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1 Géométrie projective 1. Prolégomènes. 2. Espaces projectifs. 3. Sous-espaces projectifs. 4. Constructions à la règle seule. 5. Applications projectives. 6. Droites projectives : birapport, homographies. 7. Dualité dans les espaces projectifs. 8. Complétion projective d’un espace affine. 9. Pappus et Desargues, derechef. 10. Les coniques en géométrie projective. 11. Vers la géométrie algébrique. Pierre-Jean Hormière ____________ « La perspective est une démonstration rationnelle par quoi l’expérience confirme que toute chose transmet à l’oeil son image en ligne conique. J’entends celles qui parties des extrémités superficielles des corps convergent graduellement vers un point unique placé dans l’oeil, juge universel de toutes choses, comme je le démontrerai. J’appelle point ce qui ne saurait être divisé en parties ; et celui de l’oeil étant indivisible, aucun objet ne saurait être perçu par l’oeil s’il n’est plus grand que ce point. Il faut donc que les lignes qui s’étendent de l’objet à ce point aient forme de cône. (…) Une paroi de mur est un plan perpendiculaire, figuré en face du point commun auquel convergent les cônes. (…) Le concours des cônes créés par les corps montrera sur la paroi du mur la variété de grandeur et de distance de leurs causes. » Carnets de Léonard de Vinci Analyse de la perspective dans La Cène, de Léonard de Vinci (env. 1497) (tiré de Martin Kemp, The Science of Art, p. 48)

Géométrie projective · 2019. 11. 10. · relégué en 1813 et 1814 à Saratov sur la Volga. Ce n’est qu’avec la découverte par Michel Chasles, en 1845, d’une copie manuscrite,

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    Géométrie projective

    1. Prolégomènes.

    2. Espaces projectifs.

    3. Sous-espaces projectifs.

    4. Constructions à la règle seule.

    5. Applications projectives.

    6. Droites projectives : birapport, homographies.

    7. Dualité dans les espaces projectifs.

    8. Complétion projective d’un espace affine.

    9. Pappus et Desargues, derechef.

    10. Les coniques en géométrie projective.

    11. Vers la géométrie algébrique.

    Pierre-Jean Hormière ____________

    « La perspective est une démonstration rationnelle par quoi l’expérience confirme que toute chose transmet à l’œil son image en ligne conique. J’entends celles qui parties des extrémités superficielles des corps convergent graduellement vers un point unique placé dans l’œil, juge universel de toutes choses, comme je le démontrerai. J’appelle point ce qui ne saurait être divisé en parties ; et celui de l’œil étant indivisible, aucun objet ne saurait être perçu par l’œil s’il n’est plus grand que ce point. Il faut donc que les lignes qui s’étendent de l’objet à ce point aient forme de cône. (…) Une paroi de mur est un plan perpendiculaire, figuré en face du point commun auquel convergent les cônes. (…) Le concours des cônes créés par les corps montrera sur la paroi du mur la variété de grandeur et de distance de leurs causes. »

    Carnets de Léonard de Vinci

    Analyse de la perspective dans La Cène, de Léonard de Vinci (env. 1497) (tiré de Martin Kemp, The Science of Art, p. 48)

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    « Pour vostre façon de considérer les lignes paralleles, comme si elles s’assembloient à un but à distance infinie, afin de les comprendre sous le mesme genre que celles qui tendent à un point, elle est fort bonne, pourvu que vous vous en serviez, comme je m’assure que vous faites, pour donner à entendre ce qui est obscur en l’une de ces especes, par le moyen de l’autre où il est plus clair, et non au contraire. »

    Descartes, lettre à Desargues, 19 juin 1639.

    Les géomètres grecs (Apollonios, Menelaüs, Pappus) avaient déjà considéré le « rapport anhar-monique » (on dit aujourd’hui birapport) de quatre points alignés A, B, C, D :

    [ A, B, C, D ] = CBCA :

    DBDA ,

    et observé que, si quatre droites parallèles ou concourantes sont données, pour toute transversale qui les coupe en A, B, C et D, ce rapport est constant.

    La perspective linéaire fut inventée1 par l’architecte Filippo Brunelleschi (1377-1446) aux alentours de 1413. Au cours des deux siècles suivants, de très nombreux artistes, parmi lesquels Leo Battista Alberti (1404-1472), Piero della Francesca (1410 ? -1492), Léonard de Vinci (1452-1519), Jean Pèlerin dit le Viator (1435 ? -1524), et Albrecht Dürer (1471-1528), s’intéressèrent à la représentation plane de figures spatiales à partir du point de vue constitué par l’œil du spectateur. Ils furent amenés à étudier les propriétés de la projection centrale, et notamment à considérer le point de fuite, qui représente, sur le plan des projections, le point à l’infini de droites parallèles perpendi-culaires à ce plan. Bref, la perspective et ses techniques étaient devenues un domaine interdisciplinaire, où se côtoyaient la peinture et la gravure, l’architecture civile et militaire, la gnomonique (art des cadrans solaires) et la stéréotomie (art de la taille des pierres).

    Cependant, ce n’est qu’au tournant du 17ème siècle que la projection perspective fut étudiée sous un angle purement géométrique, dans le Perspectivae libri sex de Guidobaldo dal Monte (1545-1607), paru en 1600, et surtout dans l’œuvre de Girard Desargues (1591-1661). Cet ingénieur et architecte lyonnais publia en 1636 une courte brochure « touchant la pratique de la perspective », puis, en 1639, un petit livre dense de 40 pages, intitulé Brouillon project d’une atteinte aux evene-mens des rencontres du cone avec un plan. Cet ouvrage, tiré seulement à 50 exemplaires, s’adressait sans doute aux savants qui gravitaient autour du père Marin Mersenne (1588-1648). Les méthodes de Desargues eurent une grande influence sur le graveur Abraham Bosse (1602-1676), le peintre Laurent de La Hire (1606-1656), ainsi que sur un géomètre en herbe, le jeune Blaise Pascal (1623-1662), qui les appliqua brillamment à l’étude des coniques. Mais les travaux de Desargues, critiqués en raison de leur vocabulaire obscur, tombèrent dans l’oubli pendant deux siècles, tandis que triomphait la géométrie cartésienne, d’inspiration plus algébrique.

    L’intérêt pour les méthodes projectives fut relancé en 1795, lorsque Gaspard Monge (1746-1818) fonda la géométrie descriptive, puis en 1822, lorsque son ancien élève Jean Victor Poncelet (1788-1867) publia son Traité des propriétés projectives des figures, fruit des réflexions solitaires entamées lorsque, lieutenant du génie de la Grande Armée, il fut fait prisonnier lors de la retraite de Russie, et relégué en 1813 et 1814 à Saratov sur la Volga. Ce n’est qu’avec la découverte par Michel Chasles, en 1845, d’une copie manuscrite, par Philippe de La Hire, du Brouillon project, que l’importance de la contribution de Desargues fut reconnue. Enfin, en 1951, un exemplaire du Brouillon project fut retrouvé et publié par l’historien des sciences René Taton (1915-2004).

    Les années 1795-1900 furent l’âge d’or de la géométrie projective, suscitant de nombreux développements en géométries énumérative, birationnelle et algébrique. Cet âge d’or se prolongea dans l’enseignement jusque vers 1950, car la géométrie occupa longtemps la première place dans l’enseignement des mathématiques en mathélém et en taupe, et la géométrie projective en était le

    1 Inventée ou redécouverte ? La célèbre mosaïque de la bataille d’Issos entre Alexandre-le-Grand et Darius, située dans la Maison du Faune de Pompéï, contient un effet de perspective : les lances convergent toutes vers le même point de fuite. Vitruve, architecte romain du Ier siècle avant J.-C., affirme qu’Agarthaque, qui faisait les décors de théâtre des tragédies d’Eschyle, rédigea sur le sujet un traité qui inspira Démocrite et Anaxagore. Bref, la querelle des Anciens et des Modernes est sans fin…

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    chapitre le plus prestigieux. Au cours des années 1960, la géométrie a été détrônée au profit de l’algèbre et de l’analyse, et les géométries descriptive et projective furent les premières victimes de ces évolutions. Pourtant, la géométrie projective reste le cadre naturel de la géométrie algébrique moderne : le théorème de Fermat-Wiles fait grand usage de cubiques et autres courbes elliptiques, et il suffit de feuilleter le récent livre de François Apéry sur les modèles de représentation du plan projectif réel pour entrevoir la beauté et la profondeur d’un sujet qui est loin d’être épuisé.

