176
H. de f' RENE (AILhIE , a Mu-séum National d'Histoire Naturelle

f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

H. JACQUES-F~LlX

de

f' •

RENE (AILhIE,a

Mu-séum National d'Histoire Naturelle

Page 2: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

CONTRIBUTION

de

RENÉ CAILLIÉ

à

L'ETHNOBOTANIQUE AFRICAINE

Page 3: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

CONTRIBUTION DE RENÉ CAILLIÉ

A L'ETHNOROTANIQUE AFRICAINE

AU COURS DE SES VOYAGES EN MAURITANIE

ET A

TOMBOUCTOU1819-1828

par

H. JACQUES-FéLIX

Directeur de RecherchesO.R.S.T.O.M.

PARIS57, rue Cuvier (5e

)

Publié par le Journal d'Agriculture tropicale et de Botanique appliquée10, 1963 : 287-334; 449-520; 551-602

avec le concoursde l'Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer

24, rue Bayard, Paris (8e)

CONTRIBUTION DE RENÉ CAILLIÉ

A L'ETHNOROTANIQUE AFRICAINE

AU COURS DE SES VOYAGES EN MAURITANIE

ET A

TOMBOUCTOU1819-1828

par

H. JACQUES-FéLIX

Directeur de RecherchesO.R.S.T.O.M.

PARIS57, rue Cuvier (5e

)

Publié par le Journal d'Agriculture tropicale et de Botanique appliquée10, 1963 : 287-334; 449-520; 551-602

avec le concoursde l'Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer

24, rue Bayard, Paris (8e)

Page 4: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

CONTRIBUTIONDE RENÉ CAILLIÉ AL'ETHNOBOTANIQUE AFRICAINE

AU COURS DE SES VOYAGES El MAURITANIE ET A TOMBOUCTOUi8i9 - t828

Par H. JACQUES-FÉLIX.

•AVANT-PROPOS

Depuis cette époque où le voyage de René CAILLIÉ à Tombouctouprovoquait un retentissement considérable en Europe, un siècles'est écoulé et un cycle de l'Histoire africaine s'est achevé.

A la suite de ces premiers voyages de découverte, qui succédaienteux-mêmes à la sombre période des comptoirs côtiers et de l'escla,..vagisme, le Continent africain fut sillonné de raids plus précis quidevaient cerner les zones d'influence que se réservaient quelquesnations d'Europe. Puis celles-ci occupèrent, par des cadres mili­taires, administratifs et techniques, ces différentes régions qui deve­naient des territoires dépendants. Enfin c'est la période actuelle dedécolonisation, d'accession à l'indépendance de nations africaines,encore mal taillées le plus souvent puisque installées dans lesfrontières arbitraires des anciennes colonies.

Partant de cette situation nouvelle et remontant jusqu'aux pre­miers contacts entre les hommes des autres continents et ceux d'A­frique, les historiens de la colonisation ont maintenant tout loisird'étudier ce que furent ces rapports humains, en fonction des indi­vidus, et surtout leur évolution d'ensemble, en fonction des contin­gences générales.

Sur le plan des relations individuelles le cas « René Caillié» estcertainement unique en son genre et pourrait fournir matière àdes thèses de grand intérêt. Tel n'est pas notre objet, et si quelquespages terminales sont consacrées à la personnalité de l'explorateur,notre devoir ici est de tirer de l'oubli la partie la plus négligée deson Journal, celle relative aux observations sur la végétation, lesplantes utiles et les plantes cultivées, soit, pour résumer d'un mot,la partie ethnobotanique de son Ouvrage.JOURNAL n'AGRIC. TROPICALE ET DE BOTANIQUE APPLIQl.T~E, T. X, NI) 8-9, AOUT-SEPTEMBRE 1963

Les illustrations de ce travail ont été réalisées avec le concours de l'O.R.S.T.O.M.

Page 5: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 2 --

On pourrait penser que c'est là une tâche hien inutile. Depuis lapublication du Journal de R. CAILLIÉ, l'agriculture africaine n'a-t­elle pas subi un bouleversement considérable par le fait même dela colonisation et n'a-t-elle marqué partout des progrès qui n'ac­cordent plus qu'un mince intérêt aux rétrospectives? En réalité lescultures nouvelles, comme celles du café et du cacao, qui furentdéveloppées pour les besoins des marchés européens, et les progrèstechniques touchant certaines autres cultures, n'ont fait que sesuperposer à la production autarcique traditionnelle des denréesde consommation par le paysan africain. Et ridicules étaient lesespoirs des « hommes d'état» qui s'attendaient à de graves crisesalimentaires dans les jeunes républiques par suite du brusqueretrait des services techniques et de la réduction des marchés ex­térieurs.

C'est également une erreur que de vouloir faire avancer l'agri­culture de pays sous-développés en ignorant l'œuvre empiriquedes siècles antérieurs. A cet égard on peut seulement regretter au­jourd'hui que l'enseignement de l'Agronomie tropicale, tel qu'il atoujours été donné officiellement en France pendant la premièremoitié du vingtième siècle, ait toujours été aussi étroitement prag­matique, sans jamais accorder la moindre place à l'histoire de l'a­griculture africaine d'abord, puis des tentatives, échecs et réussites,des pionniers de la colonisation.

Alors que, de ce fait, tant de techniciens diplômés sont passéssans les voir dans les cultures des villageois africains, on ne peutéprouver que plus d'admiration pour le voyageur R. CAILLIÉ qui,sans directives ni connaissances préalab,les, dans des conditionstoujours difficiles et souvent dangereuses, sut observer si intelli­gemment les travaux des champs et s'intéresser si humainementaux genres de vie des paysans.

La relation en trois volumes du voyage de R. CAILLIÉ ayant con­servé l'ordre et la forme du Journal de route, on ne peut en extrairela matière des sujets particuliers sans de sérieux remaniementsde texte. Dans le détail même les phrases modifiées l'ont toujoursété par suppression de passages étrangers à notre sujet mais ja­mais par addition de parties qui ne soient de l'auteur. Dans l'en­semble, pour que la suite de ces extraits ne soit trop disparate etévite les répétitions, j'ai essayé de grouper les sujets en de brefsparagraphes n'altérant pas trop l'ordre chronologique. Les titres deces paragraphes numérotés se retrouvent à la table des matières.Le texte se répartit ainsi entre 169 paragraphes alors que dansson travail de références Th. MONOD a relevé 210 citations. C'estdire qu'en outre du regroupement effectué j'ai aussi négligé la cita­tion de quelques plantes sans intérêt ethnobotanique.

Page 6: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

~3-

Nos commentaires et autres citations, qui accompagnent le textede R. CAILLIÉ, sont d'une typographie distincte. Ils ont essentielle­ment pour objet d'identifier et de compléter, à la faveur de nosconnaissances actuelles, les plantes et les renseignements relatésdans le Journal. Dictés surtout au gré des réminiscences ils sonttrès incomplets ainsi que les références bibliographiques donnéesen bas de page. Les ouvrages généraux, relatifs au voyage de R.CAILLIÉ et à l'ethnographie africaine, sont cités à la fin du Mémoire.

Je dois encore un avertissement relatif aux illustrations. Si j'aiconsulté parfois des photos qui ne m'appartiennent pas, ce n'ensont aucunement des copies. Ce sont des compositions assez libresoù j'ai tenté d'allier des paysages ou scènes champêtres à desdétails botaniques. Cette disparité des échelles est sans importancepour ceux qui connaissent les objets représentés et je suis per­suadé que ceux qui ne les connaissent pas sauront, d'eux-mêmes,rétablir la valeur des proportions.

Je serais heureux si ce travail, qui constitue pour moi un hom­mage à la mémoire de R. CAILLIÉ, était aussi une source d'intérêtpour ceux, Africains et autres, qui s'intéressent à l'ethnobotaniqueafricaine.

INTRODUCTION

Ainsi que l'on s'est plu à reconnaître l'importance des résul­tats géographiques du voyage de R. CAILLI'É, c'est également dansune spécialité de cette même discipline, la phytogéographie, queses observations sur les végétaux auraient pu présenter un intérêtscientifique certain si elles avaient été exploitées en leur temps.Par le développement même de son itinéraire qui couvrait plusde 25 0 de latitude, traversait le seul massif montagneux quelquepeu important de l'Afrique occidentale, allait des régions tropi­cales humides aux bords lumineux de la Méditerranée en passantpar le plus vaste désert du monde, ce trajet donnait une « coupe»presque complète de l'Afrique d'hémisphère Nord.

Sans doute peut-on objecter que le manque des collections quiauraient permis les déterminations des plantes observées, et l'in­suffisance des connaissances de R. CAILLIÉ, constituaient un obs­taCle à la mise en valeur de ses renseignements. Bien que nousdéfinissions, de nos jours, les territoires géobotaniques d'aprèsl'ensemble des flores régionales et des facteurs qui les déterminent,nous n'en revenons pas moins souvent à les typifier par quelquesespèces seulement, choisies en raison de leur physionomie, de leurabondance, et de leur extension qui coïncide avec la limite moyenne

Page 7: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-4-

d'espèces plus nombreuses. C'est bien cette méthode qu'appliquaitR. CAILLIÉ en ne relevant la présence que de quelques arbres re­marquables et que leur utilité désignait, par ailleurs, à l'attentionpopulaire. Point n'eut été besoin, pour tracer approximativementles zones de végétation des pays traversés, d'être en possession dunom scientifique des espèces relevées. Ainsi, sans en savoir da­vantage sur le Koura (§ 43) ("'), il apparaissait nettement auxcitations du Journal, que la limite de cette espèce, cessant versl'Est où commence celle du Karité (§ 64), constituait un fait géo­graphique déjà valable en soi et dont il ne restait plus qu'à recher­cher la causalité.

Ce qui rendait utilisables les informations géobotaniques deR. CAILLIÉ, c'était leur imperturbable régularité. Il n'était pasd'étape sans notation, au moins sommaire, des plantes rencontrées.Ce sont ces répétitions journalières, que certains ont regrettéespour la valeur littéraire du récit, qui assurèrent précisément unevaleur scientifique à sa relation, réduisant ainsi à peu d'importancele manque de remarques sur les faits négatifs. On sait bien, en effet,qu'à moins de se livrer spécialement à un travail de prospection,le voyageur a tout naturellement tendance à noter les plantesnouvellement rencontrées mais, par contre, à ne pas signaler ladisparition des espèces qu'il ne voit plus sur sa route.

LES SAISONS. - Il n'est pas indifférent de savoir en quelles sai­sons R. 'CAILLIÉ a effectué les différents parcours de ses voyages.

Il est arrivé en Mauritanie à l'époque des orages mais il y estresté pendant toute la saison sèche, en subissant toutes les ri­gueurs et suivant les troupeaux à la recherche des points d'eau etdes pâturages.

Il est parti de Boké en fin de saison sèche. Les premiers oragesqu'il essuie dans le Fouta-Djallon font reverdir le tapis herbacé etjettent une nouvelle parure de feuilles sur la grisaille des arbres.En mai, alors que les pluies sont bien déclarées, il est dans la val­lée du Tinkisso, où il assiste aux semailles et plantations. Pendantson séjour à Kankan, du 16 juin au 16 juillet, les pluies se font deplus en plus fréquentes et lui font craindre que les rivières gon­flées n'entravent sa marche. Il arrive à Tiémé en août, mois pen­dant lequel la pluviométrie y atteint généralement son maximqm.Cette humidité continuelle lui est funeste, car il est atteint d'ul­cères phagédéniques, puis il contracte le scorbut. Durant son sé­jour douloureux dans cette localité, il fit d'excellentes remarquessur le régime des pluies au cours des saisons.

("') Ces numéros renvoient aux paragraphes du texte.

Page 8: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-5-

Ce n'est que six mois plus tard, avec le retour des vents secs,qu'il recouvre la santé et qu'il peut reprendre sa route en janvier,mais: « La campagne avait perdu tout son charme : les herbesétaient brûlées, les arbres dépouillés d'une partie de leurs feuil­les... ». Hormis les quelques potagers irrigués auprès des villages,il n'existait plus de cultures sur pied dans les champs reconnais­sables seulement aux quelques tiges de sorgo éparses sur le soldésséché (§ 116).

Pour le trajet de Djenné à Tombouctou, il importe seulementde savoir qu'en mars et avril le Niger n'était plus en crue et nes'étalait pas sur les plaines immenses de la façon que lui décri­vaient les bateliers.

Il n'y a pas de saison pluvieuse dans le Sahara central où plu­sieurs années peuvent s'écouler sans aucune précipitation. Si bienque R. CAILLI'É quittant Tombouctou en mai, alors que la longuesaison sèche d'hiver a tout grillé, arrive en août, en pleine séche­resse d'été, au Maroc. Les fruits sont mûrs dans les vergers, maisles campagnes à céréales sont dénudées hors des quelques lopinsirrigués.

Chorologie des palmiers

Dans un travail d'écologie il peut être intéressant de suivre lesdifférents éléments d'une unité systématique dont les aires sejuxtaposent au gré de leurs exigences respectives. Cette possibi­lité nous est fournie par les Palmiers dont quatre espèces ont étésuccessivement observées par R. CAILLIÉ.

Sur la côte chaude et pluvieuse de Guinée, il note l'abondancedu palmier à huile, l'Elaeis guineensis (§ 38) et n'en parle plusdès les premiers contreforts du Fouta-Djallon. Bien plus loin ilrelatera leur présence, entre Tiémé et Djenné, sur des sols frais(§ 95 et 108); mais «ils ne viennent pas, à beaucoup près, aussibien que sur la côte».

Ce sont les palmiers ronniers (Borassus) qui leur succèdentdans le paysage à partir de Tengréla (§ 95) jusqu'au confluentdu Bani et du Niger (§ 127).

En avançant encore davantage dans la zone sèche c'est le cu­rieux palmier doum (Hyphaene) qui apparaît. En réalité, R. CAIL­LIÉ n'en a vu qu'un seul exemplaire à Tombouctou; mais nousavons fait remarquer (§ 136 b) que cela tenait probablement à ceque ce trajet s'était effectué par le fleuve dans la zone d'inonda­tion.

Enfin, après la large interruption du Sahara intégral, encore enplein désert, à la faveur de maigres puits, quelques palmiers-

Page 9: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-6-

dattiers (Phœnix) annoncent les vastes palmeraies du Drâ et duTafilalet (§ 148). Celles-ci, à leur tour, disparaissent dans l'Atlaset ne se reconstituent pas sur les "ersants atlantique et méditer­ranéen du Moghreb.

C'est le Chamerops humilis qui leur succède, mais R. CAILLI'Én'a pas cité ce palmier nain qui aurait si heureusement complétéla série.

Si l'humidité du sol joue un rôle important dans la subsistancede ces palmiers, il est clair par ailleurs, que ce sont leurs exigencesthermiques, photiques et hygrométriques qui sont à la base de leurrépartition.

Les territoires botaniques

Nous pouvons évoquer rapidement. et suivre sur la carte, lepassage de R. CAILu'É à travers les différents territoires botaniques.

RÉGION GUINÉENNE. - A son départ de Boké il est dans la régionguinéenne: la caravane « marchant à l'ombre des forêts» ne s'a­percevait « pas de la chaleur excessive du jour ». Il est exact quepartout ailleurs que sur les plateaux latéritiques et en dehors desdéfrichements, les essences guinéennes. comme Chlorophora regia,Parinari excelsa, Parkia biglobosa, Erythrophleum guinel2nse,Anisophyllea laurina (toujours très fréquente en taillis dans lesjachères interculturales). pouvaient constituer des boisementsimportants et donner une ombre appréciable. De plus, à cetteépoque, il existait probablement des lambeaux forestiers hygro­philes, plus étendus que de nos jours et dont nous ne connaissonsplus que de rares exemples relictuels. réfugiés surtout dans lesravins. Citons: Daniella thurife'ra, Klainedoxa ga.bonensis, Cana­rium Schweinfurthii, Piptadenia africana, Pycnanthus angolensis,Alstonia congensis, Antiaris africana, etc...• et on comprend queR. CAILLIË parle d'une « source ombragée par de grands arbres quisemblent élever leurs têtes majestueuses jusqu'aux nues». Uneexcellente photo, prise au début de ce siècle par H. POBÉGVIN,montre précisément un coin de la forêt de Bambaya tra,-ersée parR. CAILLIÉ.

Cependant, le long de cette route des caravanes et surtout auprèsdes campements de bergers, la végétation devait être dégradée parendroits et R. CAILLIÉ dut voir bien souvent aussi ce petit arbreépineux à jolies inflorescences bicolores que GUILLEMIN et PERROT­TET devaient lui dédier et que nous connaissons aujourd'hui sousle nom de Dichrostachys glomerata.

Page 10: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 7--

Faciès montagnard. En traversant le Fouta Djallon R. CAILLIÉn'a guère atteint qu'une altitude de 1000 m, suffisante cependantpour que les forêts comportent surtout « beaucoup d'arbres àcaura» (§43).

RÉGION SOUDANAISE. - Sur le versant oriental du Fouta Djalionle changement est brutal. R. CAILLIÉ ne reverra plus ni le Kourani la plupart des arbres de la région côtière. Ce n'est toutefoisqu'en arrivant dans la vallée du Tinkisso qu'il atteint la limiteoccidentale du Karité pour n'en quitter la limite septentrionalequ'aux abords de Djenné. Il est à remarquer que le Néré (Parkiabiglobosa et ses variétés) tout en s'étendant aussi loin vers le Nordque le Karité, le déborde largement vers l'Ouest et R. CAILLIÉ lesignalait depuis la côte (§ 44). Quant au Baobab, il en trouve lespremiers exemplaires à Saraya. En fait, cet élément soudanais,particulièrement voyant, est propagé par l'homme et gagne ainsisur ses limites naturelles.

Entre le Tinkisso et Kouroussa, R. CAILLIÉ nous dit qu' « Enavançant, la campagne continue d'être boisée, mais les arbres nesont ni aussi gros, ni aussi élevés que les précédents». Ceci corres­pond assez bien aux petites forêts sèches que nous connaissonsencore aujourd'hui dans cette région et où domine le MonotesKerstingii.

Lorsque, de Kankan, R. CAILLIÉ oblique vers le Sud-Est, il serapproche à nouveau de la Région guinéenne. A défaut de l'at­teindre il évoque, d'après les récits que lui font les villageois, cesrégions du Sud très humides, où le Cani (Xylopia aethiopica), leTaman (Pentadesma butyracea) et le Colatier, poussent en abon­dance.

Puis, dans sa route vers le Nord, R. CAILLIÉ traverse toute l'airedu Karité là où les peuplements sont les plus denses: « La cam­pagne que nous venions de parcourir était couverte de cés; ce n'é­tait qu'une forêt immense: c'est l'arbre qui domine dans toutecette partie ». Cependant, à mesure que se font sentir les influencessahéliennes, les épineux xérophiles, comme les Balanites, les Ju­jubiers et les Acacias, se mêlent aux Karités qui deviennent moinsnombreux.

R. CAILLIÉ -n'a pu voir disparaître ces deux espèces fidèles, leKarité et le Néré, qui agrémentaient sa route depuis Tiémé. SelonY. URVOY ("'), qui a tracé avec précision les limites de la végétatioQ

("') Matériaux pour une carte phytogéographique du Bassin Nigérien. Bull.Corn. Et. Hist. et Sdent., A.O.F., 21, 1938 : 174-176, une carte.

Page 11: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

~ 8--

dans cette région, c'est sensiblement à hauteur du confluent Bani­Niger que s'arrêtent ces deux espèces. En ce point notre voyageurnaviguait sur le fleuve et cette transition lui a échappé. Si bienqu'en arrivant à Tombouctou le paysage lui est apparu brusque­ment changé: il se trouvait aux portes du désert.

Domaine sahélien. En réalité, cette zone sahélienne à épineux,R. CAILLIÉ l'avait bien connue pour en avoir supporté les chaleurspendant son séjour en Mauritanie: c'est la zone exclusive desépineux et en particulier des Acacias.

Domaine saharien. La végétation du désert est d'une éloquentesimplicité. Un acacia (A. raddiana) le plus souvent réduit à demaigres buissons, le Cornulaca monacantha, le Salvadora persicaet quelques touffes d'Aristida, sont à peu près les seules plantes queR. CAILLIÉ ait pu observer au cours de ce long et pénible trajet.

RÉGION MÉDITERRANÉENNE. ~ Ce n'est qu'au-delà du 25° de lati­tude Nord que quelques misérables dattiers autour d'un puits an­noncent à R. CAILLIÉ que le désert ne sera plus aussi implacable:«Depuis si longtemps que je n'avais rien vu de pareil en fait devégétation, je me crus dans un des plus beaux pays du monde ».

(§ 148).

Domaine saharo-septentrional. En réalité le désert s'étend jus­qu'au pied de l'Atlas et les autres Eléments méditerranéens lesplus marquants aux yeux du voyageur, sont, comme le dattier, desplantes domestiques, le blé et l'orge cultivés dans les oasis que vi­vifient les eaux cachées sous le sable des ouadi; puis, plus au Nord,les premiers arbres fruitiers.

Domaine moghrebin montagnard. Le passage de R. CAILLIÉ autravers du Moyen-Atlas lui fera sentir en quelques étapes la brus­que transition entre le Domaine saharien du dattier et le Domaineméditerranéen de l'olivier. L'aubépine, l'églantier, le buis, accrochésaux pentes rocailleuses, sont autant d'arbrisseaux familiers qui luirappellent les haies de son bocage natal.

Domaine moghrebin atlantique. Enfin, parvenu sur l'autre ver­sant des monts, R. CAILLIÉ n'a plus guère d'observations à fairesur la végétation générale: la sécheresse désole les plaines, sontémoignage sur ces régions connues n'importe plus guère, le graveproblème de son rapatriement le préoccupe et son état d'épuise­ment est aux limites de l'effondrement.

Page 12: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 9--

Géographie agricole et alimentaire.

C'est en cette matière surtout que R. CAILLIÉ a montré ses excel­lentes facultés d'observateur. Bien que tourmenté dés son enfancepar les tentations de l'aventure, il n'en était pas moins imprégnéde la vie des paysans toujours préoccupés de labours, de récolteset des caprices du temps. II était, sur ce terrain, de plain-pied avecles villageois africains. Cette question des champs le touche per­sonnellement: nous le verrons s'indigner là de sarclages bâclés et seréjouir ailleurs «de voir ces bonnes gens se livrer au travail avectant d'ardeur et de soin» (§ 77).

Et plus tard, lorsque la réalisation même de ses rêves en aurabrisé l'enchantement, c'est comme travailleur de la terre qu'il re­viendra dans son pays natal.

II était également plus facile de suivre quelques dizaines au plusde plantes cultivées et de converser à leur sujet que d'enquêterouvertement sur la végétation spontanée. Enfin R. CAILLIÉ avait pufaire la connaissance de certaines d'entre elles, tant aux Antillesqu'à Saint-Louis et à Freetown.

Nous le verrons énumérer le riz au Rio-Numez (§ 41); le fonioau Fouta-Djallon et dans le Kankanais (§ 61) et il insiste très op­portunément sur l'importance de cette dernière petite céréale pourtoute cette région. Les ignames occupent l'aire méridionale duKarité et leur productivité diminue vers le Nord où elles recèdent laplace aux cultures des «mils» : sorgos et pénicillaires (§ 83, 105).C'est dans ces régions difficiles que l'on fait souvent appel auramassage de graines sauvages, comme le aze en Mau ritanie (§ 27).

R. CAILLIÉ ne manque jamais de décrire les modes alimentaires(§ 84). Dans tous les pays tropicaux les farines extraites des cé­réales se consomment cuites à l'eau, soit en bouillies claires, soit enpâtes plus épaisses; ou bien les grains décortiqués, ceux du riz etparfois du fonio, sont cuits entiers, à l'eau ou à la vapeur. Enfin,pour l'avoir éprouvée, R. CAILLIÉ fait bien sentir la précarité del'alimentation lactée chez les nomades de Mauritanie (§ 25).

La première culture qu'il rencontre au Nord du Sahara est celledu dattier, car il s'agit bien d'une culture avec toutes ses exigences.Puis, dans l'ombre de ces oasis s'organisent les petits jardins irri­gués où l'on trouve encore le péniciIIaire tropical, mais plus fré­quemment les céréales méditerranéennes: le blé et l'orge. Notrevoyageur montre bien la place prépondérante de la datte sèche dansl'alimentation des sédentaires et nomades rattachés aux grandespalmeraies du Sud de l'Atlas.

Puis ce sont brusquement les vergers et potagers qui cachentjalousement derrière leurs murs, la richesse de leurs arbres frui­tiers et de leurs melonnières (§ 161). Enfin, dans les plaines, des

Page 13: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-10-

-champs irrigués de maïs et de blé, sont les seules cultures que R.CAILLIÉ puisse voir en cette fin d'été.

Bien que recevant plus souvent la maigre part du «meskine»que convié aux repas des notables nous verrons au récit de notrevoyageur que l'alimentation est plus variée au Maroc qu'enAfrique noire. Les fruits et les légumes y entrent pour une partplus appréciable dans la composition des repas, tandis qu'enpays tropical les potages ont surtout pour rôle de faire avalerle plat de farineux. Enfin, si au Moghreb on consomme couram­ment semoule et gruau cuits à la vapeur pour le couscous, lafabrication du pain tend à se généraliser, depuis le fruste procédédu nomade qui cuit sa pâte sur une pierre chauffée de quelquesbrindilles, jusqu'à la panification normale (§ 150, 152).

En dehors des plantes céréalières et à tubercules, qui consti­tuent la base de l'alimentation, R. CAILLIÉ a également fait des-observations valables sur les autres cultures et produits ali­mentaires moins importants : oléagineux, textiles, tabac, etc...En ce qui concerne les oléagineux, par ex., il ne cite certes pastoutes les espèces des forêts guinéennes susceptibles de fournirdes matières grasses, mais il a relevé les plus utiles à l'homme:le palmier à huile (§ 38), le karité (§ 85) et le Penladesma (§ 86).

La question des boissons fermentées était intéressante à cette-époque, avant qu'elle n'ait subi d'influences extérieures. En Afriquecomme ailleurs les hommes attendent volontiers que la fermen­tation ait transformé en alcool le sucre des boissons qu'ils tirentde diverses provenances. Ainsi, pour la seule région du Rio Nunez,R. CAILLIÉ cite un fruit sucré, la sève d'un palmier et un tuber­cule, comme source de glucide fermentescible. Ailleurs c'est lemil malté qui sert à faire de la bière, ou encore le miel dont onfait de l'hydromel. Enfin, au Moghreb, on retrouve la vinification.

L'interdit islamique est plus ou moins observé par l'ensembledes populations. Les Nalous et Landamas «non soumis à la loidu Prophète» consomment ouvertement des boissons alcoolisées(§ 37); mais les Dialonkés du Baleya «boivent en secret» (§ 66);à Tengréla l'hôte musulman de R. CAILLIÉ transgresse la loi cora­nique et puise trop fréquemment dans la calebasse de bière (§ 96) ;enfin, les juifs du Moghreb préfèrent boire leur vin de ménageà l'insu de leurs voisins musulmans (§ 159). Par contre les jussucrés, comme le potârou (§ 43), ou le sirop de Kondou (§ 129)sont autorisés à l'état frais.

Les observations de R. CAILLIÉ sur les cotonniers forment untableau assez complet de la situation à cette époque. Ainsi il eutl'occasion de voir, en Mauritanie, un cotonnier spontané, etd'ailleurs inexploité, le Gossypium anomalum (§ 17); puis, dans

Page 14: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-11-

la vallée du Niger il remarqua un cotonnier herbacé annuel serapportant très probablement à une espèce archaïque, typique­ment africaine, le G. obtusifolium (§ 111); enfin, les cotonniersplus couramment cultivés, au Sénégal et ailleurs, devaient êtresoit des variétés du G. obtusifolium, soit des variétés introduitesanciennement des Indes par l'intérieur du Continent, soit enfindes cotonniers américains apportés avant les introductions offi­eielles de variétés améliorées.

Les plantes médicinales..

Ce n'est guère qu'au cours de son séjour chez les Braknas queR. CAILLIÉ acquit quelques renseignements sur la phytothérapielocale (§ 16). Ailleurs, là où la flore accordait infiniment plus deressources à la médecine populaire, il n'eut guère la possibilité des'informer. Par contre il possédait un certain sens de l'utilisationdes «simples ». S'il s'agissait parfois de recettes préalablementapprises, en d'autres cas il innovait manifestement et il lui arrivait« d'ordonner» des médicaments en se basant, par analogie, surles propriétés des plantes locales: ainsi les cataplasmes de pour­pier (§ 71), de feuilles de baobab (§ 82), Je gombo pectoral (§ 120),etc...

Les plantes magiques.

Moins encore que pour les plantes médicinales, il n'était pos­sible à R. CAILLI'É d'enquêter sur un sujet dont les initiés préfèrentgarder le secret. Au surplus il semblait peu intéressé par ce genrede question et le seul renseignement qu'il a recueilli est celui con­eernant l'emploi du tali comme poison d'épreuve. Et encore est-ilprobable que ce sont ses informateurs européens, commerçants àBoké, qui avaient attiré son attention sur cette pratique (§ 36).

Vintn>duction dies espèces cultivées.

Le voyage de R. CAILu'É ne plonge pas assez loin dans le passépour apporter des renseignements décisifs sur ce sujet, d'autantque les omissions du Journal ne correspondent pas nécessairementà des faits négatifs. Aussi attentif qu'il pouvait être, des renseigne­ments de cette nature n'étaient qu'accessoires aux yeux de l'auteurà une époque où on ne s'inquiétait guère de l'origine des plantescultivées. Enfin il n'était pas prévenu de certaines ressemblancestrompeuses, comme celle entre le Colocasia et le Xanthosoma etcelle entre le Voandzou africain et l'Arachide américaine.

Il est cependant une omission troublante: c'est celle de la tomate.Alors que la petite tomate cerise (Lycopersicum cerasiforme) -

Page 15: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 12-

qui ne serait d'ailleurs que la forme ancestrale et vivace du L. es­culentum --, existe aujourd'hui dans tous les jardins africains, ellen'est pas citée une seule fois par R. CAILLIÉ. A cette époque lesdeux espèces figuraient dans les jardins de Richard-Toll mais ilest très possible qu'elles n'étaient pas encore largement répanduesdans les campagnes. Bien que fort utile la tomate ne comblait pasdes besoins impératifs. Ainsi, dans nos campagnes, son usage nes'est répandu que récemment et R. CAILLIÉ n'en avait probablementjamais vue dans son pays natal mais il devait la connaître des An­tilles.

En ce qui concerne certains autres produits vivriers et condi­mentaires en provenance d'Amérique, beaucoup étaient déjà enplace et avaient atteint leurs limites écologiques: ainsi le Maïs queR. CAILLIÉ cite près de Djenné et qu'il retrouve au Maroc. Parcontre, après avoir cité le manioc (cassave) dans les jardins duFouta-Djallon (§ 49), il n'en parle plus sur la route de Tiémé àDjenné alors que c'est la seule culture qui pouvait se présenter surpied en saison sèche.

On voit, par ce bref aperçu, que si un botaniste se fut penché sur­Ies notes de R. CAILLIÉ avec la même conscience que JOMARD le fitpour les relevés de route, il lui eut été possible d'ajouter au Journalun chapitre très instructif pour l'époque et la région considérées.

La vérité est qu'alors la géographie des plantes n'était pas encoreacceptée comme corps de doctrine. Cela faisait trop peu d'annéesque HUMBOLDT en avait posé les principes et Alphonse de CANDOLLEn'avait pas encore écrit sa «Géographie botanique raisonnée », nison « Origine des Plantes Cultivées ».

C'est bien pour cela qu'en ce même temps la méconnaissance deséquivalences écologiques conduisait les autorités à vouloir intro­duire à Richard-Toli sur les bords du Sénégal, tout aussi bien lesplantes utiles de nos pays tempérés froids que celles des pays hu­mides. Ainsi, SCHMALTZ, qui fut par ailleurs un homme éminent,ne craint pas de dire en 1817 : «je pense que le cacaoyer, le giro­flier, la liane qui produit le poivre, n'y auraient pas moins de suc­cès. » Par la suite, malgré la compétence plus éclairée du gouver­neur ROGER et du jardinier RICHARD, ces mêmes errements se pour­suivirent encore longtemps (>'). On prétendait y produire concur­remment et les denrées exotiques nécessaires aux importations dela métropole et les denrées d'Europe nécessaires aux besoins descolons que l'on espérait voir s'installer définitivement dans leOuallo.

(>') RICHARD. - Catalogue des plantes cultivées au Sénégal dans le jardindu gouvernement à Richard-Toll. Ann. Marit. et Col. 19, 1828-1 : 435-456. Re­publié par les soins de :

Th. MONOD. - Bull. I.F.A ..V. 1951 : 1281-1298.

Page 16: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

PRELUDE

Voyage au Bondou ci la rencontre du Major GrGY

5 février-1ü juin 1819

« On me pardonnera d'entrer dans ces détails, lesseuls qui aient pû se graver dans la mémoire d'untout jeune homme, voyageant moins pour observerque pour chercher des aventures.»

René CAILLIÉ

Page 17: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 14-

De Gandiolle à Bakel à travera le Djolof et le Ferlo..

A son deuxième voyage au Sénégal, R. CAILLIÉ n'a encore que 19 ans.Les relations de Mungo PARI<, qu'il a lues pendant son bref séjour à laGuadeloupe, l'ont certainement éclairé sur les réelles dUficultés de l'ex­ploration africaine mais ne l'ont point découragé:

«Tout semble possible à mon esprit aventureux, et le hasardparut servir mes desseins.»

Il put effectivement se joindre à une petite caravane conduite parA. PARTARRlEU qui, de Saint-Louis devait rejoindre le Major GRAY, dontl'expédition, partie de la Gambie, n'avait pu dépasser le Bondou.

« La caravane, de soixante à soixante-dix hommes et de trente­deux chameaux richement chargés », devait traverser le désert duFerlo.

L'itinéraire suivi l'année précédente par MOLLIEN évitait cette ré­gion inhospitalière. Ce jeune voyageur était passé par le Fouta Toro,puis il avait suivi la vallée du Sénégal, traversé le Bondou et, marchantau Sud, il avait parcouru le Fouta-Djallon et atteint Timbo, rccoupantainsi les sources de la Gambie et du Sénégal.

Le Ferlo se situe au centre de la boucle que forment le Sénégal et laGambie. Cettc contrée correspond à une vallée morte, orientée vers leNord-Ouest où elle débouche sur le lac de Nguiers vestibc de son estuaire.Les pluics ne sont plus suffisantes pour en animer l'écoulpment ct seulsquelques mares et autres points d'eau en jalonnent le cours. Partoutailleurs la grande profondeur de la nappe phréatique a découragé lesinstallations humaines permanentes et ce n'est que de cc point de vueque le Ferlo est un désert, car des forêts sèches, précisément épargnéespar l'abscnce de défricheurs, y subsisten t. M2lgré cette végétation etles quelques fruits qu'elle peut offrir, le voyageur imprévoyant peuty périr de soif, car la température et l'évaporation y sont intenses aucours de la saison sèche. C'est exactement à cette pénible époque del'année que Il' jeune R. CAILLIÉ fit son apprentissage d'explorateur, alorsque les arbres sont dénudés, les eaux taries et la chaleur insupportable.A l'ct âge et livré à lui-même il n'avait pas encore compris la nécessitéde faire œuvre scien tiflque, et il avouera plus tard dans son Journal,au souvenir de ses souffrances qu'il voyageait

« Moins pour observer que pour chercher des aventures. »

On a donc peu à attendre de ses remarques sur la végétation au coursde ce premier voyage. Cependant, un incident qu'il rapporte concerneprobablement un problème de botanique qui n'est cneore qu'imparfaite­ment résolu aujourd'hui.

§ 1. lA traversée du Ferla. Nous partîmes, le 5 février 1819,de Gandiolle, village du royaume de Cayor, situé à peu de dis­tance du Sénégal... Arrivés sur les frontières du Cayor, nous trou­v[',mes un désert qui le sépare du Ghiolof... Peu de temps s'étaitécoulé que nous regrettions déjà la généreuse hospitalité desGhiolofs. En quittant leur pays, nous entrâmes dans un désert,

Page 18: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 15-

où pendant cinq jours de marche, nous fûmes exposés à mille·maux. Nos chameaux étaient si chargés de marchandises, quenous n'avions pû emporter qu'une très petite quantité d'eau.

Je fus quelquefois à l'extrémité; car, n'ayant pas de monture,j'étais obligé de suivre à pied: on m'a dit, depuis, que j'avais lesyeux hagards, que j'étais haletant, que ma langue pendait horsde ma bouche, pour moi, je me rappelle qu'à chaque halte, je tom­bais par terre, sans force et n'ayant pas même le courage de man­ger. A la fin, mes souffrances excitèrent la pitié de tous, et M. PAR­

TARIEU eut la bonté de partager avec moi sa portion d'eau, ainsiqu'un fruit qu'il avait trouvé. Ce fruit ressemble à la pomme deterre; la pulpe en est blanche et d'une saveur agréable: depuis.nous en trouvâmes beaucoup; ils nous furent d'un grand secours ..

Un matelot, après avoir inutilement employé tous les moyenspour apaiser sa soif s'étant mis à chercher des fruits, fut trompépar la ressemblance avec celui que m'avait donné M. PARTARIEU;

il en mangea un qui lui mit la bouche en feu, comme si c'eût étédu piment: aux envies de vomir, et aux tranchées qu'il éprouva,.on le crut empoisonné; chacun s'empressa de prendre sur sa partpour lui apporter à boire; mais il parut soulagé si promptement,que j'ai pensé depuis que cette maladie n'était qu'une feinte pour·intéresser et se procurer un peu plus d'eau.

§ 2. Le bon et le mDuvœ. Détar. D'abord quel est ce fruit que lecompatissant A. PARTARJEU donna à R. CAILLIÉ pour lui permettre d'a­paiser sa soif? Th. MONOD, reprenant la phrase du Journal: « Ce fruitressemble à une pomme de terre· », ajoute: «évidemment le Parinarimacrophyllum ». En effet, la peau de cc fruit est brunâtre et rugueusecomme celle d'une pomme de terre et la chair en est plutôt farineuse.A son propos le R. P. SÉBIRE nous dit : «on a appelé aussi Pomme duCayor le fruit du Néou, farineux et assez bon quand il est bien mûr.»C'est une espèce casamancienne, largement étendue de la Guinée à laCasamance, puis qui se resserre sur la côte plus au Nord, où elle atteint lefleuve Sénégal. Nous verrons plus loin que R. CAILLIÉ la signale dans leOuallo sous le nom de Parinarius senegalensis (§ 5). Mais son existencevers l'Est, dans la contrée atteinte par la caravane épuisée, est moinsprobable. Selon J. TROC HAIN et Ao AUBRÉVILLE, le Parinari à grossesfeuilles, dont ils donnent l'aire d'extension, ne s'étendrait pas jusqu'auFerlo. Go ROBERTY précise même que, vers l'Ouest, «L'apparition duNéou marque la fin du Ferloo.. » ("'). On peut donc se demander si c'estbien le Parinari qui soulagea les maux de R. CAILLIÉ, car il ne manquepoint d'espèces dont le fruit comestible peut correspondre à la des­cription faite de mémoire bien longtemps après les faits.

La mésaventure du matelot altéré laisse supposer que le mauvais.fruit, qui lui valut des désagréments, et les bons fruits qui rafraîchirent

("') La végétation du Ferla. Bull. loF.A.N., 14, 1952 : 777-798.

Page 19: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 16-

la caravane, étaient, l'un et les autres, ceux d'un Detarium dont il existedeux espèces au Sénégal: 1°) Le Dan (D. microcarpum) , dont l'aire s'é­tend profondément au centre du continent et que R. CAILLIÉ retrouveraplus tard sur la route de Djenné (§ 101). C'est un arbuste dont les fruits,relativement petits et sucrés, sont toujours comestibles. 2°) Le Détar(D. senegalense) , dont l'aire plus restreinte s'étend plutôt vers le Sud,dans la zone forestière humide. C'est un arbre plus élevé, aux fruits plusgros. Il en existe deux variétés: l'une dont les fruits sont comestibles,l'autre dont les fruits sont toxiques, sans que l'on puisse les discernerl'une de l'autre quant à leur aspect et autres caractères botaniques. Lanomenclature de ces Detarium a été éclaircie par A. AUBRÉVIJ.LE et J.TROCHAIN (o'J') et leurs propriétés chimiques étudiées par PARIS, MOYSE etMIGNON (Mo), qui ont trouvé, dans les fruits toxiques, un principe amerpeu dangereux mais agissant toutefois sur le système nerveux. Cela cor­respondrait assez bien avec les troubles éprouvés par le malheureuxmatelot que R. CAILLIÉ soupçonna peut-être injustement de simulation.

S. PERROTTET, qui connaissait bien les Detarium et à qui l'on doit la·distinction du D. microcarpum, ne se devait-il pas, en bon botanistequ'il était, d'éprouver lui-même les effets présumés de la variété toxiquedu D. senegalense? C'est ce qu'il fit en 1825, alors qu'il explorait la Ca­samance : « Le Detarium senegalensis et la variété, connue en Sénégam­bie, sous le nom de niey-patakh, étaient également communs... ces deuxarbres étaient chargés de fruits remarquables par leur grosseur; le niey­pata:kh en était tellement garni, que ses rameaux ployaient sous le poids.La terre, au-dessous en était jonchée, tandis qu'on n'en trouvait jamaisun seul sous le vrai pata:kh ou Detarium senegalensis. Pour s'expliquerce singulier phénomène, il faut savoir que le fruit du niey-patakh passedans le pays pour être vénéneux et même pour un poison mortel.Comme aucun caractère extérieur ne fait distinguer ces fruits de celuidu Detarium senegalensis, il faut que celui qui les rencontre, pour lapremière fois, les goûte nécessairement s'il veut en connaître la diffé­rence. Il paraît que les singes, en général si friands et si voraces desfruits de toutes sortes, reconnaissent celui du niey-patakh et passentà côté sans même l'effieurer, tandis que celui du Detarium senegalensis,dont ils se nourrissent presque exclusivement, est dévoré dès qu'il aatteint son degré de maturité, tant par eux que par les nègres qui lemangent aussi avec plaisir à cette époque.

Le peu de confiance que m'inspirait l'opinion des nègres sur le fruitde ce Detarium m'engagea à vérifier leur assertion. Je goûtai donc, non.sans quelques précautions, quelques-uns de ces fruits choisis parmi lesplus mûrs. Je ne tardai pas à éprouver, sur tout le palais, après avoirmâché légèrement l'espèce de pulpe farineuse qui le remplit, un goûtd'amertume et de causticité très désagréable: il se prolongea pendantplus de deux heures. Je n'essayai pas, comme on le pense bien, d'avaler·cette pulpe, quoique, dans mon opinion, je ne croie point qu'elle soitréellement vénéneuse ».

Lorsque la caravane eut rejoint la route des puits l'optimisme renaît :·c'est l'assurance de pouvoir se ravitailler plus facilement en eau et derencontrer plus souvent des villages.

(o'J') Le genre Detarium en A.O.F. Bull. Soc. bot. France, 84, 1937 : 487-494.('J"J') Sur une légumineuse de l'A.O.F. réputée toxique. Ann. Pharm. franç.

'1947.

Page 20: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 1. - LI' Bnohah (Adansollia digitata, § 65). Arbre en fruits, la basedu tronc, plus claire, correspond à la zone écorcée pour faire des cordes;extrémité d'un rameau portant une feuille et une fleur longuement pé­donculée; en bas, un fruit dont l'extrémité brisée montre les graines dansla pulpe fibreuse.

Page 21: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 18

R. CAILLIÉ note, pour la première fois, l'usage alimentaire ùu fruitde Baobab:

« Enfin nous arrivâmes à Boulibala, village habité par des fou­lahs pasteurs, qui passent une partie de l'année dans les bois. et nese nourrissent que de lait assaisonné du fruit du baobab» (§ 109).

§ 3. Le pays du Bondo,u. Sans faire d'observations précises, R.C.... 1LLlÉ se montre sensible au paysage botanique:

« Les précautions que nous avions prises pour ne pas manquerd'eau rassuraient nos esprits. Le pays nous parut généralementbeau; nous voyions avec admiration des arbres d'une grande éléva­tion, d'un feuillage touffu, couverts d'oiseaux de diverses espècesqui, par leur ramage, animaient ces solitudes. Ce fut sans douteaux sensations agréables que nous fit éprouver ce spectacle, quenous dûmes en partie l'oubli de nos fatigues ... »

Cet enthousiasme peut paraître exagéré. En fait R. C.ULLIÉ était arri­vé dans le Bondou - nous dirions aujourd'hui dans la région de laFalémé qui est un affiuent du Sénégal -, où les essences de forêt sèche,en particulier près des points d'cau, peuvent atteindre de belles dimen­sions. Ainsi, des boisements à Cordyla pinnata, à Celtis integrifolia, ctsurtout à Anogeissus leiocarpus au feuillage frais ct léger, et aussi desFicus ùivers recherchés par les perruches bavardes et gourmandes defigues, pouvaient effectivement impressionner agréablement des voya­geurs qui venaient de traverser le Ferlo.

Malgré le secours des marchandises, apportées par A. PART.\RlEU, lemajor GRAY n'eut pas davantage de succès auprès des autorités localesqui le refoulèrent vers le Fouta-Toro, au Nord-Ouest, plutôt que de lelaisser poursuivre vers l'Est. Le 10 juin 1819, après diverses péripétieset abandon des gros bagages, la colonne finit par se réfugier à Bakel,sur le Sénégal, où se trouvait une garnison française.

« La saison des pluies, dans laquelle nous entrions, me fut aussifuneste qu'aux autres; j'eus la fièvre: elle prit bientôt un carac­tère si alarmant, que je quittai l'expédition, et m'embarquai surle Sénégal pour descendre à Saint-Louis. J'avais espéré me rétablirdans cette ville, par les secours de la médecine et sous l'influenced'un meilleur climat; mais mon mal était si vif, que ma conva­lescence fut longue et pénible. Pour me rétablir tout-à-fait, je nevis d'autre moyen que de retourner en France, et je partis pourLorient. »

Page 22: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

NOVICIAT

Chez lu Marabouts Braknas de Mauri,fanie

3 août 1824-11 mai 1825

« Le soir, on aperçut la nouvelle lune; c'était celledu ramadan: le carême allait commencer.... Le ventd'Est souillait avec force; la chaleur augmentait; masoif était insupportable: j'avais la gorge desséchée;ma langue aride et gercée me faisait l'effet d'une râpedans la bouche; je crus que je succomberais. Je nesouffrais pas seul; tout le monde autour de moi en­durait les mêmes tourments. »

René CAILLIÉ

Page 23: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 20-

En route pour l'Escale du Coq.

Depuis les rudes épreuves oc l'expédition GRAY, cinq :ms sont passésuu cours <lesquels R. CAILLIÉ, employé dl' commerce mais toujOUI'S préoc­cupé par l'exploration dl' l'Afrique, eut tout loisir d'analyser les causesd'insuccès de ses devanciers. La conviction que la réussite appartien­drait à un voyageur solitaire et non à de puissantes expéditions, ranimaitson ambition: mieux que d'être un des memhres suhalternt's d'une mis­sion officielle, il triompherait seul.

En 1824, je revins au Sénégal pour tenter fortune avec une petitepacotille... Je n'ai pas besoin de dire qu'au fond du cœur je nourri­sais toujours mon projet de visiter l'intérieur de l'Afrique; il sem­blait qu'aucun obstacle ne pouvait plus m'arrêter, en voyant sur­tout à la tête de la colonie M. le haron ROGER, dont la philanthropieet l'esprit éclairé me promettaient un protecteur de toutes les entre­prises grandes et uti les.

Je lui demandai donc l'autorisation de voyager dans l'intérieur,aYl'C l'appui et sous les auspices du gouvernement du Roi: maisM. ROGER avec une bonté extrême, chercha à refroidir mon zèle.

J'insistai pour partir, et j'ajoutai que, si le gouvernement n'ac­cueillait pas mes oifres, je voyagerais plutôt avec mes seuls moyens.Cette détermination fit impression sur l'esprit du gouverneur, quim'accorda quelques marchandises pour aller vivre chez les Brak­nas y apprendre la langue arabe et les pratiques du culte desMaures, afin de parvenir plus tard à pénétrer plus facilement dansl'intérieur de l'Afrique.

R. C.\ILLlÉ avait alors Yingt-quatre ans.

§ 4. La campagne du Ouallo en été. Le mardi a aoÎlt 1824, àquatre heures du soir, je partis de Saint-Louis, accompagné dedeux hommes et d'une femme, tous trois habitants de N'pûl.

Nous arrivâmes à Gandon à dix heures du matin; ...La campagnela plus riante s'offrit à nos regards; je vis beaucoup de champs decotons, que les nègres cultivent avec succès; l'indigo y croît sansculture; on trouve peu de mil aux environs du village .....Te me re­posai environ une heure; puis, me dirigeant à l'Est, je pris seul laroute de N'ghiez. Entre ces deux villages, le voyageur attentif àsaisir les beautés de la nature reste comme en extase à la vue desgroupes de verdure répandus dans la plaine. On voit des mimosasdont les rameaux vigoureux soutiennent les tiges grêles et flexiblesdes asclepias et de différentes espèces de cynanchus qui, après avoiratteint leur sommet retombent en s'entrelaçant en guirlandes,et, par la diversité de leurs Heurs, sont d'un effet admirahle. Sou­vent elles se rencontrent avec d'autres plantes: ces tiges s'em-

Page 24: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 21-

brassent, s'unissent étroitement par les replis tortueux de leursnombreux rameaux, et forment une voûte aérienne, à travers la­quelle l'œil plonge pour apercevoir dans le lointain d'autres groupes,quelquefois bizarres, mais toujours merveilleux. La plaine est cou­verte d'un tapis de verdure dont l'aimable uniformité est rompuepar de nombreux arbrisseaux, tous différemment décorés par lesplantes grimpantes qui croissent autour.

§ 5. Le NéO'U. Le parinarius senegalensis, (exactement Parinarimacrophylla, Sab.) très répandu dans la plaine, vient encore em­bellir la scène, et rendre le spectacle plus intéressant pour le voya­geur qui se repose à l'ombre de son épais feuillage (§ 2) ("").

Ces plaines charmantes sont coupées de marécages dans lesquelscroissent une infinité de plantes aquatiques; la route passant àtravers ces marécages, j'avais de l'eau jusqu'aux genoux. J'arrivaià N'ghiez vers une heure après-midi: je ne m'y reposai qu'un ins­tant; puis, me dirigeant à l'Est, je traversai quelques champs demil; ensuite la route me conduisit dans une plaine déserte, assezriche en végétation, et j'arrivai à N'pâl au coucher du soleil, bienfatigué du chemin que je venais de faire pieds nus et portant monbagage sur la tête.

§ 6. Repos bien employé à N'pâl. La détermination de R. CAILLIÉest étonnante. Cela ne le dérange point d'avancer seul, sans guide, surle chemin qui doit le conduire chez les Braknas, mais encore il profitedu moindre repos pour étendre ses connaissances du pays. On pourraitcroire, qu'après la fatigue des étapes précédentes, il va passer la jour­née à l'ombre d'une véranda? Pas du tout, le voilà parti dans les champs,visiter les cultures, bavarder avec les villageois, discuter de leurs tra­vaux. C'est l'intérêt non affecté, la familiarité sincère, qu'il apportaitdans ses rapports avec les populations, qui devaient lui gagner partoutla sympathie.

Le 5, je séjournai. J'employai le jour à visiter les environs duvillage, situé dans une belle position, au milieu d'une plaine im­mense, fertilisée par les pluies du tropique.

Placé entre le pays de Cayor et celui de Ouâlo, ce village, entière­ment indépendant, est gouverné par un marabout qui en est lesouverain maître. Ce chef perçoit des impôts sur le mil, qui luisont payés en nature lors de la récolte, et qui consistent dans ladixième partie. Les habitants récoltent abondamment tout ce quipeut suffire à leurs besoins. Les hommes s'occupent de la culturede leurs champs pendant la saison des pluies, et des défrichements

("") Non seulement la pulpe est comestible mais également les graines. logéesà l'intérieur d'une coque dure et enveloppées de poils. On peut en extraire unehuile siccative inférieure toutefois à celle d'Abrasin. Voir: SOSA (A.), Surl'huile siccative de Parinarium macrophy/lum Sab., Rev. Bot. A.ppl., 1945: 19-24.

Page 25: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 22-

nécessaires à la nouvelle récolte pendant la saison de sécheresse;les femmes sont chargées des soins du ménage; elles filent le coton;quelques-unes teignent des pagnes en bleu avec l'indigo que le paysleur fournit presque sans cultures.

§ 7. R. Caillié pédologue. Notre intrépide voyageur n'est pas seu­lement intéressé par les cultures qu'il traverse ct les façons culturalesqu'il voit pratiquer. Son remarquable sens de l'observation le conduità distinguer les différents sols du Ouallo dont la texture varie selon qu'ilssont diversement recouverts par les crues ou hors de leurs atteintes. Cestypes de sols sont si parfaitement définis et si exactement dénomméspar les cultivateurs wolofs ct autres que ces termes ont toujours étéemployés par les agronomes et pédologues. Ils sont à la base d'une clas­sification qui était déjà adoptée par J. LEMMET ct M. SCORDEL dans leurContribution à l'étude agrologique de la Vallée du Bas-Sénégal ("'). Denos jours, S. BOUYER nous en donne un tableau complet dans sa « Con­tribution à l'Etude des sols du Sénégal ("""), et des cartes détaillées ontété dressées par le Service pédologique de l'O.R.S.T.O.M.

Il est à rappeler que déjà, à cette époque, les sols du Ouallo avaientfait l'objet d'études chimiques en métropole. Des échantillons recueillispar le directeur de la Station agricole de Richard-Toll, furent analyséspar un chimiste du Muséum de Paris, M. LAUGlER ('-"'), qui conclut queles terres de bas-fond avaient les mêmes qualités qu'une bonne terrefranche de la région parisienne et pouvaient porter des cultures de céré­ales, tandis que les sols sablonneux ne pouvaien t convenir qu'à des cul­tures arbustives peu exigeantes.

A plusieurs reprises R. CAILLIÉ s'étonnera et regrettera précisémentde voir que les terres fortes, des types « fondé» et « ban », sont laisséesincultes au profit des sols sableux, du type « diéri », apparemment moinsfertiles. Il ignorait que les « fondés» peuvent être soumis à des cruesimprévisibles et que le manque de moyens aratoires rendait leur travaildi.fficile. Ultérieurement, au cours de son voyage proprement dit, il no­tera régulièrement sur son Journal l'aspect, ou la nature, des sols traver­sés. Mais ce ne sont, le plus souvent, que des descriptions sommaires,servant surtout à authentifier son itinéraire.

