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Secteur public
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FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012
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La frontière entre public et privé est de plus en plus ténue
P our Giuseppe Pagano, chef du Service de Finances
publiques et de Fiscalité au sein de la Faculté Wa-
rocqué de l’Université de Mons, le secteur public
gagne à s’inspirer du privé à la condition qu’on
accepte l’idée que le public puisse aussi lui apporter de bonnes
idées. « La question du rapprochement entre sphères privée et
publique revient souvent. Tout dépend surtout du type d’insti-
tutions à comparer. Ces deux secteurs sont, chacun, très diversi-
fi és. Je ne crois pas qu’on puisse gérer un S.P.F. (NDLR: la nouvelle
appellation des ministères) comme une entreprise, mais on peut
s’inspirer de méthodes issues du privé. Les méthodes de travail de
l’ONEM ou celles du S.P.F Justice, qui n’ont aucun caractère mar-
chand, sont diffi cilement comparables, tout comme le sont celles
d’une banque privée ou d’un site sidérurgique. Les législations qui
s’appliquent sont différentes, le droit administratif d’un côté et le
droit du travail de l’autre, mais public et privé partagent cepen-
dant de nombreux principes de gestion communs. »
Pour Alain Schoon, professeur à l’UCL, des analogies peuvent
être intéressantes si l’on prend garde à ne pas tout mélan-
ger. « Il y a à la fois des rapprochements et des divergences.
Lorsqu’on réalise une dépense publique, on va d’abord se poser
la question de sa légitimité, de son utilité. On vérifi e ensuite
son effi cacité et son effi cience – budget alloué/objectif fi xé. Ces
logiques peuvent aussi avoir un sens dans le monde privé. Toute
entreprise doit se poser la question de la valeur de ses produits
et connaître les besoins de ses clients. Elle bénéfi cie de l’infor-
mation émanant du marché, alors que le secteur public peut
s’inspirer de quasi-marchés. » De son côté, Giuseppe Pagano
insiste aussi sur la diversité des situations: « Bien sûr, il n’existe
pas deux entreprises identiques, deux secteurs totalement si-
milaires, ni deux institutions parfaitement symétriques. »
FINALITÉS DIFFÉRENTESDe plus en plus, entreprises et institutions publiques partagent
l’obligation de faire plus avec moins de moyens, même si leurs
temporalités et leurs objectifs sont différents. « Le premier
objectif pour une entreprise est d’être pérenne pour assurer sa
survie et sa rentabilité. Pour ce faire, elle doit dégager un surplus,
Il pourrait être tentant d’opérer des parallèles entre gestion publique et gestion privée. C’est ainsi qu’on entend de plus en plus souvent parler de S.A. Belgique, comme si le pays pouvait être géré comme une entreprise. Faut-il envisager un tel rapprochement et avec quels effets en matière de gestion fi nancière? Quelles synergies identifi er entre monde marchand et services aux citoyens? Tentative de réponse.
DOSSIER
TEXTE : FLORENCE THIBAUT
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explique Alain Schoon. Une institution publique va plutôt veiller
à obtenir un profi t et une rentabilité sociaux – qui équivalent
à une approche coûts versus bénéfi ces – et un supplément de
bien-être pour ses utilisateurs. Lors de la construction d’une au-
toroute, par exemple, les coûts peuvent être liés à un réduction
du nombre d’accidents, moins d’admissions dans les hôpitaux ou
encore moins de recours aux pompes funèbres. »
Soulagé de l’obligation de faire du profi t, le secteur non-
marchand ne peut pas pour autant ignorer les économies
d’échelle. Les principes de base de la comptabilité, qu’elle
soit publique ou privée, sont fondamentalement les mêmes.
« « Prenons l’exemple des communes qui sont légalement
obligées de tenir une comptabilité, illustre Giuseppe Pagano.
Les modes de comptabilisation sont les mêmes que dans une
entreprise, si ce n’est qu’une commune ne paie pas d’impôts
des sociétés et est donc moins tentée de masquer des résultats
trop bons. De la même façon que la trésorerie dans une a.s.b.l.
et dans une banque se ressemblent, même si les montants ne
sont pas les mêmes. Le principe de base est de gérer au mieux
les moyens dont on dispose. Une école, par exemple, va devoir
assurer la meilleure formation possible sur base des moyens
qu’elle peut mobiliser: bâtiments, matériel, recherches, etc. »
La gouvernance publique impose également une attention de
plus en plus fi ne aux budgets dépensés. « Bien sûr, les fi nalités
respectives ne sont pas les mêmes. Les institutions publiques
n’ont pas la pression de présenter un rapport positif à leurs ac-
tionnaires. Elles n’ont pas d’objectif de lucre, leur but est plutôt
de servir les citoyens. Elles se doivent de mettre en place une
gestion prudente. Dans les deux cas, il s’agit de gérer au mieux
des ressources par rapport à des missions », complète-t-il.
RECRUTER DES TALENTSPour Alain Schoon, la libéralisation d’entreprises autrefois
entièrement détenues par l’Etat a donné naissance à des mo-
dèles de gestion hybrides. « La gestion publique s’est assouplie
sous la pression de l’internationalisation et des nouvelles tech-
nologies. La RTT, par exemple, anciennement en situation de
monopole, s’est transformée en Belgacom suite à une directive
européenne « traduite » en loi belge 1991. On entre alors dans
une nouvelle logique: l’opérateur historique est confronté à
d’autres acteurs, même si, de par sa taille, il reste l’acteur le plus
important. Belgacom continue aujourd’hui à être majoritaire-
ment détenu par les pouvoirs publics, tout en déployant un
mode de gestion privé. Dans la plupart de ces entreprises nou-
vellement créées, on distingue en outre les fl ux des infrastruc-
tures. Belgacom est ainsi amené à louer son réseau à d’autres.
Un phénomène comparable est à l’œuvre dans le secteur de
l’énergie ou à la SNCB. »
Les deux mondes partagent aussi des préoccupations com-
munes en matière de gestion des ressources humaines:
guerre des talents, engagement et attractivité en tant qu’em-
ployeur sont des enjeux de part et d’autre. « Certains pro-
blèmes de gestion du personnel – recrutement, motivation, etc.
– sont similaires. Les objectifs d’amélioration de la productivité,
d’intégration ou de recrutement de profi ls à haute valeur ajou-
tée, sont présents dans le privé comme dans le public, observe
Giuseppe Pagano. Attirer des profi ls spécialisés est devenu un
des défi s prioritaires. Le contenu technique est allé croissant.
