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Extrait de la publication… · La Révolution urbaine Henri Lefebvre mf. Gallimard Extrait de la publication. Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservis

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COLLECTION IDÉES

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La Révolution

urbaine

Henri Lefebvre

mf.

Gallimard

Extrait de la publication

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptationréservis pour tous les pays.

© Éditions Gallimard, 1970.

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CHAPITRE PREMIERR

De la ville à la société urbaine

Nous partirons d'une hypothèse l'urbanisationcomplète de la société, hypothèse qu'il y aura lieu desoutenir par des arguments, d'étayer par des faits.Cette hypothèse implique une définition. Nousappellerons « société urbaine » la société qui résultede l'urbanisation complète,' aujourd'hui virtuelle,demain réelle.

Cette définition met fin à l'ambiguïté dans l'em-ploi des termes. En effet, on désigne souvent parces mots, « société urbaine », n'importe quelle villeou cité la cité grecque, la ville orientale ou médié-vale, la ville commerciale ou industrielle, la petiteville ou la mégalopolis. Dans une extrême confusion,l'on oublie ou l'on met entre parenthèses les rapportssociaux (les rapports de production) dont chaquetype urbain est solidaire. On compare les unes auxautres des « sociétés urbaines » qui n'ont rien decomparable. Ce qui sert des idéologies sous-jacentesl'organicisme (chaque « société urbaine », prise àpart, serait un « tout » organique), le continuisme(il y aurait continuité historique ou permanencede la «société urbaine»), l'évolutionnisme (les périodes,

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La révolution urbaine

les transformations des rapports sociaux s'estom-pant ou disparaissant).

Ici, nous réserverons le terme « société urbaine »à la société qui naît de l'industrialisation. Ces motsdésignent donc la société constituée par ce processuslui-même dominant et résorbant la production agri-cole. Cette société urbaine ne se conçoit qu'à la find'un processus au cours duquel éclatent les anciennesformes urbaines, héritées de transformations disconti-

nues. Un aspect important du problème théorique,c'est d'arriver à situer les discontinuités par rapportaux continuités et inversement. Comment y aurait-ildes discontinuités absolues sans continuités sous-

jacentes, sans support et sans processus inhérent?Réciproquement, comment y aurait-il continuitésans crises, sans apparitions d'éléments ou de rap-ports nouveaux?

Les sciences spécialisées (c'est-à-dire la sociologie,l'économie politique, l'histoire, la géographie hu-maine, etc.) ont proposé de nombreuses appellationspour caractériser « notre » société, réalité et ten-dances profondes, actualité et virtualités. On a puparler de société industrielle et plus récemment desociété post-industrielle, de société technicienne,de société d'abondance, de loisirs, de consomma-tion, etc. Chacune de ces dénominations comporteune part de vérité empirique ou conceptuelle, une partd'exagération et d'extrapolation. Pour nommer lasociété post-industrielle, c'est-à-dire celle qui naîtde l'industrialisation et lui succède, on propose icice concept société urbaine, qui désigne la tendance,l'orientation, la virtualité, plutôt qu'un fait accom-

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De la ville à la société urbaine

pli. Ce qui par conséquent n'enlève rien à telle carac-térisation critique de la réalité contemporaine, parexemple à l'analyse de la « société bureaucratiquede consommation dirigée ».

Il s'agit d'une hypothèse théorique que la penséescientifique a le droit de formuler et de prendrecomme point de départ. Non seulement cette pro-cédure est courante dans les sciences, mais elle est

nécessaire. Pas de science sans hypothèses théori-ques. Soulignons dès maintenant que notre hypo-thèse, qui concerne les sciences dites « sociales »,est solidaire d'une conception épistémologique etméthodologique. La connaissance n'est pas néces-sairement copie ou reflet, simulacre ou simulationd'un objet déjà réel. Inversement, elle ne construitpas nécessairement son objet au nom d'une théoriepréalable de la connaissance, d'une théorie de l'objetou des « modèles ». Pour nous, ici, l'objet s'in-clut dans l'hypothèse, l'hypothèse porte sur l'ob-jet. Si cet « objet » se situe au-delà du constatable(empirique), il n'est pas pour autant fictif. Nousposons un objet virtuel, la société urbaine, c'est-à-dire un objet possible, dont nous aurons à mon-trer la naissance et le développement, en rela-tion avec un processus et une praxis (une actionpratique).

