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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S.

@ 1965, Editions Gallimard.

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LES FONDEMENTS DE LA MUSIQUE HINDOUSTANI

par

SUSHIL KUMAR SAXENA

Dans le présent article, je me propose de dégager les prin-cipes fondamentaux sur lesquels repose la musique hindous-tani, autrement dit la musiquede l'Inde du Nord, celle del'Inde du Sud, ou musique karnatique, étant d'un caractèredifférent. Heureusement, certains concepts de base Sont com-muns aux deux styles. Les plus importants sont l'alapa leraga et le tala 2. C'est pourquoi il ne faut pas croire qu'enétudiant la musique hindoustani on ne jette aucune lumièresur le style karnatique. Pour rédiger le présent article, je mesuis surtout inspiré de mon expérience d'auditeur; mais j'aiégalement utilisé la musicologie classique et, ce qui est égale-ment important, de pénétrantes remarques sur l'esthétiquerecueillies sur les lèvres de nos grands musiciens au cours deconversations intimes.

En ce qui concerne le but suprême de la musique, il n'existeaucune divergence entre les deux systèmes musicaux indiens.L'esthétique indienne traditionnelle a toujours considéré lesdifférents arts comme autant de chemins menant vers l'Absolu.

La musique ne fait pas exception à cette règle. Son caractèreoriginal tient seulement au procédé qu'elle emploie et quiconsiste à agencer des sons selon certains principes. L'Absolu

1. Le terme technique qui désigne en Inde la musique (sangita) s'ap-pliquait aussi à l'origine à la danse et au théâtre.

2. Tala signifie rythme; alapa désigne un style d'interprétation; leconcept de raga (type mélodique) est une notion fondamentale relativeà l'aspect euphonique de la musique hindoustani (et aussi karnatique).Tous ces termes seront expliqués au cours du présent article.

Les lecteurs de cet ouvrage voudront bien excuser les défail-lances et erreurs qu'ils pourraient constater dans l'emploi des signesdiacritiques indispensables à la transcription correcte des motssanskrits, étant donné l'insuffisance des ressources typographiquesdisponibles.

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en tant que Son s'appelle Nad Brahma 3. Il faut reconnaîtrequ'il est difficile d'expliquer en détail comment il est théo-riquement possible d'atteindre l'Absolu par cette voie. Toute-fois, cette idée ne doit pas être écartée sans examen. Selon latradition, Swami Haridas, dans le nord, et Saint Tyagraja,dans le sud, ont tous deux fait leur salut en pratiquant leculte de Nad Brahma. Leurs compositions, de caractère fran-chement religieux, sont encore aujourd'hui considérées avecrespect dans tout le pays. Je connais un chant dhrupad4 danslequel est expliqué comment l'on peut, en chantant, fairepasser successivement le souffle vital par les six centrespsychiques, le passage par le plus élevé assurant la libérationde l'individu 5.

Cette conception du but suprême de la musique paraîtramoins inintelligible lorsque j'aurai montré, comme je mepropose de le faire, qu'elle sert de base à bon nombre decaractères conceptuels et stylistiques de la musique hindous-tani classique. Aujourd'hui encore, les amateurs de musiqueles plus sérieux et les plus compétents considèrent commela marque même du grand art les effets de méditation reli-gieuse auxquels, d'ailleurs, l'auditeur moyen reste souventinsensible. Or, l'une des meilleures façons de créer cetteatmosphère de méditation est de faire lentement apparaîtrela diversité secrète que renferme un groupe réduit de sonsapparemment indifférenciés. Ainsi s'explique l'importance quela musique indienne attache à l'emploi des sruti 6, ou micro-intervalles. Un procédé analogue, qui aboutit au mêmerésultat, consiste à faire glisser la voix, sans hâte et avecrespect, d'une note à une autre très voisine, d'une façon assezgraduelle et, naturellement, assez mélodieuse pour que cesnotes ne soient plus conçues comme étant distinctes etdifférentes 7.

3. Brahma représente l'Absolu. Nad signifie son, perçu et non perçu(ahata et anahata). Ces deux sortes de son se manifestent dans lecorps humain. C'est pourquoi dans le Sangit Ratnakar, ouvrage clas-sique sur la musique, on trouve aussi une description du corps humain.Voir Sangit Ratnakar, traduit en anglais par le Dr. C. Kunhan Raja,The Adyar Library, 1945, chapitre I, page 10.

4. Dhrupad désigne un style de chant particulier.5. Je dois ce renseignement à Ustad Rahimuddin Khan Dagur. Le

chant auquel il est fait allusion est un dhrupad expliquant la pratiqueefficace du yoga; on sait que cette discipline éthico-psychologiqueest tout entière organisée autour de la théorie des six centres psy-chiques.