Le secteur public, par exemple, est devenu un gros consomma-
teur de juristes. Suite à la complexifi cation de sa gestion et aux
enjeux budgétaires actuels, le personnel public doit monter en
compétence. Je suis convaincu que la plupart des problèmes
rencontrés dans certaines communes ne sont pas liés qu’à de
la malhonnêteté, mais plutôt à des lacunes de compétences. »
Souvent vu comme pas très sexy, le secteur public doit redou-
bler d’efforts pour se montrer sous un jour plus dynamique.
Très souvent, les jeunes diplômés connaissent mal les métiers
qui y sont à l’œuvre. « Le premier réfl exe d’un jeune diplômé est
encore de se tourner vers le secteur privé. Dans notre faculté de
gestion, beaucoup de nos étudiants sont tentés par les Big Four
ou les multinationales, appuie-t-il. Il y a un attrait normal
Giuseppe Pagano: « Le secteur privé pourrait s’inspirer davantage de la longue tradition de contrôle budgétaire du secteur public. Les grandes banques, quand elles étaient privées, auraient pu apprendre des habitudes du public sur ce volet là. »
« La gestion publique s’est assouplie sous la pression de l’internationalisation et des nouvelles technologies. »
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pour l’entreprise privée et ses perspectives de carrière, de sa-
laires etc. Je constate que les possibilités d’évolution dans le pu-
blic sont souvent peu connues. Il y a, cependant, une tendance
actuelle de certains jeunes passés par le privé, qui se tournent
vers le public après quelques années, notamment séduits par la
stabilité de l’emploi et sa dimension d’utilité sociale. Le besoin
de rechercher du sens au travail commence à devenir un critère.
Il y a beaucoup à faire pour déconstruire les clichés de part et
d’autre. Beaucoup de jeunes se font des illusions sur la qualité
de la rémunération dans le privé…»
La génération qui arrive serait particulièrement sensible à
cet argument, notamment en Wallonie où le chômage est
fortement présent depuis 1974. Les plus de 35 ans ont ain-
si toujours connu un taux de chômage élevé. La carte de la
stabilité peut jouer dans la décision. « Il est certain qu’il y a
une méconnaissance des métiers publics, nos étudiants ont
parfois des ambitions peu réalistes, confi rme Alain Schoon. La
recherche de profi ls techniques est une course des deux côtés,
même si le secteur privé a plus de moyens pour y faire face. Le
secteur public s’est progressivement doté de nouvelles compé-
tences. Il a besoin de plus de profi ls spécialisés. Je défends une
administration plus fl exible, avec moins d’effectifs et des rému-
nérations à la hausse. »
SOURCES D’INSPIRATIONLes deux secteurs ont donc tout à gagner à s’inspirer de leurs
forces respectives. « Le secteur privé pourrait s’inspirer davan-
tage de la longue tradition de contrôle budgétaire du secteur
public, pointe Giuseppe Pagano. Les grandes banques, quand
elles étaient privées, auraient pu apprendre des habitudes du
public sur ce volet là. La Cour des Comptes, par exemple, est
un organe de contrôle particulièrement exigeant et rigoureux.
De la même façon que le souci du bien-être au travail est aus-
si plus répandu dans le public. L’université peut jouer un rôle
d’intermédiaire et encourager les échanges de part et d’autre.
Le Plan Marshall a notamment créé le terreau sur lesquelles des
synergies peuvent s’ancrer en Wallonie. »
Le public gagnerait aussi à observer les méthodes d’audit, de
contrôle, d’évaluation et de management appliquées dans les
entreprises. Au niveau de l’impact de la crise, il y a un certain
décalage public-privé. Il est encore trop tôt pour en mesurer
les effets directs dans la sphère publique. Les programmes
décidés sur plusieurs années n’ont pas encore subi de modifi -
cation de fond. « Le défi d’ici les 15 prochaines années ne sera
pas uniquement de gérer le vieillissement de la population,
mais surtout d’intégrer les populations exclues de l’enseigne-
ment dans nos systèmes scolaires, affi rme encore Giuseppe
Pagano. Nous allons avoir besoin de plus de croissance et de
productivité. Cela nécessitera une main d’œuvre de plus en plus
qualifi ée. Ce ne sera plus la bataille du charbon, mais bien de
l’éducation. On peut soit mieux utiliser les moyens existants,
soit en débloquer d’autres, mais ça doit être une priorité. »
Alain Schoon le rejoint en soulignant le rôle à jouer par l’uni-
versité qui doit former ses étudiants aux réalités du terrain
et stimuler l’envie d’entreprendre. Une frontière hermétique
entre public et privé n’a plus lieu d’être. « Cette distinction est
de plus en plus ténue et diffi cile à observer, conclut-il. Ceci peut
notamment s’expliquer par des raisons idéologiques: on estime
qu’il faut moins d’Etat. Certaines fonctions peuvent être me-
nées par des acteurs privés, etc. On encourage aussi de plus en
plus la collaboration privé-public, qui est déjà fortement pré-
sente dans les pays anglo-saxons. L’idée est bien de gagner en
effi cacité et de réduire les coûts. Coopération et compétition
sont deux moteurs sains. Le pays bénéfi cierait de plus d’ouver-
ture. Cela dit, il faut souligner que les fonctions régaliennes
doivent rester l’apanage de l’Etat. Leur objectif est avant tout
de se rapprocher de l’équité… »
Alain Schoon: « L’objectif pour une entreprise est d’être
pérenne et d’assurer sa rentabilité. Pour ce faire, elle doit
dégager un surplus. Une institution publique va plutôt
veiller à obtenir un profi t et une rentabilité sociaux et un
supplément de bien-être pour ses utilisateurs. »
« Suite à la complexifi cation de la gestion et aux enjeux
budgétaires, le personnel public doit monter en
compétence. »
DOSSIER
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A ssocié chez Ernst & Young Liège et respon-
sable pour la Wallonie, Philippe Pire est quoti-
diennement en contact avec le secteur public
wallon. Premier bureau de consultance à être
entièrement intégré, Ernst & Young a fait le pari de créer une
cellule transversale dédiée au secteur public pour rassembler
toute son expertise acquise sur le terrain. Basée à Bruxelles, elle
coordonne et centralise les différentes missions qui ont lieu au
sein d’institutions publiques et qui sont réalisées par les experts
des différentes disciplines du cabinet. De son côté, Olivier Pee-
ters est Deputy Head of Public Banking chez BNP Paribas Fortis.
Son département compte une quarantaine de collaborateurs et
vise les entités publiques au sens large. A présent détenue à 75%
par BNP Paribas et à 25% par l’Etat belge, la banque a fortement
évolué ces dernières années.
RÉALITÉS DIVERSESAvant toute chose, tous deux insistent sur la diversité des situa-
tions au sein du secteur public, comme c’est le cas dans le privé.