Comme je l'ai déjà dit, la plaine que traverse la route de N'ghiezà N'pâl n'est pas cultivée, quoique le terrain soit susceptible d'unegrande fertilité. Les bois sont composés principalement de mimosaset la nombreuse quantité de gramen qui couvre le terrain y attireabondamment du gibier de toute espèce. Le sol des environs deN'pâl est de deux natures : on y remarque des bas-fonds où l'eaudes pluies séjourne, ce qui les rend bien sU{lérieurs au reEle de laplaine; ils sont composés de sable noir, engraissé par le limon quedépose cette eau, el par les résidus des ':égétaux qui y pourrissent;ce sont les terrains les plus productifs. L'autre partie du sol, quoi­que de moindre qualité, est très fertile; elle renferme des champs

("') Bull. Corn. Etude hist. & scient., A.O.F., 1918 : 17-56.( ) Conf. Afric. des Sols, Goma 1948.( ) Mém. Mus. Hist. Nat., 10, 1823 : 398-404.

Page 26: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 23-

d'une étendue considérable, eultivés avec le plus grand soin; ...Leshabitants recueillent ahondamment du mil, du coton, des pas­tèques, et une sorte de haricots dont ils font une grande consom­mation (§ 8). Ils ont des troupeaux de bœufs, de moutons, dechèvres; ils élèvent beaucoup de volaille, des canards sauvages etdomestiques, des pintades, et plusieurs sortes de gibier, dont ilsramassent les petits dans les champs.

Chez les Braknas, R. CAILLIÉ suivra pendant quelques jours le groupedu Marabout MOHAMMED-SIDy-MoCTAR qui, avec son troupeau, se dirigevers le lac Aleg en suivant les pâturages et les points d'eaU.

Le 6 novembre, on leva le camp ; en suivant toujours les bordsdu ruisseau, où les pâturages sont abondants.

Les terrains qui environnent el-Hadjar sont partout de trèsbonne qualité, couverts d'une riche végétation. Le débordement pé­riodique du ruis,seau y dépose un limon qui les fertilise, et ils sontencore engraissés par le séjour des nombreux troupeaux que lespâturages y attirent. Cette terre vierge n'attend que la main du cul­tivateur pour produire en abondance toutes plantes qu'on voudraity cultiver. A une demi-lieue de ses bords, la nature du terrainchange; le sol de"ient ferrugineux; on ne voit de végétati.on quesur de petits îlots de sable jaune, fort dur, où les pluies font ger­mer quelques graminées.

§ 8. Le Niébé. (Vigna unguiculala Walp.). Le « haricot» du Ouallodont parle R. CAILLIÉ est un Vigna. C'est une plante d'origine africainedont il existe de nombreuses variétés cultivées et des espèces spontanéesvoisines. Les graines farineuses constituent un excellent légume; lesgousses sont parfois consommées en « haricot vert» et les feuilles uti­lisées comme brèdes dans les sauces. Certaines variétés fournissent uneexcellente fibre extraite du pédoncule qui soutient les deux gousses.« Les noirs - dit SÉBIRE -, et surtout les Sérères, sèment ce haricot dansleurs champs de petit mil vers la fin de l'hivernage. Quand le mil estmûr, ils abattent les tiges sur lesquelles viennent grimper les haricots.Les rosées qui suivent l'hivernage suffisent pour faire fleurir et fructifierles gnébés ».

§ 9. Arrivée et séjour Ci Richard·Toli. Par des chemins toujourscouverts de bois, R. CAILLIÉ atteint Mérima et, la nuit, profitant du départde deux guides, il poursuit jusqu'à MalI village établi sur la bordure oc­cidentale du lac de Nguier :

Une heure avant d'arriver au village, nous entrâmes dans detrès beaux champs Le mil, que nous aperçumes à la faveur de lalune.

Epuisé par la fatigue, les pieds blessés par les épines il séjourne àMailles 11 et 12 août, où il reçoit les soins compatissants d'un bon vieuxmarahout. Il atteint Neyré le 13 et Richard-Toll le 14. Il avait donc misonze jours pour eff,ectuer le trajet depuis Saint-Louis en suivant toute labordure occidentale du lac de Nguier.

Page 27: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

24 -

On pourrait s'étonner de cc que R. C.\ILLlÉ ait emprunté cet itinéraireplutôt que de profiter d'une embarcation qui aurait remonté le Sénégal.En fait, remonter le fleuve à la voile n'était pas toujours une entreprisede tout repos: ADAN SON nous explique que « comme les vents nous man­quaient, les laptots furent obligés de haler le bâtiment à la cordelle» (~).

Et selon PERROTTET: «Pendant plusieurs jours consécutifs, nous nepûmes avancer, à cause de la force du vent, qu'en touant le navire d'unpoint à un autre. Nous arrivâmes enfin à Richard-ToU le 20 avril 1825...Pour effectuer ce trajet qui est de quarante lieues au plus, nous avionsemployé neuf jours» ('1'-'1').

R. CAILLIÉ est muet sur cc premier séjour qu'il fit à Richard-Toll. Pre­nait-il déjà ses distances vis-à-vis de ses compatriotes pour mieux accré­diter, auprès des Maures qui pouvaient l'observer, son projet de conver­sion? Ou bien n'a-t-il pas cru faire état dans son Journal d'instructionsreçues des jardiniers-botanistes de la Station afin qu'il rapporte dessemences ct autres échantillons botaniques de Mauritanie.

Voyages en Mauritanie avec les nomades.

Apri's avoir remonté le fleuve jusqu'à Podor en bateau, R. CAILLIÉ re­descend de deux milles, jusqu'à « l'escale du Coq », le mouillage habi­tuel où se font les relations avec les Maures. Là il traverse le fleuve: levoici l'hôte des Braknas.

§ 10. Le gOlUl:kié (Acacia scorpioides var. pubescens). Les marestemporaires qui avoisinent le fleuve, autorisent les dernières formationsligneuses denses de la zone prédésertique. L'essence caractéristique estl'Acacia scorpioides, remarquable par son tronc noir et ses gousses moni­liformes (§ 22).

Notre route traversait un terrain argileux, noir, et engraissépar les débris des végétaux qui le couvrent, de grands mimosasforment une futaie épaisse, sous laquelle croît en quantité le Zizy­phus lotus (§ 30). Ce sol serait susceptible de la plus grande ferti­lité s'il était cultivé.

§ 11. Les d.unes m,ort·es. En s'éloignant du fleuve, R. C.m.LIÉ arrivedans la zone des dunes aujourd'hui fixées par la végétation. Végétationherbacée et saisonnière sur le flanc des dunes c1les-mêmes, arbustive etpermanente dans les creux. A l'époque du voyage c'est la saison dcspluies:

Le 2 septembre, à cinq heures du matin, nous nous mîmes enmarche. Notre chemin traversait un pays agréable: le terrain, en­trecoupé de coteaux couverts de verdure, présentait, avec ses nom­breuses vallées riches en végétation, un aspect du plus bel effeL

("') Voyage au Sénégal, 1757.("'~) Voyage de Saint-Louis à Podor en remontant le fleuve (Souuelles An­

nales des Voyages, 1830).

Page 28: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 25-

Le 8 septembre, nous partîmes pour le camp du roi. Nous mar­chions au Nord-Est; des roches ferrugineuses s'élevaient dans toutela plaine: on trouve par intervalles de petites îles de sable remar­quables par leur verdure; elles sont cultivées par les Maures qui ycultivent du mil. Je vis quelques esclaves occupés à sarcler; ils seservaient d'un instrument de la forme d'une raclette de ramoneur,ayant un manche d'un pied de long; ils se tenaient à genoux pourtravailler.

§ 12. L'Anone du Sénégal. (Annona senegalensis). Ayant re­pris notre route, nous trouvâmes un terrain solide, couvert de pe­tits cailloux d'un rouge brillant, qui incommodaient beaucoupnotre marche. Nous aperçûmes plusieurs mares; j'en remarquaiune sur les bords de laquelle étaient six baobabs d'une grosseurprodigieuse. Le soir, nous avions été plus heureux que le matin;car l'eau ne manqua pas, et nous trouvâmes en quantité une planteque je pris pour une anone, haute d'un pied, d'un feuillage trèsvert: son fruit est gros comme un .œuf de pigeon, et renferme plu­sieurs semences; la pulpe, légèrement acide, est très bonne à man­ger. Les Maures se jetèrent sur ces fruits, et les dévorèrent; je lesimitai, et m'en trouvai très bien: ils rafraichissent et désaltèrentparfaitement.

§ 13. Les lruits de Grewïa. Plusieurs espèces de ce genre sont con­nues en Mauritanie: G. t1aveseens, G. vil/osa, G. tenax (= betlllifolia),G. bieolor, ct fournissent des fruits qui n'intéressent que les enfants etles voyageurs nécessiteux. L'espèce que rencontrait R. CAILLIÉ est pro­bablement G. bieolor. Ces plantes, comme beaucoup d'autres Tiliacées,ont une écorce fibreuse utilisée par les populations pour fabriquer descordes et des liens.

Le 3 septembre, à cinq heures, no"s nous mîmes en route. Pen­dant la journée, la chaleur fut excessive; elle était encore augmen­tée par un vent d'Est brûlant. Ma soif était insupportable; lorsquej'apercevais un groupe d'arbres, j'y courais, croyant trouver del'eau, mais inutilement; j'aurais infailliblement succombé, si jen'eusse rencontré sur le chemin beaucoup de grewia, dont le fruitjaune, de la grosseur d'un pois, est très glutineux: quoiqu'il soitpeu agréable au goût, j'en mâchais constamment, ce qui me soula­gea beaucoup.

§ 14. Le cram-cram (Cenchrus biflorus). R. CAILLIÉ eut souvent àsouffrir de cette herbe détestable. Les Cenchrlls comptent plusieurs es­pèces, toujours des régions sèches, caractérisées par des glomérules desoies qui entourent la semence. A maturité ces glomérules tombent ausol, s'accrochent aux vêtements, aux toisons, etc. Ceux du C. biflorlls sontparticulièrement piquants, barbelés, et pénètrent dans la peau. Ce n'est

Page 29: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 26 -

qu'exceptionnellement que cette espèce est récoltée pour la consom­mation.

Nous avions fait neuf milles dans notre matinée. A trois heureson fit la prière, et nous continuâmes notre route.... sur un terrainassez gras couvert de Zizyphus lotus (§ 78) et d'une espèce de gra­minée dont les graines hérissées de piquants s'attachent aux habitset entrent dans les chairs; j'en avais les pieds remplis, et je ressen­tais des douleurs cuisantes. Cette plante croît abondamment dansles terres sablonneuses; elle est nommée khakhame par les nègresdu Sénégal. Il n'est personne qui n'ait visité les environs de ce fleuvesans en avoir été cruellement incommodé. Cependant la fatigue mefit oublier mes souffrances, et je m'endormis profondément.

R. CAILLIÉ PHYTOTHÉRAPEUTE. Au cours de son long voyage, R. CAILLIÉn'a guère eu l'occasion de signaler les simples qu'emploient les popula­tions en soulagement de leurs maux. Cela tient à ce que, sans être préci­sément celées. ces pratiques sont moins évidentes pour le voyageur queles usages alimentaires et aussi à ce que la pharmacopée populaire used'espèces très variées que R. CAILLIÉ ne pouvait connaître. On ne peutqu'en admirer davantage la maitrise dont il fit preuve en ordonnant le<' basilic» au roi HAMET-Dou.

§ 15. Le basilic (Ocimum americanum L.). Il fallait qu'il soit biensûr de ses connaissances, car il devait savoir qu'il ne pouvait risquer lavie du roi sans mettre la sienne en péril. Th. MONOD pense que le Basilicde R. CAILLIÉ était un Ocimum. Cela est, en effet, très probable ct on peutmême avancer qu'il s'agissait de l'Ocimum americanum L., le Ngoun­goune des 'Wolofs, assez répandu en Mauritanie méridionale ,ct bienconnu pour ses qualités fébrifuges.

Le 16 septembre, le roi fut indisposé; il me fit venir auprès delui, et me demanda si je connaissais quelques plantes qui pussentlui procurer du soulagement. Je lui promis de faire un tour dansla campagne pour en chercher: en effet, je parcourus la plaine, etj'y trouvai beaucoup de basilic, plante qui croît spontanément dansun terrain gras; je recueillis aussi beaucoup de graines que je ca­chai avec soin dans un coin de ma pagne? Je rentrai, et je donnaidu basilic au roi, en lui recommandant d'en faire du thé; il en butet s'en trouva bien. La propriété de cette plante était tout à faitinconnue aux Maures; aussi cette grande nouvelle fit-elle beaucoupde bruit dans le camp. Tous les princes m'appelèrent dans leurstentes pour me consulter... Je fus content de cette confiance momen­tanée; car elle me procura l'avantage de me promener dans la cam­pagne sans éveiller le soupçon, et sous le prétexte de chercher desplantes médicinales.

§ 16. PiCI&8e-moi le basilic je te paB8eTai le séné. En contre­partie de son enseignement sur l'emploi de l'Ocimum, R. CAILLIÉ put

Page 30: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-_. 27 -

apprendre quelques, recettes auprès des Braknas ('l'). Quant au séné c'estle Cassia ilalica que l'on connaît plus généralement sous le nom, tombéen synonymie, de C. obovata Col.

L'écorce de mimosa, brûlée et réduite en poudre, sert pour toutesorte de coupures, brûlures, contusions, etc.; on en fait un onguenten la mêlant avec du beurre, et l'on en frotte la partie malade deuxfois par jour. Ils traitent les douleurs avec la feuille du bauhiniapilée, mêlée avec de la gomme réduite en poudre et un peu d'eau :ils en mettent une couche sur la partie affectée; la gomme en sé­chant forme une croûte qu'ils laissent tomber d'elle-même.

Les purgatifs sont rarement employés, quoiqu'ils en connaissentl'usage. Ils ramassent le séné, qu'ils appellent falagé; lorsqu'ilsveulent s'en servir, ils le pilent dans un mortier avec quelquesfruits de Zizyphus lotus, délaient la poudre dans une bonne quan­tité d'eau, et la donnent à boire au malade.

§ 17. Le cotonnier des rocaille. (Gossy pium anomalum Wawra& Peyrish). D'après la description de la plante et l'indication de la sta­tion on peut attribuer ce cotonnier au Gossypium anomalum. R. CAILLIÉest peut-être le premier qui ait signalé cette plante, laquelle ne futeffectivement décrite qu'en 1836. Après avoir été considérée quelquetemps comme un Cienfuegosia après GÜRKE, il est bien admis maintenantqu'il s'agit d'un Gossypium. D'après A. CHEVALIER (R.B.A., 13, 1933 :190-195) il s'apparente même aux autres espèces africaines qui étaientcultivées autrefois avant d'être supplantées par les espèces américainesà longues soies.

Le 20 septembre, je me mis en route pour aller visiter la chaînede montagne; ...Pour m'y rendre, je traversai une plaine dont lesol très gras était composé de sable noir... , et dont la végétationétait très belle. Je gravis au sommet de la plus haute: je découvris,parmi les roches, quantité de cotonniers dont les feuilles sont trèsdécoupées; les capsules et les graines sont beaucoup moins grossesque celles du cotonnier que l'on cultive sur nos établissements duOuallo. J'en pris des graines, ainsi que de beaucoup d'autres plantesque je trouvai à maturité, et les cachai dans un coin de ma pagne:je ramassai aussi quelques plantes.

En retournant au camp, je parcourus la plaine espérant y trou­ver du coton semblable à celui qui croît sur les montagnes, maisje n'en trouvai pas un seul pied.

§ 18. Suspicion à l'égard du collecteur de plantes. Nous rap­portons l'incident qui survint à R. CAILLIÉ à son retour d'excursion, pour

(4) Consulter: 1) A. LERICHE: Phytothérapie maure. Mém. I.F.A.N., nO 23.1953 : 265-306.

2) N'D'lAYE JABSA BOURY: Végétaux utilisés dans la médecine africaine,dans la région de Richard-ToU (Sénégal). Notes africaines, 1962 : 14-16.

Page 31: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 28-

bien montrer qu'il ne lui aurait pas été possible, ni à cette occasion niau cours de son grand voyage, de rapporter ouvertement des échantillonsde plantes et de graines.

Les deux Maures que j'avais rencontrés, arrivés avant moi aucamp, avaient rendu compte de mon excursion: cette nouvelle étantparvenue au roi, éveilla ses soupçons; et dès qu'il sut que j'étais deretour, il me fit appeler. Je n'avais pas eu le temps de cacher mesgraines. Plusieurs Maures qui m'entouraient s'aperçurent que j'a­vais un nœud à ma pagne; ils le saisirent, et me demandèrent cequ'il contenait; et sans me donner le temps de répond re, ils le dé­nouèrent: « Que veux-tu faire de cela? C'est pour porter aux blancsquand tu retourneras à l'escale?» Et sans me laisser le temps dedire un mot, ils jetèrent les graines au loin.

§ 19. La pastèq.ue: p.rovidence du voyageur. 1'\ous reverronsplus loin dans leur ensemble les différentes Cucurbitacées citées parR. CAILLIÉ (§ 1(7). La pastèque est bien une plante africaine dont lesformes spontanées croissent dans les zones sèches: l'une est ame're etl'autre douce, tandis que la Coloquinte, espèce voisine, est toujoursamère. La pastèque est bien le meilleur fruit que puisse rencontrer levoyageur assoiffé.

Le 30 septembre, on leva le camp; nous fîmes neuf milles auNord, sur un terrain sablonneux, couvert de khakham. Comme lesMaures, je portais des sandales pour chaussure: je soutIrais extrê­mement des piqûres de cette plante; j'avais les pieds et les jambesensanglantés. Je trouvai sur la route quelques pastèques; j'en man­geai pou l' me désaltérer.

§ 20. Le Soump (Balanites aegyptiaca Del.). Parmi les multiples pro­priétés de cette plante ("), la plus valable est la production oléagineusedes graines. Les justes observations de R. CAILLIÉ sur la valeur de cetarbre providentiel sont d'autant plus remarquables pour l'époque que<le temps en temps on en refait la découverte. Cependant, il est justed'ajouter que des études récentes apportent des faits nouveaux, commela possibilité de tirer parti des protéines du tourteau après extractionde l'huile (-).

(Le 12 novembre) il était huit heures lorsque le camp se mit enroute. Nous fîmes six milles au Nord - Nord-Ouest, sur un terraincouvert de pierres ferrugineuses, et trois milles sur un sable jaune.L'arbre nommé balanites aegyptiaca y croît en abondance; lesnègres du Sénégal l'appellent soump. Les Maures ramassent le

(") P. CRÉACH. - Le Balanites aegyptiaca. Ses multiples applications auTchad. Rev. Bot. Appl., 20, 1940 : 578-593.

J. DESPUJOLS. (Thèse), Bordeaux 1944.(.... ) F. TAY AU, !\I"' FAURE, Mm. S~;CHET-SIRAT. - Etude sllr le Soumpe (Bala­

nites aegyptiacaJ. Valeur alimentaire de ses protéines. J. Agric. Trop. et Bot.A.ppl., 2, 1955 : 40-49.

Page 32: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 2. Somnp rI (;rlllll-cram. En haut, rameaux feuillés et en fruitsdu Soump (Balanites aefJyptiaca, § 20); au centre, paysage à Balanites ..en bas épis et glomérules de Cram-cram (Cenchrus biflorus, § 14) sur lesable.

Page 33: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 30-

fruit de cet arbre; et de l'amande qu'il renferme, ils font un sangléqu'ils aiment beaucoup, parce qu'il est très gras. Cette amande con­tient beaucoup d'huile; quelques habitants du Sénégal en font pourleur consommation, quand l'huile d'oliye est rare. J'en ai mangé àSaint-Louis, et l'ai trouvée passablement bonne; je pense qu'ellepourrait être beaucoup meilleure, si l'on apportait plus de soin àla récolte du fruit et à la fabrication de l'huile. Si le gouvernementaccordait des encouragements à ce genre de culture, ce fruit pour­rait devenir une branche de commerce importante. Cet arbre croîtdans tous les terrains du Sénégal. Quand les habitants veulent enextraire l'huile, ils pilent les amandes dans un mortier; lorsqu'ellessont réduites en pâte, ils font un trou au milieu : l'huile coulepromptement et abondamment dans ce trou; ils la puisent à me­sure, jusqu'à ce qu'il n'en vienne plus; alors ils pressent la pâte dansles mains, et elle fournit encore beaucoup d'huile; mais elle estmoins limpide que la première. Deux litres d'amande donnent ordi­nairement une bouteille d'huile; on peut juger de la quantité qu'onen retirerait en employant un meilleur procédé. Les nègres mangentla pulpe du fruit crue, ou cuite sous la cendre; le tronc du balanitefournit un bois jaune, facile à travailler, et solide; les Laobés (Na­tion errante de charpentiers et brocanteurs) en font des mortiers,des pilons, des baganes (grandes sébiles), et divers autres ou­vrages.

§ 21. Le paya de l'Adrar. Le commerce des Braknas est entreles mains des marabouts. Ce sont eux qui récoltent toute la gomme,sans payer aucun droit; lorsqu'ils l'ont livrée aux Européens, ilsvont dans les pays éloignés vendre les fusils et les guinées qu'elleleur a produits. Ils s'arrêtent souvent à Adrar, à sept journées Norddu lac Aleg : cette ville donne son nom à un petit royaume; elle esthabitée par les marabouts qui ne s'occupent que de culture etélèvent de nombreux troupeaux. Le pays fournit beaucoup dedattes; leurs champs sont entourés de dattiers. Ils ne vivent passous des tentes comme les Braknas; ils ont des maisons construitesen teqe surmontées de terrasses, et qui n'ont que le rez-de-chaus­sée. Ces marabouts changent leurs dattes et leur mil contre laguinée et les fusils des Braknas : la guinée leur sert à faire desvêtements; ils ne cultivent pas le coton. Ils ont beaucoup d'esclaves,qu'ils emploient à la culture du riz et du mil et à garder leurstroupeaux. Les pâturages sont peu abondants autour de la ville;ils sont obligés d'envoyer paître leurs bestiaux fort loin: on dit queles esclaves qui les gardent sont souvent un mois ou deux absents.C'est pendant la saison des pluies que les Braknas entreprennentce voyage; ils traversent, pour y arriver, un désert de quatre jours

Page 34: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 31-

de marche. Ces détails m'ont été fournis par des marabouts qui ontvisité plusieurs fois ce pays. Je me proposais de les accompagnerle printemps suivant, si j'étais resté parmi eux.

MANIÈRE DE TANNER LE CUIR. Le cuir joue un rôle important dans lavie du nomade et c'est une grande occupation des femmes que de lepréparer. R. CAILLIÉ a bien décrit les différentes opérations et les ta­nins utilisés. En fait la citation du Boscia pourrait être une erreur caron ne le connaît pas comme tannifère. Par contre, le nem-nem, ou neb­neb des Volofs est un .4cacia bien connu pour cet usage. Malheureuse­ment sa nomenclature est d'une instabilité désolante. Cette situationtient à ce qu'il occupe une aire très étendue, avec des formes géogra­phiques et stationnelles bien distinctes mais que l'on entend ramenersous le nom d'une seule espèce avec maintien de variétés.

§ 22. Le neb-neb. C'est le plus communément employé comme tan­nant; il a des gousses assez larges, aplaties, à marges seulement si­nueuses, et occupe des sols sains: c'est l'Acacia scorpioides A Chev. var.astringens A. Chev. Quant au Gonalkié des Volofs c'est l'Acacia scor­pioides A. Chev. var. pubescens aux gousses étroites moniliformes et quiforme des peuplements très caractéristiques sur les sols lourds des dé­pressions et autour des mares de la zone sahélienne et dont il a été parléplus haut (§ 10).

Les femmes zénagues, laborieuses par besoin, filent et tissent lepoil de mouton et de chameau, pour faire des tentes; ce sont ellesaussi qui les cousent. Elles tannent le cuir, font les varrois, en unmot tous les ouvrages, excepté ceux en fer. Voici leur manière detanner: si c'est un cuir de bœuf, elles le coupent par le milieu; ellesfont un trou en terre, le garnissent de bouse de vache; ellesmouillent le cuir et le frottent avec de la cendre, le mettent dansla fosse, le recouvrent exactement de cendre; après avoir versé del'eau sur la cendre jusqu'à ce qu'elle soit bien délayée, elles fermentla fosse avec une couche de bouse de vache. On laisse le cuir ainsipendant six ou huit jours; au bout de ce temps, on le râcle avec uncouteau pour enlever le poil, puis on le lave bien, afin d'en ôtertoute la cendre. Quand il est nettoyé, on le met dans une grande ca­lebasse avec l'écorce de boscia et de la graine de mimosa (la mêmequi est connue dans le commerce sous le nom de babela, et auSénégal sous celui de nem-nem), avec l'attention de bien le frotteret le mêler; on verse de l'eau dessus jusqu'à ce qu'il trempe bien,et on le laisse dans cette calebasse pendant quatre jours au plus;puis on le retire pour le râcler de nouveau, afin d'ôter le poil quipourrait être resté à la première opération. Lorsqu'il est bien net­toyé, on le remet dans la même calebasse, en augmentant la quan­tité de graine réduite en poudre, et mouillant toujours convenable­ment. Quatre jours suffisent pour achever de le tanner parfaite­ment. Alors on le lave bien, et on l'écharne avec des coquilles tran-

Page 35: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 32 --

chantes, que les Maures se procurent sur les bords de la mer. Lespeaux de chèvres et de mouton se tannent de la même manière, maisbeaucoup plus promptement, étant moins épaisses. Le cuir tannéde cette manière a exactement la même couleur que le nôtre, et estd'un bon usage. Ils l'emploient ordinairement sans autre apprêt;mais lorsque l'usage auquel ils le destinent exige une grande sou­plesse, ils le graissent avec du beurre avant de s'en servir.

LA GOMME ARABIQUE. Ils m'interrogeaient souvent pour savoir ilquel usage nous employions la gomme; mais ils ont toujours cruque je les trompais: ils sont persuadés que nous la transformonsen ambre, dont la couleur s'en rapproche un peu et en autres mar­chandises de grand prix; que nous ne pouvons nous passer degomme, et que sans elle nous ne pourrions exister.

~ 23. Récolte de la gomme et gommier (Acacia scnegal Willd.).Les premiers renseignemen ts valables sur les arbres producteurs de lagomme du Sénégal furent ceux qU'ADAN SON publia di's 177:i (parus en1777). Si R. CAILLIÉ n'était pas en mesure d'appol'ler des renseignementsbotaniques plus précis, ses pages sur la récolte de la gomme et lesmœurs qui en caractérisaient le commerce, étaient tri's instructives pourl'époque. Il précise que le vrai gommier n'est pas cc «Mimosa ,qummi­fera» répandu dans la région de Saint-Louis. Th. MONol> s'est demandéquelle espèee couvrait cc nom qui désigne exactement aujourd'hui unAcacia <lu Moghreb (A. gummifera Will<l.) ct il a pensé que ce pouvaitêtre le Mimosa gummifera Forsk. qui serait synonyme de l'A. seyal Del.Exactement, l'espèce de Fors,kal, ainsi que A. spirocarpa Hoehst., seraientplutôt synonymes de A. tortilis Hayne, espèce orientale, dont la vica­riante occidentale est A. raddiana. En définitive les deux espèces, A. rad­diana (Sing des Volofs, nom spécifique proposé par GUILLEMIN ct PERROT­

TET) ct A. seyal (Sourour des Volofs) coexistent au Sénégal et il est pro­hable que c'est bien cette dernière qu'envisageait R. C.\ILLIÉ pour cetteraison qu'elle fournit également une gomme, mais très inférieure à celledu gommier vrai. Dans son trajet saharien c'est sous le nom d'A. ferru­!Jinea qu'il (Iésignera l'A. raddiana (~ 141).

Si la question des Acacia reste fort embrouillée, en raison de la réellecomplexité des espèces ct des confusions consécutives <le la nomencla­ture, il est unanimement admis que c'est l'A. sencgal Willd. qui est levrai gommier de Mauritanie et du Kordofan.

L'époque de récolter la gomme était arrivée; chacun s'occupaitde ses préparatifs: je montrai le désir de me joindre à ceux qui de­vaient y aller, mais je ne pus en obtenir la permission.

Le 13, les esclaves destinés à ce travail partirent sous la conduitede quelques marabouts ...

On a cru mal à propos jusqu'à ce jour qu'il se trouvait des forêtsde gommiers dans le désert; cette erreur a été accréditée par tousles voyageurs qui ont écrit sur des renseignements inexacts tirésdes Maures, qui, pour élever leur pays, répondent toujours que touts'y trouve en abondance. L'acacia qui fournit la gomme, croît iso-

Page 36: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 33-

lément dans toutes les parties élevées du désert, jamais dans lesterrains argileux ou d'alluvion, mais sur un sol sablonneux et sec;il est très rare sur les bords du Sénégal. Ce n'est pas le mimosa gum­mitera des botanistes, que j'avais appris à connaître sur nos établis­sements; ses feuilles, également pennées, ont les folioles plus largesplus épaisses et d'un vert plus foncé: il se rapproche davantage,par son port et sa forme, de l'acacia cultivé en France.

Des puits creusés dans l'intérieur, où se fait ordinairement larécolte, donnent leur nom à la contrée où ils se trouvent; telle aété l'origine des noms qu'on a donnés aux forêts supposées. C'estprès de ces puits que les marabouts s'établissent. Les esclavescoupent de la paille pour faire des cases: un même marabout sur­veille les esclaves de toute sa famille ou de plusieurs amis; il lesréunit tous, souvent au nombre de quarante ou cinquante, sous lamême case. Chaque marabout envoie ce qu'il a d'esclaves dispo­nibles; il s'y joint quelquefois des zénagues malheureux. Le pro­priétaire donne à chacun de ses esclaves une vache à lait pour lenourrir, une paire de sandales, ct deux petits sacs en cuir. Le mara­bout surveillant emmène deux vaches et emporte un sac de milpour sa provision.

Lorsqu'il se joint un zénague aux esclaves, il s'adresse à un ma­rabout, qui lui fournit une vache et ce qui lui est nécessaire; puis,à la fin de la récolte, il reçoit la moitié de la gomme qu'il a ramas­sée. Les zénagues ne sont admis à la récolte qu'à cette condition;s'ils y allaient pour leur compte, ils seraient pillés par les hassanes.Chaque escouade est munie d'une poulie, d'une corde pour lespuits, et d'un sac en cuir qui sert de seau pour tirer de l'eau. Onm'a assuré que ces puits sont très profonds: les cordes que j'aivues avaient de trente à quarante brasses de longueur. On fixe lapoulie à deux piquets plantés de chaque côté du puits et réunisà leur extrémité: le bout de la corde passé dedans est attaché aucou d'un âne, qui, chassé par un marabout, enlève le seau; un autrereste pour le recevoir et le verser dans une auge en bois, où ilsabreuvent leurs vaches. Ce sont les marabouts surveillants qui sontchargés de cette fonction. Les esclaves, chaque matin, remplissentd'eau l'un de leurs sacs de cuir, et, armés d'une grande perchefourchue, vont courir les champs en cherchant de la gomme: lesgommiers étant tous épineux, la perche leur sert à détacher desbranches élevées les boules qu'ils ne pourraient atteindre avec lamain. A mesure qu'ils en ramassent, ils la mettent dans leur se­cond sac de cuir. Ils passent ainsi toute la journée sans prendred'autres aliments qu'un peu d'eau pour se désaltérer. Au coucher

Page 37: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-:34 -

du soleil, ils reviennent à la case; une femme prépare le sanglépour le souper du marabout: une autre trait les vaches et chacunboit le lait de celle qui est destinée à le nourrir. Lorsque la gommeest abondante, chaque personne en ramasse par jour environ sixlivres; ce qui prouve que les gommiers sont isolés, et non réunisen forêts, comme ils le disent; car alors ayant moins à courir, ilsen ramasseraient davantage.

Le marabout surveillant reçoit une rétribution qu'il prélève surla gomme; les esclaves travaillent pendant cinq jours pour leurmaître, et le sixième est au bénéfice du surveillant; de cette ma­nière, celui-ci se trouve avoir la meilleure part de la récolte. Les~Iaures n'ont ni vases ni sacs pour emporter la gomme: quand ilsen ont une certaine quantité, les esclaves de chacun font un trouen terre, et y déposent celle qu'ils ont ramassée. Lorsque les troussont pleins, on les recouvre de peaux de bœuf, de paille et de terre:on a soin, en recouvrant, d'imiter le sol qui est autour; car si lacachette était découverte, la gomme serait volée par d'autresMaures. Quand on change de lieu, on fait une marque, soit à unarbre, soit à une pierre des environs, et la récolte reste là jusqu'àce qu'on la transporte aux escales pour la vendre; alors elle estmise dans de grands sacs de cuir, et chargée sur des bœufs et deschameaux.

Les gommiers n'ont pas de propriétaires particuliers. Tous lesmarabouts ont le droit d'y envoyer autant d'esclaves que bon leursemble, sans être assujettis à aucune formalité ni à payer aucunerétribu tion.

§ 24. La traite de la gomme. Avant de quitter l'escale, je vaisindiquer sommairement comment se fait la traite de la gomme.C'est ordinairement au Illois de janvier que la traite s'ouvre, et ellese termine le 31 juillet.

A l'époque fixée pour l'ouverture, l'administration de Saint-Louisenvoie à l'escale un navire du roi, sous le commandement d'unofficier de marine: il est chargé de la police de l'escale, en tout ce(!ui concerne la navigation et le stationnement des bateaux; ilrègle aussi les différents qui s'élèvent entre les traitants et lesMaures.

Lorsqu'un bâtiment traitant arrive à l'escale. il reste mouillé aumilieu de la rivière, jusqu'à ce que ses coutumes soient réglées. Cen'est qu'après l'accord signé que le bateau peut commencer à trai­ter; jusque-là, des agents des Maures, nommés aloums, restentà terre pour empêcher les gommes d'aller à bord. Ce sont cesmêmes agents qui surveillent les bâtiments dont la traite est sus­pendue.

Page 38: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 35-

En général, les marchés se font très lentement; les maraboutscraignant d'être trompés, mesurent leur gomme avant de la mettreen vente avec une petite mesure dont ils connaissent le poids, afind'être fixés sur la quantité de guinée qu'elle doit leur produire. Onconvient ordinairement d'un certain poids de gomme pour la valeurd'une pièce de guinée. Ce prix varie suivant que la récolte est plusou moins abondante: lors de mon passage à l'escale du Coq, lapièce se vendait de cinquante à soixante livres de gomme; on enobtient quelquefois cent livres, quelquefois aussi seulement trenteet même en-dessous.

Lorsque le prix de la pièce de guinée est convenu, le marchén'est pas terminé; il faut encore régler les cadeaux qu'on fera aumarabout: ces cadeaux consistent en poudre à tirer, sucre, petitesmallettes, miroirs, couteaux, ciseaux, etc.... ; et cette seconde partiedu marché est quelquefois plus longue à conclure que la pre­mière; enfin, après la livraison achevée, il reste encore longtemps àtourmenter le traitant pour en obtenir des cadeaux.

Ces frais, ces cadeaux, joints au prix d'achat, portent la gommeà un taux exorbitant, et beaucoup au-dessus de ce qu'elle vaut àSaint-Louis. Les traitants cherchent à se couvrir par miIle rusesqu'ils inventent pour tromper les Maures. Tous leurs moments deloisir sont employés à la recherche de quelque nouvelle super­cherie: quand quelqu'un en a découvert une qui lui a réussi, il latient cachée, et, comptant sur son adresse, baisse le prix de sa gui­née pour attirer les gommes à son bord. Mais ses concurrents l'é­pient si bien, et leur imagination est tellement exercée, qu'ils netardent pas à découvrir sa ruse, ou à trouver eux-mêmes un moyende traiter au même prix. On voit que tout le monde n'est pas propreà ce genre de commerce.

On rendrait sans doute un grand service aux habitants du Séné­gal, en ramenant ce commerce à des principes loyaux.

Pendant la traite plusieurs camps de zénagues s'installent auxenvirons de l'escale, pour être à portée de vendre le produit deleurs troupeaux. Chaque matin et chaque soir, les femmes viennentapporter du lait et du beurre en échange de guinée, poudre, ver­roterie, etc... : la livre de beurre est évaluée quinze sous environ;le lait coûte cinq sous la bouteiIle.

Le commerce attirant sur ce point beaucoup de marchands etde curieux, il en résulte un mouvement continuel. Tant que dureI~ traite, l'escale offre l'aspect d'une foire tumultueuse; d'un côté,ce sont les chameaux et les bœufs des caravanes que l'on mènepaître ou que l'on fait boire à la rivière; de l'autre, c'est un trou­peau de moutons qu'un zénague cherche à vendre; plus loin, des

Page 39: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 36 -

traitants qui assiègent une caravane arrivant du désert ou qui dis­cutent entre eux, des laptos (mariniers) qui se battent, et desfemmes qui disputent; enfin des hassanes à cheval ou montés surdes chameaux qui courent çà-et-là, et mettent par leur turbulencela confusion dans tous les groupes.

Le 31 juillet au soir, le stationnaire tire un coup de canon; c'estle signal de la clôture de la traite et du départ des navires. Ceux desMaures qui n'ont pas encore vendu leur gomme, la remportent, etfont des trous dans la terre, où ils la conservent jusqu'à la traiteprochaine. Le le' août, le stationnaire met à la voile, et ordinaire­ment tous les navires traitants le suivent.

LA VIE P.\STORALE ET .\GRICOLE .\U NORD DU FLEUVE SÉXÉGAL. Les pagesécrites par René C.\ILLIÉ sur les Braknas, constituaient certainement àl'époque une information de valeur. Ce n'est pas qu'il procédait à desenquêtes méthodiques comme l'aurait fait un ethnologue. Mais vivantleur vie et leur portant un réel intérêt il savait voir l'essentiel ("').

Malgré leur importance sociologique nous n'insisterons pas ici surles différentes classes existantes des marabouts, des hasanes, deszé­nagues ct des esclaves, pour ne retenir que le genre de vie agro-pastoraleavec ses modalités et ses conséquences. R. CAILLIÉ a bien montré que lenomadisme, que pratique cette population, est articulé sur l'exploitationdes pâturages sahéliens en saison des pluies et sur l'exploitation despâturages riverains après retrait des eaux du Sénégal avec culture decéréales par les zénages et les esclaves (""").

De même, la relation des jours vécus par R. C.\ILLIÉ chez ces nomades,montre, dans son principe, que leur subsistance est étroitement dépen­dante de celle de leurs troupeaux. On saisit le mécanisme de ce proces­sus simple mais précaire selon lequel la vache convertit au jour le jour,de maigres ressources fourragères en une ration de lait qui doit per­mettre à son propriétaiI'e de ne pas mourir de faim.

Nous verrons que si R. CAILLIÉ apprécie le lait, pur ou étendu d'eau,comme boisson, il préférerait se nourrir d'aliments plus substantiels, desanglé (§ 26) par exemple. Il lui arrive souvent de faire observer auxBraknas qu'ils devraient cultiver davantage de mil sur les terrains quilui semblent propices et qu'il regrette de voir incultes.

§ 25. Le ch,eni. Il était neuf heures lorsque nous arrivâmes aucamp de Sidy-Mohammed. On nous apporta, pour nous désaltérer,une grande calebasse de lait aigre, coupé de trois quarts d'eau: cetteboisson agréable et saine est nommée cheni par les Maures, et est enusage dans toutes les contrées arabes que j'ai visitées.

Je n'étais pas encore habitué au genre de vie des Maures; le peude lait que j'avais bu le matin ne pouvait me rassasier; d'ailleursil était tard; je souffrais horriblement de la faim. Je me hasardaidonc à demander à manger à ceux qui m'entouraient. L'un d'eux

("') On peut consulter une étude récente sur le sujet: P. DUBIÉ : La vie ma­térielle des Maures. Mém. I.F.A.N., na 23, 1953 : 111-252.

("'''') BONNET-DUPEYRON (F.). - L'Agriculture en pays nomade. Congrès inter.Géogr. Lisbonne, 1949, 4 : 9-23.

Page 40: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 37-

alla le dire au roi, qui me fit appeler de nouveau, me fit répéter uneprière, puis ordonna à un esclave de traire une vache pour moi.Je m'attendais à un dîner plus succulent; aussi quand on meprésenta le lait, je dis à Hamet-Dou que je mangerais bienquelque chose avant de boire; que j'étais plus tourmenté de lafaim que de la soif. Mes paroles causèrent un rire inextinguibleà tous ceux qui étaient sous la tente; le roi lui-même rit auxéclats, puis me dit qu'il ne pouvait offrir autre chose, que lui­même ne prenait jamais que du lait pour nourriture.

Le 10 septembre, à midi, on me donna du sanglé; c'était la pre­mière fois que j'en mangeais depuis mon arrivée au camp du roi.Le 24 septembre, on leva le camp. Depuis trois jours, Fatmé Anted­Moctar avait cessé de me donner un repas de sanglé, comme elle enavait l'habitude; je ne recevais plus d'elle qu'un peu de lait soir etmatin; je souffrais horriblement de la faim. Le roi m'avait bien ditde lui demander tout ce dont j'aurais besoin; mais je n'en obtenaispas davantage; et ce lait, au lieu de me rassasier, me causait descoliques et m'affaiblissait beaucoup.

Le soir, à l'heure ordinaire, on fit la distribution du lait pour lesouper. Ayant reçu ma part, je m'informai si je ne pourrais trouverpersonne qui voulût me l'échanger pour un peu de sanglé; on memontra une vieille esclave bambara qui en avait presque toujours.Elle accepta ma proposition, m'en donna un peu, et me promit dem'en fournir autant chaque jour. Cette malheureuse allait, quandses maîtres n'avaient plus besoin d'elle, ramasser du haze pour sanourriture; car elle ne recevait que le lait d'une vache pour ration,et l'on avait soin de choisir une de celles qui en donnaient le moins.Cependant, malgré sa misère, elle trouva le moyen d'adoucir monsort. Tant il est vrai que les plus malheureux sont les plus compa­tissants. Pendant sept jours que je restai encore au camp, elle nemanqua pas une seule fois de m'apporter une petite calebasse desanglé.

§ 26 Le sanglé. Le 3 septembre, vers une heure du matin, on meréveilla pour manger un peu de sanglé, espèce de bouillie faite defarine de mil ou d'autre graine. Le 4 septembre, nous marchâmespour nous rendre à un petit camp occupé par des esclaves d'Hamet­Dou, qui avaient été envoyés dans cet endroit pour cultiver du mil.Ils étaient occupés à sarcler; ils effleuraient seulement la terre, qui,par sa nature argileuse et compacte, eût demandé à être profondé­ment remuée et divisée. Un vieux marabout ordonna qu'on fit dusanglé. Chaque famille nous en apporta une petite calebasse; maisil fallait être affamé autant que nous l'étions pour le manger; car,outre qu'il n'y avait pas de sel, ces malheureux n'avait pas mêmede lait pour l'arroser. Nous continuâmes notre route à l'Est; il était

Page 41: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-:i8 -

onze heures environ quand nous arrivâmes près d'une mare dontl'eau était assez bonne. On alluma du feu pour faire cuire notresouper; il était préparé lorsqu'il survint un grand orage. Le mauvaistemps nous ayant empêchés de souper, dès le point du jour nousdéjeunâmes avec beaucoup d'appétit, quoique notre sanglé eût étéexposé à la pluie pendant toute la nuit.

R. C.\lLLIÉ aura souvent l'occasion de citer le sanglé. C'est une desfaçons de consommer les farines non panifiables des Sorgos, des Péni­ciliaires et de certaines graminées de cueillette comme celle dont il estquestion ci-après.

§ 27. Le H,aze ou b,akat. (Panicum laelum) R. CAILLIÉ a décrit avecsoin la récolte de cette petite graminée spontanée dont les grains jouentun rôle important dans l'alimentation, aux périodes de soudure, alorsque les réserves de mil sont épuisées. l'Iotre auteur pense que le haze estun holCIIs et peut être le holcus sorgum. Il faut dire que pendant uncertain temps le genre Sorgum actuel a été facheusement désigné sous lenom de Holcus et R. CAILLIÉ n'est pas fautif sur ce point. Toutefois il nes'agissait pas d'un Sorgo spontané mais du Panicum laelum bien connupour cet usage.

Déjà, en 1822 et les années suivantes, le gouverneur ROGER demandaità RIC.HARD et aux autres agents de l'Agriculture, de s'intéresser au « Ba­kat ». A. CHEVALiER le décrit comme une « Espèce très abondante à lasaison des pluies dans la zone sahélienne et pénétrant aussi en pleindésert le long des oueds; elle recherche les lieux sablonneux humides,les dépressions conservant un peu d'eau après chaque pluie. Elle estparfois si dense qu'elle constitue souvent des prairies continues éten­dues. C'est un bon fourrage pour les bovins et les chevaux, mais laplante est précoce: les graines sont déjà mûres en juillet et les chaumesse dessèchent· en août. La plupart des peuplades recueillent les grainespour s'en nourrir» ("').

On comprend que cette faculté de croître en peuplement dense etpur en facilite beaucoup la récolte ct c'est bien cette espèce qui est laprincipale productrice de haze. Car, en réalité, ce terme désigne lesgraines comestibles, de plusieUI's espèces de graminées spontanées:Panicum laelum, P. lurgidum, Brachiaria deflexa, Echinochloa colona,Cenchrus biflorus, etc... ("'''').

On soupa fort tard; notre repas consista en sanglé, arrosé de laitdoux. Ayant remarqué que les grains qui composaient ce metsétaient entiers, j'en demandai le motif; on m'apprit que ce n'étaitpas du mil mais du haze, (c'est la même chose que le bakat desnègres du Ouallo; c'est un holcus dont la graine ressemble beaucoupà notre millet, peut être le holcus sorghum), et que dans cette sai­son les marabouts emploient leurs esclaves à le ramasser. Ce grainest très commun et croît naturellement, sans culture. On me montrades esclaves occupés à cette récolte: c'étaient des femmes; elles

("') R.B.A., 14, 1934 : 23.("'''') F. POUSSIBET. - Bull. 1.F..·L.\'. 24, 1962 : 265.

Page 42: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

"...v

Fig. 3. - Le Aze. Aspect de la plante (Panicum laetum) et grain très grossidans la coque des glumelles; scène de récolte du aze (§ 27).

Page 43: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 40-

étaient munies d'un petit balai et de deux corbeilles; l'une de celles­ci, plus petite que l'autre, est de forme ovale et surmontée d'uneanse. Lorsque le haze est commun et qu'il n'a pas encore été foulépar les troupeaux, elles marchent en balançant cette corbeille àdroite et à gauche, de manière à froisser sur les bords l'épi desgraminées en le frappant; de cette mani-ère les graines mûres cè­dent et tombent au fond; quand elles en ont une certaine quantité,elles la versent dans la grande, destinée à contenir la récolte. Cetteméthode donne le grain beaucoup plus propre que la seconde, maiselle en donne moins abondamment, car on conçoit que tout legrain battu ne tombe pas dans la corbeille. Lorsque l'herbe a étéfoulée, ou qu'une première récolte a été faite comme je viens de ledire, elles coupent la plante avec un couteau dentelé qu'elles ontà cet efIet, puis balaient le grain par terre, en font de petits tasqu'elles enlèvent ensuite; et comme, par ce moyen, il se trouveplus de terre que de grain, elles l'en sépare avec le layot (Petitebannette en paille... ; on s'en sert pour vanner), ce qui demandebeaucoup de temps. Lorsqu'elles rentrent, elles retirent de leurrécolte (qui peut être évaluée à cinq livres de haze pour une jour­née) ce qui leur est nécessaire pour leur souper, et déposent lereste dans la tente de leur maître Le haze ne se pile pas comme lemil; on l'émonde de sa paille, on le lave plusieurs fois pour enôter toute la terre, puis on le fait crever: ce grain gonfle beau­coup, et fait un sanglé très blanc, mais peu nourrissant. Quand onveut le réduire en farine, on jette un peu d'eau dessus; on le laissetremper un instant, puis quelques coups de pilon suffisent pour lemoudre.

Quelques jours plus tard, René C.\ILLIÉ eut l'occasion de voir récol­ter du haze de façon hien particulière, après que le feu ait détruit laplante. Comme chez les autres Panicum la graine de haze est enclosedans deux glumelles coriaces et il n'est pas étonnant qu'elle ne soit pasdétruite par le feu.

Le 8 (octobre), je partis à six heures du matin, me dirigeant auSud-Ouest 1/4 Ouest sur un sol sablonneux, couvert de khakham.Notre marche fut pénible, à cause de la soif que nous éprouvâmes;il n'y avait pas d'eau sur la route. En gravissant sur des dunesde sable mouvant, nous aperçûmes au Sud un ruisseau qui s'éten­dait de l'Ouest au Sud-Ouest; ses bords étaient garnis de mimosa,de Zizyphus lotus et de nauclea (§ 30), qui conservaient toute leurverdure. Mon guide m'apprit que ce ruisseau s'appelait el-Hadjar,et qu'il inondait la plaine dans la saison des pluies. Je vis s'éleverprès des bords du ruisseau des colonnes de fumée; c'étaient desherbes sèches auxquelles on avait mis le feu. Des oiseaux de proievoltigeaient autour des flammes, pour attraper les insectes et lesreptiles qui se sauvaient de l'incendie.

Page 44: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-41-

Lorsque nous atteignîmes les bords du ruisseau, nous trouvâmesdes esclaves occupés à ramasser du haze; quelques Maures les sur­veillaient. .Je m'approchai d'eux, et en obtins un peu d'eau pourboire. L'un des Maures me prit la main, .. .il me conduisit près d'unemare qui se trouvait à quelques pas de là, dans le lit du ruisseau,à sec dans cette saison; elle était ombragée par le feuillage vert ettouffu d'un très bel arbre, qui conserve à l'eau sa fraîcheur.

En partageant le sanglé de ce Maure, j'appris de lui que, quandl'herbe est trop courte pour la couper, ils y mettent le feu pourramasser ensuite le haze.

C'est également la méthode décrite par J. LEMMET et M. SCORDEL tellequ'elle se pratique dans le Ouallo: «La récolte du bakète a lieu alorsau mois de novembre. On opère de la manière suivante: on met le feuaux herbes, les graines tombent par terre, ensuite on balaie la surfacedu sol et on rassemble le plus de graines possible, on en sépare la pous­sière par tamisage. Ce sont les femmes et les enfants qui se livrent géné­ralement à cette occupation »,

§ 28. La c::tlt::rre des Mils. Sorgum et Pennisetum. R. CAILLIÉ dé­crit très bien et le système agraire qui consiste pour les Braknas pasteursnomades à faire faire les cultures par des populations tributaires, et lestechniques de culture sur décrue. Quant au terme de «Mil» il ne dé­signe rien de précis mais on peut penser que les cultures comprenaientà la fois des Sorgos (Sorgum) sur les terres fortes de décrue et des Péni­ciliaires (Pennisetum) sur les sols sablonneux.

Pendant un mois que je suis resté au camp du roi, je ne l'ai pasvu une seule fois prendre une nourriture solide, mais toujoursboire du lait.

Je représentais quelquefois aux Maures qu'ils pourraient aug­menter leur nourriture, en faisant ramasser du haze par leurs es­claves, pour faire du sanglé; mais leur amour-propre en paraissaitblessé; ils me répondaient: «C'est la nourriture ordinaire du<~ peuple et des esclaves; nous nous croirions humiliés d'en faireuSflge ».

Ceux qui ont un peu de mil de reste de leur provision, le con­servent pour le retour de la sécheresse, époque où le lait devientrare.

C'est à la fin de mai que se fait la récolte du mil; alors lesmarabouts reçoivent du grain de leurs esclaves; et les hassanes,de leurs zénagues ou tributaires. Ce mil les soutient jusqu'au moisde juillet, époque où commence la saison pluvieuse, et où ils s'é­loignent des bords du fleuve, pour ne plus vivre que de lait; alorsceux qui ont du mil de reste, le conservent pour le retour de lasécheresse.

Page 45: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 42-

a) Cultl/re de décrl/e.

Au mois de noyembre, quand les eaux du fleuye commencent àbaisser, les Maures envoient leurs esclaves ensemencer les terresqui ont été submergées par les pluies ou par le débordement dufleuve. C'est aussi à cette époque que les zénagues se rendent prèsdu fleuve pour y cultiver le mil. Les esclayes d'un même camp seréunissent pour le logement, et établissent leurs cultures dans lemême canton; chaque champ est limité, et la récolte de chacungardée soigneusement à part. La manière dont ils cultivent est ex­trêmement vicieuse; mais elle leur donne peu de peine. Ils ontun grand piquet ayec lequel ils font des trous de six pouces de pro­fondeur; ils mettent trois ou quatre grains de mil dans chaquetrou, puis le recouvrent d'un peu de sable ou de terre légère. Ilssarclent l'herbe après que le mil est levé. Pour éYiter le trayail, ilschoisissent un sol maigre, parce que le sol gras, produisant plusd'herbes, les obligerait à un sarclage de plus... Quand leurs champssont ensemencés, ils attendent en repos que le mil soit levé; alorsils l'éclaircissent et nettoient autour du pied, pour lui donner del'air; beaucoup n'y font rien de pl us, et laissent croître l'herbeentre les rangs.

b) Les mange-mils.

Quand l'épi commence à paraître, ils se tiennent continuelle­ment dans le champ, pour en chasser les oiseaux, qui dévoreraientle grain avant sa maturité: cette occupation ne leur laisse pas unmoment de repos; ils vont sans cesse d'un bout du champ à l'autre,en criant, jetant des pierres, et la nuit ils y couchent pour veilleraux gazelles, aux porc-épies et aux sangliers, qui leur feraient degrands dégâts.

Le préjudice causé par ll's «mangl'-mil» a toujours été un gravI'problème pour la céréaliculture dans celle région. Déjà, M. ADAN SON yfaisait allusion: « Le jour suivant je parcourus, herborisant et chassant,les brûlantes campagnes qui sont sur la rive opposée du fleuve. Ellesétaient alors toutes couvertes de la grosse espèce de mil appelée guiar­nait, qui approchait fort de sa maturité, et dont les nègres avaient en­veloppé les épis avec leurs propres feuilles, pour les mettre à l'ahri desullaqul's des moinl'aux qui y font ordinairement de grands ravagl's ».J. LEMMET et M. SCORDEL on fait la même remarque: «Quand ll's épis,une fois formés, commencent à mûrir, on les enferme dans des es­pèces de petits capuchons en paille, de façon à éviter que ll's oiseaux,extrêmement nombreux ne viennent dévorer sur pied le plus clair de larécolte ». De nos jours le développement de la riziculture dans la ré­gion de Richar<l-Toll exige la mise en œuvre de mOYl'ns considérablespour la destruction de ces prédateurs ("').