6. Une sruti est un intervalle inférieur à un demi-ton, mais quin'est pas nécessairement égal à la moitié de ce dernier.

7. Ainsi s'explique le charme particulier d'un groupe de deuxmadhgam (fa fa dièse) dans les raga c kedaret c lalitainsi quede deux nishad (si si bémol) dans le raga c mian ki malhar ».

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LA MUSIQUE HINDOUSTANI

En outre, si la musique doit finalement aider à concevoirDieu, elle doit aussi, dans l'immédiat, contribuer à apaiserl'esprit. Cette remarque éclaire déjà la conception indienneselon laquelle chaque svara 8 (note musicale) possède unebeauté en soi 9 (svayameva rajate). En conséquence, la façonidéale de rendre une note, selon la conception indienne,consiste à la faire paraître séduisante indépendamment detout contexte. Il est vrai que la plupart des musiciens hin-doustani vivants ignorent ce principe. Ils n'ont ni la patienceni la vigueur d'imagination requises pour mettre en valeurle charme intrinsèque d'une note isolée et, dans leur musique,c'est seulement en tant qu'il s'insère dans un réseau d'autresnotes qu'un svara particulier donne une impression debeauté. Mais cela prouve uniquement que, dans la pratique,nous nous écartons de notre idéal, et non pas que celui-cisoit impraticable; car il existe encore aujourd'hui des chan-teurs qui semblent exprimer toute leur âme par la façon dontils articulent une seule note, à laquelle ils confèrent un charmequi ne doit rien aux notes environnantes.

Ce résultat, lorsqu'il est vraiment atteint, engendre uneprofonde satisfaction. Je ne puis imaginer aucune autremanière d'exprimer en musique la spiritualité, sans avoirrecours au langage. Ici, comme dans la vie, la spiritualité estatteinte grâce à la suppression de tout vain ornement. Telleest sans doute la raison pour laquelle, dans certains de leursouvrages, nos saints-musiciens d'autrefois nous demandentexplicitement de veiller à la « nudité » 10 du svara.

Mais peut-on vraiment isoler une note de son contexte ?Il paraît osé de répondre oui. Techniquement, l'exactituded'une note dépend de la distance euphonique, de l'intervalle,qui la sépare des notes adjacentes. Même en dehors de la

8. Un svara est une note de la gamme.9. Cette définition nous autorise à faire des réserves sur l'affirma-

tion selon laquelle les musiciens hindoustani seraient indifférents àla qualité du son. Il faut avouer qu'en pratique leur science est leplus souvent insuffisante à cet égard, mais en théorie ils admettenttous le principe du shuddha akara, c'est-à-dire de l'importance de laqualité des sons produits. Et parmi les chanteurs classiques contempo-rains, le plus célèbre de tous, Ustad Bade Ghulam Ali Khan, est admirédans toute l'Inde à cause de la « moelleuse luminosité v et de la texture

délicieusement égale de sa voix.10. Ou digambar, c'est-à-dire le fait de ne rien intercaler entre

l'« être» du svara et son pourtour. Il ne s'agit pas, évidemment, dedépouiller la note de tout charme. Il est d'autres embellissements queles ornements plaqués de l'extérieur, et l'idéal indien est (aussi) derendre la note belle de l'intérieur. Mais il est difficile de faire com-

prendre ce point à ceux qui n'ont pas personnellement entendu demusique indienne.

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gamme, on ne peut dire que la beauté d'un son dépende uni-quement de sa qualité propre. La douceur (en admettantqu'elle soit perçue) d'une note qui s'insère dans une sériecontinue d'autres sons n'est pas la même que celle de la noteisolée qui vient seulement ponctuer le silence environnantavant de s'éteindre. Le svara ne peut être vraiment beau ensoi que lorsqu'il parvient à symboliser le Tout. En ce cas,le contexte s'évanouit, puisque rien n'existe plus que le svara,dont le charme ne dépend alors que de lui-même. A notreépoque, cette idée peut sembler difficile à admettre. Mais iln'en reste pas moins que Swami Haridas, patron de la musiquehindoustani, était, dit-on, parfaitement capable de s'absorberdans la contemplation continue (samadhi) d'un seul svara,dont il faisait un symbole si fécond de ses attitudes subjec-tives qu'il y voyait la quintessence de l'existence comme dela valeur.