« Le secteur public est particulièrement diversifi é, une grosse ins-
titution publique qui brasse des millions d’euros, suit un business
plan et possède un plan décennal, a plus de points communs avec
une entreprise, qu’avec une petite commune, observe Olivier Pee-
ters. Les compétences des fi nanciers qui y travaillent sont assez
similaires, les responsabilités dans les administrations consé-
quentes sont semblables à celles des entreprises. »
Le secteur public doit être encore mieux géré que le privéLe rôle du CFO, qu’il travaille dans une institution publique ou pour une société privée, est devenu de plus en plus technique. La crise aidant, il doit veiller au cash fl ow de son organisation, tout en s’attachant à explorer des sources de fi nancement alternatives, les banques étant désormais plus sélectives en matière de fi nancement. Y compris vis à vis des entités publiques. Deux experts relèvent les défi s en cours et à venir pour les départements fi nanciers du secteur.
FISCALITÉ DOSSIER
TEXTE : FLORENCE THIBAUT
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« Quand on parle de secteur public, on peut à la fois faire réfé-
rence à l’Etat fédéral, à une région, à la Fédération Wallonie-
Bruxelles, aux OIP ou encore à un CPAS, complète Philippe Pire.
Les budgets et les activités y sont très différents. Le non-mar-
chand ne veut pas forcément dire qu’il n’y a pas d’argent en jeu,
les montants peuvent y être très importants. »
Parmi les principales différences entre secteur privé et sec-
teur public, il faut souligner la dimension politique liée à
toute initiative. Au niveau bancaire, la principale différence
a trait à la prise de risque, qui doit être proche de zéro pour
les institutions publiques. La gestion y est plus conservatrice.
« Les grandes entreprises tendent aussi à réduire leurs risques.
Les deux secteurs sont en train de se rejoindre à ce niveau-là.
Les produits fi nanciers et les outils que nous proposons sont
fondamentalement les mêmes dans les deux secteurs », note
Olivier Peeters.
GESTION EXEMPLAIRELe secteur public dans son ensemble se doit de montrer
l’exemple. « Même si la recherche du profit n’est pas l’objectif
majeur, le secteur public doit, à mes yeux, être encore mieux
géré que le secteur privé car chaque euro dépensé vient de
la communauté. Cela suppose une gestion exemplaire. Le
moindre écart est perçu comme étant plus choquant. De nom-
breux scandales concernent parfois des montants très faibles,
mais tout écart est perçu comme un manque d’éthique. Des
affaires comme les scandales survenus à Charleroi jettent le
discrédit sur tout le secteur, voire sur toute la Région. On ne
lui pardonne rien », insiste Philippe Pire.
La tendance est à la conscientisation et la concentration de
compétences. Pour se moderniser, la sphère publique devra
aussi soigner son image en tant qu’employeur. Si de nom-
breux CFO rencontrent des diffi cultés à recruter des profi ls
spécialisés, pour Philippe Pire, le code de la fonction publique
limite quelque peu leur marge de manœuvre. « La gestion du
personnel est un des grands problèmes que rencontre l’admi-
nistration. Le code de la fonction publique, qui prévoit, entre
autres, les modes de nomination et les barèmes salariaux,
cadenasse le recrutement et réduit les possibilités de pouvoir
rivaliser avec le secteur privé. Par exemple, de nombreuses ins-
titutions wallonnes ne parviennent pas à recruter et garder des
informaticiens. Certains responsables me confi ent avoir beau-
coup de diffi cultés à licencier des collaborateurs qui constituent
parfois des poids morts pour le reste des équipes. »
Une chose est sûre, le secteur bancaire est devenu plus pru-
dent, il lui arrive de devoir refuser certains projets, privés
comme publics. « Nous sommes peut-être devenus plus sélec-
tifs envers certains projets d’investissement, mais le crédit n’est
certainement pas rationné. Nous continuons à bien soutenir
l’économie et le plan d’adaptation de BNP Paribas Fortis à
Olivier Peeters: « Ces organisations vont devoir travailler avec leur partenaire bancaire pour autre chose que du crédit et envisager la relation de manière glo-bale. Notre rôle n’est pas de juger la qua-lité d’un projet: nous devons déterminer s’il est économiquement viable. »
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ce nouvel environnement a été conçu de manière à ce qu’il n’y
ait pas de credit crunch, à ce que nous continuions à soutenir
les entreprises privées ou publiques ainsi que les particuliers »,
insiste Olivier Peeters.
Le marché bancaire évolue, le secteur public doit suivre le
mouvement et ne plus compter sur un fi nancement illimi-
té. « Maintenant, le contexte actuel doit encourager les insti-
tutions publiques à étendre leurs champs d’horizon en termes
de fi nancement via des formes de crédits autres que le crédit
bancaire classique. Nous sommes bien évidemment dispo-
nibles pour amener les entités publiques qui le souhaitent vers
ces solutions alternatives de fi nancement », défend-t-il encore.
SYNERGIES BANCAIRESLes banques ne peuvent plus accepter tout ce qu’elles accep-
taient par le passé, à savoir des cahiers de charge très exi-
geants, des délais pour se rétracter trop élevés ou de ne pas
avoir d’informations suffi santes sur l’utilité d’un emprunt.
Elles s’accordent pour faire progresser leur secteur. « Nous
avons besoin de savoir ce que l’on fi nance. Bien sûr, notre rôle
n’est pas de juger la qualité d’un projet, mais nous devons
déterminer s’il est économiquement viable. Avant les banques
collaboraient peu ensemble, nous avons pris conscience de l’im-
portance de créer des synergies », poursuit-il.
« Je constate que l’obligation de réduire ses coûts est bien
ancrée dans les esprits et ce, dans tous les secteurs, confi rme
Philippe Pire. La grande majorité des Etats sont surendettés,
tout le monde a conscience de la rigueur nécessaire. Les bud-
gets sont plus diffi ciles à obtenir, dans le public, comme dans le
privé. La manne fi nancière se réduit, c’est une certitude. Tout ce
qui n’est pas prioritaire sera postposé. »
Les institutions publiques ne sont pas toutes égales face aux
enjeux du fi nancement. Une région, qui constitue presque
une marque, sera plus facilement écoutée par les investis-
seurs internationaux qu’une petite commune. « Certains
acteurs ne se lanceront jamais sur les marchés des capitaux,
pointe Olivier Peeters. Ils n’en ont pas la stature, ni même les
besoins et les compétences nécessaires dans certains cas. Les
investisseurs apprécient de connaître un acteur et sa réputa-
tion pour réinvestir. »
Lors d’un audit financier, les standards de qualité que nous
utilisons sont les mêmes, que cet audit soit réalisé dans
une entreprise privée ou dans une entreprise publique.
