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7/29/2019 Godin, B. Gingras, Y. (1999) - La commercialisation de la recherche universitaire : que disent vraiment les chiffres ?
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Notede recherche
La commercialisation dela recherche universitaire :
que disent vraiment les chiffres ?
Brigitte GemmeYves GingrasBenot Godin
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Pour se procurer des copies de cette note de recherche communiquer
avec les chercheurs:
Adresse postale: CIRSTUQAM
C.P. 8888, Succursale Centre-villeMontral, QubecCanada, H3C 3P8
Adresse civique: CIRSTUQAM
Pavillon Thrse-Casgrain , 3e tage455, boul. Ren-Lvesque Est, Bureau W-3040Montral, (Qubec) Canada
H2L 4Y2
Tlphone (secrtariat du CIRST): (514) 987-4018Tlcopieur (secrtariat du CIRST): (514) 987-7726Courrier lectronique: [email protected] Internet: www.unites.uqam.ca/cirst
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La commercialisation de la recherche universitaire: que disent vraiment les chiffres?
Brigitte Gemme, Yves Gingras et Benot Godin1
Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologieC.P. 8888 Succursale Centre-Ville Montral (Qubec) H3C 3P8
Tlphone: (514) 987-4018 Tlcopieur: (514) 987-7726Courriel: [email protected]
On dit souvent ces temps-ci que les universits qubcoises et canadiennes sont en retard par
rapport leurs vis--vis amricaines sur le plan de la valorisation des rsultats de la recherche.
Et, comme toujours quand nous ne semblons pas la hauteur des performances amricaines, on
se bouscule pour analyser les obstacles qui nous empchent d'atteindre pareils sommets.
Aujourd'hui, les gouvernements semblent dcids intervenir financirement pour rattraper le
retard en question. Dj cinquante millions de dollars sur trois ans ont t promis par le
nouveau ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Qubec pour favoriser
la valorisation des connaissances en contribuant au financement de la commercialisation des
rsultats de la recherche universitaire, tandis que cinquante millions supplmentaires devraient
viser soutenir des projets d'quipe sous la forme d'un financement d'appariement2. Au palier
fdral, le Groupe d'experts sur la commercialisation des rsultats de la recherche universitaire
(Groupe Fortier) du Conseil consultatif des sciences et de la technologie recommande qu'une
somme de cinquante millions par anne soit investie, par le biais des conseils subventionnaires,
pour le financement des projets de commercialisation des universits, et tout indique que le
gouvernement canadien donnera suite ces recommandations. Or, y a-t-il vritablement retard,
et, s'il y a lieu, quoi tient-il?
1 Les auteurs sont respectivement tudiante en Science, technologie et socit l'UQAM,professeur au dpartement d'histoire l'UQAM et professeur l'INRS, et sont tous troismembres du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST).Benot Godin et Yves Gingras sont responsables de l'Observatoire des sciences et technologies,http://www.ost.qc.ca .2 Ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie (mars 1999). Acclrer larecherche et l'innovation. http://www.mrst.gouv.qc.ca/publications/fichier.pdf
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Entre 1993 et 1997, les universits amricaines sondes par l'Association of University
Technology Managers (AUTM) (environ 125 tablissements ou rseaux) dclaraient prs de 1,7
milliards de dollars de revenus de commercialisation de proprit intellectuelle, soit en moyenne
2,6 millions par universit par anne. Pendant la mme priode, les institutions canadiennes
participant la mme enqute3 recueillaient 44,8 millions de revenus, soit en moyenne 639 736$
par institution, le quart des revenus par universit aux tats-Unis. Plusieurs raisons sont
voques pour expliquer cette flagrante disproportion: htrognit des politiques universitaires
canadiennes en matire de gestion de la proprit intellectuelle, cart entre la culture des
chercheurs universitaires et celle du march, sous-financement de la recherche universitaire par
le secteur priv et les gouvernements, manque d'expertise et de financement appropri au sein
des bureaux de liaison entreprise-universit (BLEU), etc.4 C'est au financement de la recherche
et aux efforts institutionnels de liaison que nous nous sommes attards en tudiant les
statistiques produites par l'AUTM.