Le problème théorique qui se pose ici est évidemment celuide la formation des symboles dans l'imagination musicale.Je me propose de faire quelques remarques sur cette difficilequestion au cours du présent essai. Mais je voudrais dèsmaintenant insister sur le fait qu'il est certainement possibled'interpréter de l'intérieur, comme l'on dit, même une noteisolée. Pour ce faire, le chanteur se place en quelque sorte aucentre du svara dont il veut dévoiler la beauté, évoquant ainsil'image d'une méditation accompagnant un acte créateur. Lapossibilité d'utiliser un tel procédé esthétique est non seule-ment prouvée dans la pratique par l'exemple de certains denos meilleurs exécutants actuels, mais elle peut, il me semble,se démontrer par le raisonnement. Pour interpréter mélo-dieusement une note, on peut la chanter d'une voix ample etpleine. Mais, d'autre part, une voix grêle peut, en quelquesorte, pénétrer jusqu'au cœur même du svara, et l'effet produitpourra être également mélodieux, une impression de suprêmedélicatesse venant simplement remplacer une impression demagnificence. Cela ne prouve-t-il pas qu'un svara possède uneétendue, qu'il ne se réduit pas à un simple point ? Mais s'il aune étendue, il s'ensuit évidemment que l'on doit pouvoirpénétrer à l'intérieur pour en faire surgir la beauté.

Cette idée que le svara est beau en soi va nous aider àcomprendre nombre d'aspects importants de la musique hin-doustani. D'abord, si l'on veut qu'une note paraisse belleen elle-même, il faut évidemment éviter de la noyer dans unflot d'autres notes jouées en même temps qu'elle, si conso-nantes soient-elles. Voilà sans doute pourquoi l'harmonie tientune si faible place dans la musique hindoustani u, sans que

l\. Certains érudits affirment que l'harmonie jouait un rôle impor-tant dans la musique indienne d'autrefois. Il n'en reste pas moins que

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LA MUSIQUE HINDOUSTANI

l'on puisse affirmer pour autant qu'elle en est totalementabsente. En effet, pendant que le musicien interprète un raga,la tanpura 12 ne cesse d'en répéter les notes principales. Deplus, le tambour est soigneusement accordé sur la toniquedu principal exécutant et, en jouant, il fait entendre cettenote d'une façon répétée, au moment même où l'exécutantchante les autres notes de l'octave.

En second lieu, lorsque l'artiste applique son esprit àdévoiler toute la beauté que renferme une seule note, il peutcontinuer à approfondir sa connaissance intellectuelle de lamusique tout en poursuivant son effort de création esthétique.Le musicien hindoustani orthodoxe, même lorsqu'il n'est pascapable de traduire en paroles son sentiment, est, à coup sûr,profondément convaincu que plus l'objet de son attentionest réduit, plus il lui est possible, et nécessaire, d'accentuerson effort de pénétration intellectuelle. Lorsqu'ils chantentpour eux seuls, ou devant un petit groupe d'auditeurs àl'oreille exercée, nos meilleurs vocalistes, aujourd'hui encore,prennent plaisir à s'efforcer de trouver un charme 13 toujoursnouveau à l'intérieur de ce qui est d'ordinaire considérécomme un son simple, et cet effort non seulement les trans-porte de joie, mais leur donne de surcroît sagesse et humilité.Il est intéressant de noter que des concepts tels que ceux decontemplation et de méditation ont leur place chez les Hindousnon seulement dans la pensée morale et religieuse, mais aussidans la musicologie et même dans la conversation courantedes musiciens orthodoxes sur ce thème. Signalons aussi aupassage que, dans le passé, des maîtres de la muique hindou-tani aussi éminents que Tansen ont avoué dans leurs compo-sitions que la durée d'une vie humaine leur paraissait à peinesuffisante pour acquérir la maîtrise d'une ou deux notesparticulières. Cette importance donnée à la note individuelle,qui caractérise la musique de l'Inde, passe souvent inaperçuedes auteurs occidentaux sur le sujet. Mais ici, en Inde, ilarrive souvent que les auditeurs guettent longtemps à l'avancel'instant où ils pourront savoir si l'exécutant est capable derendre correctement une certaine note de l'air (ou raga). Le

la musique indienne actuelle est caractérisée par la prédominance dela mélodie et de la monodie sur l'harmonie et la polyphonie.

12. Il s'agit d'un instrument musical utilisé pendant toutes les audi-tions de musique classique pour produire une sorte de bourdonnementconstruit sur certaines notes importantes du raga ou mode. En général,trois de ses cordes sont accordées sur la tonique, la quatrième donnantle sol, de sorte que lorsque le chanteur articule un mi, on entenddo-mi-sol, l'accord parfait.

13. Le musicien indien orthodoxe a pour idéal de percevoir l'infinidans le cadre d'une note unique.

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gandhar du raga « darbari14 est l'une de ces notes attendues.Le léger effet de < balancement» avec lequel il est d'ordi-naire articulé lui confère un charme tout particulier. Labeauté de cette note résulte de son caractère d'expérienceincertaine elle paraît tour à tour s'affaiblir et resplendir,ravissante transcription euphonique d'un suspense qui tientl'auditeur en haleine. Il arrive qu'un alapiya 15 orthodoxe,sans changer du tout la position du svaia, en atténue lacouleur et en ralentisse le pouls en ce cas, la note restefixe, mais elle n'en donne pas moins l'impression d'osciller,comme pour suggérer un espoir qui déjà prend forme sansencore se réaliser.