("') L. l\1ALLAMAIRE. - La lutte contre les oiseaux grani\'ares en Afriqueoccidentale. J..4.gric. trop. Bot. Opl'/. 8. 1961.

Page 46: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 43-

Lorsque le mil a atteint sa maturité, on coupe l'épi, on l'égrenneen frappant dessus avec des bâtons. Le grain est mis dans dessacs de cuir et transporté dans les camps; ceux qui en récoltentau-delà de leur consommation probable, portent l'excédant auxescales et le vendent aux traitants.

TRANSHUMANCES. Les zénagues ont peu de bœufs, mais de nom­breux troupeaux de moutons et de chèvres, qui leur produisentbeaucoup de lait avec lequel ils font du beurre, qu'ils vont échan­ger aux escales contre de la guinée. On leur permet la possession dequelques esclaves, qu'ils emploient à la culture et à garder leurstroupeaux; mais ils ne peuvent pas les envoyer à la récolte de lagomme; les hassanes les leur voleraient. Ils s'écartent peu dufleuve, et campent toujours au milieu d'un bois épais, pour se sous­traire autant que possible aux visites importunes des hassanes etdes voyageurs. Ils préfèrent habiter les pays marécageux, parce queleurs troupeaux y trouvent une nourriture plus abondante. Ils ontbeaucoup de lait, mais il est désagréable à boire,. à cause du goûtqu'il retient des herbes fortes que mangent les brebis et les chèvres;il est si mauvais que quand les hassanes et les marabouts passentchez eux, ils n'en boivent qu'avec répugnance et quand ils nepeuvent s'en procurer d'autre.

Aussitôt après la retraite des eaux, ils descendent vers le fleuvepour semer le mil; ils travaillent à leurs champs avec leurs esclaves.

Les Maures quittent les bords du fleuve au commencement dela mauvaise saison, c'est-à-dire, au commencement d'août; car,outre que les inondations les incommoderaient beaucoup, ils yseraient exposés à toutes les maladies qu'elles occasionnent, etleurs troupeaux seraient dévorés par les moustiques. Ils vont dansle Nord-Est, sur les confins du grand désert, où ils trouvent despâturages abondants, un climat sain et exempt des incommoditésqu'ils auraient à redouter aux environs des marécages. Ils s'en rap­prochent à la retraite des eaux, et y passent tout le temps comprisentre les mois de mars et d'août.

§ 29. Les lruits de B08cia. Th. MONOD a justement fait remarquerque le nom de «Boscia integrifolia» qu'emploie R. CAILLIÉ ne corres­pond à aucune espèce connue. On peut supposer qu'il s'agit d'une con­fusion phonétique ou d'écriture avec celui de B. angustifolia qui cor­respond avec une espèce effectivement présente au Sahel ainsi que leB. senegalensis, plus commun et assez peu différents l'un de l'autrepour qu'ils soient désignés sous le même vocable local.

Les Capparidaceae famille à laquelle appartient le Boscia, sont trèsreprésentatives de la zone sahélienne et offrent quelques ressources ali­mentaires aux populations, par leurs feuilles réduites en poudre et parleurs fruits.

Page 47: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 44-

Le 12 décembre, j'allai Yisiter le lac Aleg. Le boscia integrifoliacroît abondamment dans la plaine; on en récolte le fruit qu'onmange cuit avec de la yiande: les Maures le nomment izé (eze1 d'a­près J. ADAM). Les bords du lac sont couyerts de mimosa, de zizy­phus lotus et de nauclea africana. Il déborde périodiquementcomme le fleuve, et inonde les terrains qui l'environnent à un mille·au large; ces terrains sont très fertiles, et sont cultiyés par lesMaures après la retraite des caux. Le lac est alimenté par le el­Hadjar, et par une infinité de ravins qui lui apportent les eaux depluies dans la mauyaise saison.

Nous séjournâmes sur les bords du lac Aleg jusqu'au 20 janvier.Les vents du Nord souillaient avec force et étaient très froids:pendant une partie du temps qu'ils durèrent, .ie fus retenu dans matente par la fièvre. Dans le courant du mois, on envoya des esclavesà quelque distance ayec une partie des troupeaux, parce que l'herbediminuait autour du camp; on ne garda que les vaches à lait indis­pensablement nécessaires à la nourriture des habitants: ils em­ploient ce moyen quand ils ne veulent pas encore transporter leurstentes ailleurs.

Le 21 janvier 1825, les pâturages étant entièrement épuisés, nouslevâmes le camp, et nous fîmes deux milles à l'Est sur un solhérissé de monticules ferrugineux. Le lieu où nous fîmes halte étaitde même nature, et cependant couvert d'herbes. On allait chercherde l'eau au lac; les esclaves partaient le matin et ne revenaient quele soir.

Le 6 février, nous retournâmes yers l'Ouest: à trois millesOuest - Sud-Ouest de là, nous traversâmes le ruisseau et ce ne futqu'à neuf milles plus loin que nous campâmes sur un sol sablon­neux, fort dur, et couvert de fourrages. J'avais remarqué sur lesbords du ruisseau quelque zizyphus lotus .. ici, il ne se trouvait quedes balanites aegyptiaca. On continuait d'envoyer au lac chercherde l'eau: elle était très rare au camp, à cause de l'éloignement:souvent elle manquait pour préparer les repas.

Le 19, les hommes et les bagages du camp du roi avaient passéprès de nous pour se rendre sur les bords du Sénégal, et le 21 fé­vrier nous délogeâmes de nouveau; on avait fait provision d'eaupour deux jours, car nous devions être cet espace de temps sans entrouver sur la route.

Nous traversâmes un pays sablonneux, où l'on remarquait (:etrès beaux balanites et quelques mimosas. La provision d'eaun'était pas abondante; d'ailleurs, la meilleure partie était réservéepour les veaux: nous souffrîmes horriblement de la soif pendantles deux jours que nous passâmes en route. Ce même jour, nous·

Page 48: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 45-

fîmes quinze milles Ouest - Sud-Ouest. Les troupeaux étaient restésderrière, et tout le monde se passa de souper. Le 22, nous fîmesdouze milles dans la même direction, et nous arrivâmes à troisheures du soir au lieu marqué pour la halte: nous nous trouvionsà trois milles Sud-Est d'el Awanil, mare où l'on envoya chercherde l'eau. Le 29, pour me distraire. j'allai visiter cette mare; le solqui l'environne est légèrement argileux, et produit beaucoup dezizyphus lotus, de mimosa et de nauclea.

§ 30. Le{J tT0Î8 maillons des ceintw-fi palustres. Les troisplantes qui viennent d'être énumérées sont caractéristiques des bords demares sahéliennes. R. CAILLIÉ les cite ensemble à plusieurs reprisespour ce genre de station et aussi pour les bords du lac Aleg. On peutapprécier au passage la sincérité et l'exactitude des observations denotre voyageur:

a) Nous avons déjà indiqué au § 10 que le « mimosa» des mares estexactement l'Acacia scorpioides var. pubescens, qui est l'élément le plusimportant de ce groupement.

b) Le Mylragyna inermis, petit arbre très caractéristique, est ce quel'on appelait alors le Nauclea africana. R. CAILLIÉ le retrouvera dans lapartie soudanaise de son voyage.

c) Nous savons aujourd'hui que le Jujubier d'Afrique du Nord, leZizyphus lolus, n'existe pas au Sud du Sahara. C'est une espèce vica­riante le Z. nummularia Wight & Arn., qui lui succède à côté de quel­ques autres espèces. Celle que R. CAILLIÉ observait ici en Mauritanie estprobablement le Z. mucronala Willd. dont le fruit n'est pas comestiblemais seulement employé en thérapeutique (§ 16).

§ 31. René Caillié se rend à l',escale. Dans sa recherche de pâ­turages et de points d'eau, le camp et son troupeau se rapprochent duSénégal. R. CAILLIÉ en profite pour demander l'autorisation de se rendreà l'escale afin d'y obtenir quelques vivres, vêtements et espèces, et aussipour faire parvenir une lettre à Saint-Louis

Le 9 mars, à neuf heures du matn, je partis accompagné d'un desfils de mon marabout. A six milles Ouest, nous rencontrâmes lemarigot de Koundy, que j'avais passé huit mois auparavant avecBoubou-Fanfale; nous le franchîmes à gué, et continuâmes notreroute à travers un bois épais, en suivant un vallon magnifique parla végétation des plantes qui le bordaient.

Tous les terrains inondés qui se trouvent entre le marigot et lefleuve sont ensemencés de mil parmi les arbres, sans que la terreait été remuée, et sans même qu'on ait ôté les branches mortes quil'obstruent.

Nous sortîmes du vallon pour nous rendre à un camp qui setrouvait dans un lieu si boisé qu'il y avait à peine de la place pourtendre les tentes. Nous y passâmes la nuit: on nous donna pournotre souper du lait de brebis d'un goût détestable; mais il fallut

Page 49: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 46-

le boire, n'ayant pas autre chose, et nous mourions de faim, carnous n'avions rien pris de toute la journée. Il nous restait neufmilles à faire pour nous rendre sur le bord du fleuve; et le lende­main, dès le point du jour, nous nous remîmes en route.

Le 14, arrivé à l'escale, R. CAILLIÉ rencontre un négociant de Saint­Louis à bord de la Désirée; lui ayant remis sa lettre et ayant obtenu quel­ques secours il s'apprête à repartir avec son guide. C'est sur le cheminde retour qu'il va goûter aux graines de Nymphea.

LES LOTOS ET LES LOTOPHAGES. Les emplois très divers que faisaientles anciens du nom de « Lotos », ont persisté jusque cians notre nomen­clature. Nous appelons encore Lotus le Nelumbo qui existait alors jus­qu'en Egypte et qui est confiné maintenant à l'Orient; le nom est restépour désigner une espèce de Nymphaea : le N. lotus. Le « Lotos» s'ap­pliquait aussi à un Jujubier d'Afrique septentrionale et nous avonsmaintenu le Zizyphus lotus. Enfin, chez les Papilionacées le Lotus estnotre lotier; le nom transparaît encore dans Melilotus, Lotononis, etc...Puisqu'il y avait tellement de Lotos il devait y avoir aussi plusieurssortes cie lotophages et DE CANDOLLE, qui avait peu ci'estime pour lespoètes, dit lui-même qu'il n'y a pas à s'attarder pour décider si les Loto­phages cies auteurs grecs étaient des mangeurs de jujubes ou de nym­phaea qui sont des ressources végétales comme toutes les autres. EnAfrique, selon les régions considérées, ces deux productions sont misesà profit par les populations et R. CAILLIÉ n'a pas manqué de les relater(§ 116 ct 117).

§ 32. Les mDngeurs de Nymphaea (N. lotus). Nous passâmesla nuit dans un camp de marabouts qui surveillaient la culture deleurs champs. Je remarquai une grande quantité de graines denymphaea que l'on faisait sécher; j'appris que cette graine étaitemployée comme assaisonnement dans le sanglé : j'en mangeai;son goût n'a rien de désagréable. Ils se nourrissent aussi de la ra­cine bulbeuse cuite à l'eau; le goût en est moins bon, et elle est lé­gèrement astringente. Cette plante, le plus bel ornement des lacset des marigots, croît avec profusion dans tous les terrains pro­fondément inondés, et est d'un très grand secours pour les Mauresqui habitent les bords du fleuve. J'ai su depuis qu'aux environs deSaint-Louis, les nègres font aussi usage de cette plante: ils enmangent la racine bouillie, et emploient la graine plus particuliè­rement à l'assaisonnement du poisson.

§ 33. Retour auprès du roi Hamet-D,ou: La vache sert deguide. Le 29 mars R. CAILLIÉ retourne à l'escale où il arrive le 31,espérant y trouver une lettre de Saint·Louis. La péniche est bien cieretour mais sans la réponse attendue. Après avoir reçu quelques mar­chandises d'un négociant de Saint-Louis il repart encore une fois versle cilmp.

On pourrait s'étonner de ce que les voyageurs se soient égarés dansles bois. S'il est vrai que les acacias et autres épineux ne sont jamais

Page 50: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- .-~

""""-

Fig. 4. - Les Lotos. Jujubiers en haut: à gauche Zyziphus lotus, § 155),à droite Z. mauritiana, § 116); en bas le Nymphaea lotus, § 32, dans unemare sahélienne; au centre un fruit en coupe et, à gauche, une grainetrès grossie.

Page 51: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 48-

en peuplements très denses, ils peuvent l'être suffisamment pour bou­cher constamment l'horizon et gêner l'orientation dans ces pays plats.

Le 3 avril je retournai au camp.Nous voulûmes suivre la même route que nous avions tenue en

venant; mais les bois étaient tellement touffus et le chemin si maltracé, que nous nous perdîmes. Nous marchions au hasard, lorsque,sur les dix heures du soir, nous rencontrâmes un marabout quigardait un troupeau; nous le priâmes de nous indiquer le cheminde son camp. Il nous fit des réponses ambiguës, et nous montraplusieurs directions, ce qui nous laissa encore plus incertains surcelle que nous devions prendre. Nous souffrions horriblement dela soif car nous n'avions pas trouvé d'eau sur la route: nous sui­vîmes le gardien pas à pas pendant longtemps, le suppliant, au nomde Dieu, de nous indiquer le chemin; mais le saint homme s'amu­sait à nos dépens, et retardait exprès la marche de son troupeau.Nous comprîmes qu'il craignait que nous n'allassions descendrechez lui, parce qu'il aurait été obligé de nous donner à souper; etbien que nous fussions encore à jeun, nous l'assurâmes que nousn'avions pas besoin de manger, que nous ne désirions qu'un peud'eau pour nous désaltérer. Il hésita encore longtemps; puis cédantenfin à nos prières, il nous donna une vache pour nous servir deguide. Dès que cette pauvre bête fut détachée du troupeau, elle sedirigea vers le camp en beuglant, et bientôt noUs entendîmes sonveau lui répondre; elle se dirigea vers le parc, et nous vers lestentes, où nous fûmes bien mieux reçus que la conduite du gardienne nous permettait de l'espérer.

Page 52: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

LA GRANDE COURSE

de Boké à Tanger paT Tombouctou

19 avril 1827-7 septembre 1828

« Pourquoi donc, dans tous les pays, le pauvreest-il toujours le plus charitable? C'est qu'étantmalheureux il mesure les maux des autres à ceuxqu'il endure. »

René CAILLIÉ.

JOVRNAL OIAGRIC. TRüPIC. ET ilE BOTANIQt.'E A.PPLIQUÉE, T. X, NO 10-11, OCT.-NOVEMBRE 1963

Page 53: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 50-

Attente au Rio Nunez.

R. CAILLIÉ, qui allendait tant du retour du baron ROGER, fut pratique­ment éconduit. Profondément déçu mais non découragé, il quitte leSénégal où ses chances de pénétration par la Mauritanie sont définiti­vement compromises. Il passe de Saint-Louis à Gorée, puis embarquepour la Gambie ct atteint enfin Freetown en Sierra-Leone où, bienaccueilli, il reste deux ans à diriger une fabrique d'indigo afin de seconstituer un petit pécule.

Préparant son voyage de longue main, il se lie avec des Mandinguesde passage; il leur accrédite qu'il est un Egyptien arraché à son pays ctdésireux d'y retourner et qu'il se prépare à traverser l'Afrique. Avecses deux mille francs d'économie, il s'embarque sur la goélette « LeThomas », qui se rend à Kakondi sur le Rio-Nunez. Ce village, qui sesituait sur la même rive et à quelques kilomètres en aval de Bol,é(Rebecca d'alors) fut souvent porté sur les cartes sous le nom de Wal­keria (Wakria par déformation) du fait qu'un nommé WALKER avait uncomptoir en ce lieu.

Là, en attendant le départ d'une caravane pour Kankan, R. CAILLIÉeut le temps de s'intéresser aux genres de vie des populations voisines.

LES PLANTES INTRODUITES. Depuis longtemps les comptoirs établis surles estuaires des « Rivières du Sud» étaient en relation avec l'Europe,avec le Nouveau Monde et aussi avec l'Orient par la route maritime duCap de Bonne-Espérance. Dès cette époque, des échanges de plantesutiles entre les zones climatiques correspondantes du Nouveau et del'Ancien Mon des, conduisiren t à un en richissemen t considérable ducontingent des plantes cultivées en Afrique. On peut penser que cespremières introductions furent faites spontanément, par d'obscurs navi­gants et souvent même fortuitement par le moyen des produits vivrierseux-mêmes: graines d'arachide ct de maïs, tubercules divers, etc., quiétaient embarqués comme vivres de bord. Par cela même, elles répon­daient parfaitement à des besoins réciproques et point n'était néces­saire de recommandations officielles pour les favoriser.

§ 34. Orangers et Citr.onniers. La diffusion des arbres fruitiersne fut pas aussi rapide, soit que la consommation de fruits ne jouîtd'autant de faveur auprès des populations, soit que les délais de pro­duction masquassent l'intérêt de plantations. Cependant, les Citrus, quid'Asie avaient été propagés depuis Ion temps dans la région méditerra­néenne, furent introduits très tôt sur les côtes occidentales d'Afriquepar les soins des Portugais.

Le 6, nous allâmes à la factorerie de M. BETHMAN, située au basde la petite montagne. C'est dans cet endroit que reposent les restesde l'infortuné major PEDDIE et de quatre de ses compagnons, vic­times comme lui de l'insalubrité d'un climat brûlant.

Page 54: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-51-

Leurs tombeaux ("), placés sur un joli plateau auprès de lamaison, sont ombragés par deux superbes orangers. A peu dedistance à l'Est se trouve un joli petit ruisseau dont les eaux clairestombent en cascade, et entretiennent la verdure, qui semble tou­jours nouvelle. Les environs de ces lieux charmants sont plantésd'orangers, de citronniers, de bananiers, et de beaux bombax, quidonnent une fraîcheur très agréable.

§ 35. Pas de ManguieT,s (Mangifera indica) sur la Côte avant1827. R. CAILLIÉ n'a jamais cité le manguier, arbre communémentplanté de nos jours dans cette région, où il est en grande faveur auprèsdes populations. Il ne s'agit certainement pas d'une omission. carR. CAILLIÉ était très attentif aux plantes utiles à l'homme et avait pro­bablement connu ce fruitier aux Antilles où il était introduit. D'ailleurs,les observations de PERROTTET, faites en Gambie à peu près à la mêmeépoque (1833). sont pareillement négatives: «Des bananiers, des oran­gers, des citronniers, des papayers, des acajouyers. des ananas, des gou­yaviers. des anones, embellissent les environs de ces habitations, et enrendent l'abord fort agréable.» Par acajouyer, l'auteur désigne l'Anacar­dium occidentale, dont il décrit un exemplaire quelques lignes plus loin.Par cette comparaison entre l'Anacardium qui est américain et le Man­guier qui est de l'Inde, on peut juger que les introductions en provenancedirecte d'Asie tropicale se sont produites bien plus tard que celles con­cernant les espèces du Nouveau Monde. Ainsi, l'Anacardium a été intro­duit très tôt et M. ADAN SON le signalait déjà au Sénégal en 1750. LeManguier, par contre, malgré un intérêt plus immédiat, n'a pénétré quetardivement en Afrique occidentale. J. M. DALZIIEL dit bien qu'il existaitdéjà dans des localités de l'intérieur avant la pénétration européenne.mais R. MAUNY ne partage pas cette opinion qui. pour le moins, ne peutètre généralisée. Ainsi, pour la Guinée, A. CHEVALIER dit que c'est lui­même qui a introduit le manguier à Dalaba en 1907 (.......).

LES PLANTES DU PAYS DANS L.~ VIE DES POPULATIONS.

§ 36. Le poison d'épreuve (éco.rce de l'Erylhrop1lleum guineenseDon). L'épreuve du poison est une pratique comparable à ceiie liuJugement de Dieu par lequel l'innocent devait triompher du coupable(lans un dUf'1 à mort. Ces procédés barhares, Quand ils n'étaient pas(lirigés, mettaient les deux protagonistes également à mal. C'est prODa­blement par l'intermédiaire de ses hôtes européens que R. CAILLIÉ puten donner la relation suivante.

S'ils soutiennent au contraire qu'ils sont innocents, on leur faitsubir l'épreuve d'un breuvage fait avec une écorce d'arbre quidonne à l'eau une belle teinte rouge.

(") Ces tombeaux étaient à Rebecca, c'est-à-dire au Boké actuel. un peu enamont de Kakondy, voir à ce sujet:

Y. ALLAIN:-lAT. _ Note sur l'identification des tombes de CAMPBELL et dePEDDIE. Bull. I.F.A.N., 3. 1941 : 74-78.

(.....) Rev. Bot. Appt. 1947 : 217.

Page 55: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 52-

Accusé et accusateur sont contraints de boire cette médecine,ou plutôt ce poison; ils doiYent être à jeun et entièrement nus;seulement. on donne à l'accusé une pagne blanche, qu'il se metautour des reins.

On verse la liqueur dans une petite calebasse, et on la fait boirepar égale portion au délateur et à l'accusé, et toujours on recom­mence jusqu'à ce que, ne pouvant plus l'avaler, ils la rejettent oumeurent.

Si le poison est rejeté par en haut, l'accusé est reconnu inno­cent, et alors il a droit à une réparation; s'il le rend par le bas,il n'est pas tout à fait innocent; mais s'il ne la rend pas du toutdans le moment, il est jugé coupable.

On m'a assuré que ces malheureux survivent rarement à cetteépreuve; car on leur fait avaler une si forte dose de ce poison,qu'ils succombent presque aussitôt. Cependant, si la famille del'accusé consent à payer une indemnité, on cesse de faire boire lepauvre patient; on le met alors dans un bain tiède, et, lui appli­quant deux pieds sur le nntre, on lui fait rendre le poison qu'ila avalé.

Cette cruelle épreuve s'emploie pour toute sorte de crimes. Il enrésulte que si la crainte de la subir fait souvent avouer ses torts,quelquefois aussi on préfère, quoique innocent, se dire coupableplutôt que de s'y exposer.

En dehors de cette fâcheuse célébrité, l'Erylhrophleum guineense 'estun fort bel arbre, caractéristique des forêts de la zone guinéenne à sai­son sèche. Le bois en est très dur, imputrescible, résiste aux attaques destermites et se recommande donc pour de nombreux usages. L'écorce estégalement tannante et ses propriétés ont fait l'objet de nombreuses re­cherches: selon R. PARIS et M. RIGAL ("'), l'extrait toxique est formé dequatre alcaloïdes distincts qui existent également à haute dose dans lesgraines. La thèse de M. RIGA!. (-) rassemble nos connaissances SUl' lesErylhrophleum d'Afrique occidentale.

§ 37. Les boissons lerm·entées. Même suns l'interdit religieux isla­mique les boissons alcoolisées ne tiendraient probablement pus unegrande place duns les mouvements commerciaux et ce sont les ressourceslocales qui sont utilisées pur ll's amateurs ("' ...."'). Les Landumas et lesl'alous, n'élant pas soumis à lu loi de Mahomet, nous dit R. C\ILLIÉ,

suvl'nt l'xtruire ou fabriquer des boissons alcoolisées à partir de plusieursvégétaux.

("'1 R. PARIS ('/ ;\1. RIGAL. - Les Eruthrophlel/m : H('cher'ches préliminairessur j'écorce et sur I(ls graines d'g guineense G. Don. Bill/. Sc. Pharmacol. 47,19~O : i9-87.

("'''') ;\1. HIGA!.. --- Heeherehes hotnniques. ehimiques et phUl'mncolol(iqul'ssur les « Erythro[lhleum» de l'Afrique Occidentale. Thèse Doel. Cniver.(Pharm.) Paris 1941.

("'....'f) H. H'SMl'TH ct C. ;\lf;1\AGE. - Les hoissons alcooliques en A.O.F., Bl/Tl.I.F.A.:\'. 23B, 1961 : 60-118.

Page 56: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig, 5, - V' Palmi.", ù hnilp (Elaeis guillccnsis), A gauche un jeuue pied por­tant déjà plusieurs régimes (seuls les pieds de plantation ont l'ct aspect,eal' les pieds sauvages sont plus grêles ct l'estent stériles plus longtemps); àdroite un pied àgé dont seuls des grimpeurs exl'erl'és peuyent atteindre lesfr'uits; en has un fruit dont le péril'arpe fibreux et oléa[(ineux, laisse voirla noix; une noix de palme dont la l'oque et brisée pour montrer le pal­miste; l'amande, ou palmiste, qui fournit également une huile (§ 38),

Page 57: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 54--

a) Le Cou ra (Parinari exee/sa Sab.) sera cité à plusieurs reprises parR. C\lLLlÉ au cours de sa traversée du Fouta. Cc grand arbre de lafamille des Rosacées, congénère hygrophile du Néou (§ 5) porte (lenombreux fruits dont la pulpe, à maturité, est plutôt pâteuse que juteuse,mais sucrée et de goût agréable.

La prune qu'ils nomment l'aura, qu'ils pilent et font fermenteravec de l'eau, leur donne aussi une boisson assez agréable, mêmeenivrante, et qui, m'a-t-on assuré, a quelque rapport avec notrecidre. Quelquefois ils se nourrissent avec le marc de ces fruits(§ 43).

b) La bière de djin-djin (J)i.~.~oli.~ grandiflora Benth.). Cc Dissotis estune plante herbacée dont les belles fleurs voyantes précèdent les feuillesaux premières pluies; les parties aériennes disparaissent au début de lasaison séche et ne laissent que la souche vivace dont les fortes racinestubéreuses constituent la partie utile. C'est un fragment de eet1e espècede Mélastomacée que R. CAILLIÉ avait l'apporté dans ses carnets.

Ils ont encore une autre boisson qu'ils appellent jin-jin-di, faiteavec la racine d'une plante du même nom; ils la font brûler, lamêlent avec l'écorce d'un arbre (qu'il m'a été impossible de voir) ;broyant le tout ensemble, ils y mettent de l'eau, et remuent forte­ment pendant près de deux heures. Après avoir laissé fermenterpendant deux ou trois jours cette boisson, ils la soutirent; elleacquiert ainsi une saveur douce et agréable. Ils en boivent lesjours de fête et de régal, parce qu'elle facilite la digestion. Ilsemploient aussi cette racine de jin-jin-di sans autre mixion, commeun très bon purgatif.

l') Le vin de palme. Les nombreux palmiers qui croissent en cepays leur fournissent en abondance un vin très doux.

II s'agit du palmier à huile, l'E/œis guineensis Jaequ., qui est égaIe­ment un important producteur d'huile extraite de la pulpe du fruit.R. CAILLIÉ ne nous dit pas si le palmiste (amande également oléagineusedu fruit) faisait déjà l'objet d'exportation.

§ 38. L'huile de pttlme. Ce beau et fertile pays produit en quan­tité des palmiers d'où ils tirent beaucoup d'huile; ces peuplesl'aiment beaucoup, et en mettent dans tous leurs ragoûts.

§ 39. Les arbre8-ruchers. Les abeilles sont très communes dansce pays. Ces peuples aiment beaucoup le miel; ils l'obtiennent enplaçant des ruches dans les arbres. Pour l'en retirer sans accident,ils descendent la ruche au moyen d'une corde, à une certaine dis­tance de terre, et allument dessous un grand feu avec des herbesà moitié mouillées; la fumée chasse les abeilles, et les nègresrestent ainsi maîtres des ruches. La cire qui en provient est vendueaux Européens.

Page 58: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 55 -

Ces insectes sont si abondants, qu'ils n'est pas rare de les voirs'emparer des cases, et forcer les familles qui y son logées à leurcéder la place; on a alors recours à la fumée pour les chasser.

Le Dr M. "fATHIS ('l'), qui a eu l'occasion d'étudier cette question,évoque spirituellement l'abondance de la faune apicole en disant que« Les abeilles de Guinée semblent souffrir d'une grande crise rie loge­ment; il suffit cie percher une ruche dans un arbre pour la voir sepeupler d'elle-même par un essaim errant, en quelques jours, parfoisen quelques heures ».

Dans les régions tropicales où les colonies d'abeilles n'ont pas àconstituer de réserves importantes pour l'hiver et sont actives toutel'année, les fonctions génératives sont beaucoup plus actives ct lesessaimages plus nombreux. La Guinée est en outre une région particu­lièrement propice à une production mellifère par sa végétation mixted'arbres clairsemés et d'espèces herbacées florifères. Les ruches, enforme de cylindre sont posées horizontalement sur les maîtressesbranches des arbres et c'est toujours un spectacle curieux que de voirces ruchers aériens pour lesquels les Parinari excelsa (§ 43) et lesParkia biglobosa (§ 44) sont le plus souvent choisis en raison de leurpuissante ramure ct de leurs fleurs mélittophiles.

§ 40. La mangrove n'intéresse pas R. Caillié. Alors que notrejeune voyageur a suivi de près toute la côte, de Dakar à Freetown etremonté l'estuaire du Rio-Nunez sur de petits bâtiments, il ne rlit pasavoir été frappé par la singularité de la mangrove. Cette partie del'Afrique est une côte basse, formée par les dépôts apportés, aux époquesgéologiques et actuellc, par les nombreux petits fleuves descendus desplateaux du Fouta ct chaînons du Kissi. Ces dépôts, drossés par le cou­rant, tendent à aligner le rivage au niveau des caps les plus avancés,tandis que le jeu des marées et l'écoulement fluvial y maintiennent unréseau compliqué de chenaux de type deltaïque dont R. C.\lLLIÉ aapprécié l'agrément:

Du haut de la montagne, on découvre la campagne à une grandedistance; on aperçoit les diverses sinuosités du Rio-Nunez, dontles rives pittoresques offrent un coup d'œil délicieux.

Mais il n'a rien dit de cette végétation amphibie que baigne chaquemarée. Les Rhizophora, aux longues racines-échasses recouvertes d'huî­tres, et aux fruits vivipares qui s'empalent dans la vase, forment lafrange extrême sur le front vaseux, tandis qu'un peu en arrière les Avi­cennia occupent de plus larges étendues sur les atterrissements. Ce sontces boisements que les riverains défrichent au prix d'efforts péniblespour y installer les rizières dont R. CAILLIÉ nous entretient.

§ 41. Le Riz et les rizièfles littorales. A cette époque, le riz cul­tivé par les Africains était exclusivement le Riz glabre (()ryza glaber­rima) qui est une sélection de formes spontanées, reliées elles-mêmes àune espèce voisine: le Riz à ligule brève (Oryza breviligulala A. Chev.).

('1') Ruches africaines et techniques apicoles en Guinée française. Bull. Serv.Elev. Indusir. Anim. .-l..O.F.; 1. 2, fasc. 2-3 : pp. 25-34.

Page 59: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 5B -

Il existait donc une riziculture africaine qui, pour avoir moins d'impor­tance qu'en Asie, n'en était pas moins originale ('l').

Les Bagos ont des mœurs bien différentes de celles des Landamasleurs voisins. Ils sont plus industrieux, et par conséquent plusheureux; ils habitent un sol très fertile qu'ils travaillent aveC soin;leur principale récolte est le riz. Ils ont l'art de sillonner leurschamps comme nous le faisons en Europe; ils se servent, pour cetusage, d'une pelle en bois, longue de deux pieds, dont le mancheen a six ou sept.

Comme le terrain est très plat, ils ont soin de faire des conduitspour l'écoulement des eaux. Quand l'inondation est trop forte, ilssavent tirer parti en ménageant adroitement de petits réservoirsdans leurs champs, pour obvier à la trop grande sécheresse, etconserver au riz ceUe humidité qu'il aime tant.

Ils ont aussi l'habitude de semer le riz auprès de leurs villagespour le transplanter dans leurs champs, quand il a aUeint sixpouces d'élévation. Les femmes sont chargées de ce soin, ainsique de sarcler. Les hommes seuls font la récolte, toujours trèsabondante.

§ 42. Il n'est pas en,core quest,i.on du Café Nunez. R. C.\lLLI~:.

dans sa description assez détaillée du Rio Kunez. ne signale aucuncommerce de café il Kakondy. Cependant, peu d'années après, dès1835. « C'est surtout le café que les traitants de Gorée allaient cherchel'au Rio Kunez; il semblait d'excellente qualité, supérieur même au moka.mais il était frappé il son entrée dans les ports de Fmncc <l'un droitdouble, qui équivalait il une prohibition.»

L'arbuste producteur, le Coffea slenophylla G. Don, était donc ahon­dant dans ces bosquets ct galeries forestièl'cS de ravins que R. C.\lLLl~:

dut traverser ct côtoyer en passant dans les pays de Bambaya, d'Irnankl'ct de Kakrima.

Kous savons comme'nt cette intéressante ressource sylvestre fut gas­pillée. « Yers 1850, nous dit A. CHEV.\LIER ('l''''), on songe'a il le cultiverct un jardinier fut même envoyé il Boké dans cc but. On se eonte'ntaitde déterrer les jeunes plants dans la forêt pour les transplanter dansles jardins.» Cette pratique fut plus ou moins régulièrement poursuivie,car, vingt ans plus tard, LANG ('1''''''1'), agent de culture il Boké, nous rapporteque, vel'S 1870, près de 50000 pieds environ de caféiers étaient arrachéschaque année en forêt pour être vendus il des commerçants et plantl'ursde Boké. Comme cette opération se faisait tardivemcnt en juillet ct que'les jeunes plants ne surYivaient pas il la saison sèche suivante, toutes ces

(~) R. Portères. - rn problème d'Eth no-botanique : relations entre le rizflottant du Hio-:'oiunez et l'origine médinigérienne des Baga de la GuinéeFrançaise. .J•.4urie. Trop. Bot.•4ppl. 2, 1955 : 538-542.

('l"') A. CHEVALIER. - Les caféiers sauvages de la Guinée française. C. R.Amtl. S,'. Paris. 140'. 1905: 1472-1475.

('1''1''1') L,'!'G. -- La culture du café au Hio-:'iunez. Rev. Marit. et Col. 1870 :228.

Page 60: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 6. - Le riz (Oryza). Une panicule de riz, puis: un grain entier avecses l'dumes et glumellcs: un grain déc,)rtiqué entier avec son embryon etson tégument rougeâtre: un grain poli sans embryon ni tégument; en basune rizière littorale avec, au fond, un cordon littoral où l'on reconnaît despalmiers à huile et, vers la droite, un Kapokier qui indique la présenced"un village; en avant une di guette où un cultivateur tient la longue pelle

de hois ferré qui sert à travailler la vase; au premier plan à droite, unpied de riz (§ 41).

Page 61: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 58-

plantations périclitèrent, sans bénéfice pour leurs auteurs, mais au granddommage des peuplements naturels que L.\NG proposait, plus justement,d'aménager et <l'enrichir.

Départ pour mon grand voyage, Ile 19 avril 1827.

Je travaillais à mettre en ordre les notes que j'avais prises surles Nalous, les Landamas et les Bagos, lorsque M. CASTAGNET revint.Il eut la complaisance de s'occuper immédiatement de mon voyage,et me donna des conseils fort sages sur la manière de me conduireavec les peuples que j'allais visiter.

Le 19 avril 1827, je pris congé de M. CASTAGNET. L'avouerai-je?je pleurais en quittant mon généreux ami : cependant des regrets,quoique bien sincères, ne pouvaient altérer la joie que j'éprouvaisd'entreprendre enfin ce voyage, après lequel je soupirais depuistant d'années.

La traversée du Fouta-Djallon.

René C.\ILLlÉ pouvait être ému. Quitter le village de Bo1(é, sur la côteoccidentale d'Afrique, seul avec son secret, sans ressources, ni appui,pour atteindre Tombouctou; puis traverser le désert, soit vers le Maroc,soit vers l'Egypte, était une entreprise lourde de dangers mortels.

En 1921, presque un siècle après cc voyage, L. J.\CQUIER a eu la curio­sité de suivre une partie de l'itinéraire djal10nnien de R. CAILLIÉ et s'estplu à reconnaître l'exactitude du Journal: « ...comment ne pas croire àla véracité du voyageur qui avait noté jour par jour et ainsi dire heurepar heure, ses marches, la direction suivie, les villages reneontrés, desorte que le Journal de route fait un itinéraire complet, sans la moindrelacune, sans aucune défaillance?» ("').

La route suivie par R. C.\ILLlÉ est bien délaissée aujourd'hui depuisque les principales voies de pénétration, route et chemin de fer, partentde Conakry plus au Sud. Cette route passait alors par le pays <l'Irnanké,plateaux peu élevés mais entaillés en tous sens de profonds ravins, ren­dant la marche très pénible. Puis elle abordait le Djallon dans sa partiela plus étroite, par l'ombilic de Bomboli, qui relie le plateau du Labé àcelui de Dalabaet sépare les eaux des Rivières du Sud de celles duSénégal.

Malheureusement, comme Th. MOl\"OD le fait remarquer, R. CAILLIÉ neconnaissait pas les roches et les rapportait à peu près toutes au granit,alors que, dans la partie djallonnienne de son voyage, il a surtout ren­contré des grès, des latérites ferrugineuses et, plus rarement, des dolé­rites. Par contre il a bien décrit l'aspect ruiniforme des montagnes degrès qui dressent leurs murailles, tourelles et donjons, dans un paysageà chaque pas renouvelé.

("') En marge du voyage de Ren~ CAILLIÉ. Bull. Comité études hist. scient.A.O.F., 1921.

Ultérieurement, en 1938. O. DURAND (cf. Bibliographie générale) a égalementfait le même cheminement.

Page 62: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 59-

En ce qui concerne la végétation R. c.\.IJ.L1É ne pouvait pas apporterdes précisions telles que nous puissions nous y référer aujourd'hui, pourapprécier le recul des forêts, par exemple. Cependant il indique que larégion des Timbis était assez dénudée, ce qui correspond bien à lasituation actuelle due à une occupation humaine très ancienne.

Si R. CAILLIÉ ne pouvait pas davantage se livrer à une étude de la flore,il savait, par contre, choisir judicieusement quelques espèces caractéris­tiques dont il notait la présence le long de son itinéraire.

TROIS coMP.\G:-iO:-iS DE ROUTE: LE KOURA, LE NÉRÉ, LE FROMAGER.

§ 43. Le coura (Parillari excelsa Sab.L R. C.\ILLlÉ a déjà cité ce fruitdont on fait une boisson fermentée au Rio-Nunez (§ 37 a) et il aurasouvent l'occasion ct'en consommer sur la route du Fouta-Djallon.

Le 21, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route. Lacampagne est couverte de grands arbres. Marchant à l'ombre des.forêts, nous ne nous apercevions pas de la chaleur excessive dujour. .Je vis beaucoup de figuiers sauvages (§ 52), et de pruniersque les nègres nomment callra. Cet arbre donne un très bon fruitqui a la forme de la prune; la pellicule est rougeâtre et marquéede points un peu plus clairs; en levant cette pellicule, on trouveune pulpe délicieuse au goût, qui n'a pas plus de quatre lignesd'épaisseur sur un noyau gros comme celui de la pêche. Nous arri­vâmes, à trois heures après midi, très fatigués, au village deDaourkiwar, où nous passâmes la nuit: il est situé auprès d'unemare dont l'eau est très bonne à boire; elle est entourée de bombax,de pruniers et de quelques nallclea. Nous mangeâmes des prunesdu pays, que je trouvai délicieuses.

Lorsque R. CAILLIÉ parle cte Naue/ea en borùure des marcs soudanaiseset sahéliennes, il s'agit sans aucun ctoute du MitragYlla inermis; mais, encelle région de la Guinée, en compagnie ctu Koura, cela paraît beaucoupmoins probable ainsi que le fait remarquer Th. MONOD. Il s'agissait peut­être du Sarcocephalus esculentus, à feuillage beaucoup plus ample maisùont les fruits ressemblent à ceux ctu Mitragyna sans en avoir la mêmestructure.

Le 22, à cinq heures du matin, nous continuâmes notre route ...La route était plus belle que celle de la matinée; je vis beaucoupd'arbres à callra ; nous nous amusâmes à ramasser des fruits.

Le 30 avril... Nous descendîmes une petite montagne au pied delaquelle passe le Cocoulo; nous la passâmes à gué. A peu de dis­tance de cet endroit, elle se précipite à soixante pieds de profon­deur, en faisant un bruit épouvantable: je m'arrêtai un instant àcontempler cette cataracte. Cette rivière coule parmi de hautes.montagnes couvertes de grands arbres; le prunier du pays s'ytrouve en quantité.

Le 8 mai, R. C.\ILLIÉ traverse le Bafing un peu en aval des chutes ctcontinue sa route vers Foudédia :

Page 63: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 60-

Nous marchions dans des gorges de montagnes de cinq à sixcents pieds d'élévation, et couvertes de grands arbres; j'aperçusle nédé et le caura ou prunier du pays.

Arrivé dans la vallée du Tinkisso, sur le versant continental du Fouta­DjaJlon, R. CAILLIÉ n'aura plus l'occasion d'observer le koura des Foulas,le Sougué des Soussous, le Parinari excelsa des botanistes. Cet arbremagnifique a effectivement une aire restreinte, correspondant à cettepartie de l'Afrique occidentale, qui s'étend de la Gambie à la Côted'Ivoire, est exposée aux pluies copieuses de l'été, mais subit par ailleursune saison sèche sévère. Cette essence tend même à devenir exelusi\'('au-dessus de 900 à 1 000 m d'altitude. Elle formait autrefois de bellesforêts montagnardes au Fouta-Djallon et dans la région de Macenta, enGuinée, puis dans la région dl' Man, en Côte d'Ivoire: il n'l'n reste plusque des lambeaux. Au Djallon, si les boisements densl's sont den'nusl'xceptionnels (quelques massifs sur le versant du Konkouré vers Dalaba),les arbres qui persistl'nt çà pt là atteignent en revanche de majestul'usesproportions. Le Fouta-Djallon n'occupe donc pas toute l'aire du Parinal'iexcelsa, mais tout le pays est caractérisé par cette essence; ct lorsqul' IPsanciens Foulbé disaient que !l'ur influencl' s'étendait « dl'puis le pal miel'à huile de Kakonlli jusqu'au fromager de Sareya », cela correspondaitau fragment djal1onnil'n dl' l'aire du Koura.

Les Peuls sont donc très attachés à cet arbre ct ils disposent d'undche vocabulaire pour désigner tout cc qui s'y rapportl'. OUSM.\~EDI.\LLOnous a eonté comment se fabrique le pôtfirou avl'C le kourarl', fruit dukourahi ("'). D'un juste mélange de fruits trl's m(\l's (moloho) pt de fruitsencore acides (basi) pilés et brassés avel' dl' l'l'au, on obtient un pôtâroufort agréable car il est, à la fois, aigreld et doux. Les personnl'S d'unâge raisonnable ne boivent que le liquide, mais les l'nfants, que la dignitéou maintien ne retil'nt pas, ont licence de mangl'r la pulpe et de s'enbarbouiller joyeusl'ml'nt la figure.

Les premières rl'marqul'S sur le Parinari macrophylllllJl rl'montl'nt auxpremiers voyages des Portugais sur la côte d'Afrique. Morave ValentinFER~Al"[)ES dans unl' « Description» de 1506-1507 parle du Mampata :« de ce fruit on fait aussi du vin et il a le goût des pomllles bayonnai­Sl'S» ("'''').

Ultérieurl'lIIent S. PERROTTET a eu l'occasion d'admirl'r le koura à lalimite Nord de son aire lors dl' son voyage en Gambie l'n 1829: «Jerencontrai aussi le mampata (Pal'inarium excelsum). Bel arb,'l' quiacquiert souvent UIlP hauteur de 80 à 100 pieds, pt étend ses énormesbranchl's à une grande distance; le tronc est assez droit, sans branchl'sni nœuos apparl'nts jusqu'à la hauteur d'envil'on 20 pieds; ses fleursblanches et petites exhalent unl' odcur très suavc, qui embaume l'air;l'Iles attirent ainsi sur l'arbre lll'S milliers d'abeillps qui s'y formentsouvent en l'ssaims nombreux.»

~ 44. Le Nédé (Parkia biglobosa Benth.). Le Néré, dont !l' nomgénérique l'st dédié au célèbre explorateur Mungo P.\RK, dont R. C.\ILLU:S'l'st beaucoup inspiré, fut un compagnon plus eonstant que le Pm'innri

("') Un produit de cueillette du Fouta-Djallon : le Koura . .Yotes africaines,1949 : 37-38.

("'''') Th. MONOD, A. TEIXERA DA !\IOTA cl R. !\IAUNY. - Description de la côte·ocddentale d'Afrique. Ccntro de Estudos, 1951.

Page 64: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

61

Fig. 7. - Lll ridèrl' liokoulo. Chutes de Kambadaya au pied desquellesH. C.UI.LlI~ est passé le 30 avril 1R27 et a observé les arbres à Koura (§ 43).

Page 65: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- G2

sur la longue route qui va de la côte à Djcn né sur le Niger. R. CAILLIÉle cite dès sa sortie de Boké; mais alors que dans cette première partie(lu parcours il l'associe le plus souvent au Koura (Parinari) , il le citepresque constamment avec le Karité à partir du Tinkisso.

Non seulement cet arbre a des exigences climatériques assez souples,qui lui permettent une large extension, mais encore il est semi-domes­tiqué et préservé dans les terrains de culture. La pulpe farineuse desgousses en est le produit alimentaire essentiel, et les graines ont unusage condimentaire après fermentation. R. CAILLIÉ en parlera plusloin sous le nom de zambalas (§ 81). En outre la cosse des gousses estichthyotoxique, l'écorce est tannante, etc ...

Nous trouvâmes un sol composé de terre rouge et un peu pier­reux, mais couvert de la plus belle végétation; le nédé surtout yest en abondance. Le nédé est une espèce de mimosa dont le fruitcontient une substance féculeuse. Plusieurs des Foulahs que nousavions joints en route me donnèrent des fruits du nédé : ce fruitest très commun dans cette partie de l'Afrique, et d'une granderessource pour les voyageurs; il est très nourrissant, et leur sertà économiser le riz qu'ils ont destiné à l'achat du sel.

Quelques jours plus tard, après avoir traversé la Kakrima, R. CAILLIÉcite encore le nédé :

Après nous être reposés un moment à l'ombre de grands nédés,et nous être rafraîchis avec le lait que nous devions à la générositédes Foulahs, IBRAH lM mon guide et ses camarades s'occupèrent àacheter un bœuf pour célébrer la fête du ramadan qui arrivait lelendemain.

§ 45. Le Bombax de R. Caillié est probablement le kapokierà Heurs blanches: Cl'iba penladra Gaertn. Cet arbre est plusieursfois cité sur le parcours de Boké au Fouta, mais il le sera plus régulière­ment dans la partie soudanaise du voyage. Th. MOl'on accorde à l'auteurqu'il s'agit hien d'un Bombax, au sens actuel du terme, soit, pour larégion considérée, du B. buonopo;;ense P. Beauv. Cela est bien peu pro­bable. Cette espèce ne s'impose guère au voyageur profane que lorsqu'elleest recouverte de ses belles fleurs rouges et ne sc rencontre pas précisé­ment auprès des agglomérations. Comme par ailleurs R. CAILLIÉ nenomme jamais le fromager ("'). dont le nom ancien, synonyme aujourd'hui,était Bombax pellialldrum, il y a tout lieu de cI'oire que c'est bien cetarbre géant qu'entendait signaler R. CAILLIÉ.

Nous nous assîmes à l'ombre d'un superbe bomba.r pour prendrenotre modeste repas, qui consistait en riz bouilli, auquel on ajoutaquelques pistaches grillées et pilées, puis un peu d'huile de palmier.

Le 20 avril, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route...Nous fîmes vers l'Est sept milles, sur un sol pierreux, montagneuxet couverts de grands arbres; le nédé et le Bomba.r y croissent enquantité, et embellissent la campagne.

('l') Cet arhre est fâcheusement désigné sous le nom de Fromager en langage-­popu Jaire.

Page 66: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 63-

Le 29 avril la petite caravane atteint la montagne de Tourna quisépare le pays d'!rnanké du Djallon :

Nous nous reposâmes un moment sur son sommet. Je vis auxenvirons de très bel indigo et des bombax qui le disputent engrosseur aux plus énormes baobabs des bords du Sénégal.

PRODUCTIONS VÉGÉTALES ET SYSTÈME AGRO-PASTORAL DU FOUTA-D.I.\L­I"ON (.y.). R. CAILLIÉ a bien su relever l'existence de deux classes sociales,ethniquement distinctes, sur lesquelles reposait le système agro-pastoralde l'époque. D'une part les Foulas, pasteurs et conquérants, qui établirentleur domination sur les cultivateurs premiers occupants du sol, lesDjallonkés, dont ils firent leur main-d'œuvre servile. En sorte que cettestructure sociale s'est poursuivie dans le système agro-pastoral et s'esttraduite dans l'habitat: «On sait, disait RICHARD-MoLLARD, qu'au Foutala population se répartit en paroisses, les missidé, avec un chef-lieupeuplé de Peul, autour duquels gravitent hameaux peul: les fou/asso,ct hameaux de serfs: les roundé.» On peut encore ajouter que missi déet foulasso occupent plutôt les éminences, tandis que les roundé sontplutôt dans les vallées. Si les différences ethniques et sociales doiventrapidement se fondre dans le creuset de la République guinéenne, ladispersion de l'habitat est peut-être appelée à se maintenir plus long­temps en relation avec l'élevage. La forme bocagère des clôtures gagne­rait même à s'étendre pour assurer la rotation du pacage et la protectiondu sol.

Nous passâmes près du petit village d'Oréouss, habité par desFoulahs qui élèvent beaucoup de troupeaux: ce village est situésur le penchant d'une haute montagne, couverte de la plus bellevégétation. Le 21, à cinq heures du matin, nous nous mîmes enroute. Nous fîmes sept à huit milles parmi des monticules quirendent la marche très pénible; ensuite nous passâmes près d'unvillage habité par des esclaves chargés de la culture des terres.Tous les villages ayant la même destination s'appellent ouround,i ...J'appris alors que, dans le Fouta-Dhialon, les nègres ont deuxjours de chaque semaine consacrés à travailler à leur champ par­ticulier, c'est-à-dire destiné à leur subsistance. En continuantnotre route, nous passâmes auprès de Dougué, joli village de troisà quatre cents habitans Foulahs et Dhialonkés, situé dans uneplaine de sable gris, susceptible des plus belles cultures: cette plaineest entourée de hautes montagnes, et couverte de très beauxp'âturages.

§ 46. Le cagnan : nougat de maïs. Plusieurs Foulahs pasteurs,qui gardaient leurs troupeaux dans notre voisinage, vinrent nousvoir, et nous vendirent ce qu'ils appellent du cagnan, espèces de

(.y.) J. RICHARD-MoLLARD. - Essai sur la vie paysanne au Fouta-Djallon. Lecadre physique, l'économie rurale, l'habitat. Rev. Géogr. alpine, Grenoble 32,1944 : 135-240.

Page 67: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

64 -

pains qu'ils font avec du maïs et des pistaches grillées et pilées,dans lesquels ils ajoutent du miel: ces pains font en partie leurnourriture en voyage.

R. CAILLIÉ est invité par un jeune Foula à boire nu lait dans un campde berger:

Ce camp était composé de cinq à six cases en paille, de formepresque ronde, et très basses; il fallait se mettre en double poury entrer: l'ameublement consistait en quelques nattes, peaux demouton et calebasses pour mettre le lait... De ce petit camp onapercevait le village de Mirayé, situé sur le penchant d'une hautemontagne qui m'a paru très boisée; il est habité en partie par desFoulahs et des Dhialonkés, tous mahométans ... Nous nous ren­dîmes ensuite à Dongol, petit village d'esclaves.

Le pays Irnanké (entre Boké et la Kakrima) est habité par desFoulahs pasteurs; ils possèdent de beaux troupeaux qui font leursprincipales richesses, et servent à leur nonrriture. Il y a aussidans ces montagnes beaucoup de Dhialonkés, anciens possesseursdu pays de Fouta-Dhiallon, conquis très antérieurement par lesFoulahs, qui soumirent une partie de ces peuples à la religion deMahomet: ceux qui persistèrent à rester dans l'idolâtrie, dcvinrentles tributaires de l'almamy ou chef du pays; ils paient Icur tributen bestiaux.

PLANTES D'AMÉRIQUE DANS LES JARDINS D'AFRIQUE. Les Foulahsnourrissent beaucoup de bestiaux, bœufs, moutons et cabris; ilsont des chevaux d'une petite espèce, peu d'ânes, quelques chiens,et ils élèvent beaucoup de volailles. Ils font fréquemment desvoyages à Sierra-Leone, où ils vont vendre des bœufs pour l'appro­visionnement de cette colonie. Ils cultivent dans leur montagnesbeaucoup de riz, du gros maïs et du petit mil; le coton, qui leursert à fabriquer des étoffes dont les lés n'ont que cinq pouces delarge. Ce pays fournit abondamment tout ce qui est nécessaire àla vie, riz, mil, ignames, cassaves, choux caraïbes, oranges,bananes, etc.

II est à remarquer que les premières cultures ainsi inventoriées parR. CAILLIÉ étaient presque toutes ùes espèces introduites.

~ 47. La pistache: Arachide ou Voandzou? La pistache, oupistache de terre, est l'Arachide (Arachis hypogea) espèce américainedont le rôle n'a cessé d'augmenter ('n Afrique comme produit oléagineuxct alimentaire. Toutefois, sous cc fàcheux nom de «pistache» -- quidt'\Tait être réservé à l'amande du Pistacia, arbre du ;\Ioyen Orient -,il est certainement arrivé à H. CAILLIÉ de eonfonclre ensemble l'arachic\cct une plantc assez ressemblante, le Pois bambara, ou Voandzou (Voand­;:cia sllbterranea) , qui mûrit également ses fruits en terre. Bien que leVoandzou ait régressé devant l'Arachide, il est toujours cultivé, surtout

Page 68: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. R. - LI' "{'l'{- (l'nrkil! i>iyio/Jnsa, ~ ~~), !lranches il ,!l'oite avec houlesl'elldan!es de fleurs: branches il gauche avec fcui]]es et paquets de gousses;en dessous une houle rie fleurs et un paquet de gousses; en bas il droite unl\'él'é sur lequel on a disposé cinq ruehes (§ 39),

Page 69: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 66-

(lans la région soudanaise ct devait l'être encore davan tage il y a unsiècle. C'est une espèce bien africaine dont ont connaît les formes sau­vages ("). Lorsque R. CAILLIÉ parle de pistaches grillées, mangées direc­tement, ct de sauce à la pistache, il s'agit plus probablement de l'Al'a­chide. Cependant, le grain du Voandzou, beaucoup moins gras que celuide l'Arachide, est également grillé ct écrasé pour épaissir les sauces ctconfectionner des beignets très appréciés.