    1. Prolégomènes. Avant d’exposer dogmatiquement la géométrie projective, débouchons une bonne bouteille de Condrieu blanc, en hommage à Desargues, et résolvons trois problèmes célèbres, afin de sensibiliser le lecteur à la beauté des méthodes projectives. On se place ici dans le plan affine euclidien réel.

    La distance de deux points est un « invariant métrique » : une application du plan dans lui-même qui conserve la distance de deux points conserve l’alignement de trois points, et est une bijection affine, déplacement (rotation ou translation) ou antidéplacement (symétrie ou symétrie-glissée). Les bijections affines générales ne conservent plus la distance, mais conservent l’alignement de

    trois points A, B, C, et le rapport CBCA : ce rapport est un « invariant affine ».

    Les projections centrales préservent l’alignement, mais ne conservent plus le rapport CBCA . Nous

    allons voir qu’elles conservent une notion plus faible, le birapport de quatre point alignés. 1.1. Rapport anharmonique et perspective.

    Définition 1 : Soient A, B, C, D quatre points distincts et alignés. On appelle rapport anharmonique, ou birapport , de ces quatre points, pris dans cet ordre, le réel :

    [A, B, C, D] = CBCA :

    DBDA .

    Propriétés du birapport :

    1) Ce réel est indépendant de l’orientation choisie sur la droite. 2) On vérifie que [A, B, C, D] = [C, D, A, B] = [B, A, D, C] = [D, C, B, A]. 3) Il en résulte que, lorsqu’on permute les quatre points, leur birapport ne prend qu’au plus 6

    valeurs. Si l’on note r = [A, B, C, D] , ces valeurs sont : r , 1−r , r1 , 1−

    r1 ,

    r−11 et

    rr−1 .

    4) En particulier, on peut parler du birapport de 4 réels a, b, c, et d : [a, b, c, d] = bcac

    −− :

    bdad

    −− .

    5) Le birapport de 4 réels est invariant par toute transformation homographique x’ = srxqpx

    ++

    (ps −

    qr ≠ 0). Cela peut se vérifier directement, ou cela résulte de ce qu’il est invariant par x → x + h, x → kx (k ≠ 0) et x → 1/x ; or toute homographie est composée de telles transformations.

    Définition 2 : On dit que (A, B, C, D) est une division harmonique si [A, B, C, D] = −1.

    On dit aussi que A et B sont conjugués harmoniques par rapport à C et D. Alors C et D sont conjugués par rapport à A et B.

  • 4

    Proposition 1 : Soient A, B, C, D quatre points distincts et alignés sur une droite ∆, A’, B’, C’ et D’ quatre points distincts et alignés sur une droite ∆’. Si les droites AA’, BB’, CC’ et DD’ sont parallèles, les birapports sont égaux :

    [A, B, C, D] = [A’, B’, C’, D’] .

    Preuve : C’est une conséquence immédiate du théorème de Thalès : CBCA =

    ''''

    BCAC et

    DBDA =

    ''''

    BDAD .

    Proposition 2 : Soient A, B, C, D quatre points distincts et alignés sur une droite ∆, A’, B’, C’ et D’ quatre points distincts et alignés sur une droite ∆’. Si les droites AA’, BB’, CC’ et DD’ sont concourantes en O, les birapports sont égaux :

    [A, B, C, D] = [A’, B’, C’, D’] .

    Preuve : La parallèle menée par le point B à la droite OA recoupe les droites OC et OD en E et F.

    Par Thalès CBCA =

    BEAO et

    DBDA =

    BFAO ; il en résulte que [A, B, C, D] =

    BEBF .

    De même, si l’on mène de B’ la parallèle à OA ; elle recoupe les droites OC et OD en E’ et F’, et :

    [A’, B’, C’, D’] = ''''

    EBFB .

    Comme les droites BEF et B’E’F’ sont parallèles, il découle de Thalès que : BEBF =

    ''''

    EBFB . Cqfd.

    Autrement dit, le birapport est invariant, non seulement par toute projection affine appliquant ∆ sur ∆’, mais aussi par toute projection centrale appliquant ∆ sur ∆’ : c’est un invariant « perspectif » ou « projectif ». Dans ce qui précède, on pressent déjà deux choses :

    • les projections affines sont des projections centrales dont le centre est rejeté à l’infini dans une direction donnée.

    • si l’on admet que la parallèle menée de B à OA recoupe celle-ci au « point à l’infini » ∞A de

    cette droite, alors [A, B, C, D] = BEBF signifie déjà [A, B, C, D] = [∞A, B, E, F], à condition

    d’étendre le birapport au cas où un point est rejeté à l’infini. Avant de poursuivre, donnons une démonstration « cartésienne » de la proposition 2.

    Choisissons un repère affine xOy d’origine O, tel que les droites OA, OB, OC et OD aient resp. pour équations y = ax , y = bx , y = cx , y = dx .2

    2 Cela suppose la droite Oy distincte des quatre droites.

  • 5

    Coupons ces droites par une droite ∆ d’équation y = mx + p ; de ce fait, m ∉ {a, b, c, d}.

    Les points d’intersection A, B, C, D ont pour abscisses : ma

    p− , mb

    p− , mc

    p− , md

    p− .

    Comme le birapport de A, B, C, D est égal à celui de leur projections A1, B1, C1, D1 sur Ox,

    [A, B, C, D] = [A1, B1, C1, D1] = [ map− , mb

    p− , mc

    p− , md

    p− ] = [a, b, c, d].

    en vertu de l’invariance du birapport par l’homographie x → mx

    p− .

    Il résulte de ces calculs que [A, B, C, D] = [A’, B’, C’, D’] : ce réel, indépendant des sécantes ∆ et ∆’, est le birapport des pentes de ces quatre droites dans n’importe quel repère. Il est appelé rapport anharmonique ou birapport du faisceau des quatre droites [OA, OB, OC, OD], que l’on note aussi [O ; ABCD] ; notion également définie, bien entendu, lorsque les droites sont parallèles.

    On peut se demander si les propositions 1 et 2 admettent des réciproques : si les points A, B, C, D et A’, B’, C’ et D’ sont alignés sur des droites distinctes et ont même birapport, les droites AA’, BB’, CC’ et DD’ sont-elles concourantes ou parallèles ? Il n’en est rien, car, quels que soient les points A, B, C, A’, B’ et C’, on peut trouver D et D’ tels que [A, B, C, D] = [A’, B’, C’, D’]. Mais on va voir que cela est vrai si D = D’.

    Proposition 3 : Soient A, B, C, A’, B’, C’ six points distincts, ABC situés sur une droite ∆, A’B’C’ situés sur une autre droite ∆’. − Si ∆ et ∆’ sont concourantes en M, les droites AA’, BB’ et CC’ sont concourantes ou parallèles si et seulement si les birapports suivants sont égaux : [M, A, B, C] = [M, A’, B’, C’]. − Si ∆ et ∆’ sont parallèles, les droites AA’, BB’ et CC’ sont concourantes ou parallèles si et

    seulement si CBCA =

    ''''

    BCAC .

    Preuve : La seconde assertion est laissée au lecteur ; montrons la première. Si AA’, BB’ et CC’ sont parallèles, on a : [M, A, B, C] = [M, A’, B’, C’] en vertu de la prop. 1. Si AA’, BB’ et CC’ sont concourantes en O, [M, A, B, C] = [M, A’, B’, C’] en vertu de la prop. 2.

    Démontrons la réciproque par coïncidence : supposons [M, A, B, C] = [M, A’, B’, C’]. Si AA’ // BB’, la parallèle menée de C recoupe ∆ en C’’. On a [M, A, B, C] = [M, A’, B’, C’’], donc [M, A’, B’, C’] = [M, A’, B’, C’’] : on en déduit C’ = C’’, donc CC’ // AA’ // BB’. Si AA’ et BB’ se coupent en O, la droite OC recoupe ∆ en C’’. On a [M, A, B, C] = [M, A’, B’, C’’], donc [M, A’,B’, C’] = [M, A’, B’, C’’] : on en déduit C’ = C’’, donc les 3 droites sont concourantes.

    Proposition 4 : Soient (D1, D2, D3, D4) et (D’1, D’2, D’3, D’4) deux faisceaux de quatre droites. Si

    ces deux faisceaux ont même birapport, et si les droites D1 et D’1 sont confondues, alors les points

    d’intersection D2 ∩ D’2, D3 ∩ D’3 et D4 ∩ D’4 sont alignés.

