen de jurisprudence (1964 à 1967), Contrat de mariage et

régimes matrimoniaux», R.O.J.B., 1969, p. 56. (6) Mons, 17 mai 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 606. (7) CL. RENARD et A. DELIÈGE, <<Examen de jurisprudence (1968 à 1974), Contrat

de mariage et régimes matrimoniaux l>, R.O.J.B., 1976, p. 64, no 4. (8) Casa., 19 avril 1979, Pas., 1979, I, 984.

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si elles ont date certaine au moment du mariage ne s'applique pas aux dettes résultant d'une obligation légale (en l'espèce, celle qui incombe au travailleur indépendant de payer des coti­sations sociales); solution toute classique dont on peut s'étonner qu'elle ait dû être rappelée à nouveau par la Cour de cassa­tion (9).

La Cour de cassation rappelle aussi que les dettes de la femme ayant date certaine antérieurement au mariage peuvent être poursuivies contre la communauté et contre le mari, administra­teur de celle-ci. L'hypothèse qui a donné lieu à cette constatation élémentaire est un peu particulière. Une femme divorcée avait été condamnée au paiement d'arriérés de pension alimentaire dûs à son ex-époux pour l'entretien de l'enfant né de son premier mariage ; il avait sans doute paru choquant au juge du fond que le second mari fût, comme administrateur de la communauté, responsable d'une dette au caractère aussi personnel ( 10).

4. - GESTION. - BAIL À FERME. - Seuls des problèmes relatifs au bail à ferme nous retiendront. Un bail à ferme est consenti à un mari qui le conclut seul. Sa femme peut-elle être considérée comme copreneur 1 La Cour de cassation répond que l'article 1421 et le lien conjugal n'ont pas pour effet de conférer à l'épouse la qualité de preneur ; celle-ci ne bénéficie donc pas du droit de préemption (11).

Dans un autre arrêt, la Cour rappelle que le mari pouvait notifier seul congé au fermier titulaire d'un bail pour un immeuble appartenant à la communauté (art. 1421 ancien du Code civil) (12).

5. - DISSOLUTION, LIQUIDATION ET PARTAGE.- IMPUTATION DE. LA PENSION ALIMENTAlliE ATTRIBUÉE À L'ÉPOUSE PENDANT L'INSTANCE EN DIVORCE. - Les décisions intervenues se situent dans le droit fil de la jurisprudence antérieure. La pension alimen­taire doit être imputée sur les revenus de la part de l'épouse dans la communauté et sur les revenus de ses propres gérés

(9) Cass., 18 juin 1975, Pas., 1975, I, 1004; voy. CL. RENARD et A. DELIÈGE, ~ Exa-men de jurisprudence (1968 à 1974) ~. op. cit., R.O.J.B., 1976, p. 74, n° 10.

(10) Cass., 23 décembre 1976, Pas., 1977, I, 465. (11) Cass., 8 juin 1981, J.T., 1981, p. 684. (12) Cass., 9 novembre 1979, Pas., 1980, I, 328.

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pal\ le mari (13). On peut citer notamment un arrêt de la cour d'appel de Liège du 20 mars 1979, un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 8 janvier 1974 et un jugement du tribunal civil de Termonde du 20 avril 1976 (14).

Ce dernier jugement précise que les revenus professionnels de la femme n'entrent pas en ligne de compte; à vrai dire, il en aura été tenu compte lors de la détermination du montant de la pension. De son côté, la cour d'appel de Liège rappelle que l'imputation ne peut avoir lieu que sur les revenus et non sur les capitaux (15). Enfin la cour d'appel de Bruxelles rappelle à juste raison que si ni la femme ni la communauté n'avaient de revenus, la dette est alors tout entière à charge du mari en vertu du devoir de secours.

6. - SUITE. - INDEMNITÉ DUE PAR L'ÉPOUX AYANT OCCUPÉ

L'IMMEUBLE COMMUN DEVENU INDIVIS P.A,R L'EFFET RÉTROACTIF

DU DIVORCE ENTRE ÉPOUX. -Le tribunal civil de Liège et la cour d'appel de Liège ont jugé que le mari ayant occupé un immeuble commun pendant l'instance en divorce doit une indemnité (16). Les modalités de cette indemnisation n'appa­raissent pas clairement dans les décisions parues. Cette indemnité serait due par l'époux occupant à son conjoint; elle serait de la moitié des loyers que l'on aurait pu normalement demander à un locataire. Il faut, à notre sens, que l'occupation ait été effective, encore que la cour d'appel de Liège paraisse se contenter du droit qu'avait le mari d'occuper l'immeuble alors que la femme avait été autorisée à avoir une résidence séparée. De son côté, dans une autre décision du 19 décembre 1980, le tribunal civil de Liège semble bien avoir perdu de vue l'effet rétroactif du divorce quand il déclare que l'indemnité due par le mari est un revenu de la communauté (17).

(13) J. RENAULD, «Examen de jurisprudence (1964 à 1967) )), op. cit., R.O.J.B., 1969, p. 74 et CL. RENARD et A. DELIÈGE, «Examen de jurisprudence (1968 à 1974) », op. cit., R.O.J.B., 1976, p. 84, n° 17.

(14) Liège, 20 mars 1979, Rev. trim. dr.jam., 1982, p. 120; Bruxelles, 8 janvier 1974, Rec. gén. enr. et not., 1975, n° 21946, p. 299; civ. Termonde, 20 avril 1976, J.T., 1976, p. 530.

(15) Comparez civ. Namur, 3 décembre 1980, R.R.D., 1981, p. 152. (16) Civ. Liège, 21 octobre 1977, Rev. trim. dr. jam., 1982, p. 101; Liège, 20 mars

1979, Rev. trim. dr. jam., 1982, p. 120. (17) Civ. Liège, 19 décembre 1980, Rev. trim. jam., 1982, p. 126.

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7. SUITE. - DISSOLUTION PAR DIVORCE. - PREUVE DE L'ACCEPTATION DE LA FEMME. -Les décisions intervenues pen­dant la période sous revue confirment entièrement la jurispru­dence antérieure· telle qu'elle est décrite dans l'examen de jurisprudence précédent (18).

L'acceptation tacite de l'épouse doit découler d'actes accomplis durant le délai de 3 mois et 40 jours prévu par l'ancien article 1463 du Code civil ; les actes antérieurs ou postérieurs ne peuvent servir que pour apprécier la portée de ceux qui se situent dans la période légale ( 19).

Une note discordante est donnée par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 15 juin 1976 (20). En l'espèce, dès le début de l'instance, la femme avait exprimé avec force à son mari son intention d'accepter. Notamment, elle avait introduit une requête réclamant le blocage des fonds dépendant de la communauté universelle. Elle est, dès lors, considérée comme acceptante par le fait qu'elle n'avait pas ultérieurement contredit son intention originelle. Il est vrai que l'attitude du mari établissait de façon péremptoire qu'il savait que son épouse voulait accepter la communauté : cette circonstance, dit l'arrêt, vaut preuve indi­recte de l'acceptation par la femme.

8. - SuiTE.- REPRISES ET RÉCOMPENSES.- Des solutions classiques sont données par la cour d'appel de Liège dans son arrêt du 4 avril1979 (21). Deux personnes vivant en concubinage construisent ensemble un immeuble sur un terrain appartenant à l'une d'elles. Mariées par après, elles vendent l'immeuble. Le propriétaire du terrain a droit à recouvrer, à titre de récompense, le prix de vente perçu par la communauté. En effet, l'immeuble lui était propre par accession. De son côté, le conjoint jouit contre lui d'une créance déterminée selon l'article 555 du Code civil.

S'agissant de dépenses faites par la communauté au profit d'un bien personnel d'un époux, la Cour de cassation, dans un

(18) CL. RENARD et A. DELIÈGE, <!Examen de jurisprudence (1968 à 1974) >>,op. cit., R.O.J.B., 1976, p. 86, n° 18.

(19) Mons, 18 juin 1975, Pas., 1976, II, 76; Rev. not. belge, 1978, p. 283; oiv. Liège, 20 mai 1977, Rev. not. belge, 1978, p. 325; Mons, 14 février 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 477.

(20) Bruxelles, 15 juin 1976, Rev. not. belge, 1976, p. 471. (21) Liège, 4 avril 1979, Jur. Liège, 1979, p. 378.

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arrêt du 9 juin 1978 (22), se rallie à la thèse suivant laquelle la récompense est toujours égale au montant prélevé sur la communauté, sans avoir égard à l'enrichissement de l'époux (23).

La Cour de cassation, par un arrêt du 16 février 1978 (24), rappelle que les reprises et les récompenses portent intérêt de plein droit depuis le jour de la dissolution de la communauté, et ce jusqu'au jour où le créancier a été rempli de ses droits, même si cet époux a tardé anormalement à poursuivre son recours.

Par arrêt du 1er mars 1979 (25), la Cour de cassation décide qu'une convention portant sur la liquidation de la communauté et le règlement des reprises et récompenses conclues par les époux avant la dissolution de la communauté est nulle comme contraire aux dispositions d'ordre public relatives à l'immuta­bilité des régimes matrimoniaux. Le principe de l'immutabilité n'ayant pas été à proprement parler aboli par la loi nouvelle mais simplement amendé dans le sens d'une mutabilité stricte­ment contrôlée, il nous paraît qu'une telle convention soit également frappée de nullité sous le régime actuel.

9. - SuiTE. - CRÉANCES ENTRE ÉPOUX. - L'article 1478 du Code civil précise qu'après le partage consommé, un époux, créancier personnel de son conjoint, peut exercer ses droits sur la part de communauté de ce dernier et sur ses biens personnels. Dans deux arrêts, la Cour de cassation précise que l'époux créancier n'en possède pas moins le droit de réclamer son paie­ment auparavant sur les biens personnels de l'époux débi­teur (26).

II. - Régime en vigueur depuis la loi du 14 juillet 1976.

10. - ACTIF DU PATRIMOINE COMMUN. - SOMME INSCRITE SUR UN CARNET DE DÉPÔT AU NOM D'UN ÉPOUX (art. 1405, 4, du Code civil). -La titularité d'un carnet de dépôt ne permet pas

(22) Case., 9 juin 1978, Pas., 1978, I, 1159 aveo obs.; Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 367.

(23) CL. RENARD et A. DELIÈGE, <c Examen de jurisprudence (1968 à 1974), op. cit., R.O.J.B., 1976, p. 96, n° 23.

(24) Case., 16 février 1978, Pas., 1978, I, 698. (25) Case., 1er mars 1979, Pas., 1979, I, 782; R. W., 1979-1980, ool. 1431. (26) Case., 6 mai 1974, Pas., 1974, I, 918; oass., 18 juin 1976, Pas., 1976, I, 1139.

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de déduire le caractère propre ou commun de la somme qui· y est inscrite. Sauf à en prouver le caractère propre en vertu d'une disposition légale, cet argent est commun. Le principe résiduaire contenu à l'article 1405, 4 du Code civil est rappelé par le juge de paix de Berchem dans son jugement du 6 septembre 1979 (27).

11. - DROITS DES CRÉANCIERS. - DETTES CONTRACTÉES POUR LES BESOINS DU MÉNAGE. - APPRÉCIATION DE LEUR· CARACTÈRE EXCESSIF (art. 1414, al. 2, 1, du Code civil). -Deux époux mariés sous un régüne légal (28) vivent, d'après les faits relatés, selon un train de vie de loin supérieur à leurs ressources réelles, En 1980, Monsieur signe seul des reconnaissances de dettes pour un montant de plus de 2.000.000. Sur le compte commun, il tire des chèques qui, non provisionnés, sont protestés au moment de leur présentation à l'encaissement. Le créancier assigne Monsieur et Madame en paiement de la somme lui restant due (1.210.000 francs ont déjà été remboursés avant la citation ·en justice).

Pour que la dette soit commune et que son remboursement puisse être poursuivi sur les trois patrimoines, il faut qu'il s'agisse d'une dette contractée pour les besoins du ménage et qui, de plus, ne soit pas jugée excessive (art. 222 du Code civil ; en régime légal : art. 1408, al. 2, et 1414, al. 2, du Code civil).

Comme le souligne à bon droit le tribunal de commerce de Courtrai (29), c'est au créancier à rapporter la preuve du carac­tère ménager de la dette. La formulation large du législateur­<<besoins du ménage>>- doit permettre aux tribunaux d'adapter la notion aux circonstances de fait. Ces besoins qui recouvrent, et les besoins personnels de chaque époux, et les besoins collectifs de la vie en commun, sont essentiellement variables et doivent être évalués in concreto. L'appréciation du tribunal est donc souveraine en la matière. Dans l'affaire, dit en substance le juge, on peut considérer qu'il existe une apparence pouvant faire croire au créancier que la dette a été contractée pour les besoins du ménage : cette apparence résulte de l'émission de

(27) .T.P. Berchem, 6 septembre 1979, R. W., 1979-1980, col. 2264. (28) Le jugement ne précise pas le régime matrimonial sous lequel étaient mariés

les époux mais les articles du Code civil mis en œuvre nous l'indiquent à suffisance. (29) Comm. Courtrai, 9 avril 1981, Tijds. not., 1982, p. 47.

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chèques sur lesquels figure le nom des deux défendeurs. Piètre preuve en vérité du caractère ménager d'une dette!

Une fois reconnue par le tribunal comme étant contractée pour les besoins du ménage, la dette, commune en vertu de l'article 1408 du Code civil, ne perdra son caractère solidaire (art. 222, al. 2, du Code civil), et son recouvrement ne pourra pas être poursuivi sur le patrimoine de l'époux non contractant, que si ce dernier fait la preuve de son caractère excessif eu égard aux ressources du ménage (art. 1414, al. 2, 1, du Code civil). Ici non plus, aucun critère n'a été formulé et le tribunal dispose du pouvoir d'appréciation le plus large. Le juge de commerce de Courtrai, dans la décision précitée, estime devoir se baser non sur les ressources réelles des époux mais bien sur le mode de vie et les revenus apparents de la famille. Ainsi fait-il sienne la théorie de Mmes H. Casman et M. Van Look : <<Il ne faut pas tenir compte ( ... ) des revenus réels de la famille, car ceux-ci ne sont pas, en principe, connus des tiers; il faut donc plutôt tenir compte du train de vie de la famille>> (30). C'est de cette manière qu'était appréciée, sous la loi ancienne, l'étendue du mandat domestique de la femme.

12 . ._..: GESTION DD PATRIMOINE COMMUN. - RÉSILIATION D'UN BAIL À LOYER. - GESTION CONCURRENTE (art. 1416 du Code civil). - Dans un jugement du 28 août 1980 (31), le juge de paix de Tielt fait une application correcte des principes élémentaires de gestion du patrimoine commun en matière de bail. Un bail à loyer consenti par les conjoints et dont la durée n'excède pas neuf ans ne rentre pas dans le cadre de l'ar­ticle 1418.1, c, du Code civil. L'un d'eux est dès lors habile à en demander seul la résiliation, par application du principe de la gestion concurrente (art. 1416 du Code civil).

13. - SUITE. - DÉROGATION AU PRINCIPE DE LA GESTION CONJOINTE (art. 1420 du Code civil).

a) 1 ntroduction.

On sait que si le législateur de 1976 consacre par l'article 1416

(30) H. CASMAN et ~· V AN LooK, Régimes matrimoniaux, Ced Samson, Bruxelles, éd .. 1981, I, 11, 4.

(31) J.P. Tielt, 28 a.oftt 1980, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22677, p. 422.

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du Code civil le principe de la gestion concurrente du patrimoine commun, en revanche pour tous les actes qu'il juge importants, il adopte le système de la gestion conjointe. Ainsi en est-il des actes énumérés aux articles 1417, alinéa 2, 1418 et 1419 du Code civil. Cette exigence du consentement des deux époux ne doit cependant pas revêtir un caractère à ce point absolu qu'elle entrave la gestion du patrimoine commun. Aussi, l'article 1420 du Code civil per1net-il à l'un des époux, pour le cas où son conjoint refuse son consentement sans motif légitime ou est dans l'impossibilité de manifester sa volonté, d'accomplir seul moyennant autorisation du tribunal civil les actes soumis à gestion conjointe. Seuls, ceux-ci peuvent donc être visés par cet article, comme le rappelle le tribunal civil de Liège le 15 décembre 1978 (32).

b) Notion de motif légitime.

La légitimité du motif invoqué par l'époux récalcitrant s'appréciera in concreto par référence à l'intérêt de la famille (art. 1415, al. 2, du Code civil).

C'est ce qu'ont affirmé le tribunal civil et la cour d'appel de Bruxelles (33); le premier précisant, en outre, qu'un seul motif suffit à débouter celui qui demande l'autorisation d'agir seul (34).

c) Notion d'impossibilité de manifester sa volonté.- Caractère constant.

L'impossibilité de manifester sa volonté doit-elle présenter un caractère durable~ Le tribunal civil de Hasselt l'affirme (35).

Certes, le juge ne peut permettre une dérogation au système de la gestion conjointe que si l'époux demandeur agit dans l'intérêt de la famille. Il doit donc, pour chaque cas, vérifier in concreto si cet intérêt est bien en cause. Pour ce faire, il sera amené, entre autres, à s'interroger sur l'urgence de l'acte et il est vrai qu'en général, le caractère essentiellement temporaire

(32) Civ. Liège, 15 décembre 1978, Jur. Liège, 1978-1979, p. 242. (33) Civ. Bruxelles, 11 octobre 1977, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 67; Bruxelles,

26 novembre 1979, R. W., 1979-1980, col. 2257; Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 439. (34) C'est sciemment que la Sous-commission de la Justice du Sénat a décidé de

mettre l'expression <c motif légitime l> au singulier afin de bien montrer qu'un seul motif suffit (Doc. parlem., Sénat, session 1974-1977, n° 683-2, annexe, p. 169).

(35) Civ. Hasselt, 6 septembre et 8 novembre 1977, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 285, note H. CASMAN.

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de l'impossibilité d'un des époux de manifester sa volonté mettra obstacle à l'obtention de l'autorisation.

Mais tout autre est la démarche qui érige le caractère constant de l'impossibilité en une condition indispensable à l'obtention de l'autorisation : c'est là ajouter à la notion d'impossibilité une qualification non prévue par le législateur.

d) Cas du mineur émancipé.

La notion d'impossibilité de manifester sa volonté englo­be-t-elle le cas du mineur émancipé?

C'est ce que décide le tribunal civil d'Anvers le 25 juillet 1978 dans un jugement approuvé par Mme N. Gallus (36). L'un des époux n'ayant pas atteint l'âge de vingt et un ans, le juge autorise son conjoint, sur base de l'article 1420 du Code civil, à passer seul des actes d'acquisition et d'emprunt.

Selon Mme N. Ga1lus reprenant en cela l'avis des auteurs (37), la volonté du législateur telle que l'on peut la déduire de la lec­ture des travaux préparatoires (38) est de concevoir largement la notion d'impossibilité dont il est question. Cette notion viserait tous les cas où le conjoint ne peut manifester sa volonté quelle que soit la cause de l'impossibilité c'est-à-dire même en cas d'interdiction. L'expression ici analysée a déjà été utilisée par le législateur à l'article 214, alinéa 2, et 220, alinéa 1er, du Code civil. Il y est question de l'époux absent, interdit ou dans l'impos­sibilité de manifester sa volonté. Dans ces articles, contrairement à ce que soutient la doctrine pour l'article 1420, la notion d'impossibilité ne recouvre pas le cas de l'interdiction. Il est regrettable que dans un texte législatif donné, une même expres­sion puisse viser des réalités différentes (39).

(36) Civ. Anvers, 25 juillet 1978, Rev. trim. dr. jam., 1979, p. 302, note N. GALLUS.

(37) Voy. les auteurs cités par N. GALLUS dans sa note subpaginaJe n° 8, Rev. trim. dr. fam., 1979, p. 305.

(38) En effet, le texte définitif proposé par la Sous-commission de la Justice du Sénat prévoyait : <' ••• s'il se trouve, pour quelque motif que ce soit, dans l'impossibilité de manifester sa volonté l), L'emploi des termes - pour quelque motif que ce soit -devait éviter que la jurisprudence ne donne une interprétation trop restrictive. Le rapport précisait en outre que << le principe mentionné dans le texte se trouve déjà à l'article 214 l) (actuellement art. 220 du Code civil) (Doc. parlem., Sénat, session 1974-1977, n° 683-2, annexe, p. 170).

La Commission du Sénat a supprimé les termes - pour quelque motif que ce soit -sans aucune explication. Elle ne semble pas avoir voulu donner au texte une portée plus étroite (Doc. parlem., Sénat, session 1974-1977, n° 683-2, p. 61).

(39) Ne pourrait-on pas considérer qu'il faille s'en tenir au texte même de la loi

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Pour tous les actes importants, les régimes organisés pour la protection du mineur émancipé et de l'interdit sont similaires : conseil de famille et homologation du tribunal sont exigés par le législateur. Partant de cette similitude, Mme N. Gallus pense pouvoir déduire que l'article 1420 du Code civil applicable, selon la doctrine, à l'interdit doit nécessairement viser le cas du mineur émancipé.

Cette argumentation ne nous convainc pas. Les régimes applicables à ces deux incapacités présentent certes des traits communs mais comportent une différence capitale. L'interdit est placé sous un régime de représentation et c'est son tuteur qui, seul ou après avoir obtenu les autorisations nécessaires, agit pour lui. Le mineur émancipé, par contre, placé sous un régime d'assistance, doit agir personnellement et a seul l'initiative des actes qui l'intéressent : la manifestation de sa propre volonté est donc toujours requise. Peut-il, dès lors, être considéré comme étant dans l'impossibilité de manifester sa volonté~ Nous nous permettons d'en douter.

De deux choses l'une, en effet :

- ou bien le mineur émancipé refuse de solliciter les habilita­tions nécessaires ou ne les obtient pas : dans ce cas, sur base de la première hypothèse prévue par l'article 1420 du Code civil (40), le conjoint peut demander l'autorisation d'agir seul.

- ou bien le mineur émancipé obtient les habilitations et l'acte est alors passé conjointement par les deux époux.

C'est donc à tort, selon nous, que le tribunal civil d'Anvers, affirmant l'impossibilité pour tout époux mineur de manifester sa volonté, autorise son conjoint, sur base de l'article 1420 du Code civil, à acquérir et emprunter seul.

Dans sa note, Mme N. Gallus pose une autre question : les formalités habilitantes édictées par le législateur pour la protec­tion de l'incapable (en l'espèce, conseil de famille et homologation du tribunal) sont-elles ou non encore requises lorsque le conjoint

et que l'expression« impossibilité de manifester sa volonté» n'est susceptible que d'une seule interprétation? Exclu dès lors de l'application de l'article 1420 du Code civil, le cas d'un époux interdit se réglerait uniquement par le droit commun des incapables.

(40) Il s'agit, comme on le sait, de l'hypothèse où l'un des époux refuse de donner son consentement.

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de celui-ci a obtenu sur base de l'article 1420 du Code civil, autorisation d'agir seul (41}1

A notre sens, il s'agit là d'un faux problème. Sur base de l'article 1420 du Code civil, un des époux obtient un pouvoir de gestion exclusive sur le patrimoine commun pour une opéra­tion relevant, en principe, de la gestion conjointe. Il agit seul au nom de la communauté ; l'incapacité éventuelle de son con­joint n'a plus, nous semble-t-il, à être soulevée.

e) Modalités de l'autorisation. - Caractère pur et simple ou conditionnel.

Le tribunal de Hasselt dans le jugement précité ( 42) soumet son autorisation aux conditions suivantes : il impose à l'époux demandeur le remploi en immeuble du prix de vente et l'acqui­sition, pour le surplus éventuel, de valeurs mobilières au nom des deux époux (43).

Un arrêt de la cour d'appel d'Anvers (44) confirme, quant à lui, l'autorisation sous condition accordée en première instance à une épouse sur base de l'article 1420 du Code civil. En l'espèce, devant le refus de son mari, l'épouse sollicite du tribunal l'auto­risation de vendre seule quatre terrains faisant partie d'un ensemble plus grand dépendant du patrimoine commun. Consi­dérant comme non légitime le motif de refus de l'époux, la cour d'appel confirme l'autorisation accordée en première instance, en maintenant pour l'essentiel, la condition à laquelle elle était subordonnée : l'épouse pourra agir seule à condition qu'une autorisation comme terrain à bâtir pour les parcelles litigieuses soit obtenue ( 45).

Le tribunal a-t-il pouvoir de subordonner son autorisation à des conditions déterminées ?

( 41) Elle opte pour la négative en démontrant la prééminence du << droit des régimes ·matrimoniaux » sur le << droit des incapables>>, N. GALLUS, note sous civ. Anvers, 25 juillet 1978, op. cit., p. 307.

(42) Civ. Hasselt, 6 septembre et 8 novembre 1977, voy. référence note 35. (43) Pour la critique des conditions même imposées par le juge, voy. H. CASMAN

dans la note qu'elle consacre à ce jugement, Rev. trim. dr. Jam., 1979, p. 286. (44) Anvers, 14 décembre 1981, Rev. trim. dr. Jam., 1982, p. 97. { 45) ~ Op voorwaarde dat een vergunning ais bouwgrond voor kwestieuze percelen

wordt verkregen >>, Anvers, 14 décembre 1981, op. cit., p. 100. En première instance, l'autorisation avait été accordée sous condition que le plan de lotissement mentionné soit au préalable accepté et qu'une autorisation comme terrain à bâtir pour les par­celles litigieuses soit obtenue.

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Mme H. Casman, dans la note qu'elle consacre au jugement de Hasselt, adopte une position catégorique : l'autorisation doit être pure et simple. Le juge << ne peut que donner ou refuser son autorisation selon qu'il estime que l'acte porte ou non atteinte aux intérêts du conjoint>> (46).

La réponse à la question ici posée nous semble devoir être nuancée. Sollicitant le droit d'accomplir seul une opération juri­dique relevant de la gestion conjointe, l'époux demandeur n'obtiendra satisfaction que si le tribunal estime qu'il agit dans l'intérêt de la famille. Peut-on prétendre que le juge dépasse la mission qui lui est ainsi confiée lorsque, pour s'assurer du respect de cet intérêt, il n'accorde son autorisation que moyen­nant certaines modalités relatives à l'acte même soumis à son appréciation 1 Faut-il lui dénier, par exemple, le droit de fixer un prix minimum pour la vente d'un bien, le droit d'imposer ou d'interdire certaines clauses dans le cahier des charges d'un acte d'emprunt1 Nous ne le pensons pas. De même, soumettre, comme le fait la cour d'appel d'Anvers, le droit pour l'épouse de vendre seule les terrains communs à la condition qu'ils soient vendus comme terrains à bâtir nous paraît entrer dans la mission du juge.