Aujourd’hui, la toute grande majorité des institutions pu-
bliques fait l’objet d’un audit. Néanmoins, certaines institu-
tions y échappent encore, comme les communes, les CPAS
ou les provinces par exemple.
CRITÈRES DE QUALITÉ « Nos manières de travailler et nos exigences sont les mêmes
que l’on travaille pour une banque ou pour un OIP, même si
nous gardons à l’esprit que leurs objectifs sont différents, sou-
tient Philippe Pire. Il n’y a pas de divergence fondamentale
dans les exigences de part et d’autre. L’approche comptable
en vigueur dans le secteur public est encore essentiellement
budgétaire, du moins dans certaines institutions. L’objectif
central est de rester dans le cadre du budget. On utilise moins
les règles de provisions ou de prorata comme c’est le cas dans
le privé. » Si, dans le privé, les normes comptables IFRS sont
devenues une réalité pour les plus grandes sociétés, un pro-
jet s’intéresse à l’application des normes IPSAS, rapprochant
encore un peu plus gestion privée et publique.
« Depuis environ cinq ans, je remarque beaucoup de remise en
question au sein du secteur public, cette tendance s’est intensi-
fi ée au cours des derniers mois, affi rme Olivier Peeters. On sent
une nouvelle énergie. » Malgré les efforts entrepris, le secteur
public va encore devoir continuer à faire des efforts en ma-
tière de visibilité et d’image. « Contrairement au secteur privé
qui jouit d’un certain prestige auprès des jeunes candidats, le
secteur public souffre d’un défi cit d’image. Le rôle de fonction-
naire est souvent dévalorisé, c’est pourtant un des rouages es-
sentiel d’un pays, conclut Philippe Pire. L’administration a fait
des efforts considérables en matière d’effi cacité et de service
aux citoyens depuis une dizaine d’années. Contrairement à la
France, nous n’avons pas d’école totalement dédiée à la gestion
publique, c’est une piste à creuser. »
Philippe Pire: « L’approche comptable en vigueur dans le secteur public est encore essentiellement budgétaire, du moins dans cer-taines institutions. L’objectif central est de rester dans le cadre du budget. On utilise moins les règles de provisions ou de prorata comme c’est le cas dans le privé. »
« Chaque euro dépensé vient de la communauté, cela suppose une gestion
exemplaire. »
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Le futur ne sera pas simple pour le secteur public
P récurseur dans le secteur public, il ambitionne
de contribuer à un nouveau monde du travail.
Depuis son déménagement, les ressources hu-
maines ont permis à la plupart de leurs quelques
1.300 collaborateurs de travailler à distance entre un et trois
jours par semaine, réduisant ainsi le nombre de bureaux et l’es-
pace nécessaire. Chacun s’installe où il veut, l’espace est ouvert
et veut encourager les réunions et le partage des tâches.
Le S.P.F Sécurité Sociale a pour missions principales de
mettre une offre de services sociaux de qualité à dispo-
sition des citoyens, d’en assurer la coordination et l’appui
stratégique, ainsi que de lutter contre la fraude sociale. Il
s’organise en six directions: appui stratégique, inspection
sociale, personnes handicapées, politique sociale, indépen-
dants et victimes de la guerre. Celles-ci sont soutenues par
cinq services de support: budget & contrôle de gestion, ICT,
logistique, personnel & organisation et services au Prési-
dent. Hormis le paiement des indemnités aux citoyens
handicapés ou aux victimes de guerre, ce n’est pas lui qui
verse les allocations aux chômeurs. Son rôle n’est pas non
plus de gérer les allocations familiales, ni le rembourse-
ment des soins de santé. Représentant la sécurité sociale
belge à l’étranger, le S.P.F est le garant de notre modèle
de protection sociale, il joue aussi le rôle d’interface entre
l’Etat et les parastataux comme l’Inami ou l’ONSS. Il contri-
bue activement à l’élaboration, la préparation et l’évalua-
tion des politiques sociales.
GARDIENS DU BUDGETPour encadrer sa gestion fi nancière au quotidien, une ving-
taine de personnes travaillent au service Budget & Contrôle
de gestion. Elles sont rejointes dans leurs tâches par les
correspondants budgétaires répartis dans tous les services.
« Dans chaque service, nous avons une ou deux personnes
relais qui sont nos interlocuteurs en matière de gestion fi nan-
cière, explique Renaat Schrooten, directeur du département
depuis 2010. Nous entretenons une sorte de réseau fi nancier
au sein de l’organisation. Cette quarantaine de personnes se
réunit au minimum six fois par an pour discuter des objectifs
globaux. Dans les faits, nous nous rencontrons dès qu’on pro-
blème ou une urgence se pose. Mon équipe est en communica-
tion continue avec les autres services. »
Les responsabilités du service Budget & Contrôle de ges-
tion s’articulent autour de plusieurs piliers. La coordination
et la rédaction du budget annuel constitue le premier volet.
« C’est notre mission la plus importante. Chaque année, l’exer-
cice prend un peu plus de temps. Aujourd’hui, nous vivons des
temps diffi ciles au niveau budgétaire: nous devons donc redou-
bler d’efforts. Outre le budget, notre administration fi nancière
est assez classique, nous analysons les activités de chaque ser-
En 2007, sous la présidence de Franck Van Massenhove, le S.P.F Sécurité Sociale déménageait vers la Tour des Finances. Il occupe à présent six étages du bâtiment et en a profi té pour considérablement réduire ses frais de fonctionnement. Souvent cité en exemple pour son organisation fl exible, le S.P.F a modernisé ses méthodes de travail en profondeur.
FISCALITÉ DOSSIER
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vice tous les mois », confi e-t-il. Les deux autres piliers sont la
gestion fi nancière quotidienne et le contrôle de gestion, ce
dernier volet étant amené à croître dans les années à venir.
CALENDRIER BUDGÉTAIREMembre d’un projet fédéral visant à implémenter SAP dans
toute l’administration publique, le S.P.F. a fait partie du deu-
xième groupe d’institutions à se lancer dans l’exercice. « 2010
a été une année de transition, explique Renaat Schrooten. Ce
projet SAP nous a permis de repenser nos processus et d’analy-
ser nos systèmes de contrôle interne. Nous sommes dans une
phase de continuité. Le pôle qui sera le plus amené à grandir
sera le contrôle de gestion, soit tout ce qui concerne l’assistance
des services, l’amélioration de nos activités et la modernisation
de nos processus pour gagner en effi cacité. »
Travail de longue haleine, une première proposition de bud-
get est écrite au mois de mai. Pour le rédiger, son service orga-
nise des réunions bilatérales avec tous les services concernés.
