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Géostratégies d'influence, softpower et opinion

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Les techniques d'influence (dont le lobbying) en intelligence économique ont un complément : les politique étatiques à travers des médias, la "diplomatie publique" ou le "softpower... Après l'élection d'Obama, le softpower (ou le smartpower) revient en force, et pas seulement aux USA

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POLITIQUES D'INFLUENCE

Les techniques d'influence (tel le lobbying) en intelligence économique trouvent uncomplément logique à l'échelon géostratégique : les politique étatiques d'influence menées àtravers des médias, la "diplomatie publique" ou le "softpower...Cela renvoie à une des plus vieilles catégories : la distinction entre puissance et influence.

La seconde notion renvoie a contrario à la première. Si la puissance d’un État se mesure à cequ’il possède (ressources, armes, population, richesses…), son influence dépend de ce qu’ilest, ou plutôt des images qui en émanent et des sentiments qu'il suscite.La puissance est – sans jeu de mots - toujours en puissance, en ce sens qu’il lui faut semanifester, éventuellement contre une autre forme (une autre armée, un autre compétiteuréconomique) pour se transformer en un pouvoir effectif et pour garantir une chance d’obtenirce que l’on veut d’autrui. L'influence, elle, se constate après coup, par ses effets. Si l’ÉtatB a fait ce que souhaitait l’État A comme spontanément, il faut bien expliquer cela par soninfluence internationale. Ou encore, par le fait que l’opinion internationale, les médias, lesorganisations dites de la société civile aient soutenu l’action de A, de telle sorte que lesgouvernements n’aient pu que suivre.La puissance se mesure soit en chiffres (PNB, milliers de kilomètres carrés, têtes de missiles,millions d’habitants…) soit en termes de supériorité technologique, scientifique ou autre,mais toujours par comparaison. L’influence naît d’une relation assez mystérieuse : les autresveulent la même chose que vous, jugent comme vous et souvent, désirent vous imiter ou vousaider. Peut-on obtenir cet effet délibérément voire systématiquement ? La tentation n'est pasnouvelle.

Aussi l’idée d’avoir une politique étatique d’influence – ne serait-ce que pour économiserl’usage de sa puissance – n’est pas neuve. Quand, pour préparer les guerres médiques, Dariusachetait des citoyens grecs afin qu’ils soutiennent des positions favorables à la Perse dans leurspropres cités, ou quand Alexandre, après avoir conquis un pays, s’empressait de se proclamerfils des dieux locaux et incitait ses généraux à prendre des épouses autochtones, ils menaientdes politiques d’influence. Quand Sun Tse conseille à un souverain de fournir du vin et desconcubines au roi voisin pour amollir son caractère, où d’encourager les dissensions et lesjalousies dans le camp d’en face, il s’agit toujours de politique d’influence. Et pourtant cesexemples ont près de deux millénaires et demi.

Il existe donc depuis longtemps des stratégies positives d’attraction ou d’imitation (exporterson modèle, présenter une image favorable) ou des stratégies de répulsion (rendre l’adversaireodieux, lui faire perdre ses partisans ou ses alliés, le diaboliser).La traditions française nous porte volontiers à confondre une politique d’influence et unepolitique de prestige. Pour caricaturer, notre pays ne devrait avoir que des amis (voire debons clients) parce que nous sommes le pays de la liberté, des droits de l’Homme, de laqualité de vie, de la vraie culture, de la langue des élites… ou encore parce que nous sommesnaturellement favorables à la diversité et au multilatéralisme... Et nous en concluons souventque cela devrait se payer en dividendes économiques et diplomatiques.

De façon générale, la politique d’influence recouvre un vaste éventail :

Source : http://www.huyghe.fr le blog de François-Bernard Huyghe

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- Gagner des marchés, rendre d’autres pays plus réceptifs à ses produits, en y trouvant desrelais, en faisant en sorte que les consommateurs y deviennent plus désireux de certains biensou d’un certain style de vie- Agir sur les décisions d’organisations internationales, y faire jouer ses amis dans le sens deses intérêts- Avoir des alliés et des relais d’opinion dans d’autres États, le cas échéant favoriser leursuccès politique dans leur pays, entretenir ses réseaux- Soutenir les mouvement politiques ou religieux extérieurs plus ou moins proches de votreidéologie- Jouir d’une bonne image en général, susciter une préférence spontanée, vendre la "marque"(branding) nationale- Employer des professionnels de la communication (ou leurs méthodes) pour peser sur lesdécisions d’autorités nationales ou internationales, mais aussi pour défendre sa réputationauprès d’une opinion et de médias étrangers,- S’assurer que ses positions seront relayés par des ONG prestigieuses, des autoritésreligieuses, morales, culturelles dans les forums internationaux ou auprès des médias- Former ou formater les élites des autres- Faire passer une idée auprès d’une opinion étrangère, s’adresser directement à elle par-dessusla tête de ses gouvernants- Le cas échéant, créer des médias pour cela, exercer une véritable propagande hors frontières- Susciter un rejet d’un rival, le décrédibiliser, le diaboliser- Lutter contre ce que l'on considère comme de la désinformation hostile à votre pays- Désarmer l'hostilité de groupes ennemis, les "déradicaliser" pour appuyer une politique depacification et/ou assurer sa propre sécurité- Faire que chaque soir votre Nation ait moins d'ennemis qu'elle n'en avait le matin- Mener en sous main des actions de déstabilisation contre des entreprises ou des autoritésétrangères qui contrarient votre politique- Encourager certaines mentalités, cadres intellectuels, valeurs, catégories, codes… quirendront les relations plus faciles, qui amèneront les autres à penser, travailler, juger commeon le désire. Par exemple faire de telle sorte que les élites d’un autre pays soient familièresavec votre langue, vos normes juridiques, techniques, comptables, éthiques…- Conclure des alliances informelles...

Il serait difficile de trouver un pays qui à une époque ou à une autre, ait davantage excellé danschacun de ces domaines que les USA. Surtout, les Américains théorisent ce qu’ils font, ils ledisent et ils le nomment. D’où une profusion de concepts, souvent ronflants et redondants.