Tout différent est ce que fait le tribunal de Hasselt dans la décision prérappelée (47). La condition qu'il impose ne porte pas sur un élément de l'opération envisagée, elle n'est pas relative à la vente elle-même mais bien à la manière dont le prix de vente doit être utilisé. Tombée en communauté, cette somme est soumise à la gestion concurrente des époux (art. 1416 du Code civil). En imposer le remploi en bien immeuble, c'est s'immiscer dans la gestion par les époux de leur patrimoine; cela dépasse, à notre sens, le rôle confié au juge à l'article 1420 (48). La somme, conformément à l'article 1415 du Code civil, doit être gérée dans l'intérêt de la famille et le législateur a prévu des moyens de prévenir et de sanctionner tout acte non conforme à cet intérêt (art. 1421, 1422 et 142G du Code civil). De plus,

(46) H. CASII'I:AN, note sous civ. Hasselt, 6 septembre et 8 novembre 1977, op. cit., p. 286.

(47) Civ. Hasselt, 6 septembre et 8 novembre 1977, voy. référence note 35. (48) In casu, le juge semble avoir été guidé dans sa décision par le souci de protéger

au maximum le conjoint de l'époux demandeur. Celui-ci, en effet, malgré un état mental déficient n'était placé sous aucun régime juridique de protection.

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quelle sécurité aura le tiers contractant avec un époux qui n'a l'autorisation judiciaire d'agir seul que moyennant le respect de conditions extérieures à l'acte? Il ne sera pas en possession de tous les éléments qui lui permettraient de s'assurer de la validité de celui-ci.

f) Autorisation de vendre seul. - Disposition du prix de vente.

Dans l'affaire soumise à la cour d'appel d'Anvers dont il vient d'être parlé, l'épouse avait demandé, dans sa requête originelle, outre l'autorisation de vendre quatre parcelles de terrain, le droit de disposer seule du prix de vente - << om te beschikken over de koopsom >> - ( 49).

A suivre la cour d'appel, cette demande devrait être comprise comme une demande de règlement du pouvoir de gestion visé à l'article 1426 du Code civil. Aussi, partant de la constatation que les parcelles à vendre dépendaient du patrimoine commun, la cour attribue aux époux pouvoir d'agir chacun sur la moitié du prix de vente. Telle n'est cependant pas la portée de l'ar­ticle 1426 du Code civil. Celui-ci ne vise pas un règlement mais bien un retrait de pouvoir qui ne peut être prononcé qu'en cas d'inaptitude du conjoint dans la gestion ou de mise en péril des intérêts de la famille. Il n'en est pas question ici.

Quel pouvoir l'épouse souhaite-t-elle obtenir en demandant la disposition du prix de vente de l'immeuble?

Rappelons tout d'abord, à toutes fins utiles, que la perception du prix d'aliénation d'un immeuble commun relève, conformé­ment à l'article 1418, 2, b, de la gestion conjointe. L'autorisation obtenue sur base de l'article 1420 de vendre seul un immeuble commun, implique-t-elle automatiquement le droit d'en percevoir seul le prix?

Cette perception n'est-elle pas une simple conséquence de la première opération? Telle ne semble pas être la position du législateur. Pour lui, ces deux opérations ne sont pas à ce point liées qu'elles doivent être confondues puisque, dans l'énumération qu'il fait des actes soumis à gestion conjointe, il a pris la peine de les considérer séparément en deux alinéas distincts (art. 1418, 1, a, et 1418, 2, b, du Code civil).

(49) Anvers, 14 décembre 1981, op. cit., p. 99.

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L'épouse veut-elle gérer l'intégralité de la somme1 On voit mal la portée de sa demande ainsi conçue puisque, commune, cette somme relève de la gestion concurrente. Est-ce la gestion exclusive qu'elle souhaite obtenir~ Ce n'est pensable que si, ayant demandé et obtenu le droit de percevoir seule le prix de vente, elle place cette somme sur un compte ouvert à son nom (art. 218 du Code civil). Enfin, si c'est non la gestion mais bien la propriété exclusive qu'elle sollicite, sa demande nous semble irrecevable. On n'aperçoit pas sur quelle base juridique un des époux pourrait en cours de mariage se voir attribuer la propriété d'un bien tombé en communauté. Mais compte tenu du fait que les époux étaient en instance de divorce, la cour n'a-t-elle pas effectivement cherché à<< partager>> la somme avant toute liqui­dation1

14. - SUITE. - CAUTIONNEMENT. - GESTION CONCURRENTE ou CONJOINTE (art. 1417, al. 1er, art. 1418, 2, d, 1419 du Code civil).- PossiBILITÉ D'ANNULATION (art. 1422 du Code civil).­Le jugement du tribunal civil de Bruxelles du 27 mars 1981 (50) a fait l'objet d'une note d'observations aussi claire que complète de M. J.-M. Gustin (51). Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à cette étude tout en épinglant les questions essentielles qui y sont traitées.

Pour consentir à une société anonyme une importante ouver­ture de crédit, la S.N.C.I. exige que le baron de Jacquier de Rosée, président, actionnaire et administrateur de cette société, s'engage comme caution solidaire. Après avoir réclamé la signature de l'épouse << selon les nouvelles prescriptions légales relatives aux régimes matrimoniaux>> (52), l'organisme de crédit accepte cepen­dant la caution de Monsieur sans le contreseing de son épouse. L'acte est passé le 30 mars 1978. La faillite de la société est prononcée le 27 juin 1978. Madame demande, le 28 mars 1979, sur base des articles 224, § 2 (53) et 1422 du Code civil, l'annula­tion de l'acte souscrit par son conjoint seul. Le tribunal accueille cette demande sur l'une et l'autre bases (54).

(50) Civ. Bruxelles, 27 mars 1981, J.T., 1981, p. 708, note J.-M. GusTIN; Rec. gén. enr. et not., 1982, n° 22793, p. 353, note A.C.

(51) Cette note d'observations a obtenu le prix du Jou1·nal des tribunaux 1981. (52) Civ. Bruxelles, 27 mars 1981, op. cit., p. 710. (53) Nous n'examinerons pas la décision du tribunal sur la portée de l'article 224,

§ 2, du Code civil, cette analyse relevant, en effet, du régime primaire. (54) En outre, le jugement déclare non fondée l'action en intervention et garantie

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Que ce soit en vertu de l'article 224 ou en vertu de l'article 1422 du Code civil, l'épouse doit, à peine de forclusion, intenter son action dans l'année du jour où elle a eu connaissance de l'acte litigieux. Est-il nécessaire de préciser que la connaissance des pourparlers préalables ne peut pas entrer en ligne de compte pour le calcul de ce délai; celui-ci commence à courir au plus tôt le jour de la passation de l'acte.

En tant qu'actionnaire, administrateur et président de << sa >> société, le baron de Jacquier peut être considéré comme exerçant une activité professionnelle. Il faut dès lors s'interroger sur la portée des termes << nécessaires à l'exercice de la profession >> contenu dans l'article 1417, alinéa 1er, du Code civil. Pour le tribunal, <<il n'est pas établi qu'en donnant sa caution, il (le baron) accomplissait un acte de gestion nécessaire à cette (son) activité professionnelle >> (55). Le tribunal peut paraître ainsi s'en tenir à une interprétation rigoureuse de la notion de nécessité, encore qu'il soit possible qu'il ait apprécié l'opportunité de l'engagement (il est, en effet, frappant de constater à quel point la faillite a suivi de peu l'ouverture de crédit). La majorité des auteurs (56) estime qu'une interprétation restrictive du terme << nécessaire >> ne correspond pas à la volonté du législateur. << Ils se satisfont à juste titre, écrit M. Gustin, du critère d'utilité et se contentent d'un lien de causalité avec l'exercice de l'activité professionnelle>> (57).

La demande en annulation de l'épouse peut-elle être fondée sur l'article 1422 du Code civil (58)~ En d'autres termes, le cautionnement relève-t-il de la gestion conjointe (art. 1418, 2, d, et 1419 du Code civil) et peut-il, dès lors, faire l'objet d'une demande en annulation s'il a été accompli par un époux seul?

intentée par la S.N.C.I. contre le baron de Jacquier, en vue de l'exécution de ses enga­gements contractuels et - subsidiairement - de l'obtention de dommages-intérêts. Au point VI de sa note d'observations, M. J.-M. Gustin démontre pourquoi il estime cette action<< bel et bien recevable et fondée 1) (J.-M. GuSTIN, J.T., 1981, p. 712).

(55) Civ. Bruxelles, 27 mars 1981, J.T., 1981, p. 710. (56) Voy. les auteurs qu'il cite en note subpaginale n° 13, J.T., 1981, p. 711, et

CL. RENARD, <<Le régime légal : la gestion 1>, in Sept leçons sur la réforme des régimes matrimoniaux, Liège, 1977, p. 72 et 73. Dans l'édition 1981 de leur ouvrage Les régimes matrimoniaux, H. CASMAN et M. V AN LooK estiment qu' << une interprétation trop stricte de la notion de 'nécessité' ne correspond pas à la volonté du législateur d'accorder aux époux une certaine autonomie professionnelle 1>, Les régimes matrimoniattx, op. cit., III/10, p. 12.

(57) J.-M. GusTIN, note sous civ. Bruxelles, 27 mars 1981, J.T., 1981, p. 711. (58) Cette question est superfétatoire puisque l'annulation était déjà acquise sur

base de l'article 224 du Code civil.

Revue Critique, 1983, 3 - 28

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A bon droit, le juge écarte l'application de l'article 1418, 2, d, du Code civil en démontrant que le cautionnement ne peut être assimilé au contrat principal de prêt. Il reçoit cependant la demande de l'épouse en considérant à tort le cautionnement comme une disposition entre vifs à titre gratuit au sens de l'article 1419. Certes, si le tribunal souligne à juste titre que le cautionnement peut être- et est d'ailleurs souvent -un contrat à titre gratuit entre le débiteur principal et la caution, il seinble perdre de vue que l'opération met en présence une troisième personne, le créancier. Dans les rapports entre ce dernier et la caution, peut-on encore parler de gratuité 1 De plus, tout contrat à titre gratuit n'est pas nécessairement une libéralité.; encore faut-il qu'il y ait abandon actuel et irrévocable d'un bien par le <<donateur>>. Tel n'est certes pas le cas pour la caution qui, amenée à exécuter ses engagements, conserve un recours contre le débiteur principal.

Il reste que l'annulation ne peut être prononcée par le juge que si d'une part, l'époux non contractant justifie d'un intérêt légi­time et si d'autre part, cette annulation ne préjudicie pas aux droits des tiers de bonne foi.

In casu, constatant les effets néfastes qu'aurait sur le patri­moine commun l'exécution de la caution, le tribunal a admis l'intérêt légitime de l'épouse. Par contre, il a écarté l'application de la seconde réserve, la S.N.C.I. ne faisant pas la preuve de sa bonne foi. M. J.-M. Gustin fait au point V de sa note d'obser­vations l'examen de la nature et des conséquences de la sanction édictée à l'article 1422 du Code civil.

15. - GESTION DU PATRIMOINE PROPRE. -EMPRUNT CON­TRACTÉ DANS L'INTÉRÊT EXCLUSIF DU PATRIMOINE PROPRE. -GESTION EXCLUSIVE (art. 1425 du Code civil). - Une épouse mariée sous le régime légal désire emprunter afin d'acquérir la pleine propriété d'un immeuble dont elle est déjà coproprié­taire. Sur base de l'article 1420 du Code civil, elle introduit une requête auprès du tribunal de première instance de Liège en vue d'obtenir l'autorisation d'agir seule.

Dans sa décision du 15 décembre 1978, le juge déclare cette requête sans objet (59). La part indivise que l'épouse veut acqué-

(59) Civ. Liège, 15 décembre 1978, Jur. Liège, 1978-1979, p. 242.

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rir sera propre, conformément à l'article 1400, 4, du Code civil. L'emprunt nécessaire à une telle acquisition constitue une dette contractée dans l'intérêt exclusif du patrimoine propre et par conséquent, une dette propre à l'épouse (art. 1407, al. 1er, du Code civil) (60). Il s'agit donc pour l'épouse d'accomplir un acte de gestion concernant le patrimoine propre ; elle peut agir seule, l'article 1425 du Code civil lui attribuant la gestion exclusive de ce patrimoine.

Il reste que la position du créancier cocontractant face .. à un époux qui déclare agir dans J'intérêt exclusif de son patrimoine propre est aléatoire (61). Ce tiers peut-il se contenter d'une simple déclaration de l'époux emprunteur ou doit-il exiger des j ustifica ti ons précises ? Quels risques court-il ( 62)?

16. - DISPOSITION COMMUNE À LA GESTION DES PATRIMOINES

PROPRES ET COMMUN. -RETRAIT TOTAL DE POUVOIR. -GESTION

CONFIÉE À UN TIERS (art. 1426 du Code civil). - Par jugement du 14 janvier 1981, le tribunal civil de Bruxelles (63) retire sur base de l'article 1426 du Code civil, à une épouse commune en biens, tous pouvoirs de gestion sur son patrimoine propre ainsi que sur le patrimoine commun et· les confie à son fils.

Les faits de la cause relèvent que l'état mental de cette femme ne lui permet plus d'assurer une saine gestion et que son compor­tement met en danger l'intérêt de la famille (64) (65). Quant à la désignation du fils - non du conjoint - comme ((gestion-

(60) Peut-être est-il bon de rappeler que, sauf à vider l'article 1407, alinéa 1er, de toute portée, il ne faut pas donner au terme exclusif un sens véritablement absolu. En effet, dans la mesure où les revenus des biens propres entrent dans le patrimoine commun, un accroissement de la valeur de ces biens finit presque toujours par profiter à la masse commune (A. DELIÈGE, « Le régime légal : le passif et les droits des créan­ciers», in Sept leçons sur la réforme des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 91).

(61) Dans le cas d'espèce, les deux actes- emprunt et acquisition- seront, selon toute vraisemblance, réalisés le même jour. La sécurité du tiers cocontractant était là assurée.

(62) Pour une analyse de cette question, voy. CL. RENARD, «Le régime légal : la. gestion», in Sept leçons sur la réforme des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 77, et E. VIEUJE.AN, «Le régime légal : passif et gestion>>, in La réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux, éd. du Jeune Barreau, Bruxelles, 1977, p. 274.

(63) Civ. Bruxelles, 14 janvier 1981, Rev. trim. dr. fam., 1981, p. 347, note H. CAs-MAN.

(64) Ces deux conditions ne doivent pas nécessairement être cumulées, voy. le texte même de l'article 1426.

(65) Ainsi, des papiers qui furent trouvés chez elle, il ressort qu'elle a dilapidé en deux ans environ 45.000.000 1

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naire >>, la situation de fait des époux, séparés depuis 1974 et actuellement en litige, l'explique en suffisance (66).

Comme semble le permettre l'article 1426 du Code civil, le juge ordonne un retrait total de pouvoir. On peut pourtant se demander si le fils, par le biais de ce mandat judiciaire, va pouvoir, en lieu et place de sa mère, exercer sans aucun contrôle toute gestion 1

Pour ce qui est des actes soumis à la gestion conjointe (art. 1417, al. 2, 1418 et 1419 du Code civil), il sera appelé à agir avec son père. Selon les auteurs, la solution serait différente si la gestion retirée à l'un des époux sur base de l'article 1426 du Code civil avait été confiée à son conjoint. Tous, dans ce cas, sont d'accord pour exiger que ce dernier obtienne pour chaque acte dont il vient d'être question une autorisation spéciale (67). Celle-ci sera accordée sur base de l'article 1420, l'époux à qui tout pouvoir a été retiré étant dans l'impossibilité de manifester sa volonté (68).

Et en ce qui concerne la gestion exclusive prévue par l'ar­ticle 1417, alinéa 1er, du Code civil ainsi que la gestion du patri­moine propre 1

<<Le substitué, écrit M. E. Vieujean, se pourvoira d'une auto­risation spéciale pour tout ce qui excède l'administration>> (69). Il reste qu'on aperçoit mal sur quelle base juridique l'autorisation devra alors être sollicitée ; en effet, l'article 1420 n'est relatif qu'à la gestion conjointe du patrimoine commun (70).

Afin d'éviter tout problème, n'est-il pas préférable que la

(66) Le tribunal a entière liberté pour choisir la personne qui exercera la gestion en lieu et place de l'inapte. Cependant, sauf circonstances particulières - comme en l'espèce- il nous semble peu recommandable de voir les pouvoirs de gestion conjointe et surtout concurrente sur le patrimoine commun confiés à un tiers.

(67) H. CASMAN, << Het wettelijk stelsel. - Bestuursbevoegdheden en sanctie­regeling )), in Het nieuwe Belgische huweliiksvermogensrecht, Postuniversitaire lessenreeks, Gent, 1978, p. 307; L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux (loi du 14 J"uillet 1976) et formules d'application, Bruylant, Bruxelles, 2e éd.; 1978, p. 304; E. VIEUJEAN, <<Régime légal : passif et gestion )>, in La réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 270.

(68) Il est curieux de constater qu'un époux à qui tout pouvoir de gestion a été retiré est considéré ou non dans l'impossibilité de manifester sa volonté selon que la gestion a été, sur base de l'article 1426 du Code civil, confiée au conjoint ou à un tiers.

(69) E. VrEUJEAN, <<Régime légal : passif et gestion)), in La réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux (loi du 14 juillet 1976), op. cit., p. 272.

(70) La base juridique ne pourrait être que l'article 1426 lui-même.

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juridiction précise et délimite les pouvoirs qu'il accorde~ << Le tribunal n'a pas seulement la mission de vérifier les faits dont dépend l'application des articles 220, § 2, ou 1426. Il doit encore définir les pouvoirs qu'il attribue, la manière dont ils seront exercés et les précautions propres à prévenir abus et autres mauvais usages : c'est une tâche que le silence de la loi lui abandonne >> ( 71).

17. - DISSOLUTION DU RÉGIME LÉGAL. - ATTRIBUTION

PRÉFÉRENTIELLE (art. 1446 et 1447 du Code civil). - L'ar­ticle 1447 du Code civil permet à chaque époux, en cas de disso­lution de leur régime matrimonial par divorce, de demander au tribunal l'attribution préférentielle (72), notamment de l'immeuble servant de logement principal à la famille. Encore cet immeuble doit-il faire partie du patrimoine commun. C'est ce qu'affirme, à bon droit, le tribunal de Termonde le 5 février 1981 (73). La place dans le code de cet article 1447 ne laisse aucun doute à ce sujet. Le tribunal ajoute en outre que ce droit d'attribution n'est imaginable que si celui qui le sollicite est copropriétaire du bien; il se conforme en cela à la position adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 21 sep­tembre 1979 selon laquelle l'attribution préférentielle constitue un mode particulier d'exercice du droit de sortir d'indivision (74).

Peut-être est-il bon de rappeler que, dans le cas ici analysé, la preuve du caractère commun du bien dont l'un des époux sollicite la reprise ne permet pas - contrairement au cas de dissolution par décès (art. 1446 du Code civil)- une attribution automatique en sa faveur. Le juge doit statuer<< en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause et des droits de récom­pense et de créance au profit de l'autre époux>> (art. 1447, al. 2, du Code civil).

(71) E. VIEUJEAN, <<Régime légal : passif et gestion», in La réforme dea droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 270.

(72) Celle-ci est organisée par l'article 1446 du Code civil. (73) Civ. Termonde, 5 février 1981, J.T., 1981, p. 329; Rec. gén. enr. et not., 1981,

no 22673, p. 416. (74) Cass., 21 septembre 1979, R. W., 1979-1980, coL 2648, note H. CASMAN; Pas.,

1980, I, 102; Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 380, note J.-L. RENCHON; Tijds. not., 1980, p. 248.

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SECTION II. - RÉGIMES CONVENTIONNELS (75).

I. - Séparation de biens.

18. -PREUVE DE LA PROPRIÉTÉ PERSONNELLE D'UN BIEN.­

Depuis la réforme du régime matrimonial opérée par la loi du 14 juillet 1976, la preuve par un époux séparé de biens de la propriété exclusive d'un bien dans son chef doit emprunter les modes prévus par l'article 1399 du Code civil (art. 1468 du Code civil). Dès lors, quand une épouse séparée de biens reven­dique, contre le curateur de son mari failli, la propriété d'un bien mobilier, elle ne peut faire la preuve de son droit que par l'un des modes admis à l'encontre des tiers (76).

19. ·-:-:-·"ACQUISITION EN COMMUN D'UN BIEN PAR LES ÉPOUX. -

Rien n'empêche les époux séparés de biens d'acquérir conjoin­tement des biens meubles ou immeubles; l'hypothèse est assez fréquente en ce qui concerne l'immeuble destiné à abriter la famille. Le professeur Baeteman a naguère, dans cette revue (77), longuement étudié cette question. Il faut noter que l'origine des fonds qui ont permis l'acquisition de l'indivision importe peu; un des époux peut avoir payé seul le prix ou en avoir payé une partie plus élevée que l'autre; chacun n'en est pas moins propriétaire, à défaut d'une clause imposant une autre réparti­tion, de la moitié de l'immeuble (art. 577bis, § 2, du Code civil). Dans un tel cas, l'époux solvens sera en principe pourvu d'une créance contre son conjoint, pour-le montant de la somme qu'il a acquittée au profit de celui-ci. La preuve de cette créance doit se faire selon le droit commun des obligations, et l'époux qui a payé entre les mains d'un tiers la dette de son conjoint est censé l'avoir fait de ses deniers (78).

(75) Compte tenu du petit nombre de décisions et du peu de modifications intro­duites par la loi du 14 juillet 1976, nous n'avons pas établi de distinction selon que les décisions tranchaient ou non des situations antérieures à la nouvelle loi.

(76) Comm. Bruxelles, 2 avril 1979, Rev. trim. dr. jam., 1979, p. 409. In casu, les époux s'étaient mariés avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle; pour la question de droit transitoire, voy. infra, n° 54.

(77) G. BAETEMAN, <c Le statut juridique des immeubles acquis conjointement par deux époux séparés de biens)), R.O.J.B., 1971, p. 202 et suiv.

(78) Cass., 17 mai 1976, Pas., 1976, I, 990; Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 331. Sur ce problème de preuve, voy. notamment H. CASMAN, Rev. trim. dr. fam., 1979, p. 214 et suiv.

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Le conjoint, à son tour, peut établir la preuve contraire qu'il ne doit rien, notamment parce gue le paiement fait par son époux constitue en réalité une donation ; toutefois cette donation pouvant toujours être révoquée, le risque est grand pour le donataire, en cas de mésentente des époux, de se voir imposer de toute façon le remboursement. Mais le problème est tout en nuances et il peut encore être posé sur le terrain de la contribution aux charges du ménage. La question a été discutée si les frais d'acquisition d'un immeuble destiné à abriter la famille consti­tuaient toujours une charge du mariage. En général, la doctrine se prononce pour la négative (79), tandis que la jurisprudence de la Cour de cassation (80) tend à l'admettre dans certaines conditions. Une interprétation concrète des intentions des époux quand ils font une acquisition en commun peut révéler par exemple que le mari a payé intégralement le prix de l'immeuble acheté indivisément en vue de l'habitation familiale. Il est possible alors que ce ne soit là que la contrepartie de la contri­bution que la femme a fournie au ménage par son travail non rémunéré <<apportant ses soins à la bonne marche du ménage, veillant sur la santé et l'éducation de l'enfant>> (81).

De telles circonstances excluent l' animus donandi et attestent l'intention implicite des époux de consacrer leur faculté à l' acqui­sition d'une habitation familiale et de faire rentrer les frais de cette acquisition dans les charges du mariage. Mais il faut se garder de poser en principe que de tels frais sont en soi des charges du mariage (82).

C'est ainsi que dans un jugement du 29 juin 1977, le tribunal civil de Huy (83) a pu considérer pour de bonnes raisons que la contribution de la femme aux besoins du ménage ne contre­balançait en rien la charge que le mari avait assumée en acquit­tant la totalité du paiement d'un appartement érigé en commun.

(79) CL. RENARD et A. DELIÈGE, «Examen de jurisprudence (1968 à 1974) », O'JJ. cit., R.O.J.B., 1976, p. 103, n° 27.

(80) Cass., 22 avril 1976, Pas., 1976, 1, 914; J.T., 1977, p. 98; R. W., 1976-1977, col. 993, note H. CASMAN; R.O.J.B., 1978, p. 127, note CL. RENARD; comp. casa., 20 octobre 1978, R. W., 1978-1979, col. 368, note H. CASMAN; Pas., 1979, 1, 216; Rev. not. belge, 1980, p. 356.

(81) Cass., 22 avril 1976, R.O.J.B., 1978, p. 130. (82) CL. RENARD,« Séparation de biens et travail ménager)), note sous cass., 22 avril

1976, R.O.J.B., 1978, p. 137, n° 4. (83) Civ. Huy, 29 juin 1977, Pas., 1979, III, 63; Rev. not. belge, 1979, p. 52; Rec.

gén. enr. et not., 1979, n° 22.397, p. 232.

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Le tribunal a conclu que le mari a réalisé une donation indirecte, révocable ad nutum. En l'occurrence, le tribunal constate notam­ment que si l'épouse a subvenu à ses besoins en matière de vêtements, grâce à des économies antérieures à son mariage, elle n'a pas participé aux frais de nourriture du ménage et a gardé par devers elle les revenus locatifs d'un autre appartement qu'elle possédait en propre.

En revanche, le tribunal civil d'Anvers repousse, par un juge­ment du 11 décembre 1980 (84), la prétention du mari à récupérer la donation qu'il aurait faite à sa femme pour sa quote-part dans l'acquisition de l'immeuble familial, en constatant que ]'épouse disposait d'un capital propre suffisant pour acquitter cette somme et, qu'en outre, sa quote-part pouvait être versée sous forme d'activités ménagères.