§ 48. Le gros maïs. Lorsque R. CAILLIÉ connaissait une plante, il nes'informait pas du nom local. C'est le cas pour le « gros maïs» qu'il citeavec le « petit mil ». Cc dernier l'st probablement un Pénicillaire paropposition au « gros mil », qui est un sorgho. Quant au maïs c'est, bienentendu, une introduction (..... ). Malgré quelques tentatives récentes pourfaire prévaloir l'idée d'une origine africaine, il n'est pas douteuxque le maïs est américain ct il n'est lié à aucune espèce spontanée dl'la flore d'Afrique. A l'époque Ile R. c.\ILLI~; l'extension du maïs enAfrique occidentale devait déjà atteindre ses limites écologiques. Enfait, dans beaucoup de régions, il reste une culture de case et une pro­duction d'appoint.

§ 49. La cassave désigne le Manioc (ll'lanihol Illilissima) , égalementd'origine américaine, ct qui a pris une large place, concurremment auxignames africaines plus exigean tes. On a cru un temps que le maniocdoux dit « Aipi », était africain; cette opinion était inexacte ct ne tenaitqu'à cc que cette forme avait été introduite antérieurement aux formesami'res (Iont la toxicité exige des macérations préalables pour débar­rasser le tubercule de son excès d'acide eyanhydrique.

§ 50. Les Il choux caraïbes" de R. CAILLIÉ englobent probablementdeux espèces distinctes: a) le Colocasia anliqllorllm, à feuilles peltées ctdont on ne peut dire qu'il ait été introduit. Car bien qu'il soit d'origineorientale, il était connu de l'ancienne Egypte ct on peut penser qu'ils'est étendu à l'Afrique tropicale en sc propageant lentement par lavallée du Nil, ou à travers le Sahara, à une époque où cette région n'étaitpas aussi intégralement désertique.

h) Le Xanlhosoma sagillifolia, à feuilles sagittées, d'origine amencaineet r1'introduction plus récente. On sait que cc sont les rhizomes tubéreuxde ces deux plantes qui constituent la partie comestible. De plus lesfeuilles encore jeunes peuvent être consommées comme brèdes avantqu'elles n'aient trop de raphides d'oxalate de calcium.

§ 51. Le g~llé, ou enclos des foulasso et rloundé. Les hameauxfoulbés sont protégés de l'intrusion du bétail qui pâture librement àl'extérieur, par des clôtures ct haies vives que l'on franchit par deséchaliers. Le Jalropha Cllrcas, ou purghère, espèce (l'origine américaine,sert souvent aujourd'hui à leur confection: on plante des branches quifont palissade, puis elles reprennent de bouture et deviennent haie vive.Malheureusement, R. CAILLIÉ n'indique pas si cette plante était déjà

(") H. JACQUES-FÉLIX. - Remarques sur l'origine et la géocarpie du Voand­zeia subterranea. Bull. Soc. Bot. France 93, 1946 : 360-362.

(....... ) R. PORTÈRES. - L'introduction du Maïs en Afrique J. Agric Trop. Bot.Appl. 2, 1955 : 221-231.

Page 70: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 67-

répan<lue au Djallon en 1827. Ces clôtures compartimentent de petitschamps potagers attenant aux habitations: c'est une réplique réduite dubocage vendéen que R. CAILLIÉ avait bien connu dans sa jeunesse. Cespotagers sont le domaine des ménagères qui ont ainsi sous la main leslégumes destinées à agrémenter ou compléter le plat de résistance.

Le 26 avril, nous séjournâmes à Lantégué. Je passai une partiedu jour à visiter le village et ses habitants, qui sont au nombre decent cinquante. Je vis autour de leurs cases de belles plantationsde bananiers, ananas, cassaves, ignames, et mille autres plantesutiles, le tout bien soigné: ce sont les femmes qui sont chargéesdu soin de les cultiver; les hommes travaillent dans les champs deriz, etc.

Le 29 avril, ... je vis une petite chaîne de montagnes aplaties ausommet, à chaque extrémité de laquelle s'élève un pic ressemblantaux tourelles d'un vieux château; elles sont sans aucune végétation.Nous arrivâmes, vers trois heures du soir, à Comi-Sourignan, jolivillage d'environ cent cinquante habitants,. situé sur un beaucoteau: la campagne variée offre un coup d'œil magnifique; elleest entrecoupée de jolies collines, couvertes de la plus belle ver­dure; la terre est jaune et très productive. Le village est défendupar une haie vive; il Y règne la plus grande propreté; les casessont entourées de belles cultures de pistaches, cassaves, chouxcaraïbes, et diverses autres productions: ces cultures, soignéespar les femmes ou les enfants, sont tenues dans le meilleur état;ils ont même soin de balayer les allées qui conduisent à leurs cases.

Le 30 avril, à cinq heures et demi du matin, nous fîmes routedans la direction du Sud-Est, en traversant une grande plaine sus­ceptible des plus belles cultures. Nous tournâmes, en descendant,un petit plateau qui se trouve dans la province de Timbi: la plaine,dans cet endroit, est couverte de roches rouges à fleur de terre; lepays est généralement très découvert; à environ 7 à 8 milles à laronde, on aperçoit plusieurs monticules ... Nous arrivâmes auprèsde Bouma-Filasso (exactement «foulasso»), petit village sur lepenchant d'une montagne, où j'ai remarqué beaucoup d'indigo quicroît spontanément et sans culture; j'ai vu aussi quelques planta­tions de coton. La campagne, couverte d'une superbe végétation,offre un très beau coup d'œil; je remarquai plusieurs endroitsnouvellement défrichés pour la culture.

§ 52. Figues, Figues-baru;;.nes, Bananf:s et Anano·s. En Fouta­Djallon, R. CAILLIÉ a eu quelques occasions de manger <les bananes quilui étaient offertes ou qu'il achetait. A deux reprises il associe la figue<le façon assez équivoque à ses citations. Lui a-t-on réellement proposé<les figues, ou voulait-il parler des bananes à fruits petits et sucrés dontle langage créole a fait les «figues-bananes », pour les opposer auxgrosses «èananes-plantain », qui se mangent cuites? Par ailleurs il

Page 71: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 68-

existe effectivement quelques Fic/ls dont on peut consommel' les figues;mais ce ne sont que des « fruits de brousse» qui n'étaient probablementni offerts ni vendus.

Nous arrivâmes bien fatigués, à cinq heures du soir, à Cossotami.joli petit village situé sur un coteau. On nous apporta des bananes.que nous achetâmes pour quelques grains de verroterie.

A Comi-Sourignan, la femme du chef vint s'asseoir avec nous;puis elle alla chercher quelques figues et bananes qu'elle mit dansune calebasse bien propre, et nous les donna à mon guide et à moi.

Dans la province de Timbi, nous nous arrêtâmes un moment sousde grands arbres pour attendre nos compagnons restés en arrière.Plusieurs femmes nous apportèrent des bananes ou figues, j'enachetai quatorze pour trois grains de verre.

Les bananiers à fruits pulpeux ont leur origine en Asie. Dépourvusde graines ils ne peuvent se multiplil'r que par rejets et n'ont pu êtretransportés que par l'homme. Leur introduction en Afrique occidentalese serait faite à troi,s époques. Celle du bananier «plantain» (Musaparadisiaca) se serait produite il y a deux mille ans par l'intérieur ducontinent; celle du bananier «figue» serait beaucoup plus récente ctdue aux navigateurs portugais; enfin, le bananier nain, ou bananier deChine (Musa nana = M. sinensis), n'est introduit que du début du pré­sent siècle: d'une part, TEYSSONl':IER, Directeur du Jardin de Camayenneil Conakry, en avait rapporté des pieds qui lui avaient été confiés par:\1. CORNU du :\Iuséum de Paris; d'autre part, le Gouverneur B.\LLEY enavait fait venir des Canaries ("').

Ajoutons que la flore africaine compte plusieurs bananiers à graines:en Guinée même on peut rencontrer l'Ensele Gillelii E. E. Cheeslll. (""").

Le fougné des Soussous, l'Ananas comosus Merril, dont R. CAILLIÉ arelevé la présence dans les jardins, est encore un exemple typique deplante introduite. Sa venue sur la Côte d'Afrique a dû se produire trèstôt et la facilité de son acclimatation a fait qu'il s'est répandu trl's faci­lement sans avoir le même intérêt économique que les autres introduc­tions. En effet, il est aujourd'hui à demi-naturalisé ct il n'est pas rare<l'en voir des fourrés le long des sentiers forestiers aux abords desvillages. II a suffi qu'une « couronne» ait été jetée là, après consomma­tion sommaire du fruit, pour que la plante ait repris racine et se soitpropagée par ses rejets. Il s'agit évidemment de formes rustiques, àfeuilles très épineuses et fruits peu développés. Cc n'est qu'à une époquerécente que des variétés améliorées sont cultivées en Guinée pour lecommerce des fruits ct des jus.

La pharmacopée populaire a cu le temps de trouver plusieurs autresvertus aux différentes parties de cette plante étrangère.

§ 53. Les oranger.s du Djallon. Les Citrus qui, à part le pample­mousse ct le citron limette, s'aceommoden t mal d'un climat chaud etnébuleux, trom'ent sur les plateaux djallonniens des conditions qui !l'ur

("') A. CHEVALIER. - Contribution ... à l'historique de la culture hananièredans les Colonies françaises. Rel). Bol Appl. 24, 1944 : 116-127.

(""") H. JACQUES-FÉLIX. -- Note sur le Bananier séminifère de l'Ouest africain.J.•4gric. Trop. Bol. Appl. 2, 1955 : 94-96.

Page 72: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- H9-

sont plus favorables. C'est pourquoi les orangers qui avaient été intro­duits sur la côte (§ 34) y ont été propagés depuis longtemps et chaquevillage compte quelques beaux arbres.

Le 1" mai, à six heures du matin, nous quittâmes le joli villagede Gnéré-temilé (exactement Niellé-Téliré) ... La pluie de la veilleavait rafraîchi l'atmosphère, et donnait un nouveau charme à lanature. Nous marchâmes gaiement à l'E.S.E. : je vis un ourondé(ou village d'escla"es) entouré d'une belle plantation de bananiers,cotonniers, cassa"es et ignames. Des nègres du "illage de Bourovel(exactement Broual-Tapé) nous apportèrent des oranges; je lestrouvai délicieuses.

Popoco, situé dans une plaine de sable noir de la plus grandefertilité, est un grand et joli village; il contient de deux cent cin­quante à trois cents esclaves qui ne s'occupent que de culture. Jevis aux environs des cassaves, ignames et pistaches très bien soi­gnées; ils cultivent aussi beaucoup de riz et de mil : à peu de dis­tance du village, il y a quelques beaux orangers.

Dans la matinée du 6, il fit de l'orage; il plut un peu. Nous vîmesquantité d'esclaves occupés à préparer la terre pour les semencesde riz et autres graminées qui servent à leur nourriture... Nousarrivâmes à cinq heures du soir à Doudé. Le chef vint nous recevoirà l'entrée de la palissade dont sa propriété était entourée. Je remar­quai du coton très mal soigné; ils le sèment à la volée, commenous semons les graminées, en sorte qu'il vient trop près l'un del'autre, ce qui gêne beaucoup sa croissance.

SOURCES DU B.\Fl~G. Le 7 mai, R. CAILLIÉ franchit la crête du Foula­Djallon et descend sur le versant oriental vers la vallée du Bafing. Del'un des contreforts, l'ensemble du massif, de Dalaba à Pila, s'offre àses regards:

Nous nous trou"ions sur un plateau d'où l'on découvre une chaînede montagnes très éle"ées qui s'étend à perte de "ue; elles parais­saient cou"ertes d'une belle "égétation: le Bâ-Fing y prend sasource. Ces montagnes donnent naissance à de grosses rivières etplusieurs ruisseaux, qui fertilisent ces belles campagnes, et lescouvrent d'une verdure toujours renaissante. Sur le penchant, onaperçoit beaucoup de petits villages d'escla"es, entourés de bellesplantations de coton, et des fruits que l'on trouve dans nos colonies.Ces lieux charmants et pittoresques enchantent la vue, et rompentla monotonie du voyage. On y culti\"(' du riz et beaucoup d'autresproductions.

§ 54. Hospitalité; le couscous de fonio. Il s'éléva un "iolentorage dans la partie de l'Est. Nous entrâmes dans la case d'unebonne vieille qui s'empressa de nous donner l'hospitalité. Sa petite

Page 73: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 70 ---

habitation était entourée de cassaves, de choux caraïbes, giraumons,pistaches de terre, et de quelques gombos; je vis aussi beaucoupd'herbages que je ne connaissais pas. Dès que la pluie eut cessé,je sortis pour faire le tour du jardin... Je retournai près de l'humblehabitation, où je vis la bonne femme occupée à cueillir des herbespour faire le souper de sa famille.

La bonne mère fit cuire un peu de foigné (graminée qui croît enabondance dans ces montagnes) pour le souper de la famille; ellemit un autre petit pot à côté du grand, dans lequel elle fit bouillirles herbes qu'elle avait cueillies dans la soirée; je reconnus lacalebasse, le giraumon, le piment, la brette, le sésame, et beaucoupd'autres; elle y ajouta un peu de gombo.

§ 55. Brettes ou Brèdes. Ce sont les herbes il soupe que les villa­geois consomment avec leurs plats de tubercules ou de grains. Lesnutritionnistes nous ont appris que l'es légumes apportent à la rationles éléments minl'raux et les vitamines qui manquent aux farineux. Maisl'empirisme recherche surtout dans ces potées d'herbes les «vertusexonérantes» qui assurent l'heureux transit des féeulents (lans leurtrajet digestif. C'est pour cela que les plantes à mucilage sont souventchoisies. Par commodité on prélève également les feuilles de légumescultivés pour d'autres usages plus essentiels: manioc, coloeases, pa­tate, ete ...

R. C.\ILU}; parle d'une « hrette » proprement dite, e'('st-à-dire eultivéespécialt'IlH'nt pour l'et usage. Th. MONOD pt'nse que e'est un Solanum.Plusieurs Morelles sont effeetivement cultivées il cet effet: Solanum ano­malulll, S. 1l0diflorum, S. aelhiopicum, ete ... ; l't on pourrait en ajoutereneore hien d'autres: les Amarantes (Amaran/hus cau da/us) , le jute­légume (Corchorus oli/orius) , etc ... F. R. IRVINE ("') estime il 150 aumoins le nombre des espèces dont le feuillage peut être employé dansles soupes par les ruraux d'Afrique oecidentale. Trente d'entre ellessont régulièJ'emcnt cultivées; vingt-cinq environ sont sellli-cultivées;une centaine sont des plantes spontanées dont quelques-unes sont ré­coltées couramment et les autres ne le sont qu'accidelltellement.

§ 56. Le gombo et autres Hibiscus. Le gombo (H. esculen/us) estune cspèce cultivée depuis des temps immémoriaux dans la régionindo-africaine. Il se rattache à des Hibiscus africains spontanés dont ilest issu par sélection et culture. C'est le fruit, cylindro-conique, qui estconsommé avant maturité alors qu'il est encore turgescent et riehe enmatières pectiques.

L'oseille de Guinée (H. sabdarifl'a) est également la création d'uneculture anccstrale. Mais c'est le calice, très développé et charnu, quireprésente en ce cas la partie utile et qui apporte une note acidulée auxmets pt boissons auxquels il participe.

Ces Hibiscus et quelques autres ont encore de multiples emplois:l'II. abelmoschus donne des graines odorantes, les feuilles des uns et desautres sont cueillies comme bri'des, les graines contiennent de l'huilect, enfin, les tiges peuvent fournir des fibres (§ 115).

(.v.) The cdiblc Cllitivatcd and scmi-clIltivatcd Teaves of \Vest africa. Mate­riae l'eueiabiles 2, 1956 : 35-42.

Page 74: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 9. - Le IŒllokier blanc (Ceiba pentandra, § 45). Basc d'un tronc avec lescontreforts caractéristiques; aspect de l'arbre auprès d'un village; une cap­sule laissant échapper le kapok (le fruit n'est pas très différent du Baobab(Fig. 1) mais ici il n'y a pas de pulpe et seulement des fibres cellulo­siqucs. Ce l'Upok ne provicnt pas de la graine eomme dans le coton(Fig. 15), mais de la paroi interne du fruit. Tombé en couche légère surle sol, il peut brûler comme une traînée de poudre); feuilles étalées sur lesol.

Page 75: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-72-

§ 57. Le sésame. L'espèce à fleurs ct à semences blanches est leSesanllllll indicum, connue depuis longtemps de la région indo-africainepour st's graines oléagineust's l't alimentaires. Mais R. CAILLI~: dit icique ct' sont les feuilles qui sont utilisét's comme brèdes; à cc même titreon emploie également d'autres sésames, à fleurs mauves ct graines tein­tées, qui appartiennent à la flore africaine. La façon même dont leS. indiclllllest cultivé, laisse supposer que c'était à l'origine une mau­vaise hcrbe dont on a reconnu l'intérêt. Il est rare, en effet, que cetteplante fasse l'objet, en Afrique, d'une culture exclusive: on sc contentede jeter quclqut's graint's parmi IPs champs de riz.

§ 58. Le bouquet de la cUl~inièTe. En définitive, maIgri> leurcomposition variée, tous ct's potages seraient plutôt insipides si la cui­sinièrt' n'en acllt'vait l'élaboration par quelque condiment de hautgoût, flattant l'appétit ct stimulant la digestion. R. CAILLIÉ en citequelques-uns.

L'oignon qu'il a vu cultivé dans toute la région soudanienne et, bienentcndu, au Maroc, est trop connu pour que nous y insistions.

Le soumbara est bit'n davantage une spécialité africaine. Très elll­ployé sur place, il ne fait cept'ndant l'objet d'aucune exportation: sesqualités, qu'une ft'nnt'ntation développe, demandent une longue accou­tumance pour être appréciées. C'est exactement la graine du Néré ouParkill biglobosa (§ 81).

Le cani, ou poivrt' long (Xylopia aelhiopica) est bien une épice ausens que nous t'ntendons. Et certainement qu'à cc titre, il a cu, autre­fois, une grande importance t'n Afrique. D'abord l'arbre producteur estlargement répandu dans toute la région guinéenne ct, de plus, il faisaitl'objet d'un trafic régulit'r vers les villes du Soudan. La caravane chargéede colas que suivit R. CAILLIÉ, de Timé à Djenné, transportait aussi ducani destiné au marché de cctte ville ct à celui de Tombouctou (§ 91).Malheureusement c'est un produit de cueillette dont il faut faire provi­sion ou acheter au marché. Finalement, la solution (lu condiment ilportée dl' main de la cuisinière a été fournie pal' l'Amériqut' avec lepiment.

Le petit piment, ou piment enragé, du Capsiculll frulescens, a t'n effctct't avantagt' d'être un arbrisseau domcstique, à fructification précoce ctsc cultivant aisémt'nt auprès de la case. C'est lui qui est aujourd'hui leplus couramment employé, parfois jusqu'à l'abus.

§ 59. R. CCljlllié traverse le Bafing et subit encore un or,age.Le 8 mai, à six heures du matin, après avoir mangé un morceau decassave bouillie de la veille, nous prîmes congé de l'hôtesse.

L'orage ayant cessé nous nous mîmes en route vers neuf heures;la campagne, ranimée par la pluie de la matinée, offrait le plusbeau coup d'œil. J'apercevais dans l'éloignement de jolis hameaux,arrosés par une infinité de petits ruisseaux. Les hameaux sonthabités par des esclaves cultivateurs... Un peu à l'Est-Sud Est, onvoit, dans le lointain, de jolis villages qui embellissent la cam­pagne; elle est couverte de pâturages, qui, arrosés par de petitsruisseaux, croissent avec vigueur.

Page 76: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-73-

Le 9 mai, à six heures du matin, nous fîmes route dans ladirection de l'Est - Sud-Est. Je remarquai plusieurs tamariniers.Nous passâmes à Dimaraya, premier village de Fouta-Dhiallon,habité par des Mandingues: il peut contenir de sept à huit centshabitants. Je passai près d'un énorme rocher de granit noir, d'uneélévation de cent à cent vingt-cinq brasses, sans aucune espèce devégétation, à l'exception du sommet, où l'on aperçoit quelquesfrêles bambous: ce rocher est au milieu d'une plaine de sable gris,très fertile et bien cultivée en riz, maïs, mil, pistaches, ignames,ognons et giraumons. Nous passâmes près de Kouroufi : c'est ungros village de cinq à six cents habitants Foulahs et Mandingues.A cinq heures du soir nous arrivâmes à Sanguessa. Nous avionstoujours marché sur un sol très uni, composé de sable gris. Versdix heures de la nuit, nos deux protecteurs nous envoyèrent unsoupé auquel je fis honneur; car je n'avais mangé dans la journéeque quelques pistaches et un peu de fruit de nédé délayé dans del'eau.

Le 10 mai nous arrivâmes auprès du Tankisso.Nous pouvons arrêter ici la partie <Ijallonnienne du voyage de R.

CAILLIÉ. Ses remarques, au cours des journées des 8-9 et 10 mai, montrentbien le passage d'une région à une autre. Il a définitivement laisséderrière lui les vastes massifs de grès tabulaires pour entr,er dans lesplaines et plateaux des bassins supérieurs du Sénégal et du Niger, d'oùsurgissent de puissants dômes rocheux, granitiques cette fois. Le 8 mai,il enregistre encore la' présence de nombreux petits hameaux sur lespentes; le 9, il passe dans de gros villages de plusieurs centaines d'habi­tants dont il précise qu'ils sont en partie Mandingues. Il ne rencontreraplus le Koura, mais dès le Tinkisso il va noter la présence d'un élémentnouveau: le Karité, qui l'accompagnera sensiblement jusqu'à Djenné.

Ses observations sur le Fouta-Djallon sont absolument rigoureusesdans les faits, mais ses appréciations sur la richesse du pays sont trèsexagérées. A l'époque de son passage les premières pluies faisaient re­naître partout les herbages et un frais manteau de verdure jetait un voilepudique sur l'indigence des sols de grès et de latérites. Ce n'est pas làune situation exceptionnelle pour un pays de montagne: le drame estqu'une enclave d'altitude, en zone tropicale, réalise des conditions desalubrité favorable à une forte densité humaine qui devient vite exces­sive si elle s'adonne à l'élevage plutôt qu'à un maraîchage intensif ets'il n'est d'autres concentrations urbaines que quelques bourgs ruraux.

Les plaines eIt plateaux du Haut-Nig,er.

En arrivant sur le Tinkisso à Cambaya, R. CAILLIÉ est entré dans lebassin du Niger, dont il recoupera la plupart des affluents dans sa routeà l'Est jusqu'à Tiémé. Région de plateaux et de plaines dont Kankanétait le centre commercial le plus important, servant au trafic entre lesprovinces plus humides du Sud, les provinces soudanaises du Nord et]a région aurifère du Bouré (Siguiri).

Page 77: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-74-

§ HO. PrépclY'ation des Semailles à Cambaya. A t'elle époque del'année les pluies sont bien établies ct c'est le moment des gros travauxdans les champs. Selon son habitude, R. C.\ILLlÉ ne manque point de s'yin téresser.

Kankan-Fodéa, dont Cambaya fait partie... est situé dans uneplaine immense, composée de sable gris un peu graveleux; elle estfertilisée par les débordements du Tankisso, qui fait mille sinuo­sités dans cette belle campagne.

Le 14 mai, après notre déjeuner, IBRAHIM et moi nous allâmesnous promener à l'ourondé, voir les esclaves occupés à préparerla terre pour recevoir les semences. Les pauvres esclaves travaillentsans relâche, tout nus, à l'ardeur d'un soleil brûlant. Les femmesà moitié nues, leurs enfants attachés sur le dos, ramassaient lesherbes sèches, les mettaient en tas pour les brûler; genre d'engraisqui fertilise le sol; on n'en donne d'aucune autre espèce. IBRAHnl

m'assura que le riz croissait dans cette plaine à la hauteur dequatre pieds. Les terres les plus élevées, privées de l'inondation,sont destinées aux cultures d'ignames, de cassaves, de maïs, depetit mil et du foigné, autre espèce de petite graminée que l'oncultive beaucoup.

§ 61. Le F,oigné ou Fon~o (Diyitaria exilis Stapf). Cette petitecéréale joue un rôle considérable dans l'alimentation en Afrique occi­dentale (...). Son peu d'exigence et la rapidité de son développement per­mettent de la cultiver sur des sols déshérités et de la récolter bien avantles autres cultures. Les nombreuses citations qu'en fait R. CAILLIÉmontrent que les notes de son Journal étaient scrupuleusement enre­gistrées au jour le jour, n'apportant de précisions qu'à mesure des obser­vations. Ainsi nos connaissances sur les stades culturaux du fonio pro­gressent avec les étapes de notre voyag.eur. n parle une première fois dufonio au passage de la Kakrima dans le Djallon occidental:

Le manque de riz nous obligea à plier bagage, et à nous rendreà Pandeya, petit village habité par des Foulahs pasteurs. En cheminnous rencontrâmes deux nègres portant sur leur tête chacun unecalebasse de foigné (petite espèce de graminée), qu'ils ne voulurentpas nous vendre.

Puis il en parle au passage du Djallon, comme produit alimentaire;il décrit la préparation des semailles à Cambaya sur le Tinkisso audébut ùe mai; le 17 juin, en arrivant à Kankan,

le foigné était déjà très bien avancé;enfin, dans le Ouassoulo, en juillet, il assiste à la récolte.

On sème le foigné dans le courant de mai, et on le récolte dans­le mois de juillet, lorsque le riz n'est pas encore à quatre pouces

("') H. PORTÈRES. - Les céréales mineures du I(enre Diflitaria en Afrique eten Europe. J. A.gril'. Trop. Bot. Appl. 2, 1955 : 349-386; 477-520; 620-675

Page 78: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 75-

au-dessus du sol: on peut en faire deux récoltes par année. Sanscette graminée, qui croît avec beaucoup de rapidité, ce pays seraitsouvent exposé aux plus grandes disettes; car ces peuples ontl'habitude de ne semer que très juste ce qui leur est nécessaire:souvent même ils ne sèment point assez; alors ils ont recours aufoigné. Je m'assis un moment à l'ombre d'un arbre, pour voir tra­vailler les esclaves; je remarquai qu'ils s'en acquittaient beaucoupmieux que les nègres employés chez les Européens qui habitentla côte occidentale. Ils n'ont cependant qu'un seul instrument ara­toire; c'est une pioche, fabriquée dans le pays; elle est longue desix pouces, et large de quatre; le manche, de dix-h uit à vingtpouces, est très incliné. Ils remuent la terre à un pied de profon­deur pour les semences du riz; mais pour celles du foigné, ils neprennent pas autant de précaution; ils ne font que couper lesherbes, et jettent le grain à la volée, avant que la terre soit pré­parée; lHlis, en tirant les herbes il se trouve couvert: ce sont lesfemmes qui sont chargées de cette opération assez simple. On neprend même pas la peine, quand le foigné est levé, d'arracher lesmauvaises herbes qui gênent sa croissance. Le riz est traité avecplus de précaution: on a soin de le sarcler, et de le dégager desmauvaises herbes, sans le transplanter.

§ fi2. La p.ratique du mouki. C'est une forme d'écobuuge que l'onprutique sur les sols peu perméables des pluteuux du Djallon. Les mottesd'herbes sont levées à lu houe, mises en meule avec des bouses de vacheet brûlées. J. u matière orgunique du sol est ainsi en grunde purtieminéralisée (").

J'avais remarqué que, dans le Fouta, les Foulahs ont soin defaire brûler du crottin dans leurs champs, et de bien l'étendre surla terre qu'ils veulent ensemencer; ils font aussi brûler toutes lesracines et les herbes.

Je rejoignis IBRAHIM, et nous allâmes ensemble visiter les casesdes esclaves. Une bonne vieille femme était occupée à faire le dînerdes cultivateurs (car ils sont obligés de pourvoir eux-mêmes à leurnourriture). On voit, derrière leurs cases, de petites plantationsde cassave et de choux caraïbes, que les femmes cultivent.

§ 63. Le gingembre. En sa quulité de « savant» étranger, R. CAILLU';a souvent reçu les confidences de malheureux aflligés qui venaient luidemander une intercession religieuse ou le secours des puissants re­mèdes qu'il était supposé détenir. Le gingembre, qu'il « ordonne» à un

(~) J. RlcIIARn-\IoLI..um. .. Une forme particulière d'écobuage au Fouta­Djaiion. Soles Africaines nO 36. 1947 : 25-26.

H. JACQL'E,S-F~;LlX et H. B(:TRÉMIEUX. - Etude d'un sol écobué des hautsplateaux du Fouta-Djaiion. Contér. Afric. des Sols. Goma 1948, Communie.nO 27 : 186-192.

Page 79: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 7fl _0-

villageois qui se plaignait de défaillance génésique, est une espèce asia­tique, répandue depuis très longtemps par l'intérieur du continent etqui existe dans la plupart des villages sans jamais se naturaliser.

Le 24 mai, un Mandingue me demanda une médecine, et me ditque depuis qu'il était marit\ un obstacle l'arrêtait auprès de safemme. Comme le gingembre croît dans les environs, je lui con­seillai d'en manger beaucoup, et l'assurai qu'il s'en trouverai mieux.

~ 64. Varbre ci beurre du Soudan: le Cé 'ou Karité. C'est d'a­boni par son fruit que R. CAILLIÉ en fit la connaissance à Cambaya, maisil n'allait cesser, par la suite, de le rencontrer sur sa route et ses cita­tions reviennent comme un l'drain. C'est il Tiémé qu'il développera sesobservations SUl' cet arbre et ses produits (~ 85).

La plaine de Kankan-Fodéa est entourée de hautes montagnesde cent brasses 'd'élévation à peu près: elles sont habitées parquelques FouJahs pasteurs, qui nourrissent de nombreux trou­peaux. L'arbre à beurre y croît, ainsi que dans la plaine; on m'enapporta du fruit que je trouvai assez bon: mais comme le beurreanimal est commun dans le pays, ils le mangent de préférence. Ilsemploient ce "égétal pour les douleurs et pour les plaies; ils en'-endent un peu sur les établissements européens de la côte.

BOIS, CUI~TURES ET VILLAGES, DE CA~IRAYA A KANKAN. Le 30 mai1827, nous nous mîmes en route, vers dix heures du matin. Nousarrivâmes de bonne heure à Bagaraya : la route est couverte de cés(Cé, le shea de Park, arbre à beurre). Le l or juin, à six heures dumatin, nous fîmes quatre milles dans des gorges de montagne engranit et peu élevées. Nous continuâmes pendant trois milles surun sol couvert de grands arbres et de la plus belle végétation. Lecé ou arbre à beurre y est très répandu; l'indigo et le nédé s'ytrouvent aussi.

L'endroit où nous étions campés se nomme Sokodatakha, nomqui lui vient des arbres dont il est ombragé; c'est une grande plainede sable couverte d'arbres, et d'une belle verdure; elle est entouréede montagnes de granit qui ont à peu près trois cents pieds d'élé­vation; elles sont sans végétation.

Le 2 juin, vers six heures et demie du matin, nous nous mîmesen route gaiement, quoique nos habits fussent tout mouillés. Lacampagne est très boisée, et la route un peu graveleuse; l'arbre decé et l'indigo sont abondants dans ceUe contrée... En avançant, lacampagne continue d'être boisée, mais les arbres n'y sont ni aussigros ni aussi élevés que les précédens... Nous fîmes halte sous descahutes semblables à celles de la veille. Le terrain où nous étionscampés est de très bonne terre noire dans quelques endroits, et

Page 80: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

/ )'. ~ /7/j',~~ ) d'o",in<

/ l ~ ~ h'de (Arachis hyp)Og~;Oarigine afri-/ ~ f '- , h l'Arae l, bterranea' . s. A gaue e, VoandzelU su- Les pIsl~l'hele Voandzou (Fig, 10, , . à droIte,mériealne,a , e (~ (7) ..cam "

Page 81: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 78-

rouge dans d'autres, comme celle de Sierra-Leone, avec des pierresde même nature. Il y croît quelques palmiers.

Le 3 juin, à sept heures du matin, nous fîmes route à l'Est, lechemin étant uni et la campagne très découverte; il Y croît cepen­dant dans la partie du Nord, de gros bombax, des cés, mimosas (go­llatiers), nédés, .\'alle/ea africana et de l'indigo. Nous fîmes halteauprès d'un ruisseau ... Le lieu de notre campement était peu boisé;on apercevait quelques buissons de naucléa; le sol était couvertd'herbe sèche, dont la feuille était coupante comme la rouche. Il meparut devoir être inondé, dans la saison des pluies, par le déborde­ment du Ba-ndiégué, dont les rives sont très boisées.

Le 4 juin, à six heures du matin, nous quittâmes les bords duBa-ndiégué, et nous trouvfUlles la plaine couverte de belles amaryl­lis à fleurs blanches. Nous fîmes halte vers huit heures du matin,pour déjeuner; nous nous assîmes sous un gros bombax. Je visbeaucoup de cés dans les environs. Nous arrivâmes à Sa raya verstrois heures du soir. Dans la plaine où ce village est situé, je vis desesclaves qui travaillaient à la préparation des terres: ils avaientavec eux un tambour pour les encourager, car dans quelques par­ties de ce vaste pays on ne fait rien qu'au son de la musique.

~ 05. Le Baobab: (Adansonia dillitala L-l. C'est l\lichel AD.\:-;SON

qui, dl'S 1750, fit connaître au monde savant d'Europe, cet arbre trèsremarquable que Ll:-::NÉ devait ensuite lui dédier. Dans l'esprit dupublic, cet arbre, au trone énorme, est devenu le symbole ml'me de laflore des pays chauds d'Afrique. Il faut dire que le Baobab a biend'autres mérites que sa place imposante dans le décor des paysages sou­danais, car la plupart de ses parties sont utiles à l'homme. Les feuilles,réduites en poudre, servent à confectionner des sauces mueilagineuses(~ 124); la pulpe du fruit est acidulée et s'ajoute à des buvées réconfor­tantes (~ 114); les graines contiennent de l'huile; enfin, l'écorce, décou­pée en lanières, donne une filasse pour la corderie (§ 115) ("').

C'est à Saraya que R. C\ILLlÉ cite les premiers baobabs depuis sondépart du Rio-N'unez, et c'est surtout au cours de son trajet de Tiémé àDjenné qu'il en parlera (§ 99,109, etc ...).

Le 5 juin, nous séjournâmes pour nous remettre un peu de nosfatigues. Je visitai le village et ses environs. Ce village, frontièrede Baleya, est situé dans une belle plaine de sable très unie, décou­\"t'rte et fertile; j'ai vu de gros bombax, baobabs, nédés et cés :l'indigo y croît spontanément et sans culture; ils se servent de safeuille pour teindre leurs étoffes; je parlerai plus loin de la manièrede l'employer. Aux environs du village, j'ai Hl des pierres ferru-

("') J. ADAM. - Le Baobab (A<lansonia <ligi/a/a L.l. Sa/cs africaines 1962: 33·44.

M. R. PARIS, ~I"" H. MOYSE-l\IIGNON. - A propos des feuilles de baobabLtdansonia diai/a/a L.) Composition chimique et action physiologique. Tra­/)(lUX des Labora/oires de matière médicale de la Fac de Pharm. de Paris,1951.

Page 82: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

79 -

gineuses : j'en cassai une, elle contenait beaucoup de particulesde fer. Ces pierres se trouvent à la surface du sol, qui est très uni;les indigènes les fondent pour en fabriquer des instruments ara­toires (§ 110). Nous allâmes, mon guide et moi, faire visite auchef: il nous reçut très bien. La porte de sa cour est ombragée pardeux bombax. Dans la soirée, il nous envoya un assez bon souperde riz au gombo.

Le 6 juin nous passâmes près de Fausimoulaya; la route est cou­verte de nédés et de cés.

Le 7 juin nous continuâmes notre route à l'Est sur un sol de gra­vier et de pierres volcaniques, noires, cassantes et poreuses ("').Nous avions fait deux milles, lorsque nous arrivâmes à neuf heureset dcmie du matin à Courouman-Cambaya. Je trouvais les habi­tants très doux et hospitaliers: tous les soirs, ils dansaient au clairde la lune assemblés sous un bombax.

Lc 10 juin, à sept heures du matin, nous prîmes congé de notrehôte. Nous passâmes à Siraléa. Les environs de ce village sontbien cultivés. En chemin nous vîmes plusieurs jolis petits ourondésentourés de haies vives, qui embellissent la campagne. Nous fîmestrois milles au Sud-Est sur de belles terres unies et bien cultivées.Nous arrivâmes à trois heures du soir, bien fatigués, à Bacocouda.Le chef nous envoya à souper, et un habitant nous donna desigames blanches bouillies.

§ 66. Description du Baleya. Sur cette route <lu Tinkisso à Baco­couda, dernier village du Baleya vers l'Est, la petite caravane a <lû cam­per à plusieurs reprises dans les bois. Il existait donc à cette époque,même sur cette grande piste commerciale, un territoire inhabité.

Nous fûmes obligés de rester à Bagaraya toute la journée du 31mai, pour attendre quelques marchands mandingues qui se propo­saient de faire route avec nous. Nous avions des bois à traverserpour arriver à Baleya; il est nécessaire de n'y passer qu'en nombresuffisant pour se défendre; on y trouve des brigands qui dévalisentles voyageurs. Le Baleya est situé sur un sol composé de sable ar­gileux, uni, mais de la plus grande fertilité; il produit en abondancetout ce qui est nécessaire à la vie.

Il a pour limites, à l'Ouest, le Fouta; au Sud, le Sangaran, oùpasse le Dhioliba; à l'Est, le petit pays d'Amana; et au Nord, desforêts. Les habitants me dirent que le village de Foha, résidence duchef de Baleya, se trouvait à un jour à l'Est -Nord-Est du village(de Saraya). Les habitants du Baleya furent soumis au lois du pro­phète par les Foulahs; et depuis, ils font quelques présents en bes-

C"') Probablement des blocs de latérite caverneuse, en surface sur les pla­teaux et recuits par le soleil.

Page 83: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 80-

tiaux à l'ahnamy du Fouta. Ils vivent dans l'abondance du néces­saire, qu'ils se procurent en cultivant la terre; leurs bestiaux leurfournissent du beurre et du lait: ils fabriquent des toiles blanchesqu'ils échangent avec leurs voisins, pour du sel. Les habitants duBaleya sont Dhialonkés; ils boivent en secret une espèce de bièrefaite awc du mil et du miel. LAMFIA me dit qu'anciennement ilsétaient possesseurs du pays de Fouta-Dhialion.

§ 6i. Arrivée BUr les bOTds du Dhioliba: COUT\oussa. Le Iljuin, nous nous mîmes en route au Sud-Est. Le sol est un peuboisé; le nédé et le cé y sont en abondance. Vers deux heuresdu soir, nous arrivâmes à Couroussa, village d'Amana, situé surla rive gauche du Dhioliba. Le 12, nous séjournâmes. On entre àCouroussa par plusieurs portes étroites et basses; elles fermentavec une planche faite d'un seul arbre. La ville est ombragée par desgros bombax et des baobas. Je remarquai, dans l'intérieur, plu­sieurs gros bombax à l'ombre desquels les vieillards se rassemblent,pour passer une partie de la journée à converser. Les habitans sontDhialonkés : ils ne voyagent pas; ils vivent paisiblement en culti­vant leurs petits champs que fertilisent les débordements du fleuve.

§ 68. Le tau. La nourriture habituelle des habitants est du rizcuit à l'cau, sans sel, auquel il ajoutent une sauce faite avec dupoisson sec pilé; ils en mangent aussi du frais: avec le foigné ilsfont une bouillie très épaisse, qu'ils nomment fau (sanglé du Séné­gal); ils mangent leur tau avec une sauce aux herbes ou aux pis­taches, fruit qu'ils cultivent beaucoup. Ils récoltent beaucoup denédés, et des fruits de cés avec lesquels ils font du beurre; je re­marquai des tas de ces graines fraîchement récoltées, exposées àla pluie, et qui commençaient déjà à germer.

Le 13 juin, nous traversâmes le fleuve dans des pirogues de vingt­cinq pieds de long sur trois de large et un de profondeur: il y avaitbeaucoup de monde au passage. Je fus obligé de rester au soleiltoute la matinée; car il n'y avait sur la rive gauche qu'un seul arbre,un gros bombax; mais il y avait tant de monde dessous, que je nellUS m'y placer. Il était près de onze heures lorsque nous fûmestous sur la rive droite. Nous passâmes auprès de Sambarala, villagesitué sur les bords du fleuve; il est entouré de nédés ct de cés. Nouscontinuâmes ensuite à marcher sur un sol sablonneux couvertd'une belle végétation; je vis beaucoup de tamariniers. Nous arri­vâmes vers trois heures à Counancodo, où je vis de beaux orangers.

§ 69. Fièvre et Tamarin (Tamarindus indica). J'avais té­moigné à LAMFIA le désir d'avoir du tamarin pour traiter ma

Page 84: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 81 -

fièvre: il s'empressa d'envoyer son frère en chercher dans le boisvoisin; mais celui-ci me rapporta des feuilles au lieu du fruit, quieût été plus efl1cace.

La route de la journée (14 juin) était partie sablonneuse et partiecouverte de pierres rouges et poreuses; la campagne est garnie degrands arbres qui la rendent très agréable. Les environs de Fessa­dougou sont boisés de nédés et de cés; on ne laisse dans les cam­pagnes cultivées que ces deux espèces d'arbres, qui y sont d'unetrès grande utilité: je vis aux environs du village des terres trèsbien soignées.

Le 17 juin, je vis, dans la campagne, de beaux champs d'ignamescultivés avec beaucoup de soin, de pistaches et de maïs; le foignéétait déjà bien avancé. Dans quelques endroits, la terre est rouge,très producti\"(', et mêlée d'un peu de gravier; la campagne est cou­verte de cés et de nédés. Nous traversâmes un petit ruisseau, etnous arrivâmes, vers dix heures, à la ville chef-lieu de Kankan.

SÉJOUR A KANKAN (16 juin-16 juillet). R. CAILLIÉ est resté un mois àKankan avant <le trouver des compagnons se dirigeant vers Sambatikila.Ses relations avec LAM FIA, qui l'avait accompagné depuis Cambaya,furent (l'abord excellentes:

«II avait de moi un soin tout particulier; nous mangions en­semble, et deux fois par jour on nous donnait de très bon riz avecune sauce aux pistaches dans laquelle il y avait beaucoup d'ognons,qui viennent très bien dans le pays. »

Puis ces bonnes relations se dégradèdent et R. CAILLIÉ fut hébergé­par le chef local, l\L\MADI-SAl'ICI, qui le fit profiter de ses ressources ali­mentaires.

§ iD. Le déguet (ou dégué). C'est une pâte plutôt consistante, cuiteà ébullition, mais que l'on consomme sucrée avec du laitage et non avecune sauce potagère.

J'étais très bien chez mon nouvel hête; il était fort riche etbeaucoup plus généreux que ne le sont ordinairement les Man­dingues; il possédait de nombreux troupeaux de bœufs et devaches qui lui fournissaient en abondance de très bon lait; il m'enenvoyait souvent, avec du déguet (espèce de couscous), attentionqu'aucun Mandingue n'avait encore eue pour moi.

§ il. Le pourpier (Portulnca alcracea). Cette plante rudérale, aussicommune chez nous en été que dans les pays tropicaux, semblerait avoirtoutes les qualités d'une bonne herbe à potage et n'est cependant guèreemployée à cet usage. R. CAILLIÉ, qui n'était jamais à court de recettes,le recommande en cataplasme.

MAMADI-SANICI me nt demander un remède pour les yeux d'une'de ses femmes. Le mansa profita de cette occasion pour me de-

Page 85: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 82

mander des médicaments pour un mal de pied qu'il avait depuisplusieurs années: j'ordonnai des cataplasmes de pourpier, quicroît spontanément dans tout le pays.

~ 72. Le pap'CZ1ye,. (Carica papalla). Ce n'est qu'à Kankan queR. CAILLIÉ cite cet arbuste fruitier pour la première fois. Il est pourtantprobable qu'il existait aussi dans les villages précédemment traversés.Son introduction d'Amérique, d'où il est originaire, ne s'est pas faitedès l'époque colombienne, car il n'y avait aucune raison pour que s-onfruit, charnu ct périssable, figure parmi les denrées de bord. Il a doncfallu que son introduction soit préméditée. Par contre, une fois parvenuen Afrique, il s'est répandu rapidement en raison de sa multiplicationfaeile ct dl' ses nombreux usages.

§ 73. La vill.e d,e Kankan et son marché. Kankan, chef-lieu,d'un canton du même nom, est entourée d'une belle haie vive, trèsépaisse, qui la défend mieux qu'un mur en terre. Les rues sontassez larges et tenues proprement; le village est ombragé par quan­tité de dattiers, papayers, bombax et baobabs.

'Chaque famille a son petit entourage en paille ou en épines;dans l'intérieur, il y a des cases pour la loger, et au dehors un petitjardin cultivé par les femmes et les enfants; on y cultive ordi­nairement du maïs et un peu de tabac.

Elle est située dans une belle plaine de sable gris, de la plusgrande fertilité. On voit dans toutes les directions de jolis petitsvillages qu'ils nomment onrondés : ces habitations embellissentla campagne et sont entourées des plus belles cultures; l'igname,le maïs, le riz, le foigné, l'ognon, la pistache, le gombo, y viennenten abondance.

J'allai plusieurs fois visiter le marché. Il est toujours bien garnide marchandises d'Europe, apportées de la côte par les marchandsmandingues. J'ai vu beaucoup de toiles blanches, tissées dans leOuassoulo; toute espèce de comestibles, tels que riz, foigné,ignames, cassaves, etc. On vend aussi à ce marché du bois dechauffage. Je remarquai beaucoup d'étrangers dn Ouassonlo, dnSangaran et du Toron, qui viennent faire le commerce dans cetteville; ils apportent des toiles du pays, du miel, de la cire qni esttransportée sur nos établissements de la côte, du coton, des bes­tiaux et de l'or.

§ 74. Les environs de Kankan. A trois jours an Sud de Kankan,on trouve le premier village du Sangaran : en continuant six joursdans la même direction, on arrive dans le joli pays de Kissi. LAMFIAme dit que ce pays est hérissé de montagnes et arrosé par une

Page 86: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 83-

infinité de ruisseaux: le sol y est très fertile, et les habitants cul­tivent beaucoup de riz, des ignames, du foigné, et tout ce qui estnécessaire à la vie.

A un jour et demi au Sud-Sud Est de Kankan, se trouve le Toron.Les habitants sont souvent en guerre avec ceux de Kankan. Leurpays montagneux leur fournit du miel, qu'ils aiment beaucoup, etqu'ils viennent vendre au marché; leur sol, fertile, produit tout cequi est nécessaire à la vie; on m'assura que leurs cultures sonttrès soignées: ils récoltent du riz, des ignames, de la cassave, despistaches, du foigné, du maïs et un peu de mil.

DÉPART DE KANKAN. La saison s'avançait; nous étions au milieude juillet, et en août il est presque impossible de voyager, attenduque le pays est entièrement couvert par les inondations: j'étaisdans le plus grand embarras, lorsque je trouvai une occasionpour Sambatikila. Notre départ fut fixé au 16 juillet.

§ 75. Le pays du OuaS8ou"O. Le 16 juillet, vers neuf heures dumatin, nous nous disposâmes à partir. Nous fîmes environ unmille à l'Est en traversant la plaine, où nous vîmes plusieurs ou­roundés entourés de belles cultures de maïs. Nous arrivâmes surles bords du Milo. Nous passâmes, avec notre bagage, dans unepirogue longue de 15 pieds environ. Nous quittâmes les bords dela rivière; et nous nous dirigeâmes à l'Est, en traversant de bellescultures. Nous fîmes halte à Sofino : la campagne est en généralcouverte de nédés et de cés; les environs de ce village sont trèsbien cultivés; les cultures y sont mieux soignées que celles deRankan. Nous fîmes griller quelques pistaches, que nous man­geâmes en attendant l'heure du départ; car on voulait profiter del'obscurité de la nuit pour traverser les bois. Nous nous enfon­çâmes dans les bois, marchant dans des herbes si hautes, qu'ellespassaient par dessus nos têtes. Nous vîmes les habitations dequelques Foulahs. Ce sont des familles isolées qui cultivent duriz, des ignames, du foigné et des pistaches: la terre y est noire,très bonne, et de la plus grande fertilité. Nous achetâmes de cesFoulahs quelques ignames pour notre souper.

Le 17 juillet, dans le cours de la journée, nous traversâmes huitgros ruisseaux, qui tous paient tribut au Dhioliba. Je remarquaibeaucoup de cés et de nédés. Nous arrivâmes à six heures du soirbien fatigués à Diécoura, premier village du Ouassoulo.

En arrivant à Diécoura, je m'assis sur une peau de bœuf quel'on avait étendue sous un oranger devant notre case. Les habitantsme parurent très curieux; ils s'informèrent qui j'étais, et où j'allais,

Page 87: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 84-

mais cependant sans m'importuner. Ils sont naturellement trèsgais, et se divertissent sous de grands bombax, où je vis la jeunesserassemblée.

Notre hôte nous donna pour notre souper une portion de foignéhouilli, avec une sauce aux herbes, que l'absence du sel et dubeurre rendait mauvaise; cependant nous mangeâmes avec beau­coup d'appétit, car nous n'avions pris dans la journée qu'un mor­ceau d'igname et quelques pistaches. Les saracolets achetèrent dulait, et firent cuire du riz; ils m'invitèrent à en prendre ma part.

Le 18 juillet, nous traversâmes le Lin. Nous fîmes encore unmille dans la même direction, en traversant une belle plaine biencultivée: je voyais beaucoup d'ouvriers répandus dans la cam­pagne, qui piochaient la terre, et la remuaient aussi bien que nosvignerons en France; ce ne sont plus les nègres esclaves des Man­dingues, qui ne font que retourner la superficie du sol à deux outrois pouces pour détruire les herbes; ce sont de vrais laboureursqui travaillent pour avoir une belle et abondante récolte. Ils en sonthien récompensés, car leur riz, et tout ce qu'ils cultiYent, croît plusvite et produit davantage que dans tout le Kankan.

§ 76. Récolte du ItiNlio. Je les ai vus récolter le foigné : ils seservent d'une faucille pour le couper, et ont l'habitude, dans biendes endroits, de le laisser dans la campagne, exposé à la pluie; ilsmettent en terre des piquets sur deux rangs, et placent artistemententre eux leurs graminées: ainsi arrangées, elles ressemblent àune palissade; le dessus est couvert de paille, qui empêche la pluiede pénétrer; à mesure qu'ils ont besoin de foigné, ils viennent enprendre, et jamais personne ne se permet de voler ces espèces demagasins.

§ 77. Travaux champêJ:res. J'ai vu les nègres labourer lechamp c:ui venait d'être récolté tout récemment, pour l'ensemencerde nouveau d'un autre grain. Les femmes étaient occupées à arra­cher les herbes et à sarcler les beaux champs de riz dont la cam­pagne est couYerte. Ce peuple est industrieux; il ne voyage pas;mais il s'adonne aux travaux des champs, et je fus étonné detrouver dans l'intérieur de l'Afrique l'agriculture à un tel degréd'avancement: leurs champs sont aussi bien soignés que les nôtres,soit en sillons, soit à plat, suivant que la position du sol le permetpar rapport à l'inondation.

Je me promenai autour de l'habitation, et je prenais un biengrand plaisir à regarder leurs belles cultures: ils font de petits tasde terre pour mettre les pistaches et les ignames; ils les arrangentavec goût, tous à la même hauteur, et bien alignés. Le riz et le

Page 88: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 11. - J_c gaU~, enclos potager du Fouta-.Djallon (§ 5~) . .name~u elfruits du Koura (l'arinari excefsa, § 43); collme avec habItatIons dlsper­sé{'s; enclos où l'on reconnait : des bananiers (§ 52); deux Jlapayer~ (§ 72),une calebasse grimpant sur le chaume d'une case (§ 107); au prcmIer plan,dc gauche à droite, Xanthosoma sagittifolia (§ 50), manioc (§ 49), Cola.casia antiquorum (§ 50).

Page 89: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 86-

petit mil sont ensemencés dans des terres labourées en sillons; lorsdes premières pluies, ils sèment autour de leurs petites habitations,et lorsque le maïs est en fleur, ils mettent du coton parmi les tiges.Le maïs se trouve mûr de très bonne heure; alors ils l'arrachentpour donner jour à l'autre plante. Si l'on n'y met pas de coton, ondonne un labour à la terre qui a déjà produit le maïs, puis on ytransplante du petit mil; habitude que je n'ai pas remarquée dansle Kankan. J'étais émerveillé de voir ces bonnes gens se livrer autravail avec tant d'ardeur et de soin: dans la campagne, de tous lescôtés, je voyais des laboureurs et des femmes occupées à sarclerles champs. Ils font deux récoltes par année sur le même terrain :je remarquai du riz en épis, et d'autre à côté ne faisant que desortir de terre. La campagne y est généralement très découverte;les cultivateurs ne conservent parmi les grands végétaux que lesarbres de cés et les nédés, qui sont très répandus ct de la plusgrande utilité pour les habitants; je n'ai pas vu, comme dans leFouta et le Baleya, des arbres coupés à quatre ou cinq pieds deterre; les Foulahs du Ouassoulo ont soin d'arracher le pied, et nelaissent dans leurs champs rien qui puisse leur nuire. Enfin, je lerépète, ils sont en général aussi bien soignés que les nôtres.

Le 19 juillet, à neuf heures du matin, nous partîmes de Kimha.La campagne, très hien cu ltivée, est inondée et couverte de nédéset decés; on voit le riz en herbe qui élève sa tête au-dessus del'inondation. Nous fîmes halte auprès d'un joli hameau, où nousachet[unes du lait et de la fécule de nédé, que nous mîmes dedanspour notre dîner. Je vis de très beaux champs de riz en épis, ctde jeunes bergers aux environs gardant des troupeaux de bœufs;ils avaient des flageolets en bambou, desquels ils tiraient des sonstrès harmonieux. Nous arrivâmes à Mauracé un peu avant lecoucher du soleil, et le chef hospitalier nous envoya un souper defoigné, ave.c un mauvais ragoût d'herbes, sans sel.