Cela donne suivant les époques :- La guerre " pour les cœurs et les esprits "- puis la " guerre culturelle " lancée notamment par la CIA contre l’URSS- La " diplomatie publique " confiée en particulier à l’US Information Agency (et devenueaprès une courte période d’oubli, un sous-secrétariat d’État) avec ses Radio Free Europe,Voice of America, ses bourses pour étudiants, ses tournées pour journalistes étrangers- L’influence "stratégique", les opérations psychologiques, actions de "guerre cognitive" ou" guerre de l’information " et autres vocables volontiers employés par le Pentagone pourdésigner quelque chose qui, au final, ressemble à de la propagande- Les " relations publiques " et " advocacy role " que mènent pour le compte des USA desagences de communication privées

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- L’élargissement du modèle technologique, culturel et économico-politique des USA(enlargment) ou le " formatage de la mondialisation " (shapping the globalization)- Le " social learning ", formation des élites de pays étrangers, surtout de l’ancien bloc de l’Està la démocratie ou au mode de gouvernance occidental- Le "softpower ", et peut-être maintenant le "smart power" à supposer qu'un tel animal existe,revenu très à la mode sous la présidence d'Obama.

Pourtant, comme l’a montré la prolifération des chaînes internationales d’information parsatellites, qui sont souvent des outils d’influence assumés (al Jazeera, Tv Sur, CCN, RussiaToday ou France 24 pour la France…), il n’y a pas de monopole américain en ce domaine. Parailleurs, il serait temps de s’intéresser à des politiques d’influence balbutiantes ou que nouspercevons mal comme celle de la Chine et de l’Inde. Par dépit, peut-être de ne pouvoir parlerd’une politique d’influence européenne…Enfin la privatisation de l'influence, que ce soi au profit des médias ou des ONG et autresgroupes d’influence, sans parler du terrorisme qui est après tout un mode d’influence parl’horreur, est un facteur déterminant des futures politiques nationales.

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Autorité politique contre influence médiatique (article publié dans Géopolitique n° 108)Extraits

Pendant la période historique où la presse écrite détermine le débat public, les rapports entrele quatrième pouvoir et le système politique se posent en termes de soumission ou critiquetant il semble évident que le média joue un rôle second par rapport à l'autorité. Le politiqueordonne et agit, le journaliste s'il est servile ou s'il subit un contrôle social (voire policier)relaye la position officielle ; il la critique s'il a d'autres options idéologiques, plus le courage letalent ou la possibilité de les exprimer. Les médias valent suivant qu'ils reflètent plus ou moinsauthentiquement événements et opinions. Dans l'idéal, le citoyen rationnel, éclairé sur lesaffaires du monde par une presse pluraliste (des journalistes plus "intellectuels critiques" que"chiens de garde"), débat avec ses pairs dans l'espace public, puis indique par des procéduresdémocratiques le chemin du Bien Commun à des gouvernants serviteurs de la Loi. Il s'agit làd'une utopie évidente car le pouvoir des médias excède très vite celui de décrire et de juger :voir Randolph Hearst poussant son pays à la guerre à Cuba en 1898 (une anecdote douteuseveut qu'il ait télégraphié à son correspondant à la Havane : "Fournissez les images, je fourniraila guerre.").Cette représentation toute théorique du rapport autorité/influence reflète un stade de latechnique lié à la presse à imprimer. Mais d'autres évolutions techniques - nous en évoqueronstrois, mais il en est sans doute d'autres - bouleversent ce rapport.

Influence d'État : secteurs et vecteurs

La première mutation affecte le lien entre frontière politique et frontière médiatique au sensgéographique. Jusqu'au seuil de la seconde guerre mondiale, celui qui contrôle le territoire gèreà peu près les flux d'information qui y circulent, même si des publications peuvent franchirune douane clandestinement. Le souverain maîtrise les instruments de destruction sur sonterritoire (la fameuse violence légitime) mais aussi les moyens de communication de masse,généralement soumis à autorisation.Mais voici qu'apparaît la radio et qu'aucun gabelou n'arrête les ondes. Pionnier en ce domaine,le Saint Siège se dote de Radio Vatican en 1931, propaganda fide et émet à l'échelleinternationale à partir de 1937 par autorisation spéciale de l'Union internationale de la radio.La Seconde Guerre mondiale stimule l'usage "offensif" de la radio en direction d'un territoire àlibérer ou à conquérir : instructions pour ses partisans, désinformation ou démoralisation pourses adversaires, propagande pour les habitants... Voir Radio Londres ou "Germany Calling"avec le fameux "Lord Haw Haw" propagandiste nazi.Pourtant la création de médias destinés à persuader des populations étrangères, dans leurlangue et chez eux est typique de la Guerre Froide[1]. L'Est finance modestement quelquesmédias destinés à l'exportation et à la catéchèse (intelligentsia européenne n'a pas besoin delire Spoutnik pour pencher vers le marxisme et radio Tirana ne convertit que des convaincus).En revanche, les USA conçoivent sous Eisenhower une stratégie de "diplomatie publique" ;une de ses composantes principales est l'utilisation de radios émettant au-delà du rideau defer. De 1953 à 1999, l'US Information Agency[2], crée Voice of America, puis la radio anti-castriste Radio Marti. Radio Free Europe, en principe privée, mais financée par le Congrèsremplit la même fonction de lutte idéologique contre le communisme. La recette combinel'héritage de Woodrow Wilson (convertir la planète aux valeurs démocratiques, gagner les"cœurs et les esprits"), l'idée chère à la CIA (mener une "guerre culturelle" contre l'Est y