On peut tudier le processus de commercialisation de la recherche comme une chane, puisque
ses divers maillons sont interdpendants. En effet, le financement de la recherche, les
dclarations d'invention, la demande et l'octroi de brevets, les ententes de commercialisation et le
dmarrage d'entreprises drives (spin-off) sont des variables dont les cfficients de corrlation
3 En 1997, les universits canadiennes ayant rpondu au sondage taient les suivantes: Toronto,Montral, McGill, British Columbia, Alberta, Calgary, Western Ontario, Queen's, Guelph,McMaster, Waterloo, Manitoba, Carleton, Simon Fraser et Concordia. Cependant, les donnesde l'AUTM agglomres pour la priode 1993-97 comprennent aussi les institutions de sant,
lorsqu'il y a lieu, soit, pour 1997, l'Ottawa Civic Hospital et l'Institut de cardiologie de Montral. Lapart des revenus des institutions de sant est toutefois minime dans l'ensemble canadien.Lorsque les donnes ne concernent que l'anne 1997 cependant les donnes concernantexclusivement des hpitaux de recherche sont exclues.4 Plusieurs auteurs se sont penchs sur la question au cours de la dernire anne, dont AlexNavarre (Apprivoiser les spin-off dans Interface, vol. 20, n. 1, 40-44) et ARA Consulting GroupInc. et Mireille Brochu (Les universits canadiennes et la gestion et la commercialisation de la
proprit intellectuelle: Diversit et dfis. Document prpar avec l'appui d'Industrie Canada pourl'Association des universits et collges du Canada, novembre 1998; disponible sur Internet:http://www.aucc.ca/francais/about/briefs/ip_fr_nov98.htm).
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les unes avec les autres varient entre 0,60 et 0,93, dmontrant clairement qu'elles varient
ensemble5.
Il est vident que les universits amricaines bnficient, en moyenne, de fonds de recherche
beaucoup plus importants que ceux des institutions canadiennes, recevant environ 138 millions
de dollars par institution par anne entre 1993 et 1997, contre environ 60 millions pour leurs vis-
-vis canadiennes, c'est--dire un peu moins de la moiti6.
tant donn le financement moindre dont disposent nos universits, on pourrait s'attendre ce
qu'elles ralisent beaucoup moins d'inventions. Or, ce n'est pas le cas: tandis que les Amricains
dclarent environ 60 inventions par institution par anne, les Canadiens en dclarent 37, ce qui
signifie qu' financement gal, les universits canadiennes dclarent environ 30% d'inventions de
plus que leurs contreparties amricaines. Sur le plan des brevets, par contre, la tendance
s'inverse: les universits canadiennes ne demandent un brevet que pour le quart des inventions
dclares et en obtiennent pour 35% de leurs demandes, alors que les Amricains demandent
des brevets pour le tiers de leurs inventions et obtiennent des rponses favorables dans 40% des
cas. Autrement dit, pour 100 inventions dclares, les universits canadiennes reoivent 9
brevets pendant que les universits amricaines en reoivent 13, une diffrence de 30%.
Ces carts peuvent tre attribus plusieurs facteurs, dont la loriginalit des inventions et l
qualit des demandes, mais aussi aux stratgies commerciales adoptes en fonction des
secteurs industriels viss. En effet, nos universits concluent un nombre d'ententes de
commercialisation plus lev que ce qu'on aurait pu deviner en se fiant seulement leurs fonds
de recherche, soit environ 13 par anne (contre 17 aux tats-Unis), et le nombre d'entreprises
5 Ces cfficients de corrlation ont t mesurs sur la population de l'enqute de l'AUTM 1997,pour les universits amricaines.6 Il faut se rappeler que les subventions de recherche accordes par le gouvernement amricainincluent les frais indirects. Voir Robitaille et Gingras (1999). Le niveau de financement de la
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drives dmarres en 1997 est galement plus important chez nous: chaque tranche de 1
milliard de dollars de recherche subventionne aux tats-Unis est associe 13 entreprises
dmarres tandis qu'on en compte 74 pour des fonds quivalents au Canada7. Autre cart
notoire, au cours de la mme priode, chacune des licences ou options rapportant des revenus
aux tablissements canadiens rapportait en moyenne 31 000$, contre 67 000$ aux tats-Unis.