    Preuve : Notons O et O’ les sommets resp. des deux faisceaux, et B = D2∩D’2 , C = D3∩D’3 et D = D4∩D’4 .

  • 6

    La droite BC coupe OO’ = D1 = D’1 en A, D4 en M et D’4 en M’. Si l’on établit que M = M’, alors B, C et D seront alignés. On a

    [A, B, C, M] = [O ; ABCM]

    = [D1, D2, D3, D4]

    = [D’1, D’2, D’3, D’4] = [O’ ; ABCM’] = [A, B, C, M’],

    donc M = M’. 1.2. Les théorèmes de Pappus.

    Théorème 1 : Soient ∆ et ∆’ deux droites distinctes, A, B, C trois points de ∆, A’, B’, C’ trois points de ∆’. Alors BC’ // CB’ et CA’ // AC’ ⇒ AB’ // BA’.

    Preuve : Si les droites ∆ et ∆’ sont parallèles, BC = ''BC et CA = CA' ⇒ BA = ''BA .

    Si elles se coupent en O, par Thalès, OCOB =

    ''

    OCOB et

    OAOC =

    ''

    OAOC , etc.

    Théorème 2 : Soient ∆ et ∆’ deux droites distinctes, A, B, C trois points de ∆, A’, B’, C’ trois points de ∆’. On note (BC’) ∩ (CB’) = α , (CA’) ∩ (AC’) = β et (AB’) ∩ (BA’) = γ. Alors ces trois points sont alignés au sens suivant : • si ces trois points existent, ils sont alignés ; • si 2 seulement existent, la droite qui les joint et les 2 droites définissant le 3ème sont parallèles ; • si aucun point n’existe, on est dans la situation du théorème 1.

    Preuve : Traitons le 1er cas, et laissons le 2ème en exercice. Notons G l’intersection des droites BC’ et CA’, et H l’intersection des droites AC’ et BA’. On a l’égalité des birapports : [C’ ; B’A’BC’] = [A ; B’A’BC’] . La droite BC’ coupe le faisceau (C ; B’A’BC’) aux points α, G, B, C’. La droite BA’ coupe le faisceau (A ; B’A’BC’) aux points γ, A’, B, H . Comme les deux faisceaux ont même birapport, on a [α, G, B, C’] = [γ, A’, B, H] . On a deux séries rectilignes de 4 points de même birapport, ayant un point commun, B. Il résulte de la prop 3 du § 1.1. que les droites αγ, GA’ et C’H sont concourantes. Or GA’ et C’H se coupent en β. Donc β est sur la droite αγ, et les points α, β et γ sont alignés.

    Remarque : Le 2ème théorème généralise le premier. Si l’on admet que deux droites parallèles se coupent à l’infini, il se formule de manière plus simple. Mais il faut alors se placer dans le plan projectif, et non plus affine. Nous verrons en 1.5. et en 7 comment déduire le th 2 du th 1.

    Application : Soient ∆ et ∆’ deux droites distinctes, A, B, C, D quatre points distincts de ∆, A’, B’, C’ trois points distincts de ∆’. Construire le point D’sur ∆’ tel que [A, B, C, D] = [A’, B’, C’, D’].

    Remarque : La fractale de Pappus (1993)… ou comment faire du neuf avec du vieux…

  • 7

    Le théorème de Pappus associe à deux triplets de points alignés (A, B, C) et (A’, B’, C’) un troisième triplet (α, β, γ). A partir des deux paires de triplets ainsi formées, le même procédé crée deux autres triplets. L’ensemble obtenu après itérations est fractal et a une structure de groupe modulaire.

    1.3. Les théorèmes des triangles perspectifs de Desargues.

    Théorème 1 : Soient ABC et A’B’C’ deux triangles sans sommet commun. Si AB//A’B’, BC//B’C’ et CA//C’A’, alors les droites AA’, BB’ et CC’ sont concourantes ou parallèles.

    Preuve : Comme AB // A’B’, on a, soit AA’ // BB’, soit AA’ ∩ BB’ = O. Dans ce dernier cas, soit f l’homothétie de centre O telle que f(A) = A’, et f(B) = B’. Posant f(C) = C’’, il vient B’C’ // BC // B’C’’ et A’C’ // AC // A’C’’ ; on en déduit C’ = C’’. Dans le premier cas, soit f la translation telle que f(A) = A’, f(B) = B’. Poser f(C) = C’’, etc.

    Applications :

    1) Deux droites, tracées sur une feuille de papier, ne se rencontrent pas dans la feuille. Soit M un point de la feuille. Comment tracer, avec la règle seule, la droite qui joint M au point d’intersection des deux droites ? 2) Tracer, avec le seul usage d’une règle trop courte, le segment joignant deux points d’une feuille de papier.

    Théorème 2 : Soient ABC et A’B’C’ deux triangles, α l’intersection des droites BC et B’C’, β l’intersection des droites CA et C’A’, γ l’intersection des droites AB et A’B’.

  • 8

    i) Si les droites AA’, BB’, CC’ sont concourantes, les points α, β et γ sont alignés ; ii) Réciproquement, si α, β et γ sont alignés, les droites AA’, BB’ et CC’ sont concourantes.

    Preuve : i) Supposons les droites AA’, BB’, CC’ et DD’ concourantes en O (S sur la figure). Les droites AB et A’B’ recoupent la droite OCC’ en D et D’ resp. En vertu de la prop. 2 de 1.1., on a [A, B, γ, D] = [A’, B’, γ, D’] , Et, par suite, [C ; A B γ D] = [C’ ; A’ B’ γ D’]. Ces deux faisceaux ont même birapport et deux rayons homologues confondus, à savoir, CD et C’D’. En vertu de la prop 4 du § 1.1. les points d’intersection des autres rayons homologues sont alignés : Ce sont α, β et γ. ii) Supposons maintenant les points α, β et γ alignés. Soit E le point d’intersection de cette droite avec la droite CC’. Nous avons [C ; α β γ E] = [C’ ; α β γ E]. Coupons le premier faisceau par la droite AB, et le second par la droite A’B’. Nous obtenons [B, A, γ, D] = [B’, A’, γ, D’]. Voilà deux séries rectilignes de quatre points qui ont même birapport et deux points homologues confondus au point γ. En vertu de la prop. 3 du § 1.1., les droites BB’, AA’ et DD’ sont concou-rantes ; or DD’ = CC’. Cqfd.

    Remarque : Le théorème 1 est un cas particulier, et un cas limite du théorème 2. La géométrie projective les unifie. En 1.5. et en 8, nous verrons comment déduire le théorème 2 du théorème 1. 1.4. Le théorème de l’hexagone de Pascal.

    Ce célèbre théorème fut démontré par Pascal à l’âge de seize ans, en 1639. On ignore sa méthode de démonstration.

    Proposition : Soit Γ un cercle, A, B, C et D quatre points distincts de Γ. Si M est un point du cercle, le birapport des quatre droites [M ; ABCD] est indépendant du point M, et appelé birapport des quatre points A, B, C, D.

    Preuve : Si M et M’ sont deux points du cercle, les faisceaux de droites (MA, MB, MC, MD) et (M’A, M’B, M’C, M’D) sont isométriques en vertu des propriétés des angles inscrits.

    Théorème : Soit ABCDEF un hexagone inscrit dans un cercle Γ. Si les côtés opposés (AB) et (DE), (BC) et (EF), (DC) et (AF) se recoupent respectivement en α, β et γ, les trois points α, β, et γ sont alignés.

    Preuve : Nous dirons que les sommets A, B, C, D, E, F et A sont consécutifs et que les sommets A et D, B et E, C et F sont opposés, quels que soit leur disposition sur le cercle. Choisissons deux sommets qui ne soient ni opposés, ni consécutifs, par exemple B et F. Joignons chacun de ces points aux quatre autres sommets de l’hexagone. On obtient ainsi deux faisceaux de même birapport : [B.ACDE] = [F.ACDE] (prop. précédente). La droite DE coupe le faisceau (B, ACDE) aux points α, G, D, E. La droite CD coupe le faisceau (F, ACDE) aux points γ, C, D, H. Comme les deux faisceaux ont même birapport, on a [α, G, D, E] = [γ, C, D, H]. On a deux séries rectilignes de 4 points de même birapport, ayant un point commun, D. Il résulte de la prop 3 du § 1.1. que les droites αγ, GC et EH sont concourantes. Or GC et EH sont les côtés BC et EF de l’hexagone : ils se coupent en β. Conclusion : β est sur la droite αγ, et les points α, β et γ sont alignés.