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compris en montrant combien "notre" jazz ou "notre" peinture abstraite peuvent être subversifsface au réalisme soviétique à la Jdanov) et enfin une confiance très américaine dans lepouvoir libérateur des médias. Il s'agit de donner une "vraie" image de l'Amérique et de sonmode de vie. Faire savoir, c'est forcément convertir des citoyens de l'Est qui ne peuvent êtrecommunistes que par ignorance.Dans les années 90, avec la chute de l'URSS (et en particulier sous la présidence de Clinton) ladiplomatie publique est remplacée par la politique de "softpower "[3], basée sur l'exemplaritéet la séduction des USA. Désormais, les partisans d'un "élargissement" du modèle américainfont bien davantage confiance aux médias privés qu'aux officines plus ou moins liées auxservices secrets. Beaucoup expliquent en partie la chute du Mur par la séduction du mode devie capitaliste que les téléspectateurs de RDA contemplaient en recevant les télévisions deRFA. Avec toutes les mythologies que répandent les œuvres de fiction. Le feuilleton "Dallas"et le rock auraient en somme vaincu Honnecker et la Stasi.Tout ce qui est universel, démocratie, marché, culture de masse et société de communicationsert objectivement les intérêts US, pense-t-on dans la décennie 90 : Al Gore prophétise que ladémocratie se répandra sur "l'Agora planétaire" de la Toile.Lors de la première guerre du Golfe, outre les armes de haute technologie, les USA semblents'être aussi assurés le monopole de l'image, grâce à CNN la chaîne d'information continuede Ted Turner, Du missile décollant d'Arabie saoudite au missile explosant à Bagdad, rienn'échappe à ses caméras : une guerre sera désormais vue en plongée, donc avec un œiloccidental, côté vainqueurs, démocrates et "modernes"[4]. Et les médias nationauxs'abreuveront au robinet à images planétaireÀ l'effet CNN s'opposera pourtant dix ans plus tard l'effet al Jazira. La "petite" chaîne qatariearabophone reçue par peut-être quarante ou cinquante millions de spectateurs atteint unenotoriété mondiale le 7 octobre 2001 en diffusant au monde entier une cassette de ben Ladenau début de l'intervention militaire en Afghanistan. La chaîne qui, depuis s'est dotée d'unepetite sœur anglophone, compte dans tout le monde arabe, symbolisant une vision alternativede celle de l'Occident[5]. À tel point que les émirats financent al Arabiya, que les USA lancentdes radios et télévisions arabophones (comme al Hurrah) pour compenser son influence.Désormais, dès qu'une État prétend à une influence hors-frontières, la chaîne internationaled'information télévisée, si possible multilingue, devient un outil presque obligatoire : BBCInternational pour le Royaume-Uni, Deutsche Welle pour l'Allemagne, Russia Today pour laRussie... Même notre pays, avec France 24 émettant simultanément en français, anglais etarabe n'échappe pas à la règle. Tout est possible, de la lutte idéologique (Telesur chaîne latino-américaine anti-impérialiste lancée par Chavez) à la fonction vitrine : attirer les investisseursétrangers et donner une vision paisible du pays, (fonction de la télévision chinoise CCTV).Dans tous les cas l'État séducteur selon l'expression de Régis Debray[6] doit maintenantpersuader aussi l'opinion internationale, ou au moins une très vaste aire culturelle (mondearabo-musulman ou latino-américain) d'adhérer à ses objectifs.D'autant qu'il n'est pas seul à jouer sur ce terrain.La compétition par les chaînes par satellite - relayée bien entendu sur Internet comme nousle verrons - est maintenant ouverte y compris aux organisations internationales, ( telle l'Otanlançant une télévision destinée à combattre la communication des talibans) ou à des partiscomme le Hezbollah avec al Manar.D'autant plus que si l'on remonte un degré de plus en amont, non pas vers la diffusionmais vers la fabrication d'images, la compétition est encore plus ouverte et le contrôle plusdifficile[7]. Les Américains, incapables d'empêcher la circulation de vidéo cassettes jihadistesdu "producteur d'al Qaïda", as-Sahab en sont conscients, comme le sont les Israéliens qui

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hésitent entre l'interdiction des caméras à Gaza ou la contestation des images des bavures deTsahal. Ils les dénoncent comme du pur "Pallywood" (Hollywood + Palestiniens) : des misesen scènes d'atrocités par des manipulateurs du Hezbolalh ou du Hamas abusant les reporterseuropéens. La lutte est désormais engagée pour la métapropagande : décrédibiliser les imagesde l'autre comme pure propagande.Certes, pas plus qu'il n'existe de marché parfait, il n'y a de circulation concurrentielle absoluede l'information. Dans la plupart des pays, le média le plus influent restera une chaînetélévisée nationale, et l'idée que "sur Internet plus aucune censure n'est désormais possible" estcarrément fausse. La Chine réussit notamment - aidée, il est vrai, par la barrière de la langue- accomplit ce paradoxe : avoir une population énorme branchée sur Internet et un contrôlepolitique presque sans faille de ce à quoi elle a accès. Mais la tendance lourde est à l'abolitionde la frontière intérieur/extérieur

La classe politique : spectacle et dépendance

Seconde grand effet de l'explosion des médias : la dépendance de la classe politique àleur égard. Abaissement du politique et de sa dignité face aux exigences de l'Audimat, del'urgence spectaculaire, de l'agenda télévisuel, impératif de séduction et de personnalisation,prédominance de la vulgate journalistique, confusion entre représentants du peuple et membresdes peoples..., la critique a été souvent faite. Du coup, la dénonciation (justifiée) de l'Étatspectacle[8] finit presque en lieu commun pour plateau télévisé. Le lecteur nous dispensera deplaider le dossier en détails pour ne prendre qu'un exemple.Il est d'ordre financier : l'argent de la communication politique. Ainsi le budget des campagnespour l'élection présidentielle - Barack Obama (639 millions de dollars) et son rival (360seulement) - excède le milliard de dollars, la plus grande partie dépensée en publicité pour lesmédias. Ce record historique (trois fois le prix de la campagne de 2004) prolonge une tendancelourde : la sélection de la classe politique sur des critères médiatiques avec son corollaire, laprofessionnalisation de la communication et la prédominance du spécialiste de l'apparence surle responsable de la décision.Nous aimerions croire que notre pays - où il est vrai, un candidat n'est pas encore autorisé àdépenser des millions d'euros pour des minutes de télévision - ne subit pas cette dérive, maisde récentes affaires (le budget de sondage de l'Élysée ou la révélation des sommes perçues parquelques gourous du marketing politique) suggèrent le contraire.Il n'y a pas eu une époque mythique où le succès d'un politicien ne dépendait pas de sa capacitéde sourire et de lever des fonds et où il n'était élu que sur son programme et le contenu deson discours. Sans souci de sa démagogie, de sa télégénie, de ses petites phrases ou de sesdons publicitaires. Simplement le changement quantitatif (l'argent) traduit des changementsqualitatifs : l'évolution de la forme ne peut pas ne pas changer le fond. D'un côté, le conseilleren communication traduit tout en termes de consommation politique (demandes de l'opinionmesurées par sondage, adaptation de l'offre aux tendances "sociétales", tendances, créneaux,image de marque...) ; d'autre part les médias sélectionnent sur leurs propres critères (lerenouvellement perpétuel, les questions "qui font débat" et "qui interpellent", l'image forte, laformule qui échappera à l'oubli, la "relation humaine" et la capacité "d'être proche des gens"que doit avoir le "produit politique"..). Au total il faudrait une singulière force de caractèrepour résister aux projecteurs et aux paillettes. Comme à la pression de l'urgence médiatiqueavec son tempo particulier (réagissez vite, soyez original et exhaustif, mettez vous au niveaudu téléspectateur, vous avez quarante secondes).....