En troisième lieu, si la note est considérée comme quelquechose de beau en soi, il s'ensuit évidemment que le musiciendevra consacrer ses plus grands efforts à la façon d'inter-préter le svara individuel. La note sera-t-elle lancée touteépanouie dans la conscience de l'auditeur, ou sera-t-elle mur-murée avec douceur au milieu d'un silence ? Sera-t-elle tenue

assez longtemps pour rassasier l'oreille, ou brusquementinterrompue, pour « laisser sur sa faim >, comme disent lesustad 16 orthodoxes, notre sensibilité esthétique ? Devra-t-elle,en outre, être présentée clairement en tant que note isolée,ou faut-il seulement suggérer, sans insister, qu'elle est commele point où se fige une coulée de lumière ? Et quelles images

intellectuelles, émotives ou picturales faudra-t-il luifaire évoquer ?Autant de questions que de nos jours encorele chanteur orthodoxe médite longuement. On comprendramieux les raisons de cette attitude quand nous étudierons, unpeu plus loin, la nature et le rôle de l'alapa considéré en tantque style particulier d'interprétation de la musique.

Mais une remarque, qui concerne essentiellement l'alapa,s'impose dès maintenant. Le caractère séduisant ou non dela note, la nature exacte du pouvoir d'évocation esthétiquequ'elle possède, tout cela dépend aussi du temps pendantlequel elle se fait entendre. Le facteur temps est toujoursd'une importance majeure en ce qui concerne l'impressionfinale que produit une note musicale. Un exemple simpleillustrera ce point. Lorsqu'on chante une note donnée pen-dant un instant très court, et que l'on passe ensuite, immé-diatement et sans heurt, à la note suivante, on donne, du

point de vue esthétique, une impression de continuité directe,

14. Techniquement, ce mi est atikomal, c'est-à-dire qu'il est affectéd'un double bémol microtonal, et qu'il se situe à une sruti au-dessousdu komal, on bémol.

15. Un alapiya est un chanteur qui pratique le style alapa.16. Un ustad est un maître musicien musulman appartenant à l'école

orthodoxe.

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mais lorsqu'on passe de la première à la seconde note gra-duellement, comme à loisir, l'impression 17 (picturale) donnéeest celle d'une continuité élastique, la voix semblant plongerd'abord avec grâce avant de remonter pour atteindre le secondsvara.

On oublie souvent ce point en essayant de comprendre leconcept de raga, dont l'importance est capitale dans lamusique de l'Inde. Chaque raga a un vadi, c'est-à-dire unenote dominante. Les autres notes contribuent d'une façonévidente à mettre en valeur la beauté de ce svara. La posi-tion centrale qu'occupe, du point de vue esthétique, le vadiexige d'abord qu'il soit chanté mélodieusement, comme lesautres notes, et aussi, au contraire souvent des autres notes,

qu'il soit prolongé assez longtem ps pour produire son pleineffet. On méconnaît fréquemment le fait que le facteur tempsjoue un rôle même dans les concepts qui ont trait à l'aspecteuphonique de la musique hindoustani, bien que nul n'ignoreque le simple fait de s'attarder un peu trop longtemps surun svara particulier peut être considéré comme un gravecontresens sur la syntaxe musicale du raga interprété.

Il importe donc de bien saisir ce concept de raga. Etd'abord de savoir que pour chanter un raga il ne suffit pasd'émettre successivement toutes les notes dont il se compose,en montant et en descendant. Les svara doivent être rendus

d'une façon spéciale, que leur place dans la gamme 18 nesuffit pas à définir. Les mouvements ascendants et les mou-vements descendants n'utilisent pas forcément les mêmesnotes; celles-ci peuvent aussi former des séquences diffé-rentes. En outre, des agréments traditionnels appropriéspeuvent enrichir l'interprétation de certains svara. Les ragaemploient en général des intervalles plus subtils que les tonset les demi-tons 19. En second lieu, un raga est un type mélo-

17. Il est hors de doute que, dans la musique hindoustani classique,< le passage d'une note à la suivante devient une véritable aventure,avec ses portamenti subtils, ses glissements de voix et ses oscillationsvariées, dans le domaine de la micro-tonalité ». (The Music of India,par H. A. POPLEY, The Héritage of India Press, 1950, p. 87.)

Toutefois, ce n'est pas seulement sur ces transitions, mais aussi sur

la qualité du son et la puissance d'évocation des notes isolées que l'onjuge la technique d'un chanteur hindoustani.

18. Dans la gamme hindoustani, les notes portent les noms suivants,qui représentent, comme dans la notation do, ré, mi. la premièresyllabe de certains mots

Sa, re, ga, ma, pa, dha, ni, sa.

Sous la forme normale, ou pure, elle correspond à la gamme majeureeuropéenne.