  • 9

    1.5. Perspective ou projection conique. 3

    Dans l’espace affine E de dimension 3, donnons-nous un point O et un plan P ne passant pas par O. A tout point M de l’espace associons l’intersection M’ de la droite OM avec le plan P. L’application M → M’ est appelée projection conique ou projection perspective de sommet O. L’image d’une figure F par cette projection est appelée son image perspective.

    La projection conique n’est définie que sur E − P0, où P0 est le plan parallèle mené de O à P. Son image est le plan P. Tout point M’ est projection d’une infinité de points, tous situés sur la projetante OM’.

    Lorsque le point O est rejeté à l’infini dans la direction d’une droite D coupant P, on obtient la projection affine usuelle sur P parallèlement à D.

    On appelle propriété projective d’une figure une propriété qui se conserve par projection affine ou par projection conique, et géométrie projective une géométrie dans laquelle les propriétés sont établies par des considérations de projection affine ou conique.

    Ainsi, on a vu en 1.1. que le birapport de quatre points alignés est invariant par projection affine et conique : c’est un invariant projectif.

    Montrons comment déduire le 2ème théorème de Pappus du 1er, par une ingénieuse technique de perspective. On a besoin pour cela d’une propriété de ladite perspective :

    Lemme : Soient D et D’ deux droites non parallèles à P0. Pour

    que D et D’ se coupent en un point de P0, il faut et il suffit que leurs projections perspectives dans P soient parallèles.

    Preuve : Supposons que la droite D coupe P0 en I, et P en A. Complétons OIA en un parallélogramme OIAF. L’image de D est la droite AF privée du point F, appelé point de fuite. Si D’ coupe P0 en I, et P en A’, l’image de D’ est la droite A’F’, où OIA’F’ est un parallélogramme privée du point F’.

    Comme AF = ''FA , les images sont parallèles. Réciproque facile.

    Revenons au 2ème théorème de Pappus. Supposons (BC’)∩(CB’) = α et (AC’)∩(CA’) = β distincts. Soit P0 un plan coupant le plan de la figure le long de la droite (αβ), et O un point de ce plan, non situé sur la droite (αβ). Soit P un plan parallèle à P0. En vertu du lemme ci-dessus, les images perspectives A1, B1, C1, A’1, B’1, C’1 de A, B, C, A’, B’, C’ obéissent au 1

    er théorème de Pappus.

    Donc A1B’1 // B1A’ 1, et, en vertu du même lemme, le point γ appartient au plan P0 ainsi qu’au plan de la figure, donc à la droite (αβ).

    3 Desargues voyait le monde conique.

  • 10

    La même méthode permettrait de déduire le second théorème de Desargues du premier.

    Un autre bel exemple de méthodes projectives est donné par le théorème de Pascal général : Soit ABCDEF un hexagone inscrit dans une conique Γ. Si les côtés opposés (AB) et (DE), (BC) et (EF), (DC) et (AF) se recoupent respectivement en α, β et γ, les trois points α β et γ sont alignés. Si la conique est formée de deux droites sécantes ou parallèles, on retrouve le théorème de Pappus. Si c’est une ellipse, comme toute ellipse est projection affine d’un cercle, la figure formée par l’hexagone ABCDEF, ses côtés opposés et les points α, β et γ est la projection affine de la figure correspondante pour le cercle. L’alignement de trois points se conserve par projection affine. Si c’est une hyperbole ou une parabole, elle est l’image perspective d’un cercle, en vertu du théorème d’Apollonios-Dandelin. La figure formée par l’hexagone ABCDEF, ses côtés opposés et les points α β et γ est l’image perspective de la figure correspondante pour le cercle. Or l’alignement de trois points se conserve par projection conique. 1.6. En guise de conclusion.

    Les exemples traités ci-dessus montrent les limites de la géométrie affine : dans le plan affine, deux droites peuvent être sécantes ou parallèles, ce qui oblige à distinguer plusieurs cas. Nous aimerions créer une géométrie plane où deux droites distinctes se coupent toujours en un point, une géométrie dans l’espace où deux plans distincts se coupent toujours selon une droite. Dans une telle géométrie, les points à l’infini seraient des points comme les autres. De plus, nous aimerions que cette géométrie soit bien adaptée à l’étude des propriétés « projectives » des figures, c’est-à-dire des propriétés invariantes non seulement par projections affines mais aussi par projections centrales : c’est précisément la géométrie projective de Desargues et Poncelet.

    Posons notre verre et mettons-nous au travail !

    Dans tout ce chapitre, K désigne un corps commutatif.

    2. Espaces projectifs.

    Il existe une théorie axiomatique intrinsèque de la géométrie projective. On la trouvera exposée dans Efimov par exemple. Cependant, il est plus efficace de fonder cette géométrie sur les axiomes et les propriétés des espaces vectoriels. 2.1. Définitions.

  • 11

    Définition 1 : Soit E un K -espace vectoriel. On appelle espace projectif déduit de E, et on note P = P(E), le quotient de l’ensemble E−{0} des vecteurs non nuls de E par la relation d’équivalence : x R y ⇔ ∃λ ∈ K* y = λx . Une classe d’équivalence, élément de P(E), est appelé un point de P(E). On note p : E−{0} → P(E) la surjection canonique qui à x associe sa classe. Un espace projectif est, par définition, un P = P(E).

    Définition 2 : Si E est de dimension finie n, la dimension de P(E) est, par définition, n – 1.

    Nous allons justifier cette définition dans la suite.

    Exemples :

    1) Espace vide. Si E = {0}, dim E = 0, P(E) = ∅, dim P(E) = −1. 2) Points projectifs. Si E est une droite, P(E) n’a qu’un point ; dim P(E) = 0. 3) Droites projectives. Si dim E = 2, dim P(E) = 1 : P(E) est une « droite projective ». 4) Plans projectifs. Si dim E = 3, dim P(E) = 2 : P(E) est un « plan projectif ».

    5) Pour tout n ≥ 1, on pose Pn(K ) = P(Kn+1) : c’est l’espace projectif standard de dimension n.

    Exercice : Soient K un corps fini à q éléments, P un K -espace projectif de dimension n.

    Montrer que card P = 111

    −−+

    qqn

    . Par exemple,

    − une droite affine sur F2 a deux points, une droite projective sur F2 a trois points. − un plan affine sur F2 a 4 points, un plan projectif sur F2 a 7 points (voir l’annexe 1).

    Deux problèmes se posent : Comment visualiser un espace projectif ? Comment calculer dans un espace projectif ? Commençons par ce dernier point. 2.2. Coordonnées homogènes.

    Les coordonnées homogènes ont été introduites par Feuerbach, Möbius, Plücker et Cayley, afin de pouvoir suivre de près les raisonnements géométriques.

    Définition 2 : Soit E un K -espace vectoriel de dimension n+1, B = (e1, e2, …, en+1) une base de E.

    Tout vecteur x non nul s’écrit x = ∑+

    =

    1

    1

    .n

    iii ex , où (x1, x2, …, xn+1) est un (n+1)-uplet de scalaires non

    tous nuls. (x1, x2, …, xn+1) est appelé un système de coordonnées homogènes du point m = p(x), par rapport à la base de E considérée.

    Dans la droite projective, on note (x, t) un système de coordonnées homogènes d’un point m. Dans le plan projectif, on note (x, y, t) un système de coordonnées homogènes de m. Dans l’espace projectif usuel, on note (x, y, z, t) un tel système.

    Proposition 1 : Soient m et m’ deux points de P(E) de coordonnées homogènes respectives (x1, x2,

    …, xn+1) et (x’1, x’2, …, x’n+1). Alors m = m’ ⇔ ∃λ ∈ K* ∀i x’ i = λ.x i .

    Exemples :

    1) Soient P(E) une droite projective, B = (e1, e2) une base de E. Tout point m a pour système de coordonnées homogènes, soit (x, 1) où x ∈ K , soit (1, 0). Ces systèmes sont alors uniques. De sorte que P(E) s’identifie à ΚΚΚΚ^ = K ∪ {∞}, où ∞ représente la droite horizontale t = 0, ou encore le point à l’infini dans la direction K .e1. Mais l’identification P(E) ≈ ΚΚΚΚ ainsi obtenue est liée à la base choisie. Nous reviendrons sur ceci dans les § 5 et 7.