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[1] Frances Stonor Saunders Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre Froide culturelle,Denoël, 2003[2] Leo Bogart, Premises For Propaganda: The United States Information Agency's OperatingAssumptions in the Cold War, New York, Free Press, 1976[3] Joseph Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, BasicBooks, 1990[4] Dominique Wolton, War Games, Flammarion 1992[5] Miles Hugh, Al-Jazira, la chaîne qui défie l'Occident, éd. Buchet Chastel (trad.fr.), 2006.[6] Régis Debray, L'État séducteur, Gallimard 1997[7] F.B. Huyghe, Maîtres du faire croire. De la propagande à l'influence, Vuibert 2008[8] R.G. Schwartzenberg, L'État spectacle, Flammarion 1979

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Géopolitique de la séduction

Le softpower jouit d'un effet de mode depuis l'élection d'Obama ; et surtout d'un effet decontraste. Si les années Bush furent placées sous le signe de l'unilatéralisme, et de la puissancesans complexe préconisée par les néo-conservateurs, son successeur n'a cessé de se référerà la coopération internationale, à l'exemplarité dont devaient à nouveau preuve faire lesUSA, à leur image à rétablir, à l'attraction qu'exercerait une Amérique fidèle à ses valeurs etculturellement créative, etc.Certes, l'opposition entre Obama le "soft" et le charismatique et Bush le "hard", pour ne pardire le brutal et l'arrogant a été nuancée par des déclarations de la nouvelle administration (eten particulier d'Hillary Clinton) sur le "smart power". Ce pouvoir "intelligent" combineraitlogique de coercition et logique d'attraction, puissance et influence, recours à la force quandcela est nécessaire (l'effort militaire en Afghanistan, par exemple) et capacité d'amener autruià partager le point de vue US, chaque fois que cela est possible. Il est difficile d'objecter àcette brillante synthèse (le sens commun nous avait déjà appris qu'il est préférable d'être àla fois fort et sympathique) et le débat pourrait s'arrêter là. D'autant que le stratégie qui sedéduit de ces prémisses - utiliser suivant les cas les instruments diplomatiques, militaires,économiques, politiques ou culturels les plus adaptés pour réaliser ses objectifs - ne semblepas d'une originalité bouleversante. Pourtant, le mot softpower s'emploie de plus en plus àpropos de la Chine, par exemple, de l'Inde, etc. comme si une compétition internationale pourla séduction venait de s'ouvrir.

Une constante géopolitique

La pensée géopolitique avait-elle besoin de tes anglicismes et néologismes ? Des notionsaussi fondamentales n'ont pas été découvertes avant-hier : Jospeh S. Nye, l'universitaire qui"inventa" le softpower il y a une vingtaine d'années est le premier à reconnaître qu'il n'afait que donner un nom à une pratique immémoriale. Philippe de Macédoine payant desagents d'influence pour qu'ils soutiennent sa cause dans les autres cités grecques, Alexandrese présentant comme le fils des dieux locaux dans les royaumes qu'il conquérait et adoptantles coutumes locales, les Romains recevant et éduquant dans leur culture les jeunes princesétrangers... avaient déjà découvert ces principes. Comme les stratégies chinois décrivant à lafaçon de Sun Zi l'art de manipuler les princes et les généraux adverses. Ou encore la France deLouis XIV dont le modèle culturel est imité dans toutes l'Europe. Voire celle de la troisièmeRépublique créant les Alliances Françaises et se présentant comme "la patrie des droits del'homme".La géopolitique distingue deux types de relation entre les Nations. Les unes reposent sur lapuissance et sur un rapport symétrique de rivalité/négociation (guerre qui mesure les forces,diplomatie qui recherche des accords et compromis, commerce qui suppose l'échange) ; lesautres ressortent à l'influence. Qui dit influence dit asymétrie : il y a l'influencé et il y al'influent qui, par son prestige, l'attraction qu'exerce son modèle, les liens qu'il a liés hors de

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ses frontières avec les élites étrangères ou les populations, le préjugé favorable dont il jouit,etc. a plus de chances d'obtenir ce qu'il veut des autres.Obtenir quoi au fait ? Les stratégies "douces" peuvent viser à des buts plus ou moins difficileset complets. Elles peuvent simplement chercher à désarmer l'hostilité d'autrui, à ne pas sefaire d'ennemis, à obtenir une neutralité de populations ou de gouvernements qui pourraientbasculer dans le camp ennemi. À un stade supérieur, l'influence cherche à contrôler deszones et réseaux pour susciter des comportements favorables : ici on pourra commercer, làon trouvera des soutiens dans les organisations internationales. Avec ce pays, on établira desrelations privilégiées, tel autre tendra systématiquement à être votre allié et à soutenir voscauses. Au stade suprême, les méthodes de séduction et de persuasion visent à produire unmimétisme complet : transformer l'Autre, le rendre semblable à soi en l'amenant à partagersa vision du monde,le faire se comporter selon son modèle, quitte à baptiser un tel modèleuniversel.D'autre part,il existe des techniques d'action sur le psychisme humain dont les traditionsphilosophiques, psychologiques et stratégiques nous fournissent les modèles. Les Grecs ontpensé la question de la doxa. C'est l'opinion communément admise, l'ensemble de préjugéset de stéréotypes à travers lequel nous, humains ordinaires, établissons nos jugements auquotidien, sans vraiment être renseignés, sans prendre le temps de la réflexion approfondie, et,le plus souvent,en pensant comme le milieu qui nous entoure. La psychagogia platonicienne,l'art de conduire les âmes, mais aussi la rhétorique aristotélicienne, et,si l'on descend jusqu'àdes techniques destinées a l'emporter dans des controverses plus ordinaires, l'éristique ou lasophistique fournissent des méthodes d'action sur l'opinion. Certes ces méthodes sont limitéesà l'action par la parole sur un ou des interlocuteurs appartenant à la même Cité.Pourtant, sans imiter Barthes qui réduisait toutes les figures de la publicité moderne surles antiques figures de la rhétorique, il faut reconnaître que les lois de la propagande, lestorytelling, la psychologie sociale de l'engagement, etc. ne font souvent que reformuler desrecette immémoriales de l'action sur les représentations d'autrui. Si nous étions en Chine etsi j'étais de culture chinoise, j'aurais sans doute pris les exemples destinés à soutenir cettethèse réactionnaire (rien de nouveau sous le soleil) dans la tradition de Sun Zi, du livre desstratagèmes ou du Tao du Prince (Han-Fei-tse).Si le besoin d'exercer une influence hors frontières existe depuis toujours, et si la quêtede la recette de la persuasion ou de l'adhésion agite les plus brillants cerveaux depuis desmillénaires, où est le problème ? Il devrait être résolu par nos sociétés où un nombreconsidérable de diplômés de haut niveau s'emploient dans des industries chargées d'occuper letemps du cerveau humain et de rendre ledit cerveau plus prévisible, notamment par un appareilstatistique impressionnant et en disposant de moyens de diffusion planétaires.