Ainsi donc, les frais d'une acquisition d'immeuble en régime de séparation de biens peuvent rentrer dans le cadre de la contribution aux charges du mariage, mais c'est sous un certain nombre de conditions :

a) l'acquisition doit être faite en commun, chaque époux devenant propriétaire de la moitié indivise de l'immeuble;

b) l'acquisition doit être faite dans le but de servir à l'habita­tion de la famille dans des conditions conformes à son état social ;

c) ]es contributions respectives du mari et de la femme aux charges du mariage et spécialement à celles des frais d'acquisition del'immeuble doivent, quelles qu'en soient les modalités maté­rielles, s'équilibrer raisonnablement.

Dans un même ordre d'idées, il y a lieu de noter un jugement du tribunal civil d'Anvers du 18 octobre 1977 (85). Ce jugement tire hardiment les conséquences de l'attitude si fréquente des époux séparés de biens qui vivent en fait comme s'ils se trou­vaient en communauté. Un fonds de commerce avait été créé par le mari durant le mariage pour l'exploiter avec la collabora­tion de son épouse. Présumant les intentions tacites des con­joints, le tribunal décide que le fonds de commerce exploité dans ces conditions doit être considéré comme appartenant aux deux

(84) Civ. Anvers, 11 décembre 1980, Rev. trim. dr. fam., 1981, p. 478. (85) Civ. Anvers, 18 octobre 1977, R. W., 1978-1979, col. 906, note H. CASMAN;

Rec. gén. enr. et not., 1979, no 22.357, p. 112.

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époux, à chacun pour moitié, sans tenir compte de l'étendue de leurs contributions respectives à l'exploitation. Le fait que c'est le mari qui a pris à son nom l'inscription au registre du commerce est sans portée, cette inscription ne faisant aucune preuve de la propriété entre les parties.

Une fois ce principe posé, le tribunal en tire une conséquence importante : ayant été acquis au nom des deux époux grâce aux bénéfices réalisés daris l'exploitation du fonds de commerce, les immeubles appartiennent indivisément aux époux, à chacun pour moitié.

20. - CESSION DE PARTS INDIVISES PAR UN ÉPOUX À SON CONJOINT.- PoRTÉE DE L'ARTICLE 1469 DU CoDE CIVIL.- L'ar­ticle 1469, alinéa 2, du Code civil prévoit que le rachat par l'un des époux de la part de l'autre dans un ou plusieurs biens ne peut avoir lieu qu'en vente publique ou moyennant l'autorisation du tribunal. A quelles hypothèses s'applique ce texte~ Deux décisions en ont adopté une interprétation restrictive.

L'une émane du tribunal d'Arlon, qui dans un jugement du 28 mars 1978, déclare sans objet la requête de deux époux en vue d'obtenir l'autorisation prévue par l'article 1469, ali­néa 2 (86). La décision, assez laconique, considère que l'opération soumise au tribunal est un partage et, à ce titre, n'est pas soumise aux formalités de l'article 1469 du Code civil. Il s'agissait effec­tivement d'une convention très complexe, contenant de multiples dispositions tendant à la répartition entre les époux d'éléments de leur actif et de leur passif respectifs ; certaines de ces dispo­sitions débordaient même le cadre strict d'un partage, comme la vente de deux immeubles à un tiers ou l'octroi d'un bail commercial consenti par l'un des époux à l'autre pour vingt-sept ans.

L'autre émane du tribunal de Liège (87). Il s'agissait ici d'époux décidés à divorcer par consentement mutuel, qui enten­daient sans doute anticiper sur Je règlement transactionnel, tout en déclarant à l'audience que ce règlement reproduirait textuellement le projet de partage des immeubles soumis au tribunal. Ainsi envisagé, ce projet apparaissait plutôt comn1e un

(86) Civ. Arlon, 28 mars 1978, Jur. Liège, 1977-1978, p. 245. (87) Civ. Liège, 2 décembre 1977, Jur. LUge, 1977-1978, p. 198.

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partage VIse a l'article 1469, alinéa 1er, du Code civil. En revanche, le fait que le mari s'engageait à payer à son épouse une soulte d'un million quatre cent mille francs pouvait faire pencher l'interprétation vers la notion de<< rachat>>. Le tribunal se rallie à la première interprétation, notamment parce que <<le partage se conçoit mieux en l'espèce qu'un rachat de parts puisqu'il s'agit d'époux se préparant à divorcer par consentement mutuel, procédure qui - si elle est menée à son terme - aboutira fatalement audit partage et à la liquidation de toute indivision pouvant encore exister entre parties à ce moment>> (88).

Il faut, pensons-nous avec cependant quelque réticence, approuver ces deux décisions. Tout d'abord, les textes eux-mêmes font une distinction nette entre le partage et le rachat par l'un des époux d'une ou plusieurs parts indivises appartenant à son ·conjoint. Sans doute, la cession de ces parts indivises par un indivisaire à l'un de ses consorts est-elle un acte équipollent à partage; mais il n'y a rien d'anormal à ce que le législateur impose des conditions particulières à la réalisation valide d'un acte équipollent à partage, en raison des risques que celui-ci comporte à ses yeux. En l'occurrence, ces risques sont, d'après le .rapport de M. le sénateur Hambye, ceux de la fraude à l'égard des créanciers de l'époux<< vendeur>> et du déguisement d'une donation.

Il faut aussi avoir particulièrement égard à la possibilité d'abus d'influence, cette fois surtout de la part de l'époux <<acheteur>> qui, en raison de l'ascendant qu'il exerce sur son conjoint ou de l'inexpérience de celui-ci, pourrait obtenir le <<rachat>> dans des conditions peu honnêtes. On est ainsi natu­rellement conduit à distinguer selon qu'un époux cède sa part indivise à l'autre moyennant le paiement en espèces de la valeur de cette part (ou éventuellement contre dation en paiement d'un bien propre) ou que les époux procèdent à un véritable partage, c'est-à-dire à une répartition en nature de biens indivis entre eux. L'article 1469, alinéa 2, s'appliquerait dans la première hypothèse, celle du <<rachat>> et non dans la seconde, celle du partage au sens propre. Cette distinction a reçu l'approbation, particulièrement autorisée, de M. le sénateur Hambye et de M. le député Baert, rapporteurs du projet. Il est certain que les

(88) Civ. Liège, 2 décembre 1977, op. cit., p. 199.

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risques évoqués ci-dessus, notamment celui d'abus d'influence, se manifesteront surtout dans le cas du rachat tel qu'il vient d'être défini. Il n'est nullement exclu toutefois qu'ils se mani­festent aussi dans un véritable partage; par exemple un des époux, sur une masse d'un million, peut recevoir en nature, dans un partage amiable, l'équivalent de deux cent cinquante mille francs et l'autre l'équivalent de sept cent cinquante mille francs. C'est dire que le système offre un aspect un peu artificiel, qu'illustre, à notre avis, le jugement du tribunal de Liège. Aussi nous paraît-il évident qu'il faudrait appliquer l'article 1469, alinéa 2, au cas où un acte qualifié de partage attribuerait le bien indivis ou, en cas de pluralité de biens indivis, la quasi­totalité de ceux -ci à l'un des époux moyennant une soulte payée par cet époux.

A noter enfin que l'article 1469 n'est pas applicable à partir du moment où les époux sont divorcés (89).

II. - Sépwration de biens avec communauté / ou société d'acquêts.

21. - CoMPOSITION DE LA SOCIÉTÉ n'ACQUÊTS. -Les déci­sions rendues en ]a matière confirment les réflexions émises dans la précédente chronique (90). Les formules utilisées dans les contrats de mariage pour déterminer la composition de la société sont très variables et, à une nuance près, peuvent avoir des portées très différentes.

C'est ainsi que deux décisions, l'une du tribunal de commerce de Mons du 18 décembre 1978 et l'autre du tribunal de première instance de Bruxelles du 5 février 1976 en offrent une intéressante illustration (91). D'après la première formule, celle de Mons, la société d'acquêts comprendra <<uniquement les revenus profes­sionnels des époux et tous les biens et objets meubles et immeu­bles acquis par les époux ou l'un d'eux pendant le mariage et dont la propriété exclusive dans le chef de l'un d'eux ne sera pas dûment établie par état ou inventaire, partage, donation

(89) Civ. Anvers, Il décembre 1980, Rev. trim. dr. Jam., 1981, p. 478. (90) CL. RENARD et A. DELIÈGE, «Examen de jurisprudence (1968 à 1974) •, op. cit.,

R.O.J.B., 1976, p. 105, no 28. (91) Comm. Mons, 18 décembre 1978, R.R.D., 1979, p. 922; Rev. trim. dr. fam.,

1980, p. 197, note J .. L. RENCHON; civ. Bruxelles, 5 février 1976, Pas., 1978, III, 59.

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ou qui ne constituerait pas un remploi de biens personnels)) (92) ; l'autre formule, celle de Bruxelles, porte que <<la communauté d'acquêts sera composée de l'excédent des revenus des époux à tous titres sur les charges du mariage et comprendra tous les biens et objets meubles et immeubles acquis par les époux ou l'un d'eux pendant le mariage et dont la propriété exclusive dans le chef de l'un d'eux ne sera pas dûment établie par état, inventaire, partage, donation entre vifs ou testament ou qui ne constituerait pas un remploi de biens en deniers propres à l'un ou à l'autre d'eux)) (93).

Le tribunal de commerce de Mons se fonde sur la stipulation du contrat de mariage pour décider que le fonds de commerce (magasin de meubles) acquis par le mari après le mariage à l'aide, d'ailleurs, de revenus personnels, fait partie de la société d'acquêts et que dès lors le stock de meubles dépendant de ce fonds peut être saisi par le curateur de la femme faillie. L'exten­sion exagérée de l'actif de la société d'acquêts empêche ainsi la séparation de biens de jouer son rôle protecteur en faveur du conjoint du failli (94).

Pour réfuter la prétention du mari d'user de ses pouvoirs d'administrateur de la communauté jointe à la séparation de biens pour toucher les revenus de sa femme, le tribunal de pre­mière instance de Bruxelles invoque - dans une décision anté­rieure à la loi du 14 juillet- l'essence de la séparation de biens et le principe que la société d'acquêts n'a pas la jouissance directe des revenus des époux; dès lors, le mari ne pouvait avoir la gestion du revenu de sa femme qu'après versement effectif du surplus à la communauté (95).

(92) Comm. Mons, 18 décembre 1978, Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 198. (93) Oiv. Bruxelles, 5 février 1976, Pas., 1978, III, 59. (94) Signalons que cette décision du tribunal de Mons sera analysée lors de l'exa­

men des problèmes de droit transitoire. Voy. infra, n° 52. Notons toutefois que, de manière superfétatoire, le juge s'est interrogé sur la notion d'<< outils et instruments de travail>> contenue dans l'article 1400, 6 nouveau du Code civil. Ces termes ne s'ap­pliquent pas, selon le tribunal, au stock de meubles; soutenir une position inverse, dit-il, rendrait incompréhensible la portée d'autres règles introduites par le législateur de 1976 (art. 1405, 1408, al. 1er et 3, 1418, al. 1er, b, du Code civil). Sur l'interprétation large ou restrictive à donner à la notion d'<< outils et d'instruments de travail>>, les auteurs sont divisés. Pour tme étude détaillée des différentes options prises à ce sujet, voy. M. OH. SIMON, <<La notion d'outils et instruments servant à l'exercice de la pro­fession >>, in Cinq années d'application de la réforme des régimes matrimoniaux, Louvain, 1981, p. 290 et suiv.

(95) Oomp. Mons, 1er avril 1975, Pas., 1976, II, 9; R.G.J.B., 1978, p. 243, note J.-L. RENOHON.

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La cour d'appel de Bruxelles rappelle une fois encore dans une décision du 15 septembre 1976 que la primauté de la sépara­tion de biens sur la société d'acquêts implique que pour avoir droit à une reprise sur la masse commune, un conjoint doit prouver à la fois et 1' aliénation d'un de ses biens propres et le fait que le prix de cette aliénation a été investi dans la commu­nauté (96).

22. - CoMPTE BANCAIRE PERSONNEL EN DÉFICIT. - CARAC­TÈRE DE LA DETTE ENVERS LA B.A,NQUE.- Un contrat de mariage de séparation de biens avec communauté d'acquêts jointe con­tient une clause selon laquelle toutes valeurs ou sommes figurant au n01n d'un époux seront sa propriété. Le mari se fait ouvrir un compte personnel qui demeure donc sa propriété. A un certain moment, à la suite de retraits opérés par le mari, le compte devient déficitaire; la banque aiiéguant le fait qu'il s'agit d'une dette commune en vertu de l'article 1408 in fine du Code civil prétend agir contre la femme. Le juge de paix de Herstal dans un jugement du 29 septembre 1978 répond que le compte étant propre, la dette est contractée dans l'intérêt exclusif du patri­moine propre et est donc eUe-même propre (97).

II nous paraît difficile de raisonner d'une manière aussi abstraite. Les retraits qui ont rendu le compte déficitaire pour­raient très bien avoir eu un autre but que l'intérêt du patrimoine propre. Mieux eût valu dire que la clause devait s'interpréter raisonnablement de la manière suivante : le compte personnel est un propre dans tous ses éléments, qu'il soit créditeur ou débiteur. De toute façon, la dette s'analyse d'ailleurs en un prêt qui eût exigé l'accord des deux époux; en l'absence de cet accord, la dette est propre.

SECTION III. - MoDIFICATION DU RÉGIME MATRIMONIAL.

23. - INTRODUCTION. - RAPPEL DES PRINCIPES. - Comme on le sait, l'abrogation du principe de l'immutabilité absolue

(96) Bruxelles, 15 septembre 1976, Rev. not. belge, 1976, p. 488. Comp. Mons, 1er avril 1975, voy. références note précédente.

(97) J.P. Herstal, 29 septembre 1978, J.T .. , 1979, p. 545; Pas., 1979, III, 65; Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.500, p. 2ll, obs.; Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 459.

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constitue une des inno-vations essentielles de la loi du 14 juillet 1976. Durant tout le mariage, les époux peuvent <<apporter à leur régime matrimonial toutes les modifications qu'ils jugent à propos et même en changer entièrement>> (art. 1394 du Code civil).

La liberté des conjoints, à cet égard, n'est toutefois pas entière. Ainsi, l'acte de modification ne peut contenir aucune disposition contraire ni à l'ordre public, ni aux bonnes mœurs, ni aux principes essentiels d'organisation de la famille (art. 1387 et 1388 du Code civil). Il ne peut préjudicier à l'intérêt de la famille, des enfants ainsi qu'aux droits des tiers (art. 1395, §1er, al. 2, du Code civil). La loi exige l'accord des conjoints pendant toute la procédure de changement (art. 1394, 1395 du Code civil et art. 1319 du Code judiciaire).

Le législateur impose aussi notamment l'homologation judi­ciaire de l'acte notarié de modification du régime matrimonial (art. 1395, §1er, du Code civil).

Sur ces différents points, on relève dans la période sous revue de nombreuses décisions judiciaires. Avant de les examiner, nous rappellerons brièvement les principes qui régissent la procédure de modification du régime et d'homologation de celle-ci.

Quant à la procédure de modification, l'article 1394 du Code civil en organise deux types :la première que l'on appelle<< ordi­naire>> (98), <<complexe>> (99) ou <<grande>> (100) ; la seconde dite <<allégée>> (101}, <<simple>> (102) ou <<petite>> (103).

Dans le cadre de la<< grande>> procédure, l'acte de modification du régime matrimonial doit être précédé de l'inventaire de tous les biens mobiliers et immobiliers des époux et du règlement de leurs droits respectifs - l'un et l'autre constatés par acte

(98) L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux (loi du 14 juillet 1976) et formules d'application, Bruylant, Bruxelles, 2e éd., 1978, p. 105.

(99) W. DELVA, <<De algemene principes met betrekking tot het secundair huwelijks­vermogensrecht >>, in Het nieuwe Belgische huwelvjksvermogensrecht, Postuniversitaire lessenreeks, Gent, 1978; p. 177.

(100) M. A. LEJEUNE, «La mutabilité des régimes matrimoniaux: un premier bilan>>, R.R.D., 1978, p. 381; L. SWENNEN, << Huwelijksvermogensrecht 1977-1979 t, R. W., 1979-1980, col. 2422.

(101) L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, op. cit., p. 105. (102) W. DELVA, <<De algemene principes met betrekking tot het secundair huwe­

lijksvermogensrecht >>, op. cit., p. 177. (103) M. A. LEJEUNE, <<La mutabilité des régimes matrimoniaux : un premier

bilan>>, op. cit.; p. 381; L. SWENNEN, << Huwelijksvermogensrecht 1977-1979 >>, op. cit., col. 2422.

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devant notaire (art. 1394, al. 2 et 3, du Code civil) (104). L'ar­ticle 1395, § 4, impose la rédaction d'un acte notarié constatant la réalisation de la modification.

L'alinéa 4 de l'article 1394 prévoit trois exceptions qui auto­risent les conjoints à adopter la << petite >> procédure. L'inventaire et le règlement des droits des époux ne sont pas exigés quand la modification du régime matrimonial n'entraîne pas liquidation du régime préexistant ou changement actuel dans la composition des patrimoines ou ne porte que sur la rétractation des donations faites dans le contrat de mariage. A contrario, si l'une de ces trois exceptions n'est pas réalisée, les époux doivent accomplir les formalités de la grande procédure.

Le coût élevé de ces formalités donne un intérêt pratique à la question de savoir· si c'est la<< grande>> ou la<< petite>> procédure qui doit être suivie.

En ce qui concerne l'homologation de l'acte modificatif, elle relève de la compétence du tribunal de première instance saisi par requête. Sa mission consiste à vérifier si la modification ne préjudicie ni à l'intérêt de la famille, des enfants, ni aux droits des tiers (art. 1395, § 1er, al. 1er et 2, du Code civil). Si l'homolo­gation est refusée, les époux peuvent interjeter appel (art. 1395, §1er, al. 3, du Code civil).

Les paragraphes 2 et 3 du même article organisent, dans l'inté­rêt des tiers, certaines mesures de publicité du changement du statut matrimonial (105).

Le paragraphe 4 a pour objet la rédaction d'un acte notarié constatant la liquidation du régime matrimonial ou le transfert des biens d'un patrimoine à un autre.

L'accord des époux constitue une condition essentielle pour toute modification. En effet, soucieux de prévenir tout risque d'abus d'influence d'un époux sur l'autre, le législateur prévoit

(104) Cette règle s'inspire des exigences imposées aux époux dans la. procédure en divorce par consentement mutuel (art. 1287 du Code judiciaire).

(105) Notification par le greffier d'un extrait de la décision d'homologation à l'offi­cier de l'état civil du lieu où le mariage a été célébré; mention en marge de l'acte de mariage de la date de l'acte modificatif, du nom du notaire qui l'a reçu et de la date de la décision d'homologation. Notification, s'il y a lieu, d'un extrait de la décision d'homologation au notaire détenteur de la minute du contrat de mariage modifié; mention de la modification dans la minute du contrat de mariage. Notification, par le greffier, au notaire qui a reçu l'acte modificatif de la date de la décision d'homo­logation.

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la signature de la requête par les deux époux, leur comparution personnelle et simultanée tant devant le tribunal de première instance que devant la cour d'appel (106). La juridiction pourra ainsi vérifier leur liberté de consentement et attirer leur attention sur l'importance de leur acte (107).

L'accomplissement personnel des formalités prévues par l'ar­ticle 1395 du Code civil est impossible dans les cas où l'un des conjoints décède ou devient incapable de manifester sa volonté et dans les cas où l'un des époux se trouve dans l'impossibilité de se déplacer suite - par exemple - à une maladie ou à une infirmité. Quelle est l'incidence de la survenance de ces événe­ments sur le déroulement de la procédure en homologation~ C'est essentiellement ce problème qu'abordent les décisions publiées.

A. Procédure de modification. - Petite ou grande procédure~

24. - PASSAGE DU RÉGIME DE LA SÉPARATION DE BIENS PURE ET SIMPLE AU RÉGIME LÉGAL. - Selon le tribunal civil d'Audenarde (108), le recours à la grande procédure est néces­saire car une telle modification entraîne un changement actuel dans la composition des patrimoines.

A la lecture de la décision, on n'aperçoit pas clairement si les époux ont apporté des biens indivis dans le patrimoine commun. Si tel est le cas, il y a changement actuel dans la composition des patrimoines. En revanche, s'il n'y a pas d'apport, on ne voit pas en quoi la composition des patrimoines est modi­fiée. En effet, dans le régime légal demeurent personnels aux époux les biens et dettes qu'ils possèdent au jour du mariage (art. 1399 du Code civil). Il est possible d'assimiler à la notion de << jour du mariage >> celle de << jour de l'acte notarié modificatif du régime matrimonial>>. Le passage de la séparation de biens au régime légal se réalise sans rétroactivité. Dans le régime légal,

(106) Aux termes de l'article 1319, 1°, du Code judiciaire, l'extrait de la demande et de la décision sont publiés au Moniteur belge à la diligence des deux époux.

(107) Avis du Conseil d'Etat du 8 octobre 1964, Doc. parlem., Sénat, 1964-1965, n° 138, p. 435; projet Vermeylen, Doc. parlem., Sénat, session 1964-1965, n° 138, p. 9.

(108) Civ. Audenarde, 2 mai 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.318, p. 446, obs.; Tijds. not., 1978, p. 274.

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les patrimoines propres des époux demeurent tels qu'ils étaient sous la séparation de biens (109).

L'utilisation de la grande procédure ne s'impose-t-elle pas chaque fois que les conjoints remplacent le régime de séparation de biens pure et simple par le régime légal? Un tel changement n'entraîne-t-il pas, en effet, liquidation du régime préexistant? Le tribunal civil d'Audenarde n'aborde pas cette question car il estime, nous l'avons vu, que la modification envisagée entraîne un changement dans la composition des patrimoines.

Aux termes des articles 1427 et 1430 du Code civil, le régime légal dissous par l'adoption d'un autre régime matrimonial doit être liquidé et partagé. Seule cette hypothèse est traitée par le législateur ; celui-ci ne donne aucune indication pour les autres cas, à savoir, par exemple, le passage du régime de séparation de biens pure et simple au régime légal.

Quelle est la portée des termes <<adoption d'un autre régime matrimonial>>, une des causes de la dissolution du régime précé­dent? Selon Mmes H. Casman et M. Van Look, cette notion <<ne s'applique que lorsque la modification est tellement fonda­mentale, qu'aucun élément essentiel du régime originel n'est maintenu, à tout le moins aucun de ses éléments caractéris­tiques>> (llO). Et les auteurs de citer comme exemple le remplace­ment du régime de la séparation de biens pure et simple par le régime légal. La liquidation du régime antérieur offre l'avan­tage de faire apparaître une situation claire tant entre époux que vis-à-vis des tiers. A cet égard, l'inventaire revêt un caractère essentiel. Il permet de se rendre compte des conséquences du changement de régime matrimonial ainsi que le souligne d'ailleurs le tribunal civil d'Audenarde (Ill).

Toutefois, au point de vue des réalités pratiques ne devrait-on pas s'interroger sur l'objet même de la liquidation : la modifica-

(109) En ce sens, CL. RENARD, <t Les dispositions générales relatives aux régimes matrimoniaux>>, in La réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux (loi du 14 juillet 1976), éd. du Jeune Barreau, 1977, p. 211.

(llO) H. CASMAN et M. VAN LooK, Les régimes matrimoniaux, op. cit., p. II, 5, 15. (111) <t Vu le défaut d'inventaire et de règlement, le tribunal n'est pas à même de

se rendre compte du changement en fait de la composition des patrimoines l) (civ. Audenarde, 2 mai 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, p. 448).

De même, dans une décision du 6 juin 1978, le tribunal civil de Bruxelles insiste sur l'importance que présente l'inventaire (civ. Bruxelles, 6 juin 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 652, note L. RAUCENT; Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.386, p. 188).

Revue Critique, 1983, 3 - 29

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tion du regime matrimonial implique-t-elle que l'on statue toujours sur le sort des biens des conjoints~ En définitive, la liquidation du régime préexistant ne s'imposerait que lorsque la modification entraînerait un changement dans la composition des patrimoines. Dès lors, le champ d'application des deux exceptions de l'article 1394, alinéa 4, coïnciderait.

Partant, le passage du régime de séparation de biens au régime légal ne nécessiterait le recours à la grande procédure que si les époux faisaient apport de biens indivis à la communauté ( 112).

25. - PASSAGE DU :RÉGIME DE LA SÉPARATION DE BIENS PU:RE ET SIMPLE AU RÉGIME DE SÉPARATION DE BIENS AVEC SOCIÉTÉ D'ACQUÊTS.- Dans un jugement du 27 octobre 1981, le tribunal civil d'Anvers (113) semble admettre que l'adjonction d'un patrimoine commun à un régime de séparation de biens pure et simple ne nécessite le recours qu'à la petite procédure (114).

Une telle modification provoque-t-elle un changement actuel dans la composition des patrimoines~

Seule l'analyse de la volonté des conjoints et le contenu des nouvelles conventions permettent de résoudre cette question. Si ce patrimoine commun est composé d'emblée de certains biens propres des époux, il se produit un changement actuel dans la composition des patrimoines en raison de la mutation des biens du patrimoine de chacun des conjoints au patrimoine commun. Au contraire, si le patrimoine commun ne doit être constitué que par des biens acquis après la modification, il n'y a pas changement actuel dans la composition des patrimoines.

La modification envisagée implique-t-elle liquidation du régime de séparation pure et simple préexistant~

Si l'on adopte la position de Mmes H. Casman et M~. Van Look, il ne semble pas que la liquidation soit nécessaire. En effet, les époux ne changent pas radicalement les règles qui régissent leurs relations patrimoniales. L'adjonction du patrimoine commun au régime. de séparation de biens pure et simple apparaît comme

(112) Voy. en ce sens, L RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, op cit., p. 528 et 543. (113) Civ. Anvers, 27 octobre 1981, Tifds. not., 1981, p. 368; Rec. gén. en1·. et not.,

1982, n° 22.720, p. 136, obs. A.C. (114) Cela ressort des observations de M. Cuvelier publiées à la suite du jugement

car la décision telle qu'elle est reproduite au Recueil général ne permet pas de voir quelle procédure de changement les conjoints ont suivie et s'ils satisfont aux yeux du tribunal aux exceptions prévues par l'article 1394, alinéa 4, du Code civil.

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un réaménagement du statut en vigueur, un correctif apporté à ce qu'un régime de séparation de biens pure et simple peut avoir d'inéquitable. Le régime de la séparation de biens demeure le régime principal mais il est désormais assorti d'une modalité, à savoir l'existence d'un patrimoine commun.