    2) Soient P(E) un plan projectif, B = (e1, e2, e3) une base de E.

  • 12

    Tout point m a pour système de coordonnées homogènes, soit (x, y, 1) où (x, y) ∈ K2, soit (x, 1, 0) où x ∈ K , soit (1, 0, 0). Ces systèmes sont alors uniques. De sorte que P(E) s’identifie à la réunion d’un plan affine et d’une droite projective, la « droite de l’infini » dans la direction du plan horizontal t = 0. Tout cela n’est qu’une mise en œuvre des idées du § 1.2.2., et sera repris dans le § 7. 2.3. Représentations d’un espace projectif.

    Comment faire de la géométrie, sans « voir » l’espace dans lequel on travaille ? C’est impératif. Il est assez aisé de « voir » un plan affine réel : c’est une feuille de papier prolongée à l’infini. En revanche, il est impossible de « voir » un plan projectif réel. Essayons, cependant !

    1) Droites projectives. Une droite affine peut être visualisée par un fragment d’une ligne droite sans commencement ni fin4. On peut voir une droite projective comme une droite affine complétée par un point à l’infini, c’est-à-dire comme un cercle.

    2) L’espace projectif P(E) est en bijection naturelle avec D(E), ensemble des droites vectorielles de E. Vu ainsi, une droite projective est l’ensemble des droites d’un plan vectoriel, un plan projectif est l’ensemble des droites d’un espace vectoriel de dimension 3, etc.

    3) On peut représenter P(E) au moyen d’un « ciel » de E. On nomme ainsi une partie de E−{0} contenant un point et un seul sur chaque droite vectorielle.

    4) Soient H un hyperplan de E, H’ un hyperplan affine de E parallèle à H. Toute droite de E non contenue dans H coupe H’ en un point unique. Il y a donc une bijection naturelle de P(E)−P(H) sur H’. Quitte à perdre les points de P(H), on peut donc représenter P(E) par un espace affine. Si E est de dimension n+1, P(E) et H’ sont de dimension n. Au fond, P(E) s’obtient à partir de H’ en lui adjoignant des « points à l’infini » dans la direction de H : on dit qu’on a pris H pour hyperplan à l’infini de P(E). Nous reviendrons sur cette idée en 6.

    5) Supposons E de dimension finie sur R, et munissons-le d’une norme ||x||, par exemple euclidienne. Toute droite perce la sphère unité S en deux points. P(E) est alors le quotient de S par la relation y = ±x. 2.4. Topologie de l’espace projectif. 5

    Les espaces projectifs réels et complexes de dimension finie contiennent des points à l’infini… mais ils sont compacts, donc bornés ! Ce paradoxe a déjà été rencontré dans le chapitre sur les espaces métriques, quand nous avons noté qu’un compactifié du plan est la sphère de Riemann. La situation est ici la même : un espace projectif P(E) de dimension n est un « compactifié » de l’espace affine de même dimension. Mais cette compactification est plus compliquée.

    Soient K = R ou C, E un K -espace vectoriel de dimension n+1. Munissons E d’une norme euclidienne ou hermitienne ||x|| et munissons L(E) de la norme |||u||| subordonnée ou de la norme de

    Frobenius ||u|| = ).*( uutr , qui est euclidienne ou hermitienne.

    Proposition 1 : Pour l’une quelconque des deux normes, l’ensemble P des orthoprojecteurs de E est compact et admet n + 2 composantes connexes par arcs, à savoir les Pr = {p ∈ P ; rg p = r}, avec 0 ≤ r ≤ n+1, qui sont compactes.

    4 L’Œuvre plastique du Professeur Froeppel, de Jean Tardieu, propose dix savoureuses variations sur ce thème. 5 Ce paragraphe est à réserver à une seconde lecture.

  • 13

    À tout sous-espace vectoriel F, associons l’orthoprojecteur pF sur F.

    Proposition 2 : Soit G l’ensemble des sous-espaces vectoriels de E (ou grassmannienne). Pour F et G ∈ G, on pose : d(F, G) = ||| p

    F − p

    G ||| et δ(F, G) = || p

    F − p

    G ||.

    d et δ sont des distances sur G, équivalentes. Si l’on munit G de la topologie associée, G est compact ; et a pour composantes connexes par arcs les Gr = { F ∈ G ; dim F = r }, 0 ≤ r ≤ n+1, qui sont compactes. En particulier, l’ensemble D = G

    1 des droites de E est un espace compact et connexe par

    arcs. Or cet espace n’est autre que P(E).

    Proposition 3 : On suppose ici K = R. Soient a et b deux points de P(E), c’est à dire deux droites de

    E, faisant entre elles un angle α∈[0, 2π ] . Alors d(a, b) = sin α et δ(a, b) = 2 sin α.

    C’est tout à fait logique ! Une droite tend vers une autre si l’angle qu’elle fait tend vers 0.

    Un résultat analogue existe si K = C, mais il faudrait y voir de plus près : une droite complexe est un plan vectoriel réel ; les droites complexes sont une partie fermée et connexe par arcs de G

    2(E(R)).

    Les résultats précédents sont loin d’épuiser le sujet : l’espace projectif est non seulement un espace topologique, mais une variété différentielle. Dans l’annexe 2, nous montrerons que le plan projectif réel est impossible à visualiser sans un peu d’imagination.

    3. Sous-espaces projectifs. 3.1. Sous-espaces projectifs.

    Définition 1 : Soit F un sous-espace vectoriel de E. L’image par p de F−{0} est appelée variété linéaire projective, ou sous-espace projectif, de P(E), associé à F.

    Proposition 1 : Le sous-espace projectif associé à F n’est autre que l’espace projectif P(F) déduit de (ou associé à) F.

    Preuve : En effet p(F−{0}) est l’ensemble des droites de F.

    L’application F ∈ V(E) → P(F) ∈ V(P(E)) est une bijection, croissante pour l’inclusion, de l’ensemble des sous-espaces vectoriels de E sur l’ensemble des sous-espaces projectifs de P(E).

    Proposition 2 : L’intersection d’une famille quelconque de sous-espaces projectifs en est un, il est associée à l’intersection des sous-espaces vectoriels associés. Autrement dit I

    IiiFP

    ∈)( = P( I

    IiiF

    ∈) .

    Corollaire : Soit X une partie de P(E). Il existe un plus petit sous-espace projectif contenant X, c’est l’intersection de toutes les sous-espaces projectifs contenant X ; c’est aussi l’espace projectif associé

    à Vect(p−1

    (X)). On l’appelle sous-espace projectif engendré par X et on le note < X >.

    Proposition 3 : Soient mi = p(xi) (1 ≤ i ≤ k+1) k+1 points de P(E). Le sous-espace projectif qu’ils engendrent est P(F), où F = Vect(xi). Il a pour dimension dim P(F) = rang(x1, …, xk+1) – 1. Equations d’un sous-espace projectif.

  • 14

    Rapportons E à une base B = (e1, e2, …, en+1). Tout vecteur x non nul s’écrit x = ∑+

    =

    1

    1

    .n

    iii ex .

    1) Soit H un hyperplan de E, d’équation α1.x1 + … + αn+1.xn+1 = 0. P(H) est l’ensemble des points m dont un système de coordonnées homogènes vérifie cette équation.

    Par exemple, dans l’espace projectif de dimension 3, une droite a pour équation αx + βy + γt = 0. L’introduction de la coordonnée homogène supplémentaire t permet d’unifier les droites y = αx + γ et x = γ de la géométrie affine. 2) Tout sous-espace F de dimension k+1 de E est intersection de k+1 hyperplans associés à des formes linéaires indépendantes. P(F) est défini par ces mêmes équations. 3.2. Points projectivement indépendants.

    Définition 2 : Les points mi = p(xi) (1 ≤ i ≤ k+1) sont dits projectivement indépendants, ou forment une partie projectivement libre si le sous-espace projectif P(F) qu’il engendrent est de

    dimension k, autrement dit si les vecteurs (xi)1≤i≤k+1 sont libres. Ils sont dits projectivement liés dans le cas contraire.

    Exemples :

    1) Un seul point est toujours projectivement indépendant.

    2) Deux points sont projectivement indépendants ss’ils sont distincts. Par deux points distincts passe une droite et une seule. La droite passant par a et b est notée < a, b > ou (ab).