Suite aux conclusions obtenues, cette première proposition
de budget est créée et soumise au comité de direction char-
gé de l’approuver. Après son accord, ce premier budget est
envoyé au S.P.F. Budget et Contrôle de gestion, qui travaille
pour le Ministre du Budget. Le document doit s’aligner avec
ceux des autres S.P.F. Fin septembre, le Conseil des Ministres
tranche et approuve les différents budgets. Il revient alors au
Parlement de donner l’approbation fi nale.
En février-mars, il s’agit de l’étape du contrôle budgétaire.
Au cours du mois d’avril, une première circulaire émanant
du S.P.F. Budget et Contrôle de gestion est envoyée à tous les
autres S.P.F. avec des directives et des objectifs communs, ce
document servira de base de travail à la rédaction du prochain
budget. « Réaliser un budget suppose beaucoup de négociations
et de monitoring de notre côté. Nous sommes chaque jour en
contact avec le S.P.F. qui détermine le budget. Il coordonne égale-
ment le projet SAP depuis 2010. Il nous aide pour des questions
techniques ou de gestion des fl ows d’informations. »
SYNERGIES FÉDÉRALESEn 2010, le S.P.F. Sécurité Sociale adopte aussi un nouveau
système de comptabilité en partie double et analytique, plus
proche de ce qui se fait dans les entreprises. « Les outils et les
processus sont fondamentalement les mêmes, même si les envi-
ronnements et les temporalités sont différents. Bien sûr, nous
n’avons pas d’objectif de profi t, mais nous devons faire de plus en
plus d’économies d’échelle et d’efforts budgétaire. D’ici cinq ans, de
nouvelles économies sont à prévoir », ajoute Renaat Schrooten.
Au cours du mois de mars, le S.P.F. a ainsi conclu le plus grand
exercice de réduction budgétaire de son histoire. Il s’est enga-
gé à réduire ses coûts de fonctionnement de 7%, un an plus
tôt que ce que le gouvernement avait exigé. Si le service Bud-
get & Contrôle de gestion est encadré par le S.P.F. correspon-
dant, il possède cependant une certaine latitude. « Un Arrêté
Royal de 2007 fi xe les outils à utiliser et constitue notre base
légale en matière de contrôle interne. Nous avons le projet de
nous aligner à la méthode COSO, un modèle importé du secteur
privé, explique-t-il. L’exercice demandera un certain change-
ment de culture, cela prendra un certain temps pour qu’il soit
intégré dans les processus de chaque S.P.F. »
Issu du secteur privé et ancien journaliste spécialisé dans
le secteur public, Renaat Schrooten, considère que créer
des synergies entre les institutions publiques est essentiel.
« Nous partageons des ambitions et des diffi cultés communes.
Il est déterminant de créer des ponts entre les organisations,
de connaître ses confrères et leurs méthodes. Je suis convaincu
que ces initiatives seront encore plus nombreuses dans le futur
», affi rme-t-il. Outre le Collège des présidents qui rassemble
tous les président des différents S.P.F., les directeurs fi nanciers
se rencontrent également une fois par mois dans le cadre du
Forum des directeurs organisé par le S.P.F. Budget et Contrôle
de gestion. Ils partagent alors best practices et sources d’ins-
piration. Un projet interne de Knowledge Centrer spécialisé
dans le contrôle de gestion et accessible à tous les services
du S.P.F. Sécurité Sociale est également en cours de réfl exion
pour faciliter l’échange de connaissances. « Beaucoup de défi s
attendent le secteur public, le futur ne sera pas simple. Il est
d’autant plus intéressant de créer des synergies entre les ac-
teurs du public », conclut-il.
Renaat Schrooten: « Le pôle qui sera le plus amené à grandir sera le contrôle de gestion, soit tout ce qui concerne l’assistance des services, l’amélioration de nos activités et la modernisation de nos processus pour gagner en effi cacité. »
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F ondé en 1923 à Laeken, le Centre Hospitalier Uni-
versitaire Brugmann (CHUB) se divise en plusieurs
campus: les sites Victor Horta à Laeken, Paul Brien
à Schaerbeek et Reine Astrid à l’Hôpital Militaire
de Neder-over-Hembeek. Au cœur de la ville, il possède une capa-
cité de 850 lits et emploie quelque 3.000 collaborateurs. Ceux-ci
incarnent une centaine de métiers: médecins, infi rmiers, tech-
nologues, informaticiens… Membre du réseau public IRIS créé en
1996, le CHUB a une longue tradition d’enseignement. Il forme
en ce moment une centaine de médecins stagiaires.
« Un hôpital universitaire est souvent exportateur de talents,
cela fait partie de nos missions, même si notre raison d’être est
d’abord de soigner les patients et de leur assurer la meilleure
prise en charge qu’il soit, souligne Patrick Dominé, son directeur
fi nancier depuis 2008. Un hôpital public a un rôle de neutralité
à jouer face à des questions éthiques ou religieuses. A mes yeux,
c’est aussi le dernier lieu de recours pour les laissés pour compte
de la société. » En offrant aux citoyens des soins de qualité ac-
cessibles à tous, l’hôpital public joue un rôle social avéré.
« Une autre particularité des hôpitaux publics est certainement
aussi le fait que son défi cit est à charge de sa commune de réfé-
rence. Nous avons une obligation de résultats et de qualité :
nous devons gérer les deniers publics en bons pères de famille
afi n de ne pas grever les fi nances de nos communes. Nous ren-
dons chaque année des comptes aux pouvoirs publics. Dans le
réseau privé, les exigences des actionnaires en matière de ren-
tabilité peuvent différer, mais nos missions de base – soigner
les patients – demeurent identiques dans tous les hôpitaux. »
DENIERS PUBLICSLe conseil d’administration du CHUB est composé aux deux
tiers de représentants de la ville de Bruxelles et de son CPAS,
ainsi que d’un tiers de représentants de la commune de
Schaerbeek et de son CPAS. A la tête du département fi nan-
cier, Patrick Dominé encadre septante agents. Précédemment
directeur opérationnel des services fi nanciers des hôpitaux
IRIS-Sud, il a démarré sa carrière au CPAS de Bruxelles après
une licence en sciences commerciales et fi nancières. Passion-
né par le monde hospitalier, il a dû faire face à une situation
économique diffi cile à son arrivée en 2008 au CHU Brugmann.
En 2006, le défi cit était de 14 millions d’euros. Un plan de re-
dressement lancé en 2007 a permis de retrouver l’équilibre en
2011, selon les dernières prévisions fi nancières. Aujourd’hui,
le chiffre d’affaires avoisine les 230 millions d’euros.