4 I, 4 M : la quadrature du cercle

Le problème est un problème de quadrature du cercle. Reste pourtant que la saint Graal dela machine universelle à séduire ou à persuader s'éloigne toujours de nous. La machine àconvertir les infidèles inventée par le théologien Raymond Lulle à la fin du XIII° siècle ou lamachine à produire des livres de Swift dans son Gulliver ne prêtent pas moins à sourire quenos modernes logiciels rhétoriques.Disons qu'il faut résoudre le problème des quatre I et des quatre M. Qu'il faut faire fonctionnerensemble pour produire ce résultat merveilleux que vous appellerez suivant votre goût :softpower, influence, conquête de l'opinion, attraction, adhésion (mais certainement paspropagande, car il est bien connu que ce sont les autres qui font de la propagande).

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Il y a d'abord le I des intérêts : une grande Nation a de grands intérêts,et tout le dispositif visefinalement à ce que le comportement des autres reste ou devienne favorable à ces intérêts. Pasd'angélisme!Le second I est celui de l'idéologie (certains soutiennent que nos idéologies ne sont que l'alibide nos intérêts, ou plutôt la transposition fallacieuse de notre point de vue partiel et partial dansle monde des idées et des valeurs universelles).Mais l'idéologie au sens le plus large (incluant, par exemple, les pratiques culturelles qui sontporteuses de valeurs de points de vue sur l'ordre souhaitable du monde) a trois propriétésmerveilleuses. Elle est contagieuse, donc, elle peut se propager hors frontières (si son discoursn'est pas trop centré sur les particularités du groupe qui la professe). Elle est subversive,donc elle permet de dénoncer l'idéologie adverse (il n'y a pas d'idéologie sans représentationennemie qu'elle dénonce et combat comme erreur et illusion). Enfin l'idéologie est un produitisolant : elle protège très bien contre le doute et la nouveauté).Le troisième I est celui de l'image. Toute puissance suscite des représentations mentales chezceux qui lui sont extérieurs : des jugements, des connotations qui sont associées à son seulnom, des valeurs, des figures qui sont censées la représenter (de Gandhi à Mickael Jackson !),des productions culturelles ou des faits historiques que l'on évoque dès que l'on en parle, unesorte de personnalité collective...Le dernier I est celui de l'influence envisagée comme stratégie de persuasion, destinéeprécisément à faire opiner l'opinion, à la faire adhérer.Chacun de ces éléments, ce que nous voulons, ce que nous pensons, comment nous sommesperçus et comment nous nous voulons convaincre, interagissent constamment et secontredisent fréquemment.Et le seul dont nous soyons maîtres, notre expression délibérée, nos stratégies de séductionconnaissent leur propre quadrature. Ou plutôt leur propre quadrilogie, quatre M que nousempruntons ici à Régis Debray.Il faut certes le bon message.Mais il faut aussi les vecteurs : les médias qui atteindront le destinataire. Notamment ensituation de concurrence avec d'autres médias (y compris ce méta-média qu'est la rumeur).Quand bien même le bon message est véhiculé par le bon média, encore faut-il qu'il rencontrele bon milieu ; c'est-à-dire que son interprétation soit bien conforme aux attentes de l'émetteur,que ses grilles culturelles, ses préjugés et prédispositions n'en annulent pas la force persuasiveou n'en retournent pas les signes attractifs en signes de grotesque ou d'infamie.Il faut enfin les bonnes médiations : nos croyances ne passent pas d'individu à individu ou demédia à cerveau, mais sont transmises par des communautés que ce soit en aval (nous pensonsici à ce que nous appelons Organisations Matérialisées d'Influence : lobbies, think tanks,ONG, mais aussi médias, réseaux sociaux, etc) et en aval au moment où nous confrontons nosreprésentations à celles de nos communautés.Mais si ces données sont structurelles, inhérentes à tout projet de politique d'influence, ilest d'autres facteurs historiques et techniques. Corrigeons ici notre "nihil novi sub sole" d'un"Medium is message" Mcluhanien et moderniste.Ce qui nous incite à parcourir Quelques siècles de communication internationale au pas decourse. Pour simplifier, nous prendrons nos exemples aux USA. Ce n'est pas que l'URSS aitignoré l'importance des agents d'influence ou la France celle de la diplomatie culturelle ou dela politique de prestige, par exemple. de nombreux pays font appel à des agences de lobbyingou de relations publiques pour améliorer leur image ou augmenter leurs soutiens. L'idée decréer des médias internationaux n'est pas un monopole US. Simplement les États Unis sont lepays où l'idée de "gagner les cœurs et les esprits" des autres nations (voire de les convertir)

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a rencontré les moyens techniques les plus importants, le meilleur soutien de pans entiersdu secteur économique (notamment des médias et industries culturelles), mais aussi le plusd'intellectuels ou de praticiens désireux de conceptualiser ou de nommer le phénomène.