    3) Trois points a, b, c sont projectivement indépendants s’ils sont distincts et si chacun n’appartient pas à la droite passant par les deux autres : a∉< b, c > , b∉< c, a > , c∉< a, b >. Ils définissent alors un plan unique < a, b, c >.

    Proposition 4 : Les points mi = p(xi) (1 ≤ i ≤ k+1) sont projectivement indépendants ssi, pour tout i, mi n’appartient pas à < m1 , … , mi−1 , mi+1 , … , mk+1 > .

    Proposition 5 : Soient P(E) un espace projectif de dimension n, mj = p(xj), 1 ≤ j ≤ k+1, k+1 points de P(E), et, pour chaque j, soit (ξ1,j , ξ2,j , …, ξn+1,j) un système de coordonnées homogènes de xj relativement à une base B = (e1, e2, …, en+1) de E. Les points mj sont projectivement indépendants

    ssi la matrice M =

    +++

    +

    1,11,1

    1,111

    ............

    ...,

    knn

    k

    ξξ

    ξξ ∈ MK(n+1, k+1) est de rang k+1.

    Rappelons que cette matrice est définie à multiplication près des colonnes par des scalaires non nuls.

    Proposition 6 : Soient P(F) et P(G) deux variétés linéaires projectives de P(E). a) La plus petite variété qui les contient est < P(F) ∪ P(G) > = P(F + G). b) Si F et G sont de dimension finie, dim P(F) + dim P(G) = dim P(F + G) + dim P(F) ∩ P(G).

    Preuve : a) est facile. b) découle de la formule de Grassmann : dim P(F) + dim P(G) = dim F + dim G – 2 = dim(F + G) + dim(F∩G) – 2 = dim P(F + G) + dim P(F ∩ G).

    Corollaire : Si P(E) est de dimension n, et si dim P(F) + dim P(G) ≥ n, alors P(F) ∩ P(G) ≠ ∅.

    En effet, dim P(F + G) + dim P(F) ∩ P(G) ≥ n implique dim P(F) ∩ P(G) ≥ 0.

    Conséquences :

    − Dans le plan projectif, deux droites distinctes se coupent toujours en un point. − Dans l’espace projectif usuel (de dim. 3), une droite est, soit contenue dans un plan, soit le coupe toujours en un point unique.

  • 15

    − Plus généralement, dans un espace projectif de dimension n, une droite est, soit contenue dans un hyperplan, soit le coupe en un point et un seul.

    Corollaire : Si P(E) est de dimension n, n hyperplans de P(E) ont toujours au moins un point commun.

    Ce sont ces corollaires qui montrent la supériorité de la géométrie projective sur la géométrie affine : en géométrie projective, la notion de droites parallèles, de sous-espaces parallèles, n’existe pas.

    Equations de sous-espaces projectifs.

    − Dans le plan projectif, la droite joignant les points distincts M1(x

    1, y

    1 ,t

    1) et M

    2(x

    2, y

    2 ,t2) a pour

    équation : 21

    21

    21

    tttyyyxxx

    = 0. On en déduit une cns d’alignement de trois points Mi(xi, yi) (1 ≤ i ≤ 3).

    − Dans l’espace projectif de dim 3, l’équation du plan passant par trois points non alignés Mi(xi,

    yi, zi) (1 ≤ i ≤ 3) s’écrit de même

    421

    321

    321

    321

    ttttzzzzyyyyxxxx

    = 0.

    On en déduit une cns de coplanarité de quatre points Mi(xi, yi, zi) (1 ≤ i ≤ 4). 3.3. Repères projectifs.

    Un K -espace vectoriel de dimension n se repère avec une base, c’est-à-dire un n-uplet de vecteurs. Un K -espace affine de dimension n se repère avec un repère affine, c’est-à-dire un (n+1)-uplet de points affinement indépendants. Nous allons voir qu’il faut n+2 points pour repérer un espace projectif de dimension n.

    Définition 3 : Soit P(E) un espace projectif de dimension n. On appelle repère projectif de P(E) tout (n+2)-uplet de points de P(E) tel que tout sous-ensemble de (n+1) points soit projectivement libre.

    Soit (m0, m1, …, mn+1) un tel (n + 2)-uplet. On pose mi = p(ei).

    Les n+1 vecteurs (e1, e2, …, en+1) forment une base B de E.

    Dans cette base, e0 = λ1.e1 + ... + λn+1.en+1. Aucun des λi n’est nul, sinon (n+1) points mi seraient liés. Quitte à remplacer ei par λi.ei, on peut supposer mi = p(ei) et e0 = e1 + ... + en+1. Au fond, un repère projectif est un (n+2)-uplet (m0, m1, …, mn+1) admettant pour coordonnées

    projectives (en colonne) :

    1...001...............0...0010...1010...011

    . m0 est appelé point unitaire du repère.

    Proposition 7 : Un repère projectif de P(E) est un (n+2)-uplet (m0, m1, …, mn+1) tel qu’il existe une

    base (e1, …, en+1) de E vérifiant mi = p(ei) et m0 = p(e1 + ... + en+1). Si (e’1, …, e’n+1) est une autre

    base vérifiant ces conditions, alors ∃λ ∈ K* ∀i ∈ {1, 2, …, n+1} e’i = λ.e i .

    Preuve : La première assertion a été établie ci-dessus. Montrons la seconde par le calcul.

    Si mi = p(ei) = p(e’i) , on a déjà e’i = λi.ei . Et m0 = p(e1 + ... + en+1) = p(e’1 + ... + e’n+1) implique l’égalité des λi. cqfd.

    4. Constructions à la règle seule.

  • 16

    4.1. Introduction.

    Un point du plan est constructible à la règle à partir d’une famille donnée F de points s’il existe une

    suite finie M1, M2, …, Mn = M de points telle que, pour tout i ∈ [1, n], M i est élément de F ou est point d’intersection de deux droites distinctes passant par des points de Ei−1 = {M 1, M2, …, Mi−1}.

    Pour les constructions à la règle et au compas, on peut partir avec deux points de base ; ici, il est clair que quatre points non alignés au moins sont nécessaires.

    D’autre part, si l’on peut effectuer une construction à la règle dans un plan P, on obtient une construction à la règle analogue dans un plan P’, si l’on effectue une projection centrale de centre S de P sur P’. Cela met en évidence la nature projective du problème. En particulier, on ne pourra construire à la règle seule le milieu d’un segment, ni de mener par un point la parallèle à une droite donnée, car les notions de milieu et de parallèle sont affines et non projectives. 4.2. Caractérisation des points constructibles.

    Plaçons-nous donc dans le plan projectif réel, rapporté à un repère projectif (O, A, B, C). Chaque point M a pour système de coordonnées homogènes (x, y, t). Ici, l’on a O(1, 0, 0) , A(0, 1, 0) , B(0, 1, 0) , C(1, 1, 1). La droite OA a pour équation : y = 0 ; OB : x = 0 ; OC : x = y ; AB : t = 0 ; AC : y = t ; BC : x = t.

    Définition : Un point M du plan projectif sera dit constructible à la règle seule à partir des points O, A, B, C, s’il existe une suite finie O, A, B, C, M1, M2, …, Mn = M de points telle que, pour tout i

    ∈[1, n], Mi est point d’intersection de deux droites distinctes passant par des points de Ei-1 = {O, A, B, C, M1, M2, …, Mi−1}.

    Naturellement, les « règles » sont ici supposées de longueur infinie.

    Théorème : Pour qu’un point M soit constructible à la règle seule à partir de {O, A, B, C}, il faut et il suffit qu’il admette un système de coordonnées homogènes (x, y, t) formé de nombres rationnels.

    Preuve : La condition est nécessaire. Cela se montre aisément par récurrence sur n, car si O, A, B, C, M1, M2, …, Mn-1 admettent des coordonnées homogènes rationnelles, Mn aussi.

    Montrons qu’elle est suffisante. O, A, B et C jouant le même rôle, il est clair que si M(x, y, t) est constructible, chacun des six points M’(y, x, t) obtenus en permutant les coordonnées l’est aussi.

    Notons K = {x ∈ R ; M(x, 0, 1) est constructible à la règle seule} = {y ∈ R ; M(0, y, 1) est constructible à la règle seule} K correspond aux points constructibles situés sur la droite OA, ou sur la droite OB.