Un CFO doit sortir des sentiers battus
FISCALITÉ DOSSIER
TEXTE : FLORENCE THIBAUT – PHOTOS : TH. STRICKAERT
Le secteur hospitalier belge compte une centaine d’hôpitaux généraux, dont quinze à Bruxelles, privés comme publics. Quel que soit leur statut, tous les établissements hospitaliers bénéfi cient de fonds publics et sont actifs dans le secteur non marchand. La différence entre ces catégories est assez mince et a surtout trait à l’obligation des hôpitaux publics de soigner tout type de patients, y compris ceux qui sont insolvables ou en diffi culté, non seulement médicale mais aussi sociale.
FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012
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Pour Patrick Dominé ce retour à l’équilibre résulte d’efforts
collectifs. « Certains services restent défi citaires et le seront
probablement encore dans vingt ans. Une solidarité fi nancière
est nécessaire entre tous nos services médicaux. Certaines pra-
tiques sont parfois peu rentables ou nécessitent des équipe-
ments et des technologies onéreuses, mais nous nous devons
de les proposer afi n d’offrir une médecine de pointe et de qua-
lité accessible à tous. Trois représentants des médecins font
partie de notre conseil d’administration, c’est essentiel pour
rester en lien avec notre métier premier. Le Comité de Direction
est également présent à chaque conseil d’administration. Nous
avons mis en place une gouvernance rigoureuse fondée sur des
reporting et des prévisions de résultats trimestriels. »
COMMUNICATIONS CHIFFRÉESLe CHUB a deux sources de financement principales: les
honoraires fixés par les règles de tarification de l’INAMI et
versés par les mutuelles et par les patients, et le budget des
moyens financiers (BMF) qui, lui, est déterminé par le S.P.F.
Santé Publique. C’est le conseil d’administration du CHUB
qui valide son budget. « Dans ce domaine-là, il y a peu de dif-
férences entre les hôpitaux privés et publics et donc le métier
de CFO reste identique que l’hôpital soit privé ou public. La
plupart des patients reçoivent une intervention de leur mu-
tuelle. D’autres sont aidés par les CPAS et pris en charge essen-
tiellement dans les hôpitaux publics. La tarification INAMI est
un pôle très important des activités de mon département »,
poursuit Patrick Dominé.
Lors d’un projet de construction à Bruxelles, chaque insti-
tution hospitalière peut, sous certaines conditions strictes,
recevoir des subsides de la Cocom. Ces subsides impactent
le fi nancement du SPF SP tel un carcan fi nancier. Un des rôles
du directeur fi nancier est donc de garder un œil sur toutes
ces sources de fi nancement, de s’assurer du respect des bud-
gets dont ceux de la construction et, éventuellement, de trou-
ver de nouveaux fi nancements dans la mesure du possible.
Toutes ces matières demandent une surveillance régulière
de la législation et beaucoup de créativité. Une cellule de
contrôle fi nancier composée de quatre jeunes profession-
nels se charge du contrôle de gestion, du suivi du BMF et du
contrôle interne fi nancier. « Les techniques de fi nancement
des hôpitaux sont particulières. Suivre toutes les réglementa-
tions constitue un vrai labyrinthe. Pour avancer, il faut pouvoir
prendre du recul et faire abstraction des contraintes pour se
concentrer sur l’objectif fi nal. »
Parmi les défis du poste de directeur financier dans un hô-
pital, la gestion des communications financières figure en
bonne position. Patrick Dominé, qui compile et présente
les rapports au conseil d’administration, explique: « Notre
communication interne et externe est mûrement réfléchie.
Nous présentons au minimum une fois par an nos résultats et
perspectives d’évolution à nos différents partenaires. Pour
Patrick Dominé: « Très souvent, le CFO doit pouvoir dé-
passer son réfl exe naturel de se focaliser sur les chiffres
et être capable d’examiner dans son ensemble la qualité
d’un projet novateur ou d’extension. »
FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012
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cela, nous faisons un travail d’analyse, de vérification et de
vulgarisation conséquent. Suivant nos interlocuteurs, nous
adaptons notre communication pour rester clairs et didac-
tiques. Notre reporting existant est également très exigeant,
l’élaboration du budget est une période assez stressante. En
tant que responsable des comptes, des reportings et des bud-
gets, je veille à intégrer les changements potentiels à venir et,
surtout, ne rien oublier, en évitant les erreurs comptables ou
budgétaires. Une erreur d’un pourcent sur le budget de l’hô-
pital, représente un trou budgétaire de 2,5 millions d’euros.
Cela demande une attention renforcée pendant les périodes
de budget. Il faut parfois pouvoir se montrer créatif face à
l’environnement incertain et très mouvant des soins de santé.
Mes meilleures idées me viennent souvent en dehors de l’hô-
pital, loin du rythme stressant de la journée. C’est un métier
passionnant où il faut en permanence remettre ses connais-
sances en questions. En interaction constante avec les méde-
cins, il s’agit de savoir de quoi on parle. Cette connaissance du
terrain est indispensable. »
Gérer la tarifi cation et la facturation, appelées dans le jar-
gon hospitalier le ‘haut fourneau de l’hôpital’, requiert aussi
beaucoup d’efforts et de vigilance. « Connaître la nomencla-
ture INAMI spécifi que aux différents secteurs médicaux est une
des bases du métier de la Tarifi cation. Maîtriser ces rouages ne
s’improvise pas et ne vient pas du jour au lendemain. Notre rôle
est aussi d’optimiser la qualité et l’exhaustivité des données et
des fl ux de tarifi cation pour obtenir le meilleur fi nancement
possible », complète Patrick Dominé.
CONTRÔLES PUBLICSDes inspecteurs de la Santé publique sont amenés à vérifier
les comptes et données d’activité de l’hôpital à périodicité
variable. En général, les 2 enjeux majeurs de ces inspections
sont le calcul du BMF, fixé chaque 1er juillet, et les révisions
de celui-ci. Le CHU est informé peu de temps à l’avance. Sou-
vent, il ne dispose que d’un mois pour vérifier les résultats
des révisions du BMF d’exercices antérieurs. Il doit donc être
réactif et rassembler dans les meilleurs délais tous les élé-
ments probants: factures d’investissements, charges de per-
sonnel, effectifs présents, données d’activités…
« L’enjeux peut être de quatre ou cinq millions d’euros lors de ces
révisions. C’est un défi , surtout si le contrôle tombe en pleine éla-
boration du budget. Pour être sûrs de nos dossiers, nous vérifi ons
tout en double et nous comparons nos analyses et remarques,
c’est un vrai travail d’équipe », précise-t-il encore. Pour répondre
à ces défi s, un bon CFO doit être disponible pour ses équipes.