Que cette hypothèse doive se légitimer, nous necesserons pas de le répéter et de le tenter. Les argu-ments et preuves en sa faveur ne manquent pas, desplus simples aux plus subtils.

Faut-il rappeler longuement que la productionagricole a perdu dans les grands pays industriels et

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La révolution urbaine

à l'échelle mondiale toute autonomie? qu'elle nereprésente plus ni le secteur principal ni même unsecteur doté de caractères distinctifs (si ce n'est lesous-développement) ? Si les particularités localeset régionales en provenance des temps où prédomi-nait l'agriculture n'ont pas disparu, si même lesdifférences qui en proviennent s'accentuent ici etlà, il n'en reste pas moins que la production agricolese change en secteur de la production industrielle,subordonnée à ses impératifs, soumise à ses con-traintes. Croissance économique, industrialisation,devenues à la fois causes et raisons suprêmes, éten-dent leurs effets à l'ensemble des territoires, régions,nations, continents. Résultat le groupement tradi-tionnel propre à la vie paysanne, à savoir le village,se transforme des unités plus vastes l'absorbentou le recouvrent il s'intègre à l'industrie et à laconsommation des produits de cette industrie. Laconcentration de la population accompagne celledes moyens de production. Le tissu urbain prolifère,s'étend, corrode les résidus de vie agraire. Ces mots« le tissu urbain », ne désignent pas de façon étroitele domaine bâti dans les villes, mais l'ensemble des

manifestations de la prédominance de la ville sur lacampagne. Dans cette acception, une résidencesecondaire, une autoroute, un supermarché en pleinecampagne, font partie du tissu urbain. Plus ou moinsdense, plus ou moins épais et actif, il n'épargne queles régions stagnantes ou dépérissantes, vouées àla « nature ». Pour les producteurs agricoles, les« paysans », se profile à l'horizon l'agroville, le vieuxvillage disparaissant. Promis par N. Khrouchtchev

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De la ville à la société urbaine

aux paysans soviétiques, l'agroville se réalise iciet là dans le monde. Aux Etats-Unis, sauf danscertaines régions du Sud, les paysans ont virtuelle-ment disparu ne persistent que des îlots de pau-vreté paysanne, à côté des îlots de pauvreté urbaine.Pendant que suit son cours cet aspect du processusglobal (industrialisation et/ou urbanisation), lagrande ville a éclaté, donnant lieu à des protubé-rances douteuses banlieues, ensembles résidentiels

ou complexes industriels, bourgades satellites, peudifférentes des bourgs urbanisés. La petite et lamoyenne cité deviennent des dépendances, des semi-colonies de la métropole. C'est ainsi que notre hypo-thèse s'impose à la fois comme point d'arrivée desconnaissances acquises et comme point de départd'une nouvelle étude et de nouveaux projets l'urba-nisation accomplie. L'hypothèse anticipe. Elle pro-longe la tendance fondamentale du présent. A tra-vers et au sein de la « société bureaucratique deconsommation dirigée », la société urbaine est engestation.

Argument négatif, preuve par l'absurde aucuneautre hypothèse ne convient, aucune autre ne couvrel'ensemble des problèmes. Société post-industrielle ?On pose une question qu'est-ce qui vient aprèsl'industrialisation ? Société de loisirs ? On se contente

d'une partie de la question on limite l'examen destendances et virtualités aux « équipements », attituderéaliste qui n'enlève rien à la démagogie de cettedéfinition. Consommation massive s'accroissant indé-

finiment ? On se contente de prendre les indices ac-tuels et d'extrapoler, risquant ainsi de réduire réalité

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et virtualités à un seul de leurs aspects. Et ainsi desuite.