En revanche, si l'on choisit le point de vue pratique développé plus haut, il convient d'analyser la portée du nouveau contrat de mariage. Ce n'est que dans l'hypothèse où les conjoints apportent des biens propres dans la société d'acquêts qu'il y a un changement dans la composition des patrimoines et que la liquidation du régime précédent est, dès lors, nécessaire.

26. - PASSAGE DU RÉGIME DE LA SÉPARATION DE BIENS AVEC

SOCIÉTÉ D'.A,CQUÊTS AU RÉGIME DE LA COMMUNAUTÉ UNIVER­

SELLE. -Le recours à la grande procédure est nécessaire. Ainsi en a décidé le tribunal civil de Bruxelles (115) dans un jugement du 6 juin 1978 peu motivé sur le point que nous examinons.

L'adoption de la communauté universelle provoque, en prin­cipe, un changement dans la composition des patrimoines puisque entrent dans la communauté tous les biens présents des conjoints (art. 1453 du Code civil) sauf dans l'hypothèse exceptionnelle où les époux ne possèdent aucun bien propre susceptible de devenir commun. L'appréciation de ce poirit de fait exige la rédaction d'un inventaire. En l'absence de cet acte notarié, le tribunal civil de Bruxelles dans la décision susmentionnée estime ne pas être à même de vérifier le bien-fondé des prétentions des conjoints et d'exercer la mission de contrôle que lui a confiée le législateur.

En outre, la succession d'une communauté universelle au régime de la séparation de biens avec société d'acquêts implique liquidation du régime préexistant, que l'on adopte le point de vue de Mmes H. Casman et 1\1:. Van Look ou une position pratique. En effet, les conjoints changent radicalement la structure de leur régime et Jeurs relations patrimoniales. Au surplus, la modi­fication dans la composition des patrimoines qu'entraîne l'adop­tion de la communauté universelle implique la liquidation du régime antéri~ur.

(115) Civ. Bruxelles, 6 juin 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 652, note L. RAUCENT;

Rec. gén. enr. et not., 1979, no 22.386, p. 188.

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27. CLAUSE D'APPORT D'UN BIEN PROPRE À LA COMMU-NAUTÉ. - La divergence de vues entre, d'une part, les cours et tribunaux et, d'autre part, M. le notaire H. Du Faux sur la portée de la seconde exception prévue par l'article 1394, alinéa 4, du Code civil a été à l'origine de nombreuses décisions judiciaires.

Selon M. Du Faux, l'hypothèse prévue par la loi est unique­ment celle de la modification du régime matrimonial qui entraîne un changement actuel dans la composition des patrimoines, ce changement étant donc une conséquence de la modification du régime matrimonial .. Or, en cas d'apport d'un bien propre à la communauté, le changement dans la composition des patrimoines constitue la cause de la modification du régime matrimonial. C'est l'apport du bien propre qui provoque la modification du régime matrimonial et non l'inverse.

De plus, l'auteur doute de l'utilité de l'inventaire et du règle­ment des droits des conjoints puisqu'il n'y a apport à la commu­nauté que d'un seul bien propre.

En outre, l'adoption de la petite procédure ne porte pas atteinte aux droits des créanciers. S'ils ont contracté avec l'époux propriétaire du bien propre avant l'apport de celui-ci dans la communauté, ils sont protégés non seulement par l'action paulienne mais aussi par l'article 1410 du Code civil. Cette dernière règle autorise- on le sait- les créanciers des dettes propres de l'un des époux à poursuivre le patrimoine commun dans la mesure où il s'est enrichi par l'absorption des biens propres. Quant aux créanciers qui contracteront après l'apport du bien propre dans la communauté, ils seront avertis de la modification du régime matrimonial grâce aux mesures de publicité organisées par le législateur (art. 1395, §§ 2, 3, et 1396 du Code civil) (116).

Cette argumentation subtile n'a été suivie ni par les juridictions de fond (117), ni par la Cour de cassation (118).

(116) H. Du FAUX, (< vVettelijk huwelijksvermogensstelsel (wet van 14.7.1976). -Inbreng van eigen goed in gemeenschappelijk patrimonium.- Procedure 1>, Tijds. not., 1977, p. 257 et suiv.

(117) Civ. Malines, 13 juin 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.319, p. 449, obs ; Tijds. not., 1978, p. 276; civ. Malines, 20 juin 1978, Rev. trim. dr. fam., 1979, p. 428; Mons, 10 janvier 1979, Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.403, p. 259; Rev. not. belge, 1979, p. 90; R.R.D., 1979, p. 803, note M. A. LEJEUNE; Mons, 14 février 1979, Pas., 1979, II, 63.

(ll8) Casa., 24 octobre 1979, J.T., 1980, p. 331; Pas., 1980, I, 254; Rec. gén. enr.

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Pour la cour d'appel de Mons (119), l'emploi de la conjonction <<ou>> dans l'alinéa 4 de l'article 1394 implique que le législateur a voulu soumettre aux mêmes règles l'hypothèse de la liquidation du régime préexistant et celle du changement actuel dans la composition des patrimoines. Le changement dans la composition des patrimoines ne peut être considéré comme une sous-hypo­thèse liée à la liquidation du régime précédent. Les travaux préparatoires de la loi confirment - selon la cour - ce point de vue puisque la Commission de la Justice du Sénat a pris le cas de l'apport d'un bien propre au patrimoine commun comme exemple d'un changement actuel dans la composition des patri­moines (120).

Pour sa part, la Cour de cassation estime que la généralité des termes même << toutes les modifications >> (al. 1er) et << la modification>> (al. 4) prouve que le législateur n'a pas établi de distinction entre un changement complet du régime matrimonial et une modification apportée à un régime préexistant. La Cour de cassation conclut qu'<< il suit du texte et de l'économie de l'article 1394 du Code civil, ce que confirment les travaux prépa­ratoires, que toute modification apportée par les époux à leur régime matrimonial, dès lors qu'elle entraîne notamment un changement actuel dans la composition des patrimoines requiert les formalités indiquées dans l'alinéa 2 de l'article 1394 du Code civil>> (121).

Il reste que la lourdeur de cette procédure apparaît en l'espèce disproportionnée et qu'un amendement à la loi serait sans doute justifié.

28. - CLAUSE D'APPORT À LA COMMUNAUTÉ D'UN BIEN FUTUR DÉTERMINÉ OU DE TOUS LES BIENS FUTURS ACQUIS PAR DONATION ou succESSION. - Cette clause d'apport suscite de nombreuses

et not., 1980, n° 22.546, p. 417; Rev. not. belge, 1980, p. 204, note R. DE V ALKENEER; Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 156; R. W., 1979-1980, col. 1857, note H. CASMAN; Tifds, not., 1980, p. 139 précédé des conclusions du procureur général F. DuMoN; cass., 26 juin 1980, J.T., 1980, p. 637; Pas., 1980, I, 1337; Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.580, p. 93; Rev. trim. dr. jam., 1981, p. 475; R. W., 1981-1982, col. 1265; Tifds. not., 1982, p. 45.

(119) Mons, 10 janvier 1979, voy. références note 117; Mons, 14 février 1979, voy. référence note 117.

(120) Rapport de la Commission de la Justice du Sénat, Doc. parlem., Sénat, session 1975-1976, n° 683-2, p. 24.

(121) Cass., 26 juin 1980, Rec. gén. enr. et not., 1981, p. 95.

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difficultés. Les époux doivent-ils recourir à la grande ou petite procédure de modification 1 Cette clause ne constitue-t-elle pas un pacte sur succession future dans la mesure où les conjoints sont susceptibles de recevoir le bien par succession 1 Cette question sera examinée dans la partie consacrée au contrôle de la légalité des clauses de l'acte modificatif du régime matrimonial.

La première question suppose que l'on s'interroge sur le sens des termes <<changement actuel dans la composition des patri­moines>>.

Cette notion vise, selon certaines juridictions (122), toute mutation de biens qui se produit automatiquement comme conséquence de l'acte modificatif, peu importe la période où le transfert se réalise. Un changement virtuel dans la composition des patrimoines rend nécessaire l'adoption de la grande procé­dure.

D'autres juridictions (123) estiment, au contraire, que seul constitue un changement actuel le transfert effectif des biens qui se réalise au moment de la modification du régime matri­monial.·

A notre avis, la première opinion vide de toute portée l'ar­ticle 1394, alinéa 4, et oblige les époux à utiliser, dans chaque cas, la grande procédure. En effet, toute clause modificative est, en principe, susceptible de produire - à un certain moment - un changement dans la composition des patrimoines.

En outre, nous doutons ici de l'utilité des formalités de la grande procédure. Puisque au moment de la rédaction de l'inven­taire, il n'y a pas de modification dans la composition des patri­moines, cet acte notarié ne joue en rien sa fonction d'instrument de contrôle et est sans utilité pour permettre au tribunal d' appré­cier la portée du changement désiré par les conjoints. De son

(122) Civ. Louvain, 17 septembre 1980, non publié, cité par H. MooNs dans sa note sous les deux arrêts de la cour d'appel de Bruxelles prononcés le 11 mars 1981, R. W., 1981-1982, col. 2414 et surtout 2415; civ. Huy, 25 février 1981, Jur. Liège, 1981, p. 154.

(123) Civ. Turnhout, 24 novembre 1979, Rec. gén. enr. et not., 1980, no 22.521, p. 281, obs. A. O.; Rev. not. belge, 1980, p. 322; Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 454; Tvjds. not., 1980, p. 23. Voy. A. V AN DEN BossCHE, << Wijziging huwelijksvermogensstelsel. Enkele bedenkingen bij de beschikking Rb. Turnhout, 24 november 1979 >>, Tijds. not., 1980, p. 353; Bruxelles, ll mars 1981, R. W., 1981-1982, col. 2413, note H. MooNs; Tijds. not., 1981, p. 370; Rec. gén. enr. et not., 1982, n° 22.721, p. 140; Bruxelles, 11 mars 1981, R.W., 1981-1982, col. 2412, note H. MooNs; Tijds. not., 1981, p. 372; Rec. gén. enr. et not., 1982, n° 22.722, p. 142, obs. A.C.

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côté, l'acte du règlement des droits respectifs des époux apparaît également inutile mais il ressort toutefois des travaux prépara­toires que cet acte peut <<se borner à constater qu'il n'y a rien à régler >> ( 124) !

Enfin, l'article 1395, § 4, du Code civil tend à prouver qu'en cas d'apport de biens futurs, les époux ne doivent pas suivre la grande procédure. Ceux-ci se trouvent, en effet, dans l'impossi­bilité de rédiger l'acte notarié prévu par le § 4 s'ils ne reçoivent pas un des biens dans l'année de la publication d'un extrait de la décision d'homologation au Moniteur belge.

La petite procédure paraît conforme aux exigences légales. Toutefois, on peut se demander si dans certains cas, les époux n'utilisent pas la clause d'apport de bien(s) futur(s) dans le but d'éluder les formalités de la grande procédure.

Dans deux affaires soumises, l'une au tribunal civil de Bruxelles (125), l'autre à la cour d'appel de Gand (126), les époux ont eu recours à la petite procédure de modification. Ainsi, dans le premier cas, l'acte de changement prévoyant l'apport à la communauté d'un bien futur déterminé a été passé le 26 juin 1980; l'acte de donation du même bien à l'un des époux est daté du 30 juin 1980. Le changement de régime matrimonial produit, on le sait, ses effets entre époux au jour de l'acte modi­ficatif (art. 1396 du Code civil). Il n'y a donc pas apport d'un bien propre à la communauté, hypothèse dans laquelle le recours à la grande procédure, nous l'avons vu, s'impose aux conjoints. Dans une décision fort courte, la juridiction homologue la demande sans souligner la proximité des deux dates.

Quant à la seconde affaire, les actes, d'une part, d'apport d'un bien futur au patrimoine commun et, d'autre part, de donation de ce bien ont été passés le même jour. La cour d'appel de Gand homologue la demande de changement : elle constate qu'<< une opération juridique, accomplie après le passage de l'acte ( ... }, ne peut en tant que telle exercer aucune influence sur la validité de l'acte de modification>> (127).

(124) Rapport de la Commission de la Justice du Sénat, Doc. parlem., Sénat, session 1975-1976, n° 683-2, p. 24.

(125) Civ. Bruxelles, 25 février 1981, Tijds. not., 1981, p. 209. (126) Gand, 12 novembre 1981, Rec. gén. enr. et not., 1982, n° 22.723, p. 147, obs.

A.C. (127) Gand, 12 novembre 1981, Rec. gén. enr. et not., 1982, p. 149.

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La proximité, dans le premier cas, et la coïncidence, dans le deuxième cas, des dates des deux actes révèlent la possibilité d'un accord entre les époux et un donateur bienveillant post­posant quelque peu la donation du bien.

Toutefois, cette manière de procéder n'a rien, à notre sens, d'illicite. Puisque les parties satisfont aux conditions prévues par l'article 1394, alinéa 4, du Code civil, elles sont dispensées d'utiliser la grande procédure (128).

Soit dit en passant, pourquoi les époux recourent-ils à une modification du régime matrimonial avec une clause d'apport d'un bien futur suivie d'une donation de ce bien 1 Une donation conjointe du bien aux deux époux ou une donation du bien à un seul époux avec stipulation que le bien sera commun permettrait d'éviter une modification du régime tout en faisant entrer le bien donné dans la communauté (art. 1405, 3°, du Code civil).

Des motifs fiscaux guident, sans doute, l'attitude des conjoints. En effet, dans les hypothèses d'une donation conjointe aux deux époux et d'une donation à un seul époux avec stipulation que le bien donné est commun, chacun des conjoints est considéré comme donataire. Les droits de donation sont perçus en tenant compte du degré de parenté existant éventuellement entre le donateur et chaque conjoint (129). Ainsi, si un père donne un bien conjointement à son fils et à sa belle-fille, la donation est taxée pour moitié selon le tarif en vigueur entre parents en ligne directe et pour moitié selon le tarif beaucoup plus élevé existant entre personnes non parentes (130).

Par contre, il nous semble que la perception est moins impor­tante lorsque les époux modifient leur régime matrimonial par une clause d'apport de bien futur et que, peu de temps après, le donateur donne le bien au seul conjoint parent, par exemple à son fils. Le droit fixe général de 225 francs serait dû sur l'acte modificatif du statut matrimonial. Quant à la donation, elle serait soumise en sa totalité au droit proportionnel applicable

(128) Voy. en ce sens, l'article tout récent de M. ZoRBAS-PIRET, <c L'apport au patrimoine commun d'un bien futur 1>, Rev. not. belge, 1982, p. 409.

(129) Rappelons qu'est considérée comme donation entre personnes non parentes la donation entre alliés non conjoints.

(130) Décision administrative, 24 novembre 1976, Rec. gén. enr. et not., 1977, no 22.144, p. 234, obs.

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entre parents en ligne directe. C'est par l'effet de la clause du contrat de mariage que le bien serait entré dans la communauté.

A l'appui de cette position, on peut avancer deux arguments.

On peut, d'abord, transposer dans la nouvelle loi sur les régimes matrimoniaux le principe applicable aux donations mobilières faites à l'un des époux dans l'ancienne communauté légale des meubles et acquêts. Les droits de donation étaient perçus suivant le degré de parenté existant entre le donateur et le donataire nonobstant le fait que les biens entraient dans la communauté. Dans ce cas - comme dans l'hypothèse d'une clause d'apport d'un bien futur - c'est par l'effet du contrat de mariage que le bien tombe dans la communauté (131).

Ensuite, on peut se demander si l'application d'une circulaire administrative du 23 mai 1977 (132) n'est pas possible. Elle prévoit la perception du droit fixe général de 225 francs pour l'acte notarié par lequel les époux décident de faire entrer dans la commùnauté un immeuble propre à l'un d'eux. Aux termes de l'article 1399 du Code civil, le bien donné à un seul des conjoints est propre. Ne peut-on pas considérer qu'entre dans la communauté un bien propre d'un époux~

Aucun reproche ne peut être adressé aux époux. Entre plu­sieurs voies juridiques qui permettent d'obtenir un résultat économique identique, les intéressés sont, en effet, libres de choisir la voie qui est soumise à la taxation la moins lourde (133).

29. - CLAUSE D'ATTRIBUTION DE LA COMMUNAUTÉ AU CON­JOINT SURVIVANT. - L'adjonction d'une telle clause au régime matrimonial ne nécessite que l'utilisation de la petite procédure. Car, ainsi que le soulignent toutes les juridictions (134), l'effet

{131) E. et A. GENIN, Commentaire du Code des droits d'enregist1·ement, d'hypothèque et de greffe, Bruxelles, 2e éd., 1950, n° 1355, p. 509.

{132) Circulaire du 23 mai 1977 contenant des directives pour la perception des droits d'enregistrement dans certaines situations qui sont nées par suite de l'application de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, Rec. gén. enr. et not., 1977, n° 22.167, p. 334.

{133) Sur le problème du choix de la voie la moins imposée, voy. TH. DELAHAYE, Le choix de la voie la moins imposée, Etude de droit fiscal comparé {Belgique- France -Pays-Bas- Royaume-Uni), Bruylant, Bruxelles, 1977.

{134) Civ. Louvain, 13 mars 1978, Rec. gén. en1·. et not., 1978, no 22.306, p. 424, obs.; Rev. tr,im. dr. Jam., 1978, p. 180; Tijds. not., 1978, p. 271; civ. Tournai, 7 mai 1979, Rev. not. belge, 1980, p. 250, note C. REMON; R.R.D., 1980, p. 25; Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 454.

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de cette clause se réalise à la dissolution du régime matrimonial due au décès de l'un des conjoints. Il ne se produit donc aucun changement actuel dans la composition des patrimoines et il est évident que cette modification n'implique pas liquidation du régime matrimonial préexistant (135).

B. - Procédure d'homologation de l'acte notarié portant modification du régime matrimonial.

30. -DÉcÈs DE L'UN DES ÉPOUX.- INTRODUCTION.- Le décès de l'un des époux constitue-t-il un obstacle à la poursuite de la procédure en homologation 1 Ni la loi, ni les travaux prépa­ratoires n'envisagent cette question. Le problème s'est cependant souvent posé devant les cours et tribunaux. Pour de nombreux couples et, notamment des couples âgés, la modification du régime matrimonial apparaît comme un moyen privilégié de mieux assurer au conjoint survivant sa situation matérielle (136) surtout avant que la loi du 14 mai 1981 n'étende les droits de celui-ci (137).

Après avoir analysé la position des juridictions avant le 2 mai 1979, date du seul arrêt de la Cour de cassation sur ce sujet, nous verrons le point de vue de la Haute juridiction et l'état de la jurisprudence après le 2 mai 1979 avant de conclure par quelques réflexions suscitées par le problème ici examiné.

31. - SuiTE. - PosiTION DES JURIDICTIONS DE FOND AVANT

L'ARRÊT DE LA ÜOUR DE CASSATION DU 2 MAI 1979.- Le décès d'un des époux peut survenir à un moment quelconque de la procédure. Notre mission consistant en un examen des décisions sous revue, nous ne reprenons que les hypothèses abordées par les juridictions. Ou bien le décès se produit avant la comparution

(135) Rares sont cependant les cas où les époux ne stipulent que ce seul change­ment. Ils prévoient très souvent d'autres modifications dont la portée est parfois plus difficile à apprécier, telle la clause d'apport d'un bien propre ou futur d'un conjoint à la communauté.

(136) Voy. sur ce point, M. A. LEJEUNE, <<La mutabilité des régimes matrimo­niaux: un premier bilanl>, R.R.D., 1978, p. 379; I. VANSTRAELEN, <<De taak van de rechter bij verandering van huwelijksvoorwaarden l), R. W., 1978-1979, col. 949 et surtout col. 951.

(137) Nous traiterons infra de l'incidence de la loi du 14 mai 1981 modifiant les droits successoraux du conjoint survivant, sur le problème des changements des régimes matrimoniaux, voy. p. 476.

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des époux en chambre du conseil, soit après la signature de l'acte notarié de modification, soit après le dépôt de la requête au greffe du tribunal. Ou bien le décès a lieu après la clôture des débats mais avant que la décision n'ait été prononcée.

C'est essentiellement l'hypothèse du décès de l'un des époux avant la comparution personnelle en chambre du conseil dont les juridictions ont eu à connaître. Deux tendances se dégagent, l'une favorable, l'autre hostile, à la poursuite de la procédure en homologation.

La majorité des cours et tribunaux (138) considère que, nonobstant le décès d'un des conjoints, l'homologation reste possible (139).

La comparution personnelle des deux époux apparaît comme la mesure de contrôle par excellence de l'absence de pression d'un époux sur l'autre. Mais le non-accomplissement de cette formalité légale ne constitue pas un obstacle à l'homologation.

Il existe des substituts qui permettent au tribunal de vérifier la persistance de la volonté des parties. Ainsi, la signature de l'acte modificatif et de la requête en homologation par les con­joints témoigne à suffisance, pour le tribunal civil de Gand (140), que ceux-ci auraient maintenu jusqu'au moment de l'homolo­gation leur volonté de modifier leur statut matrimonial.

Cependant, c'est souvent sur un ensemble de circonstances concrètes propres à l'espèce que la juridiction fonde sa conviction. Dans un arrêt du 18 avril1978, la cour d'appel de Bruxelles (141) invoque non seulement la signature par les époux de l'acte modificatif et de la requête en homologation, mais encore l'absence de dissentiment entre les conjoints ainsi que la rédac-

(138) Civ. Gand, 10 janvier 1977, Tifds. not., 1977, p. 94, note VANDERSLOTEN; civ. Gand, 10 octobre 1977, Pas., 1978, III, 25; Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.273, p. 336; Tifds. not., 1978, p. 55; civ. Malines, 20 décembre 1977, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 403, note H. CASMAN; civ. Liège, 30 décembre 1977, Jur. Liège, 1978-1979, p. 99 (solution a contrario); civ. Charleroi, 24 février 1978, et civ. Charleroi, 27 février 1978, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 401; civ. Bruges, 14 mars 1978, Tifds. not., 1978, p. 277; Bruxelles, 18 avril 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.272, p. 332; Tifds. not., 1978, p. 221, même arrêt reproduit à la date du 19 avril 1978, J.T., 1978, p. 417; Pas., 1978, II, 77; Rev. not. belge, 1979, p. 643; Tifds. not., 1979, p. ll; civ. Audenarde, 23 mai 1978, Tifds. not., 1978, p. 309; Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.362, p. 130; Bruxelles, 13 juin 1978, Pas., 1978, II, 102.

(139) L'homologation sera accordée pour autant qu'elle ne préjudicie ni à l'intérêt de la famille, des enfants ni aux droits des tiers. Sur ces notions, voy. infra, p. 467.

(140) Civ. Gand, 10 octobre 1977, voy. références note 138. (141) Bruxelles, 18 avril 1978, voy. références note 138.

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tion, peu de temps avant son décès, par le futur de cujus d'un écrit réitérant son intention de changer son régime matrimo­nial (142). La cour homologue l'acte modificatif car il ne porte pas atteinte aux intérêts de la famille, des enfants et aux droits des tiers.

Il convient aussi de signaler la décision prononcée le 30 décem­bre 1977 par le tribunal civil de Liège (143). La convention modificative du régime matrimonial est passée le 5 avril 1977, l'époux décède le 2 août 1977; l'épouse dépose au greffe du tribunal la requête en homologation le 13 septembre 1977. L'extrait de la demande d'homologation n'a pas été publié au Moniteur belge conformément aux articles 1313 et 1319 du Code judiciaire. L'inexécution des formalités légales pendant le long délai - près de quatre mois - écoulé entre l'acte modificatif et le décès conduit le tribunal à décider que l'on peut douter de la persistance chez l'époux décédé de la volonté de modifier son régime matrimonial. La juridiction refuse, certes, d'octroyer l'homologation mais elle ne considère cependant pas que le décès constitue comme tel un obstacle à la poursuite de la procédure. Seuls les faits de la cause justifient sa décision.

En outre, le décès apparaît pour certaines de ces juridictions, soit expressément (144), soit implicitement (145), comme un cas de force majeure qui ne permet pas de conclure à l'absence d'un accord de volonté définitif des conjoints.

Enfin, la demande en modification conserve son objet puisque entre les époux, elle produit ses effets à dater de l'acte portant modification ainsi que le soulignent certaines juridictions (146).

La tendance minoritaire (147) refuse la poursuite de la procé­dure. Elle invoque deux types d'arguments pour justifier sa position.

Le décès de l'un des époux rend impossible l'accomplissement

(142) Voy. en ce sens, Bruxelles, 13 juin 1978, voy. référence note 138. (143) Civ. Liège, 30 décembre 1977, voy. référence note 138. (144) Civ. Audenarde, 23 mai 1978, voy. référence note 138. (145) Bruxelles, 18 avril 1978, voy. références note 138; Bruxelles, 13 juin 1978,

voy. référence note 138. (146) Civ. Gand, 10 octobre 1977, voy. références note 138; Bruxelles, 18 avril1978,

voy. références note 138; Bruxelles, 13 juin 1978, voy. référence note 138. (147) Civ. Bruxelles, 19 octobre 1977, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 71, note A. KOHL;

civ. Termonde, 20 octobre 1977, Rev. trim. dr.fam., 1978, p. 403; civ. Bruxelles, 11 jan­vier 1978, Tifds. not., 1978, p. 56.

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des formalités prévues par l'article 1395 du Code civil (148). Le tribunal civil de Bruxelles insiste, dans une décision du 19 octobre 1977, sur le caractère strictement personnel de la procédure en homologation, << la contribution personnelle de chaque époux à la procédure d'homologation étant, au même titre que la signa­ture de l'acte notarié, l'instrument indispensable de sa manifesta­tion de volonté>> (149).

Le changement de régime n'a plus d'objet puisque le décès d'un époux entraîne la dissolution du régime matrimonial. Tel est l'avis du tribunal civil de Termonde (150). Plus nuancé sur ce point, le tribunal civil de Bruxelles, dans la décision précitée, estime impossible de modifier un régime déjà dissous par le décès d'un des époux, tout au moins à l'égard des tiers (151).

Une seule décision publiée aborde le problème du décès de l'un des époux après la clôture des débats mais avant le prononcé de la décision.