    Lemme 1 : M(x, y, 1) est constructible ⇔ x et y sont éléments de K . Preuve : En effet x et y ∈ K ⇒ P(x, 0, 1) et Q(0, y, 1) constructibles ⇒ (BP) ∩ (AQ) = M(x, y, 1) est constructible. Réciproque à l’avenant.

    Notons H = (OC) ∩ (AB) ; on a aussitôt H(1,1,0).

    Lemme 2 : K est un sous-corps de R.

    Preuve : K contient 0 et 1. • Montrons que x ∈ K ⇒ −x ∈ K . En effet (MH) ∩ (OB) = N(0, −x, 1) ; (OC) ∩ (AN) = Q(−x, −x, 1) ; (BQ) ∩ (OA) = R(−x, 0, 1). • Montrons que x et y ∈ K ⇒ x + y ∈ K . En effet soient M(x, 0, 1) et N(y, 0, 1).

  • 17

    On a (BM) ∩ (OC) = Q(x, x, 1) ; (AQ) ∩ (HN) = R(y − x, −x, 1) ; (BR) ∩ (OA) = S(x + y, 0, 1). • Montrons que x et y ∈ K ⇒ x.y ∈ K . En effet soient M(x, 0, 1) et Q(0, y, 1). ∩∩ • Montrons enfin que x ∈ K−{0} ⇒ 1/x ∈ K . Soit M(x, 0, 1). On a (AC) ∩ (OB) = Q(0, 1, 1) (AB) ∩ (MQ) = R(−x, 1, 0) (BC) ∩ (OA) = N(1, 0, 1) (OB) ∩ (NR) = S(0, 1/x, 1)

    Concluons : en tant que sous-corps de R, K contient Q. Mais, en vertu de la condition nécessaire, K est inclus dans Q. Donc K = Q. Du coup, si M(x, y, t) est constructible avec t ≠ 0, x/t et y/t sont rationnels et M(x/t, y/t, 1) a un système de coordonnées homogènes rationnelles. Idem si x ou y ≠ 0.

    Remarque : On trouvera dans le livre de J.-C. Carrega (chap. VIII) une preuve plus géométrique (par envoi de points à l’infini) du lemme 2, ainsi que des compléments.

    5. Applications linéaires projectives. Soient E et E’ deux K -espaces vectoriels, f une application linéaire E → E’. f est compatible avec les deux relations d’équivalence définissant P(E) et P(E’). Mais il y a un hic ! l’image f(E−{0}) n’est pas contenue dans E’−{0} en général. Si N est le noyau de f, on ne peut définir qu’une application P(E)−P(N) → P(E’). L’application x ∈ E−N → f(x) ∈ E’−{0} définit, par passage au quotient, une application, notée P(f) ou f : P(E)−P(N) → P(E’).

    Le sous-espace P(N) sur lequel f n’est pas définie est appelé le centre de P(f).

    Définition 1 : Cette application, quoique non définie sur P(E), est appelée application projective, ou morphisme d’espaces projectifs de P(E) dans P(E’). Leur ensemble est noté M(P(E), P(E’)).

    Si f est un isomorphisme E → E’, f définit une vraie application P(E) → P(E’), appelée isomorphisme d’espaces projectifs, ou homographie. Leur ensemble est noté H(P(E), P(E’)), et appelé groupe projectif de P(E).

    Proposition 1 : Soient f et g ∈ L(E, E’) . On a P(f) = P(g) ⇔ ∃λ ∈ K* g = λf.

    On peut traduire la proposition précédente par la bijection :

    M•(P(E), P(E’)) ≈ P(L(E, E’)) ,

    où M•(P(E), P(E’)) désigne l’ensemble M(P(E), P(E’)) auquel on a ôté le morphisme banal associé à

    l’application nulle de E dans E’ : la seule à n’être définie nulle part dans P(E) !

    Proposition 2 : Soient f ∈ L(E, E’) et g ∈ L(E’, E’’). On a P(g o f) = P(g) o P(f).

    Corollaire : Les homographies de P(E) forment un groupe pour la composition. Ce groupe est noté PGL(E) et appelé groupe projectif de E.

  • 18

    On a l’isomorphisme de groupes PGL(E) = Gl(E)/(K*.IdE).

    On note PGLn(K ) le groupe projectif de Pn(K ).

    Exemple : Si K est un corps fini à q éléments, on trouve :

    card PGLn(K ) = qn.(q

    n+1 − 1).(qn+1 − q) ... (qn+1 − qn−1).

    En particulier card PGL1(K ) = q.(q2 − 1) , card PGL2(K) = q

    2.(q

    3 − 1).(q3 − q) .

    Proposition 3 : Soient f ∈ L(E, E’), et F un sous-espace vectoriel de E. Soient f : P(E)−P(N) → P(E’) l’application projective, P(F) le sous-espace projectif de E associés.

    L’image par f de P(F) – P(N) est P(f(F)). On la note par abus f (P(F)).

    En dimension finie, on a dim f (P(F)) = dim P(F) − dim(P(F) ∩ P(N)) − 1.

    Preuve : On a dim f(F) = dim E’ − dim(F ∩ N) Application à la perspective.

    Proposition 4 : Soient H et H’ deux hyperplans de P(E), m un point de P(E) n’appartenant à aucun des deux. Pour tout point x ∈ H, la droite (mx) recoupe H’ en un point unique x’ = g(x). L’application g : H → H’ est un isomorphisme projectif.

    Définition 2 : g est appelée perspective de centre m de H sur H’. Homographies et repères projectifs.

    Proposition 5 : L’image par une homographie d’un repère projectif de P(E) est un repère projectif. De plus, si R et R’ sont deux repères projectifs de P(E), il existe une unique homographie appliquant R sur R’. Autrement dit, le groupe projectif PGl(E) agit de manière simplement transitive sur l’ensemble des repères projectifs de P(E).

    Preuve : Soient R = (m0, m1, …, mn+1) et R’ = (m’0, m’1, …, m’n+1) deux repères projectifs, B =

    (e1, …, en+1) et B’ = (e’1, …, e’n+1) deux bases de E adaptées comme dans la prop du § 3.3.

    Soit f l’isomorphisme de E tel que f(ei) = e’i ; f envoie R sur R’.

    Et si g envoie R sur R’, g −1o f envoie R sur R, donc est de la forme λ.Id, λ ≠ 0.

    Traduction analytique.

    1) Soient dim E = p+1, dim E’ = n+1, f ∈ L(E, E’) de matrice A = (αij) ∈ MK(n+1, p+1) relati-vement à des bases. Au point m ∈ P(E) de coordonnées homogènes (x1, x2, …, xp+1), f associe le

    point m’ de coordonnées homogènes (y1, y2, …, yn+1), avec yi = ∑+

    =

    1

    1

    .p

    jjij xα .

    Cela suppose m ∉ p(N) : condition remplie si f est bijective.

    2) Traitons le cas particulier où n = p = 1 : les homographies de la droite projective.

    P(E) est rapporté à un système de coordonnées homogènes (x, t).

    Soit f de matrice

    dcba ∈ Gl2(K ). Alors f associe à m(x, t) le point m’(x’, t’), où

    x’ = ax + bt , t’ = cx + dt.

    Supposons c ≠ 0. A m(x, 1) est associé m’(dcxbax

    ++ , 1) si x ≠ −

    cd .

    A m(−cd , 1) est associé m’(1, 0) ; à m(1, 0) est associé m’(

    ca , 1)

  • 19

    Si c = 0, à m(x, 1) est associé m’(d

    bax+ , 1), à (1, 0) est associé (1, 0).

    (1, 0) joue le rôle de point à l’infini.

    6. Droites projectives ; birapport ; homographies. 6.1. Le corps K complété.

    Adjoignons au corps un point à l’infini ΚΚΚΚ^ = K∪{ ∞}. L’application de K2 dans ΚΚΚΚ^ définie par (x, t) →

    tx si t ≠ 0, (x, 0) → ∞ est compatible avec la relation R introduite en 2.1., et donne, par passage

    au quotient, une bijection de la droite projective standard P1(K ) sur la droite complétée ΚΚΚΚ^ = K∪{ ∞}. Nous identifierons dans la suite ΚΚΚΚ^ et P1(K ) via cette bijection. Alors les points (1, ∞, 0) forment un repère projectif de ΚΚΚΚ^ , en tant qu’image du repère projectif (1, 1), (1, 0), (0, 1).