Cœurs, esprits et techniques

Des siècles durant, celui qui contrôle l'information contrôle le territoire, un monopolequ'ébrèche lentement l'imprimerie, lorsqu'elle diffuse les idées des Lumières ou, plusmodestement, sous forme de quelques libelles subversifs importés en fraude.Le véritable projet d'une propagation systématique d'une idéologie au reste du monde (ycompris avec le projet démocratico-messianique made in USA de gagner les cœurs et lesesprits) date de 14-18. Si l'Europe développe une propagande plus à usage interne à based'exaltation nationaliste et de dénonciation des atrocités de l'ennemi, l'Amérique de W. Wilsonpense la guerre comme une croisade démocratique. Trois hommes, les trois grands-pères destous les spin doctors se partagent la tâche au sein des Comitee for Public Information.George Crell, qui mobilise tous les médias, à commencer par le cinéma, pour soutenir l'effortde guerre et diaboliser l'ennemi (assimilé aux "Huns" contre lesquels, il faut lancer une"croisade")Edward Bernays, neveu de Freud, qui écrit un ouvrage prophétisant la manipulation futuredes masses grâce à des techniques jouant sur les images et l'inconscient et qui sera surtoutl'inventeur des relations publiques. Il s'emploiera parmi les premiers à faire des campagnesde lobbying internationales et à vendre l'image de pays (ce qui deviendra plus tard le "nationbranding")Walter Lippmann, un sociologue et éditorialiste qui, dans des ouvrages fondamentaux comme"L'opinion publique" et "Le public fantôme". Il s'interroge sur les "manufactures duconsentement" (une expression que reprendra Chomsky), ces grandes machines à faire voir età faire croire et sur la manière dont elles détermineront à l'avenir une opinion publique, réduiteà vivre la réalité à travers les représentations qu'autrui en produit, entourée d'un pseudo-environnement de stéréotypes et d'expériences de seconde main.

Après l'affrontement des propagandes fascistes et bolcheviks de l'entre-deux guerres,soucieuses à la fois de propager une image idéalisée de leur pays et de conquérir des appuisextérieurs, la grande étape suivante est celle de la Guerre Froide.Si l'URSS compte classiquement sur les partis frères et sur l'intelligentsia fascinée par la patriedu socialisme pour diffuser sa vision du monde, de l'autre côté du rideau de fer, on élaboreune stratégie de "guerre culturelle". Elle fonctionne sur le financement d'intellectuels anti-marxistes ou d'œuvres culturelles jugées subversives par leur modernisme suivant les critèresdu réalisme soviétiques! Elles sont aussi censées témoigner de la vitalité et de la séductionde sociétés libres. l'idée trouve son développement dans les années 60, sous le nom de ladiplomatie publique.Autre thème souvent avancé : la DP devrait améliorer ou rectifier l'image nationale, une imageindissolublement liée à la démocratie pluraliste et au libre marché.

D'où deux vecteurs principaux. Le premier sont des médias classiques, en l'occurrence desradios, qui émettent vers l'autre côté du rideau de fer. Il n'arrête pas les ondes, pas plus qu'iln'empêche la culture industrielle distractive de séduire la jeunesse de l'Est. Les radios commeRadio Europe Libre ou Voice of America remplissent deux fonctions :ils présentent la "versionde l'histoire" vue par les USA, et elle fait contraste avec l'information aseptisée et contrôlée

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par les autorités. Mais les médias offrent aussi une ouverture sur les industries de l'imaginaire :les industries culturelles occidentales, leur rythme, leur valeurs jeunes et hédonistes, l'attirancequ'elles exercent dans tous les pays.Le second volet de la diplomatie publique concerne les réseaux humains : bénéficiairesde bourses,anciens étudiants des universités US, futurs membres des élites de leurpays,journalistes..., tous les décideurs et leaders d'opinion susceptibles d'être ou de devenirpro-américains.

Dans cette première acception, la diplomatie publique consiste en actions menées par un acteurpolitique, et même étatique, en vue d'un effet psychologique en dehors de son territoire (oùil est censé exercer une autorité légitime). Elles viennent en soutien d'une politique étrangèreprécise et servent l'image d'un pays.Cette stratégie est initialement pensée comme une réponse à une guerre totale menée parl'Urss. Côté soviétique, l'action est menée avec les moyens régaliens (la guerre, la diplomatieclassique), mais relayée par l'internationale communiste et ses partis dans chaque pays, etaussi amplifiée par une agit-prop mondiale (soulever les masses de tous les pays contre lecapitalisme, les convertir aux vérités du marxisme léninisme). La problématique de guerre desimages et des idées est donc pensée comme un affrontement planétaire "pour les cœurs et lesesprits", suivant la formule consacrée.

Ceci amènera très vite les Américains à se doter de moyens et de structures (l'US InformationAgency dont c'est la mission explicite), mais surtout de méthodes. Celles-ci peuvent sedécomposer ainsi (même si les éléments sont toujours mêlés dans la pratique :- Connaître l'opinion étrangère, éventuellement ses attentes- Lui adresser un message via ses propres représentants à l'extérieur- Mener ce que certains nomment "diplomatie culturelle", d'autres "guerre culturelle" et quiconsiste à propager des "œuvres" artistiques ou intellectuelles dont on attend qu'elles changentla mentalité ou les valeurs de ces opinions étrangères- Créer des réseaux humains, promouvoir des rencontres- Se doter de ses propres médias capables de toucher des audiences étrangères hors du territoirenational et de leur faire parvenir le bon message.

Dans le langage du Département d'État :- "Expliquer et défendre les politiques US en des termes qui soient crédibles et significatifspour d'autres cultures- Fournir une information sur la politique étrangère des USA, et sur le peuple, les valeurs etinstitutions derrière ces politiques- Apporter les bénéfices de l'engagement international US aux citoyens américains et auxinstitutions en les aidant à tisser des liens forts et durables avec leurs équivalents étrangers- Conseiller le Président des États-Unis, le gouvernement et les acteurs politiques sur la façondont les attitudes des étrangers auront un impact sur l'efficacité des politiques américaines. "

La diplomatie publique remplit déjà les fonctions qui n'apparaissaient peut-être pas assezclairement à l'époque :- veille- message- valeurs- réseaux

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- médias

Pourtant l'arme médiatique est à double tranchant. La société de l'image le découvre auVietnam. Les photos révélatrices des horreurs du conflit sont transformées en icônes par lespacifistes. Parallèlement, l'Amérique découvre sur ses écrans de télévision le visage de sesboys qui souffrent et qui meurent. Comme l'a compris McLuhan, la télévision a déplacé laligne de front dans chaque foyer. Les sociétés ouvertes ne peuvent ni censurer ni supporter lavision de la violence qui est menée en leur nom.