Le tribunal civil de Gand a homologué l'acte modificatif d'un régime matrimonial. Un tiers a interjeté appel de cette décision. Après l'audition des époux en la chambre du conseil de la cour d'appel de Gand et la clôture des débats, l'un des conjoints est décédé. La cour estime que les époux ont manifesté leur volonté libre et persistante de modifier leur statut matrimonial et que le décès ne constitue pas en soi un obstacle à l'homologa­tion (152).

32. - SuiTE.- PosiTION DE LA CouR DE cASSATION.- ANA­LYSE DE L'ARRÊT DU 2 MAI 1979 (153). - Le 2 mai 1979, la Cour de cassation a eu à statuer sur l'incidence du décès de l'un des conjoints sur la procédure en homologation.

Selon la Haute juridiction, la volonté de modifier le contrat de mariage doit exister pendant toute la procédure d'homolo­gation. Le problème n'est pas de savoir si le conjoint décédé a

(148) Civ. Bruxelles, Il janvier 1978, Tifds. not., 1978, p. 56. (149) Civ. Bruxelles, 19 octobre 1977, Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 72. (150) Civ. Termonde, 20 octobre 1977, voy. référence note 147. (151) Civ. Bruxelles, 19 octobre 1977, voy. référence note 147. (152) Gand, 29 juin 1978, Rev. not. belge, 1979, p. 150, note D. STERCKX.

(153) Cass., 2 mai 1979, J.T., 1979, p. 750, note D. STERCKX; Pas., 1979, I, 1025; R. W., 1979-1980, col. 47; Rev. not. belge, 1979, p. 589, obs. M. EECKHAUTE; Rev. trim. dr.jam., 1979, p.-381; Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.461, p. 41, obs. A.C.; Tifds. not., 1980, p. 77, arrêt précédé des conclusions du procureur général DuMoN, p. 72.

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conservé jusqu'à son décès l'intention de changer son regime matrimonial, mais s'il aurait maintenu cette volonté jusqu'à la fin de la procédure<< et même, dans le cas prévu par l'article 1395, § 4, après que l'homologation a été accordée>> (154).

Comme certaines juridictions de fond (155), la Cour de cassa­tion insiste sur le caractère strictement personnel tant du droit de modifier le régime matrünonial que de l'exécution des forma­lités légales nécessaires. Celles-ci doivent être accomplies par les deux époux ensemble.

Cette décision n'a pas mis fin à la discussion suscitée par le décès d'un conjoint au cours de la procédure de modification du régime matrimonial.

33. - SUITE.- PosiTION DES JURIDICTIONS DE FOND APRÈs L'ARRÊT DE LA CouR DE CASSATION DU 2 MAI 1979. -Les déci­sions publiées sont consacrées au problème du décès d'un conjoint survenu après la signature de la requête tendant à obtenir l'homologation mais avant la comparution en chambre du con­seil.

Si la cour d'appel de Bruxelles a rendu, le 18 décembre 1979 (156), un arrêt conforme à la décision de la Cour de cassa­tion, les tribunaux de Bruges et d'Anvers (157) ne se sont pas, par contre, inclinés devant celle-ci.

Ainsi, dans sa décision longuement motivée du 1er mars 1980, le tribunal civil de Bruges estime que l'homologation doit être la règle,-le refus l'exception. Une non-comparution en chambre du conseil, imputable exclusivement au décès d'un époux, ne peut être interprétée comme un refus de maintenir le consente­ment traduit par la signature à la fois de l'acte modificatif et de la requête en homologation. Le législateur n'exige pas la réitération - en chambre du conseil - d'un consensus déjà exprimé. Seule est requise la persistance de l'intention de changer le régime matrimonial.

(154) Cass., 2 mai 1979, Rec. gén. enr. et not., 1980, p. 43. (155) Voy. supra, p. 456 in ji,ne. (156) Bruxelles, 18 décembre 1979, R.W., 1980-1981, col. 1783, note H. CASMAN;

Rec. gén .. enr. et not., 1981, n° 22.671, p. 412. (157) Civ. Bruges, Jer mars 1980, Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.547, p. 420,

obs. A.C.; Rev. not. belge, 1980, p. 395; TiJ'ds. not., 1980, p. 206; civ. Anvers, 26 no­vembre 1980, R. W., 1980-1981, col. 1796; Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.671, p. 414, obs. A.C.

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En outre, c'est le couple comme tel et non chaque époux qui est le titulaire du droit de modifier le statut matrimonial.

Enfin, les parties ne doivent pas supporter les conséquences des lenteurs judiciaires. En effet, un délai d'attente de huit mois s'est écoulé entre le dépôt de la requête au greffe du tribunal et la date prévue pour la comparution personnelle. Le décès survenu pendant ce temps constitue, selon le tribunal, un cas de force majeure.

Cet argument est avancé aussi par le tribunal civil d'Anvers. Une juridiction ne peut pas refuser une homologation qui <<a tardé indépendamment de la volonté des requérants>> (158). Le décès d'un conjoint n'est pas susceptible en soi d'empêcher l'homologation. L'acte modificatif et le dépôt de la requête par les deux époux prouvent la volonté persistante des conjoints de modifier leur statut 1natrimonial. Le tribunal homologue, par conséquent, l'acte modificatif après avoir vérifié s'il ne préjudi­ciait ni aux intérêts de la famille ou des enfants, ni aux droits des créanciers.

34. -SuiTE.- THÈSES EN PRÉSENCE.- Avant d'examiner les tendances se dégageant de la doctrine et de la jurisprudence, remarquons que la loi et les travaux préparatoires ne présentent, en cette matière, qu'un intérêt limité.

L'article 10 du premier projet soumis au Conseil d'Etat (159) prévoyait la réitération du consentement des époux devant le président du tribunal. Cette exigence n'a plus ensuite été reprise mais les travaux préparatoires ne justifient pas la raison de cet abandon.

Du rapport de la Commission de la Justice du Sénat (160), il ressort que la procédure de modification du régime matrimonial s'inspire de la procédure en divorce par consentement mutuel. L'une et l'autre exigent l'accord des époux sur le statut de leurs biens et dans chaque cas, le législateur exige la comparution personnelle des conjoints devant la juridiction. De même que le décès dissout le mariage et rend le divorce inutile, ne pour-

(158) Civ. Anvers, 26 novembre 1980, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.672, p. 415. (159) Avis du Conseil d'Etat, 2 décembre 1957, Doc. parlem., Sénat, session 1964-

1965, no 138, p. 147. (160) Rapport de la Commission de la Justice du Sénat, Doc. parlem., Sénat, ses­

sion 1975-1976, no 683, p. 22.

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rait-on pas estimer que la mort d'un époux enlève tout intérêt à la modification du régime matrimonial parce que celui-ci est dissous par voie de conséquence~ On peut toutefois se demander jusqu'où doit être poussée cette comparaison car les articles 1289, 1293 et 1294 du Code judiciaire stipulent que les époux doivent réitérer leur intention de divorcer lors de lelus comparutions en justice. En revanche, en matière de modification du régime matrimonial, l'article 1395 du Code civil se borne à prévoir la comparution simultanée des conjoints.

De la doctrine et de la jurisprudence se dégagent deux courants, l'un hostile, l'autre favorable, à la poursuite de la procédure en homologation.

A l'appui de leur position, les adversaires de la continuation de la procédure avancent divers arguments.

Selon Mme H. Casman (161), le décès d'un époux enlève à la demande en homologation son objet ou, si l'on veut, son intérêt. Le décès d'un conjoint entraîne la dissolution du régime matri­monial; il n'est donc plus possible de le modifier. L'effet rétroactif entre époux de l'hmnologation ne constitue pas une objection. Il a été introduit à la suite de remarques émises par le Conseil d'Etat. Selon celui-ci, l'inventaire et le règlement des droits respectifs fixent la situation des conjoints. En cas de non-rétroac­tivité de l'homologation,<< il y aurait une période creuse pendant laquelle des actes juridiques régis par l'ancien régime pourraient encore venir modifier les situations respectives des époux telles qu'ils les ont appréciées au moment du contrat et, partant, venir fausser leur consentement réitéré» (162) (163).

Dans cette perspective, il est inutile de se demander si la volonté des conjoints doit exister durant toute la procédure ou seulement jusqu'au moment du décès. Toutefois, c'est essen-

(161) H. CASMAN, <<Les difficultés rencontrées par la pratique en matière de change­ment de régime matrimonial>>, in Cinq années d'application de la réforme des régimes matrimoniaux, Journée d'étude organisée par le Centre de Droit patrimonial de la famille dela Faculté de droit de l'Université catholique de Louvain, 1981, p. 202 et 214.

(162) Avis du Conseil d'Etat du 8 octobre 1964, Doc. padern., Sénat, session 1964-1965, n° 138, p. 151.

(163) Si le décès a lieu après l'homologation mais avant la rédaction de l'acte liqui­datif (art. 1395, § 4}, Mme Casman estime cependant que le survivant pourra demander seul la rédaction de cet acte. A l'appui de sa position, elle avance l'opinion émise par M. Baert lors de discussions à la Chambre. Selon ce dernier, un seul des conjoints peut exiger la liquidation en cas de désaccord entre les époux survenu après l'homologation: l'acte liquidatif n'est que l'exécution de l'acte notarié de modification.

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tiellement sous cet angle qu'est abordé le problème de l'incidence du décès d'un conjoint tant en doctrine qu'en jurisprudence.

Ainsi, certains auteurs attribuent un caractère strictement personnel aux formalités de l'article 1395 (164). Celles-ci con­sacrent la persistance de la volonté des conjoints de modifier leur régime matrimonial. M. Kohl considère que << le régime matrimonial adopté par les époux est une expression de la tpersonnalité' d'un couple, reposant sur la volonté commune de soumettre leurs biens à un régime déterminé>> (165). La comparution personnelle des époux <<constitue une expression de volonté à caractère strictement personnel. A défaut de pouvoir exprimer de la sorte cette volonté, nul ne peut se substituer au conjoint décédé ( ... ) et le juge doit déclarer la demande d'homo­logation irrecevable >> ( 165).

Selon M. Eekhaute, on aboutirait à une incohérence si on permettait la poursuite de la procédure en homologation malgré l'absence de comparution due au décès d'un époux. En effet, si le tribunal n'accordait pas l'homologation de l'acte modificatif pour atteinte, par exemple, aux intérêts des enfants, l'appel serait irrecevable. La requête en appel ne pourrait être signée que par un seul des conjoints contrairement à ce que prescrit l'article 1395, §1er, alinéa 4. Il n'y aurait dès lors qu'un seul degré de juridiction, à savoir le tribunal de première instance. L'auteur estime que l'on ne peut pas admettre une telle incohé­rence. Ceci démontre que le législateur exige la présence et le consentement des deux époux tout au long de la procédure (166).

M. Eekhaute invoque, en outre, le fait que le législateur n'organise pas la poursuite de la procédure à la diligence du survivant des époux comme il le fait en matière de révocation de donation pour ingratitude ou encore en matière d' adop­tion (167).

Les tenants de la poursuite de la procédure de changement nonobstant le décès s'efforcent de réfuter les arguments proposés par leurs adversaires.

(164) M. EEKHAUTE, note sous casa., 2 mai 1979, Rev. not. belge, 1979, p. 595; A. KoHL, note sous civ. Bruxelles, 19 octobre 1977, Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 75 et 76; M. A. LEJEUNE, La nouvelle loi Bur leB réyimeB matrimoniaux, La Charte, Bruges, III, p. 40 et 41.

(165) A. KoHL, note sous civ. Bruxelles, 19 octobre 1977, op. cit., p. 76. (166) M. EEKHAUTE, note sous cass., 2 mai 1979, op. cit., p. 599. (167) M. EEKHAUTE, note sous cass., 2 mai 1979, op. cit., p. 595.

Revue Critique, 1983, 3 - 30

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D'abord, la requête en homologation conserve son objet. En effet, entre époux, la modification elu régime matrimonial produit ses effets au jour de l'acte notarié de modification (art. 1396, al. 2, du Code civil). Ainsi, le conjoint survivant pourra bénéficier des avantages que lui accorderaient les clauses modificatives du régime matrimonial, telle la clause d'attribution de la commu-" nauté au conjoint survivant (168).

Ensuite, si le droit de modifier le statut matrimonial appartient exclusivement à chaque conjoint, il s'exerce au moment de la rédaction de l'acte modificatif. Les formalités de l'article 1395 du Code civil ont pour seul but de contrôler la liberté de consente­ment des époux et d'assurer la sécurité des tiers. Dans cette perspective, la comparution personnelle des époux apparaît comme une simple mesure d'instruction et non con1n1e la réité­ration de l'expression solennelle du consentement des conjoints. Selon Mme Zorbas-Piret, << si la réitération de la volonté des époux avait été un des éléments indispensables de la modification du régime matrimonial, il aurait été logique, dans ce cas, de consi­dérer que la modification ne se réalisait qu'à la fin de la procé­dure>> (169). Or, l'homologation rétroagit entre époux au jour de l'acte modificatif. L'auteur voit en cette disposition une confirmation du fait que la modification du régime matrimonial découle essentiellement de l'accord de volonté des époux exprimé au moment de la signature de l'acte notarié modificatif.

M. Sterckx avance encore l'idée que c'est au couple qu'appar­tient le droit de modifier le statut matrimonial plutôt qu'à chacun des conjoints. Le survivant apparaît comme le <<porte­parole qualifié >> ( 1 7 0) .

Enfin, on ne peut pas déduire de la comparaison entre la procédure d'adoption d'une part et celle de modification du régime matrimonial que le législateur ait exclu, en ce domaine, la possibilité de poursuivre la procédure à la diligence d'un époux. L'adoption concerne l'état des personnes tandis que la modifi­cation du régime matrimonial vise les relations patrimoniales

(168) D. STERCKX, note sous cass., 2 mai 1979, J.T., 1979, p. 751; L. SwENNEN, << Huwelijksvermogensrecht 1977-1979 l), R. W., 1979-1980, col. 2416.

(169) M. ZoRBAS-PIRET, <<L'incidence du décès sur la poursuite de la procédure de changement de régime matrimonial l), in Oinq années d'application de la réforme des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 229 et 230.

(170) D. STERCKX, note sous cass., 2 mai 1979, op. cit., p. 751.

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des conjoints (170). M. Sterckx ajoute que les adoptants peuvent comparaître par mandataire alors que l'article 1395 prévoit la comparution personnelle et simultanée des époux (170). On voit mal la portée de cet argument car la question est de savoir si les auteurs de la loi ont voulu ou non établir une corrélation entre les deux procédures.

35. - SuiTE. - CoNCLUSION. - Devant une telle efflores­cence d'arguments divers et souvent sollicités, il convient sans doute de se reporter autant que possible à des idées simples, conformes aux principes généraux de la législation. On peut, du moins, s'y efforcer.

Il y a d'abord cette considération fondamentale que la mort met naturellement fin à tout ici bas; elle forme obstacle, sauf exception exprimée de façon expresse et formelle par la loi, à l'insertion du défunt dans des rapports juridiques non entière­ment réalisés lors de son décès. Il en est ainsi des projets de mariage, de divorce, de reconnaissance d'enfant, de disposition testamentaire, etc. La modification du régime matrimonial doit donc être acquise avant le décès puisqu'elle requiert la volonté commune et concordante des époux.

La raison principalement invoquée pour justifier les diverses étapes de la procédure est la crainte d'abus d'influence de l'un des époux sur l'autre; cela tendrait à faire admettre que la modification n'est acquise que lorsque cette crainte est définitive­ment écartée par la manifestation prolongée de la persistance de la volonté commune des époux, grâce aux formalités anté­rieures à la décision d'homologation. Dès lors, ces formalités semblent bien, dans l'esprit du législateur, être substantielles, ce que corrobore encore l'inspiration puisée par ce dernier dans la procédure du divorce par consentement mutuel. L'accord des deux époux pour le changement de régime devrait donc persister au moins jusqu'au moment de la clôture des débats sur l'homo­logation, voire jusqu'au prononcé du jugement.

Une autre considération, corollaire d'ailleurs de la précédente, est que la mort de l'un des époux met fin au régime matrimonial dont les règles désormais figées ne s'appliquent plus que pour les besoins de la liquidation. Comment admettre que l'on puisse

(170) D. STEROKX, note sous ca.ss., 2 mai 1979, op. cit., p. 751.

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apporter un changement à ce qui n'existe plus? C'est ce qui fait dire à certains que la demande de mutation n'a plus d'objet, c'est-à-dire plus de réalité objective. Le caractère rétroactif- au moins entre époux - de la décision n'y change rien, car pour rétroagir, en l'espèce, la mutation du régime doit d'abord exister. Précisément, cette rétroactivité était nécessaire parce que la mutation n'est pas parfaite par la confection de l'acte notarié mais seulement par le jugement d'homologation. Celle-ci acquise, alors seulement la mutation rétroagit.

Enfin, n'est~il pas paradoxal que le décès aboutisse finalement à ·consolider prématurément l'acte modificatif qui aurait pu, sinon, être remis en question au gré de l'un ou de l'autre des époux?

Ces considérations nous amènent à nous ranger parmi ceux qui considèrent que le décès de l'un des époux au cours de la procédure et, en tout cas, avant la clôture des débats, met obstacle à la réalisation du projet de modification du régime matrimonial.

Il faut reconnaître cependant qu'en fait, le plus souvent, le décès n'enlève pas à la modification sa raison d'être, ou si l'on veut son objet, ce mot étant pris cette fois dans le sens de but. Comment ne pas être choqué par le fait que cet événement, douloureux et fortuit, prive le survivant du bénéfice d'une clause d'attribution totale de la communauté, contrairement à la volonté certaine du prémourant? La raison d'être de la mutation subsiste malgré le décès et peut-être même s'en trouve renforcée. Ainsi s'explique, malgré le verdict de la Cour de cassation, la permanence de la controverse dans la jurisprudence comme dans la doctrine.

On peut en conclure que ni l'une ni l'autre des positions n'est vraiment satisfaisante et que seule une intervention législative peut résoudre la difficulté. Il conviendrait de distinguer de manière plus nette le problème de l'expression de la volonté conjointe des époux et celui du contrôle judiciaire. Le premier problème est du domaine de l'acte notarié, le second est du domaine de l'homologation judiciaire. Il pourrait être admis que c'est l'acte notarié qui réalise l'accord définitif des époux ; on pourrait d'ailleurs l'assortir de certaines précautions, comme, à titre de simple exemple, la présence de deux notaires, chaque

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époux étant assisté par l'un d'eux. L'homologation ne concerne­rait plus que la protection de la famille et des tiers ainsi que celle de chaque époux contre les abus d'influence éventuels de l'autre. Dès lors, il n'y aurait plus d'objection logique possible à ce que la procédure d'homologation se poursuive malgré le décès d'un époux.

A propos de l'abus d'influence, il faut d'ailleurs remarquer que celui-ci se situera d'abord avant la confection de l'acte notarié et en vue de sa réalisation. La hantise de l'abus d'in~ fluence (surtout du mari sur la femme) prolonge d'ailleurs l'antique méfiance à l'égard de la mutabilité du régime matri­monial, alors que l'égalité totale des époux lui enlève désormais sa base théorique.

Ainsi serait résolu également le problème du décès des deux époux avant l'homologation. Actuellement, il apparaît que cet événement rend celle-ci impossible ; en effet, la mutation du régime matrimonial ne peut être demandée que par les époux. Leurs héritiers sont sans qualité pour poursuivre une procédure qui a, au surplus, perdu toute raison d'être.

36. - EMPÊCHEMENT DE COMPARAÎTRE EN PERSONNE SUITE

À UNE MALADIE OU À UNE INFffiMITÉ. - L'impossibilité . de se déplacer, suite par exemple à une maladie, empêche-t-elle la poursuite de la procédure en homologation?

Par jugement du 28 novembre 1978, le tribunal civil d'An­vers (171) a admis la comparution par mandataire; mais la lecture de ce jugement ne pêrmet pas de savoir pourquoi l'époux ne s'est pas présenté en personne devant le tribunal.

Dans une affaire où l'un des conjoints était âgé, le juge s'est rendu au domicile des époux pour entendre leur avis {172). (i 73).

Il ne nous semble pas que l'on puisse assimiler au cas du décès du conjoint l'hypothèse d'un empêchement de comparaître en

(171) Civ. Anvers, 28 novembre 1978, Rev. trim. dr.jam., 1979, p. 311, note A. KoHL. (172) Dans sa décision du 29 juin 1978, la Cour d'appel de Gand constate que le

juge du tribunal de première instance s'est rendu à la demeure des conjoints (Gand, 29 juin 1978, Rev. not. belge, 1979, p. 150, note D. STERCKX).

(173) Bien que la requête n'ait pas été signée par les époux, mais par leur conseil, la cour d'appel de Bruxelles a considéré l'appel recevable. 1\iais la décision présente peu d'intérêt pour le point ici examiné puisque les conjoints ont comparu en personne devant la juridiction (Bruxelles, 9 octobre 1978, affaire Dormont-Paillot, PaB., 1978, ll, 129; Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.522, p. 284).

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personne par suite d'une maladie ou d'une infirmité. En effet, dans ce dernier cas, l'époux conserve, en général, la possibilité de manifester sa volonté de modifier son régime matrimonial. Ou bien le conjoint peut se faire représenter par un avocat et il est libre de révoquer le mandat jusqu'au moment de la compa­rution (174); cette liberté n'existe évidemment plus en cas de décès. Ou bien on peut envisager l'application par analogie de l'article 1254, alinéa 2, du Code judiciaire en matière de divorce pour cause déterminée et permettre au magistrat de se rendre au domicile des époux ( 17 5).

A l'hypothèse où l'époux décède pendant la procédure en homologation, ne convient-il pas d'assimiler le cas où il devient fou~

37. - INCIDENCE DE LA SÉPARATION DE FAIT. - Séparés de fait depuis plus d'un an, des conjoints veulent passer d'un régime de séparation de biens avec communauté d'acquêts au régime de séparation pure et simple. Le tribunal civil d'Audenarde (176) refuse d'homologuer l'acte modificatif car celui-ci contient des dispositions contraires tant aux principes du régime matrimonial primaire qu'à << la finalité même des régimes matrimoniaux qui sont assujettis au mariage en tant que communauté de vie>> (177). Lors d'une séparation de fait, le devoir de cohabitation (art. 213 du Code civil), la protection de l'habitation familiale (art. 215 du Code civil) et la contribution aux charges du mariage (art. 221 du Code civil) ne correspondent plus, en effet, à aucune réalité.

Le tribunal considère dès lors la séparation de fait comme un obstacle à l'homologation de l'acte modificatif du régime matrimonial.

Que penser de cette décision 1 Le législateur ne traite pas de l'incidence de la séparation de

fait stu' la possibilité de changement de régime matrimonial.

(174) Voy. en ce sens ,V. DELVA, <<De algemene principes met betrekking tot het secundair huwelijksvermogensreoht », in Het nieuwe Belgische huwelijksvermogensrecht, op. cit., p. 192; A. KoHL, note sous civ. Anvers, 28 novembre 1978, op. cit., p. 312. Contra M. A. LEJEUNE, La nouvelle loi sur les régimes matrimoniaux, op. cit., III, p. 41.

(175) Voy. en ce sens W. DELVA, op. cit., p. 192; A. KOHL, note sous civ. Anvers, 28 novembre 1978, op. cit., p. 312; M. A. LEJEUNE, La nouvelle loi sur les régime8 matrimoniaux, op. cit., III, p. 41.

(176) Civ. Audenarde, 24 avril 1979, R.W., 1978-1979, col. 2884, note O. DE Bus­SCHERE; Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.449, p. 450; Rev. trim. d1·. fam., 1979, p. 334.

(177) Civ. Audenarde, 24 avril 1979, Rec. gén. enr. et not., 1979, p. 452.

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Toutefois, le rapport de M. Baert (178) souligne que la mutabilité du régime matrimonial permet aux époux d'adapter celui-ci à l'évolution de leur situation familiale et sociale. Même si ce passage des travaux préparatoires ne résout pas de manière explicite le problème ici envisagé, n'offre-t-il pas un argument à des époux séparés de fait désireux de modifier leur régime 1natrimonial dans un sens plus conforme à leurs nouvelles conditions de vie? En effet, un régime de séparation avec société d'acquêts se fonde - dans une certaine mesure - sur la collabo­ration des conjoints et il se concilie difficilement avec une sépara­tion de fait.

En outre, le refus d'homologuer l'acte modificatif n'est pas susceptible en soi de favoriser une reprise de la vie commune. Un tel refus ne permet pas le relâchement des liens patrimoniaux souhaité par les époux. Une décision de non-homologation pour­rait les inciter indirectement à introduire une demande en divorce qui pourrait être encore plus préjudiciable à l'intérêt de la famille et des enfants (179).

En conclusion, la séparation de fait ne peut, à notre avis, constituer en elle-même un empêchement de principe à toute modification du régime matrimonial. Elle ne peut être qu'un des éléments d'appréciation du tribunal lors de l'exercice de sa 1nission de contrôle.

38. - MISSION ET POUVOIR DU JUGE. - DÉFINITION DES NOTIONS <<INTÉRÊT DE LA FAMILLE >>, << INTÉRÊT DES ENFANTS >> ET <<DROITS DES TIERS>>. -Le tribunal n'accorde l'homologation de l'acte modificatif du régime matrimonial que si elle ne porte pas atteinte aux intérêts de la famille, des enfants et aux droits des tiers (art. 1395, al. 2). Se trouve posé le problème de la mission et du pouvoir du juge. Il faut noter avant tout que c'est un droit pour les époux de modifier leur régime; l'intérêt des époux sera donc, en principe, prépondérant.

Seules quelques décisions fournissent des indications sur le contenu de la notion <<intérêt de la famille>>.

(178) Rapport de la Commission de la Justice de la Chambre, Doc. parlem., Chambre, session 1975-1976, n° 869-3, p. 4.

(179) Voy. en ce sens, C. DE BussCHERE, note sous civ. Audenarde, 24 avril 1979, R. W., 1978-1979, col. 2886 et 2887; L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, op. cit., p. 523; L. SwENNEN, << Huwelijksvermogensreoht 1977-1979 »,op. cit., col. 2418 et 2419.

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Selon le tribunal civil de Termonde (180), la famille englobe tous ceux qui sont unis par un lien de sang. Font ainsi partie de la famille les enfants même s'ils n'habitent pas au foyer conjugal.

Dans un attendu peu explicite, la cour d'appel de Bruxel­les (181) définit l'intérêt de la famille comme visant non seule­ment un intérêt collectif mais également celui des membres de la famille et n'lê me de l'un d'entre eux << dès que cet intérêt correspond à un devoir de famille>> (182).