Le 20 juillet, à huit heures du matin, nous prîmes congé denotre hôte. Dans toute cette campagne, qui est très découverte,on voit de petits hameaux de dix à douze cases; ils sont ombragéspar le nédé et le cé; les environs en sont hien cultivés: je vis debeaux champs de coton; c'est la culture la moins soignée dans lepays; ils le sèment à la volée, et les pieds sont si rapprochés lesuns des autres, qu'ils sont gênés dans leur croissance. Nous fîmeshalte à l'ombre des nédés, auprès d'un hameau, dont les habitantsvinrent nous vendre du lait et du fruit de cet arbre, que nousmangeâmes à la hâte. Nous traversâmes un gros ruisseau, et jevis quelques bombax et baobabs qui font diversion avec le nédé etle cé.

Page 90: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 87-

§ 78. Les premiers Jujubiers au Soudan. En Mauritanie R. CAILLIÉa souvent observé des Jujubiers qu'il nommait Ziziphus lotus (§ 30);en revoyant ce même genre de plante dans le Ouassoulo, il empruntela désignation de Mungo PARK qui l'avait signalée sous le nom deRhamnus lotus. Il s'agit d'un Zizyphus et probablement du Z. mauritianaLam.

Le 21 juillet, à deux heures du soir, nous fîmes halte à Sigala,petit village où reste le chef du Ouassoulo. Les environs de ce petithameau sont très bien cultivés en pistaches, riz, ignames, maïs, etmille autres productions utiles. Je vis, pour la première fois depuismon départ de la côte, quelques rhamnus lotus dont parle MUNGO­

PARK.

Le 22 juillet, nous fîmes route en nous dirigeant au Sud-Est: lesol, quoique couvert de petit gravier, est très bien cultivé; le céet le nédé sont très répandus. Nous fîmes halte à cinq heures dusoir, à Fila-Dougou; ce petit hameau est le dernier du Ouassoulo,du côté de l'Est.

§ 79. Conclusions sur le OlUlssoulo. Le Ouassoulo est un payshabité par des Foulahs idolâtres, pasteurs et cultivateurs; ils élè­vent de nombreux troupeaux de bœufs, quelques moutons et descabris. Ils élèvent aussi des volailles, auxquelles ils mettent beau­coup de valeur; on ne peut s'en procurer qu'avec de la poudre, dutabac, du sel et des verroteries. Ils ont de leurs petits poulets unsoin tout particulier: tous les soirs ils les rassemblent dans uneespèce de panier rond, et les rapportent dans leurs cases pour lesmettre à l'abri du froid; tous les matins, un peu avant le lever dusoleil, ils les laissent courir dans les environs de l'habitation;rarement ils leur donnent du grain; ils ne mangent que des insectes,de l'herbe, et le grain qui sort des mortiers quand on pile le riz oule mil.

Ce pays est généralement découvert, entrecoupé de quelquespetits coteaux; le sol est d'une très grande fertilité, et composé enpartie de terre noire et grasse, mêlée de petit gravier. Le pays estarrosé par la rivière du Sarano, et plusieurs gros ruisseaux qui fer­tilisent la terre; elle produit en abondance tout ce qui est nécessaireà la vie de l'homme sobre. Leur nourriture est très simple: ilsmangent du riz, du tau et du foigné sans être pilé; ils ajoutent àces mets une sauce faite avec des feuilles d'herbe ou des pistachesgrillées; ils mettent dans leurs sauces, ainsi que le gombo, lafeuille de baobab séchée et pilée (§ 124); ils mangent aussi le fruitde cet arbre, en le délayant dans de l'eau ou dans du lait; ce fruit,comme celui du nédé, est très doux et très nourrissant.

Chaque hameau se compose de douze à quatorze cases; ellessont entourées d'une palissade en bois, mal faite, et sans goùt. Le

Page 91: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 88-

milieu de ce petit groupe d'habitations forme une cour où donnentles portes des cases : on y fait coucher les bestiaux. Il y a ordi­nairement deux portes pour entrer dans cette cour; on met à cesentrées un morceau de bois fourchu que l'on est obligé d'enjamber;souvent même le corps a peine à passer.

Dans toute la campagne, on n'aperçoit que de petits hameaux àune courte distance les uns des autres. Ils cultivent beaucoup decoton, avec lequel ils fabriquent les toiles que les marchandsviennent acheter dans leur pays et vont vendre à Kankan. Ilscultivent beaucoup de tabac; lorsqu'il est en graine, ils en récoltentles feuilles, les font sécher au soleil, puis en réduisent une partieen poudre, dont ils font une grande consommation; le surplus estréservé pour la pipe: ils ont pour mettre du feu dans celle-ci, degrandes pinces semblables à celles d'un forgeron, longues d'un pied.

§ 80. Le pays du Foulou. Le 23 juillet, nous nous dirigeâmes àl'Est-Sud Est. Nous passâmes à Banankodo, gros village du Foulou;il est ombragé par de gros bombax et baobabs. Nous fîmes halte àYonmouso. Plusieurs habitants me donnèrent du lait, et, à l'entréede la nuit, un assez bon souper d'ignames bouillies et pilées avecune sauce au gombo; on y avait joint une sauce aux pistachesgrillées. Le 24 juillet, nous séjournâmes parmi ces bonnes gens,pour nous reposer de nos fatigues.

Le 25 juillet, il était huit heures lorsque nous fîmes route; lacampagne est généralement découverte, mais produit beaucoup denédés et de cés; le sol est plein de petit gravier, et, dans plusieursendroits, de pierres volcaniques. Nous traversâmes des ruisseauxdont les rives étaient bien boisées; il y avait sur les bords de joliescabanes de hambaras qui cultivent paisiblement leurs petitschamps d'ignames: le pays n'est pas aussi bien peuplé que celuidu Ouassoulo.

Le 26 .i ui llet nous traversâmes une plaine inondée, couverte d'in­digo qui vient spontanément. Je vis quelques cultures, mais bienloin d'être aussi soignées que celles du pays que je ycnais de quit­ter. Les cultivateurs m'aient apporté avec eux leurs petits pouletspour leur faire Illanger des insectes. Nous continuâmes notre routeau Sud-Est: la campagne me parut unie, couverte de gravier, etmieux. boisée que celle que j'avais suivie les jours précédents.Nous arrivâmes ycrs 4 heures du soir, bien fatigués, à Tangouro­man; le village est ombragé par de gros bombax et baobabs. Lesmisérables habitants eurent de la peine à nous trouver un souper;ils nous donnèrent un plat de foigné avec une sauce aux herbes,qu'ils avaient préparé pour eux, et ils mangèrent un morceau d'i­gname bouillie. Je remarquai dans la cour de notre hôte plusieurs

Page 92: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 89-

petits magasins en paille supportés sur des piquets ou sur degrosses pierres, pour les préserver de l'humidité, qui est trèsgrande dans ce pays: c'est dans ces magasins qu'ils serrent leursrécoltes de riz, mil, pistaches et ignames; ils ne sont jamais volés.

Le 27 juillet nous nous dirigeâmes au Sud - Sud-Est: je n'aper­çus sur ma route que quelques tristes cultures de foigné. d'ignameset de pistaches très mal soignées; je n'ai pas vu de maïs, qui leurserait d'une si grande utilité. La majeure partie des terres y sontde. nature noire, mêlées de gravier; elles ne sont que peu cultivées.Il était près de neuf heures du matin, lorsque nous fîmes notreentrée dans le village de Sambatikila (exactement Samatiguila).

§ 81. Le soumbara. R. CAILLIÉ a eu souvent l'occasion de citer laconsommation de la pulpe farineuse contenue dans les gousses duParkia ou Néré, mais il n'avait jamais eu à parler de la graine qui,après préparation, sert d'assaisonnement. Malgré une odeur peu enga­geante pour les odorats non habitués, ce condiment possède de solidesvertus organoleptiques.

Le 28 juillet, l'almamy, se rappelant sans doute qu'il avait desétrangers que son devoir était de nourrir, nous envoya pour dé­jeuner un plat de riz sans sel, avec une sauce aux zambalas (Zam­bala, grain de nédé bouilli et séché; ils le pilent pour le mettre dansles sauces), et un souper d'ignames, avec une sauce pareille. Onnous prévint que les provisions étaient rares, qu'il n'yen avaitpas assez pour attendre la récolte, et que cette disette était la mêmedans tous les environs.

Le 2 août, vers dix heures du matin, nous nous mîmes en route.Je n'aperçus que quelques tristes champs de foigné, qui n'était pasmême encore en fleur, tandis que dans le Ouassoulo il était déjàrécolté. Vers trois heures, nous fîmes halte, bien fatigués, à Tini­coro, petit village bambara. Les environs sont très boisés et cou­verts de grande paille; les cultures sont éloignées des cases de cinqà six milles; je ne sais pas si c'est pour choisir un terrain plus<:onvenable à la culture, ou pour préserver les grains des dégâ!tsque pourraient y faire les chèvres et les volailles.

Le 3 août, le matin, mon guide fit cuire une petite igname surles charbons; je fis griller de mon côté des pistaches que nous man­geâmes de compagnie; et... nous nous mîmes en route. Il pleuvaitencore beaucoup; mon parapluie ne put m'être utile, car lesgrandes herbes et les buissons qui couvraient le chemin me mouil­laient autant que la pluie. Je vis quelques tristes champs de foignéet d'ignames, le tout mal cultivé; on ne s'était même pas donnéla peine d'arracher les buissons. Ensuite, en traversant quelqueschamps de foigné et d'autres de haricots, les premiers que je "\'0-

Page 93: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 90-

yais depuis mon départ de la côte, nous arnvames, au joli petitvillage de Timé : il est ombragé par une quantité d'énormes bom­bax ct par quelques baobabs.

Séjour à Tiémé.

3 aoM 1827-9 janvier 1828.

Le village <le Tiémé, en Haute Côte (l'Ivoire, sc situe à 30 km environ,à l'Est d'Odienné. On y a édifié un monument à la mémoire de R.CAILLIÉ qui y a séjourné du 3 août 1827 au 9 janvier 1828.

Il dut aux hasards de guides disponibles, de descendre aussi loindans le sud, pour venir rattraper la route des caravanes qui, des fo­rêts de Côte d'Ivoire, remontaient à Djenné porter des colas et en rap­porter principalement du sel.

A son arrivée dans cc village, R. CAILLIÉ souffrait d'une plaie au pied,très probablement un ulcère phagédénique, ct il ne put se joindre augroupe qui partait le 6 août. Non seulement ces plaies persistèrentlongtemps, mais encore il fut atteint de scorbut. A défaut de compétencect de moyens, il fut soigné avec beaucoup de dévouement par son hô­tesse, la vieille MAN~.1AN. et par une guérisseus(' de village, tandis quesa charge commençait à indisposer son hôte, HABA, qui lui avait servide guide depuis Kankan.

Engagé dans sa propre légende, R. CAILLIÉ nI' pouvait envisager sonretour vers la côte, ct au sortir de cette épreuve douloureuse ct démora­lisante, c'est sans aucune hésitation qu'il fît en chancelant ses premierspas vers l'Est.

§ 82. Maux et remèdes. Cependant la plaie de mon pied, loinde guérir, s'accroissait encore. Le mois d'août continua d'être ora­geux : jour et nuit la pluie ne cessait de tomber; le soleil ne parais­sait que rarement.

Je me proposais de partir vers la fin d'août; mais, à cette époque,une nom'elle plaie se déclara au même pied, et bien plus large quela première; elle me faisait beaucoup souffrir; j'avais le pied telle­ment enflé, que je ne pouvais marcher. Je priai la bonne vieillenégresse de me procurer des feuilles de baobab, qu'elle fit bouillir;j'en mis un cataplasme sur la partie malade pour apaiser l'in­flammation : au bout de deux jours je me trouvai beaucoup mieux.Mon pied fut bientôt désenflé par l'efficacité des feuilles de baobab;mais la plaie était encore large comme deux fois un écu de sixfrancs. Mon hôte, qui paraissait sensible à mon malheur, fit cher­cher une racine que je reconnus pour avoir une vertu caustique;il la fit bouillir dans de l'eau et bien réduire; puis il en frotta unmorceau sur un caillou, pour en obtenir une pommade. Le premierjour, il me soigna lui-même; avec l'eau de décoction, il lava la plaie,qu'il couvrit de la pâte onctueuse fournie par la racine, puis il mit

Page 94: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-91-

par dessus une feuille d'herbe d'une odeur aromatique très forte.Les jours suivants, ce fut la bonne vieille qui fut chargée de mesoigner soir et matin; souvent elle me consolait par l'espoir d'uneprompte guérison.

Le mois de septembre semblait nous promettre le retour de labelle saison; mais je me trompais: les pluies, à la vérité, nefurent plus aussi continuelles; toutefois nous en eûmes tous lesjours, jusqu'au commencement d'octobre. Elles arrivaient avec lesorages, et tombaient par torrents: ces orages venaient de la partiede l'Est et du Sud-Est, et toujours accompagnés du même vent. Amesure que les pluies cessèrent, les chaleurs augmentèrent: l'airdevint plus sain; mon pied allait beaucoup mieux. Malgré les soinsde la bonne vieille et toute sa complaisance pour moi, je désiraisvivement de prendre congé d'elle.

Vers la fin d'octobre, les pluies cessèrent tout à fait; les chaleursdevinrent très fortes; les nuits froides. Vers le 10 novembre, laplaie de mon pied était presque fermée; hélas, à cette même époque,de violentes douleurs dans la mâchoire m'apprirent que j'étaisatteint du scorbut. Mon palais fut entièrement dépouillé, une partiedes os se détachèrent et tombèrent; mes dents semblaient ne plustenir dans leurs alvéoles : mes souffrances étaient aft'reuses. Pourmettre le comble à mes maux, la plaie de mon pied se rouvrit, etje voyais s'évanouir tout espoir de partir. Que l'on s'imagine masituation! sans médicaments, sans personne pour me soigner quela bonne vieille mère de BABA, qui, deux fois par jour, m'apportaitun peu d'cau de riz qu'elle me forçait de boire, car je ne pouvaisrien manger. J'avais perdu toute mon énergie; les souffrancesabsorbaient mes idées.

Enfin, après six semaines de souffrances aiguës, je commençai àme trouver mieux, et à réfléchir à ce qui se passait autour de moi.Je voyais avec peine la belle saison s'écouler; les chemins étaientpraticables, les marais desséchés; enfin tout contribuait à me faireregretter le temps que je perdais à Timé. BABA, saisi d'un mouve­ment de compassion, revint me voir; il me dit qu'il allait fairevenir une vieille femme qui connaissait ma maladie. La vieillevint; elle m'examina attentivement, puis elle me rassura en medisant qu'elle allait me donner une médecine qui me ferait beau­coup de bien; elle ajouta que cette maladie était commune dansle pays, et que, si l'on n'y faisait pas de remède prompt, onperdait toutes ses dents.

Dans la soirée, elle m'apporta des morceaux de bois rouge qu'ellefit bouillir dans de l'eau; elle m'ordonna de m'en laver la boucheplusieurs fois par jour; ce que j'eus bien soin d'observer. Je trouvai

Page 95: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 92 --

eette eau très âcre; elle remplaçait un fort astringent; ma guérisonme paraissait bien lente: la convalescence ne commença que versle 15 décembre. La plaie de mon pied guérit avec le scorbut. Lasaison était devenue belle, les vents de Nord-Est régnaient souvent,quelquefois au Nord. Je m'aperçus que dans cette saison les arbresperdent leurs feuilles, et les nègres font brûler les herbes sèchesqui entourent leurs habitations.

DESCRIPTION DE LA RÉGION DE TIÉMÉ. Notre départ fut fixé au 9du mois (de janvier). Le jour tant désiré arriva enfin; mais avantde quitter ce beau pays, je vais en faire la description. Le villagede Timé est situé à deux jours au Sud de Sambatikila (exactementSamatiguila) à quinze au Nord de Teuté et Cani, et à dix à l'Ouestde Tangrera (exactement TangreIa). A trois ou quatre millesenviron, à l'Est du village, se trouve une chaîne de montagnes oil,dans la saison pluvieuse, s'amoncellent les nuages, en sorte que,pendant cinq mois et demi, il pleut presque continuellement.

On n'a pas dans ce village de grandes jarres en terre pour serrerle grain, comme dans le Kankan et le Fouta; ce qui prouve qu'ilsne cultivent pas autant. Le peu de productions du sol qu'ils récol­tent, ils les laissent dans les champs, y mettent un petit morceaude papier écrit pour éloigner les voleurs, et jamais on n'y touche.

Les Mandingues de cette partie de l'Afrique ont beaucoup plusde ressources que les nègres qui habitent les environs du Sénégal,qui n'ont que du mil : leurs mets sont mieux préparés; et au selprès, qui leur coûte beaucoup de peine à aller chercher, ils ont toutce qui est nécessaire à la vie: ignames, maïs, riz, mil, foigné,haricots, giraumons et pistaches croissent en abondance dans cetheureux pays, au lieu que les Sénégalais, qui ont la facilité de sepl'ocurer du sel n'ont pas toutes ces ressources. Les frais deculture ne leur coûtent pas beaucoup: les esclaves qu'ils y em­ploient ne font que remuer la surface du terrain pour détruire lesherbes, et, sans autre travail, ils lui confient les semences.

Tout ce qu'ils sèment croît avec beaucoup de rapidité: leur sol,composé d'excellente terre noire et sablonneuse, est encore fécondétour ù tour par les pluies et les chaleurs des tropiques.

Le foigné, qui se sème dans le courant de mai, est récolté enjuillet; cette graminée est d'une grande ressource pour les nègres,car souvent leurs provisions ne peuvent atteindre jusqu'à l'annéesuivante.

§ 83. Les ignames (Dioscorea divers). En Afrique, la culture designames s'est manifestement développée .mr place il partir d'espècesspontanées qui sont encore recherchèes parfois, en périod(~ de disette,malgré la toxicité de leur tubercule. Par la suite, il s'cst fait des

Page 96: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 12. - Le Fonio (Digitaria e:rilis). Plante entière, graine à grosseurnormale et très grossie à droite; ehamp de fonio et moissonneurs; au pre­mier plan on met les gerbes en meule (§ 61, § ï6).

Page 97: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 94-

échangcs d'cspèces avce les autres continents. Le tubercule peut êtrepérennant ct atteindre des dimensions considérables, ou bien il estannuel et sc renouvelle à chaque saison pluvieuse. Chcz beaucoup devariétés il est pivotant et exige des terres profondes. La culture del'igname est surtout étendue dans la région subforestière ct R. CAILLIÉa parfaitement noté (§ 105) que plus au Nord, en zone plus sèche, l'ignamene produit plus guère. C'est précisément dans ces dernières régions quele manioc a pris dl' l'extension.

Cependant, pour la culture des ignames, ils mettent la terre ensillons; car, sur un sol uni, cette racine ne viendrait que très petite.J'allai avec mon hôte voir un champ d'ignames qu'il faisait culti­ver; il avait plusieurs Bambaras libres qui travaillaient pour luià remuer la terre, pour y mettre ces plantes. Ils font, comme jel'ai dit, de petits tas de terre, sans se donner la peine d'arracherles jeunes arbres; et quand les ignames germent, elles grimpentdedans, ce qui leur sert de rames. Nous nous assîmes auprès d'ungros tas d'ignames que BABA avait fait acheter pour du sel chezles Bambaras ses voisins, pour les planter dans son champ. Pendantque plusieurs personnes étaient à choisir celles qui seraient meil­leures pour la semence, on en fit cuire plusieurs sur des charbons,que nous mangeâmes pour notre dîner. Lorsque I\"s propriétairesviennent aux champs, ils n'ont pas d'autre espèce de nourriture;ct leurs esclaves ont bien soin d'en voler quelques-unes ct de lescacher sous terre pour les manger en secret. Les jeunes gensportent sur la tête des paniers d'ignames, pour les donner auxhommes qui sont chargés de les planter. Quand la journée futfinie, je m'aperçus que BABA payait ses ouvriers en nature: lesbons Bambaras me donnèrent en me quittant chacun une igname.

§ 84. La cuisine à Tiémé. Durant sa convalescence à Tiémé, alorsqu'il s'aidait d'un bâton pour parcourir le village, R. CAILLIÉ eut leloisir d'observer comment les femmes préparaient la nourriture à partirdes aliments de base: fonio, ignames, riz.

a) Le tau de fonio. Le foigné est très répandu dans tout le Sud;les nègres en font leur principale nourriture: les femmes prennentbeaucoup de peine pour le nettoyer; elles exposent ce grain ausoleil, puis elles le mettent dans un pilon, en séparent la paille, cequi demande beaucoup de temps et de travail, ensuite, pour enextraire le son, elles se servent, comme au Sénégal, d'un layot;elles le pilent une seconde fois et quand le grain est bien nettoyé,il devient blanc et gros comme des grains de poudre à canon :alors elles le lavent, puis le mettent dans une corbeille, pour lefaire égoutter, et le laissent reposer pour qu'il gonfle un peu; enfinelles le remettent de nouveau dans un mortier, et quelques coupsde pilon suffisent pour le réduire en farine: s'il n'était pas humecté,il faudrait beaucoup plus de temps pour la trituration.

Page 98: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

95 -

C'est avec cette farine qu'ils font une bouillie qu'ils nommenttau)' c'est le sanglé du Sénégal. Quand cette bouillie est cuite, onla met par cuillerée dans une calebasse, et on l'assaisonne d'unesauce faite de feuilles de giraumon et quantité d'autres herbes, depiment, et enfin d'un peu de gombo pour la rendre gluante: cettesauce est toujours sans sel et sans beurre.

b) La purée d'ignames. Les ignames se préparent d'une autremanière: on les fait d'abord bouillir, puis on les pile, et on leurfait une sauce avec du poisson sec réduit en poudre, un peu degombo, de piment et de zambala (grains de nédé bouillis, séchéset réduits en poudre); cela donne un assez bon goût. Les saucessont en général très pimentées.

c) Le riz en grains. Quand le riz est bien nettoyé et bouilli àl'eau, la ménagère y joint une sauce aux pistaches et aux feuillesd'oseille de Guinée.

§ 85. Le Karité (Blllyrospermllm Parkii Kotschy). C'est au célèbreMungo PARK que l'on doit les premiers renseignements précis (1799)qui ne servirent que bien plus tard (1839) à DON pour f·aire la descrip­tion botanqiue du Karité sous le nom de Bassia Parkii. Et ce n'est encorequ'ultérieurement que KOTSCHY en a fait un genre particulier sous lenom de Blllyrospernwm. En fait, un autre binôme avait déjà été donné,Vi/el/aria parae/oxa, par GAERTNER fils, en 1805, sur le seul vu d'unegraine. On peut espérer que le binôme usuel sera conservé contre celuide GAERTNER et contre la combinaison de HEPPER: Blllyrospermllmparae/oxllm.

C'est l'arbre que R. CAILLIÉ a le plus longuement décrit, soit qu'il enavait le loisir pendant son séjour forcé à Tiémé, soit qu'il se soit inspiréde Mungo PARK. En tout cas il en a toujours soigneusement noté l'exis­tence tout le long de son itinéraire, donnant ainsi l'exacte extensionlatitudinale de cette essence en Afrique occidentale.

L'arbre à beurre ou cé est très répandu dans les environs deTimé; il Y croît spontanément et vient à la hauteur du poirier,dont il a le port. Quand l'arbre est jeune, ses feuilles sont longuesde six pouces; elles viennent par touffes, et sont supportées parun pétiole très court; elles sont terminées en rond : l'arbre ayantatteint une certaine vieillesse, les feuilles deviennent plus petites,et ressemblent à celles du poirier de Saint-Jean. Il fleurit à l'extré­mité des branches, et les fleurs, réunies en bouquet et supportéespar un pédicelle très court, sont très petites; elles ont des pétalesblancs et beaucoup d'étamines à peine perceptibles à l'œil nu. Lefruit, venu à maturité, est gros comme un œuf de pintade, un peuovale et égal des deux bouts, il est recouvert d'une pellicule decouleur vert pâle; en ôtant cette pellicule, on trouve une pulpe detrois lignes d'épaisseur, verdâtre, farineuse, et très agréable augoût: les nègres l'aiment beaucoup; j'en mangeais aussi avec

Page 99: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 96-

plaisir. Sous cette pulpe, il y a une seconde pellicule très mince,ressemblant à la peau blanche qui tapisse intérieurement lacoquille de l'œuf; elle couvre l'amande, qui est couleur de caféau lait clair: le fruit, ainsi dégagé des deux pellicules et de lapulpe, est couvert d'une coque aussi mince que celle de l'œuf;l'amande seule est grosse comme un œuf de pigeon. On expose cefruit au soleil pendant plusieurs jours pour le faire sécher; puison le pile dans un mortier; réduit en farine, il devient couleur deson de froment. Quand il est pilé, on le met dans unc grande cale­basse; puis on jette de l'cau tant soit peu tiède par dessus, jusqu'àconsistance d'une pâte claire que l'on pétrit avec les mains. Quandon veut connaître si elle est assez manipulée, on y jette un peud'eau tiède: si l'on voit les parties grasses se détacher du son etmonter sur l'eau, on y met à plusieurs reprises de l'eau tiède; ilfaut qu'il y en ait assez pour que le beurre, détaché du son, puisseHotter. On le ramasse avec une cuiller en bois pour le mettre dansune calebasse; puis on le fait cuire sur un grand feu: on l'écumebien pour séparer le son qui y était resté attaché; quand il est biencuit, on le verse dans une calebasse avec un peu d'eau au fond,pour le rendre plus facile à enlever; quand il est ainsi préparé, onl'enveloppe dans des feuilles de l'arbre, et il se conserve deux anssans se gâter. Ce beurre est d'un blanc cendré, ct a la consistancedu suif. Les nègres en font commerce; ils en mangent et s'enfrottent le corps; ils en font aussi brûler pour leur éclairage: ilsm'assurèrent que c'était un remède salutaire pour les douleurs etles plaies. J'ai trouvé le fruit du cé bien plus gros dans les paysde Baleya et d'Amana qu'à Timé. La graine de cet arbre, qui estd'une si grande ressource pour les habitants de Ce pays, ne peutse transporter en Europe pour produire qu'en la mettant dans depetits vases en terre; autrement elle perd sa vertu germinative,qui ne se conserve pas longtemps ("').

~ 86. Le Taman: aut~e arbre à beurre (Pentadesma butyraceaSab.). Du R io ~unez au Fauta, lorsque R. CAILLIÉ côtoyait quelque ga­lerie forestière, il aurait pu déjà remarquer ce bel arbre, le lami desSoussous, à frondaison très particulière, si on lui en avait signalé lesmérites. Mais, dans cette région, le palmier suffisait am~ besoins enhuile et le lami était négligé.

J'ai vu dans le pays (à Tiémé) un arbre qui, comme le cé, donneune substance butireuse; les naturels le nomment taman: lebeurre de cet arbre conserve une couleur jaune, comme le nôtre;il a une consistance très dure, quoique le pa~'s soit chaud, et il ne

("') Sur la question du I{arité au ~Iali: B. RUYSSEN. Le Karité au Soudan.L'Ayr. trop. 12, 1957.

Page 100: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 97-

contracte aucun goût. Je le mangeais avec plus de plaisir que celuidu cé, qui n'est pas aussi ferme, et qui a une couleur cendrée.Cependant les naturels m'assurent que le cé est plus sain que letaman, et j'en ai vu beaucoup qui ne voulait pas manger de cedernier, prétendant qu'il les incommodait. Quant à moi j'en man­geai souvent, et ne m'aperçus jamais qu'il me causât la moindreindisposition. On l'emploierait en Europe avec succès pour l'éclai­rage.

On obtient ce corps gras, que les habitants nomment laman­loulou, par le même procédé que l'on emploie pour le cé. L'arbrequi produit le taman croît sur les bords des ruisseaux; il est trèscommun dans tout le Sud. A Cani et Teuté, ces deux espèces sontsi abondantes, que les naturels de ces pays, qui, m'a-t-on dit, ontbeaucoup de vaches, ne font pas de beurre; ils ne mangent quecelui qu'ils récoltent sur ces arbres. Ils ont aussi un peu d'huilede palme. L'amande du taman a la forme d'un très gros marronun peu allongé, d'une belle couleur rose en dedans et un peu plusfoncée par dessus; il est très dur: les femmes, pour l'employer, lepassent sur le feu, dans des pots en terre, et le cassent entre deuxcailloux avant de le piler dans le mortier.

§ 87. L'Indigo et les Indigole:ra. Au début du XIX' siècle, l'industrieeuropéenne de la teinture ne disposait guère que de colorants naturels,surtout d'origine végétale. Le bleu d'indigo, fourni par l'Jndigoferatinctoria 1.., provenait essentiellement des Indes. Aussi chilrchait-on àse libérer de ce monopole en encourageant la production de l'indigosur la côte occidentale d'Afrique, où l'on avait reconnu des espècesproductrices. Au Sénégal, par exemple, ce fut un des principaux soucisdu gouverneur ROGER qui fit introduire les espèces des autres conti­nents; encouragea la culture des espèces locales ou naturalisées,J. arrecta Hochst., J. suffruticosa Mill., et fit venir des ouvriers et chi­mistes spécialisés pour améliorer la préparation du produit. Nousvoyons également que R. CAILJ,lÉ citait toujours très soigneusementl'existence d'indigotiers flans les cultures et villages traversés.

Dans tous les environs de Timé, l'indigo croît spontanément etsans culture: les femmes s'en servent avantageusement pourteindre leurs fils de coton, que les hommes tissent pour faire desétoffes de couleur. Le procédé qu'elles emploient est très simple:sans se donner la peine de couper la plante, elles arrachent lesfeuilles, puis elles les pilent, les mettent en petits pains, les expo­sent au soleil pour les faire sécher; elles se conservent de cettemanière très longtemps. Quand on veut les employer, on écraseles petits pains, puis on les met dans un grand pot en terre, faitpour cet usage; on le remplit d'eau fraîche, et on le couvre pourlaisser tremper les feuilles: on les laisse fermenter pendant vingt­quatre heures; puis on y ajoute de l'eau de lessive, faite à froid

Page 101: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 98-

.avec de la cendre de paille de foigné; cette eau a la propriété dedissoudre l'indigo. La teinture ainsi préparée, on met dans le potles objets à teindre; on laisse le coton une nuit entière, et mêmequelques heures de plus. On ajoute de l'eau à mesure qu'ellediminue. Les mêmes feuilles servent à teindre pendant une se­maine entière: la première teinte est toujours la plus belle. Lesjeunes femmes ne se mêlent pas de teindre les fils de coton; il n'ya que les vieilles qui s'en occupent.

§ 88. L'Indigo du Lonch,ocarpus c:yanesc:ens. Dans la zone fores­tière cl'Afrique occidentale l'indigo est plus couramment fourni par lel.onchocarpus cyanescens, dont on emploie le:; feuilles ct autres organesencore jeun{'s. Malheureusement la récolte n'est pas toujours aisée, caril s'agit d'une liane qui prend appui sur les arbres et dont les feuillessont difficilement accessibles.

J'ai vu, dans ce pays, une plante grimpante qui a la feuille trèslarge et donne beaucoup de bleu: il y en a beaucoup à Sierra-Leone.

Malheureuscment, R. CAILI.iÉ ne précise pas quelle espèce il traitaitdans l'indigoteric dont il avait la charge dans ce dernier pays. Il neparle aussi que de la teinture du coton en écheveau, alors que les tein­turiers, du moins de nos jours, traitent également les étoffes entières ctobtiennent des effets très élégants par le moyen de coutures, ou mêmede nœuds, préalables, qui empêchent que la teinture soit uniforme.

§ 89. Tabac pétiolé (Nicoliana ruslica L.). Tous les tabacs sontd'origine américaine; ce que R. CAILLIÉ veut dire par « tabac d'Europe »,est le tabac à fleurs roses, le Nicotiana labacum L., le plus courammentcultivé comme tabac à fumer, tandis que le N. rllslica, à fleurs jauneverdâtre, mieux adapté aux cultures sommaires et aux pays secs, estplu.> corsé, se consume mal et est plutôt réservé comme tabac à priser età mâcher.

Autour de leurs cases, il y a un petit jardin où croissent plusieurssortes d'herbes pour leurs sauces. Il y a aussi du tabac, que l'onsème dans le mois de septembre et qu'on transplante en octobre;on ne lui donne aucun soin: celui que j'ai vu à Timé et aux envi­rons est d'une petite espèce; on ne le récolte que quand il est toutà fait en graine. Les feuilles, séchées au soleil, sont réduites enpoudre pour la consommation: les habitants n'en prennent pasd'autre, car je n'ai pas vu à Timé de tabac d'Europe.

~ 90. Le niébé (Vigna llnguieulala Walp.). Le «haricot» observé àTimé par R. CAILLIÉ est vraisemblablement le Vigna. Evidemment c'estle grain frais qu'il faut consommer pour l'apprécier (§ 8).

Ils récoltent des haricots d'une couleur grise, petits, et très dursà cuire. Ils ont le giraumon, qui croît très bien dans le pays; ilsen font des ragoûts, en y joignant des pistaches et du piment. Cettedernière plante, si commune dans les pays chauds, ne croît quetrès imparfaitement dans celui-ci; ils en achètent dans leurs vo­yages au Sud.

Page 102: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 13. - Le KUI'Hé. (Rutyrospcrmum par/âi § 85). Rameau feuillé àgauche, rameau fleuri à droite; en haut de gauche à droite: fruit entier,graine avec sa coque, amande brune recouverte d'une arille blanehâtre;en bas scène de préparation du beurre de Karité: fours à sécher lesj(raines, meule dormante, rr.ortier il pilonner, I:1armite à décantation,fosse à fermentation, etc...

Page 103: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 100

§ 91. Le Cani ou poivre long (Xylopia aelhiopica A. Rich.).R. CAILLIÉ fait le rapprochement entre le nom hambara de cc fruit etcelui d'un village situé à quelques journées de marche au Sud de Tiémé.En fait le nom de Cani ùésigne aussi <l'autres épices ct s'il y a unrapport avec le village, ce serait plutôt ee dernier qui aurait pris le nomùe l'arbre en raison de son abondance en cc lieu.

Ils se procurent de même (dans leurs voyages au Sud) un poivrelong qu'ils estiment beaucoup; ils le nomment l'ani, nom du lieud'où ils le tirent. II y a des marchands qui portent cc poivre à.Jenné pour l'échanger contre du sel.

§ 92. Noix de coU;, et colatier (Cola nilida A. Chev.). R. CAILLIÉavait eu déjà l'occasion d'évoquer le rôle de la noix de cola commeoffrande dans les échanges de politesses; mais cc n'est qu'à Timé qu'ildonne des détails sur sa production. Pour cette région de l'Afrique,l'espèce productrice est le Cola nilida A. Chev., alors que, plus au sud,ce son t les C. aCllminala Schott et Endl. et C. verlicillala Stapf. La noix<le cola est un aliment masticatoire, possédant des vertus toniques, cttrès recherché jusqu'en Afrique saharienne où son échange contre dusel est une pratique très ancienne.

L'arbre à colats vient à la hauteur d'un prunier, et en a le port;les feuilles sont alternes et larges deux fois comme celles du pru­nier; la fleur en est petite, blanche, à corolle polypétale. Le fruitest couvert d'une première enveloppe couleur jaune de rouille;après l'avoir enlevée, on trouve une pulpe rose, ou d'un blanc quidevient verdâtre en acquérant sa parfaite maturité: le même arbreporte des fruits des deux couleurs. La noix de colat a la grosseurdu marron, et la même consistance: elle paraît d'abord très amèreau goût; mais après qu'on l'a mangée, elle laisse une saveur trèsdouce qui plaît beaucoup; en buvant un verre d'eau par dessus,il semble que l'on ait pris soin de le sucrer. La noix se séparefacilement, sans se casser ni changer de couleur; mais si l'onbrise une des deux moitiés, et qu'on la laisse à l'air un instant,on s'aperçoit que la pulpe, de rose ou blanche qu'elle était, devientcouleur de rouille.

L'arbre à colats est très répandu dans la partie du Sud: il y en abeaucoup dans le Kissi, le Couranco, la Sangal'an et le Kissi-Kissi.Ce commerce est généralement répandu dans l'intérieur; car leshabitants, presque privés de toute espèce de fruits, attachent untrès grand prix à celui-ci et mettent une sorte de luxe à en avoir.Les vieillards qui n'ont plus de dents, se servent, pour le réduireen poudre, d'une petite râpe, qui est tout uniment un morceau defer-blanc auquel ils font des trous très rapprochés. Les Bambarasaiment beaucoup cc fruit; mais comme ils n'ont pas la facilité d'aI­ler dans le pays où on le récolte, ils en achètent pour du coton ctautres produits de leur industrie agricole.

Page 104: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

,- 101 -

Le 5 août, les marchands mandingues destinés à faire le voyagede Jenné, mirent des feuilles fraîches à leurs colats, pour les tenirdans l'hum idité; ils les visitèrent tous ct les comptèrent; ils ontcoutume de les humecter avec un peu d'eau, pour les conserver.Les voyageurs étaient au nombre de quinze à vingt, hommes etfemmes, emportant chacun sur la tête une charge de trois mille cinqcents colats, fardeau que je soulevais à peine: ils apportent en re­tour du sel en brique et en planche. Mais le bénéfice, comme j'ai puen juger plus tard, n'est pas considérable, parce qu'ils sont obligésde faire de grandes dépenses sur la route, non seulement pour sub­venir à leur subsistance, mais encore pour payer les droits de passe.La vente de leurs colats varie beaucoup, comme je l'ai vu par lasuite. Au retour de leurs voyages, ils vont bien loin dans le Sud,en acheter pour du sel et pour des étoffes qu'ils fabriquent avecle coton acheté des Bambaras et filé par leurs femmes.

Les habitants de Timé font tous les voyages à Jenné. Je m'infor­mai auprès d'eux de la distance d'une ville à l'autre: tous me répon­dirent qu'il fallait deux mois pour aller et autant pour revenir;mais qu'ils ne pouvaient faire que deux voyages par année, parcequ'ils sont obligés d'aller à Teuté et à Cani, situés à quinze joursau Sud pour acheter leurs colats. Ils me dirent que les habitants deces villages vont eux-mêmes bien loin au Sud dans un pays appeléToman, pour se les procurer. A leur retour, ils enfouissent cescalats, les recouvrent de feuilles, puis de terre, pour les conserver.Ce fruit a la propriété de se maintenir frais pendant neuf à dix moisen prenant la précaution de renouveler les feuilles.

La route du Cola.

De Tiémé à Djenné.

La route que R. CAILLIÉ est venu rejoindre il Tiémé est celle qu'elll­pruntaient les commerçants amhulants qui a:;suraient le trafic entreles régions forestières et Djenné. En réalité, la cola elle-même n'étaitpas une denrée aussi vitale que le sel, et sa valeul' d'échange, assezfaible, r·ouvait causer des soucis, d'autant que les marchands de Djennéne manquaient pas de spéculer sur les difficultés de sa conservationtandis que leurs planches de sel pouvaient attendre indéfiniment (~ 123).R, CAILLIÉ nous montre les péripéties de Cc comrnef('p ainsi que la vicde la caravane, Pour ces colporteurs, chaque village traversé était aussil'occasion de faire des échanges: à l'étape, pendant que les hommestroquaient, selon le sen.;; du voyage, soit le sel, soit la cola, contre lesproduits locaux tels que coton ct aliments, Ips femmes préparaipnt lesj'epas, filaient le coton. Et le soir, sur la place, c'était les danses joyeuses,au clair de lune ou aux lueurs mouvantes des feux de bois.

Page 105: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 102-

§ 93. Le départ. Le 1"' janvier 1828, j'cus la satisfaction de voirarriver le frère dc BABA, venant de Teuté, où il avait acheté descolats; il devait partir sous peu pour aller les vendre à Jenné. Notredépart fut fixé au 9 du mois: nous quittâmes le village vers neufheures du matin.

Le 10 janvier, vers neuf heures du matin, la caravane se dis­posait déjà à partir: les fcmmes, avec une lourde charge de colatssur la tête, prirent les devants; elles furent suivies par des hommeségalement chargés; ils avaient chacun une sonnette à la ceinture,et plusieurs en avaient une douzaine attachécs à toutes les par­ties de leur vêtement; cet attirail produit un tintamarre étourdis­sant qui leur plaît beaucoup. Ils étaient tous armés d'arcs et deflèches; les chefs et les propriétaires de marchandises fermaientla marche en conduisant les ânes.

§ 94. A l'étape. A leur arrivée dans un village, les femmesvont puiser de l'eau, et pilent le mil pour préparer le dîner de toutlc monde; en suite elle recommencent à piler le mil pour le sou­per. Elles sont aussi chargées de laver les vêtements des hommes.Ceux-ci, après s'être reposés, s'occupent à visiter les charges decolats, surtout celles qui pendant la route, sont tombées de dessusles ânes; ils garnissent ces fruits de nouvelles feuilles pour lestenir frais et mieux les conserver; ils vont ensuite se promener etvendre des étoffes fabriquées dans leur village. Ils s'occupentaussi de régler les droits de passe, car tous les marchands étrangerssont obligés solidairement de payer une petite rétribution com­munément fixée à vingt colats par charge.

Le 13 janvier, à quatre heures du matin, pour profiter de lafraîcheur, nous nous mîmes en route. La campagne, assez unie,est couverte de cés; le nédé devient beaucoup moins commun. Lesenvirons du village de Cacorou sont couverts de cés et de quelquesnédés; les habitants récoltent beaucoup de beurre qu'ils vendentaux étrangers. Je n'ai jamais vu de peuples aussi gais que les Bam­baras; dès le coucher du soleil, ils se réunissent sous de gros bom­bax situés à l'entrée du village, et dansent toute la nuit au son d'unemusique assez agréable.

Le 14 janvier nous fîmes halte, \'Crs neuf heures du matin, à Tis­so-Soman. Il y a au milieu du village plusieurs puits de sept à huitpieds de profondeur. Les femmes s'établirent autour pour nettoyerleur mil. Après avoir fait un léger déjeuner de tau avec une mau­vaise sauce aux herbes, nous quittâmes le village.

Le 15 janvier, nous fîmes environ sept milles, parmi des rochesde granit, sur un sol très fertile, composé de sable dur. La campagne

Page 106: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 103

était bien boisée; le cé et le nédé y étaient très répandus, et laculture bien soignée. Je vis aussi quelques cultures de tabac.

§ 95. Quelques palmiers à huile et rôniers. Le 16 janvier, ensortant (du village de Dhio), j'aperçus dans quelques endroits unpeu frais, plusieurs palmiers, de ceux dont le fruit donne de l'huile;ils ne viennent pas, à beaucoup près, aussi bien que sur la côte. Lacampagne est toujours très boisée. Je remarquai quelques tama­riniers, et beaucoup de cés. Vers neuf heures du matin nous étionsà Niourot. Nous nous procurâmes un peu de mil pour notre souper;on le paya de quelques noix de colats.

Le 17 janvier nous fîmes halte à Talé. Les habitants de ce vil­lage sont doux, affables et hospitaliers. Ils cultivent du riz et beau­coup d'ignames: leur récolte reste habituellement dans les champstout le temps de la sécheresse; et à l'arrivée des pluies, ils la ren­ferment dans de petits magasins en paille placés au milieu de leurcours.

A quelque distance du village de Borandou, dans la plaine, on voitbeaucoup de grands ronniers ou rondiers (§ 127); le cé y est trèsrépandu.

§ 96. Le marché de Tengréla. Le 19 janvier nous nous trou­vions sur la route au moins trois cents personnes allant au marchéde Tangrera (exactement Tangrela), où nous arrivâmes vers neufheures du matin. Il m'arriva à Tangrera une contrariété que je n'a­vais pu prévoir. Mon guide, à son arrivée, s'était empressé de s'in­former du cours des marchandises: il apprit qu'à Jenné les noixde colats n'avaient que très peu de valeur; il se décida, en consé­quence, à prendre la route de Sansanding. Je résolus donc de resterà Tangrera pour attendre une occasion d'aller à Jenné. Mon hôtevint me conduire au marché, où je vis un grand concours d'étran­gers; il était assez bien garni de toutes les choses nécessaires à lavie: riz, ignames, foigné, lait, beurre animal et végétal, sel, pots,tabac en poudre, étoffes, colats, poissons secs, calebasses, etc ... Ily avait aussi quelques marchandises d'Europe, verroteries, poudre,pierres à feu, etc...

§ 97. Galettes à la poêle. Je trouvai beaucoup de femmes éta­blies sur le marché :wec de petits plats en terre, dans lesquels ellesfont des galettes frites au beurre végétal; on les appelle mallmies(variante orthographique de ouomi 7). Depuis Tangrera jusqu'à.Jenné, il y a dans tous (les marchés) des femmes qui vendent de(ces) petites galettes à la poêle, qui sont pour les voyageurs d'unetrès grande ressource; elles coûtent un ou deux cauris la pièce:

Page 107: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 104-

les marchands, à peine arrivés à un lieu de station, envoient unede leurs femmes au marché, pour acheter de ces galettes, qu'ilsmangent en attendant l'heure du repas.

Cette expression de «galette à la poêle» est une réminiscence dejeunesse de R. CAILLIÉ. A cette époque, et plus récemment encore, dansbeaucoup de fermes du pays de R. CAILLIÉ, on boulangeait une fois parsemaine; et il arrivait que le pain manquât ce jour-là pour le repas demidi. Alors, on réservait de la pâte dont on faisait d'épaisses galettesque l'on pouvait manger sans délai, après une rapide cuisson dans unepoêle à peine graissée. Cc n'était donc pus des beignets mais des« galettes à la poêle» ou tourteau.

§ 98. Marchand de tabac. Nous nous arrêtâmes, mon hôte etmoi, chez un parent du chef; il était assis sur une peau de bœuf,veillant à la manipulation du tabac. Il employait à ce travail sixesclaves, tenant chacun un gros pilon; ils broyaient dans un grandmortier ce tabac qui avait très bonne odeur et une couleur beau­coup plus claire que le nôtre. Ce marchand faisait de grands béné­fices; sa case ne désemplissait pas d'acheteurs; il voulut me donnerun peu de tabac; je le remerciai, et lui dis que je n'en usais pas;il en parut très étonné, car dans ce village toute le monde en prend.Le tabac qu'ils cultivent dans le pays est d'une petite espèce,comme celui de Timé; les feuilles en sont courtes et étroites. Ilsdonnent à cette culture très peu de soin; ils n'ont pas comme nousl'habitude d'étêter la plante. A Tangrera, on fait sécher les feuillesà l'ombre; puis on les met en carottes: elles acquièrent ainsi unecouleur de marron clair.

J'ai vu dans le village quelques figuiers sauvages; il est ombra­gé par de gros bombax et baobabs. Les habitants sont commerçantset cultivateurs; ils fabriquent beaucoup d'étoffes de coton, et ontdes communications fréquentes avec les villes situées sur les bordsdu Dhioliba. Ils ne connaissent d'autre monnaie que les cauris.

§ 99. Baobabs et Fromagers: a.rbres domestiques. Le 21 jan­vier nous quittâmes le village de Fara. La route était très unie etboisée comme tous les jours précédents; je n'ai pas vu d'arbrestrès élevés; ils ne dépassent pas la hauteur du poirier ou du P0111­

mier. Les bombax et les baobabs, géants de la végétation de cettepartie du globe, ne croissent qu'aux environs des villages; je n'enai pas vu dans les forêts. Notre caravane s'était prodigieusementaugmentée; nous étions au nombre de cinq à six cents personnes,portant des fardeaux; il y avait aussi près de quatre-vingts ânes.

Nous fîmes halte à Bangoro. Autour de la ville, je vis quelquesroniers très élevés et plusieurs palmiers.

Page 108: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 105-

Le 22 janvier nous fîmes halte à Débéna. Cette ville est composéede plusieurs petits hameaux très rapprochés : le marché avait lieusous de gros bombax. Dans tous les lieux habités situés sur notreroute, nous trouvions des marchés assez bien garnis des produc­tions du pays.

§ 100. Ficus à racines adventives. Le 23 janvier nous fîmesroute au Nord-Nord Est; on ne voit dans la campagne, qui est assezdécouyerte, que des cés et des nédés. Nous fîmes halte à Tiara. Cevillage est ombragé par quelques bombax et baobabs; on y cultivedu tabac aux environs des cases. J'ai vu dans ce village un arbretrès gros, dont les branches étaient toutes garnies de petites racines.J'ai trouvé le semblable à Trangrera, et il en vient dans l'île deSaint-Louis du Sénégal. Cet arbre, espèce de ficus indica, est laiteuxet gluant.

Le 24 janvier, la majeure partie de nos compagnons se dirigèrentau Nord-Ouest pour aller à Sansanding, et nous prîmes la routede Jenné. Je ne saurais exprimer la joie que je ressentis à cetteheureuse nouvelle.

§ 101. Detarium mierocarpum Guill. et Perr. La végétation esttoujours la même; j'ai cependant remarqué un arbre qui croîtcommunément aux environs du Sénégal: il porte un fruit rond, unpeu plat, de la grosseur d'une pomme de reinette; il est recouvertd'une pellicule grise et la pulpe, que les nègres aiment beaucoup,est d'une couleur verdâtre; le noyau est filamenteux; les feuillesde l'arbre sont pinnées et larges comme celles du frêne. Les nègresfont usage de l'écorce de cet arbre dans les maladies; ils l'emploientcomme caustique (§ 2).

§ 102. Les ruches d'écorce. Dans toute cette partie de l'Afrique,même depuis le Baleya, les nègres mettent des ruches dans lesarbres pour que les abeilles viennent s'y loger; ils récoltent beau­coup de miel, dont ils sont très amateurs. Les ruches sont faitesen écorce d'arbre, et recouvertes de paille; j'ai vu heaucoup d'arbresencore verts entièrement dépouillés pour cet objet de leurs écorcespar les habitants.

L'arbre le plus communément employé pour cct usage dans la zoneguinéenne est le Daniella Oliveri Hutch. et Dalz. qui atteint de bonne.>dimensions et dont l'écorce épaisse se lève facilement.

Le 25 janvier, à six heures du matin, nous fîmes route vers leNord, d'abord sur un sol sablonneux ct très bien cultivé; ensuitesur un sol composé de terre rouge couverte de gravier, et ayant àsa surface des pierres ferrugineuses. Cette campagne est couvertede cés et de nédés.

Page 109: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 106-

§ 103. Lu peuplements de karité. Le 26 janvier nous arri­vàmes, vers une heure du soir, à Fara, où nous fîmes halte. Lacampagne que nous venions de parcourir était couverte de cés; cen'était qu'une forêt immense: c'est l'arbre qui domine dans toutecette partie; aussi les natu reis font-ils un grand commerce dubeurre qu'ils en retirent; ils le portent à Jenné, ou le vendent auxcaravanes qui s'y rendent. Dans tous les lieux habités où je passais,je voyais des femmes portant de ce beurre dans des calebasses;j'en achetais souvent pour mettre dans mes aliments. Une livrecoûte dans le pays quarante cauris (quatre sous de France).

Le 27 janvier nous arrivâmes sur les bords du Bagoé. Noustraversâmes cette rivière dans une grande pirogue, et nous arri­vâmes, un peu avant la nuit, à Missabougou. Le sol parcouru pen­dant la journée était semblable à celui des jours précédents, ettrès bien cultivé en mil, pistaches, etc.

§ 104. Marché à Badiaran.a. Nous fîmes halte, vers neuf heuresdu matin, à Badiarana. Je m'empressai, aussitôt après notre arri­vée, d'aller au marché, où j'achetai quelques maumies et du laitaigre. Ce marché était bien tenu: les marchandes, placées sur deuxrangs, étaient habillées proprement et paraissaient très affablesenvers ceux qui achetaient leurs marchandises, composées de pro­duits du pays; leurs boutiques étaient garnies d'étoffe, coton, sel,mil, piment, poivre long, pistaches, zambalas, fruits du baobab, etde feuilles sèches de cet arbre, qui s'emploient pour mettre dansles ragoûts.

Le 30 janvier nous fîmes halte à Touriat. Les environs de cevillage sont très découverts; le sol est très uni, et les arbres lesplus répandus sont le cé et le nédé.

Le 31 janvier nous arrivâmes à Magna-Gnouan. Aux environs,il y a de jolis petits potagers <l'ognons et de haricots que leshabitants soignent très bien: ils se servent des feuilles pour faireleurs sauces. Je vis aussi quelques champs de tabac: ils ne lecultiycnt pas mieux qu'à Timé, mais il est d'une plus belle espèce;les feuilles sont larges et très longues; et s'il était bien soigné, ilserait aussi beau et aussi bon que celui que l'on cultive en Europe.Les environs sont boisés de quelques mimosas et de gros baobabs..Je vis aussi plusieurs champs de coton mal soignés. Je m'assis,hors du village, il l'ombre d'Un baobab, et je fis griller des l)istachesllOur 1110n déjeuner, que je partageai avec quelques-uns de mescompagnons. Après l1Yoir dîné, nous fimes six milles sur un solcouvert de pierres ferrugineuses et de gravier. L'arbre il beurrecontinue d'être aussi commun. Un peu avant le coucher du solcil,

Page 110: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné
Page 111: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 108 --

nous fîmes halte à Khoukhola. Ce joli village est ombragé par uneinfinité de baobabs: les habitants en récoltent avec soin les fruitset les feuilles, dont ils font commerce.

§ 105. Limite nord de la culture des ignames. Nous arrivâmesà Sérasso, vers dix ou onze heures du matin, et y passâmes le restede la journée. Ce joli village est situé dans une belle plaine cou­verte de cés, nédés, bombax, baobabs et de quelques mimosas; cetteplaine est bien cultivée. En avançant dans cette direction, depuisle dernier village de Fara, les ignames et le riz deviennent trèsrares : on en cultive peu, ce qui tient sans doute à la sécheresse duterrain; car les pluies n'y sont pas aussi communes que plus auSud. On y cultive beaucoup de mil des deux espèces et un peu demaïs.

§ 106. Cultures d'ognons. Le 2 février, vers neuf heures dumatin, nous fîmes halte à Mouriosso. Peu avant d'entrer dans cevillage, dont les maisons sont surmontées de terrasses construitesen briques cuites au soleil, nous traversâmes un joli ruisseau, surles bords duquel je vis des jardins où croissaient de beaux ognons:ce sont les femmes qui les soignent; elles étaient occupées à sar­cler; elles ont soin d'arroser souvent. On trouve, à des distancesrapprochées, des puits de deux pieds environ de profondeur, danslesquels ces femmes puisent avec des calebasses, sans corde. Laterre de ces jardins est d'une couleur noire; elle est grasse ettrès productive. Ils sont entourés d'une haie d'épines sèches, pourles garantir des poules. Plusieurs de ces femmes vinrent nousvendre des feuilles d'ognons, pour mettre dans notre sauce; nousles payâmes de quelques cauris.