19. Notons que dans la gamme européenne courante, les intervallesdo-ré et ré-mi représentent des tons entiers, tandis qu'il n'y a qu'un

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dique. Comme tout concept, il subsume de nombreux détails,mais il représente plus que leur ensemble. Des artistes dif-férents peuvent chanter le même raga au cours du mêmerécital aucune des diverses interprétations ne paraîtra unesimple imitation des autres. Techniquement, toutes respecte-ront la structure du raga, mais du point de vue esthétique,elles aboutiront à des effets très différents. En troisième lieu,

chaque raga est censé posséder un contenu émotif propre etconvenir seulement à une heure du jour ou à une saisondonnée. Le principe fondamental est qu'un raga grave ouplaintif doit être chanté en vilambit laya (adagio), et un ragaplus alerte en drut (allegro) 20. Mais surtout, chaque raga ason individualité propre, aussi bien sur le plan esthétiqueque sur le plan technique. Comme nous l'avons déjà noté,tout raga utilise un certain nombre 21 de svara d'une façonparticulière, ce qui permet à l'auditeur exercé de distinguerfacilement un raga d'un autre. Un raga se reconnaît aussi àsa note vadi (sonnante) 22. Les autres notes du raga sont lessamvadi 23 (consonantes), qui s'accordent esthétiquement, àdes degrés divers, avec la sonnante. C'est sur l'originalitéspécifique du raga que l'on se fonde pour juger l'interprétationqu'en donne tel ou tel artiste. Telle estl'utilité du conceptthéorique de raga dans le domaine de la création et du juge-ment esthétiques.

La beauté essentielle du svara, qui résulte de sa définitionmême, ne doit évidemment pas être négligée dans notre ana-lyse du concept de raga. Le raga ne fait qu'accentuer lecharme des notes individuelles, en plaçant chacune d'ellesdans un cadre musical. C'est pourquoi il est souvent définicomme « ce qui crée du charme >. Il représente une synthèsede svara qui s'affirment ou s'effacent, qui paraissent pâles 24ou lumineux, et semblent « s'exigerles uns les autres.Interprété par un grand artiste, un raga se présente commeune combinaison originale de plusieurs aspects de l'expé-rience, et l'on pourrait créer pour le désigner le terme« euphorganisme ». Certains des grands artistes contempo-

demi-ton entre mi et fa, tous les autres intervalles étant des tonsentiers, sauf si-do.

20. Moderato se dit madhya laya.21. Rarement moins de cinq.22. Un artiste de premier ordre interprétant un raga peut réussir

à saturer en quelque sorte l'atmosphère du son de la note vadi, quicontinuera de hanter l'esprit de l'auditeur longtemps après qu'il auraquitté la salle de concert.

23. Des svara séparés par un intervalle de neuf ou de treize srutisont samvadi l'un par rapport à l'autre.

24. Les raga mélancoliques utilisent un plus grand nombre de notesbémolisées que ceux d'un caractère relativement joyeux.

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LA MUSIQUE HINDOUSTANI

rains qui se consacrent à la musique hindoustani sont inti-mement convaincus qu'un raga est une entité vivante, et qu'ilmérite d'être traité avec le même soin et les mêmes précau-tions qu'un organisme vivant.

Normalement il est interdit de sortir du cadre syntaxiquedélimité par le raga. Certains grands chanteurs, cépendant,prennent parfois l'enivrante liberté de glisser une note disso-nante (techniquement parlant) 25 dans leur interprétationd'un raga donné, ajoutant notablement ainsi à l'effet produit.Naturellement, il n'est pas possible de procéder ainsi audébut d'un récital, mais seulement lorsque l'ambiance a étécréée par quelques interprétations impeccablement réussies.Du point de vue théorique, cette liberté peut se justifier ainsila structure technique d'un raga n'est, elle-même, que l'expres-sion d'une logique esthétique, ou samvada; au nom de cettelogique, on a parfois le droit de s'écarter du moule syntaxiquedans lequel est théoriquement coulé le raga, à condition qu'ils'agisse d'effets indiscutablement satisfaisants pour l'oreille.En ce cas, la note ajoutée ne fait pas figure d'intruse; elledevient au. contraire un élément de beauté. Les fervents de

musique hindoustani n'apprécient pas seulement la tech-nique ils acceptent que l'artiste transcende à l'occasion larègle au nom de la beauté. Une analyse du système rythmiquede la musique indienne va nous permettre de confirmer cepoint important.