Quant à la doctrine, elle est divisée sur la notion d'<< intérêt de la famille>>. Selon certains auteurs (183), seuls les époux font partie de la famille; selon d'autres (184), la famille s'étend aux héritiers présomptifs. Pour d'autres (185), enfin, le législateur vise ainsi les héritiers réservataires autres que les descendants.

A notre avis, la famille, au sens de l'article 1395, alinéa 2, du Code civil, se réduit aux seuls conjoints. Elle n'englobe pas les enfants. En effet, ceux-ci font l'objet d'une mention spéciale dans l'alinéa 2 de l'article 1395 du Code civil. Quant aux héritiers, il ne semble pas '--- sauf cas extraordinaire que la vie susci­tera- qu'ils fassent partie de la famille au sens de l'article 1395 du Code civil. Sans même tenir compte du déclin historique du lignage, on ne comprendrait pas que des collatéraux désarmés à l'égard des donations entre époux puissent se plaindre des

(180) Civ. Termonde, 23 décembre 1976, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.308, p. 431; TiJ"ds. not., 1978, p. 267; M. THUYSBA.ERT, << Wijziging van de huwelijksovereen­komst en controle van de rechter (1.395 B.W.)>>, Tifds. not., 1978, p. 262: cette note constitue un commentaire de la décision du tribunal civil de Termonde.

(181) Bruxelles, 13 avril 1978, J.T., 1978, p. 418; Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 351, note CL. JoNGMANS; Pas., 1978, II, 79; Rev. not. belge, 1979, p. 147. Voy. aussi Bruxelles, 18 avril 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.270, p. 329; Tifds. not., 1978, p. 221.

(182) Bruxelles, 13 .avril 1978, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 353. (183) M. EEKHAUTE, <<La mutabilité contrôlée des conventions matrimoniales et

le rôle du tribunal en matière d'homologation>>, Rev. not. belge, 1980, p. 228; CL. JaNG­MANs, << Changement de régime matrimonial, intérêt de la famille et droits des tiers », R.O.J.B., 1980, p. 184.

(184) L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, op. cit., notes 22 et 23, p. 109; Cl. RENARD, <<Les dispositions générales relatives aux régimes matrimoniaux>>, in La réforme des d1·oits et devoù·s respectifs des époux et des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 213.

(185) J. HAMBYE, <<Régimes matrimoniaux. La réforme de 1976 >>, Répertoire nota­rial, Larcier, Bruxelles, 1977, p. 76, n° 90; B. VANDERLINDEN-POUPART, J. M. Pou­PART, <<La .·modification des conventions matrimoniales et le pouvoir d'appréciation du juge>>, J.T., 1978, p. 627,

Remarquons que le rapport de M. Hambye et l'article de Mme B. Vanderlinden­Poupart et de M. J.-M. Poupart ont été rédigés avant l'adoption de la loi du 14 mai 1981 modifiant les droits du conjoint survivant.

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avantages matrimoniaux. En outre, pourquoi le législateur adopterait-il une conception large de la famille dans l'article 1395 alors que dans les articles 214, 229 et 1426 du Code civil, il restreint la notion de famille aux seuls époux et enfants (186) 1

La famille ne visa.nt, en principe, que les conjoints, on conçoit mal, dès lors, comment le changement du régime matrimonial puisse porter atteinte à son intérêt : l'accord des époux ne laisse-t-il pas présumer que la modification leur est favorable 1 La mission du tribunal consistera, la plupart du temps, à vérifier si leur entente ne résulte pas d'un abus d'influence d'un époux sur l'autre.

De la solution des conflits qui ont surgi entre le conjoint survivant et les enfants, il résulte que sont visés tous les enfants, communs ou non aux époux, vivant ou non au foyer conju­gal (187) (188).

Il convient toutefois de distinguer le cas où les époux n'ont que des enfants communs du cas où ils ont des enfants issus d'une première union. En effet, selon certaines juridictions, l'appréciation du litige diffère suivant l'hypothèse envisagée.

39. - SUITE.- CONFLIT ENTRE LE CONJOINT SURVIVANT ET LES ENFANTS COMMUNS AUX ÉPOUX. - C'est surtout l'ajout d'une clause en faveur du conjoint survivant qui menace l'intérêt des enfants. Il est difficile de concevoir une modification du régime matrimonial préjudiciant immédiatement aux intérêts des enfants. Les articles 203 et 208 du Code civil précisent, en effet, les obligations des parents à l'égard de leurs enfants quel que soit leur régime matrimonial (189). Les décisions sous revue ne concernent que l'hypothèse de l'insertion d'une clause visant à avantager le conjoint survivant.

Le seul arrêt de la Cour de cassation (190) sur le sujet ici

(186) Rapport de la Commission de la Justice du Sénat, Doc. parlem., Sénat, ses­sion 1975-1976, no 683-2, p. 19.

(187) H. CASMAN, <<Les difficultés rencontrées par la pratique en matière de chan~ gement de régime matrimonial 1>, in Cinq années ... , op. cit., p. 210; CL. JONGMANS, <<Changement de régime matrimonial, intérêt de la famille et droits des tiers 1>, op. cit., p. 185; L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, op. cit., note 22, p. 109.

(188) Aucune décision publiée ne traite du conflit entre, soit la famille soit les enfants, d'une part et les droits des tiers, d'autre part.

(189) Voy. en ce sens, H. CASMAN, <<Les difficultés rencontrées par la pratique en matière de régime matrimonial 1>, op. cit., p. 210.

(190) Cass., 1er juin 1979, Pas., 1979, I, ll33; Rec. gén. enr. et not., 1981, no 22.617, p. 206; Rev. trim. dr. fam., 1981, p. 5.

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envisagé ne présente que peu d'intérêt. Le de1nandeur reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir vérifié si, en fait, la modification envisagée n'était pas de nature à préjudicier aux intérêts du ménage et des enfants. La Cour de cassation n'eut dès lors pas à prendre position puisque est irrecevable le moyen critiquant une appréciation en fait du juge du fond.

Quant aux juridictions de fond ( 191), elles accordent l'hmno­logation de l'acte Inodificatif. L'insertion dans le régime ma tri­monial de clauses avantageant le conjoint répond à la<< préoccu­pation d'assurer dans les limites du possible au survivant une certaine aisance>> (192) et traduit le souci légitime de consacrer, au-delà du décès du prémourant, <<le devoir d'assistance et de prévoyance, expression Inajeure de la solidarité du couple, tant au plan matériel qu'au plan moral>> (192).

La volonté de favoriser le conjoint survivant est conforme au vœu du législateur. Ainsi, celui-ci considère, dans une certaine mesure {193), les avantages matrimoniaux non comme des dona­tions mais comme des conventions à titre onéreux échappant, dès lors, à l'action en réduction et à la révocation pour survenance d'enfant.

Se pose la question de savoir si les enfants peuvent invoquer

(191) Liège, 22 décembre 1977, J.T., 1978, p. 194; Jur. Liège, 1977-1978, p. 201; Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.271, p. 331; R.C.J.B., 1980, p. 172, note CL. JaNG­MANS; civ. Charleroi, 24 février 1978, Rev. trim. dr.jam .. , 1978, p. 401, note H. CASMAN; Bruxelles, 13 avril 1978, J.T., 1978, p. 418; Pas., 1978, II, 79; Rev. trim. dr.ja.m., 1978, p. 351, note CL. JoNGMANS; Rev, not. belge, 1979, p. 147; Bruxelles, 18 avril 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.270~ p. 329; T·ijds. not., 1978, p. 221. Le même jour, la même chambre de la cour d'appel de Bruxelles a prononcé trois arrêts homologuant pour les mêmes motifs un acte de modification du régime matrimonial prévoyant une clause d'attribution totale de la communauté au conjoint survivant: Bruxelles, 9 octobre 1978, affaire Dormont-Paillot, Pas., 1978, II, 129; Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.522, p. 284; Bruxelles, 9 octobre 1978, affaire Liesse-Lennertz, Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 351, note CL. JoNGMANS; Bruxelles, 9 octobre 1978, affaire Dupon-Verhoeven, J.T., 1979, p. 752.

Certaines décisions ne précisent pas si le conjoint se trouve en présence d'enfants communs ou non aux époux : civ, Termonde, 23 décembre 1976, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.308, p. 431; Tijds. not., 1978, p. 267; civ. Louvain, 13 mars 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.306, p. 429, obs.; Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 180, note H.C.; Gand, 29 juin 1978, Rev. not. belge, 1979, p. 150, obs. D. STEROKX.

'foutes ces décisions accordent l'homologation de l'acte modificatif du régime matri­monial.

(192) Bruxelles, 13 avril 1978, Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 353. (193) Rappelons qu'aux termes de l'article 1464, alinéa 2, les avantages matrimo­

niaux sont considérés comme << des donations pour la part dépassant la moitié qu'ils attribuent au conjoint survivant dans la valeur, au jour du partage, des biens présents ou futurs que l'époux prédécédé a fait entrer dans le patrimoine commun par une stipulation expresse du contrat de mariage l).

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le fait que les clauses en faveur du conjoint portent atteinte à leur réserve.

Pour certaines juridictions (194), une réponse affirmative s'im­pose. Ainsi dans une décision du 6 juin 1978, le tribunal civil de Bruxelles considère que sa mission consiste à protéger la réserve héréditaire et qu'il n'accordera pas l'homologation si l'avantage matrimonial prévu dans l'acte modificatif excède la quotité disponible ( 195).

Cette conception n'est pas exempte de toute critique. En effet, ce n'est qu'au moment du décès qu'est assurée la protection de la réserve. Ce mécanisme ne joue pas de plein droit: il appartient au réservataire de demander la réserve. L'action en réduction ne s'exerce qu'à l'égard des libéralités et non à l'égard des conventions à titre onéreux (196). Or, les avantages matrimo­niaux sont considérés, en principe, comme des conventions à titre onéreux (197) sauf lorsque le survivant se trouve en présence d'enfants du premier lit.

Certaines décisions judiciaires (198) reprennent les raisons invoquées par le Conseil d'Etat (199) pom· rejeter l'objection concernant l'atteinte à la réserve des enfants. Ceux-ci ne possè­dent aucun droit acquis à la fortune de leurs parents. De plus, l'avantage matrimonial n'a pour effet que de retarder- jusqu'au décès de l'autre conjoint - leurs prétentions successorales.

Ni les principes de droit successoral ni les arguments du Conseil d'Etat ne nous satisfont entièrement. En effet, le législateur protège non pas les droits des enfants mais leurs intérêts. Or, ceux -ci consistent à hériter du premier mourant non seulement

(194) Civ. Liège, 16 septembre 1976, inédit. Ce jugement a été réformé par la cour d'appel de Liège qui a homologué purement et simplement la modification envisagée par les époux (Liège, 22 décembre 1977, voy. références note 191); civ. Bruxelles, 6 juin 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 652, note L. RAUCEN'l'; Rec. gén. enr. et not., 1979, p. 188; civ. Tournai, 7 mai 1979, Rev. not. belge, 1980, p. 250, note C. REMON; Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 454, R.R.D., 1980, p. 25 : dans cette affaire, il s'agissait d'un conflit entre le conjoint survivant et l'enfant issu d'une précédente union.

(195) Civ. Bruxelles, 6 juin 1978, voy. références note 194. (196) L. RAUCENT·, note sous civ. Bruxelles, 6 juin 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 656;

C. Rl!lMON, note sous civ. Tournai, 7 mai 1979, Rev. not. belge, 1980, p. 252. (197) Sous réserve de l'article 1464, alinéa 2, du Code civil. (198) Civ. Termonde, 23 décembre 1976, voy. références note 191; Bruxelles,

9 octobre 1978, affaires Dormont-Paillot, Liesse-Lennertz, Dupon-Verhoeven, voy. références note 191.

(199) Avis du Conseil d'Etat, 2 décembre 1957, Doc. parlem., Sénat, session 1964-1965, no 138, p. 147.

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en raison du risque de dilapidation de la fortune par le survivant mais aussi de la perception des droits successoraux (200).

Nous examinerons dans le numéro 41 la ligne de conduite que le juge devrait, à notre sens, adopter pour apprécier les intérêts en présence.

40. - SUITE.- CONFLIT ENTRE LE CONJOINT SURVIVANT ET LES ENFANTS ISSUS D'UNE PRÉCÉDENTE UNION. - L'insertion d'avantages matrimoniaux dans le régime matrimonial constitue un moyen d'assurer au conjoint survivant le maintien du train de vie dont il a joui pendant le mariage. Ainsi se résume la position des juridictions (201) lorsqu'elles sont favorables à l'homologation de l'acte modificatif dans l'hypothèse ici envi­sagée.

La protection des enfants issus de la précédente union est, au reste, disent-elles, assurée par l'article 1465 du Code civil. Celui-ci leur accorde une action en retranchement qui leur permet de faire réduire l'avantage consenti au n1ontant de la quotité disponible prévue par l'ancien article 1098 du Code civil (202). La deuxième partie de l'article 1465 du Code civil limite cependant, dans une certaine mesure, le droit des enfants du premier lit puisque n'est pas considéré comme un avantage << le partage égal des économies faites sur les revenus respectifs des époux, quoique inégaux >>.

On peut toutefois se demander si la loi du 14 mai 1981 modi­fiant les droits successoraux du conjoint survivant n'a .pas abrogé implicitement l'article 1465 du Code civil. En effet, cette nouvelle loi traduit la volonté du législateur de ne plus défavo­riser le conjoint en secondes noces. Désormais, la quotité dispo­nible entre époux est la même qu'il existe ou. non des enfants d'un précédent mariage, le législateur ayant abrogé l'article 1098

(200) Les enfants devront verser des droits de mutation plus élevés que s'ils recec vaient la moitié des biens de chacun de leurs parents.

(201) Civ. Charleroi, 27 février 1978, Rev. trim. d1·. fam., 1978, p. 402, note H. CAs­MAN; Bruxelles, 13 novembre 1978, J.T., 1979, p. 664; civ. Mons, 20 juin 1979, Rev. not. belge, 1979, p. 526, note D. STERCKX; Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.462, p; 44, note A.C.; Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 220 (dans cette décision, la fille née du premier mariage avait manifesté son consentement pour la modification du régime matrimo­nial); civ. Anvers, 19 juin 1980, Rev. trim. d1·.jam., 1980, p. 410; civ. Anvers, 27 octobre 1981, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.720, p. 136, obs. A.C.

(202) Bru..-·<elles, 13 novembre 1978, voy. référence note 201; civ. Anvers, 19 juin 1980, voy. référence note 201; civ. Anvers, 27 octobre 1981, voy. référence note 201.

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du Code civil. Or, l'article 1465 du Code civil crée une discrimi­nation à l'égard du conjoint en secondes noces face aux enfants d'une précédente union. Alors que les avantages matrimoniaux sont, en principe, considérés comme des conventions à titre onéreux (203), ils sont toutefois traités comme des donations quand il y a des enfants d'un premier lit. Dans cette dernière hypothèse, <<toute convention matrimoniale ayant pour effet de donner à l'un des époux au-delà de la quotité disponible sera sans effet pour tout l'excédent>> {204). La quotité disponible visée à l'article 1465 est celle de l'ancien article 1098 du Code civil. Invoquant, d'une part, la suppression de ce dernier article et, d'autre part, la volonté du législateur de ne plus défavoriser le se0ond conjoint, M. Delnoy suggère que l'article 1465 aurait été abrogé par voie de conséquence (205) (206).

Une minorité de décisions publiées (207) s'oppose à l'homolo­gation de l'acte notarié de modification. Ainsi, dans un jugement du 7 mai 1979, le tribunal civil de Tournai (208) a refusé d'homo­loguer l'acte modificatif prévoyant l'attribution totale de la communauté au survivant des époux au motif que cette clause porte atteinte à la réserve de la fille issue d'une précédente union. Quant à la décision du 14 janvier 1981 du tribunal civil de Turnhout (209), elle se borne à constater qu'une clause d'attribution de la communauté au conjoint survivant << préju­dicie de toute façon aux intérêts des enfants du précédent

(203) Sous réserve de l'article 1464, alinéa 2, du Code civil. (204) Article 1465 du Code civil. (205) P. DELNOY, <<Les droits successoraux du conjoint (loi du 14 mai 1981) >>, J.T.,

1982, p. 393. Comparez CL. RENARD,<< Mouvement et stagnation du régime successoral>>, J.T., 1982, p. 156 : la non-abrogation expresse de l'article 1465 du Code civil<< mérite réflexion. L'article 1465 consacre en réalité la véritable protection des enfants du pre­mier lit contre le danger que peut leur faire courir, sur le plan patrimonial, le remariage de leur auteur. Il ne faut pas oublier, en effet, que ces enfants, à l'inverse des enfants communs, ne sont pas héritiers du bénéficiaire des avantages. C'est ainsi qu'en traitant comme égales des réalités inégales on peut créer des injustices >>.

(206) A l'appui de cette thèse, on peut invoquer les travaux préparatoires de la loi du 14 juillet 1976 portant réforme des régimes matrimoniaux. Au cours de la discussion de ce dernier projet à la Commission de la Justice de la Chambre des représentants, on avait décidé de modifier ou d'abroger l'article 1465 du Code civil si l'article 1098 était supprimé. Rapport de la Commission de la Justice de la Chambre, Doc. parlem., Chambre, session 1975-1976, n° 869-3, p. 19.

(207) civ. Tournai, 7 mai 1979, Rev. not. belge, 1980, p. 250, note C. REMON; Rev. trim. dr. Jam., 1980, p. 454; R.R.D., 1980, p. 25; civ. Turnhout, 14 janvier 1981, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.652, p. 363; Tifds. not., 1981, p. 146.

(208) Civ. Tournai, 7 mai 1979, voy. références note 207. (209) Civ. Turnhout, 14 janvier 1981, voy. références note 207.

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mariage du prémourant, puisque, en vertu de la modification demandée, le patrimoine commun appartiendra entièrement et en pleine propriété au survivant>> (210).

Rendues avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 mai 1981 modifiant les droits successoraux du conjoint survivant, ces deux décisions n'échappent pas à toute critique. En effet, l'une et l'autre juridictions semblent ignorer la protection accordée par l'article 1465 du Code civil aux enfants issus du premier lit.

41. - SUITE.- CONFLIT ENTRE LE CONJOINT SURVIVANT ET LES ENFANTS. - RÉFLEXIONS CRITIQUES. - L'appréciation des divers intérêts en présence n'est pas tâche aisée. Le manque de moyens d'investigation (211) dont dispose le tribunal complique sa mission de contrôle.

La loi n'organise pas la représentation des enfants mineurs. Les articles 1314 et 1319 du Code judiciaire prévoient unique­ment un droit d'intervention des enfants.

L'interrogatoire des parties intéressées est possible. Ainsi dans deux affaires soumises an tribunal civil de Charleroi (212), le juge a entendu les enfants avant d'homologuer l'acte modificatif du régime matrimonial. Mais le législateur n'accorde pas à la juridiction le pouvoir d'ordonner la convocation des parties (213). Toutefois, la cour d'appel de Bruxelles (214) estime que, non­obstant l'absence de dispositions légales relatives à la représen­tation des enfants mineurs, le contrôle judiciaire prévu par l'article 1395, § 1er, du Code civil assure la garantie des intérêts des enfants. En outre, la compétence d'avis du ministère public constitue une garantie supplémentaire.

(210) Civ. Turnhout, 14 janvier 1981, Rec. gén. enr. et not., 1981, p. 364. (211) M. EEKHAUTE, <<La mutabilité contrôlée des conventions matrimoniales et le

rôle du tribunal en matière d'homologation 1>, op. cit., p. 234. M. A. LEJEUNE, « La. mutabilité des régimes matrimoniaux : un premier bilan 1>, op. cit., p. 387; B. V AN­

DERLINDEN-POu:PART, J. M. Pou:PART, <<La modification des conventions matrimo­niales 1>, op. cit., p. 626.

(212) Civ. Charleroi, 24 février 1978, Rev. trim. d1·. fam., 1978, p. 401; civ. Charleroi, 27 février 1978, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 402.

(213) Ce contrairement à l'article 1253quinquies du Code judiciaire qui permet au juge de paix saisi d'une demande fondée sur les articles 220, § 3, 221 et 223 du Code civil d'ordonner la comparution des parties.

(214) Bruxelles, 18 avril1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.270, p. 330; Bruxelles, 9 octobre 1978, affaire Liesse-Lennertz, Rev. trim. dr. fam., 1978, p. 352 et 353. Voy. aussi les deux autres arrêts de la cour d'appel de Bruxelles du 9 octobre 1978, références citées note 191.

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Selon notre opinion, le tribunal devra apprécier les intérêts en présence dans leur ensemble (215). Il examinera les raisons du changement et ses conséquences pratiques. Seules les circon­stances de l'espèce- situation de fortune, état de santé ... - per­mettront de déterminer l'intérêt qui paraît prépondérant. En définitive, il s'agira de voir si la modification est inspirée par le souci d'assurer l'avenir du conjoint plutôt que par une volonté de frustrer les enfants.

Pareille thèse semble conforme au principe de la mutabilité contrôlée voulue par le législateur. En effet, la mission du tribunal serait privée de toute portée si l'existence d'un intérêt dans le chef d'une seule partie suffisait à justifier la modification. L'accord des conjoints laisse supposer qu'à tout le moins un des époux possède un intérêt à modifier ou à compléter son régime matrimonial. Dans cette perspective, une fois vérifiée l'absence d'abus d'influence d'un époux sur l'autre, le tribunal devrait accorder l'homologation de la convention modificative. A l'inverse, méconnaîtrait l'article 1394, alinéa 1er, le juge qui refuserait l'homologation de l'acte modificatif dès lors qu'il ne rencontrerait pas à la fois l'intérêt des parents et celui des enfants. Cette position conduirait à rendre exceptionnelles les modifications du régime matrimonial : l'intérêt des parents ne peut que rarement coïncider avec celui des enfants.

Un arrêt de la Cour de cassation française résume la méthode d'appréciation à suivre par le juge : <<L'existence et la légitimité de l'intérêt de la famille doivent faire l'objet d'une appréciation d'ensemble, le seul fait que l'un des membres de la famille risque­rait de se trouver lésé n'interdisant pas nécessairement le change­ment envisagé>> (216).

La jurisprudence publiée accorde, nous l'avons vu, la préfé-

(215) En ce sens H. CASl\1AN, <<Les difficultés rencontrées par la pratique en matière de changement de régime matrimonial>>, op. cit., p. 211 et 212; CL. JoNGMANs, <<Chan­gement de régime matrimonial, intérêt de la famille et droits des tiers >>, op. cit., p. 189; CL. RENARD,<< Les dispositions générales relatives aux régimes matrimoniaux», op. cit., p. 212. L. RAUCENT, note sous civ. Bruxelles, 6 juin 1978, Rev. not. belge, 1978, p. 657.

Contra : M. Thuysbaert estime que le législateur a voulu établir une hiérarchie entre les divers intérêts en présence, l'intérêt du conjoint survivant l'emportant tou­jours sur celui des enfants. Cette thèse réduit à néant le contrôle judiciaire : le tribunal serait tenu d'homologuer la modification du régime matrimonial en cas d'absence d'abus d'influence d'un époux sur l'autre (M. THUYSBAERT, << Wijziging van de huwe­lijksovereenkomst en controle van de rechter (1395 B.W.) >>, TiJ'ds. not., 1978, p. 263).

(216) Cass. fr., 6 janvier 1976, Bull. civ., 1976, I, no 4, p. 5.

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renee au conjoint survivant. On peut se demander quelle sera l'incidence de la loi du 14 mai 1981 modifiant les droits succes­soraux du conjoint survivant sur l'appréciation des divers intérêts. La modification du régime matrimonial permettait de combler les lacunes de la loi ancienne relative aux droits succes­soraux du conjoint survivant. Nonobstant le fait que la loi du 14 mai 1981 a étendu les droits de celui-ci, les clauses du régime matrimonial en faveur de l'époux conservent leur utilité. Notam­ment, ces clauses sont d(,:)s conventions à titre onéreux et elles échappent, en principe, à une action en réduction (217). En outre, l'article 745bis, § 1er, du Code civil n'attribue au conjoint survivant en concours avec des descendants du de cujus que l'usufruit sur la part du patrimoine commun du défunt (218). Une clause d'attribution totale de la communauté donnera à l'époux survivant la pleine propriété du patrimoine com­mun (219).

En raison de l'extension des droits du conjoint survivant, on peut se demander si la jurisprudence ne prendra pas en considé­ration plus qu'auparavant l'intérêt des enfants. Toutefois, l'insertion dans le contrat de mariage de clauses avantageant le conjoint survivant demeure permise. En effet, les époux ont la possibilité de compléter leur contrat de mariage en adoptant des dispositions qu'ils pouvaient stipuler dans leur contrat anténuptial. Or, tel est le cas des avantages matrimoniaux.

En définitive, l'analyse de la volonté des conjoints et de la situation de fait constitue le meilleur critère d'appréciation des intérêts de la famille et des enfants. Si la modification a pour but de préserver la situation du conjoint survivant, le juge accordera l'homologation; si, au contraire, les époux ont réelle­ment l'intention de dépouiller leurs enfants, le juge refusera l'homologation de l'acte modificatif.

42. - SuiTE.- LEs MODALITÉS DE L'HoMOLOGATION.- Le tribunal peut-il n'accepter ou refuser l'homologation de l'acte

{217) Article 1464 du Code civil. {218) Le conjoint survivant recueille aussi l'usufruit des biens propres du pré­

mourant. {219) Sur l'utilité que présentent les clauses en faveur du conjoint survivant nonob­

stant la nouvelle loi du 14 mai 1981 sur les droits successoraux du conjoint survivant, voy. H. CASMAN, <<Les difficultés rencontrées par la pratique en matière de change­ment de régime matrimonial>>, op. cit., p. 211.