« Je pense que ce qui fait un bon CFO lors de ces périodes de
stress, c’est sa capacité à répondre présent au bon moment, ainsi
que son expertise. Sans oublier, son investissement tout au long
de l’année pour former ses collaborateurs. Je m’inscris en faux
par rapport à la conception statique du métier de CFO parfois
vu comme un notaire », achève Patrick Dominé.
« Il lui faut maîtriser techniquement son sujet s’il veut être
respecté en interne comme en externe. Il doit également sor-
tir des sentiers battus pour trouver des fonds, ne pas s’arrêter
aux chiffres, et faire preuve d’ouverture d’esprit lorsqu’on lui
présente des projets. Très souvent, le CFO doit pouvoir dépas-
ser son réflexe naturel de se focaliser sur les chiffres et être
capable d’examiner dans son ensemble la qualité d’un pro-
jet novateur ou d’extension. Un hôpital qui ne prend pas de
risques pour acquérir de nouvelles techniques médicales peut
rater un développement, perdre son attractivité d’hôpital
universitaire, ainsi qu’une partie de son rôle d’hôpital public
offrant une médecine de qualité à tous. »
« Ce qui fait un bon CFO en période de stress, c’est sa capacité à répondre pré-
sent au bon moment ».
FISCALITÉ DOSSIER
Patrick Dominé: « Les techniques de fi nancement des hôpitaux sont particulières. Suivre toutes les réglementations constitue un vrai labyrinthe. Pour avancer, il faut pouvoir prendre du recul et faire abs-traction des contraintes pour se concentrer sur l’objectif fi nal. »
FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012
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F ondé le 27 juillet 1935 par arrêté royal, l’Offi ce
national de placement et de chômage, ancêtre de
l’ONEM, a connu les débuts de la solidarité orga-
nisée dans la mouvance des premiers Bureaux
de Bienfaisance, les actuels CPAS. Organisme public de sécurité
sociale, il a vu ses missions évoluer au fi l du temps pour donner
naissance à l’Offi ce national de l’Emploi en 1961, plus en ligne
avec les réalités économiques du terrain. Chargé par l’Etat de
gérer l’assurance chômage et certaines mesures fédérales pour
l’emploi, l’Offi ce s’occupe aujourd’hui de six piliers: la prévention,
les allocations, la réinsertion et l’insertion, la conciliation de la vie
privée avec la vie professionnelle, l’information et le contrôle.
Amené à réduire ses frais de fonctionnement dans les mois à
venir à l’instar des autres institutions publiques, l’ONEM tra-
vaille avec un budget de 12 milliards d’euros, dont 11,7 sont
alloués à l’exécution de ses missions, le 0,3 milliard d’euros
restant concerne ses frais de fonctionnement. Si l’institution
fait état d’une baisse du chômage dans son rapport annuel,
les défi s qui l’attendent ne manquent pas. En effet, le nombre
de chômeurs complets indemnisés et de prépensionnés
s’élève toujours à 661.000. L’ONEM devra ainsi faire face à
un volume de travail important, sans doute avec moins de
moyens pour y répondre.
RÉSEAU POUR L’EMPLOIInstitution publique décentralisée, l’ONEM se compose d’une
administration centrale basée dans le centre de Bruxelles et
d’une trentaine de bureaux locaux répartis sur tout le terri-
toire belge. Les trente directeurs locaux et la direction cen-
trale se réunissent mensuellement pour débattre de la bonne
exécution des missions à l’aide de tableaux de bord partagés,
ainsi que de différents dossiers réclamant plus d’attention.
Les activités de ces bureaux sont suivies mensuellement. Ils
ont ainsi l’occasion de partager leurs diffi cultés et de faire
jouer la solidarité entre les équipes.
En tout, l’institution compte quelques 4.000 agents (sans
compter le personnel auxiliaire) dont 25% sont de niveaux A
et B (études universitaires et supérieures), et 75% de niveaux
C (avec un diplôme d’études secondaires) et D (sans diplôme
d’études secondaires supérieures). Les métiers de niveau A et
B les plus représentés sont les gradués en sciences sociales,
juristes, économistes et comptables. L’organisation de l’ad-
Une institution publique se doit de poursuivre l’intérêt généralLa sphère des organisations publiques n’est pas épargnée par les réductions budgétaires. Tout comme dans le privé, performance et effi cacité sont devenues des maîtres-mots, avec le défi supplémentaire de les associer à une fi nalité sociale. Partage d’expérience avec l’ONEM.
FISCALITÉ DOSSIER
TEXTE : FLORENCE THIBAUT – PHOTO : ONEM
FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012
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ministration centrale se divise en quatre directions générales:
personnel et organisation; réglementations et contentieux;
fi nances et statistiques et support.
« Notre ambition est d’à la fois permettre une protection so-
ciale lors de transitions sur le marché du travail, d’être un par-
tenaire solide d’une politique de l’emploi inclusive, mais égale-
ment d’être un point de référence en matière de bonne gestion
et d’orientation, souligne Georges Carlens, administrateur
général de l’ONEM depuis octobre 2009. Il faut savoir que
toutes nos activités sont suivies et monitorées: notre système
de reporting mensuel est très pointu. 95% des rapports sont
générés automatiquement, ils constituent une base de travail
lors de nos réunions. C’est une discipline que chaque bureau a
désormais intégrée. »
Entièrement responsable des interruptions de carrière et des
crédits-temps, l’institution n’hésite pas à faire appel à diffé-
rents partenaires pour ses autres missions. Elle travaille ainsi
étroitement avec les quatre organismes de paiement des
allocations qui reçoivent les fonds nécessaires de sa part. Les
paiements effectués sont ensuite vérifi és par ses différents
bureaux de chômage. L’ONEM collabore également avec les
sociétés émettrices des titres-services et des chèques ALE et
les agences locales pour l’emploi.
CONTRAT DE GESTION Pour mener à bien toutes ses tâches, l’organisation dispose
d’un contrat d’administration conclu avec l’Etat qui comprend
des droits et devoirs réciproques. Un des points importants
de ce document concerne les attentes de l’Etat par rapport
à l’ONEM quant à l’utilisation des moyens qui lui sont accor-
dés. « Contrairement à une entreprise privée qui a pour objectif
principal de maximiser son profi t, une institution publique se
doit de poursuivre l’intérêt général, rappelle-t-il. Il nous faut
veiller à ce que chaque citoyen ait les mêmes droits et obliga-
tions en matière de revenus de remplacement ou d’emploi. Les
moyens sont rares. Nous devons les affecter de la manière la
plus optimale possible lors de l’exécution de nos missions. »
Chaque année, l’ONEM rédige ainsi un plan d’administration
très précis, reprenant la manière dont l’institution exécutera
à court terme les engagements inscrits dans ce contrat d’ad-
ministration. Le texte met particulièrement l’accent sur les
actions et les projets mis en œuvre pour atteindre les objec-
tifs visés, ainsi que sur les indicateurs utilisés pour mesurer
les résultats et les moyens affectés par l’ONEM. Parmi les
avantages de disposer d’un tel contrat, Georges Carlens sou-
ligne une plus grande transparence et une clarté des engage-
ments pris par son institution.