A notre arrivée, le marché s'installa de suite sous un gros arbrcdont les branches étaient couvertes de racines, comme celui quej'ai décrit plus haut (§ 99). Ce marché était approvisionné de mil,d'un peu de riz, de pistaches, ognons et zambalas. Il s'y établitaussi des marchandises de maumies : nous en achetâmes en atten­dant notre mauvais dîner.

§ 107. Pastèques, Calebasses, CitrouilieIB et Giraumons,M€:lons. Le village se compose de plusieurs petites enceintes,occupées chacune par une seule famille; ils cultivent, autour deleurs habitations, des citrouilles, des giraumons et des calebassesdont ils font grimper les tiges jusque sur les toits: les champs~nvironnants sont ensemencés de petit mil.

Ces précieuses Cucurbitacées sont souvent citées par R. CAILLIÉ: enMauritanie il put apaiser sa soif en mangeant une pastèque sauvage;

Page 112: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 109-

dans son trajet guinéo-.,oudanien il observa couramment la culture etl'utilisation des eitrouilles et des ealebasses; enfin, au Maroe, il vit eteonsomma des melons vrais.

a) Les Cîtru/lus sont les pastèques (C. vulgaris) et le.;; eoloquintes(C. colocynlhys). Cc sont des plantes afrieaines des zones sèehes. Lapremière est eomestible ct a donné les différentes variétés de « melonsd'eau» : e'est avee ce fruit rafraîehissant que R. CAILI.IÉ rompait sonjeûne du Ramadan durant son séjour à Djenné (§ 125). Les seeondessont tt'ès amères ct violemment purgatives.

La nomenclature de ees deux plantes a fait eouler beaueoup d'enereet le nom de genre s'est porté alternativement sur Colocynlhys Mill.1754 ct sur Cîtr!lllus Sehrad (1836). L'inseription de ee dernier surb lisle dcs noms conservés n'a pas dos le débat ct des discussionssubsistent eneore. En fait, la eonservation est sans appel et c'est bien lenom de Cîtru/lus qui doit être employé. Enfin la pastèque devrait s'ap­pelel' exactement Cîtrul/us lanaills (Thumb.) Mansfeld ("').

h) Le Lagenaria (1.. siceraria) est la plante à gourde. Le fruit, rétréeià sa base en un faux pédoncule, affeete des formes assez variées qucl'on peut diriger au eours du développement. Encore jeune il est eomcs­tible à la façon des courges mais à maturité son péricarpe ùevien t duret il est alors employé à la fabrication de réeipients et ustensiles detoutes sortes, y rompris des pipes qui fUrent fort à la moùe au débutde cc siècle en Europe.

La patrie du Lagenaria est incertaine car il existait dans l'Ancienet le l'\ouvpau Monde avant les voyages de Christophe COLOMB; sesfruits sont d'excellents flotteurs qui ont pu passer d'une rive à l'autredes continents. On le reconnaît à ses fleurs blanehes et au fait qu'il estsouvent eultivé dans les villages où on le fait grimper :mr les eases.

e) Les Cucurbita sont les potirons et courges. Inversement aux pas­tèques elle sont un don du Nouveau Monde. Le C. maxima donne lesgros potirons qui, à maturité, peuvent fournir les grandes calebasses;Je C. pepo donne les fruits les plus petits de la catégorie de;; courges.Lorsque, pour des usages divers, R. CAILLIÉ cite la calebasse, par ex.pour l'emploi des feuilles dans les potages, ce pouvait être aussi bienle potiron (C. maxima) que la gourde (Lagenaria). Th MONOD s'est étonnéde ce que R. CAILLIÉ eite concurremment citrouilles et giraumons quisont synonymes. En principe le nom de giraumon est réservé auxvariétés dites « turban» ou « bonnet de turc », dont le fruit est forméde deux hémisphères inégales. Mais il n'est pas du tout certain quec'est là ce qu'envisageait R. CAILLIÉ. Peut-être désignait-il tout ;;imple­ment les gl'Osses formes du nom de « citrouilles» et les petites formespar celui de « giraumon ». Au Maroc, ce dernier nom s'appliquait peut­être à la courge berbère ou courge musquée (C. moschala).

d) J,es Cucumis sont les melon;; vrais et les concombres. Le « melonde bonne espèce» que H. CAILLIÉ vit sur les marchés du Maroc, est uneamélioration culturale du Cllcumis melo var. agreslis, spontané dansla zone sahélienne.

Toutes ces Cucurbitacées, et encore quelques autres, fournissent desgraines oléagineuses ou médicamenteuses (anthelminthiques); de sorte

("') Die Kulturpflanze, 1959.

Page 113: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 110-

qu'elles sont utiles par toutes leurs parties. R. CAILLIÉ n'a pas cité leLuffa cylindrica qui fournit l'éponge végétale.

§ 108. Dernière palmeraie d'Elaeill. Alors que R. CAILLIÉ 3etrouvait à peu près dans la région de Sikasso, il eut une dernière oc­easion de voir des palmiers à huile qui poussaient là à la faveur d'Unsol frais, alors que la végétation zonale est caractérisée par le Karité.

Vers deux heures du soir nous fîmes route en nous dirigeant àl'Est-Nord Est. Nous fîmes halte à Oulasso. Nous joignîmes dansce village une caravane de marchands mandingues venant d'ache­ter au Sud des noix de colats qu'ils allaient ,-endre à Jenné. Audernier gîte, on avait eu soin de se procurer du mil pour le souperde tout le monde; bien nous en avait pris, car nous ne trouvâmesrien à Oulasso.

Le 3 février, à six heures du matin, nous nous mîmes en routeau Nord-Est. La campagne est bien boisée en cés et nédés. Noustraversâmes trois gros ruisseaux. Les bords en sont très boisés,et il croît dans les endroits frais des palmiers en quantité. Lesnaturels ne connaissent pas la propriété de cet arbre, de fournirune liqueur enivrante; ils font, avec le fruit, de l'huile qu'ilsaiment beaucoup, et avec ils se graissent le corps. Cet arbre estbien loin d'être aussi répandu que sur la côte.

§ 109. Commerce des feuillell et /ruifll de baobab. Vers dixheures du matin, nous arrivâmes à Facibrisso, où se tient un grandmarché de colats, piment, poivre long, qu'ils tirent du Sud;d'étoffes qu'ils fabriquent dans le pays, et de sel qui vient desbars du Dhioliba; de beaucoup de mil, coton, pistaches, et autresproductions du pays. Les cabanes sont à terrasse, n'ont qu'unrez-de-chaussée, et sont construites en briques cuites au soleil.Tous les villages, jusqu'à Jenné, sont bâtis dans le même genre,et en général ombragés par une infinité de bombax et de baobabs:leurs habitants récoltent principalement les fruits de ces derniers;ils en font un commerce avec les caravanes; ils en portent mêmeù Jenné, où il y en a peu, et de Jenné on les exporte à Tombouctou.Le cé ct le nédé sont répandus d'une manière étonnante dans toutecette partie. En avançant Yl'rs le Nord, les baobabs de,icnnentmoins communs, et le bombax les surpasse en grosseur; le ronnierest abondant dans quelques endroits.

Le 4 février, nous atteignîmes Toumané, où sc trouvaient unenOllibreuse caravane venant de Jenné. Les nouveaux venus déso­lèrent mes compagnons en leur apprenant que les colats y étaienttrès communs et ù très bas prix: cette nouH'lle déconcerta lespauvres marchands de Timé. ~lon guide se décida une secondefois à faire route pour Sansanding. Le ;) féYrier, ù sept heures

Page 114: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 111 --

du matin, nous nous séparâmes; KARAMO-OSILA fit route au Nord­Nord-Est, et nous à l'Est. A une petite distance du village, nouspassâmes un ruisseau sur un pont assez solide; il Y avait à cepassage six à sept cents personnes, et trente ou quarante ânes.Notre caravane s'était augmentée d'une quantité d'individus, mar­chands de toile du pays, de piment et de poivre long. Sur la rivedroite la campagne était découverte, parsemée de cés et de nédés.Nous traversâmes un marais desséché, couvert de gras pâturages,où les naturels mettent leurs bestiaux.

Le 6 février nous fîmes six milles au Nord-Est. La campagneest couverte de bombax et de baobabs. Nous fîmes halte à Chesso.Ce village est formé de plusieurs petites enceintes assez prochesles unes des autres: les environs en sont assez découverts; il s'ytrouve un marais sur les bords duquel les naturels cultivent desognons, des haricots, des giraumons, etc... Il y a aussi, dans l'in­térieur du village, beaucoup de bombax et de baobabs.

Le 7 février nous fîmes route dans la direction du Nord-Est; lavégétation est semblable à celle des jours précédents: je vis, deplus, quelques Rhamnus lotus.

§ 110. Fabrique d'instr.uments aratoires. Nous arnvames, versneuf heures du matin, à Pala. J'aperçus aux environs plusieursfourneaux pour la fonte du fer; ce métal se trouve sur la surfacedu sol. Je vis aussi l'instrument aratoire dont les habitants seservent pour leur culture, le seul, je crois, qu'ils connaissent, carje n'en ai pas vu d'autres: c'est une pioche d'un pied de long surhuit pouces de large; le manche peut avoir seize pouces de long;il est très incliné sur la pioche. Pour leur récolte, ils se serventaussi d'une faucille sans dents, comme dans le Ouassoulo.

Le 8 février nous nous dirigeâmes au Nord-Est. La campagneest très découverte; on y voit quelques mimosas et beaucoup de cés.Cet arbre-ci qui, comme je l'ai dit plus haut, fournit du beurre enquantité, croît spontanément dans tout l'intérieur de l'Afrique; ilviendrait parfaitement dans nos colonies d'Amérique, et ce seraitun bien grand service à rendre à l'humanité que de l'y introduire;le don d'une plante aussi utile serait plus précieux pour les habi­tants de ce pays qu'une mine d'or.

Le 9 février, nous rencontrâmes une caravane de marchandsvenant de Jenné, où ils avaient acheté du sel. Vers neuf heuresdu matin, nous fîmes halte à Couara (exactement Couoro ), jolivillage où l'on trouve en abondance tout ce qui est nécessaire àla vie: on y cultive beaucoup de coton, de mil. Le 10, à huit heuresdu matin, nous nous disposâmes à traverser la rivière appeléeKoraba (exactement le Banifing). Des femmes du village s'étaient

Page 115: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 112-

établies sur la rive gauche: elles faisaient des maumies qu'ellesvendaient aux marchands; j'en achetai quelques-unes pour mondéjeuner. Il était près de midi, lorsque nous nous éloignàmes dela rivière. La campagne en général est très découverte; j'aperçusquelques Nauclea africana. Vers deux heures et demi du soir,nous fîmes halte à Douasso, village ombragé par une infinité debaobabs et de bombax. Les environs sont unis et couverts de nédés.

Le 12, nous nous dirigeâmes au Nord. La campagne est généra­lement très découverte; il Y a cependant quelques cés, nédés,Rhamnus lotus et Nauclea. Nous fîmes rencontre d'une grande­caravane chargée de sel, venant de Jenné; elle était composéed'environ deux cents hommes, soixante femmes et vingt-cinq ânes.Vers neuf heures du matin, nous fîmes halte à Sanasso. Ce villageest ombragé de hombax et de baobabs.

Le 15, nous fîmes halte à Niblakhasso. Les Mandingues étalèrentleurs boutiques de colats et en vendirent beaucoup aux joyeuxBambaras: je vendis aussi ceux que j'avais depuis Tangrera; ilsles achetèrent de préférence.

Le 16, nous fîmes quatre milles, sur un sol composé de sable etde gravier, où il croît beaucoup de nédés et de cés, quelques mi­mosas, figuiers sauvages, rf1amnus lotus et bombax. Nous rencon­trâmes une caravane de marchands venant de Jenné : ils nous ap­prirent que les noix de colats, à Jenné, n'avaient aucune valeur.l\'ous arrivâmes à onze heures du matin à Ouattouro. Le marchése tient à l'ombre des bombax; il est bien fourni en poisson sec,mil, un peu de riz, et viande de boucherie.

Le 17, nous fîmes route au Nord. La caravane, intimidée parles bruits anticipés de la guerre de Ségo (Ségou), se mit sur sesgardes. Vers onze heures on s'arrêta à Saraclé. Il y a dans lacampagne quelques mimosas, beaucoup de cés et de nédés.

~ 111. Coton herbacé ou ann,uet Le 1H février nous fîmeshalte à Sanço. Il y a, aux environs de cc village, beaucoup de cul­tures de coton d'une espèce que je n'ai jamais vue sur les bordsdu Sénégal ni aux environs du Sierra-Leone; il est herbacé, et necroît qu'à cinq ou six pouces au-dessus du sol; il ne jette que trèspeu de branches; la plante a le même port que le grand coton.Parveml ù sa crue, il produit; mais sa laine est d'une qualitéhien inférieure; elle est très courte et pas d'lm beau blanc. Ilsont aussi un cotonnier qui croît à quatre ou cinq pieds; il esten petite quantité autour de leu rs habitations. Le coton nain estcultivé dans des terrains éloignés des villages; il est très répandu:ils le sèment à la volée parmi leurs champs de mil commedans le Ouassoulo : ce coton l'st annuel. Ils en vendent beaucoup

Page 116: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 113-

aux femmes des caravanes qui continuellement passent dans leurpays: ils en font aussi des toiles étroites, comme dans tout l'in­térieur; car, à mesure que j'avançais vers les bords du Dhioliba,j'apercevais un grand changement dans l'industrie des naturels.Ici ils sont beaucoup mieux habillés; ils s'adonnent au commerce;leurs marchés sont mieux approvisionnés, leurs cultures mieuxsoignées. Tous les comestibles y sont très chers; souvent on a biende la peine à s'en procurer, ce qui vient de la grande quantitéd'étrangers qui passent, et qui font une forte consommation.Dans cette partie du Bambara, ils n'ont pour nourriture que legros et le petit mil. Le riz n'y vient qu'en très petite quantité. Lesignames, d'un si grand secours dans le Sud, sont dans cette partiesi petite et d'une qualité si inférieure, qu'on en cultive très peu :dans les marchés, j'en voyais quelquefois une douzaine au plus;elles étaient extrêmement chères (§ 105). Les voyageurs en achè­tent, et les font griller sur des charbons, pour les manger le matinde leur départ, ou en route lorsqu'ils se reposent. Les environs dece village sont boisés en cés et en nédés; on récolte beaucoup defruits des premiers, dont on extrait le corps gras, qui est venduensuite à Jenné, ou aux caravanes qui passent. La plus grandepartie des habitants ne brûlent que le chaume de mil; le bois estsi rare, que ceux qui en ont vont le vendre au marché.

~ 112. Les pistaches bouillies. ~ous avons dit antérieurement(§ 47) que R. CAILLIÉ avait confonrlu l'arachide et le voandzou sous lenom de pistache. :'\ous pouvons supposer que lorsqu'il était question de« pistaches grillées» et de «sauces à la pistache », il s'agissait plusprobablement de l'arachide. Mais ici, en plein pays soudanais, la « pis­tache bouillie '> est plus vraisemblablement le Voandzou.

C'est sur cette confusion des premiers voyageurs que certains auteursse sont basés pour croire à lïndigénat africain de l'arachide. Bien quela discussion soit définitivement close sur ce point, il eut été intéressantde savoir si, à l'époque de R. CAILLIÉ, l'arachide était aussi répanduequ'elle l'est aujourd'hui dans la région du karité ct de la culture tradi­tionnelle du Voandzou.

Le 21 février nous fîmes route vers le Nord-Est. La campagne estbien cultivée en mil. Je vis quelques Rhamnus lutus. Nous arri­vâmes à dix heures du matin à Coloni, joli petit village situé dansllne grande et belle plaine fertile et bien cultivée: il est entouréd'une infinité de gros bombax. A mon arrivée, j'allai m'asseoir parterre, à l'ombre d'un arbre où il y avait quelques marchandes;j'achetai des pistaches bouillies pour mon déjeuner, et j'y joignisquelques galettes.

Le 27 février, nous nOllS mîmes en route au Nord - Nord-Est; lesol est couvert de petit gravier; les cés et les nédés comnwncent

Page 117: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

114

à n'être plus aussi communs; il Y croît quelques bombax et mi­mosas. Il était près de onze heures, lorsque nous fîmes halte àNenesso, village dont les environs sont bien cultivés en mil, coton,etc. : il y a aussi quelques baobabs.

§ 113. Irrigation du tabac. Le 28, nous fîmes halte à Nomou,situé dans une belle et grande plaine, où l'on aperçoit beaucoupde belles cultures de coton, ainsi que de beau tabac dont les feuillessont très longues et se terminent en pointe; il ne manque auxhabitants que la manière de le bien préparer pour qu'il soit aussibon que le nôtre. Il donnent à cette culture des soins particuliers:ils sèment la graine sur couche; et lorsque la plante a acquis un\'croissance convenable, ils préparent leur terre, en lui donnantdeux labours, la divisent en petits carrés, et y transplantent lespieds de tabac à dix-huit pouces les uns des autres. Ils ont soinde les arroser deux fois par jour; ils creusent, pour cet effet, despuits près de leurs plantations. Ils ne récoltent les feuilles de ta­bac que lorsque la plante est en graine, car ils ne connaissent pasl'usage de l'étêter. Ils font de cette substance une grande consom­mation; ils en prennent en poudre, fument beaucoup; c'est laseule distraction des vieillards: ils ont des pipes aussi grandeset de même forme que celles des peuples du Ouassoulo; pour leprendre par le nez, ils se servent d'un petit pinceau.

§ 114. Le dokhnou. C'est surtout au cours de son voyage transsaha­rien que R. CAILLIÉ cite le dokhnou. C'est une buvée que l'on prépareen délayant un mélange de farine ct de miel dans de l'eaU. Ces buvéessc font aussi avec des fécules naturellement sucrées comme celles quefournissent les fruits du Néré (§ 44) ct (lu Baobab. Ccs breuvages ontl'avantage dl' ne pas exiger de cuisson. Ils sont le premier réconfortde celui qui observe le jeûne du Ramadan (§ 124) ct du nomade assoiffe"(§ 126-145); ils aident encore à rendre moins détestables les eaux sau­mfltres de la région désertique.

Le 29 février, nous marchâmes pendant quatre milles sur lemême sol que la veille, toujours aussi découvert. Nous fîmes halteà Tamero. Le village est composé, comme tous les autres, de plu­sieurs enclos murés, il est ombragé par une infinité de baobabs.On recueille avec soin le fruit et les feuilles de cet arbre, dont leshabitants font un grand commerce. Le 1rr mars nous avions tra­versé, un I;CU après le village, un grand marais inondé.. Après,nous marchâmes sur du sable. Il y croît des tamariniers, dessoumps (Balanites, § 20) en quantité, des Rhamnus lotus (§ 78),le cé, le nédé et quelques baobabs. Vers neuf heures nous fîmeshalte à Syenco; les habitants étaient occupés à serrer les fruits dubaobab. Ils en cassent la coque avec un gros morceau de bois,

Page 118: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 115-

retirent la pulpe qu'ils font bien sécher au soleil, puis la pilent lé­gèrement pour en extraire la fécule, qui est très estimée dans lepays; ils en mettent dans leurs sauces, et s'en servent à la placedu miel, pour préparer leur dokhnou ou provision de campagne.

§ 115. Le Dâ (Hibiscus cannabinus L.). On fait dans ce vil­lage beaucoup de cordes avec le chanvre (hibiscus cannabinus)découvert à Gambie par un français du nom de BAUDRY, et quis'emploie au même usage dans le Sénégal. Ici on ne se sert pas demétier pour fabriquer ces cordes; on les tord à la main; aussi nesont-elles pas fortes; ce qui peut venir encore de ce que le chanvren'a pas été mis à l'eau avant d'être employé, et qu'il est récoltétrop sec. J'achetai deux de ces cordes, qui pouvaient avoir troisbrasses de long et un pouce de grosseur; je les payai quinze caurispièce, valeur de six liards.

Kirina, joli village environné d'une infinité de bombax et debaobabs peut contenir cinq ou six cents habitants: la majeurepartie sont cordiers; ils vendent leurs cordes aux caravanesqui passent dans le pays; ils en portent aussi à Jenné; on s'ensert pour la construction des pirogues qui font le voyage de Tom­bouctou. Quelques-unes de ces cordes étaient faites de chanvre;mais la plus grande partie était en écorce d'arbre et en feuilles deronnier.

Il ne manque point, en effet, d'écorces d'arbres et de lianes ainsiemployées, soit à l'état brut soit plus ou moins préparées. Il est sur­prenant que R. CAILLIÉ ne cite pas spécialement le baobab, car lesarbres qui sont ainsi écorcés de la façon dont le sont les chênes-liège,sont tout à fait reconnaissables.

Victor BAUDRY, dont parle R. CAILLIÉ, était un Français établi enGambie, alors possession anglaise, où il avait amélioré la productiondu Dâ ct surtout la préparation de ses fibres qui ont à peu près lesqualités du jute. ROGER, alors gouverneur du Sénégal, avait essayé del'attirer à Saint-Louis pour lui faire organiser la culture du dâ dans leOuallo.

§ 116. Le pain de lotus. C'est ce nom de pain qui est fâcheux; caril ne s'agit pas d'une denrée panifiée, servant d'aliment de base et dontde grandes quantités seraient nécessaires, mais d'une pâte de fruit, quel'on peut effectivement conserver et transporter et dont on use parci­monieusement pour tromper la fatigue et la faim. Ici, dans cette partiede l'Afrique, ce n'est pas le Zizyphus lotus qui est l'espèce productricemais le Zizypltus mauritiana Lamk.

A. CHEVALIER. - Les Jujubiers ou ZiZI/ph us de l'Ancien l\londe ct l'utili­sation de leurs fruits. Reu. Bot. Appl. 1947 : 470-483.

Page 119: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 116-

Le 2 mars nous fîmes halte à Somou, village situé dans uneplaine très découverte et bien cultivée. En visitant le marché j'a­chetai de petits pains de lotus, qui me parurent avoir un fort bongoût; ils ressemblaient par la couleur au pain d'épice, mais étaientun peu acide: on les fait avec les fruits du rlwmnus lotus, dontparle Mungo-Park. A Médina, le marché est petit, mais assez four­ni. Il y avait à ce marché beaucoup de pain de lotus, pain qui a ungoût un peu sucré et acide, ce qui provient du fruit, qui n'est ja­mais récolté en maturité: il est très commun dans cette partiedu Soudan, les habitants vont en wndre à Jenné, d'où on le trans­porte à Tombouctou.

Le 3 mars, il pouvait être midi lorsque nous arrivâmes bien fa­tigués à Kinina, village contenant environ deux cents habitants,et qui est entouré d'une infinité de ronniers. Le 5, nous fîmes halteà Foudouca, autre village ombragé par quelques nédés et baobabs.Les vivres y sont très chers. Le 6, au lever du soleil, nous nousmîmes en route. Le sol est toujours le même, mais la campagneplus découverte que les jours précédents. Je remarquai beaucoupde champs de mil, qui avaient été cultivés dans la saison despluies: une partie du chaume restait encore sur le sol. Le 8, noustraversâmes, dans sa partie la plus étroite un marais qui là étaità sec, mais inondé du côté du Nord. Les endroits un peu élevés dece marais sont cultivés en riz; les négres y font des chausséespour maîtriser l'inondation. Apr~s l'avoir traversé, nous fîmesencore cinq milles au Nord - Nord-Est; le sol est composé de sabledur, et couvert de rhamnus lotus, de mimosas, de cés et de nédés.Nous fîmes halte à Manianan. Il croît aux environs du village beau­coup de ronniers.

§ 117. Nymphaea. Le 10, nous traversâmes un marais inondé,où nous avions de l'eau jusqu'à la ceinture; je remarquai le nym­phaea bleu (N. rufescens?) et le blanc (N. lotus?). Les naturelsrécoltent la graine de cette plante, qu'ils emploient à leur nourri­ture, ainsi que sa racine (§ 32).

Vers onze heures du matin, nous arrivâmes bien fatigués à Ga­lia (ou Cougalia), situé sur le bord du Dhioloba; il y a beaucoupde ronniers, et, sur le bord du fleuve, deux gros tamariniers, quifont diversion à l'uniformité de la campagne.

~ 118. Arrivée à Djenné. R. CAILLIÉ, ayant traversé le Niger (Dhio­liba) à Kouroussa, ne pouvait, certes, le retrouver que par sa rive droite.En outre, par son large détour au Sud-Est, il avait eu à traverser plusieursrivières qu'il supposait être des af1luents directs du Niger. En fait ellesse rassemblent en un cours commun le Bani qui suit d'abord parallèle­ment le Niger, avant de se confonllre avec lui en aval de Djenné. C'est

Page 120: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 15. --- Le coton (Gossypium). Un rameau de cotonnier portant: unecapsule développée, une fleur épanouie ct un bouton floral, entre ces deuxderniers une graine dont les fibres sont étalées; à gauche une capsulemûre libérant le coton; en bas scène villageoise de filage à gauche, et detissage, à droite ( § 111).

Page 121: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 118-

donc exactement le Bani ct non le Niger que R. CAILLIE eut à lraverserpour atteindre Djenné. Comme Mungo PARK avait rapporté antérieure­ITlcnt que cette ville élait située sur la rive droite, l'observation deH. CAILLIÉ eut porté le comble à la perplexité des géographes s'il n'avaitapcl'çu le Nigcr proprement dit, assez à l'Ouesl du haut d'une terrasse.Sa conclusion fut, qu'en ccl endroit, le Niger se divisail en plusieursbranches et que Djenné occupait une des îles. Cette opinion était d'au­tant plus plausible qu'il existe effectivement plusieurs anastomoses quipréc&dent la confluence principale.

Le Il mars au matin nous traversâmes le fleuve dans de frêlespirogues de trente pieds de long environ, mais très étroites; ellesétaient faites d'un seul tronc d'arbre (bombax), mais de la plusgrande incommodité (§ 45).

§ 119. La sensitive rugueuse (Mimosa asperata L.) Il était midiLorsque nous eûmes passé sur la rive gauche. II faisait une chaleurtrès forte : je me promenai un peu sur cette rive, où je vis beau­coup de mimosas, la même espèce qui croît dans l'eau sur les bordsdu Sénégal et en grande quantité dans l'intérieur; toutefois, dansles terres inondées, il ne vient pas à plus de cinq pieds d'élévation.Il est épineux, les branches en sont très minces et la gousse enest veloutée; l'attouchement fait contracter ses feuilles.

Nous quittâmes les bords du Dhioliba, et nous fîmes six millesà l'Ouest-Nord Ouest. Nous traversâmes un marais à sec, sanstrouver un seul arbre pour nous mettre à l'ombre. Lors de l'inon­dation, ce marais ~cultivé en riz. J'examinai plusieurs esclavesoccupés à y labourer; ils se servent de grandes pioches, commedans le Ouassoulo.

SÉJOUR A D.IEI\' 1\' 1\. Dans cette importante ville soudanaise R. CAILLIÉfut bien accueilli par les notables religieux.

§ 120. Le gombo pectoral. Le HAGGI-MoHAMMED vint s'informerde ma santé. Comme j'étais très enrhumé, il fit acheter du gombosec, sur le désir que j'en témoignai; il le fit bouillir et ajoutabeaucoup de miel: c'était un très bon remède pour ce rhume quej'avais depuis un mois, ct qui m'était tombé sur la poitrine; j'avaisune extinction de voix, ce qui me fatiguait beaucoup, étant obligéde répond re à une foule de questions.

§ 121. Le marché à Djenné. J'allai me promener au marchépour l'examiner: je fus étonné de la grande quantité de mondeque j'y trouvai; il Y a un concours continuel d'étrangers, etd'habitants des villages environnants, qui viennent vendre leursdenrées. acheter du sel et d'autres marchandises. On voit dans lesrues une infinité de marchands portant leurs marchandises. et les

Page 122: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 119-

criant comme on fait en Europe: ce sont des étoffes du pays, deseffets confectionnés, noix de colats, miel, beurre végétal et animal,lait, bois à brûler. Ce dernier article est ici très rare. Le chaumede mil se vend aussi au marché. Les Maures établis à Djenné n'éta­lent jamais de boutiques, ce sont des négociants, qui ont des per­sonnes affidées, ou même des esclaves, qui vendent en détail pourleur compte. Les nègres de Jenné sont aussi négociants; mais leurcommerce est moins considérable: ils trafiquent peu en objetsde grande valeur, mais beaucoup en zambalas, tamarins, piment,poivre long, feuilles et fruits du baobab, gombos, feuilles et fruitsde l'oseille de Guinée, pistaches, haricots, et une foule de menusarticles.

§ 122. Légu.mes de la zone tempérée. A cette époque, par l'in­termédiaire de Tombouctou, l'influence moghrebine était trés sensiblejusqu'à Djenné. L'information de R. CAILLIÉ, relative à la culture deslégumes, est intéressante, car elle montre que ces plantes ne s'accli­matent pas et que l'on doit se réapprovisionner de semences chaqueannée.

La ville est ombragée de quelques baobabs, mimosas, dattiers etronniers; j'ai remarqué une autre espèce d'arbre dont je ne connaispas le nom. Les environs sont marécageux, et entièrement dénuésd'arbres. On aperçoit cependant, à des distances très éloignées, surde petites élévations, des bouquets de ronniers. Les plaines sontlabourées un peu avant les pluies, et toutes ensemencées en riz,qui croît avec les eaux du fleuve; les esclaves sont chargés de laculture; sur les bords du fleuve ils récoltent un peu de gombo, detabac, et des giraumons: on m'a dit que, dans la saison des pluies,ils recueillent aussi le chou, la carotte, le navet d'Europe; lesgraines de ces légumes leur viennent de Tafilet. Ils coupent dansles marais une espèce de fourrage qu'ils font sécher pour nourrirleurs bestiaux (borgou, § 129).

§ 123. La mévente des colas. Les marchands de colats setiennent à une extrémité du marché, placés sur deux rangs, ayantdevant eux chacun un petit panier de colats qu'ils vendent audétail, à huit ou dix cauris pièce; la modicité de ce prix provenaitde la grande quantité de ces fruits qui se trouvaient dans le pays;mais ils valent ordinairement de quinze à vingt cauris.

Les malheureux marchands mandingues, après avoir fait deuxmois de marche avec une charge de colats sur la tête, sont obligésde les promener dans les rues pour les vendre; ils ont beaucoup depeine à s'en défaire, car ce n'est qu'une marchandise de luxe: àla vérité, on en consomme beaucoup dans les environs de Jenné,sur les bords du fleuve jusqu'à Tombouctou; mais la quantité que

Page 123: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- 120 -

les marchands l'Il apportent du Sud est immense; aussi sont-ilsobligés de les donner il huit ou dix cauris pièce. Certes, à cc prix,ils n'y gagnent pas: comme je l'ai dit, les dépenses qu'ils sontobligés de [ai re en route, le temps qu'ils restent à Jenné, le passagedes rivières, les droits de passe dans tous les villages, ct les cadeauxexigés, absorbent tous leurs bénéfices. Les cauris provenant de lavente des colats, sont destinés à l'achat du sel; car, avec cette sortede marchandise, ils ne pourraient pas en acheter.

§ 124. Le lalo. Depuis son premier voyage à travers le Ferlo (§ 2b),R. CAILLIÉ a souvent cité l'utilisation des fruits ct feuilles de Baobab. Ccn'est cependant qu'à Djenné, à l'occasion d'uu couscous un peu sec,qu'i! donne le nom de « lalo» sous lequel on désigne, dans une grandepartie du Soudan occidental, la feuille de baobab réduite en poudre,mais aussi les autres produits remplissant de semblables fonctions dansles sauces; c'est-à-dire donnant de l'onctuosité ct apportant des élémentsminéraux. Les auteurs se sont souvent étonnés de la richesse en calciumdes feuilles du baobab qui, le plus souvent, pousse sur des sols dépourvusde cet élément. C'est que l'arhre, ct le baobab ne doit pas être tellementexceptionnel à ce point de vue, explore, p~ll' son systi'me racinaire, unvolume considérable de terre <l'où il extrait des éléments à l'état detraces pour les concentrer dans ses tissus soit, pour le cas du calcium,dans ses feuilles.

Mon guide et moi nous allâmes avec notre hôte rl'ndre visiteaux Maures ... Ils vinrent nous inviter à entrer, et uous donnèrentà chacun une moitié de colats; puis ils nous montrèrent une cale­basse de couscous à la viande, que ces messieurs avaient eu lacomplaisance de mettre de côté pour nous; l'absence de lalo, feuillede baobab pilée que l'on met dans le couscous, le rendait détestable.

§ 125. Jeûne du ramadan. Ce jeÎlne 111e fut bien moins pénibleque celui que j'avais supporté en ]824, car alors je n'avais d'autreabri qu'une tente, au lieu qu'ici j'étais dans une maison de la plusgrande fraîcheur et oil le soleil ne pénétrait jamais: aussi n'éprou­vais-je pas une soif très pressante. Au coucher du soleil, onm'apporta un breuvage de tamarin, puis un second fait avec dumiel et du lait aigre égouttés et séchés au soleil, espèce de fromagetrès dur, que les Maures, qui l'aiment beaucoup, apportent dans lepays: on le met cn poudre pour le mêler dans la boisson. Les jourssuivants, on y ajouta une bouillie de farine très claire, mêléeavec un peu de tamarin, pour me faire attendre plus patiemmentle souper. Au coucher du soleil, OllLAD-MARMOU me donna unepoignée de dattes et un très beau melon d'cau que je trouvai déli­cieux, et il continua à m'en donner un tous les soirs jusqu'aumoment de mon départ.

Page 124: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Sur le Nig,er.

De Djenné à Tomboudou.

C'est encore sur le Bani que R. CAILLIÉ fit ses premiers milles denavigation. Et ce n'est qu'au village d'Isaca, le Mopti actuel, qu'il passasur le Niger:

Ce bras, qui vient de l'Ouest est très large et paraît navigablepour de grandes embarcations.

Sur ce parcours fluvial, et aux approches du désert, il ne put fairebeaucoup d'observations sur la végétation, les cultures ct l'alimentationvégétale.

§ 126. ProvÎ8Ï.ons de route. Le 23 au matin (le chérif) préparadevant moi une bonne quantité de farine de mil, dans laquelle ilmit beaucoup de miel; cette préparation était destinée à être misedans l'eau que je devais boire; elle me fit beaucoup de plaisir dansle trajet. Le jeune Maure me donna une bonne provision de painde froment séché au four; il m'enseigna aussi la manière de lemanger: ils le font tremper dans un peu d'eau, et y mêlent beau­coup de beurre et de miel. Enfin, vers neuf heures, nous quittâmesle port.

§ 127. Le ronler (Borassus aetlIiopllm). Depuis la reglOn de Ten­gréla (§ 95) R. C'ILLlÉ a fréquemment noté l'existence du rônier. Cetimposant palmier forme assez souvent des peuplements dans les ter­rains frais de la zone soudanaise. Le tronc entre dans la constructiondes maisons à terrasse; et les larges feuilles en éventail servent en spar­terie. On peut en extraire un excellent vin de palme et les différentesparties du fruit, la pulpe en particulier, sont comestibles. Le jeuneMichel ADANSON, envoyant des graines en France, recommande auxDE JUSSIEU ct à ses parents (j'y goûter: « Vous trouverez deux fruits d'unPalmier que l'on nomme ici Rondier... Vous pourrez goûter de ce fruit

JOURNAL D'AGRICULTURE TROPICALE ET DE nOTANIQVE APPLIQUÉE, NO 12, DÉCEMBRE 1963

Page 125: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 122-

s'il vous alTive hien, comme je l'espère. Si vous voulez bien en fairegoûteI' à mon cher Pl're ct à ma chère Mère par curiosité vous me ferezplaisir »,

De tous côtés s'offrent des plaines immenses dont l'uniformitén'est rompue que par quelques ronniers qui s'élèvent majestueu­sement à plus quatre-vingts pieds dans les airs, et servent debornes à l'horizon. Les habitants de Jenné sont très industrieux:on s'y sert, pour emballer les marchandises, de nattes faites enfeuilles de ronnier; cc sont les habitants des villages voisins quiles fabriquent ct les apportent au marché.

~ 128. Transit à Couna. Les marchandises venues de Djenné surune petite pirogue, sont transbordées sur une plus granùe embarcation:

Le village est situé su r une petite élévation; il est ombragé parquelques ronniers et un mimosa, qui procurent peu d'ombrage·J'allai visiter le marché, que je trouvai assez mal fourni, sans douteparce que nous étions dans le ramadan. La campagne dans tous lesenvirons est très unie; elle n'offre pas un seul petit arbuste; ccsont des marais immenses inondés lors de la crue des eaux. Je fisrencontre, dans ce village, d'un marchand maure; je l'engageai àvenir à bord de notre embarcation, pou r sc rafraîchir d'un peu dedokhnou et d'cau. Le dokhnou est, comme je l'ai dit plus haut(§ 114), un mélange de farine de mil et de miel que l'on délaiepour ensuite le boire.

Le 30 mars, vers neuf heures du matin, le vent Nord-Est soufflaitavec violence, ct nous obligea de faire halte devant le village deSançan : le flpuve est toujours aussi large, mais les rives sont gar­nies de quelques mimosas, qui réjouissent la vue fatiguée par l'ab­sence si longue de toute végétation.

Le 3 avril, vers une heure du soir, nous fîmes halte dans un en­droit où il y avait quelques buissons, pour y faire du bois à brûler.Je descendis à terre avec les esclaves; la campagne, sujette auxinondations, est couverte de quelque végétation, de mimosas de12 pieds d'élévation ct de naucléas.

Le 6 avril, nous passftmes devant Garfola. Les environs de cevillage sont un peu élevés; quelques baobabs, bombax, tamariniers,soumps, mimosas et naucléas, ornent ses environs.

§ 129. Le sirop de Borgou (Echinochloa sta[]nina P. Beauv.) R.CAILLI~: est probablement le premier qui ait donné une relation écrite decette technique d'extraction du sucre à partir des tiges de cette grami­née, le 'koundou des som'aï, que BARTH devait aussi observer vingt ansplus tard et que A. CHEVALIER devait enfin décrire plus longuement en1900. R. CAILLIÉ n'a été informé que de la fabrication du sirop consom­mé immédiatement en boisson, mais on peut aussi en faire du sucre:« si l'on concentre par la chaleur le Koundou-lzari, on obtient un sucre

Page 126: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 16. - Les bOI'!IOulit'-I'es du Ni!le/'. Panicule de Borgou (Ecllinoc1l1oa stag­nina) à gauche, et peuplements palustres sur les hauts fonds du Niger encrue (§ 129); à droite, rameaux, feuilles et gousses de Mimosa asperata.buisson des berges du Niger (§ 119).

Page 127: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 12-1 -

brun, un peu mou, nommé Katoll qui se vend sur le marché, découpé enpetits cubes comme le nougat. Les enfants som'aïs en sont friands, maisil est surtout utilisé à Tombouctou ))OUl' fabriquer des pâtisseries ct enparticulier les Alouala, sortes de berlingots» (A. CHEVALIER).

Je vis, dans les marais environnants, beaucoup de nègres oc­cupés à récolter une grande herbe qui ne croît que dans les lieuxmarécageux; ils nomment cette plante kondou; ils la font sécherau soleil, puis la passent légèrement à la flamme pour brûler lesfeuilles; ils ne réservent que les tiges; ils en font de gros paquetsqu'ils emportent sur leur tête jusque dans leurs habitations; jevis aussi plusieurs ânes qui en étaient chargés. Je demandai àmes compagnons quel usage on faisait de cette herbe: ils medirent qu'étant bien luvée par les femmes, et séchée, on la réduiten poudre aussi fine que possible; ainsi réduite, on la met dansun grand vase en terre fait exprès, avec de petits trous au fond;on jette par dessus de l'cau chaude: en filtrant, l'eau emporte toutle suc de la plante; ce suc est très sucré; l'eau prend une couleurviolette un peu claire. Cette boisson est très estimée des naturelsqui la savourent avec plaisir; mais elle produit l'elfet d'un purgatifpour les personnes qui n'y sont pas habituées, ct elle conservepresque toujours un petit goût de fumée qui la rend désagréableà boire. Les mahométans se permettent sans scrupule d'en faireusage: les Maures en boivent aussi; mais ils la coupent toujoursavec du lait aigre. La tige du kondou est grosse comme un roseau,longue de huit à dix pieds et rampante; les feuilles sont étroites etlongues de six à sept pouces; elles ont les bords dentelés en scie.Les rives du Dhioliba en sont couvertes. Les Dirmans et quelquesFoulahs habitants de Tircy vinrent nous vendre de cette boisson,du lait aigre, du beurre frais, du poisson sec, et des nattes; pourune valeur de cinq cauris, on avait environ un verre de lait: jecrois que les vivres étaient rares dans ce village, car ils promenaientleurs marchandises sur le rivage, et ne voulaient pour la plupart,que du mil en paiement. Un vase quelconque, plein de mil, sc donnepour deux fois le même vase rempli de lait; c'est le taux fixé dansle pays.

§ 130. Borgoutières et tran$humance. Lorsque dans la zone sahé­lienne les pâturages sont desséchés et les points d'eau taris, les trou­peaux desrendent dans la vallée du Niger à l'époque où la décrue dé­eouvre les peuplements de borgou. Les bergers doivent accoutumer pro­gressivement le bétail à cette soudaine abondanee d'herbe et d'cau. C'esten cette saison que R. CAILLIÉ descendait le fleuve et il put observer cestroupeaux sur les rives.

Ces marais s'étendent à perte de vue, sont couverts de pâtu­rages, et peuplés d'une infinité d'oiseaux aquatiques; de nombreux

Page 128: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 125-

troupeaux de bœufs, de moutons, et quelques chevaux, inter­rompent, par leurs cris divers, le silence de ces solitudes. Ces trou­peaux appartiennent à des Foulahs pasteurs qui vinrent sur le borddu rivage pour nous vendre du lait: ils ne voulaient en échangeque du tabac, marchandise que nous n'avions pas; en sorte quenous fûmes privés de lait, car ils refusèrent nos cauris.

Lors du débordement du fleuve, tous les marais sont couvertsde huit à dix pieds d'eau, et même davantage, au-dessus des herbes;alors cette immense plaine ne forme plus qu'un grand lac. Toutesles peuplades de foulahs pasteurs qui ont leurs cases dans les 'en­virons, sont obligées de se retirer dans l'intérieur des terres, où lespâturages sont abondants pendant la saison des pluies.

§ 131. Haie de célane (EupllOrbia balsamifera Ait.) R. CAILLIÉ s'estsouvenu de cette Euphorbe crassulescente vue autrefois au Sénégal et apu lui appliquer le nom volof de «célane» ou «sâlan» : c'est l'Eu­phorbe du Cayor.

Vers onze heures du matin, nous passâmes devant Salacona, vil­lage de Foulahs nomades, situé sur la rive droite: ils ont construitleurs cases sur des dunes de sable mouvant· Je visitai leurs petiteshabitations. Sept à huit de ces cases sont entourées d'une petitehaie vive de la plante appelée cétane, euphorbiacée qui croît spon­tanément dans les endroits sablonneux du Sénégal. Les cases quej'ai vues étaient très propres et bien tenues.

§ 132. Nymphéas bleus. Le nénufar nymphaea caerutea (exac­tement N. rufescens Guill. & Perrot.), croît en abondance dans lesimmenses marais qui entourent Salacoïla : la plus grande partiede ces plantes ont une jolie fleur bleue, simple; les habitants enrécoltent la graine, qu'ils font sécher, et qui leur est d'une trèsgrande ressource, car ils cultivent peu. Ils se procurent du grainpar les embarcations qui viennent de Jenné.

§ 133. Les Touariks pasteurs et pillards. Les Touariks sontriches en bestiaux; ils ont de nombreux troupeaux de moutons,bœufs et chèvres; le lait et la viande suffisent à leur nourriture.Leurs esclaves recueillent la graine du nénufar, qui est très com­mun dans tous les marais environnants; ils la font sécher et lavannent: elle est si fine, qu'elle n'a pas besoin d'être pilée; ils lafont cuire avec leur poisson. Ces peuples nomades ne cultiventpoint; leurs esclaves ne sont occupés qu'à soigner leurs troupeaux;ils n'ont pour leur consommation d'autre grain que celui qu'ilstirent des flotilles venant de Jenné à Tombouctou. Au moment dela crue des eaux, les Touariks se retirent un peu dans l'intérieur,

Page 129: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

12!i

où ils trouvent de bons pâturages; ils ont de nombreux troupeauxde chameaux, dont le lait est une ressource toujours certaine.

§ 134. A Cabra, port de T.ombouctou. Le 19 avril nous pas­sùmes auprès d'une grande île, en face de laquelle nous fîme~ haltejusqu'à huit heures. Cette île est très plate et sablonneuse; j'yaperçus cependant quelques mimosas, des balanites aegyptiaca etd'::nrtres arbuste~ rahougris.

,"ers une heure de l'après-midi, nous arrinhues au port de Ca­bra. Je n'aperçus autour de moi que des marais inondés et cou­verts d'oiseaux aquatiques. De ces immenses marais, la vue seporle sur le village de Cabra, situé sur une petite montagne qui lepréserve de l'inondation: on m'assura que, dans la saison despluies, ces marais étaient couverts de dix pieds d'eau, ce qui meparut uue hauteur énorme pour un espace aussi grand.

Il y a journellement à Cabra un marché approvisionné de toutesorte de marchandises venant du Soudan. A l'Ouest du village, ilJ a quelques balanites acgyptiaca, ct de petits jardins de tabac,plante qui y réussit assez mal, ct parvient à peine à la hau­teur de six à sept pouces. Du côté de l'Est, il y a quelques dattiersqlle l'on aperçoit de très loin sur la route. L'inondation continuelledes marais qui avoisinent le village de Cabra, ne permet pas auxhabitants de cultiver le riz; le sol sablonneux dont ils sont entou­rés dans la partie du Nord, s'oppose à la culture du mil; il estd'une trop grande aridité.

~ la:>. Pain de froment. ,J'allai me prollwner dans l'intérieurde la ville pour la visiter. Je vis beaucoup de marchandes, ct j'ache­tai à l'une d'elles un peu de lait et un pain de farine de froment,qui me cOÎlta vingt cauris; je fis avec cela un assez bon déjefmer,car je n'avais rien pris de tout le jour.

Le 20 :l\Til, nous nous mîmes en route pour Tombouctou. Prèsde CaLra, nous trouvâ'mes deux grandes mares, dont les bords sontcouverts de (Juelques mimosas de cinq à six pieds de hauteur: àune certaine distance, on retrouve avec plaisir quelques traces devégétation. La moitié du chemin offre le même aspect; l'au tre par­tie de la l'OU te est plus découverte et le sable plus mouvant, ce quirend la marche très pénible.

TOMBoccTou. Cette ville mystérieuse, qui, depuis des siècles, oc­cupait les savants, et sur la population de laquelle on se formaitdes idées si exagérées, est située dans une immense plaine de sableblanc et mouvant, sur lequel il ne croît que de frêles arbrisseauxrabougris, tels le Mimosa ferruginea, qui ne vient qu'à la hauteurde trois ou quatre pieds (§ 141).

Page 130: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 127 -

Fig. 17..- Le palmier Douill (Hyphacnc thebaïca. § 136 hl, figure cxtraite eta~randie de la eélè·IJle gravure (1'1. 6 de l'atlas) du .Journal, montrant Icpied de palmicr Doum au eentrc d'un quartier de Tombouctou.

Page 131: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 128-

J'étais surpris du peu d'activité, je dirais même de l'inertie quirégnait dans la ville. Quelques marchands de noix de colats criaientleur marchandise comme à Jenné.

Tombouctou, quoique l'une des plus grandes villes que j'aievues en Afrique, n'a d'autres ressources que son commerce de sel,son sol n'étant aucunement propre à la culture. C'est de Jennéqu'elle tire tout ce qui est nécessaire à son approvisionnement, lemil, le riz, le beurre végétal, le miel, le coton, les étoffes du Soudan,les effets confectionnés, les bougies, le savon, le piment, les oignons,le poisson sec, les pistaches, etc...

§ 136. La flore de Tombouctou. En plus de quelques misérablescultures de tabac et de quelques graminées anonymes, R. CAILLIÉ citequatre espèces dans la ville de Tombouctou: le Balanites, le Ricin, leSaluadora, et le palmier Doum. Il est intéressant de remarquer qu'il areprésenté deux de ces plantes sur l'esquisse mémorable qu'il a faite deTombouctou. Sans doute le Balanites est-il simplement figuratif, encorequ'un examen minutieux montre que l'on a tenté d'y inscrire le carac­tère de l'espèce par les feuilles souvent réunies par paires. Mais le Doum,lui, est parfaitement représenté et reconnaissable au centre de la gravure(voir Fig. 17).

(La ville) n'est fermée par aucune clôture; on peut y entrer detous côtés. On remarque dans son enceinte et autour quelques bala­nites aegyptiaca. Au milieu de la ville, on voit une espèce de placeentourée de cases rondes; on y trouve quelques palma christi etun palmier doum le seul que j'aie vu dans le pays.

Une troisième mosquée, un peu remarquable, se trouve à peuprès au centre de la ville. Une cour très grande se trouve dans lapartie de l'Est: il y a au milieu un balanites aegyptiaca qui enfait l'ornement. DErrière la mosquée, à l'Ouest, il croît quelquespieds de saluadora (§ 142).

a) Le Ricin (Ricinus communis 1..) R. CAILLIÉ a aisément identifiéle Ricin qu'il devait connaître du Sénégal. Mais il le désigne par leterme de «Palma-Christi» lequel, dit DE CANDOLLE, est un dr~ nom­breux noms absurdes donnés à cette plante. Sa patrie exacte dans)'An­cien Monde est incertaine; mais il est subspontané, dans les oasis, vil­lages, bords de routes, ouadi, etc ... de l'Afrique tropicale et subtropi­cale de l'hémisphère Nord.

b) Le Pal.mier~oum (Hyphaene thebaica MarL). Ce palmier, ty­pique de la zone sahélienne et remarquable par sa faculté de se ramifier,rend par ailleurs les plus grands services aux populations de ces régions.Le fruit donne une farine sucrée et l'albumen corné fournit un ivoirevégétal; le tronc sert à plafonner les terrasses; les feuilles sont utiliséesen sparterie, corderie, etc... R. CAILLIÉ ne le mentionne qu'une fois etencore dans la ville de Tombouctou. Cela tient probablement à ce que letrajet sahélien, Djenné-Tombouctou, ayant été fait en pirogue, le voya­geur ne pouvait gm\re voir que la zone d'inondation. Toutefois, lorsqu'il

Page 132: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 129-

parle de certains usages dcs feuilles et troncs de « ronniers» (Borassus)il est probable qu'il s'agissait aussi parfois du Doum.

§ 137. Matériau de construction et combustible. Le toit de lamosquée est en terrasse. Des troncs de ronnier fendus en quatresoutiennent le toit de l'édifice; ces poutres sont à un pied de dis­tance les unes des autres: des morceaux de bois de salvadora,qu'on apporte de Cabra, où ce Yégétal croît en quantité, coupés àla longueur de la distance des poutres, sont posés obliquement àdouble rang et en croix; des nattes de feuilles de ronnier sontplacées dessus et recouvertes de terre.

Le bois à brûler est d'une grande rareté aux environs; on vatrès près de Cabra pour s'en procurer; on en fait un objet de com­merce, et les femmes le vendent au marché. Les riches seules enbrûlent; les pauvres font usage de fiente de chameau.

§ 138. Fourrages. Comme les environs de Tombouctou sonttous dépourvus de pâturages (puisque les chameaux y trouvent àpeine de quoi paître), on tire de Cabra beaucoup de fourrage, queles habitants de ce village récoltent dans les marais, et qu'ils fontsécher pour le vendre aux personnes de la ville qui ont des bestiauxà nourrir, tels que chevaux, bœufs, moutons ou cabris; ce fourrageest serré sur le toit des maisons. Tombouctou et ses environs offrentl'aspect le plus monotone, le plus aride que j'aie jamais vu : cepen­dant j'aperçus à peu de distance hors de la ville, un troupeau dechameaux dispersés dans la campagne, paissant çà et là quelqueschardons desséchés par le vent brûlant de l'Est, et de jeunesbranches de mimosa ferruginea (exactement Acacia raddiana Savi,voir § 141), dont les longues épines, ressemblant à celles de l'aubé­pine, n'empêchaient pas ces animaux de les dévorer. On me ditqu'ils appartenaient aux Maures qui font les voyages à traversle grand désert.

§ 139. Culture du tabac. 11 y a quelques petits champs detabac: cette plante ne croît qu'à la hauteur de cinq à six pouces, etne vient qu'à force d'être arrosée: c'est la seule culture que j'aivue dans le pays. Les nègres étaient occupés à le récolter; je re­marquai qu'il était déjà en grains; ils font sécher les feuilles, etles pilent au mortier. Ils le prennent ainsi en poudre, sans autrepréparation; ce n'est qu'une poussière verte qui n'a pas même l'o­deur du tabac. On le vend au marché; mais les personnes riches neprennent que celui qui vient de rtlaroc, qui est de bien meilleurequalité.

Page 133: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 130-

La traversée du Sahara.

Cette partie du voyage fut la plus douloureuse pour R. CAILLIÉ. Carsi les conditions du désert étaient également impitoyables pour tous lespassagers de la caravane, il eut à souffrir en outre de l'hostilité ouvertedu chamelier aupn"s de l]ui le bienveillant Sl-ABD.\LL.\HI l'avait cepen­dant recommandé au départ de Tombouctou.

Davantage que la pauvreté floristique du désert c'est de n'avoir puétablir le contact avec ses compagnons, qui fît que les renseignementsbotaniques furent médiocres sur cc trajet. Car si les plantes y sont rares,n'ont-elles pas toutes une importance vitale pour la caravane? Ne sont­elles pas toutes exactement connues ct nommées par n'importe quel cha­melier? R. CAlLLI~:, là moins qu'ailleurs, ne pouvait interroger, ct lesconversations confiantes et instructives ne se produisirent pas. Et puisl'agitation d'U11l' caravane nombreuse, la difficulté de s'isoler de jour clde nuit, compliquaient l'enregistrement de notes qu'il dut réduire àl'essentiel.

§ 140. Le viatique de l'amitié. La caravane destinée pour el­Araouan et dont je faisais partie, devait se mettre en route le 4 maiau lever du soleil. Mon hôte fut debout de si bonne heu re qu'il eutle temps, avant le départ, de m'emmener déjeûner chez lui, avecdu thé, du pain frais et du beurre. Enfin il n'épargna rien pourrendre mon voyage supportable: je reçus encore de lui deux outresen cuir pour garder ma provision d'eau pendant la route, du dokh­nou, du pain de froment cuit au four comme notre biscuit, dubeurre animal fondu, et une bonne quantité de riz.