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modificatif que dans son ensembld Peut-il octroyer une homolo­gation partielle de cet acte ou assortir l'homologation de réserves 1

Selon la majorité de la doctrine (220) et de la jurispru­dence (221), le tribunal est tenu d'homologuer l'acte modificatif dans sa totalité ou de rejeter la requête : le juge ne peut pas substituer sa volonté à celle des conjoints. Une homologation partielle déséquilibrerait l'économie générale de l'acte notarié de modification comme le souligne la cour d'appel de Mons dans son arrêt du 20 . juin 1979 (222). Des époux ont complété leur régime matrimonial par une clause de partage inégal de la communauté et une clause d'apport au patrimoine commun de deux immeubles propres du mari; ils ont renoncé, en outre, à l'établissement du compte des récompenses pour les sommes versées par la communauté pour ces immeubles. Le tribunal civil de Tournai homologua l'acte de modification à l'exception de la clause d'ameublissement. La juridiction estima, en effet, que cette disposition préjudiciait aux intérêts de l'enfant né d'un premier mariage. Les conjoints interjetèrent appel de cette décision. La cour d'appel de Mons observa qu'une homologation partielle de la convention de changement ne respectait pas la volonté des parties, la renonciation aux récompenses ne se justifiant que par l'insertion d'une clause d'apport d'immeubles propres dans la communauté.

Ce n'est que très rarement que les juridictions accordent une homologation partielle ou sous réserve de l'acte notarié de modification (223).

Ainsi, dans un jugement du 19 octobre 1981, le tribunal civil

(220) H. CASMAN et M. V AN LooK, Régimes mat1·imoniaux, op. cit., II, 5, p. 11; M. EEKHAUTE, << La mutabilité contrôlée des conventions matrimoniales et le rôle du tribunal en matière d'homologation>>, op. cit., p. 231; CL. JoNGMANS, «Changement de régime matrimonial, intérêt de la famille et droits des tiers >>, op. cit., p. 181; M. A. LE­JEUNE,<< La mutabilité des régimes matrimoniaux>>, op. cit., p. 387; B. VANDERLINDEN­PoUPART et J. M. PoUPART, <<La modification des conventions matrimoniales et le pouvoir d'appréciation du juge>>, op. cit., p. 627.

(221) Liège, 22 décembre 1977, J.T., 1978, p. 194; Jur. Liège, 1977-1978, p. 201; Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.271, p. 331; R.O.J.B., 1980, p. 172, note CL. JaNG­MANS; civ. Bruges, 7 février 1978, Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.361, p. 128, obs. A.C.; Tijds. not., 1978, p. 311; Mons, 20 juin 1979, Rev. not. belge, 1979, p. 526; Rec. gén. enr. et not., 1980, n° 22.462, p. 44, obs. A.C.; Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 220.

(222) Mons, 20 juin 1979, voy. références note 221. (223) Mons, 10 janvier 1979, J.T., 1979, p. 252; Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.403,

p. 259; Rev. not. belge, 1979, p. 90; R.R.D., 1979, p. 803, note M. A. LEJEUNE; civ. Gand, 19 octobre 1981, Tijds. not., 1982, p. 112, note C. DE BusscHERE.

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de Gand (224) accorda l'homologation d'une clause de partage inégal de la communauté mais il refusa l'homologation d'une clause de dispense de fournir caution et de placer les sommes d'argent en considérant que cette dernière clause était contraire à l'article 745ter du Code civil. Aux termes de cette disposition, l'usufruitier ne peut être libéré de l'obligation d'employer .les sommes d'argent. Nous examinerons ce problème dans le numéro 46.

Cela étant, la solution peut être nuancée. Il peut se produire lorsque des diverses modifications prévues par les époux, seule l'une d'entre elles, par exemple, entraîne un préjudice appréciable pour un des intérêts familiaux protégés ou serait frauduleuse pour les tiers et qu'il apparaît que cette clause est indépendante des autres et qu'il est donc possible de l'en dissocier, pourquoi obliger le juge à rejeter l'ensemble du projet de mutation et l'empêcher d'homologuer les souhaits raisonnables des époux~ La solution n'est pas nécessairement celle du tout ou rien ; elle serait de préférence, à notre avis, dans une approche raisonnable de la réalité des liens qui unissent entre elles les différentes clauses.

·Il ne faut toutefois pas confondre l'homologation partielle avec l'homologation sous réserve. Celle-ci est contraire au prin­cipe de la liberté des conventions et constitue une ingérence dans la vie des époux. A l'appui de cette position, on peut invoquer qu'au cours des débats à la Sous-commission de la Justice du Sénat, on rejeta un amendement <<permettant au tribunal de subordonner l'homologation aux modifications qu'il imposerait>> (225).

43. - CONTRÔLE DE LA LÉGALITÉ DES CLAUSES. - PACTE SUR SUCCESSION FUTURE. - Une clause d'apport à la commu­nauté d'un bien déterminé futur ou de biens futurs acquis par succession ne constitue-t-elle pas un pacte s~ succession future (226) ~

L'article 1130 du Code civil énonce Je principe de la prohibition d'une telle convention. Puisque les changements du régime

(224) Civ. Gand, 19 octobre 1981, voy. référence note 223. (225) Rapport de la Sous-commission de la Justice du Sénat, Doc. parlem., Sénat,

session 1974-1977, n° 683-2, p. 56. (226) Sur la procédure de modification à suivre, voy. supra, n° 28.

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matrimonial ne peuvent être contraires à l'ordre public (art. 1387 du Code civil), il est interdit aux époux d'insérer un tel pacte dans l'acte modificatif.

Certaines juridictions considèrent cette clause comme un pacte sur succession future.

Ainsi en va-t-il du tribunal civil de Furnes (227) qui refuse l'homologation d'une clause d'apport d'un bien futur déterminé.

Ou encore le tribunal civil de Termonde (228) n'accorde pas l'homologation d'une clause d'apport à la communauté de tous les biens que les époux recueilleront dans la succession de leurs parents.

D'autres juridictions décident, au contraire, que la clause d'apport de biens futurs n'est pas un pacte sur succession non encore ouverte car ((elle n'attribue aucun droit sur pareille succession à laquelle les époux restent libres de renoncer>> (229).

Une telle clause constitue, certes, un pacte sur succession future. Celui-ci consiste en une stipulation dont l'effet est d'attri­buer à la communauté un droit purement éventuel sur tout ou partie d'une succession non encore ouverte (230).

Toutefois, même si la clause d'apport d'un ou de biens futurs est un pacte sur une succession non encore ouverte, celui-ci est permis, à notre sens, par les art,icles 1451 et 1452 du Code civil. Ces dispositions autorisent les conjoints à faire entrer dans la communauté tout ou partie de leurs biens futurs. Ces règles ne traitent pas de l'hypothèse d'un apport d'un seul bien futur. Mais en vertu de l'adage ((qui peut le plus, peut le moins>>, la clause d'apport d'un bien futur paraît licite. Ainsi en a décidé la cour d'appel de Bruxelles dans son arrêt du 11 n1ars 1981 (231) (232).

· (227) Civ. Furnes, 18 décembre 1980, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.651, p. 360, obs. A.C.; Tijds. not., 1981, p. 208.

(228) Civ. Termonde, 23 mai 1980, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.650, p. 359; Tijds. not., 1981, p. 145.

(229) Bruxelles, 11 mars 1981, Rec. gén. enr. et not., 1982, no 22.722, p. 143. Cette décision a été publiée dans le R. W., 1981-1982, col. 2412, note H. MooNs; Tijds. not., 1981, p. 371.

(230) Sur les pactes sur succession future, voy. J. RENAULD, note sous casa., 16 oc­tobre 1959 et casa., 10 novembre 1960, R.C.J.B., 1961, p. 11; L. BABETTE, <c Les pactes sur succession future», Rec. gén. enr. et not., 1962, no 20.518, p. 297.

(231) Bruxelles, 11 mars 1981, voy. références note 229. (232) Voy. en ce sens, l'article tout récent de M. ZoRBAS-PIRET, «L'apport au

patrimoine commun d'un bien futur •>, Rev. not. belge, 1982, p. 412.

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En outre, il est évident que ce qui est permis par contrat de mariage l'est aussi par acte modificatif.

44. - SUITE. - CLA,USE DE REPRISE SUR PRISÉE PORTANT SUR DES BIENS DÉPENDANT DE LA SUCCESSION DE L'ÉPOUX PRÉDÉCÉDÉ. -Adoptant le point de vue de la majorité de la doctrine belge, le tribunal civil de Bruges (233) considère que la clause envisagée ici est une promesse de vente ayant pour objet un bien d'une succession non encore ouverte (234). Le tribunal refuse, par conséquent, d'homologuer l'acte de modi­fication en se fondant sur l'interdiction des pactes sur succession future (art. 1130 du Code civil).

Cette solution doit être approuvée, les articles 1451 et 1452 du Code civil étant ici sans application.

45. - SUITE.- LICÉITÉ DU PASSAGE DU RÉGIME DE LA SÉPA­RATION DE BIENS AVEC SOCIÉTÉ D'ACQUÊTS AU RÉGIME DE LA

SÉPARATION DE BIENS PURE ET SIMPLE. -Le tribunal civil de Bruxelles accorde, à juste titre, aux époux la possibilité de réaliser un tel changement s'ils se conforment aux exigences de l'ar­ticle 1394 du Code civil (235).

Aucune règle n'interdit, en effet, cette modification pour autant qu'elle ne préjudicie ni aux intérêts de la famille, des enfants ni aux droits des créanciers (236). Ainsi, par exemple, l'exercice par le conjoint d'une profession indépendante peut justifier le passage au· régime de séparation de biens pure et simple; les dettes professionnelles communes dans un régime de communauté sont propres (237).

(233) Civ. Bruges, 7 février 1978, Tijds. not., 1978, p. 311; Rec. gén. enr. et not., 1979, n° 22.361, p. 128, obs. A.C.

(234) Voy. en ce sens P. VAN OMMESLAGHE, <<Validité en droit français et belge de la. clause de reprise sur prisée insérée dans un contrat de mariage>>, note sous cass., 10 novembre 1955, R.O.J.B., 1957, p. 42; H. CASMAN et M. VAN LooK, Les régimes matrimoniaux, op. cit., Il, 5, p. 9; W. DELVA, «De algemene principes met betrekking .tot het secUndair huwelijksvermogensrecht )), op. cit., p. 168.

(235) Civ. Bruxelles, 7 mai 1981, Rev. not. belge, 1981, p. 325. On peut noter que les faits de la cause soumis au tribunal de Bruxelles lui permettaient de ne pas statuer _sur le choix de la procédure à suivre par les conjoints. Il s'agissait, en l'espèce, d'un litige relatif au partage de l'actif commun d'époux divorcés mais la répartition des biens telle qu'elle avait été réalisée n'impliquait aucune modification du régime matri­monial.

(236) Aux termes de l'article 1394 du Code civil, les époux peuvent en effet apporter << à leur régime matrimonial toutes modifications qu'ils jugent à propos et même en changer entièrement ».

(237) Voy. en ce sens, L. RAUOENT, Les regimes matrimoniaux, op. cit., p. 522 ..

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46. - SuiTE. - PossiBILITÉ D'APPLICATION DE L'.A.RTI~

OLE 745ter DU CODE CIVIL À L'USUFRUIT OBTENU PAR SUITE D'UNE OLA,USE MATRIMONIALE. -Dans un jugement du 19 OC­

tobre 1981 (238), le tribunal civil de Gand accepta d'homologuer, d'une part, une clause de partage inégal mais refusa d'homologuer une clause de dispense de fournir caution et de placer les sommes d'argent (239).

Se pose la délicate question de savoir si les exigences de l'article 745ter du Code civil s'appliquent à l'usufruit obtenu par suite d'une clause matrimoniale. A l'inverse des articles 601 et 602 du Code civil, l'article 745ter prévoit que l'usufruitier ne peut pas être libéré de l'obligation d'employer les sommes d'argent.

L'article 745ter ne vise, selon la majorité des auteurs (240), que l'usufruit de biens obtenus à titre successoral et non l'usu­fruit de biens attribués en vertu d'une clause matrimoniale. A l'appui de leur thèse, les auteurs invoquent deux arguments. Le premier se fonde sur la place de l'article 7 45ter dans le Code civil : cette disposition est inscrite dans une section consacrée aux successions déférées au conjoint survivant. Le second se base sur la comparajson des articles 7 45ter et 7 45quinquies du Code civil. Là où le législateur a entendu déroger au droit com­mun de l'usufruit contenu dans les articles 600 et suivants du Code civil, ille précise expressément. Ainsi dans l'article 745quin­quies du Code civil, le législateur indique que le droit de demander la conversion de l'usufruit <<s'applique à tout usufruit du con­joint survivant, qu'il soit légal ou testamentaire ou qu'il résulte d'un contrat de mariage ou d'une institution contractuelle>>. Par contre, dans l'article 745ter du Code civil, le législateur se borne à dire <<quiconque recueille la nue-propriété ... >>.

La décision du tribunal civil de Gand suscite une autre obser­vation. L'article 601 du Code civil permet de libérer le conjoint de l'obligation de fournir une caution. Or l'exigence de donner

(238) Civ. Gand, 19 octobre 1981, Tijds. not., 1982, p. 112, note O. DE BussOHERE. (239) Cette décision posait, en outre, le problème de l'homologation partielle de

l'acte modificatif du régime matrimonial. Voy. supra, no 42. (240) C. DE BussaHERE, note sous civ. Gand, 19 octobre 1981, Tijds. not., 1982,

p. 114 et 115; PH. DE PAGE,« La réforme des droits successoraux du conjoint survivant et des libéralités entre époux)), Rev. trim. dr. jam., 1981, p. 115; M. PuELINOK-COENE, • De grote promotie van de langstlevende echtgenoot. Beschouwingen bij de integratie van de wet van 14 mei 1981 in het bestaande recht», Tifds. priv., 1981, p. 604 et 667.

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caution ~e jouir en bon père de famille n'est pas reprise dans l'article 745ter du Code civil. Dès lors, même si l'on admet l'application de cette disposition dans la matière de l'usufruit obtenu par suite d'une clause matrimoniale, l'usufruitier peut toujours être libéré de l'obligation de fournir une caution con­trairement à ce que décide le tribunal civil de Gand.

SECTION IV. - DROIT TRANSITOIRE.

47. - INTRODUCTION (241). -Si les dispositions transitoires édictées par le législateur de 1976 sont d'importance (art. 47 des dispositions abrogatoires et modificatives et art. III, dispo­sitions transitoires), elles ne règlent cependant guère tous les problèmes de conflits de lois dans le temps que peut poser la loi nouvelle.

Ainsi, la démarche doit toujours être la suivante : examiner si une disposition particulière règle la situation donnée et dans la négative, appliquer purement et simplement les principes généraux, à savoir non-rétroactivité et application immédiate de la loi nouvelle.

48. - COMMUNAUTÉ DISSOUTE AVANT L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI MAIS NON ENCORE LIQUIDÉE. - Dans un arrêt du 21 septembre 1979 (242), la Cour de cassation considère que le droit d'attribution préférentielle, << mode particulier d'exercice du droit de sortir d'indivision>> (243) (art. 1446 nouveau du Code civil) naît au moment de la dissolution du mariage (244); il ne peut dès lors pas être invoqué par un (ex) époux dont le divorce a été transcrit en 1975.

A notre avis, il ne s'agit là que d'une application des principes généraux de droit transitoire. La loi applicable à la liquidation de la communauté est celle en vigueur au jour de la dissolution de celle-ci. Le principe de non-rétroactivité contenu à l'article 2

(241) Pour une étude détaillée des problèmes de droit transitoire, voy. P. RouBIER, Le droit transitoire, 2e éd., Dalloz et Sirey, Paris, 1960, 590 pages.

(242) Cass., 21 septembre 1979, R. W., 1979-1980, col. 2648, note H. CASMAN; Pas., 1980, I, 102; Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 380, note J.-L. RENOHON; Tijds. not., 1980, p. 248.

(243) Cass., 21 septembre 1979, Rev. trim. dr. jam., 1980, p. 381. (244) Soit au jour de la transcription du divorce, pour une critique sur ce point,

voy. p. 484.

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du Code civil suffit à justifier cette position. C'est ce qu'affirme, à juste titre, le tribunal civil de Hasselt dans sa décision du 25 mai 1979 (245).

Par contre, la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 17 juin 1980 (246) nous paraît critiquable. En effet, pour écarter l'application des dispositions de la loi du 14 juillet 1976 à une communauté réduite aux acquêts dissoute en 1956 mais non encore liquidée au jour de l'entrée en vigueur de la nouvelle législation, la juridiction se base sur l'article 4 7, § 3, des dispositions abrogatoires et modificatives. La situation visée par ce texte est pourtant tout autre : il s'agit d'une communauté née avant mais dissoute après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

49. - PROCÉDURE DE DIVORCE EN COURS LORS DE L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA NOUVELLE LOI. - Si le jugement qui prononce le divorce n'a d'effet qu'au jour de sa transcription, l'article 1278, alinéa 2, du Code judiciaire en fait toutefois remonter les effets, entre époux et en ce qui concerne leurs biens, au jour de la demande (24 7).

Un divorce étant entamé avant mais transcrit après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, quelle incidence a ce texte pour l'application des règles nouvelles 1

Une demande en divorce est introduite le 26 février 1976; le divorce n'est cependant transcrit que le 24 février 1978. L'époux soutient que sa femme, qui n'a pas accepté la commu­nauté dans le délai de 3 mois et 40 jours, est censée, conformé­ment à l'article 1463 ancien, y avoir renoncé.

Cette disposition, abrogée par la loi du 14 juillet 1976, peut-elle être invoquée ici 1

Le tribunal civil de Courtrai (248) rappelle tout d'abord la ratio legis des anciens articles 1453 à 1466 du Code civil, qui permettaient à la femme d'échapper aux dettes dont le mari, chef

(245) Civ. Hasselt, 25 mai 1979, LimbU1·gs Rechts., 1980, p. 14, obs. T.; R. W., 1980-1981, col. 2276.

(246) Mons, 17 juin 1980, Pas., 1980, II, 131. (247) L'article 1278 du Code judiciaire vise le divorce pour cause déterminée; une

règle semblable existe en matière de divorce par consentement mutuel (art. 1304 du Code judiciaire).

(248) Civ. Courtrai, 10 octobre 1980, R. W., 1980-1981, col. 1676, note H. ÜASMAN;

Tijds. not., 1981, p. 202; J.T., 1982, p. 482, note C. SCHlffiMANS.

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de la communauté, avait pu grever le patrimoine commun. Il fait observer ensuite, qu'il n'est pas concevable de maintenir le droit de l'épouse à renoncer à la communauté, alors qu'elle a pu la gérer, à l'égal de son mari, depuis le 28 septembre 1977. Il souligne, enfin, que cette renonciation ne peut, en aucun cas, être invoquée vis-à-vis des tiers, la transcription du divorce ayant eu lieu, en l'espèce, après l'entrée en vigueur de la législa­tion nouvelle.

Pour ces motifs, le tribunal juge pour ch·oit que la femme ne peut plus renoncer à la communauté.

Le 2 avril 1980, le tribunal civil de Malines rend en la matière une décision en sens contraire (249). La situation de fait est semblable. L'article 1463 ancien est applicable, la communauté ayant été dissoute entre les époux rétroactivement au jour du dépôt de la requête.

Il faut, selon nous, faire la distinction suivante (250)

a) entre époux, les effets du divorce rétroagissent, quant aux biens, au jour de la demande. Parmi ces effets, on trouve la dissolution du régime matrimonial (251). Celui-ci devra donc être dissous dans l'état où il existait à la date d'introduction de la demande et avec application des règles alors en vigueur.

b) à l'égard des tiers, la communauté est, par contre, dissoute au jour où le divorce est devenu définitif, soit au jour de sa transcription. Ce sont les dispositions en vigueur alors qui doivent être appliquées (252).

(249) Civ. Malines, 2 avril 1980, Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 425. (250) Dans le même sens : H. CAsMAN et M. V AN LooK, Les régimes matrimoniaux,

op. cit., VII, p. 17; A. HEYVAERT, << Het overgangsrecht, de rommelzolder van de wet van 14 juli 1976 betreffende de wederzijdse rechten en verplichtingen van echtgenoten en de huwelijksvermogensstelsels Il, R. W., 1976-1977, col. 991; J.-L. RENCHON, « L'inci­dence des règles de droit transitoire contenues dans la loi du 14 juillet 1976 sur diffé­rents problèmes concrets d'application dans le temps des dispositions relatives aux régimes matrimoniaux 1>, in Cinq années d'application de la réforme des régimes matri­moniaux, op. cit., p. 152.

(251) <<Les effets du divorce sur les biens, au sens des articles 1278 et 1304 du Code judiciaire, ce sont la dissolution du régime matrimonial et la disparition de la qualité d'associé quant aux biens et des relations qui en dépendent, ... 1> E. VIEUJEAN, « Obser­vations sur certaines particularités des effets du divorce pour cause déterminée 1>,

Ann. fac. dr. Liège, 1977, p. 538. (252) Dans son arrêt du 21 septembre 1979, la Cour de cassation ne fait pas cette

distinction. Elle affirme en effet que le droit d'attribution préférentielle (art. 1446 et 1447 nouveaux du Code civil) naît au moment de la. dissolution, soit au jour de la trans­cription du divorce. Il est vrai que, dans l'espèce qui lui était soumise, le divorce avait

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Nous ne pensons pas pouvoir suivre le raisonnement de Mme O. Schurmans dans la note qu'elle consacre au jugement du tribunal de Courtrai précité .. <<On ne pourrait, sans mécon­naître le principe selon lequel seule une disposition expresse du législateur peut permettre qu'une loi abrogée survive à son abrogation, voir dans l'article 1278, alinéa 2, du Code judiciaire la volonté du législateur de 1976 de maintenir les règles du Code civil qu'il abroge en faveur des époux dont le divorce est transcrit après l'entrée en vigueur de la loi, mais intenté avant cette date . . . Cette solution s'impose d'autant plus que la rétroactivité du jugement au jour de la demande est, en matière de divorce, une règle exceptionnelle ... , une dérogation au droit commun dont il convient de limiter la portée ... >> (253).

Certes, une loi ne peut survivre à son abrogation qu'en vertu d'une disposition expresse du législateur, mais ce principe est-il vraiment d'application ici~

Entre époux, la dissolution de la communauté a lieu rétroactive­ment au jour de la demande en divorce (art. 1278 du Code judiciaire) ; il ne s'agit pas de faire revivre l'article 1463 du Code civil mais bien d'appliquer la loi en vigueur au jour de la demande en divorce ( 254).

50. - L'ARTICLE 559 ANCIEN DE LA LOI SUR LES FAILLITES.­APPLICATION PARTICULIÈRE DU PRINCIPE DE NON-RÉTROACTI­VITÉ. - Deux époux sont mariés sous le régime de la séparation des biens avec société d'acquêts. Le 12 janvier 1976, Madame demande la séparation de biens judiciaire ; celle-ci lui est accordée par jugement du 8 mars 1976. Entretemps, soit le 1er mars 1976, Madame fait inscrire l'hypothèque légale (art. 64 à 72 de la loi hypothécaire) pour sûreté de ses droits sur les biens réservés

été transcrit avant la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Cass., 21 septembre 1979, voy. références note 242.

(253) O. SCHURMANS, note sous civ. Courtrai, 10 octobre 1980, J.T., 1982, p. 483. (254) Certes, la thèse que nous défendons soit l'application à la dissolution de la

communauté de deux lois différentes - loi ancienne vis-à-vis des époux, loi nouvelle à l'égard des tiers - est source de difficultés pour les praticiens. Ainsi, si à l'encontre de son conjoint, l'épouse peut encore renoncer à la communauté, cette renonciation n'est pas opposable aux tiers. A notre sens, la protection dont la femme peut encore bénéficier à l'égard de son ex-mari ne pourra se traduire que par des dommages et intérêts à lui réclamer. Il reste que le cas envisagé à ce numéro implique un divorce entamé avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976; une telle situation deviendra de plus en plus rare.

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et les récompenses, sur un immeuble sis à Gand. Le 17 juin 1976, le mari est déclaré en faillite. Par conclusions du 11 mai 1977, le curateur de la faillite demande que l'épouse soit condamnée à donner mainlevée de l'inscription prise le 1er mars ; son action est basée sur l'article 559 ancien de la loi sur les faillites (255).

Le siège de la matière se trouve dans le droit de la faillite. Les droits des créanciers sont, à l'égard de la 1nasse, fixés au moment du prononcé de la faillite. En l'espèce, dit la Cour de cassation, celle-ci a eu lieu avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976 et par conséquent, la constitution de l'hypo­thèque légale de la défenderesse doit demeurer limitée, en vertu de l'article 559 ancien de la loi sur les faillites, aux biens et droits énoncés dans cette disposition légale (256).

L'hypothèque légale de la femme est-elle ou non opposable à la masse faillie~ C'est sur base de l'article 559 du Code de commerce, en vigueur au jour du prononcé de la faillite, que cette question doit être appréciée. Le curateur qui réclame mainlevée de l'inscription ne fait qu'invoquer un droit antérieur dont il demande seulement reconnaissance en justice. Raisonner autrement serait reconnaître à la loi nouvelle un effet rétroactif.

51. - CARACTÈRE PROPRE OU COMMUN D'UN BIEN ACQUIS AVANT LE 28 SEPTEMBRE 1977.- ÉPOUX MARIÉS SANS CONTRAT OU AYANT ADOPTÉ PAR CONTRAT LE RÉGIME DE COMMUNAUTÉ LÉGALE. - L'article 1er, 2°, des dispositions transitoires est, comme on le sait, rédigé comme suit : << A défaut de pareille déclaration (257), les époux qui n'avaient pas établi de conven-

(255) <<La femme dont le mari est commerçant à l'époque de la célébration du mariage, ou le sera devenu dans les deux années qui auront suivi cette célébration, n'aura hypothèque que sur les immeubles qui appartenaient à son mari à cette époque ou qui lui sont échus depuis par succession, et seulement : 1° pour les deniers et effets mobiliers qu'elle aura apportés en dot ou qui lui seront avenus depuis le mariage, par succession ou donation entre vifs ou testamentaire, et dont elle prouvera la délivrance ou le paiement par acte authentique; 2° pour le remploi de ses biens aliénés depuis le mariage; 3° pour l'indemnité des dettes par elle contractées avec son mari>> (art. 559 ancien de la loi sur la faillite).

(256) Cass., 9 octobre 1981, R. W., 1981-1982, col. 1870 réformant Gand, ll octobre 1979, R. W., 1979-1980, col. 2823; Rev. not. belge, 1981, p. 52. La cour d'appel avait rejeté l'action du curateur au motif qu'aucun droit ne peut plus, après l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976, être puisé dans une disposition légale que cette loi a abrogée.