« Un autre avantage, c’est que les crédits d’investissement non
utilisés peuvent être transférés au budget de l’année suivante
si nécessaire pour exécuter le plan d’investissement. Ce contrat
comprend 97 engagements précis et mesurables que nous
devons respecter. Ce sont des défi s quotidiens: nous devons
constamment réfl échir à des pistes d’amélioration et d’auto-
matisation. Chacune de nos procédures est associée à un coût.
Nous avons calculé combien coûte un contrôle ou de délivrer une
attestation afi n de les optimiser… » Pour gagner en effi cacité,
l’institution veille aussi à avoir une infrastructure informatique
la plus fi able et stable possible. Il lui faut en effet gérer une
base de données de plus de 2.500.000 allocataires sociaux.
GESTIONNAIRE TRANSPARENTLa direction « Services fi nanciers » de l’ONEM emploie 82
agents, dont 17 de niveau A, 28 de niveau B, 30 de niveau C
et 7 de niveau D. Parmi ceux-ci, on compte outre le personnel
de cadre (conseillers, chefs de service et chefs de groupe), des
économistes, des comptables ainsi que du personnel admi-
nistratif exécutant. Ces agents sont recrutés avec l’aide du
Selor. La direction s’organise en deux sections: « missions »
et « gestion ». De manière assez classique, son rôle est avant
tout d’assurer la gestion fi nancière de l’ONEM et d’optimiser
la gestion de ses fl ux fi nanciers vers ses partenaires.
Son rôle peut être déconstruit en sept grands domaines d’ac-
tivité: la rédaction, le suivi du budget et les prévisions de tré-
sorerie; l’exécution des paiements comme les crédits-temps
et les interruptions de carrière; la comptabilité et le calcul
du prix de revient; la redistribution des allocations sociales
et des frais d’administration aux organismes de paiement; le
contrôle comptable des organismes de paiement et des ALE;
FISCALITÉ DOSSIER
Georges Carlens: « Nous sommes très fi ers d’avoir pu mettre en œuvre la plupart des mesures de crise de manière uniforme tout en respectant les moyens mis à notre disposition, ainsi que d’avoir contribué à soutenir plusieurs dispositifs impor-tants du marché du travail. »
FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012
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le contrôle de ses propres dépenses de fonctionnement via
un contrôle interne du paiement des salaires et des bons de
commande; et enfi n le reporting, qu’il s’agisse de rapports
obligatoires ou complémentaires.
« Nous souhaitons être un exemple en étant un gestionnaire
transparent, particulièrement minutieux et strict, poursuit
Georges Carlens. Pour ce faire, nous veillons à l’optimisation
des fl ux fi nanciers qui proviennent et vont dans nos institu-
tions partenaires, et à l’amélioration des applications comp-
tables actuelles. Nous sommes également encouragés à accé-
lérer les réductions de nos frais de fonctionnement. En 2012,
nous devrons encore réduire ces coûts de 3% sur notre budget
total, soit une économie de 9 millions d’euros. »
RÉFORMES MAJEURES Depuis son entrée en fonction en décembre 2011, le gouver-
nement « papillon » a planifi é des réformes majeures, sur les
plans institutionnel et socio-économique. Certaines des me-
sures prévues auront un impact sur les activités quotidiennes
de l’ONEM. La dégressivité des allocations de chômage, par
exemple, risque de complexifi er son travail. Sur le plan ins-
titutionnel, certaines de ses compétences seront progres-
sivement transférées aux régions, même si les modalitéset
le timing n’ont pas encore été dévoilés. Certaines matières,
comme le contrôle de la disponibilité, les mesures d’activa-
tion, les titres-services ou les agences locales pour l’emploi
seront donc progressivement détachées de l’ONEM, ce qui
demandera un travail de préparation conséquent. Ces trans-
ferts devront permettre aux régions de mener leur propre po-
litique dans ces matières en répondant mieux aux spécifi cités
locales de leur marché du travail.
« D’autres mesures socio-économiques prendront également
effet d’ici la fi n 2012. Elles auront notamment trait aux allo-
cations d’attente, devenues allocations d’insertion, à la dégres-
sivité des allocations de chômage, l’accompagnement et le
suivi des chômeurs, les prépensions, l’interruption de carrière
et le crédit-temps. Il s’agit ici de réformes structurelles qui vont
dans le sens des recommandations internationales et qui im-
pacteront aussi notre travail », note encore l’administrateur
général, ajoutant que les perspectives de croissance sont peu
réjouissantes pour 2012.
DÉFI DE GOUVERNANCEEn 2011, l’ONEM a réussi à respecter les 97 engagements
prescrits dans son contrat d’administration, et ce, malgré un
volume de travail élevé, notamment grâce à l’engagement
sans faille de son personnel. « C’est une garantie d’un ser-
vice de qualité, ce dont témoignent également les résultats
des enquêtes de satisfaction menées auprès de nos clients,
poursuit Georges Carlens. Nous sommes très fiers d’avoir pu
mettre en œuvre la plupart des mesures de crise de manière
uniforme tout en respectant les moyens mis à notre dispo-
sition, ainsi que d’avoir contribué à soutenir plusieurs dis-
positifs importants du marché du travail qui ont permis à la
Belgique d’être un bon élève au niveau européen en matière
d’emploi et de chômage. »
Afi n de réduire ses frais de fonctionnement, l’institution avait
déjà diminué l’effectif de son personnel de 6% lors des deux
dernières années. « L’année passée, nous avons aussi poursuivi
nos investissements dans l’informatisation de nos services. En
parallèle, nous avons continué à progresser durablement dans
plusieurs domaines, dont celui de la lutte de plus en plus pré-
ventive contre la fraude ou les abus. Ces efforts seront pour-
suivis en 2012, achève-t-il. Nous allons moderniser encore
davantage notre stratégie afi n de relever les importants défi s
qui nous attendent, afi n d’endosser notre responsabilité socié-
tale et d’apporter notre contribution à la réalisation des objec-
tifs du gouvernement et de la stratégie européenne 2020 pour
l’emploi et la croissance. »
« Toutes nos activités sont suivies et monitorées: notre système de reporting mensuel est très pointu. »