La parenthèse soft

Après la chute du Mur, tandis se répand l'illusion d'une mondialisation heureuse et d'unnouvel ordre mondial éthique, la parenthèse sombre semble se refermer. La première guerre duGolfe ou des opérations d'ingérence humanitaire comme en Somalie montrent que l'Occidenta désormais la maîtrise des contenus et des tuyaux (voir le cas emblématique de CNN).L'émergence du concept-valise de softpower s'inscrit dans ce contexte de soulagement etd'optimisme. Il fait la synthèse d'une pluralité d'éléments.- l'assimilation des industries culturelles américaines à un modèle universel : l'irrésistibleattirance du contenu "mainstream" prolonge la prédominance politique et économique del'hyperpuissance- l'exemplarité du mode de vie US, que l'on cherche à imiter partout sur la planète, l'admirationpour une société ouverte et prospère- plus largement encore,la notion qu'une sorte de sens de l'histoire mène l'humanité à adopterun même modèle politique, économique et culturel, favorisé par la fin de la grandeconfrontation Est Ouest et par l'émergence des nouvelles technologies- le triomphe des valeurs occidentales confirmé par leur victoire contre le communisme- et la stratégie qui semble se déduire de ces prémices : chercher le plus possible à obtenir leconsensus, l'alliance et le soutien de autres nations.La théorie du softpower repose sur deux éléments : l'absence de réelle compétition face aumodèle triomphant, et la fin inéluctable de l'hostilité. Contrairement à la vision volontariste etagressive de la diplomatie publique antérieure il ne s'agit plus de gagner une compétition entredeux visions du monde ou de déstabiliser l'autre, mais d'assurer paisiblement une transitionheureuse sur fond de pax americana. De ne pas contrarier un mouvement auquel tendent leslois de l'économie et de la technique ( via la révolution de l'information ). Et d'attirer encoredavantage vers ce que tous tendent naturellement à admirer.Le 11 septembre bouleverse tout. Autant que la révélation de sa fragilité, l'Amérique estfrappée par le retour de l'hostilité. La figure de l'Ennemi revient et avec elle le principe decompétition idéologique. Dans un réflexe presque pavlovien, l'une de premières réactionsde l'administration Bush est de recréer un sous secrétariat d'État à la Diplomatie Publique.Ses missions : répondre à l'angoissante question "Mais pourquoi nous haïssent-ils ?", rétablirl'image de l'Amérique en lançant de nouveaux médias arabophones cette fois (et, modernitéoblige quelques sites Internet) , mener une politique de séduction envers le monde arabe enséparant ceux avec qui l'Amérique a "des valeurs communes" de "ceux qui haïssent notreliberté et notre mode de vie". La transposition du schéma de guerre froide s'inscrit dans uneperspective de guerre au terrorisme (que l'administration Obama rebaptisera pudiquement"combat contre l'extrémisme violent"). Avec la même notion sous-jacent d'un malentendu :si les gens nous connaissaient vraiment, ils nous aimeraient. L'anti-américanisme est souvent

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évoqué en termes de "misperception", comme si tout était affaire de mauvaise compréhensionet de communications défectueuse.

La guerre de l'opinion

Le nouveau softpower de l'ère Obama est-il une simple reprise de celui de l'ère Clinton(public diplomacy républicaine et softpower démocrate alternant au gré des élections) ?Certainement pas. La nouvelle stratégie de séduction peut, certes, s'incarner dans un présidentuniversellement applaudi (sauf dans son pays) et qui, par exemple, reçoit un prix Nobel de laPaix pour l'espoir qu'il a suscité (et au moment où il envoie 30.000 soldats en Afghanistan).Il nous semble que la quête de l'anneau magique du softpower (avec ses variantes commela déradicalisation ou la prévention de "dérives extrémistes") doit désormais intégrer denouveaux facteurs :- si l'on considère le softpower comme un état, une relation ou un résultat, la questiondes moyens d'y parvenir se pose partout. Sous le nom de psyops, opérations d'influence ouinformationnelles, civilo-militaires, perception management, communication stratégique ou dediplomatie publique (qui n'est plus connoté "droite US"), peu importe le nom, l'impératif depédagogie et de séduction s'impose, y compris aux troupes sur le terrain.- la multiplicité des acteurs. Les autres grandes Nations qui adoptent des stratégies d'image demarque (on parle désormais de "Nation branding") et de communication. La prolifération deschaînes internationales d'information (y compris qatarie, saoudienne, vénézuelienne...) en estun bon symptôme. Mais les États ne sont pas seuls à jouer au jeu de l'influence : les lobbiesinternationaux, les mouvements d'idées, les ONG, les groupes activistes transnationaux, etc.sont aussi entrés en lice avec des moyens de dénonciation, d'inspiration, de mobilisationjusque là inconnus. Ils sont désormais à même d'imposer leur thématique, leurs débats, leursexigences à des États courant souvent derrière l'évolution de l'opinion pour reprendre lecontrôle de leur agenda et l'initiative politique. Même les mouvements terroristes (après toutle terrorisme, "propagande par le fait" est aussi un moyen d'influence) fonctionnent avec desmoyens d'expression nouveaux que ce soit sur le Net ou à travers des médias classiques (voirle Hezbollah se dotant d'une chaîne de télévision par satellite).- les réseaux numériques perturbent la donne. Sur le plan interne, ils affaiblissent le contrôledes États : la critique venue de l'extérieur ou de l'intérieur (le phénomène de dénonciationdu régime par des e-dissidents ou par de simples utilisateurs de Twitter comme en Iran) sedéveloppe. Tandis que dans le camp des démocraties, le discours officiel est contredit parle phénomène du journalisme citoyen, la fuite ou le "whistle blowing" (de la circulation desimages de sévices à Abou Graibh aux révélations à très grande échelle de Wikileaks). Avecle Web 2.0 la tendance lourde d'Internet s'est exaspérée (une capacité de communiquer avecla planète entière à la portée de chacun, pourvu qu'il parvienne à mobiliser les réseaux del'indexation, de la citation, de la recommandation etc, qui permettront à son message d'émergeret d'attirer l'attention de l'opinion en situation de surinformation).- enfin et surtout, la nouvelle stratégie est en train de découvrir la singulière résistance descultures particularisantes à l'effet unificateur de la technologie. Des gens peuvent porter desNike, écouter des clips, surfer sur les réseaux sociaux et faire le jiahd haïr les valeurs ditesoccidentales. La résistance de ce que nous nommons archaïque aux effets sophistiqués de nosmachines à produire le consensus global