L'expression « société urbaine » répond à un be-soin théorique. Il ne s'agit pas seulement d'uneprésentation littéraire ou pédagogique, ni d'une miseen forme du savoir acquis, mais d'une élaboration,d'une recherche, voire d'une formation de concepts.Un mouvement de la pensée vers un certain concretet peut-être vers le concret s'esquisse et se précise.Ce mouvement, s'il se confirme, ira vers une pra-tique, la pratique urbaine, saisie ou re-saisie. Sansdoute y aura-t-il un seuil à franchir avant d'entrerdans le concret, c'est-à-dire dans la pratique socialesaisie théoriquement. Il ne s'agit donc pas de cher-cher une recette empirique pour fabriquer ce pro-duit, la réalité urbaine. N'est-ce pas ce qu'on attendtrop souvent de « l'urbanisme » et ce que trop sou-vent promettent les « urbanistes » ? Contre l'empi-risme qui constate, contre les extrapolations quis'aventurent, enfin contre le savoir en miettes pré-tendument comestibles, c'est une théorie qui s'an-nonce à partir d'une hypothèse théorique. A cetterecherche, à cette élaboration s'associent des dé-marches méthodiques. Par exemple, la rechercheconcernant un objet virtuel, pour le définir et leréaliser à partir d'un projet, cette recherche portedéjà un nom. A côté des démarches et opérationsclassiques, la déduction et l'induction, il y a la trans-duction (réflexion sur l'objet possible).

Le concept de « société urbaine» présenté ci-dessus implique donc simultanément une hypothèseet une définition.

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De la ville à la société urbaine

De même, on désignera, par la suite, en se servantdes mots « révolution urbaine », l'ensemble des trans-formations que traverse la société contemporainepour passer de la période où prédominent les ques-tions de croissance et d'industrialisation (modèle,planification, programmation) à la période où laproblématique urbaine l'emportera décisivement,où la recherche des solutions et des modalités pro-pres à la société urbaine passera au premier plan.Parmi les transformations, certaines seront brus-ques. D'autres seront graduelles, prévues, concer-tées. Lesquelles? Il faudra tenter de répondre àcette question légitime. Il n'est pas certain à l'avanceque la réponse soit claire, satisfaisante pour lapensée, sans ambiguïté. Les mots « révolution ur-baine » ne désignent pas par essence des actionsviolentes. Ils ne les excluent pas. Ce qui peuts'atteindre par l'action violente et ce qui peut seproduire par une action rationnelle, comment lesdépartager à l'avance? Le propre de la violence, neserait-ce pas de se déchaîner ? mais le propre de lapensée, ne serait-ce pas de réduire au minimum laviolence, en commençant par détruire les chaînesdans la pensée?

En ce qui concerne l'urbanisme, voici deux jalonssur le chemin qui va se parcourir

a) Beaucoup de gens depuis quelques années ontvu dans l'urbanisme une pratique sociale à caractèrescientifique et technique. Dans ce cas, la réflexionthéorique pourrait et devrait porter sur cette pra-tique, en l'élevant au niveau des concepts et plusprécisément au niveau épistémologique. Or l'absence

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d'une telle épistémologie urbanistique est frappante.Allons-nous ici nous efforcer de combler la lacune ?

Non. En effet, cette lacune a un sens. Ne serait-cepas parce que le caractère institutionnel et idéolo-gique de ce qui s'appelle urbanisme l'emporte jusqu'ànouvel ordre sur le caractère scientifique? A suppo-ser que cette procédure puisse se généraliser et quela connaissance passe toujours par Fépistémologie,l'urbanisme contemporain ne semble pas en relever.Il faudra savoir pourquoi et le dire.6) Tel qu'il se présente, c'est-à-dire comme poli-

tique (avec ce double aspect institutionnel et idéo-logique), l'urbanisme relève d'une double critiqueune critique de droite et une critique de gauche.

La critique de droite, personne ne l'ignore, est vo-lontiers passéiste, souvent humaniste. Elle couvreet justifie une idéologie néo-libérale, c'est-à-direla « libre entreprise », directement ou indirectement.Elle ouvre la voie à toutes les initiatives « privées »des capitalistes et de leurs capitaux.

La critique de gauche, beaucoup de gens l'ignorentencore, n'est pas celle que prononce tel ou telgroupe, club, parti, appareil, idéologue classés « àgauche ». C'est celle qui tente de frayer la voie dupossible, d'explorer et de jalonner une contrée quine soit pas seulement celle du « réel », de l'accompli,occupé par les forces économiques, sociales et poli-tiques existantes. C'est donc une critique u-topiquepuisqu'elle prend distance par rapport au « réel »,sans pour autant le perdre de vue.