DÉPART DE TOMBOUCTOU LE 4 MAI 1828.

A huit heures du matin, nous faisions route au Nord, sur un sablepresque mouvant, très uni, et entièrement aride. Mais, à deuxmilles de la ville, nous vîmes quelques arbustes semblables auxgénévriers, et des bouquets de Mimosa {erruginea, assez hauts,donnant un peu de gomme de mauvaise qualité. Les habitants deTombouctou envoient des esclaves jusque là pour couper du boisà brûler. La chaleur était accablante, et la marche des chameauxfort lente, parce qu'ils broutaient, en cheminant, des chardons etquelques herbes flétries éparses çà et là.

Les « arbustes semblables aux génévriers» sont probablement <lesTamarix, comme R. G\ILLIÉ en observera ultérieurement en les désignantcorrectement. Du moins on peut assurer que ce ne pouvait être, ni unJuniperus, car cc genre n'existe pas au Sahara, ni le Cyprès de Du PREZ

qui est une espi'ce rarissime dont il ne subsiste que quelques individusdans les rocs des hautes montagnes sahariennes.

§ 141. Le Talha. L'Acacia que R. CAILLIÉ rapportait à cette époqueau Mimosa {erruginea (Acacia (erruginea, espèce de l'Inde) est exacte­ment l'A. raddiana Sad. Cependant, GUILLEMAIN et PERROTTET, dans LaFloral' Senegambiae Tentatem, p. 248, supposent qu'il s'agit de l'A. seyal,

Page 134: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 18. -- Drinn, Had et Talha. A droite, une toulTe de Drinn (.4ristil1a pun­gens, § 144) et un épillet plumeux grossi; à gauche et à l'horizon le Talha(.4cacia raddiana, § 141) et un glomérule de gousses; au premier plan destoulTes de Had (Cornu/aca monacantha, § 147); au centre, puisage de l'eau:l'outre est remontée par une corde que tire un chameau.

Page 135: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 132-

remarquable par ses rameaux couleur de rouille: «C'est cette espèceque R. CAILLIÉ a trouvée fréquemment dans son voyage à travers l'A­frique, et qu'il a désignée, dans sa Relation, sous le nom de Mimosa fer­ruginea» (voir § 23). Très remarquable par ses longues épines dro:tej,il compte parmi les ressources les plus .sûres des chameaux au désert.C'est en effet le plus saharien des Acacia, en ce sens qu'il existe du Sou­dan jusqu'au pied de l'Atlas. Effectivement R. CAILLIÉ le citera tout lelong de cet itinéraire, dans les lieux privilégiés bien entendu, et souventréduit à de simples buissons.

Quant au chardon il s'agit de la même plante que R. CAILLIÉ désigneraplus loin sous le nom d'Hedysarum alhagi (Vol. III du Journal: p. 350,note 1).

§ 142. Le Salvadora perllica L. Plante typique du Sahara méridio­nal et particulièrement précieuse pour les troupeaux et les nomades.

Le 5 mai, on continua à marcher au Nord, sur un terrain sem­blable à celui que nous avions trouvé la veille; seulement, de dis­tance en distance, on apercevait de chétifs buissons tout rabougris,et quelques pieds de salvadora que les chameaux dévoraient.

Le 6 mai, la caravane partit à trois heures du matin, et continuaà se diriger au Nord: même sol, même aridité, même uniformitéque les jours précédents.

A mesure que nous nous éloignions du Sud, nous trouvions descontrées mille fois plus arides; nous n'apercevions même plus ceschardons et ces salvadores, tristes consolations au milieu d'unenature aussi affreuse.

§ 143. Balta diurnes; marcheB nocturnes. A onze heures dumatin, nous fîmes halte. La chaleur était insupportable: nousnous assîmes auprès de quelques mimosas très rabougris, sur les­quels nous étendîmes nos couvertures, car ces arbustes dépouillésde feuilles n'offraient aucun ombrage. A l'abri de ces tentes, onnous distribua une calebasse d'eau; selon notre habitude, nous yjetâmes quelques poignées de dokhnou; enfin, pour nous débaras­ser de tout soin, un esclave fut envoyé pour garder les chameauxqui se délassaient en broutant quelques herbes desséchées.

Lorsque la nuit fut venue, nous fîmes notre souper ordinaire,avec de l'eau, du pain, du beurre et du miel. Vers onze heures dusoir, nous nous mîmes en route, toujours pour le Nord, nous diri­geant sur l'étoile polaire.

§ 144. Cordes el! natt,ell de Drinn (Aristida pungens Desf.). Cettegraminée est typique de la zone désertique ("'). Ses feuilles sont à limbe

("') A propos de la limite entre l'Afrique blanche ct l'Afrique noire, BouHaqq indique: «le 18" de latitude Nord représente à peu près la ligne deséparation entre le pays sahélien ct le pays saharien: au Sud, pays du crarn­crarn (Cenchrus biflorus); au Nord, pays du sbot ou drinn (A.ristida pungens),Bull. Comité Et. llist. Scient..4.0.F., 21, 1938.

Page 136: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 133-

étroit et replié et sont ainsi cylindriques comme un jonc; elles sont enoutre très fibreuses et ont les qualités de l'alfa (Stipa tenacissima), maiscette dernière plante n'existe pas au Sahara méridional.

Les planches de sel sont liées ensemble avec de mauvaises cordesfaites d'une herbe qui croît dans les environs de Tandaye : cetteherbe est déjà sèche quand on la cueille; pour l'employer, on lamouille, puis on l'enterre pour la défendre du soleil et du ventd'Est, qui la sécheraient trop promptement; quand elle est impré­gnée d'humidité, on la retire et l'on tresse les cordes à la main; lesMaures les emploient à différents usages.

Le Il et les jours suivants, je visitai la ville d'el-Araouan. Lestoits sont en terrasse, mais les petits morceaux de bois qui entrentdans la construction de ceux de Tombouctou, sont remplacés icipar des couvertures faites avec les tiges d'un jonc très dur et pi­quant qui croît dans les environs de la ville; de faibles chevronsen bois de ronnier (plus probablement de palmier doum, § 136)supportent ces tiges qui sont couvertes légèrement de sable.

Les Maures vont à la recherche de leurs chameaux tous les sixjours, pour les mener boire aux puits qui sont dans les environsde la ville (El Araouan) et qui ont soixante pas ordinaires de pro­fondeur; ils se servent d'un chameau pour tirer le seau, qui est encuir; il font usage d'une poulie et emploient une corde faite enpaille, qui ne subit d'autre préparation que celle d'être mouillée etun peu battue avant de la tordre.

§ 145. DéJHlrt d'el ANJouan. Les caravanes réunies à el Araou­an se disposaient à partir sous peu de jours; je voyais avec plaisirarriver le moment heureux où je quitterais cet horrible pays. Monhôte, faisait préparer les provisions pour ma route. Ces provisionsconsistaient en un sac de riz pesant environ cinquante livres, unsac de dokhnou du même poids, et environ dix livres de beurrefondu; elles étaient plus que suffisantes pour me nourrir pendantdeux mois.

Un Maure établi à el-Araouan, et avec lequel je m'entretenaissouvent, me fit cadeau d'une outre pour augmenter la provisiond'eau: il me prévint que je souffrirai beaucoup de la soif sur cetteroute; qu'on y était sept à huit jours sans trouver de puits.

Nous partîmes d'el-Araouan le 19 mai 1828, à six heures dumatin. Après avoir fait six milles, nous arrivâmes à Mourat. On ytrouve des puits assez profonds et remplis d'eau saumâtre; on s'yarrêta pour boire encore une fois à longs traits; car en quittant ceslieux, on allait entrer dans une partie du désert où pendant huit

Page 137: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 134-

jours on devait marcher sans trouver d'eau. Au milieu de ces vastessolitudes les puits de Mourat, entourés de quatorze cents chameauxet des quatre cents hommes de notre caravane, offraient le tableaumouvant d'une ville populeuse; c'était un vacarme affreux d'hom­mes et d'animaux.

Vers cinq heures et demie, nous fîmes halte; aussitôt on nousdonna à boire une grande calebasse d'eau, mêlée de dokhnou. Nousn'avions rien mangé de la journée, et cependant nous ne sentionsaucun besoin de prendre de la nourriture: c'est que le dokhnouest une substance très nourrissante, et que la soif ardente dontnous étions dévorés nous ôtait l'appétit. On envoya un Maure gar­der les chameaux, qui s'écartaient pour chercher çà et là quelquesbrins d'herbe.

Le 20, à cinq heures du matin, nous fîmes route au Nord. Versdix heures nous fîmes halte. On nous donna à chacun une cale­basse d'eau, que nous avalâmes d'un seul trait. Vers cinq heures,on nous donna une calebasse de dokhnou; puis nous nous repo­sâmes jusqu'à neuf heures du soir, que nous nous mîmes en route.Nous marchâmes toute la nuit.

Le 21, à dix heures du matin, nous fîmes halte. On campa sousdes tentes; on nous distribua de l'eau tiède, qui cependant fut trou­vée délicieuse. A quatre heures et demie, SlDl-ALY jeta quelquespoignées de dokhnou dans une grande calebasse, versa de l'eaudessus, et mêla le tout avec ses mains. A cinq heures du soir, nousfîmes route au Nord.

Le 22 mai, à neuf heures du matin, la caravane, épuisée par lasoif, fit halte.

L'Ex FER DU SEL. Tout au long de son voyage R. CAILLIÉ s'est plaint àpropos du sel. Soit qu'il en manquait dans les aliments et qu'il fallaitêtre affamé pour avaler des bouillies aussi fades; soit, au contraire, qu'i!y en avait trop dans l'eau des puits sahariens et qu'il fallait y ajouter dumiel pour pouvoir la supporter; ses compagnons de route étaient (lescolporteurs qui transportaient cette denrée des pays où elle est en excèsdans ceux où elle manque: c'est toute l'histoire du sel pour cette régionde l'Afrique ("').

Curieux prohlème que celui du chlorure de sodium. Nos besoins sont­ils couverts par nos aliments naturels et le supplément condimentairen'est-il qu'une recherche gustative, une manie humaine comme il en estbeaucoup d'autres, ou l'addition de sel est-elle réellement utile à notreéconomie? Selon certains physiologistes c'est cette dernière opinion quiprévaut: le chlorure de sodium normalement contenu dans nos alimentsne suffit plus à combler les pertes dues à des transpirations intenses,consécutives à un travail physique important ou à un climat sec ct chaud.La révélation empirique de ces besoins a conduit l'homme à aller cher­cher ce sel là où il s'est accumulé: dans les océans et les salines natu­relles des déserts, actuels ou fossiles, où des fleuves viennent ou sont

('1') L. PALES. __ Problèmes des sels alimentaires en A.O.F. Dakar, 1950.

Page 138: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

,//'~,

P"_J

"--#.:--,,' -------~

Fig. 19. - L'enfe\' du sel (§ 146). Sous un soleil de feu et de l'eau saumâtre àboire, des hommes arrachent au désert le sel qui ira, au prix de bien dessouffrances encore, porter la saveur de la mer aux peuples des forêts etsavanes de l'Afrique noire.

Page 139: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

136

venus, s'évaporer. Dans d'autres circonstances il l'obtient en concentrantles teneurs relativement élevées de certains végétaux en lessivant leurscendres obtenues par incinération; mais alors il s'agit le plus souventd'un sel de potasse. Bien que cette source végétale constitue un chapitreimportant de l'ethnobotanique africaine (01') R. CAILLIÉ n'en fait pas étatet il signale seulement l'usage de cendres pour le tannage des cuirs (§ 22)et la teinture à l'indigo (§ 87). Par contre il a constamment suivi lesroutes du sel et il est passé à proximité de l'enfer de Taoudéni, en pleinSahara, d'où sont arrachées les massives pierres de sel dont le commt>rccfait la fortune de Tombouctou.

§ 146. Les puilB de Télig et les mines de sel du Taoudéni.Nous trouvâmes comblés par les sables ces puits tant désirés; lesMaures se mirent aussitôt à les déblayer, et l'on fit boire enfin lespauvres chameaux, qui, sentant le voisinage de l'eau étaient in­domptables. Lorsque l'eau fut potable, j'allai mettre ma tête entrecelles des chameaux, pour me désaltérer avec eux : un Maure medonna à boire dans son seau de cuir, car on n'avait pas pris letemps de déballer les calebasses dans lesquelles on buvait ordi­nairement.

Tout le jour fut employé à faire boire les chameaux. L'eau étantcommune, on fit cuire un peu de riz, que nous mangeâmes avec dubeurre, c'était le premier repas que nous faisions depuis le 19 ausoir.

Le 27 mai, plusieurs personnes allèrent à Toudeyni, qui setrouve selon les gens de la caravane, à moins d'une demi-journéeà l'Ouest des puits de Télig. C'est de cette petite ville que l'on tiretous les sels qui s'importent de Tombouctou à Jenné, et de cetteville dans le Soudan. Les mines de sel, m'a-t-on dit, y sont à troispieds et demi ou quatre pieds de profondeur au-dessous du sol, etpar couches. Ces mines font la richesse du pays: elles sont exploi­tées par des esclaves nègres surveillés par des Maures, et qui n'ont,pour se nourrir, que du riz et du mil apportés de Tombouctou, cuitsavec de la viande de chameau séchée au soleil. L'eau qu'ils boiventfiltre au-dessous des mines de sel; elle est extrêmement saumâtre:pour la rendre potable, ils y mettent du dokhnou avec du miel; ilscorrigent aussi cette détestable boisson en y mélangeant une es­pèce de fromage réduit en poudre et qui n'est autre chose que dulait caillé séché aussi au soleil.

Vers trois heures du soir, après avoir rempli nos outres d'eau,nous levâmes le camp, et nous fîmes route espérant trouver del'herbe pour les pauvres chameaux, qui sentaient davantage le be-

('1') R. PORTÈRES. ~ Les sels alimentaires. Cendres d'origine végétale et cata­logue des plantes salifères. Dakar, 1950.

Page 140: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 137-

soin de manger, depuis qu'ils avaient bu. Vers cinq heures du soir,nous fîmes halte sur une veine de sable mouvant: nous y trouvâmesquelques pieds d'herbe très éloignés les uns des autres; quoiquecette herbe fût très dure, ces animaux la broutèrent avec avidité:ils n'avaient presque rien mangé depuis sept jours.

§ 147. Le chardon du désert: Agoul ou Rad? Dans son trajetsaharien R. CAILLIÉ a surtout cité une plante basse, épineuse, que leschameaux consomment et que les caravaniers emploient comme bois defeu. Il n'en donne malheureusement pas le nom arabe, mais après l'avoirdécrite (vol. 2 : 406) il ajoute en bas de page: « Sans doute \'hedysarumalhagi ». Selon Th. MONOD il s'agirait plus probablement du Had, le Cor­nulaca monacanlha Del. (Chénopod.) en raison même des caractères queR. CAILLIÉ en donne. On peut faire confiance dans la solide expériencesaharienne de Th. MONOD et admettre que c'est bien le Had que R. CAILLIÉa le plus souvent rencontré sur sa route. Mais pourquoi ce nom bien pré­cis d'lledysarum alhagi sous lequel nous connaissons maintenant plu­sieurs espèces: Alhagi camelorum d'Asie centrale; A. maurorum d'Asiemineure, Arabie et Sahara oriental? Nous savons que R. CAILLIÉ' n'a purapporter d'autres échantillons botaniques que quelques fragments récol­tés en Guinée vers Boké. Ce serait d'après ses descriptions verbales qu'unbotaniste (KUNTH peut-être?) aurait suggéré que le « chardon du désert»(note l, p. 350, vol. 3) pouvait être l'Alhagi connu du désert égyptien. Enréalité cette espèce n'a jamais été trouvée au Sahara occidental et il n'ya pas lieu de croire qu'elle se trouvait à cette époque sur la route suiviepar notre explorateur et qu'elle ait été détruite depuis.

Le 28, au lever du soleil, nous fîmes route paisiblement au Nord­Ouest, il croissait çà et là des végétaux herbacés presque secs queles chameaux broutaient en marchant.

A dix heures et demie, nous fîmes halte pour faire reposer leschameaux, tous très fatigués: heureusement ils trouvèrent quelquesplantes épineuses (sans doute l'hedysarum alhagi) qu'ils s'amu­sèrent à manger. Ces plantes ont les feuilles très courtes et flexibles;le piquant est assez court, mais très dur: par une sage prévoyancede la nature, cette plante, seule ressource des animaux dans ledésert, a la propriété de se conserver verte toute l'année, malgré lesvents brûlants de l'Est qui se font sentir si souvent; les chameauxquoique peu délicats, ne mangeraient pas la feuille desséchée. Cetteplante est vivace; elle pousse de longues racines à fleur de terre, etne s'élève pas à plus de dix-huit pouces au-dessus du sol: elle croîtdans les endroits sablonneux; je l'ai toujours vue plus abondantesur la partie occidentale des dunes de sable, qu'à d'autres exposi­tions. Les racines sont grosses et remplacent le bois à brûler; lesMaures s'en servent pour faire leur cuisine: au coucher du soleil,les esclaves allèrent en ramasser pour faire cuire un peu de riz àl'eau et au sel, auquel on ajouta, pour le rendre meilleur, un peu debeurre fondu; ce fut notre frugal souper.

Page 141: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 138-

Le 2, au matin, AL y envoya deux Maures de sa suite, avec un cha­meau, pour chercher du fourrage; ils allèrent très loin, et revinrentdans la soirée avec deux petits paquets de paille, que l'on donna auxanimaux, qui les dévorèrent aussitôt. Le 3, nous fîmes halte, versonze heures et demie, dans une plaine où il y avait quelques plantesépineuses que les chameaux dévorèrent. Le 4, vers deux heures dusoir, nous fîmes halte, bien fatigués; car il nous avait fallu gravirdes dunes de sable mouvant, parmi lesquelles nous étions campés,J'ai remarqué que, dans ces endroits montueux, le fourrage est pluscommun qu'ailleurs. Le 5 juin, à trois heures du matin, nous conti­nuâmes de gravir de hautes dunes de sable mouvant: la partie oc­cidentale de ces dunes était couverte de plantes épineuses que man­geaient les chameaux. Le 6, nous fîmes halte auprès des puits d'A­moul-Gragim; toute la journée fut employée à faire boire les cha­meaux; on leur procura quelques tiges d'lledysarum alllagi et desbranches de tamarix, arbrisseau qui croît dans la plaine, à quelquedistance des puits: ils les eurent bientôt dévorées. Le 10, versneuf heures du matin, nous descendîmes dans une plaine où noustrouvâmes un peu d'herbe et quelques mimosa ferruginea trèsrabougris. Nous y fîmes halte, pour laisser paître les chameaux.Nous marchions constamment au Nord. Plus nous avancions danscette direction, plus les chaleurs diminuaient; la soif devenaitdès lors plus supportable.

§ 148. La première palmeraie-datteraie: les dattier", d'EchChech. Depuis son départ de la côte, R. CAILLIÉ avait eu plusieurs occa­sions d'obscrvcr d('s dattiers. II a signalé le premi('f à Kankan en Guinée.C('s dattiers <ks villag('s soudanais, sont des souvenirs de pékrins qui enont rapporté \('S s('menc('s ('n revenant de la M('cquc. Contrair('m('nt àune opinion couramment répandue. l('s fruits obt('nus dans c('s dernièr('srégions sont parfaitement acccptab\('s. PcrsonneII('ment j'en ai mangésqui avaient été récoltés dans la région de Kindia ('n Guiné(' pt qui étaicntfort appréciables. Dans ks régions où croît k Doum, une mauvaise datteest encore meilleur(' que le fruit ligneux dc cet autre palmier. P. l\Iu­GNIER ("') a récemment fait justice de cette idée trop absolue que le dattierne peut s'acclimater valablement au Sud du Sahara. Il reste cependant,que le dattier, au moins quant il ses origines, est bien un palmier de lazone subtropicale pt non intertropicale. Et les quelques exemplairescommémoratifs, dispersés dans les villages du Soudan méridional ne sontaueunemcnt comparables aux palmeraies du Sahara septentrional. Ausortir de la désolation du Djouf, les fiers panaches des dattiers cou­ronnant les puits d'Ech-Chech, purent apparaître à R. CAILLIÉ commeune promcsse de salul.

Le 12, il était dix heures du matin, lorsque nous fîmes halte auxpuits d'el-Ekseif. Ces puits ou sources sont ombragés par un joli

("') La culture du palmier-dattier, facteur de mise en valeur des territoiressahara-soudanais. Encyclop. mens. O.M. 1957.

Page 142: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 139-

bosquet de dattiers, d'un aspect enchanteur: c'est du moins l'im­pre~sion que produit le contraste du lieu, avec tout ce qui l'en­toure et avec les plages dépouillées et arides qu'on vient de par­courir; il croît aussi autour quelques roseaux et quelques joncs.Cette verdure, encadrée au milieu d'énormes roches de granit,présente quelque chose de riant et de sauvage en même temps ("").

Le 26, nous fîmes route entre deux côtes élevées: dans cette gorge,il croît beaucoup de mimosas et d'hedysarum alhagi. Depuis si long­temps que je n'avais rien vu de pareil en fait de végétation, je mecrus dans un des plus beaux pays du monde. Vers huit heures dumatin, nous entrâmes dans une plaine, où l'on aperçoit des espècesde petites îles couvertes de verdure et de mimosas. A mesure qu'onapproche des limites de ce désert, la nature paraît moins désolée. Aneuf heures du matin, le 27, nous nous arrêtâmes aux puits de Sibi­cia, environnés d'un joli bosquet de dattiers, dont la verdure faisaitun contraste agréable avec le reste du sol.

§ 149. B,onnes et mauvaises datt,es. A cette époque, alors que lesmoyens de communication ne permettaient guère les échanges, la dattetenait une place prépondérante dans l'alimentation des peuples du Saha­ra septentrional. Mais quand le nomade part avec quelques poignées dedattes dans son sac de cuir, il ne s'agit pas de ces fruits mielleux, quenous trouvons dans les confiseries, couchés dans leur boite. Pour cettealimentation de base ce sont les dattes sèches qui sont préférées, tandisque les meilleures sortes, à pulpe molle et gorgée de sucre, sont consom­mées comme dessert ou friandise. R. CAILLIÉ a mangé des deux et plussouvent des premières que des secondes. Venant du Sud il a vu la con­sommation des dattes s'accroître jusque clans le Tafilalet, puis diminuerensuite et disparaître dans l'Atlas avec les palmeraies elles-mêmes.

A EL HARIB. SIDI-SALAH me fit donner quelques dattes pour mondéjeûner; mais je les trouvai si dures, que je n'en mangeai quetrès peu; et cependant elles renouvelèrent mes douleurs dans lamâchoire. Les jours suivants on ne me donna que des dattes: j'ob­jectai à SIDI-ALY qu'elles m'incommodaient, et je lui en donnaipour raison la faiblesse de mes dents qui ne me permettait pas deles broyer sans éprouver des douleurs aiguës. ALY répondit qu'ilen était bien fâché, mais que dans le pays on ne mangeait que desdattes pendant le jour, et le soir un couscous: le reste du riz quim'avait été donné à el-Araouan (§ 145), fut mis dans sa tente, etils le mangèrent en famille sans m'en offrir jamais. Enfin, ne pou­vant mieux faire, il fallut bien se conformer à ne vivre que dedattes: mais combien j'avais à en souffrir.

(.. ) R. CAILLIÉ écrit el-Ekseif; il s'agit probablement de l'crg Chech et le­puits est Ain (source, œil) Chech, désignation qui convient particulièrementà ce miraculeux petit miroir d'eau perdu dans l'immensité de roc ct de sable.

Page 143: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 140-

Les habitants néanmoins sont si pauvres, qu'ils ne peuvent ache­ter que des provisions de qualités inférieures, principalement lesdattes; celles qui tombent avant d'être parvenues à parfaite matu­rité, sont ramassées soigneusement par les propriétaires, qui lesmettent au soleil pour les faire sécher; après quoi ils les renfermentdans des sacs en cuir, où elles acquièrent une dureté inconcevable;il faut avoir de très bonnes dents pour les manger sans souffrir.Ils les font, à la vérité, casser dans un mortier en bois, et boiventpar-dessus un peu de cheni (§ 25).

A EL DRA. A Mincina, au sortir de la prière, on m'apporta unegrande quantité de dattes; un âne en avait sa charge; malheureu­sement elles étaient dures: ces braves gens poussèrent la com­plaisance jusqu'à les porter à notre camp: toutes mauvaises qu'ellesétaient, ALY, le cupide ALY, les reçut avec plaisir; ce jour-là il mefit meilleure mine qu'à l'ordinaire.

Au TAFILALET. Arrivés à Ghourland vers neuf heures du matin,je suivis mon guide chez le vieux Haggi le Mekké, chef de Ghour­land. Notre hôte nous fit donner pour notre déjeuner de très bonnesdattes, si mûres qu'elles ressemblaient à des confitures; on y joignitun petit morceau de pain frais de froment: j'aurais trouvé ce régalexcellent, si l'eau que l'on nous donna à boire n'avait pas été salée.

A M-Dayara, je vis que nous ne partirions que dans la soirée;je me décidai, quoique avec répugnance, à aller dans la ville de­mander quelques dattes, fruit si commun dans le pays. Je m'adres­sai d'abord à un vieux Maure qui affichait tous les dehors de ladévotion, mais il fut peu sensible à ma misère; un second à qui jem'adressai m'apporta une poignée de dattes pourries, que je ne pusmanger; enfin un troisième m'en donna une assez grande quan­tité, mais elles étaient encore plus mauvaises et plus dures quecelles que l'on mange à el-Harib. Je perdis alors courage, et jeretournai auprès de notre bagage: je présentai les fruits de maquête aux ânes, qui n'en voulurent pas.

DANS L'ATLAS. Comme les dattes que mon hôte de Boheim m'avaitdonnées étaient finies, et que je n'avais plus rien à manger, je medécidai à en demander, non aux habitants du village, car elles yétaient très chères, parce que le dattier n'y vient pas, mais à unjeune Maure de notre caravane, qui m'en donna très obligeamment.

Quand nous étions rencontrés par des bergers, ils venaient tendreune pagne sur le bord de la route, pOlIr qu'on leur jetât quelquesdattes: plusieurs nous apportaient de l'eau en échange. Ce fruit esttrès rare et très cher dans les campagnes.

~ 150. P,anilica·ti·on à EI·Harib. La première agglomération hu­maine rencontrée par R. CAILLIÉ depuis son départ d'El-Araouan n'était,

Page 144: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 141-

en fait, qu'un campement de chameliers nomades. Ce sont ces tribus quiassuraient les grandes caravanes transsahariennes, se livrant exclusive­ment par ailleurs à l'élevage des chameaux sans pratiquer aucune cul­ture. Ils étaient donc tributaires, pour leur nourriture, des oasis du Drâet du Tafilalet. Le mode alimentaire n'y est plus celui de la zone tropi­cale et devient celui de la région méditerranéenne: les dattes sèchestiennent une grande place dans l'alimentation, le sorgo disparaît auprofit de l'orge et du blé. De plus, si l'on fait toujours des bouillies defarine, souvent la pâte est cuite à feu sec.

Les habitants (d'el-Harib) sont divisés en plusieurs tribus no­mades. Ils élèvent une grande quantité de chameaux qui, dans lasaison des pluies, leur fournissent beaucoup de lait, dont ils se nour­rissent; c'est en quoi consiste leur principale richesse. Ces peuplesnomades, n'étant pas cultivateurs, sont obligés d'aller souvent àel-Drah acheter de l'orge et des dattes pour leur nourriture. C'estavec ces dattes que les Maures d'el-Harib se nourrissent pendantle juur. Rarement ils font pour eux du sanglé durant cet intervalle;ce n'est que dans des cas particuliers.

Le soir, vers huit ou neuf heures, ils mangent, pour leur souperun couscous d'orge trempé le plus souvent avec de l'eau chaude,dans laquelle ils ont fait bouillir une poignée d'herbe qu'ils seprocurent dans les environs de leurs camps.

Le 30 juin, les femmes se mirent de bonne heure à moudre dufroment pour faire le déjeûner des Tajacantes. Voici le moyenqu'elles emploient pour obtenir la farine bien dégagée du son: ellesont deux pierres de granit, rondes et plates, qui se posent l'une surl'autre, et s'emboîtent au moyen d'un morceau de bois adapté au-centre de la partie inférieure; celle du dessus a une ouverture parlaquelle on entre le grain; puis on la tourne avec une manivelle:les femmes se mettent deux pour la faire marcher, quoiqu'elle nesoit ni lourde ni difficile à mettre en mouvement.

Quand cette farine fut bien tamisée à plusieurs reprises, sur untamis fait de canevas très clair, les deux filles de Sidi-Aly se mirentà pétrir la farine pour faire une galette sans levain: l'une d'ellesfit un grand feu, avec du bois de tamarix, afin de chauffer le sol àl'endroit choisi pour faire cuire cette galette; lorsqu'on jugea quele terrain était assez chaud, on nettoya un peu la place et on posa lapièce de pâte par terre; puis on remit par-dessus, de la braise et dusable mouvant, que l'on avait fait chauffer exprès: étant à moitiécuite, elle fut lavée, cassée par morceaux, et jetée dans une cale­basse pleine de graisse, reste du souper qu'on avait mangé la veille;on versa par-dessus une espèce de longue sauce, avec un morceau-du mouton nouvellement tué.

Page 145: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 142-

DÉPART o'EL-HARlB. Le 12 juillet, je partis à cinq heures dumatin, après avoir pris un peu de lait de chameau. Vers deux heuresaprès midi, nous fîmes halte sur un sable très dur, sur lequel il setrouvait quelques zizyphus lotus. A la nuit tombante, nous eûmesla visite d'un Maure marabout dont le camp était dans le voisinagede notre halte. Nous lui donnâmes un peu de farine d'orge pour nousfaire faire à souper par sa femme. Il nous l'envoya vers dix heuresde la nuit; il eut la complaisance d'y mettre un peu de lait de sesbrebis, et ne voulut pas par réserve, souper avec nous.

Le 13 juillet, il était midi lorsque nous passâmes près du nouveauvillage de Zaouât, faisant partie du pays d'el Drah. Nous traver­sâmes quelques champs qui avaient été cultivés, et vers midi etdemie nous fîmes halte dans un bois de dattiers, près d'un jolivillage nommé el-Hamit. Dans toutes les directions, on ne voit quedes forêts de dattiers qui élèvent majestueusement leur sommetdans les nues: sous ces arbres, les habitants d'el-Drah cultivent dufroment, de l'orge et quelques légumes. Ils distribuent leurs terres,qui sont d'un sable très fin, mais fertile, en petits carrés et font au­tour une chaussée pour y faire séjourner l'eau des pluies; quand ilsjugent qu'elle n'y est plus nécessaire, ils la mènent par des conduitsau pied de leurs dattiers.

§ 151. Puisage de l'eau au khottara (chadouf). Chaque pro­priétaire a au milieu de son champ un puits dont l'eau est claire etbonne à boire. De chaque côté, les habitants mettent deux piliers dequinze pieds de haut, ils y attachent une traverse en bois, à laquelleest adaptée une grande perche qui porte à son extrémité postérieurequelque chose de lourd pour faire contre-poids au seau qui est at­taché à l'autre extrémité par un bout de corde: en tirant avec peud'efforts, ils amènent l'eau qui sert à arroser leurs plantations. Lebois est très rare dans ce pays; on ne brûle que les feuilles sèchesdes dattiers et les troncs des arbres morts: le dattier est employécomme bois de charpente pour la construction des maisons. Dansce pays, on fait usage d'e la charrue, à laquelle on attelle le muletou le chameau.

§ 152. Galette d'orge. Vers le coucher du soleil, les Berbersallèrent ramasser quelques petits cailloux qu'ils arrangèrent symé­triquement sur le sable; puis ils prirent des feuilles de dattier pourfaire du feu et chauffer ces cailloux; ils pétrirent un peu de farined'orge, avec laquelle ils firent une galette pour notre souper; afin dela rendre meilleure, ils y mirent de petits morceaux de graisse demouton, bien rance; quand elle fut cuite, on la distribua à chacunde nous. Aly m'en donna un petit morceau que je trouvai délicieux.­quoique mal cuit et très compact.

Page 146: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 20. - Irrigation des cultures sous dattiers (§ 151). «Chaque propriétairea au milieu de son champ un puits dont l'eau est bonne à boire.»

Page 147: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 144-

Le Maghreb.

En arrivant aux palmeraies du Drâ, R. CAILLIÉ est encore dans le do­maine subtropical. Du moins le Sahara est-il traversé et même si laroute est encore pénible pour atteindre le Tafilalet, la hantise de l'eauest écartée avec la fréquence des puits. Mais ce n'est qu'en gravissant lescols de l'Atlas que R. CAILLIÉ changera de monde végétal en laissantderrière lui les dattiers pour voir apparaître les vergers à noyers,figuiers, oliviers, etc ...

PALMERAIE D'EL DRA. Le 14, vers huit heures du matin, nouspassâmes devant un gros village nommé Bounou, entouré debeaux dattiers. Vers midi, nous fîmes halte dan$ les champs, àl'ombre des dattiers et assez près de Mincina, grande ville d'el­Drah, habitée par des Berbers et des Maures cultivateurs. Leshabitants ont peu de bestiaux, presque pas de bœufs; ils nourrissentquelques moutons à laine, des chèvres et des volailles; ils sontgrands cultivateurs, et ont beaucoup de dattiers, dont ils tirentleur principal revenu.

§ 153. Le plat de couscous. Le matin ils mangent du pain, unpeu de bouillie de farine d'orge, et à souper du couscous. Vers septheures du soir, on envoya à Sidi-Aly un copieux couscous aumouton: après avoir mangé avec trois ou quatre personnes qu'ilregardait comme ses égaux, il nous donna le reste, à moi d à sixchameliers qui ne mangeaient pas avec lui. Nous nous couchâmesensuite sous les palmiers, qui couvraient nos têtes de leurs largesfeuilles; je dormis assez bien, contre mon habitude.

C'est dans un sens extensif que R. CAILLIÉ a déjà cmployé ce nom de« couscous» en Afrique tropicale pour désigner des préparations culi­nairt's rappelant ce plat traditionnel des peuples moghrébins (§ 54).Cette designation implique l'emploi, non d'une farine pulvérulente, maisd'un gruau, ou d'une semoule obtenue soit par mouture mélangée de blédur, soit par trituration de la pâte, ou bien encore des grains entiersseulement débarrassés de leurs enveloppes. C'est ce dernier cas qui estle plus général en Afrique tropicale où l'on se sert de riz ou de fonio seprêtant bien au décorticage. La cuisson se fait alors généralement à lavapeur. Enfin ce plat de féculent s'accompagne de sauces diverses avecviande, ou poisson, et légumes. Les peuples d'Afrique tropicale ont évi­demment des noms particuliers pour ces différentes recettes et c'est nousqui nous servons de ce nom entré dans la langue française.

Le 15, à trois heures matin, nous quittâmes la ville et les ha­bitants de Mincina. Nous arrivâ'Ines auprès des puits de Yénégué­dei, où nous fîmes halte; on y voit un seul mimosa ferruginea lan­guissant sous lequel je m'étendis. Les Berbers firent cuire sous lacendre une galette d'orge pour notre souper; après ce léger repas,chacun but un verre d'eau fraîche, et l'on se coucha sur le solpierreux pour passer la nuit.

Page 148: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 145-

Le 16, vers dix heures du matin, nous fîmes halte auprès des.puits de Faratissa, agréablement ombragés par de beaux dattiers;on y voit aussi des mimosas rabougris. Nous passâmes la nuit sousles dattiers; la fraîcheur du feuillage nous engageait au sommeil.Les chameaux et les mulets n'ayant pu boire tous ce jour-là, onséjourna le 17 jusqu'à trois heures du soir.

§ 154. Le. Berberes cultivateur. et! petit. nomades de B,OM­yara. La forte chaleur étant alors tombée, nous fîmes route auNord. Vers six heures et demie, on s'arrêta, et nous soupâmes cha­cun avec un petit morceau de galette d'orge eit des dattes. Aprèsce maigre repas, nous nous étendîmes sur le sol pierreux, où jedormis d'un profond sommeil jusque vers trois heures du 18, quenous partîmes. Vers neuf heures du matin, nous fîmes halte auxpuits de Bohayara, autour desquels il y a beaucoup de végétation.Ils sont à la proximité d'un camp de Berbers, qui viennent y abreu­ver leurs troupeaux de brebis et de chèvres; ces hommes habitentdans les gorges de montagnes; ils cultivent un peu d'orge et defroment: ils sont nomades, mais ne changent pas aussi souvent deplace que les Maures; quand ils s'éloignent de leurs petits champs~

ils laissent toujours quelqu'un pour les garder. Ces peuples no­mades et cultivateurs se nourrissent, comme les Maures, de dattes.et de sanglé d'orge; ils font souvent leur souper avec du cous­cous ou de la galette d'orge cuite sous la cendre: dans la saison despluies, comme le lait de leurs troupeaux est plus abondant, il faitune partie de leur nourriture.

§ 155. Jujubiers et Tamaris. Aux approches de l'Atlas, les pluiesd'hiver sont plus régulières et les eaux qui s'écoulent sous les sables.alimentent de nombreux «puits» et réaniment la végétation environ­nante.

a) Le Lotus (Zizyphus lotus). C'est bien le vrai Jujubier «Lotos"que R. ('..AILUÉ rencontre maintenant autour des points d'eau et non plus.les espèces tropicales de Mauritanie (§ 30 c) et du Soudan (§ 116).

b) Les Tamaris (Tamarix sp.). Les tamaris sont encore plus réguliè­rement présents que les jujubiers dans ces lieux frais. Il en existe plu­sieurs espèces de distinction difficile en dehors des deux espèces clas­siques : T. Gallica et T. articulata (P. OZENDA).

Le 19 juillet, à quatre heures du matin, nous quittâmes les puitsdélicieux de Bohayara. Vers dix heures, nous fîmes haUe aux puits.de Goud-Zénéga. Nous trouvâmes auprès les Berbers d'un campvoisin, qui abreuvaient leurs troupeaux. Le 20, vers onze heures dumatin, nous fîmes halte aux puits de Zénatyia. Le sol, aux environs,offre un assez bel aspect de végétation; il Y a quelques mimosas, des.

Page 149: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 146-

zizyphus lotus, et beaucoup de tamarix très élevés. Nous nous mîmesà l'ombre de ces arbustes, où nous mangeâmes quelques dattesen attendant le souper. Le 21, vers dix heures du matin, nous fîmeshalte auprès des puits de Chanérou; nous y trouvâmes des Berbersfaisant boire leurs troupeaux de moutons.

§ 156. Le raisin et le pain. Nous fûmes joints dans la matinéepar un Maure du Tafilet, venant au-devant de son père, qui depuislongtemps habitait Tombouctou. Son fils lui apportait quelquesraisins noirs pour le rafraîchir, et il m'en donna une grappe avecun petit morceau de pain de froment, que j'acceptai avec plaisir.Certes, je ne m'étais guère attendu à manger du pain et du raisinfrais, dans un pays aussi aride.

Le 22, vers dix heures du matin, nous fîmes halte aux puits deNyéla (ou Aïn-Yéla), dont l'eau est abondante et bonne. La chaleurfut très forte, et nous n'avions pour nous mettre à l'ombre quequelques zizyp/lUs lotus.

§ 157. Le Tafilalet. Le 23, j'étais encore à moitié endormi,lorsque nous partîmes. Laissant les montagnes arides, nous des­cendîmes dans une plaine de sable gris, susceptible d'être cultivée.De cette plaine, on voit les beaux et majestueux dattiers du paysdu Tafilet, qui enchantent la vue: ils me rendirent la gaieté, carils m'annonçaient quc bientôt mes maux allaient être allégés. Nouslongeâmes des champs entourés les uns de murs faits en pisé, lesautres de petits fossés seulement: la campagne était belle, maisdésséchée par l'ardeur brûlante du soleil; on n'y voyait d'autreverdure que les feuilles toujours vertes du palmier. Arrivés àGhourland vers neuf heures du matin, nous fûmes bientôt entou­rés d'une foule d'enfants qu'attirait la curiosité: nous campâmesà l'ombre des dattiers, à la porte de la ville.

§ 158. Bouillie d'org,e et daUes. Le 24, à huit heures du matin,j'allai à la maison de mon hôte chercher mon déjeûner; je m'assis,comme la veille, à la porte, en attendant qu'on m'invitât. Bientôt leplus jeune des fils de la maison vint et me demanda avec bonté sij'avais déjeîmé; sur ma réponse négative, il ordonna à un esclavede me donner des dattes et de la bouillie faite avec de la farined'orge: cette bouillie, qui est très claire, sert de breuvage en man­geant ces fruits; quand on a du pain ou du couscous, on ne boit quede l'eau. C'est avec l'cstomac aussi légèrement repu qu'il fallut at­tendre jusqu'à dix heures du soir, pour manger un peu de cous­cous; voilà la nourriture qu'ils donnent aux étrangers qui deman­dent l'hospitalité: elle est la même pour les esclaves. Les maîtres ont

Page 150: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 147 -

une bouillie de farine de froment très claire, qu'ils boivent à leurdéjeûner, et ils font leur dîner avec un morceau de pain frais etdes fruits de la saison; ils ont en quantité de beaux melons, qu'ilsaiment beaucoup; les plus riches habitants du Tafilet déjeûnentavec du thé, du pain et quelques figues. A dix heures du soir, heurehabituelle du souper, ils mangent du couscous fait de farine defroment, cuit avec du mouton ou de la volaille; car ils élèvent quel­ques oiseaux domestiques.

§ 159. Hospitalité: noix et mel,on. Le 26, je propOSai a unpauvre juif nommé Jacob, de m'acheter au poids un shilling, piècequi n'avait pas cours de monnaie dans le pays; comme il était for­geron et bijoutier en or et en argent, il pouvait l'utiliser dans soncommerce: j'entrai donc dans l'humble demeure du juif. Jacobme fit asseoir par terre, car il n'avait pas de natte; il ouvrit un petitmagasin et alla chercher quelques noix qu'il m'offrit, avec unebelle tranche de melon et un gros morceau de pain de froment,cuit de la veille. Le juif Jacob me dit de revenir le lendemain, etqu'il me changerait ma pièce de monnaie; car le jour de ma vi­site était un samedi et par conséquent consacré à la prière. Le28, dans la soirée, le juif Jacob me changea mon shilling, et je pus,les jours suivants, acheter un peu de pain.

§ 160. Le marché de Boheim. Le 27, j'allai, accompagné deSidi-Boubacar, visiter le marché, qui se tient trois fois la semaine,auprès d'un petit village nommé Boheim.

Ce marché est établi dans un bel emplacement entouré de dat­tiers. Les Berbers et les Arabes habitants des villages voisinsviennent y vendre leurs denrées; ils y amènent des bestiaux, desgrains et diverses espèces de légumes et de fruits; ils achètent enretour des étoffes. Je fus étonné de la variété des objets qui appro­visionnaient ce marché : j'y vis en quantité de beaux légumes, choux,navets, oignons, haricots secs, pois et lentilles; il Y avait aussiabondance de fruits indigènes, tels que raisins, figues blanches etnoires, pommes, noix, calebasses, giraumons, melons de belle es­pèce; de la luzerne verte pour les chevaux... J'achetai du raisin etquelques figues, pour me rafraîchir; j'y joignis un petit pain defroment, de la valeur d'un sou. Après une si longue traversée dansle désert, privé de tout ce qui est nécessaire à la vie, j'éprouvaisune jouissance inexprimable à me promener dans ce marché si ri­chement pourvu.

Le 28 au matin, Sidi-Boubacar, qui m'a\'ait pris en affection, mefit appeler chez lui, où il m'attendait: il me fit asseoir sur un assez

Page 151: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 148-

beau tapis, tendu dans sa cour, sous un petit hangar. Peu après,une esclave apporta un gâteau de froment à la viande, cuit à lapoêle, avec du beurre, et à côté de ce mets un gros morceau de me­lon, acheté la veille au marché de Boheim : Sidi-Boubacar cassa legâteau, et son ami et moi nous y fîmes honneur avec lui.

DÉPART POUR FEZ. Du Tafilalet, la caravane qu'accompagne R. CAILLIÉne se dirige pas directement sur Azrou et Meknès par les cols du HautAtlas, mais passe plus à l'Est par la route moins difficile de Fez.

Le 2 août, vers quatre heures et demie du soir, la caravane se miten route. Chemin faisant, nous rencontrâmes beaucoup de Mauresdes campagnes, conduisant des ânes chargés de toute sorte deproductions, comme des melons, des giraumons, des raisins, desfigues et d'autres fruits et légumes; ils allaient dans un marchévoisin.

§ 161. Les jardins moghrébins; sieste SOUIJ un laurier-Tose(Nerium oleander). Le 3 août, à cinq heures et demie du matin, nousnous mîmes en route au Nord, parmi des plantations toutes entou­rées de murs en pisé, par-dessus lesquels j'apercevais de beauxarbres fruitiers, tels que poiriers, figuiers, abricotiers, vigne, etquelques rosiers: ces campagnes charmantes, quoique un peu des­séchées, me rappelaient le souvenir enchanteur de nos jardins d'Eu­rope. L'aridité du Sahara était encore si présente à mon imagina­tion, que les campagnes de Tafilet me parurent un paradis terrestre.

Vers dix heures du matin, nous passâmes devant Tannéyara, pe­tit village situé à un mille à l'Est de notre route, et ombragé par uneénorme quantité de dattiers. Vers une heure après-midi, nous arri­vâmes à Marca. Je rencontrai, par le plus grand des hasards, unBerber que j'avais vu à el-Harib; il me fit un assez bon accueil etm'engagea assez poliment à visiter son humble cabane: il me fitasseoir sur une natte très propre, et sa femme apporta quelquesdattes que je mangeai avec lui. Lorsque nous eûmes fini, le Berherm'emmena à la mosquée, et me fit faire connaissance avec deuxchérifs.

Comme il y avait autour du village de jolis jardins entourés demurs, je témoignai le désir de voir les leurs: aussitôt le plus jeuneme prit par la main, et nous allâmes nous y promener. Il fit cueillirdes figues et du raisin, que le jeune chérif m'offrit de très bonnegrâce. Je vis dans ce jardin, des melons, des gombos et diversarbres fruitiers.

Le 4, à cinq heures et demie du matin, nous partîmes parmi desmontagnes où coule un joli ruisseau qui fertilise les terres quil'avoisinent: les habitants propriétaires savent tirer parti de cetteressource; ils forment des dérivations et arrosent à volonté leurs

Page 152: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 149-

petits héritages; par ce moyen, ils cultivent du blé et du maïs dansla saison de la plus grande sécheresse, et ont en abondance debeaux melons. Sur les bords de ce joli ruisseau, il croît quelquesdattiers et beaucoup de figuiers.

Le 6 août, vers une heure après midi, nous fîmes halte à Tama­roc, pour laisser diminuer la chaleur, qui était excessive: j'allaime coucher sur le gazon, à l'ombre d'un beau laurier rose agréa­blement situé sur les bords du ruisseau, dont la fraîcheur et ledoux murmure m'engagèrent au sommeil. Vers trois heures du soir,nous fîmes route en suivant toujours le cours du même ruisseau.En sortant de ce chemin pierreux, nous entrâmes dans une valléebien cultivée en blé et en maïs; cet aspect de verdure au milieu demontagnes aridcs avait quelque chose de ravissant.

§ 162. Pas84ge du dattier à l'olivier. Vers sept heures du soir,nous fîmes halte à Kars, où nous passâmes la nuit. Depuis Tama­roc jusque-là on ne trouve plus de dattiers. Le 8 août, vers deuxheures du soir, nous arrivâmes bien fatigués à L-Eksebi (Ksabi),où nous fîmes halte; il est situé dans une grande plaine entouréede hautes montagnes entièrement dénuées de végétation; elle estbien cultivée; il y croît même quelques oliviers qui embellissent lamontagne. A notre arrivée, les habitants établirent un marché oùnous trouvâmes en abondance du pain, de la viande, du raisin etdes figues; le tout se vendait au poids.

Comme les dattes que mon hôte de Boheim m'avait donnéesétaient finies, et que je n'avais plus rien à manger, je me décidai àen demander, non aux habitants du village, car elles y étaientchères, parce que le dattier n'y vient pas, mais à un jeune Maurede notre caravane, qui m'en donna très obligeamment.

§ 163. Le chêne.liège (Quercus suber). Le 9, vers sept heures,nous tournâmes à l'Ouest - Nord-Ouest, en gravissant sur des col­lines de cent à cent vingt-cinq brasses au-dessus du niveau du sol,et où il croît quelques lièges. Exténué de fatigue, je craignis d'êtreforcé de rester en chemin: mes jambes ployaient sous moi; j'étaisobligé de m'asseoir à tout instant; mon courage semblait près dem'abandonner: enfin cc trajet fut terrible pour moi. Vers troisheures du soir, nous arrivâmes à L-Guim (Enjil), petit villagemaure, où il y a quelques cultures et un peu de fourrage; maismalgré ces traces de végétation, l'aspect général du pays est trèsaride; on ne voit pas un seul arbre. Je fis mon souper avec plu­sieurs petits morceaux de pain d'orge séchés au four, que je fistremper dans un peu d'eau. Après ce repas, je me couchai prèsd'un champ de maïs, dont l'un des sillons me servit d'oreiller.

Page 153: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 150-

§ 164. La Il garrigue" de Sélroa. Arrivé dans l'étage montagnardde Séfrou, R. CAILLIÉ a pu citer, à l'espèce près, plusieurs arbustes quiappartiennent à la flore de l'Europe atlantique et méridionale. C'est bienpour cette raison qu'il put les identifier à celles qu'il connaissait deson pays: l'aubépine et l'églantier dans les haies, le chêne-vert près dela côte, le buis planté près des maisons pour son caractère religieux. Enréalité, selon une aimable information de J. VINDT, le buis des garriguesmarocaines est celui des Baléares et non le buis sempervirent qui n'estconnu, au Maroc, que du Haut Atlas (voir aussi EMBERGER à labibliographie) .

Par contre il n'a pas cité les autres arbustes caractéristiques de cesgarrigues, le Thuya de Barbarie, le Genévriel' rouge, etc...

Le 10, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route; verssept heures, nous tournâmes au Nord, à travers les gorges de mon­tagnes arides et pierreuses. La campagne, hérissée de hauteséminences, offre l'aspect le plus triste: sur quelques-unes seu­lement il croît beaucoup de buis (Buxus balearica) dont les tiges ontà peu près dix-huit pouces d'élévation; les feuilles en étaient sècheset jaunes. Nous vîmes dans les endroits unis quelques tentes d'A­rabes dont les enfants vinrent nous demander des dattes, Vers troisheures du soir, nous arrivâmes à Guigo, petit village habité par desBerbers : les environs du pays sont nus; on n'y voit aucune trace deculture. Les puits sont très éloignés du village, et il est difficile dese procurer de l'eau sans la payer avec des dattes: comme je n'enavais plus, je fus obligé de recourir pour boire à l'assistance d'au­trui.

Le 11, à trois heures du matin, nous quittâmes Guigo, par uneroute très pierreuse: cependant on voyait dans la campagne beau­coup de petits arbrisseaux, des mûriers sauvages, des roses debuisson (Rosa canina?) , l'aubépine (Crataegus monogyna), l'oli­vier, le chêne (Quercus ilex), qui croît en arbuste, et plusieursautres végétaux arrosés par le cours sinueux d'un petit ruisseau,sans doute le Guigo dont les eaux claires et délicieuses servirent ànous désaltérer.

§ 165. Les verg-ers de Sélrou. Vers deux heures de l'après-midi,nous arrivâmes à Soforo (Séfrou), située dans une grande et belleplaine, très pierreuse, mais fertile: la campagne est cu ltivée en maïset en beaux oliviers. Près de la ville, on voit de très jolis jardinsentourés de haies vives, qui renferment beaucoup d'arbres fruitiers;de nombreux ceps de vigne grimpent dan les arbres et donnent debeaux raisins. Je visitai cette ville, la plus belle que j'eusse vuejusque-là. On y tient marché tous les jours de la semaine. J'y aivu de très beaux melons.

Page 154: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 151-

Le 12 août, à cinq heures du matin, nous quittâmes Soforo; ensortant, nous cotoyâmes plusieurs jolis jardins. La route, ombragéepar des treilles et des figuier!:, est pavée de cailloux jusqu'à près detrois-quarts de mille hors de la ville. Nous rencontrâmes beaucoupde Juifs allant au marché à Fez, où nous arrivâmes vers midi.

§ 166. Le marché de Fez. Ce marché se tient dans une rue cou­verte par des treilles et de la paille. Personne ne fit attention à moij'achetai un petit pain pour trois félusses, et un peu de raisin, dontje fis mon dîner.

El-Fez est située dans une sorte d'entonnoir, formé par de hautesmontagnes, bien boisées, d'où descendent plusieurs gros ruisseauxqui arrosent la campagne et fournissent la ville de très bonne eau.Les environs de la ville, à deux ou trois milles à la ronde, sont biencultivés; il y croît beaucoup d'oliviers, de figuiers, des cactus (Opun­tia {icus-indica, d'origine américaine), des vignes, des poiriers etdes pommiers; près de ses murs sont des mûriers qui s'élèvent trèshaut. J'ai vu des jardiniers-fleuristes qui vendaient au marché plu­sieurs espèces des mêmes fleurs qui ornent nos parterres en France.

§ 167. Meknès. Le 15 août, à six heures du matin, ayant hâtede sortir de cette ville, je me mis en route à pied, avec mon sacsur le dos, pour aller à Rabat, n'ayant que très peu de provisionspour me soutenir en chemin. En sortant de la ville, je cotoyaiquelques jardins et plusieurs carrés de chanvre assez bien cultivés.Je ne tardai pas à m'apercevoir qu'il me serait impossible de mar­cher jusqu'à Rabat. Je m'arrêtai un moment auprès d'un mur, pourréfléchir au parti que j'avais à prendre; ce fut celui de retournerà la ville. J'y rencontrai un homme du Tafilet, qui me proposa deme louer un âne pour me porter à Rabat.

Le 16 août, à six heures du matin, je montai sur mon âne, nonsans le secours de mon guide, car j'étais si faible que je ne pouvaismonter seul. Vers deux heures, nous fîmes halte à l'ombre d'unZizyphus lotus pour laisser passer la grande chaleur: à troisheures nous nous remîmes en route. Au coucher du soleil, aprèsavoir mangé quelques figues que nous donnèrent les Berbers, nouscontinuâmes notre route.