Ces valeurs moyennes par institution ne peuvent cependant servir qu' tablir des mesures trs
grossires de comparaison entre les chantillons canadien et amricain, qui sont de taille trs
diffrente. En ralit, au sein mme de la population d'universits amricaines, les revenus sont
trs ingalement distribus. En 1997 par exemple, 33 institutions (le quart de l'chantillon)
recueillaient 88% des revenus de commercialisation de la proprit intellectuelle, tandis que les
99 autres rcoltaient les 12% restants.
En fait, le niveau des revenus des universits semble aussi fonction de l'engagement
institutionnel en matire de commercialisation. En effet, les 26 universits qui ont affect des
professionnels (au moins 0,5 employ quivalent temps complet) la valorisation de leur
proprit intellectuelle depuis 17 ans et plus s'accaparent tout prs de 60% des revenus, mme
si leur budget de recherche ne reprsente que 43% de l'ensemble amricain8.
Sachant que le plus ancien bureau canadien de valorisation de la recherche universitaire recens
par l'AUTM n'est g que de 19 ans, et que la moyenne d'exprience se situe plutt 12 ans,
recherche universitaire au Canada et aux tats-Unis: tude comparative.http://www.aucc.ca/en/research/cirst_fr.pdf7
Le rapport Fortier attribue une grave erreur mthodologique les classements quipositionnent les universits canadiennes en tte pour la cration d'entreprises drives eninvoquant la part des frais indirects dans les subventions amricaines (voir note 6). Ce facteurnous semble insuffisant pour expliquer l'ampleur de la disproportion.8 Malgr la date officielle laquelle l'universit a commenc consacrer des ressourcesprofessionnelles la valorisation des rsultats de recherche, telle que mesure par l'AUTM,plusieurs universits se consacraient au transfert de technologie par le biais de centres derecherche industrielle par exemple depuis beaucoup plus longtemps. La mesure d'exprience
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nous avons compar les universits canadiennes leurs vis--vis amricaines ayant une
exprience professionnelle comparable en matire de commercialisation. Ainsi, nous observons
que les universits canadiennes se comparent avantageusement aux 38 universits amricaines
dont l'infrastructure de commercialisation a entre 10 et 14 ans. Par exemple, en 1997, les
universits amricaines recevaient environ 3,5 millions de dollars de revenus de proprit
intellectuelle chacune pour 150 millions de fonds de recherche, ce qui correspond plus de
quatre fois et demi la performance canadienne, en nombres absolus. Cependant, les universits
amricaines correspondant nos critres d'exprience en matire de commercialisation
ralisaient plutt 1,5 millions de revenus avec 132 millions d'investissements en recherche, soit
un rendement de 1,1%, ce qui les place nez nez avec les institutions canadiennes.
Activits de valorisation de la proprit intellectuelle
Moyenne par universit (1997)Toutes les universits
amricainesUniversits amricainesconsacrant au moins 0,5employ professionnel temps plein depuis 10
14 ans
Toutes les universitscanadiennes
Fonds de recherche subventionne 150 440 436$ 131 593 169$ 73 662 528$
Inventions dclares 69 60 49
Demandes de brevets aux tats-Unis (total)
43 33 22
Licences et options excutes 21 19 16
Revenus bruts sur licences etoptions
3 657 523$ 1 470 803$ 808 954$
Licences et options rapportant desrevenus
44 37 29
Brevets octroys par les tats-Unis 17 13 6
Entreprises drives dmarres 2 1 4
Source: AUTM Survey FY 1997
que constitue l'anne d'embauche d'un professionnel ddi au moins mi-temps lacommercialisation est donc approximative, tant pour les universits canadiennes qu'amricaines.