Cela dit, traçons un axe

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De la ville à la société urbaine

qui va de l'absence d'urbanisation (la « pure nature »,la terre livrée aux « éléments ») à l'achèvement duprocessus. Signifiant de ce signifié, l'urbain (laréalité urbaine), cet axe est à la fois spatial et tem-porel spatial, puisque le processus s'étend dansl'espace, qu'il modifie temporel, puisqu'il sedéveloppe dans le temps, aspect d'abord mineurpuis prédominant de la pratique et de l'histoire.Ce schéma ne présente qu'un aspect de cette his-toire, un découpage du temps. jusqu'à un certainpoint abstrait et arbitraire, donnant lieu. à des opé-rations (périodisations) parmi d'autres, n'ayantaucun privilège absolu mais une égale nécessité(relative) par rapport à d'autres découpages.

Sur ce chemin parcouru par le « phénomène ur-bain » (en bref l'urbain), plaçons quelques jalons.Au début, qu'y a-t-il? Des populations relevant del'ethnologie, de l'anthropologie. Aux alentours dece zéro initial, les premiers groupes humains (cueil-leurs, pêcheurs, chasseurs, peut-être bergers) ontmarqué et nommé l'espace ils l'ont exploré en lebalisant. Ils ont indiqué les lieux-dits, les topiesfondamentales. Topologie et grille d'espace queplus tard les paysans, fixés au sol, ont perfectionnéeset précisées sans en bouleverser la trame. Ce quiimporte, c'est de savoir qu'en beaucoup d'endroitsdans le monde, et sans doute partout où apparaîtl'histoire, la ville a accompagné ou suivi de peu levillage. La représentation suivant laquelle la cam-pagne cultivée, le village et la civilisation paysanneauraient lentement sécrété la réalité urbaine, cette

représentation correspond à une idéologie. Elle

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La révolution urbaine

généralise ce qui s'est passé en Europe, lors de ladécomposition de la romanité (de l'Empire romain)et de la reconstitution des villes au Moyen Age. Onpeut fort bien soutenir le contraire. L'agriculture n'adépassé la cueillette, ne s'est constituée commetelle, que sous l'impulsion (autoritaire) de centresurbains, occupés généralement par des conquérantshabiles, devenus protecteurs, exploiteurs et oppres-seurs, c'est-à-dire administrateurs, fondateurs d'unÉtat ou d'une ébauche d'État. La ville politiqueaccompagne ou suit de près l'établissement d'unevie sociale organisée, de l'agriculture et duvillage.

Il va de soi que cette thèse n'a pas de sens lors-qu'il s'agit des immenses espaces où survécurentinterminablement un semi-nomadisme, une^-misé-rable agriculture itinérante. Il va de soi qu'elles'appuie notamment sur les analyses et documentsrelatifs au « mode de production asiatique n, aux an-tiques civilisations créatrices à la fois de vie urbaineet de vie agraire (Mésopotamie, Égypte, etc. 1). Laquestion générale des rapports entre la ville et lacampagne est loin d'être résolue.

Nous prendrons donc le risque de placer sur l'axespatio-temporel la ville politique aux environs de

1. Bibliographie actuellement considérable, la question ayantrebondi depuis un célèbre article signé a Asiatieusi (in Rinascita,Rome, 1963). Cf. les articles de J. Chesneaux (La Pente; n°" 114et 122) M. Godelier [Les Temps modernep, mai 1965). L'ouvragede base reste K. A. Wittfogel, Wirtschaft und Gesellschaft Chinas,Leipzig, 1931, traduction française en 1964 sous le titre Le Dupo-tieme oriental. Textes de Marx dans les Grundrisse et dans Le

Capital.

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l'origine. Qui peuplait cette ville politique? desprêtres et des guerriers, des princes, des « nobles »,chefs militaires. Mais aussi des administrateurs, desscribes. La ville politique ne se conçoit pas sansl'écriture documents, ordres, inventaires, percep-tion de taxes. Elle est tout entière ordre et ordon-

nance, pouvoir. Toutefois, elle implique aussi unartisanat et des échanges, ne serait-ce que pour seprocurer les matières indispensables à la guerre etau pouvoir (métaux, cuirs, etc.), pour les façonneret les entretenir. A titre subordonné, elle comprenddonc des artisans et même des ouvriers. La ville

politique administre, protège, exploite un territoiresouvent vaste. Elle y dirige les grands travaux agri-coles drainage, irrigation, endiguements, défriche-ments, etc. Elle règne sur un certain nombre devillages. La propriété du sol y devient propriétééminente du monarque, symbole de l'ordre et del'action. Toutefois, les paysans et les communautésconservent la possession effective, en payant destributs.