Les principaux concepts sur lesquels repose le systèmerythmique indien s'appellent laya, tala, matra, bol, theka etlayakari. Laya, techniquement parlant, c'est le temps quis'écoule entre deux battements de mesure 26. A quoi cettenotion correspond en pratique dans la musique hindoustaniest une question qui mérite un examen attentif. Pendant unrécital, l'intervalle entre deux battements n'est pas mesurémathématiquement par le chanteur; et pourtant celui-ci esttenu de respecter scrupuleusement l'égalité des temps. Lelaya implique donc aussi une certaine régularité; mais celle-cireste idéale et dépend essentiellement du musicien lui-même,qui est comme un homme devant rester conscient du passagedu temps en consultant rarement sa montre développer ensoi une telle capacité constitue à coup sûr un excellent exer-cice pour assurer l'indépendance de l'esprit. Sans se mettreen contradiction avec le rythme du tambour qui l'accompagne,un musicien hindou expérimenté peut ne prêter aucune atten-

25. D'une façon plus précise, il s'agit d'un svara c vivadi », c'est-à-dire d'une note qui, sans être formellement interdite, est rarementemployée dans le raga. Elle est séparée de la note vadi par un inter-valle de deux sruti.

26. Sangit Ratnakar, op. cit., p. 9.

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tion à ce rythme pendant de longs moments, tout en suivantavec précision, dans son subconscient, le déroulement du laya.Et l'auditeur qui a vraiment le sens du laya n'est pas long àlever le doigt lorsqu'il décèle un ralentissement on une accé-lération involontaires du laga entre deux coups de tambour.

Jusqu'à présent, notre analyse ne nous a pas révélé grand-chose sur l'aspect esthétique du laya. Savoir mesurer l'écou-lement du temps permet à coup sûr de conserver une certainerégularité, mais une simple montre en est capable. La facultéde création esthétique exige que nous puissions accentuer etvarier nos effets de propos délibéré, tout en respectant larégularité du laya. Ce double but peut être atteint grâce àl'insertion, en travers du rythme de base régulièrement mar-qué par les instruments, d'ornements bien conçus et souventde caractère fantasque. Une impression de beauté est ainsicréée, car ces ornements semblent tracer leurs arabesquesfugitives sur un fond dont la solidité reste intacte. Le plaisirqui en résulte est, en un sens, une sorte d'ascèse, un effortpour conserver la maîtrise de soi à l'instant même où l'ons'abandonne.

Mais la supériorité du laya, rythme saisi par l'imaginationet soumis aux règles de. l'esthétique, sur cette sorte d'exté-riorisation qui consiste à compter simplement les instants,se manifeste le plus clairement dans l'alapa qui est, dans lamusique hindoustani, le plus hautement apprécié de tous lesstyles d'interprétation. Là, il n'y a plus d'accompagnement autambour, plus rien pour battre la mesure; le musicien décidelui-même du temps qu'il consacrera à articuler une seulenote, ou à en égrener toute une série, en ne tenant compteque de l'effet qu'il veut produire. Comment il pratique cet art,c'est ce que nous comprendrons mieux quand nous étudie-rons la nature de l'alapa en tant que forme particulièred'interprétation musicale.

Nous sommes maintenant en mesure de grouper les prin-cipaux sens du mot laya. D'abord, en tant qu'il désigne sim-plement l'écoulement du temps, laya signifie « continuité duprocessus temporel » deuxièmement, il désigne le temps quis'écoule entre deux battements, qui seuls introduisent ici ladiversité, et signifie alors « flux de temps non encore diffé-rencié ». Troisièmement, au sens de règle fixant l'égalité desintervalles entre deux battements, il symbolise l'acte parlequel l'esprit s'assimile le rythme du temps 27. Quatrième-ment, dans la mesure où il est représenté par l'alapa, le layaest le passage du temps mis au service de la beauté. Dans lapratique de la musique hindoustani, laya désigne donc le fait

27. En fait, le premier et le troisième des sens donnés sont lessens dérivés.

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LA MUSIQUE HINDOUSTANI

que l'artiste s'identifie en imagination à l'écoulement dutemps musical, avec l'intention de le régulariser, ou de letransformer en source de beauté, dont il tirera des effets

variés, sans s'appuyer sur les diverses divisions (ou« temps >) du cycle rythmique adopté. Passer du laya autala, c'est passer de ce qui est, en idée, jugé convenable part'individu à ce qui est mathématiquement et objectivementcorrect, de ce qui est librement choisi par l'artiste selon lanécessité esthétique du moment, à un système objectif, uncadre rythmique avec ses subdivisions, d'après lequel l'artistedoit régler à tout instant son élan créateur, et qui, s'il n'estpas considéré comme exagérément gênant par un bon musi-cien, n'est cependant pas, à l'origine, une conception per-sonnelle de l'artiste.