Le 17, à onze heures, la chaleur étant très forte, nous fîmes en­core halte sous une belle touffe de figuiers, où se trouvaient plu­sieurs voyageurs endormis; nous y restâmes jusque vers midi.

§ 168. Rabat. Le 18, nous arrivâmes auprès d'un bras de merqu'il nous fallut traverser pour arriver à Rabat. Les environs ontdes champs cultivés et beaucoup de vignes.

Page 155: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 152-

Le 2 septembre, je partis de Rabat avec le propriétaire de mamodeste monture. La pauvre bête qui devait me recevoir sur sondos, ployait déjà sous le faix d'une lourde charge; marchant surun sable mouv<.lnt, au bord de la mer, elle enfonçait jusqu'au jarret,et j'étais obligé de descendre: je fis ainsi la moitié de la route àpied. La fatigue et l'épuisement me donnèrent la fièvre.

§ 169. Tanger. Les montagnes qui avoisinent Tanger me furentpénibles à gravir; enfin, malade et exténué de fatigue, j'arrivai danscette ville le 7 septembre à la nuit tombante.

C'était I,e Cinq cent quatre vingt dix septième jour de voyagede René Caillié, depuis son départ de Boké, le 19 avril 1827.

Fig. 21 (ci-contre). - René Caillié, d'après un portrait, avec cadre de Cui/lie/lu,plante africaine dédiée à l'explorateur.

Page 156: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

RENÉ CAILLIÉ19 novembre 1799-17 mai 1838

L'Homme et le Voyageur

«Jamais l'on ne vit une telle faiblesse entre­prendre et réussir une si prodigieuse entreprise. ~

A. LAMANDÉ et J. NANTEUIL.

Page 157: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

154 -

§ 170. La vie de R. Caillié. Ses origines modestes et un père ba­gnard; son enfance I1êveuse dans une petite bourgade rurale; sa jeunesseconsacrée à des emplois subalternes coupés d'obscures tentatives<l'exploration; sa gloire soudaine lorsqu'il surgit du centre inviolé duContinent africain après six cents jours de voyage, alors qu'il étaitpleuré par sa famille et ignoré des pouvoirs publics; d'âpres con testa­tions sur la réalité de son exploit; et, enfin, une vie abrégée par l'ingra­titude ofIicielle, la misère et la maladie, tout contribuait à faire deRené CAILLIÉ une figure de légende.

Ce n'est cependant qu'à l'occasion du centenaire de son voyagequ'une biographie fondamentale lui fut consacrée par A. LAMANDÉ etJ. NANTEUIL ('l'). Ces deux auteurs ont retracé avec émotion la vie dou­loureuse de cet homme qui ne put déployer ses hautes qualités de cou­rage et d'intelligence que dans une lutte épuisante contre l'indifférencede ceux qui eussent dû l'aider de leur savoir et le soutenir de leur auto­rité.

Son père n'était certainement ni méchant ni malhonnête homme, maisil était peu sérieux et préférait faire la ribote dans les cabarets que detravailler à son fournil. Pour un vol, sinon incertain du moins insigni­fiant et commis sous l'empire de l'ivresse, il fut condamné au bagne le9 décembre 1799 (18 frimaire An VIII), peu de jours après la naissancede René, le 19 novembre 1799 (28 brumaire, An VIII), à Mauzé, dansles Deux-Sèvres.

Tout jeune enfant encore, R. CAILLIÉ, que sa mère avait emmenévivre à Rochefort, pouvait parfois apercevoir ce père enchaîné commeune bête de somme et haler les bateaux qui remontaient la Charente.Ces pénibles entrevues développèrent en lui le sentiment de la dignitéblessée et l'amour de la justice, car sa mère lui inculquait certainementte respect de ce malheureux frappé par un jugement inique.

Ses parents morts, il revint à Mauzé où il passa, auprès de sa grand·mère LÉPINE et de sa sœur aînée Céleste, une enfance studieuse et taci­turne. Car si ses amis étaient bienveillants et sa famille affectueuse, ilsne pouvaient le suivre sur les ailes du rêve qui l'emmenait vers les payslointains où le merveilleux ne laisse point de place aux méchancetéshumaines.

A 16 ans, grâce à une recommandation de J. SAVARY, officier demarine dont la famille était de Mauzé, il s'embarque comme domes­tique de l'enseigne DEBESSÉ sur le bâtiment la « Loire », qui lève l'ancrele 17 juin 1816 à destination du Sénégal. C'est au cours de ce séjour qu'ilvoulut rejoindre l'expédition du major GRAY qui, partant de la Gambie,devait relever l'échec des majors PEDDIE et CAMPBELL morts peu avantau Rio-Nunez. Epuisé par une marche forcée qu'il fit de Saint-Louis àDakar, il dut quitter le Sénégal pour les Antilles et l'Europe.

Cependant, il revint sur la côte d'Afrique peu après et suffisammenttôt cncore pour rattraper la fameuse mission qu'il avait tenté dejoindre en Gambie. Le major GRAY se trouvait toujours à l'Ouest du fleuveSénégal, où il était bloqué par les exigences du roi de Bondou. Cettefois-ci R. CAILLIÉ, âgé de 20 ans, est atimis dans la petite colonne diri géepar A. PARTARRlEU et le 5 avril 1819 il s'enfonce dans le Ferlo. C'est

('1') Il y a eu bien d'autres écrits, mais c'est celui-ci Qui apporte le plus derenseignements sur la jeunesse et la retraite de R. CAILLIÉ.

Page 158: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 155-

ce voyage qui fait l'objet du premier chapitre de notre récit. Nous avonsvu que l'expédition s'était terminée par un échec et R. CAILLIÉ, éprouvédans sa santé dut reprendre le bateau pour Lorient.

Ce dernier intermède hors d'Afrique fut plus long. Employé chezM. SOURGET, négociant bordelais, il fit de fréquents voyages et séjoursaux Antilles. Il lut tout ce qu'il put trouvcr sur les voyages de décou­verte et, en particulier, les relations de Mungo PARK. Lorsqu'il retournepour la troisième fois au Sénégal, nanti d'une petite pacotille que luia confiée son protecteur M. SOURGET, il a 25 ans. Son opinion s'est faiteque les expéditions armées ou à gros effectif ne s'ouvriront jamais laroute de Tombouctou par la force ou par des présents aux chefs locaux.tandis qu'un homme seul, vivant de l'hospitalité des populations, pour­rait y parvenir.

Ce fut ce point de vue qu'il soutint hardiment devant le gouverneurROGER. Son intention exacte, à cette époque, était d'adopter le genre dede vie des Maures, de les accompagner dans leurs voyages vers l'est,puis, à une occasion favorable, atteindre Tombouctou et sortir parl'Egypte. Le séjour d'initiation qu'il fit ('hez les Braknas, et au coursduquel il commença à faire des observations et à les noter régulière­ment, fait l'objet de notre deuxième chapitre. Mais le projet n'eut au­cune suite par le refus du Gouverneur d'accorder à R. CAILLIÉ les sub­sides nécessaires à l'achat du troupeau qui lui aurait permis de revenil"parmi les nomades avec tout le prestige désirable.

Cependant notre jeune entêté ne revint pas en France: il séjournadeux ans à Freetown puis vint à Boké pour amorcer son voyage sousl'apparence d'un jeune Egyptien désireux de regagner son pays. Ce futcette fois la réussite. Recommandé par le commerçant CASTAGNET auprèsde colporteurs se dirigeant vers Kankan, il quitte Boké le 19 avril 1827et parvient à Tanger le 7 septembre 1828, soit après 597, jours de voyage,en passant par Tombouctou. C'est ce trajet qui fait l'objet de notretroisième chapitre, naturellement le plus important.

Ce n'est pas à Tanger qu'il courut les moindres dangers lorsqu'il luifallut se faire reconnaître du consul de France sans se démasquer auxyeux des habitants. Par bonheur il fut immédiatement compris pal"M. DELAPORTE qui le cacha pendant 20 jours. Le 27 septembre il quittedéfinitivement l'Afrique, après un ,embarquement clandestin sur lagoélette la Légère à destination de Toulon.

EntIe temps, M. JOMARD, Membre de l'Institut et de la Société deGéographie, alerté par M. DELAPORTE, avait immédiatement reconnu lavaleur des premiers renseignements du voyageur. Le 30 novembre, surrapport d'une commission dont JOMARD est président et où figurent aussiMOLLIEN et ROGER, la Société de Géographie décide d'attribuer àR. CAILLIÉ le prix de 10.000 francs « offert au premier voyageur qui par­viendrait à Tombouctou en venant de la Sénégambie»; et la remise enest faite en séance solennelle, sous la présidence de G. CUVIER, le5 décembre 1825.

La consécration officielle ne vint qu'ensuite sous forme de la Légiond'Honneur et de pensions versées par certains ministères. Le triomphepourtant modeste de R. CAILLIÉ fut assombri par quelques attaquesémanant de certains milieux anglais et des ultras français; les premiers.insinuant que l'explorateur n'était pas allé à Tombouctou et tenait sesrenseignements des papiers de G. LAING; les seconds l'accusant d'avoil"changé de religion à chaque étape.

Page 159: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 156-

En 1829, pendant que JOMARD met en œuvre les relevés du carnet deroute, retrace l'itinéraire parcouru et situe enfin Tombouctou avec une('xactitude qui s'est révélée remarquable eu égard aux moyens rudimen­taires employés, R. CAILLIÉ rédige son Journal qui est publié en 1830 auxfrais du Gouvernement.

Retiré en banlieue pour raison de santé, il rencontre la femme aveclaquelle il s'unit le 7 août 1830. Puis il revient à Mauzé, son pays natal,avant de s'installer comme agriculteur sur deux terres successives dontla dernière était un domaine assez vaste, situé dans les marais charentais,peu salubre et qu'il se proposait d'assainir.

Si cette retraite campagnarde fut éclairée par les joies du foyer etquelques solides amitiés, elle ne fut cependant pas un repos pourR. CAILLIÉ. Il eut à subir les tracasseries des ministères qui lui dispu­taient ses modiques pensions accordées dans un moment d'enthousiasme,et il eut surtout la douleur de voir ses forces le trahir dans ses devoirsde chef de famille.

Dans des moments d'exaltation fiévreuse il revenait parfois à ses rêves-de jeunesse et entretenait ses amis de projets grandioses qui ne pou­vaient plus être que chimères. C'est ainsi qu'est mort ce lutteur solitaire,le 15 mai 1838, à demi-oublié par le Pouvoir, pour être parvenu seul oùcavaient échoué les entreprises officielles, et à demi-oublié par l'opinionpour avoir apporté la vérité où régnaient d'aimables illusions.

§ 171. René Caillé et la botanique. Cet explorateur, qui nous a-donné des pages si intéressantes sur la végétation et les plantes utilesd'Afrique, n'était pas un botaniste. Curieux de toute chose dès sa jeu­nesse, il avait seulement cette connaissance visuelle des plantes qu'ontles familiers de la nature et C!ui le prédisposait à cette discipline lors­qu'il en comprit l'intérêt pour ajouter à la valeur scientifique de sonvoyage.

Sa mémoire aussi était fid~le. Le rapprochement judicieux qu'il fitentre quelques plantes de l'Atlas (§ 264) et celles de son pays, prouvequ'il ne faisait pas que lire et rêver dans sa jeunesse, mais aussi qu'ilcourait les bois et les haies et qu'il en connaissaidiN assez les espècespour se les remémorer après plusieurs années passées dans les pays-exotiques.

Ayant le souci de se documenter sur les productions végétales des paysqu'il aurait à parcourir, quel était. alors, l'état de nos connaissances?Bien auparavant, la flore du Sénégal avait fait l'objet de recherches parMichel ADAN SON au cours de son mémorable séjour de 1749 à 1753.Malheureusement, en dehors des notes parues en introduction à1'« Histoire naturelle du Sénégal» et des études sur les Gommiers et leBaobab, ce savant n'avait laissé aucun ouvrage de floristique consacrantsa connaissance des plantes de cette région.

Après une longue période pendant laquelle seuls quelques fonction­naires constituèrent de petites collections (gouverneur J. B. DURAND,Dr ROUSSILLON, etc ...), les études régulières reprirent en 1824 avecLEPRIEUR, pharmacien de la marine, et PERROTTET, naturaliste-voyageurde la marine et des colonies, qui séjournèrent jusqu'en 1829. Le jardi­nier-botaniste Cl. RICHARD, qui était déjà là depuis 1816, s'occupaitsurtout de l'acclimatation de plantes utiles à la Station agricole deDagana, laquelle allait être nommée Richard-Toll en son honneur. Legouverneur ROGlèR, bien qu'il ait parfois critiqué les botanistes, aimait

Page 160: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 157-

herboriser et on lui doit quelques découvertes (Il'). Quant au botanisteROGERY, arrivé aussi en 1816, il semble n'avoir pas laissé plus de résul­tats que ses autres collègues explorateurs de la Société colonialeafricaine.

Malgré cette brillante représentation contemporaine, R. CAILLIÉ necite aucun de ces botanistes dans son Journal. Lorsqu'il était passé àRichard-Toll en allant chez les Braknas (§ 9), PERROTTET s'y trouvaitpeut-être, RICHARD certainement et c'est probablement à leur intentionqu'il devait rapporter des graines diverses de son séjour en Mauritanie(§ 18). Puis, lorsqu'il y est revenu comme employé, en attendant leretour de ROGER, il était nécessairement placé sous les ordres du direc­teur RICHARD, mais il n'en parle toujours pas. On peut supposer quece RICHARD, « qui a été vraiment le pivot de l'œuvre agricole de ROGER,en même temps qu'un technicien d'une remarquable conscience et unhomme d'un dévouement à toute épreuve (M) n'appréciait guère leshistoires d'exploration de R. CAILLIÉ qui s'est souvenu de la froideurde l'accueil.

C'est bien cependant à ce séjour que R. CAILLIÉ fit son apprentissagede botaniste, grâce à l'obligeance de LELIÈVRE (Mil') qui sut aussi le ré­conforter après les rebuffades des bureaux de Saint-Louis: «A monarrivée dans cet établissement j'y trouvai les consolations de l'amitiéauprès de M. LELIÈVRE, jardinier, qui eut la bonté d'ajouter quelquechose de ses provisions à la ration de soldat à laquelle seulement medonnait droit mon emploi. Je me mis à herboriser pour acquérir quel­ques connaissances botaniques.» Mais dès qu'il apprend le retour deFrance du gouverneur ROGER, il abandonne brusquement l'herborisa­tion : «Je courus de tous côtés pour trouver une embarcation qui medescendit à Saint-Louis; si je l'avais pu, j'y serais allé à la nage.:Il

Après la déconvenue que l'on sait et pendant son séjour à Freetown,R. CAILLIÉ ne semble pas s'être livré à des observations botaniques,alors qu'il s'empresse de prendre des notes dès son arrivée au Rio­Nunez. Cette même attitude en des circonstances diverses, montre bienqu'il n'a toujours considéré le renseignement botanique que comme unmoyen strictement subordonné à la découverte géographique. Cela estbien dommage, car quelques exemples nous montrent qu'il eut pu faireun excellent collecteur, si cela eut été dans ses intentions, pendant lespériodes de préparation à son voyage clandestin. Car, au cours decelui-ci, non seulement il ne pouvait rapporter d'échantillons valablespour les raisons que nous avons indiquées (§ 18), mais guère davan­tage de descriptions, dessins, menus fragments glissés dans le carnet.Ce sont des notes de ce genre qui figurent en annexe, volume III, duJournal. De plus, les originaux de quelques croquis ont été conservésavec le manuscrit déposé à la Bibliothèque Nationale.

On y voit le dessin d'un Gardenia (un rameau avec feuilles, fleur etfruit) et quelques remarques: « J'ai pris cette fleur pour celle du Cale­bassier d'Amérique. La fleur nouvellement éclose est blanche, maispassée ellc est jaune elle exhale une odeur très agréable. L'arbrisseauou arbuste qui la produit a 9 ou 10 pieds d'élévation. » Si la comparaison

(Il') Une Pédalaciée d'Afrique occidentale lui a été dédiée: Rogeria.(..... ) G. HARDY. - Voir bibliographie.(-) Le R. P. BERHAUT a décrit un Echinochloa Lelievrei, voir bibliographie.

Page 161: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 158-

n'est vraie qu'en ce qui concerne l'aspect de ces deux plantes, celaindique que R. CAILI.IÉ avait bien observé le curieux Crescentia cujeieaux Antilles ou à Freetown.

Le meilleur dessin est probablement celui du Cassia (sieberiana?)dont toute une grappe est représentée: «Je ne sais si cette fleur estconnue mais elle m'a semblé si belle qu'elle paraît mériter quelqueattention. La plante qui la produit vient d'un buisson de la hauteurde 8 à 10 pieds. Elle exhale une odeur douce et agréable. Cette fleurd'un jaune un peu clair le pistil en est vert, elle ornerait bien nos jar­dins. Ci-joint un échantillon des étamines. Je regrette de n'avoir pastrouvé de fruits.»

Enfin il a encore dessiné le Dissotis grandiflora: «Plante qui res­semble à une mélastome. Les feuilles velues, fleurs idem, etc... Cetteplante est herbacée, c'est avec la racine que les Landamas font la bois­son purgative qu'ils nomment gingindhi, cette racine est comme de lapetite cassave. Les pétales de cette fleur sont bleus. Ci-joint une éta­mine. » Sur ce dessin la zigomorphie des étamines est assez bien esquis­sée mais elle a entraîné celle de la corolle ce qui est inexact. Sa com­paraison avec une «mélastome» était très juste, cette plante étant ef­fectivement une Mélastomacée (Fig. 22).

On peut regretter que pendant son séjour au Sénégal il n'ait pas tra­vaillé avec des botanistes qualifiés, comme PERROTTET par exemple. Ilfaut dire que si celui-ci a ignoré, délibérément ou non, l'explorateurvagabond de Saint-Louis, il a su rendre hommage au voyageur que lesuccès venait de consacrer. Dès 1830, il proposait avec GUILLEMIN, unnouveau genre de mimosée« sous le nom de Cailliea, en l'honneur duvoyageur CAILLIÉ, qui le premier de tous les Européens a pénétré àTombouctou, et qui, dans son voyage au travers de l'Afrique, en a ob­servé les productions naturelles, et nous a fourni des renseignementssur quelques végétaux de ces contrées.» Il est fâcheux que le nom deCailliea n'ait pas prévalu et soit devenu synonyme de celui de Dichros­iachys qui figure maintenant sur la liste des noms conservés.

En 1938, dans l'intention de maintenir le nom de l'exporateur enfloristique africaine, j'ai proposé l'établissement du genre Cailliella pourune plante de Guinée, de la même famille que le DissoUs qu'il avaitobservé et dessiné à Kakondy.

En 1943, Oswald DURAND a insisté dans un petit ouvrage sur la con­tribution botanique et agricole de R. CAILLIÉ: « Mais sa principale préoc­cupation est l'agriculture avec toutes les branches qui s'y rattachent;terres, botanique, procédés de culture, instruments, récoltes ... parfoismême hydraulique agricole. Tout l'intéresse. Son œil de terrien ne laisserien échapper ».

En 1960, sous le titre de « R. Caillié botaniste» propre à attirer l'atten­tion sur un aspect méconnu de l'explorateur, Th. MONOD a publié un re­levé complet de toutes les citations de plantes du Journal.

Enfin, en 1962, dans une note préparatoire «R. Caillié et la Bota­nique », j'ai voulu montrer la progression constante des idées de ce« tout jeune homme, voyageant moins pour observer que pour chercherdes aventures:. qui parvint à la qualité du voyageur scientifique parson esprit de découverte, ses facultés d'observation et son respect absolude la vérite.

Page 162: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 159-

Fig. 22. - l'n CI'Ol(uis de R. C<lil!iè rcprésentant un Dissolis grandiflora (d'aprësl'original de la Hihliothéque Nalionale : ~lanuscrits, N.A.F., nO 2621).

Page 163: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

(GO -

§ 172. Le8 circon8fance. du voyage. Libérées de la hantise napo­léonnienne, les nations d'Europe reprenaient, en cette première moitiédu XIX· siècle, la découverte des terres lointaines. Tandis que les navi­gateurs devaient pousser leurs vaisseaux de plus en plus loin et jusqu'auxterres polaires pour découvrir encore quelque îlot inconnu où planterleur pavillon, le continent africain tout proche restait en blanc sur lescartes scolaires devant lesquelles rêvait le jeune R. CAILLIÉ.

C'est à un événement historique plus précis qu'il dut d'échapper audestin de cordonnier que lui réservait son tuteur. Le bateau la Loire, surlequel il prit place, faisait partie (l'un convoi qui comprenait l'Argus,l'Echo et aussi la Méduse dont la fin tragique sur le banc d'Arguin fitoublier que ces bâtiments allaient, sous les ordres du colonel SCHMALTZ,reprendre possession de Saint-Louis du Sénégal que le Traité de Parisrendait à la France. Parmi «le personnel très bigarré» de l'expéditionfiguraient, outre R. CAILLIÉ humble domestique d'un officier, le jeuneMOLLIEN, le jardinier Cl. RICHARD, etc ... A côté de bien d'autres per­sonnes de qualité se trouvaient aussi des recrues moins recomman­dables ("").

La politique prudente de Louis XVIII et de Charles X, désireux de nepas inquiéter les anciens coalisés, interdisait les tentatives d'explora­tion profonne de l'Afrique à partir du Sénégal. R. CAILLIÉ, que rien nerecommandait à première vue pour de telles entreprises, n'avait doncaucune chance d'obtenir une mission officielle et il lui fallut toute la cha­leur et la justesse de ses convictions pour intéresser temporairement legouverneur ROGER à son projet.

Au contraire, l'Angleterre multipliait les missions de pénétration et,devant l'insuccès de celles tentées à partir des côtes occidentales, en­voyait le major Gordon LAING à travers le Sahara avec les recommanda­tions du Pacha de Tripoli.

Cependant, la Société française de Géographie lançait un appel àl'initiative privée et créait un prix de 10000 francs à attribuer à quirapporterait de Tombouctou des renseignements propres à faire pro­gresser les connaissances. C'est ce programme «jeté sur les côtes d'A­frique» et plus exactement envoyé à R. CAILLIÉ, sous forme d'une cou­pure de journal, par sa sœur Céleste, qui déclancha son départ deFreetown.

Ayant emprunté, comme nous avons vu, la personnalité d'un jeuneEgyptien il basa sur l'occupation de l'Egypte par le général BONAPARTE,la fiction de son enlèvement de ce pays. Il s'attirait ainsi le préjugé favo­rable nes populations musulmanes et rendait plausible sa connaissanceimparfaite de la langue arabe. Cette question religieuse constituaitréellement la pierre d'achoppement de toute pénétration européenne enAfriquc. Alors que, selon R. CAILLIÉ lui-même, le déguisement n'eutpas été nécessaire parmi les Bambaras, il était indispensable auprèsde certaines populations islamisées. Les exemples de G. LAING et de

("") CORRÉARD et SAVIGl\;Y, rescapés du naufrage laissent entendre que beau­coup des soldats étaient d'anciens bagnards marqués au fer rouge: «Lorsque,par mesure de santé on les fit baigner à la mer..., tout l'équipage put seconvainere par ses yeux que c'était ailleurs que sur la poitrine que ces hérosportaient la décoration réservée aux exploits qui les avaient eonduits à servirl'Etat dans les ports de Toulon, de Brest ou de Rocbefort.» (Naufrage de laFrégate La Méduse, Paris, 1821.)

Page 164: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 161 -

R. CAILLIÉ, dont les destins se sont recoupés dans la regIOn de Tom­bouctou, en sont une tragique illustration. C'est ainsi que le même EL­HABIB qui, pense-t-on ("'), avait couvert l'assassinat de G. LAING refu­sant d'abjurer la foi chrétienne devant quelques nomades, recevait peuaprès le jeune R. CAILLIÉ à Araouan et le fournissait obligeamment d~

vivres pour sa traversée du désert (§ 135). On a bien dit que les hôtes deR. CAILLIÉ à Tombouctou étaient au courant de son subterfuge, fauted'avoir laisser une preuve de son passage à Djenné sous forme d'un pa­pier caché dans la mosquée et d'être réclamé, de ce fait, par les chefs decette ville (il'). La tolérance religieuse des notables de Tombouctou, at­testée par le séjour qu'y fit G. LAING avant d'être attaqué au désert pardes nomades, n'avait pas besoin de cette fable concernant R. CAILLIÉ quiavait trop le sens de l'opportunité pour se compromettre par un sem­blable enfantillage.

C'est surtout au Maroc que l'Islam, s'identifiant plus étroitement avecle sentiment national, servait de bouclier aux pénétrations étrangères ctde prétexte pour châtier les intrus clandestins et simulateurs. Ce n'est pasque des chrétiens ne pouvaient y séjourner, puisque beaucoup de nations.d'Europe y avaient une représentation ct que Eugène DELACROIX y fit unvoyage célèbre peu après le passage de R. CAILLIÉ.

Au Fouta-Djallon, deux prétendants, YAYA et BOUBAKAR, se livraientà des jeux de princes pour prendre le pouvoir lors du passage de R.CAILLIÉ qui a noté l'information mais s'est prudemment gardé de serendre à Timbo, capitale où se trouvait l'Almami en exercice. Il eut en­core à tirer prétexte de guérillas entre les gens de Sansanding ct de Sé­gou pour éviter ces dernières villes dont il craignait surtout que le souve­nir du passage de Mungo PARK n'aggravât la suspicion à son égard.

En dehors de ces quelques incidents politiques locaux, l'organisationsociale, que R. CAILLIÉ savait être favorable à ses desseins de voyageut""clandestin, reposait sur l'éparpillement de l'autorité. Son trait de géniefut de se confier à des guides responsables de sa sécurité ct de se laisserporter par ces caravanes de colporteurs dont la route passerait bien unjour à Tombouctou. Même lorsque la rigueur de la vie au désert durcitle cœur des chameliers, le principe de cette responsabilité évitera lepire.

Si çà ct là quelques brigands rançonnent les marchands, partout ail­leurs le voyageur et ses biens sont respectés. R. CAILLIÉ avait un cadenasà son sac de cuir! Précaution efficace peut-être contre les curieux maisqui n'aurait pu empêcher que son sac cadenassé lui soit volé. L'intran­sigeance qu'il montre à l'endroit du guide qui lui a subtilisé quelquesobjets, est un hommage admirable à l'esprit d'équité des « sages» deKankan. Et il sait si bien que l'hospitalité est un devoir sacré qu'il s'in­digne naïvement un jour de ce que le chef d'un village du Ouassoulomette si longtemps à apporter le dîner des voyageurs.

Au Maroc, où l'administration est plus efficace, une expérience, quiaurait pu être fâcheuse, lui apprend qu'il est préférable de ne pas sol­liciter la bienveillance des puissan ts; heureusement le peuple des rues.est assez dense pour qu'il puisse y disparaître et reprendre son cheminseul.

(il') CASTAGNEZ (P.). - Tradition inédite sur le passage de rt CAIJ.I.IÉ ftTombouctou.

Page 165: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

162 -

On peut conclure enfin que R. CAILLIÉ fut la victime de la politiquede son propre pays. Bien que pour satisfaire aux exigences mêmes duprogramme établi par la Société de Géographie il ait étayé son Journal derenseignements susceptibles d'intéresser l'expansion du commerce fran­,<,ais, le caractère personnel de son exploration ne permettait guère d'enfaire une option valable dans les chancelleries. A cette époque de laconquête de l'Algérie, on devait estimer, dans les sphères gouvernemen­tales, que le ruban inventé par Napoléon suffisait bien à récompenserla découverte de Tombouctou tandis qu'il était impérieux de faire l'écono­mie d'une petite pension pour financer la guerre.

§ 173. Les rapports humains. Peu de personnes, ayant atteint lacélébrité, l'ont dû autant que R. CAILLIÉ à leurs relations directes avec leshommes dont dépendaient le succès de leur entreprise et leur propresalu t.

En dehors de ses emplois de jeunesse, sans liaison avec sa carrièred'explorateur, il a toujours eu le choix de son attitude. Aucun lien admi­nistratif n'est venu lui assurer des droits ni, réciproquement, lui impo­ser des servitudes; aucune hiérarchie n'est venue lui indiquer que là ildevait obéir et que là il pouvait commander. Indépendance magnifiqueet terrible. Simple petit boutiquier, il est libre de demander une missionnu gouvernement, libre d'en refuser les conditions, libre aussi de dila­pider son bien ... et de quémander son pain.

C'est à titre personnel qu'il vient à bout de son exploration: le gou­vernement ne lui doit rien. Et c'est personnellement encore qu'il devrafaire valoir des droits moraux dont on se moque bien.

Une règle cependant a toujours été le guide de R. CAILLIÉ dans soncomportement avec son prochain: le respect de la dignité humaine. EnMauritanie il est pour le tributaire travailleur contre le hassane querel­leur; au Soudan il est pour l'insouciant Bambara contre le bigot inquisi­teur. Lui même a parcouru l'Afrique sous le signe de l'humilité, préfé­rant subir la violence que de l'employer.

Toutefois, blessé dans sa fierté il était parfaitement capable de ran­cune. Lorsqu'après sa victoire il retrouve ROGER dans la commission quidoit faire à la Société de Géographie le rapport sur son voyage, il netrouve pas un mot pour relater le fait dans son Journal. Il en voulait àl'ancien gouverneur d'avoir déçu les espoirs qu'il avait placés en lui; eton n'est pas surpris <l'apprendre qu'il existe, dans les archives, une lettreassez violente à son endroit.

Seul en Afrique avec son secret, R. CAILLIÉ était plus que'jamais comp­table de sa propre personne. De sa faculté d'adapter son attitude à cellede tous ses interlocuteurs dépendaient et la possibilité de poursuivresa route el sa sauvegarde. Joyeux garçon lorsque la sympathie peuts'établir, alors il rit volontiers, au besoin à ses dépens comme lorsqueles Bambaras s'amusent de la longueur de son nez. Mais il peut êtredangereux de sourire d'un sot (il en est partout) qui fait semblant delire de l'arabe. dont il tient le texte à l'envers. II faut faire la sourde­oreille devant l'ânier qui menace de laisser le bagage à terre. II faut êtregénéreux avec son hôte et ne l'être pas trop avec ses voisins, sous peine(le vider du coup les maigres réserves du sac. II faut se résigner enfinaux mauvais traitements, lorsque la loi de l'hospitalité cède la place àcelle de la pcrsécùtion.

Page 166: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

Fig. 23. - YOllssollf Sylla, petit-fils de ~Iadion Bal(ayoko, à Tiémé (Cliché Cou­libaly i\Iamadou, 19(3).

Page 167: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- lf)4 -

Car la règle selon laquelle les plus malheureux sont toujours les pluscompatissants souffre bien des exceptions. Si la vieille esclave desBraknas partage avec R. C.\ILLlÉ sa maigre pitance de sanglé, le piro­guier du Niger lui mène la vic dure pour en obtenir quelques poignéesde cauris. Et pourquoi le chamelier ALI est-il aussi impitoyable pourl'étranger qui lui est confié? Peut-être estime-t-il, comme beaucoupd'hommes de sa condition, que ceux qui empruntent leur genre de vie,doivent en éprouver toutes les duretés et « faire leurs classes ». Et aussiet surtout (R. CAILLIÉ a probablement raison lorsqu'il dit «le cupideALI) il pense que brimer l'intrus, en faire quelque chose d'étranger augroupe et de méprisable, donne le droit de le spolier des vivres qu'unnaïf lui a inconsidérément donnés.

Inversement il est beaucoup de notables qui ont grandement facilitéle voyage de R. CAlI"LIÉ en lui accordant généreusement les vivres néces­saires aux longues traversées: de Djcnné à Tombouctou, de Tombouc­tou à Araouan, et, enfin, de cette ville au Maroc. Et il serait injustede restreindre la portée de leur geste en disant qu'ils l'ont fait parcharité religieuse en faveur d'un coreligionnaire méritant et déshérité;car ils auraient aussi bien pu mettre leur conscience en paix, commed'autres l'ont fait, en accablant R. CAILLIÉ dc généreuses paroles.

Mais le plus bel exemple de dévouemenl est celui de cette humblefemme de Tiémé qui, sans rien attendre de cc marchand peu chargé,sans être guidée par des prineipes religieux, animée seulement d'uneinfatigable bienveillance maternelle, a sauvé de la mort cet étrangevoyageur, venu de lointains pays inconnus, allant vers de lointainspays inconnus et que le hasard avait amené chez elle.

Jusqu'alors nous n'avions d'autres renseignements que ceux du Jour­nal sur eette femme admirable. M'étant adressé réeemment à la préfectured'Odienné, ville proehc de Tiémé, j'ai rcçu dc Monsieur lc Secrétaireadministratif Louis DINGOU ASSIND.JO dc précicux documents, dus àMonsieur MAMADOU COUUnALY, Présidcnt du Conscil Economique etSocial de Côte d'Ivoire, originain' d'Odienné. Qu'ils en soient ici cha­leureusemcnt remerciés.

Nous apprenons ainsi:

Le nom exaet de la fem'mc qui « aecueillit René CAILLIÉ ct le soignade la dysenterie don t il sou !frait »;

qu' « à ce jour, il existe encore à Tiémé de ses descendants dont M.YOUSSOUFFOU SYLLA est le plus âgé. »;

que le souvenir de eet événement lointain persiste dans le pays:« Le voyageur... s'est présenté au village de Tiémé sous un déguisementarabe. Une fois guéri, il reprit son chemin en direction de Tengréla,traversant les villages Moronou ct Koroumba.»

Madion Bakayoko. C'est un plaisir pour les yeux et un supplicepour les pieds que de circuler en brousse quand fleurissent les maraiset verdissent les plateaux, et que l'on patauge dans l'eau à longueurd'étape. Alors, la moindre écorchure au pied devient plaie béante etpurulente: c'est l'ulcère phagédénique, le craw-craw. R. CAILLIÉ en futatteint et c'est en s'appuyant sur un bâton qu'il parvint à Tiémé, où songuide BADA, le confia à sa vieille mère, MADION BAKAYOKO du quartier deBaradougoula.

Page 168: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 165

Le pied fut long à sc cicatriser..., puis cc fut le scorbut..., puis laplaie se rouvrit encore. C'est une éternité que cinq mois en pays étranger,sur une couverture à même le sol d'une case humide à subir les souf­frances qui vous font souhaiter la mort. C'est long aussi, pense BABA, pasméchant homme mais jouissant d'une excellente santé et que cela agaced'avoir chez soi cet homme qui n'en finit pas de guérir. Et ce sont lesfemmes du village qui, heureuses peut-être de prendre leur revanched'avanies subies chez elles, harcèlent de leurs moqueries cet hommesans défense.

Mais une qui ne s'impatiente pas, qui, avec les misérables moyens dontelle dispose, apporte régulièrement le bouillon qui nourrit ct le médi­cament qui guérit, c'est la vieille Manman. La vieille Manman qui pen­dant cinq mois a soigné comme un fils cet homme étranger à sa race, l'aarraché à la mort pour le voir ensuite repartir en titubant vers l'Est.

Souvenirs. Le passage de ce blanc solitaire à cette époque était unechose assez insolite pour laisser des souvenirs qui se sont transmis àtravers les générations. Ceux qui persistent en Mauritanie sont tellementembellis par la légende que nous leur préférons la froide vérité du Jour­nal. A Tombouctou ils ont conduit à cette opinion que la véritable na­ture du voyageur aurait été découverte pendant son séjour.

A Tiémé un Baobab centenaire étend sa puissante ramure là où setrou vait le quartier de Baradougoula et le plus ancien représen tan t vi­vant de la famille de MADlON BAKAYOJW est aujourd'hui un vénérablevieillal'd, M. YOUSSOUFFOU SYLLA, petit-fils, ou petit-neveu, de BABA filsde MADION (Fig. 23).

Il existe aussi à Tiémé une sorte de maçonnerie badigeonnée à lachaux, dépourvue de caractère, ct qui fut édifiée pour marquer le pas­sage et le séjour de R. C.\ILLIÉ en ce lieu. Nous voudrions que sur uneplaque de bronze, scellée dans un bloc de rocher arraché à la montagnevoisine, fussent gravés les noms de R. CAILLIÉ ct de MADION BAKAYOKO,commémorant ainsi le passage d'un homme courageux de France etl'acte humanitaire d'une femme d'Afrique.

Page 169: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

lOt

Ill'

10'ITINIRAIRES DE

RENI CAILLIIA TRAVERS LES

RIGIONS BOTANIOUES

1,,;.1 sellég.1 1819Tfajel Mauritanie 1824.1825

Troie' Bokt Tombou(touTangtr 1821·1828~ Domain. 1II000t....ord

Echelle

~g:tl=======:;;~771()Of sO~km

t. Blall<

St Louis

........ F

TOUAT

ALGÉRIE

lll'

o T.belb.1(Tabe/ba/a) ~1'-

~t.~

TAOUAT

Pu ils de Telig(Te/ik)

SAHARA

10'

Ill'

Dt

Fig. 2·1. - Hinpr'aÏJ'('s de fi. Caillié en rapport avec les zones de végétation.Carte dr'essée par le Scrvice cartographique de l'Oflice dl' la Hccherehc Scien­tifique ct Techniquc Outre-l\ler, d'aprt·s l'Atlas annexé au Journal dl'Il. CA!I.I.I~; et d'après Th. l\loNon pour lèS divisions ehorologiqucs.

Page 170: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 167-

BIllLIOGRAPHIE

I. SUR RENÉ CAILLIÉ ET LE VOYAGE.

BOULENGER (Jacques). - Le voyage de René Caillié à Tombouctou et àtravers l'Afrique. Paris, 1932, XXIII + 239 p. Edition analytique duJournal.L'auteur critique sévèrement le style de H. CAILLIÉ et le manque d'ordon­

nance du texte: «Caillié se croit obligé à un style officiel et cruellementendimanché. Il n'a d'ailleurs ni gaieté, ni verve, ni pittoresque: son livre estpauvre comme un journal de bord. Fort désordonné en outre: l'auteur abordeun sujet, le quitte, le reprend, le quitte encore.»BRIAULT (Maurice). - La prodigieuse vie de R. CAILLIÉ ou la découverte

de Tombouctou. Paris 1930, 164 p.; dessins originaux de l'auteur.CAILLIÉ (René). - Journal d'un voyage à Tombouctou ct à Djenné dans

l'Afrique Centrale, précédé d'observations faites chez les Maures Brak­nas, les Nalous et d'autres peuples pendant les années 1824-1825-1826­1827-1828. Paris, 1830, 3 vol. + Atlas. Une importante partie du troi­sième volume est consacrée aux « remarques ct recherches géogra­phiques, Itinéraire, etc ... » de JOMARD.

DEMOUGEOT (Antoine). - René CAILLIÉ, Paris 1948. Collee!. « Les grandsColoniaux ». Le frontispice représente le buste de R. Caillié par Au­guste BIAGGI; photo.

DURAND (Oswald). René CAILLIÉ à Tombouctou. Tours 1945, 128 p.Livre destiné à la jeunesse mais très alertement ct judicieusementabrégé; photo.

JACQUES-FÉLIX (Henri). - Sur quelques Mélastomacées africaines. Bul/.Mus. Rist. Nat., 1933. Description du genre Cail/iel/a.- René CAILLIÉ ct la Botanique. Poitiers, 1962, 8c Congrès des SociétésSavantes.

LAMANDÉ (André) et NANTEUIL (Jacques). - La vie de René CAILLIÉ,vainqueur de Tombouctou. Paris 1928, 284 p. La meilleure biographiede R. CAILLIÉ.

MONOD (Théodore). - René CAILLIÉ, botaniste. Bul/. /nst. franç. Afriquenoire, série A, 22 : 1960. Relevé de toutes les citations de plantesdu Journal.

TOMBOUCTOU, ville interdite. Paris 1961, 261 p. (Club des Editeurs).Réédition intégrale du Journal de R. Caillié, sans les annexes.

II. OUVRAGES DE BOT.\NIQUE.

ADAM (J.-G.). - Flore et Végétation d'hiver de la Mauritanie OccidentaleJ. Agric. Trop. et Bot. appl. 9, 1962.

ADANSON (M.). - Histoire naturelle du Sénégal, avec la relation abré­gée d'un voyage fail en ce pays pendant les années, 1949-50-51-52-53.Paris 1957.

AUBRÉVILLE (A,). - Flore forestière Soudano-guinéenne. Paris 1950.BERHAUT (R. P.). - Flore du Sénégal. Dakar 1954.CHEVALIER (A.). - Flore vivante de l'Afrique Occidentale Française.

Paris 1938. Premier vol. sans suite; intéressant pour l'historique dela prospection botanique ct les zones de végétation.

DALZIEL (J. M.). - The Uscful Plants of West tropical Africa. Londres1937.

Page 171: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

-- l(i~ -

DE CANDOLLE (A.). - Origine des plantes cultivées. Paris 1883.EMRERGER IL.). -- Les arbres du Maroc. Paris 1938.GUILLEMIN, pERROTTET et A RICHAIID. - Floral' Senegambiae Tentatem.

Paris 1830-3:J. Un seul yol. paru; plusieurs allusions à R. Caillié etdescription du genre Cail/iea = Dichrostachys. Le troisième auteur estAchille RICHARD et non IC' fonoatC'ur de Richard-Toll Claude RICHARD.

HARDY (G.). - La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854. Paris1921. Ouvrage indis]JC'nsablc pour l'histoire de l'agriculture en Afriqueocciden tale.

HUTCHINSON (J.) et DALZIEI. (J. M.). - Flora of West tropical Africa.Londres 1927-36. Deuxil'me édition en cours depuis 1954.

HAUDRIcoURT lA. G.) ct HÉDIN (L.). - L'homme et les plantes cultivées.Paris 1943

KEAY (R W. J.). - Botanical Collee tors in West Arrica prior to 1860.C. R IV· réunion plénière oe l'AETFAT, Lisbonne 1961.

MAUNY (R) - Notes historiques autour <!C's principales plantes culti­vées d'Afrique Occidentale. Bul/. Jnst. Fr. Afr. noire, 15, 1953.

MONOD (Th.). - Les grandes divisions chorologiques oe l'Afrique.Yangambi 1956; Public. CSA. Il'' 24.

MONTEIL IV.) & SAUVAGE (Ch.). --- Contribution à l'Huoe de la Flore duSahara oceidental. Paris, J, 1949; Il, 1953.

OZENDA (P.). - Flore ou Sahara septentrional et central. Paris.PALES (1..). -- L'alimentation en A.O.F. Dakar 1954.pIERRET (R). -- Etude du dialecte maure des régions sahariennes et

sahéliennes de l'Afrique occidentale française. Paris 1948.pORÉGUIN (H.). -- Essai sur la Flore de la Guinée française. Paris 1906.

Une excellente photographie montre un coin de la forêt de Bam­baya traversée par R Caillié.

pORTÈRES R - Les appellations des Céréales en Afrique. J.A.T.B.A.,1958-59.POUSSIBET (F.). -- I\'otes sur le yoeabulaire botanique des Brabich et

Kounta Regagda. Bull. JFAN, 24, 1962.

NOTE. - Les travaux de l'IE.RRET, l'ORTÈRES et POUSSIBET ont été spécialementconsultés pour chercher une explication linlluistique au mot « aze» (voir § 27)qui désijtne en commun la jtraine récoltée pour la consommation de plusieursgraminées sauvages qui ont, par ailleurs, des appellations particulières. Enraison du mode particulier de récolte de ces graines, j'avais pensé à l'actionhaze = secouer; mais Pierret orthojtraphie êaze et indique: « petites grainesressemblant à de la semoule. que les nomades obtiennent en battant les épisde plusieurs graminées de la brousse» (p. 138).

l'ORTÈRES. ne parlant que des eéréales cultivées, ne cite pas le aze au sensmauritanien, mais on y trouve des coïncidences curieuses: azi, hazi, haze,signifiant en basque, graine, semence. nourriture.

l'OUSSIBET orthojtraphie comme l'IERRET et il rapporte un dicton desBràbîch : « Az Habbet fi Alazzâz» pour dire que les semences ne germentqu'en terrain frais.

ROBERTY (G.). -- Hypothèse sur l'origine et les migrations des coton­niers cultivés ct notes sur les cotonniers sauvages. Candol/ea, 7, 1938.

Sf:HNELL (R). - Plantes alimentaires ct Vie agricole de l'Afrique noire.Paris 1957.

SÉBIRE (R P. A.). - Les PlantC's Utiles du Sénégal. Paris 1899.TROCHAIN (J.). - La Végétation du Sénégal. Mém. JFAN, Dakar 1940.VALLOT (J.). - Etudes sur la Flore du Sénégal. Paris 1883. Un seul fasci-

cule sans suite; intéressant pour l'historique de l'exploration bota­nique du Sénégal.

Page 172: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

TABLE DES MATIÈRES,

•AYANT-PROPOS 1

INTRODUCTION 3Chorologie des palmiers; Les terriloires IJotaniques; Géo­

graphie agricole et alimentaire; Les plantes médicinales;Les plantes magiques; L'introduction des espèces cultivées.

1. PRELUDEVoyage au Bondou à la rencontre du Major Gray

De Candiolle à Bakel à travers le Djolof et le Ferlo 14

1, La trayersée du Ferlo; 2, Le bon et le mauvais Détar;3, Le pays de Bondou ('f).

II. NOVICIATChez les Marabouts Braknas de Mauritanie

En route pour l'escale du Coq . . , " .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 20

4, La campagne du Ouallo en été; 5, Le Néou (Parinarimacrophylla); 6, Repos bien employé à N'pâI; 7, R. Cail­lié pédologue; 8, Le Niébé (Vigna unguiculata); 9, Arrivéeet séjour à Richard-Toll.

Voyages en Mauritanie av,ec les nomades 24

10, Le Gonakié (Acacia scorpioides var. pubescens); 11,Les dunes mortes; 12, L'Anone du Sénégal (Annona senega­lensis); 13, Les fruits du Grewia; 14, Le cram-cram (Cen­chrus biflorus); R. Caillié phytothérapeute; 15, Le basilic(Ocimum americanum) ; 16, Passe-moi le basilic je te passeraile séné; 17, Le cotonnier des rocailles (Gossypium anoma­lum); 18, Suspicion à l'égard du collecteur de plantes; 19,La pastèque: providence du voyageur; 20, Le Soump (Ba­lanites aegyptiaca); 21, Le pays d'Atar; Manière de tannerle cuir; 22, Le neb-neb (Acacia scorpioides Yar. aslringens) ;23, Récolte de la gomme et gommier (Acacia senegal); 24,La traite de la gomme; La vie pastorale et agricole au Norddu fleuve Sénégal; 25, Le cheni; 26, Le Sanglé; 27, Le Hazeou Bakat (Panicum laelum); 28, La culture des Mils (Sor­gum et Penniselum); Transhumances; 29, Les fruits de Bos­cia; 30, Les trois maillons des ceintures palustres; 31, R.Caillié se rend à l'escale; 32, les mangeurs de Nymphaea(N. lolus); 33, Retour auprès du roi Hamet-Dou : la vachesert de guide.

('J) Les numéros sont ceux des paragraphes du texte.

Page 173: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 170-

III. LA GRANDE COURSEDe Boké à Tanger par Tombouctou

Attente au Rio-Nunez· . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

Les plantes introduites; 34, Orangers et Citronniers; 35,Pas de manguiers (Mangifera indica) sur la Côte avant 1827;Les plantes du pays dans la vie des populations; 3(j, Le poi­son d'épreuve (écorce de l'Erythroph/eum gllineense); 37, Lesboissons fermentées; 38, L'huile de palme; 39, Les arbres­ruchers; 40, La mangrove n'intéresse pas R. Caillié; 41, Leriz et les rizières littorales; 42, Il n'est pas encore questiondu Café Nunez.

Départ pour le Grand Voyage, I,e 19 avril 1827. La tra-versée du Fouta-Djallon. 58

Trois compagnons de route; 43, Le Coura (Parinari exee/-sa); 44, Le t\éré (Parkia big/obosa); 45, Le Bombax de R.Caillié est probablement le Kapokier (Ceiba pentandra).

Productions végétales et système agro-pastoral du Fouta­Djallon; 4(i, Le cagnan, nougat de maïs; Plantes d'Amériquedans les jardins d'Afrique; 47, La pistache: arachide ouvoandzou?; 48, Le gros maïs; 49, La cassave; 50, Les chouxcaraïbes (C%easia et XantllOsoma); Le gallé, ou enclos desfoulas, ct le roundé; 51, Le fougné des Soussous (Ananascomosus); 52, Figues et bananes ou Figues-bananes?; 53,Les orangers du Fouta-Djallon; Sources du Bafing; 54, Hos­pitalité : le couscous de fonio; 55, Les brèdes; 5fi, Le gomboet autres Hibiscus; 57, Le sésame (Sesamum); 58, Le bou­quet de la cuisinière; 59. R. Caillié traverse le Bafing.

Les plaines et plateaux du Haut-Nig·er 73

fiO, Préparation des semailles à Cambaya; 61, Le foigné oufonio (Digitaria cxilis) ; 62, La pratique du mou.ki; (j3, Le gin­gembre (Zingibcr officinale) ; 64, Le karité, arbre à beurre duSoudan; 65, Le baobab (Adansonia digitata); 6(j, Descrip­tion du pays de Baleya; 67, Arrivée à Kouroussa sur lesbords du Dhiolibn; fi8, Le tau; fi9, Fièvre ct tamarin (Tama­l'indus indiea); 70, Le déguet (ou dégué); 71, Le Pourpier(Portu/aea o/eraeea); 72, Le Papayer (Carica papaya); 73.Ln ville de Kankan et son marché; 74, Les environs deKnnkan: Dépnrt de Kankan; 75, Le pays du Ouassoulo;76, Récolte du fonio; 77, Travaux champêtres; 78, Les pre­miers Jujubiers du Soudan (ZizipllUs mauritiana); 79, Con­clusions sur le pays de Ouassoulo; 80, Le pays du Foulou;81, Le soumbara.

Séjour à Tiémé: 4 août 1827-9 janvier 1828 90

82, Maux et remèdes; Description de la région de Tiémé;83, Les Ignames (Dioseorea); 84, La cuisine à Tiémé; 85,Description du Karité (Blllyrospermum Parkii); 8fi, Le Ta-

Page 174: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 171-

man, autre arbre à beurre (Pentadesma butyracea); 87, Vin­digo et les Indigotiers llndigofera); 88, L'indigo de liane(Lonchocarpus cyanescens); 89, Le Tabac pétiolé (Nicotianarustica); 90, Le Niébé (VigllU unguiculata); 91, Le Cani oupoivre long (Xylopia aethiopica); 92, Noix de cola et Cola­tier (Cola nitida).

La route du cola: de Tiémé à Djenné . .... o... .. .. ..... 101

93, Le départ; 94, A l'étape; 95, Quelques palmiers à huileet Rôniers; 96, Le marché de Tengréla; 97, Galette à lapoêle; 98, Marchand de Tabac; 99, Baobabs et Fromagers,arbres domestiques; 100, Ficus à racines adventives; 101,Detarium microcarpum; 102, Les ruches d'écorce; 103, Lespeuplements de Karité; 104, Marché à Badiarana; 105, Li­mite Nord de la culture des ignames; 106, Cultures d'oi­gnons; 107, Les Cucurbites: Pastèques; Calebasses; Ci­trouilles; Giraumons; Melons; 108, Dernière palmeraie d'E­laeis; 109, Commerce des feuilles et fruits du Baobab; 110,Fabrique d'instruments aratoires; 111, Coton herbacé ou an­nuel; 112, Les pistaches bouillies; 113, Irrigation du tabac;114, Le (Iokhnou; 115, Le Dâ (Hibiscus cannabinus); 116,Le pain de lotus; 117, Nymplweas; 118, Arrivée à Djenné;119, La sensitive rugueuse (Mimosa asperata); Séjour à Djen­né; 120, Le gombo pectoral; 121, Le marché à Djenné; 122,Légumes de la zone tempérée; 123, La mévente des colas;124, Le lalo; 125, Jeûne (lu Ramadan.

Sur le Niger, de Djenné à TomIbo·uctou126, Provisions de route; 127, Le Rônier (Borassus ae­

thiopum); 128, Transit à Couna; 129, Le sirop de Borgou(Echinochloa stagnina); 130, Borgoutières et transhumance;131, Haie de Célane (Euphorbia balsamifera); 132, Le Nénu­far bleu; 133, Les Touariks pasteurs et pillards; 134, A Cabra,port de Tombouctou; 135, Pain de froment; Tombouctou;136, La flore de Tombouctou; 137, Matériau de constructionet combustible; 138, Fourrages; 139, Culture de tabac.

121

Traversée du Sahara. o. o' o ••••••••••••••••• o ••••••••• o. • 130

140, Le viatique de l'amitié; Départ de Tombouctou le 4mai 1828; 141, Le TaIlla (Acacia raddiana); 142, Le Salva­dora persica; 143, Haltes diurnes; marches nocturnes; 144,Cordes ct nattes de Drinn (Aristida pllngens); 145, Départd'el Araouan; L'enfer du sel; 146, Les puits de Télig et lesmines de sel de Taoudéni; 147, Le chardon du désert: Agoulou Had?; 148, La première palmeraie-datteraie : les dattiersd'el Chcch; 149, Bonnes et mauvaises dattes; 150, Panifi­cation à el Harib; Départ d'el Harib; 151, Puisage de l'eau auKhottara (Chadouf); 152, Galette d'orge.

Le Moghreb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

Palmeraie d'el Drâ; 153, Le plat de couscous; 154, Les Ber­bi'res cultivateurs et petits nomades de Bohayara; 155, Juju-

Page 175: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

- 172-

biers et Tamaris; 15G, Le raisin et le pain; 157, Le pays duTafilalet; 158, Bouillie d'orge et dattes; 159, Hospitalité:noix et melon; 160, Le marché de Boheim; 1G1, Les jardinsmoghrébins, sieste sous un laurier-rose; lIi2, Passage dudattier il l'olivier; 16:~, Le Chêne-liège (Quercus suber);164, La garrigue de Séfrou; 165, Les vergers de Séfrou;166, Le man'hé de Fez; 167, Meknès; 168, Rabat; lfi9, Tanger.

IV. RENE CAILLIE

L'Homme et le Voyageur.............................. 153

170, La vic de R. C\lLLIÉ; 171, R. CAILLIÉ et la Botanique;172, Les circonstances du voyage; 173, Les rapports hu-mains; Madion Bakayoko; Souvenirs.

CARTE 166

BIBLIOGRAPHIE 1G7

Page 176: f' RENE (AILhIE - Institut de recherche pour le développementhorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/10231.pdf · vagisme, le Continent africain fut sillonné

IMP. MONNOYER LE MANS