Jamais absents, l'échange et le commerce doiventgrandir. D'abord confiés à des gens suspects, des« étrangers », ils se renforcent fonctionnellement.Les lieux voués à l'échange et au commerce sontd'abord fortement marqués par des signes d'hétéro-topie. Comme les gens qui s'en occupent et qui les oc-cupent, ces lieux sont d'abord exclus de la cité politi-que caravansérails, champs de foire, faubourgs, etc.Le processus d'intégration du marché et de lamarchandise (les gens et les choses) à la ville duredes siècles et des siècles. L'échange et le commerce,

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indispensables à la survie comme à la vie, apportentla richesse, le mouvement. La ville politique ré-siste de toute sa puissance, de toute sa cohésionelle se sent, elle se sait menacée par le marché, parla marchandise, par les commerçants, par leur formede propriété (la propriété mobilière, mouvante pardéfinition l'argent). Mille faits en témoignent,aussi bien l'existence auprès de l'Athènes politiquede la ville commerciale, Le Pirée, que les interdic-tions vainement répétées d'installer les marchan-dises sur l'agora,. espace libre, espace de la rencontrepolitique. Lorsque le Christ chasse les marchandsdu temple, c'est la même interdiction, le même sens.En Chine, au Japon, les marchands restent long-temps la basse classe urbaine, reléguée dans un quar-tier « spécialisé » (hétérotopie). A vrai dire, c'estseulement dans l'Occident européen, à la fin duMoyen Age, que la marchandise, le marché et lesmarchands pénètrent en vainqueurs dans la ville.On peut concevoir qu'auparavant les marchandsitinérants, un peu guerriers, un peu pillards, choi-sirent délibérément les restes fortifiés des villes

anciennes (romaines) pour mener leur lutte contreles seigneurs territoriaux.Dans cette hypothèse,la ville politique, rénovée, aurait servi de cadre àl'action qui devait la transformer. Au cours de cettelutte (de classes) contre les seigneurs, possesseurs etdominateurs du territoire, lutte prodigieusementféconde en Occident, créatrice d'une histoire etmême d'histoire tout court, la place du marchédevient centrale. Elle remplace, elle supplante laplace du rassemblement (l'agora, le forum). Autour

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du marché, devenu essentiel, se groupent l'église etl'hôtel de ville (occupé par une oligarchie de mar-chands), avec son beffroi ou son campanile, symbolede liberté. A noter que l'architecture suit et traduitla conception nouvelle de la ville. L'espace urbaindevient le lieu de la rencontre des choses et des

gens, de l'échange.. Il s'orne des signes de cette li-berté conquise, qui semble la Liberté. Lutte gran-diose et dérisoire. En ce sens, on a eu raison d'étu-dier en leur donnant une valeur symbolique les« bastides du Sud-Ouest, en France, premièresvilles à se constituer autour de la place du marché.Ironie de l'histoire. Le fétichisme de la marchandise

apparaît avec le règne de la marchandise, avec salogique et son idéologie, avec sa langue et son monde.Au xive siècle, on croit qu'il suffit d'établir un mar-ché et de construire des boutiques, des portiques etdes galeries autour de la place centrale, pour qu'af-fluent les marchandises et les acheteurs. On (seigneurset bourgeois) édifie donc des villes marchandesdans des contrées incultes, presque désertiques,encore traversées par des troupeaux et des semi-nomades transhumants. Ces villes du Sud-Ouest

français avortent, bien qu'elles portent les noms degrandes et riches cités (Barcelone, Bologne, Plai-sance, Florence, Grenade, etc.). Quoi qu'il en soit,la ville marchande vient à sa place sur le parcoursaprès la ville politique. A cette date (approximative-ment au xive siècle en Europe occidentale) l'échangecommercial devient. fonction urbaine cette fonc-tion- a fait surgir une forme (ou des formes architec-turales et/ou urbanistiques). D'où une structure

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