La mesure du laya, du point de vue de l'étendue, de lavitesse et de la nature du mouvement, c'est le tala, ou rythme.Le tala est au laya ce qu'un mètre est à une distance l'unest la mesure de l'autre. Dans le cas du laya, l'unité quipermet d'effectuer cette mesure est la matra, ou temps. Lapartie du laya (au sens de temps qui s'écoule) mesurée etintérierirement différenciée par le tambour ou le récitantforme une theka (cycle rythmique). Certaines remarquesconcernant ces deux notions de matra et de theka nous

paraissent ici indispensables. Supposons un cycle rythmiquecomposé de seize temps. Dire dans ce cas qu'une matrareprésente la seizième partie de cet ensemble, c'est donnerde la matra une définition purement théorique 28, qui est loind'épuiser tout son sens en tant qu'élément du cycle ryth-mique. En tant que perçue, la matra prend un caractèrepsycho-esthétique particulier, qui lui donne vraiment unevaleur propre. D'abord, elle exprime une distinction indispen-sable à toute pensée. Penser à quelque chose, c'est en effetreconnaître ou introduire aussitôt dans cet objet un élémentdistinctif. La matra symbolise cette affirmation fondamentalede l'esprit au sujet de ce qui s'écoule. Elle donne à l'espritun point d'appui d'où il pourra, si l'on peut dire, pénétrerdans l'être du laya. Subjectivement, l'esprit en tant qu'il saisitle passage du laya s'appelle zarab. En second lieu, une matra,en tant que sentie, donne immédiatement une impression debeauté, d'une beauté qui est celle de la modulation d'un fluxde temps, ou laya, et non pas d'une simple série d'élémentsindépendants. Un courant qui affirme en glissant et glissesur ce qu'il affirme, telle est l'image qui, selon notre expé-

28. Grammaticalement, une matra, c'est la durée d'une syllabe, oumieux, le temps le plus court nécessaireà l'articulation d'une syllabe.Dans le système de notation européen, elle vaudrait approximativementune croche.

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rience, définit fondamentalement le charme rythmique de lamusique hindoustani, aussi bien du point de vue syntaxiqueque du point de vue esthétique. Les innombrables manifesta-tions de ce charme résultent toutes de combinaisons variées

des éléments qui constituent cette première expérience. Amon avis, notre façon de manier le rythme se caractériseessentiellement par la façon dont la discontinuité s'intègreou s'oppose à la continuité.

Venons-en maintenant à la structure du cycle rythmique.En tant que base de tout layakari m, il doit posséder uncaractère propre. C'est en fait une unité structurelle avecun centre distinctif. Il comprend un nombre donné de matra,son temps faible, appelé khali 30 et, naturellement, un tempsprincipal qui s'appelle le sum. Parmi les nuances subtiles dusystème rythmique hindoustani, il faut noter les diversesfaçons de mettre en relief, pendant l'exécution même, l'unquelconque de ces éléments de la theka.

Le temps principal, ou sum, est le plus appuyé c'est letemps « fort ». Non seulement il est le premier de la theka,mais il en constitue le foyer, et, esthétiquement, le centre 31.Il est source de valeur. Non seulement il occupe une placedéterminée dans le cycle rythmique, mais il doit paraîtredéterminer la beauté de ce qui l'entoure. Or, pour que le sumpuisse révéler son véritable caractère de centre esthétique, ilfaut que l'on distingue clairement son double aspect d'exis-tant et de déterminant. D'abord, il doit se manifester sans

erreur possible par son caractère net et précis, que cetteimpression soit donnée par le musicien, d'un coup de plectredécidé, ou par le danseur, qui tourne brusquement la tête oufrappe du pied. Ensuite, il faut qu'il soit senti, non seulementcomme le dernier coup (matra) de la theka (structure tem-porelle), mais comme l'apogée logique d'un développementautonome 32. En rapprochant ces deux exigences, on voit quele sum ne doit pas seulement arriver, mais surgir.

La musique hindoustani est très exigeante sur la façoncorrecte d'amener le sum. A partir d'un certain moment deson développement, la theka commence, en quelque sorte, àconcentrer son charme pour le faire éclater finalement dansle sum. Cette harmonieuse concentration se nomme amad, et

l'instant précis où elle commence instant librement choisi

29. Layakari signifie variation rythmique.30. C'est un temps qui n'est pas indiqué par le tambour, mais sou-

vent marqué par un mouvement de la main.31. Dans l'exécution d'un raga, ce caractère central du sum est encore

accentué par le fait qu'il tombe souvent sur la note vadi.32. Même littéralement, sum signifie < calme succédantà l'agita-

tion>.

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LA MUSIQUE HINDOUSTANI

par le musicien dans le cadre du cycle rythmique prendle nom de nika. L'orientation de cette approche souligne lerôle de pivot que joue le sum, qui semble déterminer unerotation autour de l'extrémité d'un axe. Ainsi l'amad, tout

en charmant l'auditeur par l'harmonie de son mouvement,fait ressortir le caractère central du sum, et cela pendantmême qu'il se développe et nous révèle comment le sum vaêtre atteint. En général, l'amad part du temps faible. Certainsinstrumentalistes d'une science consommée, comme Ravi

Shankar et Ali Akbar, accentuent ce temps faible, en donnantl'impression qu'il termine une structure qui se suffit à elle-même 33. On peut, en fait, affirmer sans crainte d'erreur quela musique hindoustani est toujours sensible au charme tiréd'un élément pris isolément, qu'il s'agisse d'une note ou d'untemps. Les musiciens et les danseurs de l'Inde trouvent leplus grand plaisir à élaborer d'habiles méthodes pour arriverau sum en partant des replis les plus inattendus de la theka.Ils choisissent parfois comme origine de ce développementtemporel le laps de temps non mesuré qui sépare deux matraou temps reconnus.