(257) Il s'agit de la déclaration de maintien de leur régime matrimonial que ces époux pouvaient faire devant notaire pendant un délai d'un an prenant cours au jour de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il y a lieu de rappeler également que ces époux

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tions matrimoniales ou avaient adopté le régime de la commu­nauté légale seront, dès l'expiration du délai (258), soumis aux dispositions des articles 1398 à 1450 concernant le régime légal ... >>.

Ces époux sont donc soumis directement aux nouveaux articles relatifs à la composition active et passive de leurs patri­moines propres et commun.

Est-ce à dire que le caractère d'un bien acquis avant le 28 sep­tembre 1977 doive, après cette date, être déterminé par référence aux nouveaux articles 1399 et suivants 1 Un bien peut-il ainsi de commun avant 1977 devenir propre ou inversement1

C'est le tribunal d'Audenarde qui, le premier, a tranché ce problème (259). Bien avant 1977, un époux marié sans contrat recueille par héritage de son père 321.000 F. Cette somme, commune sous l'ancienne législation, est-elle devenue propre ou a-t-elle conservé son caractère antérieur 1· Le tribunal d'Aude­narde affirme, sans plus, que la loi nouvelle doit s'appliquer immédiatement et en tire assez étonnamment la conséquence que cette somme d'argent, même recueillie avant 1977, est sur base du nouvel article 1399 du Code civil, un bien propre de celui qui l'a reçue.

En mars 1978, le tribunal civil de Louvain rejette cette posi­tion (260). Les faits sont les suivants. Deux époux entament une procédure de modification de leur régime matrimonial. Ils souhaitent introduire dans leur contrat une donation en usufruit et une clause d'attribution du mobilier commun au survivant. Dans l'acte modificatif du 8 novembre 1977, ils précisent que ce patrimoine mobilier comprend les biens meubles acquis avant leur mariage et ceux dont ils ont hérité avant le 28 septembre 1977. Ceux-ci, poursuivent-ils, entrés en communauté conformé-· ment à l'article 1401 ancien du Code civil conservent après cette date le caractère de bien commun.

~ pouvaient, toujours devant notaire, et ce avant le 28 septembre 1977, se soumettre à l'application immédiate des dispositions nouvelles.

(258) Soit le 28 septembre 1977. (259) Civ. Audenarde, 28 décembre 1977, R. W., 1978-1979, col. 374, note L. SwEN­

NEN. (260) Civ. Louvain, 13 mars 1978, Rec. gén. enr. et not., 1978, n° 22.306, p. 424;

Rev. trim. dr. jam., 1978, p. 180, note H. CASMAN; Tijds. not., 1978, p. 271, note M. THUYSBAERT.

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Les .biens susvisés sont-ils effectivement restés communs~ Dans la négative, l'acte modificatif les insérant dans la communauté comporterait <<changement actuel dans la composition des patrimoines >> et le recours à la grande procédure de modification s'imposerait.

Le principe général de non-rétroactivité des lois nouvelles s'applique sauf volonté contraire du législateur ; celle-ci est inexistante en l'occurrence. Bien plus, constate le tribunal, si la Commission de la Chambre semble avoir retenu la solution de rétroactivité, la lecture des travaux préparatoires conduit à. la conclusion que le Sénat n'en a pas voulu.

Dans la sentence arbitrale qu'il a rendue le 10 janvier 1980 (261), M. Watelet adopte la même solution que le tribunal de Louvain à propos de biens donnés en 1949. Ces biens sont, malgré l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, restés communs. A défaut de texte légal en sens contraire, le principe général de non-rétroactivité de l'article 2 du Code civil doit seul être appliqué. Au demeurant, constate M. Watelet, la grande majo­rité des auteurs se rallie à cette thèse.

Enfin, faut-il citer la décision du tribunal de commerce de Mons du 18 décembre 1978 (262). Dépassant le cadre du problème qui lui est posé (il s'agissait d'époux mariés non pas sous un régime de communauté mais sous un régime de séparation de biens avec société d'acquêts), le juge décide que <<les biens déjà existants avant 1976 et ayant acquis qualité de biens communs avant cette date restent communs. L'article III de la loi du 14 juillet 1976 ne réglemente les effets de cette législation que pour l'avenir>> (263).

Si la doctrine reste divisée sur ce point (264), la jurisprudence actuelle semble se fixer dans le sens de la solution dite de conti-

(261) Sent. arb., 10 janvier 1980, Rev. not. belge, 1980, p. 159; Rev. trim. dr. Jam., 1980, p. 468.

(262) Comm. Mons, 18 décembre 1978, R.R.D., 1979, p. 922; Rev. trim. dr. Jam., 1980, p. 197, note J.-L. RENCHON.

(263) Comm. Mons, 18 décembre 1978, Rev. t1'im. d1'. Jam., 1980, p. 199. (264) Sur l'état actuel de la doctrine, voy. R. DILLEMANS, (!Controverses autour

de quelques problèmes pratiques suscités par l'application temporelle de la loi du 14 juillet 1976 1>, in Cinq années d'application de la réforme des régimes mat1'imoniaux, op. cit., p. ll8 et suiv.; J.-L. RENCHON, (!L'incidence des règles de droit transitoire contenues dans la loi du 14 juillet 1976 sur différents problèmes concrets d'application dans le temps des dispositions relatives aux régimes matrimoniaux 1>, in Cinq années d'application de la réforme des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 130 et suiv.

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B.EVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 489

nuïté ou théorie de la non-rétroactivité. Elle estime, en effet, que la volonté expresse précise (sentence arbitrale) ou la volonté clairement exprimée (tribunal civil de Louvain) du législateur qui permettrait d'écarter le principe de non-rétroactivité contenu à l'article 2 du Code civil n'existe pas.

Pour notre part, nous ne pouvons qu'approuver les tenants de la théorie de la non-rétroactivité et la jurisprudence récente.

L'article 2 du Code civil contient le principe de la non-rétroac­tivité de la loi nouvelle ; celle-ci ne peut porter atteinte ni aux situations juridiques antérieures définitivement constituées, ni aux effets déjà acquis et réalisés de telles situations. Or le carac­tère propre ou commun d'un bien lui est acquis au moment où il entre dans le patrimoine des époux. Si l'un d'eux acquiert un bien, c'est au jour. de l'acquisition que ce bien reçoit sa qualification de propre ou de commun. Soutenir que les nouveaux articles 1399 et suivants doivent s'appliquer même pour les biens acquis avant la date d'application à ces époux de la nouvelle loi, c'est admettre sur ce point le caractère Tétroactif de la loi.

Certes, non constitutionnel, le principe de non-rétroactivité peut être écarté ou modalisé par le législateur. Avec M. Roubier, <<nous n'admettons qu'une rétroactivité expresse sur base même de l'article 2 du Code civil, et nous repoussons, d'une part la rétroactivité tacite, qu'on croirait pouvoir induire de termes non formels, ou des travaux préparatoires de la loi, ou de son but, ou des circonstances dans lesquelles elle a été portée, et d'autre part la Tétroactivité innée, qu'on prétendait être attachée à certaines sortes de lois, à raison de leur nature même, sans clause particulière>> (265).

La question est donc la suivante : le législateur de 1976 a-t-il expressément dérogé, pour les articles 1399 et suivants relatifs à la composition active et passive des patrimoines, au principe de non-rétroactivité~ Ces règles doivent s'appliquer, dit l'ar­ticle 1er, 20, des dispositions transitoires, dès le 28 septembre 1977 aux époux mariés sous le régime de la communauté légale, même si ce régime a été adopté par contrat. Par cette disposition, le législateur ne déroge pas, à notre sens, au principe de non-rétroac­tivité de la loi nouvelle mais en accentue l'effet immédiat. Il

(265) P. RouBIER, Le droit transitoire, op. cit., p. 278.

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supprime, en effet, l'exception inscrite dans notre droit transi­toire selon laquelle une loi nouvelle ne modifie en rien les effets futurs des contrats existants (266).

Ainsi, ne trouvons-nous pas, dans le texte même de la loi, de fondement au rejet du principe de non-rétroactivité. Bien plus, même une lecture attentive des travaux préparatoires ne permet pas, pour ceux qui s'en contenteraient, de déceler la volonté incontestable du législateur d'écarter ce principe.

On peut encore ajouter à l'encontre de la théorie de la rétroac­tivité que l'article 1er, 2o, vise non seulement les articles 1399 et suivants relatifs à la composition active et passive des patri­moines mais toutes les dispositions concernant le régime légal, en ce compris les règles de gestion. Si cet article contenait la volonté législative de rétroactivité, celle-ci ne devrait-elle pas aussi être appliquée en matière de gestion 1 Or, pourtant, per­sonne n'ose l'affirmer !

Pour mettre fin à cette controverse doctrinale, une proposition de loi a été déposée le 13 juin 1977 (267). Cette proposition visait à préciser que les dispositions nouvelles ne pouvaient avoir d'effet que pour l'avenir et n'en auraient jamais dans le passé. Il s'agissait pour le Sénat de confirmer le caractère non rétroactif de la loi. Adoptée à l'unanimité, cette proposition fut transmise à la Chambre (268).

Après maintes discussions, la Commission de la Justice de la Chambre adopta cependant, à une faible majorité, la thèse contraire, à savoir celle de la rétroactivité.

Le législateur est actuellement dans l'impasse, <<il semble que la divergence des positions ait conduit le législateur à renoncer à résoudre lui-même le problème et à laisser aux auteurs le soin de s'entendre ou, à défaut, aux tribunaux de trancher>> (269).

Déniant, comme les tenants de la solution de continuité, tout effet rétroactif à la loi nouvelle, une dernière théorie a été avancée

(266) Sauf lorsque la disposition nouvelle est impérative, CL. RENARD et J. HAN­SENNE, Sources du droit et méthodologie juridique, Presses universitaires de Liège, 1973, p. 88. P. RouBIER ne fait pas cette dernière exception, Le droit transitoire, op. cit., p. 363.

(267) Doc. parlem., Sénat, session extraordinaire 1977, n° 33, n°8 1 et 2. (268) Doc. parlem., Chambre, session extraordinaire 1977, n° 36, n° 2. (269) J.-L. RENOHON, <<L'incidence des règles de droit transitoire contenues dans

la loi du 14 juillet 1976 sur différents problèmes concrets d'application dans le temps des dispositions relatives aux régimes matrimoniaux 1>, op. cit., p. 148.

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par M. A. Heyvaert (270). Le passage de l'ancien au nouveau régime qui a eu lieu le 28 septembre 1977 pour les époux mariés sans contrat ou ayant adopté par contrat la communauté légale constitue, selon l'auteur, un changement de régime impliquant nécessairement dissolution de l'ancienne communauté. Une indivision est ainsi née ; elle devra être liquidée selon les règles anciennes. Cette thèse de la dissolution, sans fondement légal (271), n'a trouvé aucun écho en jurisprudence : nous ne nous y arrêterons donc pas.

52. - SuiTE. - EPoux MARIÉS sous LE RÉGIME DE LA

COMMUNAUTÉ RÉDUITE AUX ACQUÊTS, LA COMMUNAUTÉ UNIVER­

SELLE, LE RÉGIME DOTAL OU LA SÉPARATION DE BIENS AVEC

SOCIÉTÉ D'ACQUÊTS RÉGIE PAR LES ARTICLES 1498 ET 1499 DU

CoDE CIVIL (272). - L'article 1er, 3°, des dispositions transi-toires est rédigé comme suit : << ••• Les époux qui avaient adopté la communauté réduite aux acquêts ou la communauté univer­selle seront, dès l'expiration du délai (273), soumis aux disposi­tions des articles 1415 à 1426 pour tout ce qui concerne la gestion de la communauté et de leurs biens propres, ainsi qu'à celles des articles 1408 à 1414 définissant les dettes communes et réglant les droits des créanciers. Il en sera de même pour les époux ayant choisi le régime de la séparation de biens ou le régime dotal, tout en ayant stipulé une société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil mais en ce qui concerne cette société seulement>>.

Les articles relatifs à la composition active et passive des

(270) A. HEYVAERT, << Het overgangsrecht, de rommelzolder van de wet van 14 juli 1976 betreffende de wederzijdse rechten en verplichtingen van echtgenoten en de huwelijksvermogensstelsels 1>, R. W., 1976-1977, col. 961; CH. ENGELS approuve cette théorie, << De werking en de vereffening van huwelijksvermogensstelsels ingevolge het overgangsrecht van de wet van 14 juli 1976 1>, in Exequatur van vriendschap Liber discipulorum amoricum Egied Spanoghe, Uitgeverij Kluwer Rechtswetenschappen, Antwerpen, 1981, p. 112.

(271) Pour un examen de cette théorie, voy. M. EECKHAUTE, <<Les biens meubles qui étaient communs par application de l'article 1401 du Code Napoléon sont-ils devenus propres sur pied de l'article 1399 nouveau du Code civil depuis le 28 septembre 1977? 1>, Rev. not. belge, 1980, p. 29 et J.-L. RENCHON, <<L'incidence des règles de droit transi­toire contenues dans la loi du 14 juillet 1976 sur différents problèmes concrets d'appli­cation dans le temps des dispositions relatives aux régimes matrimoniaux 1>, op. cit., p. 142 et suiv.

(272) Sur la portée de<< société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil 1>, voy. J.-L. RENCHON, «Dispositions transitoires et modificatives 1>, in La réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux, op. cit., p. 373.

(273) Soit le 28 septembre 1977.

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patrimoines ne sont pas, pour ces époux, au nombre des disposi..., tions immédiatement applicables. Aussi, aucune controverse n'a surgi à leur propos.

Un fonds de commerce est acquis à titre onéreux pendant le mariage mais avant le 28 septembre 1977 par un époux marié sous un régime de séparation de biens avec communauté d'ac­quêts. Invoquant le principe de non-rétroactivité, le juge (274) déclare les nouveaux articles 1406 et suivants inapplicables. Il eût été plus exact de dire que le contrat de mariage reste ici, pour tous les effets futurs - autres que ceux où le législateur a pris une disposition contraire- soumis à l'ancienne législation. C'est là une application pure et simple de l'exception apportée en matière contractuelle au principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle.

53. - SÉPARATION DE BIENS. - PRÉSOMPTION MUCIENNE

(art. 553 à 560 du Code de commerce). - Des époux se sont mariés sous le régime de la séparation pure et simple des biens avant le 28 septembre 1976, date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle (275). Après cette date, est prononcée la faillite de l'un des conjoints. Les articles 553 à 560 anciens du Code de commerce sont-ils encore applicables 1 On sait qu'abrogés par le législateur, ces articles ont cependant été maintenus en vigueur à titre transitoire <<pour les époux mariés antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, soit qu'ils aient adopté un régime autre qu'en communauté, soit qu'étant soumis légalement ou conventionnellement aux règles du régime en communauté, ils aient convenu de maintenir sans changement le régime préexis­tant ... >> (art. 47, §1er, des dispositions abrogatoires et modifi­catives).

Toute la question est donc de savoir si l'expression <<autre qu'en communauté >> vise ou non le régime de la séparation de biens.

C'est une réponse négative que donne le tribunal de commerce

(274) Comm. Mons, 18 décembre 1978, R.R.D., 1979, p. 922; Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 197, note J.-L. RENCHON.

(275) Pour les gens mariés sous le régime de la séparation de biens, aucune disposi­tion particulière n'a été prévue en ce qui concerne l'entrée en vigueur de la loi. Celle-ci leur est dès lors applicable dix jours après sa publication au Moniteur belge.

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d'Anvers dans sa décision du 29 juin 1977 (276). Il considère les articles 553 à 560 anciens du Code de commerce définitive­ment abrogés pour les époux séparés de biens en se basant cependant sur une motivation qui nous paraît critiquable. Subordonnant toute application de l'article 47, §}er, à la condi­tion que les époux y envisagés aient fait une déclaration de maintien de leur ancien régime et constatant que cette déclara­tion n'est pas possible pour les époux séparés purement et simplement de biens (277), il en tire la conséquence que ces derniers sont nécessairement exclus du champ d'application de l'article 47. On aperçoit difficilement ce qui permet au tribunal d'ériger la déclaration de maintien du régime en condition indispensable à l'application de l'article 47, §1er. En effet, la lecture de ce texte prouve à suffisance que cette condition n'est exigée que pour les époux soumis légalement ou conventionnelle­ment aux régimes de communauté et non pour ceux ayant adopté un régime autre que la communauté.

La même position est adoptée par le tribunal de commerce de Bruxelles dans sa décision du 2 avril 1979 (278). Il affirme, mais sans fournir aucune motivation, que la revendication d'un bien propre par la femme d'lm failli n'est plus régie par les arti­cles 553 à 560 du Code de con1merce : ceux-ci ont été abrogés par le législateur de 1976.

Enfin, l'abrogation définitive pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens de ces articles a-t-elle encore été soutenue par le juge des saisies de Namur (279). Dans son jugement du 20 février 1981, il affirme que l'expression <<autre qu'en communauté>> ne vise pas le régime de séparation mais uniquement le régime dotal et le régime sans communauté. Il tire argument de la constatation que, parmi les règles maintenues en vigueur à titre transitoire par l'article 4 7, § 1er, ne figurent pas les dispositions des articles 1536 à 1539 du Code civil concer­nant le régime de séparation. Il suit en cela la thèse défendue par M. Raucent <<si l'article 47 des dispositions abrogatoires

(276) Comm. Anvers, 29 juin 1977, R. W., 1977-1978, col. 1831, note H. CASMAN. La lecture de la décision ne permet pas de déterminer la date de la déclaration de la faillite. Etait-elle antérieure à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle? Si tel était le cas, la solution serait tout autre, voy. supra no 50.

(277) L'article 1er des dispositions transitoires ne les vise pas. (278) Comm. Bruxelles, 2 avril 1979, Rev. trim. dr. fam., 1979, p. 409. (279) Juge saisies Namur, 20 février 1981, R.R.D., 1981, p. 161.

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n'a pas reproduit les articles 1536 à 1539 du Code Napoléon, c'est qu'il ne concerne pas le régime de la séparation de biens. Son but est de préciser les exceptions transitoirement admises au principe de l'égalité. Or pour la séparation, l'égalité stricte avait déjà été établie par la loi du 22 juin 1959 >> (280).

La position de la jurisprudence actuelle est donc unanime. Il est vrai qu'il serait étonnant que les règles inégalitaires du Code de commerce, abrogées par le législateur de 1976 pour la plupart des époux, soient maintenues applicables pour des con­joints qui en choisissant le régime de la séparation de biens, ont recherché la plus grande indépendance patrimoniale possible.

Tout en reconnaissant le bien-fondé de cette dernière obser­vation, M. Renchon n'aperçoit pas la raison juridique qui permet d'exclure de l'expression ici examinée, le cas des époux séparés de biens (281). L'argumentation invoquée par M. Raucent est reprise par le juge des saisies de Namur. Il estime en effet raisonnable de soutenir que les articles 1536 à 1539 du Code civil organisant la séparation de biens ont été abrogés par le législateur de 1976. L'article 1537 contient un principe contraire au régime primaire et doit en tout état de cause être considéré comme abrogé; quant aux articles 1536 et 1539, ils édictent des règles comparables à celles inscrites aux articles 1466 et 1467 nouveaux.

A défaut de volonté expresse du législateur en sens contraire et sauf s'il s'agit de règles impératives, il reste que ces nouvelles dispositions ne sont pas applicables aux époux mariés contrac­tuellement avant le 28 septembre 1976 sous le régime de la séparation pure et simple des biens. Il s'agit là de l'application de l'exception en matière de contrat du principe de l'effet immé­diat d'une nouvelle loi.

54. - SuiTE. - PREUVE DE LA PROPRIÉTÉ n'uN BIEN

(art. 1468 nouveau du Code civil).- Lorsqu'une épouse séparée de biens d'un failli revendique à l'égard du créancier la pro­priété de biens mobiliers, il y a lieu depuis l'entrée en vigueur

(280) L. RAUCENT, Les 1·égimes mat1·imoniaux, op. cit., p. 476, n° 1131. Voy. dans le même sens, H. CASlliAN et M. VAN LooK, Régimes matrimoniaux, op. cit., vu, p. 20; P. GRAULICH, << Le droit transitoire >>, in Sept leçons sur la réforme des régimes matri­moniaux, op. cit., p. 186.

(281) J.-L. RENCHON, <<L'incidence des règles de droit transitoire contenues dans la loi du 14 juillet 1976 sur différents problèmes concrets d'application dans le temps des dispositions relatives aux régimes matrimoniaux>>, op. cit., p. 164.

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de la loi du 14 juillet 1976 de faire application de l'article 1468 nouveau du Code civil qui renvoie aux modes de preuve limita­tivement admis à l'article 1399, alinéa 2. Ainsi en décide, sans plus d'explication, le tribunal de commerce de Bruxelles dans son jugement du 2 avril 1979 précité (282).

Mariée avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, l'épouse doit-elle, pour prouver, à l'égard d'un tiers, son droit de propriété sur un bien se conformer à l'article 1468 nouveau du Code civil1 Il nous a paru utile de dépasser le cadre du jugement pour nous placer sur un plan plus général: des époux mariés sous le régime de la séparation de biens avant le 28 septembre 1976 sont-ils soumis, l'un à l'égard de l'autre et dans leurs rapports avec les tiers, à la règle de preuve inscrite à l'article 1468 nouveau du Code civil1

Sous réserve de l'application éventuelle de l'article 47, §1er, dont il a été question au numéro précédent, aucune disposition transitoire particulière n'a été édictée par le législateur de 1976 pour ces époux. Aussi faut-il s'en tenir aux principes généraux de droit transitoire.

En ce qui concerne les difficultés de preuve qui pourraient surgir entre les époux, deux hypothèses doivent être envisa­gées : a) Ou bien, les conjoints ont prévu, dans leur contrat de mariage, des règles de preuve relatives à la propriété de leurs biens. Celles-ci leur demeurent applicables. En effet, les contrats restent soumis à la loi en vigueur au jour de leur conclusion, sauf pour ce qui est des dispositions nouvelles impératives.

Nous ne pouvons approuver la théorie défendue par M. Rau­cent (283). Il estime que, même si entre époux, les règles de preuve sont supplétives, celles-ci doivent cependant s'appliquer immédiatement dans la mesure où elles permettent une preuve plus facile. Tel est le cas de l'article 1468 nouveau. A notre sens, rien ne permet d'affirmer que les questions de preuve échappent à l'exception, prévue en matière contractuelle, au principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle (284).

b) Ou bien, rien n'a été prévu dans le contrat de mariage. Dans ce cas, l'article 1468 nouveau s'appliquera immédiatement

(282) Comm. Bruxelles, 2 avril 1979, voy. référence note 278. (283) L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, op. cit., p. 477. (284) DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. Jer, p. 344, n° 232.

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mais sans effet rétroactif. Ainsi, selon que le bien a été acquis avant ou après le 28 septembre 1976, la preuve de sa propriété sera ou non régie par la nouvelle règle.

Mais quelle position adopter à l'égard des tiers 1

- Si l'on considère les règles de preuve insérées par les époux dans leur contrat de mariage inopposables aux tiers (285), il semble qu'il faille appliquer à l'égard de ces derniers les principes généraux de droit transitoire tels que nous les avons précisés dans l'hypothèse b).

- Par contre, déclarées opposables aux tiers, il convient alors de se référer aux dispositions conventionnelles.

Ainsi approuvons-nous entièrement la décision prise par le tribunal civil de Bruxelles.

SECTION v. - APPENDICE. - CONCUBINAGE.

55. - PREUVE DE L'APPARTENANCE DES BIENS.- Les patri­moines des concubins (co mine de toutes personnes vivant en commun sans avoir établi entre elles le principe d'une association) demeurent entièrement distincts. La vie commune conduit sou­vent à une confusion de biens, surtout en ce qui concerne les meubles, ce qui entraîne l'impossibilité de déterminer qui est propriétaire de tel ou tel bien. Quoiqu'il y ait unanimité pour rejeter toute solution consistant à appliquer par analogie les principes d'un régime matrimonial, il existe une sorte d'attirance vers ces principes. C'est ainsi que l'on parle de <<communauté de fait>>, laquelle n'est rien d'autre pour la cour d'appel de Bruxelles (286), suivant en cela une opinion très généralisée, qu'une indivision dont les parts sont présumées égales. Les créanciers de chacun des concubins peuvent saisir les biens indivis, sauf à l'un des concubins à établir son droit de propriété exclusif.

La Cour de cassation, par un arrêt du 10 juin 1976 (287) a confirmé nettement cette manière de voir. On ne manquera pas

(285) J. RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. rer, Régimes matrimoniaux, Bruxelles, Larcier, 1971, p. 924 et la note 33.

(286) Bruxelles, 8 janvier 1974, Pas., 1974, II, 86. (287) Cass., 10 juin 1976, J.T., 1976, p. 563; Pas., 1976, I, 1101; R. W., 1976-1977,

col. 601; Tifds. not., 1976, p. 283.

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de reconnaître l'analogie presque totale de la solution avec celJe que donne la loi en matière de séparation de biens. II faut observer cependant que si la preuve de la propriété exclusive par un concubin peut se faire par toute voie de droit, l'époux séparé de biens ne peut faire cette preuve à l'encontre des tiers que selon les modes admis par l'article 1399, alinéa 2, du Code civil (288). II faut remarquer toutefois que ces modes sont très larges, ce qui rend la distinction assez théorique.

Les concubins peuvent établir entre eux une société, mais leur volonté doit apparaître de façon certaine, soit dans un acte écrit, soit dans des éléments de fait caractéristiques. La cour d'appel de Liège rappelle, conformément à une jurisprudence bien établie, que le seul fait de la cohabitation, avec la confusion des intérêts qui en résulte, ne suffit pas à prouver l'affectio societatis ( 289). Si un des concubins a prélevé sur son compte les fonds nécessaires pour effectuer des travaux (non susceptibles d'enlèvement) dans l'immeuble de l'autre, il faudra appliquer la théorie des impenses, si toutefois il n'apparaît pas que l'avance de fonds a une cause illicite. Ici, encore, la solution est assez voisine de celle que fournirait, en communauté, la théorie des récompenses (290).

(288) Comm. Bruxelles, 2 avril 1979, Rev. trim. dr. jam., 1979, p. 409. (289) Liège, 22 février 1980, Rec. gén. enr. et not., 1981, n° 22.592, p. 136. (290) Voy. sur ces points N. JEANMART, Les effets civils de la vie en commun en

dehors du mariage, La.rcier, Bruxelles, 1974, p. 84 et suiv. et notamment les n°8 2 et ll.