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En somme, avant de chercher expliquer notre prtendu retard, il faut tenir compte de l'tat
gnral des activits de recherche universitaire canadiennes, et non seulement des gains en
espces sonnantes et trbuchantes qu'on en tire. Un examen plus attentif du classement des
universits sur la base de leur rendement en matire de commercialisation (le rapport entre les
revenus gnrs et les fonds de recherche) nous force constater que, bien que les
prestigieuses institutions amricaines et les success stories classiques comme Stanford (autour
de laquelle s'est construite la Silicon Valley) y soient bien reprsentes, il s'y trouve aussi une
poigne d'institutions moins connues qui ont semble-t-il tir des revenus importants de quelques
innovations seulement. De plus, comme nous l'avons vu, il est beaucoup plus rvlateur de
comparer des institutions semblables si l'on veut obtenir un portrait raliste de la situation des
universits canadiennes en matire de commercialisation. En effet, aucune universit
canadienne n'est comparable aux plus prestigieuses de l'Ivy League, mme si on peut parfois
admirer, sur leur campus, des difices enjolivs de lierre
En conclusion, de quelque manire qu'on manipule les statistiques, il faut noter que les revenus
de proprit intellectuelle des universits, mme amricaines, ne reprsentent au bout du compte
qu'une somme minime, en moyenne 2,5% des fonds de recherche aux tats-Unis, toutes
universits confondues, et 1,1% au Canada. Cest donc moins de 1% du budget total des
universits.
Aussi, nonobstant tous les investissements raliss dans les infrastructures de valorisation de la
recherche, il n'y a que l'augmentation des activits de recherche, donc des fonds de recherche,
qui pourrait significativement affecter le niveau des revenus de commercialisation, car ces
derniers sont intimement lis au niveau gnral de financement de la recherche, au nombred'inventions dclares et au nombre de brevets demands et obtenus par les universits. Mme
le rcent rapport Fortier, qui prconise des mesures nergiques pour faciliter la
commercialisation des rsultats de la recherche universitaire, admet que la valorisation
commerciale des rsultats de recherche ne pourra procurer aux universits des revenus
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importants, bien quils anticipent un certain nombre d'avantages accessoires, comme
l'augmentation des dbouchs pour les tudiants des cycles suprieurs et des dons
d'quipement pour l'universit9. Pour les auteurs, ce virage vers la commercialisation est dabord
avantageux pour lconomie canadienne prise globalement. En retour, ils croient que lesuniversits pourraient s'attendre un soutien accru du public l'gard de ces
tablissements10.
En somme, le vritable enjeu des discours rcents sur la commercialisation des rsultats de la
recherche universitaire est moins les bnfices conomiques potentiels que lon fait miroiter aux
universits, qui cherchent dsesprment des revenus, que le rle dvolu ces institutions dans
la rorganisation des rapports sociaux qui fonde l'conomie dite du savoir. Les gouvernements et
les entreprises ayant dj adopt une position claire en faveur de la commercialisation de la
recherche, il est plus que temps que les universitaires et leurs porte-parole se penchent
srieusement sur la question pour valuer non seulement les bnfices rels escompts de ce
virage, mais surtout ses effets sur les missions fondamentales de l'universit: l'enseignement
et la recherche.
9Groupe d'experts sur la commercialisation des rsultats de la recherche universitaire (1999).Les investissements publics dans la recherche universitaire: Comment les faire fructifier?Prsent au Conseil consultatif des sciences et de la technologie du premier ministre du Canada,4.10 Ibid., iii.
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Titres parus
95-01 Hanel, Petr, R&D, inter-industry and international spillovers of technology and the total factorproductivity growth of manufacturing industries in Canada, 1974-1989
95-02 Niosi, Jorge, L'mergence de l'volutionnisme en sciences sociales
95-03 Dalp, Robert et Frances Anderson; Contracting out of Science and Technology Services
96-01 Godin, Benot; The rhetoric of technology: the Microprocessor Patient Card
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99-02Doray, Pierre ; Carine Lalibert, Diane Gabrielle Tremblay et Carol Landry, Lconomiecommunautaire et la planification de loffre et de formation : quelles orientationsinstitutionnelles ?
99-03Auger, Jean-Franois et Robert Gagnon, An Independant inventor in a university setting :Jean-Charles Bernier at the cole Polytechnique de Montral, 1925-1975
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99-10Gemme, Brigitte, Yves Gingras et Benot Godin, La commercialisation de la rechercheuniversitaire : que disent vraiment les chiffres ?
99-11Godin, Benot et Stphane Ratel, Jalons pour une histoire de la mesure de la science
99-12Albert, Mathieu, Stratgies d'adaptation des organismes subventionnaires en scienceshumaines et sociales au Canada et au Qubec aux compressions budgtairesgouvernementales