Lorsqu'il joue de la musique hindoustani classique, l'artistedoit à tout moment avoir présent à l'esprit le caractère ducycle rythmique et la vitesse avec laquelle il se déroule. Maisil est censé en même temps se lancer en toute liberté dansdes fantaisies qui rompent le rythme de base de la façon laplus capricieuse et, qui plus est, revenir au sum, à des inter-valles convenables, avec une précision mathématique. Etl'auditeur rompu aux subtilités du rythme hindoustani appré-cie vivement tous les détails de ce mouvement l'immuable

régularité de la theka, le dessin complexe des motifs tempo-rels, la fantaisie avec laquelle ils s'écartent du progrès normalde la theka, et enfin la précision avec laquelle l'artisteretrouve périodiquement le cycle fondamental, dans le cadreesthétique duquel doivent s'inscrire toutes les manipulationsrythmiques.

Dans la musique hindoustani, la subtilité des ornementstemporels est parfois véritablement étourdissante. Le déve-loppement de certains motifs comporte des moments où lerythme est volontairement ralenti ou accéléré. L'espèce deprovocation que constitue cette liberté a dans ce cas deseffets quasi irrésistibles, et l'auditeur qui s'efforce de nepas perdre contact avec le rythme de base, malgré le défiqui lui est lancé, éprouve un vrai plaisir à résister ainsi.Particulièrement heureuses sont les arabesques qui, de pro-pos délibéré, ne se terminent pas sur le sum, et qu'on appelle,

33. Naturellement, la musique continue dans ce cas jusqu'à ce quele sum soit atteint.

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pour cette raison, visham (déplacées). Elles nous fournissentun nouvel exemple de la façon dont la musique hindoue saittranscender la stricte technique au nom de la beauté. Sil'ornement est construit de manière à se terminer un peu

avant la place normale du sum dans la theka, il appartient àla subdivision anagat, c'est-à-dire, dans ce cas, qu'à la fin dumouvement le véritable sum n'a pas encore été atteint. Si ledernier accent vient au contraire un peu après le passage dusum normal, nous avons affaire à un ornement ateet, mot

qui signifie « passé »,« qui a été », par rapport, une fois deplus, au c foyerdu cycle rythmique. Notons ici que pours'arrêter en deçà ou au-delà du sum, il suffit de savoir frapperune note au bon moment. Ce procédé ne prend une valeuresthétique que lorsqu'il correspond à un dessein préalable.Ce qu'on a appelé la vigilante fantaisie et l'habile vertige dela grande musique est clairement et noblement illustré parces raffinements du système rythmique hindoustani.

J'ai nettement l'impression que la musique hindoustaniprésentée jusqu'ici à l'Occident a presque toujours été lamoins subtile. Il a été plus facile ainsi de la faire accepteret apprécier, mais ce qu'elle a de meilleur est resté dansl'ombre, A moins de prendre le temps de s'accoutumer à lagamme indienne et aux plus importants des cycles rythmiquesutilisés par la musique hindoustani, nos amis occidentaux nepeuvent admirer intelligemment ce qu'il y a de mieux dansnotre musique; et ce qu'il y a de mieux, je le répète, c'estl'alapa essentiellement formel 3i qui n'utilise ni langage nirythme, et les manipulations rythmiques qui, bien quesensibles à l'oreille, transcendent largement le domaine dela simple perception et doivent être au fond saisies parl'entendement qui se les représente dans leurs rapports avec,d'une part, le rythme cyclique qui poursuit régulièrementsa route, et, d'autre part, l'ornement qui gambade en traversdu chemin. Dès que l'auditeur s'est bien assimilé le rythmefondamental, presque n'importe quel écart peut procurer unvrai plaisir, quel que soit l'angle qu'il fasse avec la lignegénérale. On pense à un regard d'amour, plus enivrant lors-qu'il se détourne.

Peu d'Occidentaux savent qu'en Inde de longs efforts ontété consacrés à l'élaboration d'un système qui permet en faitd'identifier les divers sons produits par les tambours quandleurs membranes sonores sont frappées d'une façon donnée.Ces sons ont reçu des noms, sous la forme de syllabes mné-

34. « Formel », entendu non pas au sens de c qui n'a pas decontenu », mais à celui de « dans lequel le fond et la forme s'iden-tifient parfaitement », ou encore « dont la valeur expressive estindépendante du langage ».

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