La nouvelle règle

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La stratégie de l'actuelle administration entend pourtant marquer sa différence dans la façonde traiter la lutte contre al Qaïda.Le premier élément d'une politique d'influence est le choix des mots. Tout le monde estd'accord pour renoncer à la formulation "Global War On Terror" (devenue l'acronymeGWOT). Même les Républicains, en leur temps avaient cherché un terme de remplacement.Dès 2005, un article du New York Times montrait que la Maison Blanche envisageait deparler désormais de "Guerre globale à l'extrémisme violent". D'autres (comme les chercheursd'Heritage) auraient préféré "Struggle" (combat) plutôt que guerre, tandis que D. Rumsfeldt,à la même époque, parlait de Struggle againstof freedom and civilization ennemies (combatcontre les ennemis de la liberté et de la civilisation).À ses débuts, l'administration Obama a hésité un moment à parler des "Overseas ContingencyOperations" ("Opérations d'urgence à l'étranger", une urgence qui dure depuis 2001 dans lecas de l'Afghanistan) ou encore d'une stratégie pour "perturber, démanteler et défaire al Qaïdaet ses affiliés, extrémistes violents en Afghanistan, au Pakistan et autour du monde.", ce quiest un peu long à retenir.Finalement, il semblerait que ce soit "Countering Violent Extremism" (contrer l'extrémismeviolent devenu CVE) qui l'emporte. Cela a l'avantage de n'employer ni le mot guerre ni le motterrorisme, de placer en position défensive, et de définir l'ennemi par son caractère fanatiqueou radical et non par sa religion ou sa nationalité.Comme l'expliquaient à Newsweek deux hauts fonctionnaires: "contrer l'extrémisme violent"renvoie à un projet de l'administration Obama d'utiliser la "diplomatie publique" et les"communications stratégiques" comme composante de son effort pour s'opposer aux menacesmontantes. Le CVE est une approche par le "softpower " pour gagner le soutien desmusulmans modérés aux USA et à l'étranger. Cela inclut des efforts de la police et desreprésentants du gouvernement pour développer des relations plus étroites avec lescommunautés musulmanes locales et pour soutenir les éléments anti-extrémistes à l'étranger"Ils précisent un peu plus loin que les communications stratégiques peuvent inclure des"opérations d'information" clandestines contre des groupes terroristes et que le recours au"hard power" guerrier n'était en aucun cas exclu.

Comme on le voit, le CVE traduit un assez large syncrétisme (empêcher la radicalisation desmusulmans chez soi ou à l'étranger, établir des réseaux, mêler opérations de séduction et deservices secrets avec une guerre idéologique pour délégitimer al Qaïda, voire avec une guerretout court).

C'était une chose que de faire parvenir son message "subversif" de l'autre côté du rideau defer où tout ce qui venait de l'Ouest était à la fois désirable et interdit. C'en est une autre quede s'adresser à un public planétaire, qui baigne déjà dans la culture "mainstream", qui peutde mieux en mieux accéder à des sources d'information variées (ou du moins qui peut mieuxcontourner le monopole gouvernemental sur l'information circulant sur son territoire). C'estsurtout une autre tâche que de s'adresser à des gens qui peuvent à la fois adorer le rap et Avataret faire le jihad. Il ne suffit pas de "raconter l'Amérique au monde" comme on disait dans lesannées 60, bien avant la mode du "Storytelling", il est maintenant temps de l'interpréter, ouplutôt de comprendre comment des gens différents interprètent différemment un monde où lesmêmes informations sont disponibles à peu près partout. Pendant que l'on commence à parlerd'une diplomatie publique ou d'un softpower chinois ou indiens.

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Nouvelle diplomatie publique

En effet, la diplomatie publique revient et pas seulement aux USA. Quelques indices :- Le vice-ministre israélien des Affaires Étrangères D. Ayalon "fait appel à des non-Juifs poursoutenir la guerre diplomatique" d'après Israël National News. Dans son discours, il s'adresseà des "organisations de diplomatie publique" qu'il "supplie" de continuer à travailler main dansla main avec Tel Avi et à combattre pour Israel. Comme, sur la même page, un lien vous mènevers des cours de tir au fusil d'assaut, le message pourrait paraître ambigu. Mais en fait, celasignifie dans la bouche du ministre qu'il faut contrer la propagande anti-israélienne par desblogs comme Instapundit ou se faire appuyer par des ONG amies. Rappelons pour la petitehistoire que le ministère des Affaires Étrangères de l'État hébreu comprend un départementdes médias et de la diplomatie publique. En hébreu cette notion se rendrait par le mot hasbaraqui veut dire "explication" - À propos d'institutions et de "Public Diplomacy", il existe auxUSA un "sous-secrétariat d'État à la diplomatie publique et aux affaires publiques" dirigé parJudith McHale, une ancienne de Discovery Channel. D'après le Département d'État, sa missionconsiste à - communiquer pour des publics internationaux - lancer des programmes culturels,des bourses et des échanges éducatifs - monter des programmes internationaux pour desvisiteurs aux USA - et contribuer efforts du gouvernement US contre "le soutien idéologiqueau terrorisme"- Autre exemple : l'Otan qui s'est également dotée d'une Division Diplomatie Publique, avecstudios audiovisuels, programmes de bourses et de parrainage, et une bizarre section des"Sciences pour la paix et la sécurité" qui mêle recherche sur l'environnement et formation anti-terroriste. - Ou encore les multiples initiatives de diplomatie publique prises par les pays lesplus divers, de l'Argentine au Zimbabwe- Enfin, il existe de plus en plus de formations à la diplomatie publique, notamment aux USA,notion plus ou moins mêlée à celle de "Global communication" ou "Strategic Communication"

De ce point de vue, la diplomatie publique, certains parlent déjà de "nouvelle diplomatiepublique" ne saurait plus se borner à financer des médias qui diffusent de la "musique jeune"et des informations "objectives", pendant que l'on promène des diplômés prometteurs dansle triangle d'or de Washington d'un think tank à un ministère. Elle s'intéresse désormais biendavantage aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux qui permettent à tous les pointsde vue de s'exprimer, aux différences culturelles à rebours de vieille vision d'un discoursuniversaliste et unilatéral, aux relais qu'elle pourrait trouver dans l'opinion.

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