    Définition 1 : Etant donnés quatre éléments de ΚΚΚΚ^ deux à deux distincts a, b, c, d, on appelle birapport de ces éléments et on note [a, b, c, d ], l’élément :

    [a, b, c, d] = cbca

    −− :

    dbda

    −− ∈ ΚΚΚΚ^ .

    Si a = ∞ , r = cbdb

    −− ; si b = ∞ , r = da

    ca−− ; si c = ∞ , r = da

    db−− ; si d = ∞ , r = cb

    ca−− .

    On vérifie que [a, b, c, d] = [c, d, a, b] = [b, a, d, c]. Il en résulte que, lorsqu’on permute les quatre points, leur birapport ne prend qu’au plus 6 valeurs.

    Si l’on note r = [a, b, c, d] , ces valeurs sont : r , 1−r , r1 , 1−

    r1 ,

    r−11 et

    rr−1 .

    On trouvera des compléments sur ceci dans Berger, § 7.3. 6.2. Homographies.

    Toute matrice A =

    dcba ∈ Gl2(K) définit un isomorphisme de K

    2, et une homographie de P1(K) :

    l’application qui au point M(x, t) associe le point M’(x’ = ax + bt , t’ = cx + dt).

    Par transport via la bijection précédente, on obtient une homographie hA : ΚΚΚΚ → ΚΚΚΚ définie par :

    • Si c ≠ 0 , hA(z) = dzcbza

    ++

    .. si z ∈ ΚΚΚΚ−{ ∞, −

    cd } , h(∞) =

    ca et h(−

    cd ) = ∞ ;

    • Si c = 0 (donc d ≠ 0) , hA(z) = dzcbza

    ++

    .. =

    dbza +. si z ∈ ΚΚΚΚ−{ ∞} , et h(∞) = ∞.

    Le cas c = 0 correspond aux bijections affines (le groupe projectif contient le groupe affine).

    Proposition : L’application qui à A associe l’homographie hA est un homomorphisme du groupe

    linéaire Gl2(K) dans le groupe des permutations de ΚΚΚΚ. Ce morphisme a pour noyau l’ensemble des matrices a.I2, où a ∈ K*.

    Preuve : Il suffit de considérer le morphisme f → f de Gl2(K) dans H(P1(K)).

    Conséquence : Si l’on note

    dcba .z = hA(z), on définit une action du groupe Gl2(K) sur la droite

    complétée ΚΚΚΚ, appelée action par homographies. 6.3. Birapport.

  • 20

    Définition 2 : Soit D = P(E) une droite projective, a, b, c trois points distincts de D. Pour tout point m de D, on appelle birapport de ces quatre points, et on note ξ = [a, b, c, m], l’élément de K défini par : il existe des vecteurs e0 et e1 de E tels que :

    a = p(e0) , b = p(e1) , c = p(e0 + e1) , m = p(ξ.e0 + e1).

    Autrement dit, m a pour coordonnées homogènes (ξ, 1) dans la base définie par le repère projectif (c, a, b). Ou encore : soit f l’homographie D → ΚΚΚΚ telle que f(a) = ∞, f(b) = 0, f(c) = 1 ; alors f(m) = ξ.

    Exemples : [a, b, c, b] = 0 ; [a, b, c, c] = 1 ; [a, b, c, a] = ∞. 6.4. Involutions.

    Définition : On appelle involution d’une droite projective D toute homographie f de D telle que : f

    2 = idD et f ≠ idD .

    Proposition : Soit f une homographie de matrice A =

    dcba . On a l’équivalence :

    i) f est une involution ; ii) Il existe un point m tel que f

    2(m) = m et f(m) ≠ m ;

    iii) tr(A) = a + d = 0.

    Proposition : Si une involution f a un point fixe, elle en a nécessairement deux distincts a et b, et f est définie par [a, b, m, f(m)] = −1 pour tout m.

    Proposition : Toute homographie est le produit d’au plus trois involutions.

    7. Dualité dans les espaces projectifs. Soient P = P(E) un espace projectif de dimension n, E* le dual de E, et H l’ensemble des hyperplans vectoriels de E. Nous noterons f, g, … les éléments de E* et m*, n*,… les points de P(E*).

    A toute forme linéaire non nulle f sur E associons l’hyperplan Ker f. Cette application est surjective, et Ker f = Ker g ⇔ ∃λ∈K g = λf . Par passage au quotient, on obtient une bijection naturelle δ : p(f) → Ker(f).

    Définition 1 : La bijection naturelle δ : P(E*) → H(E), est appelée bijection de dualité.

    On peut identifier P(E*) et H(E) via cette bijection. Il vient :

    Définition 2 : Soit (Hi)1≤i≤p une famille d’hyperplans de E, avec Hi = δ(m* i). Elle est dite (projectivement) libre (resp. liée) si les m*i forment une famille projectivement libre, resp. liée.

    Définition 3 : On appelle faisceau d’hyperplans l’image par δ d’un sous-espace projectif de dimen-sion 2 de P(E*).

    Théorème : Soit P(F) un sous-espace projectif de dimension p de P(E). L’ensemble des hyperplans de P(E) contenant P(F) est un sous-espace projectif de dimension q = n – p – 1 de H(E). De plus, l’intersection de tous ces hyperplans est P(F). Principe de dualité dans le plan projectif

    Toute propriété faisant intervenir des relations d’appartenance entre points et droites, et d’inter-section entre droites reste vraie si on la traduit en échangeant entre elles les expressions suivantes :

    Point Droite Le point… appartient à la droite… La droite…contient le point… Le point d’intersection de deux droites La droite passant par deux points Points alignés Droites concourantes Ensemble des points d’une droite Ensemble des droites passant par un point (faisceau)

  • 21

    Birapport de quatre points alignés Birapport de quatre droites concourantes Le nouvel énoncé est dit dual ou corrélatif du précédent.

    Ce principe reste vrai dans un espace projectif général en remplaçant droite par hyperplan, sous-espaces de dimension p et sous-espaces de dimension n–p.

    Donnons des exemples d’énoncés duaux.

    Théorème de Pappus : Soient ∆ et ∆’ deux droites distinctes, A, B, C trois points de ∆, A’, B’, C’ trois points de ∆’. Les points (BC’)∩(CB’) = α , (CA’)∩(AC’) = β et (AB’)∩(BA’) = γ sont alignés.

    Théorème corrélatif du théorème de Pappus : Soient d1 et d2 deux points, a1, b1 et c1 trois droites concourantes en d1, a2, b2 et c2 trois droites concourantes en d2 .

    Soient enfin A = a1 ∩ b2 , B = b1 ∩ a2 , C = a1 ∩ c2 , D = c1 ∩ a2 , E = b1 ∩ c2 , F = b1 ∩ c2 . Les droites (AB), (BC) et (CA) sont concourantes.

    Théorème de Desargues : Soient ABC et A’B’C’ deux triangles, α l’intersection des droites BC et B’C’, β l’intersection des droites CA et C’A’, γ l’intersection des droites AB et A’B’. i) Si les droites AA’, BB’, CC’ sont concourantes, les points α, β et γ sont alignés ; ii) Réciproquement, si α, β et γ sont alignés, les droites AA’, BB’ et CC’ sont concourantes.

    Les assertions i) et ii) sont duales l’une de l’autre. Le théorème de Desargues est auto-corrélatif.

    Exercice 1 : On considère les deux énoncés suivants :

    1) Soit ABC un triangle. Une transversale ∆ coupe (BC) en α, (CA) en β et (AB) en γ. Soient A’, B’ et C’ les points d’intersection A’ = (Bβ) ∩ (Cγ), B’ = (Cγ) ∩ (Aα) et C’ = (Aα) ∩ (Bβ). Alors les droites A’α, B’β et CC’ (attention !) sont concourantes. 2) Soit abc un triangle, o un point distinct de a, b et c. Les droites (oa), (ob) et (oc) rencontrent

    (bc), (ca) et (ab) resp. en a1, b1 et c1. Alors les points a2 = (oa) ∩ (b1c1), b2 = (ob) ∩ (c1a1) et c2 = (ab) ∩ (a1b1) sont alignés. Montrer que ces deux énoncés sont corrélatifs. Démontrer l’un ; en déduire l’autre.

    Exercice 2 : 1) Sur les côtés (BC), (CA), (AB) d’un triangle ABC on prend des points A’, B’, C’ tels que les droites (AA’), (BB’) et (CC’) soient concourantes. Sur les côtés (B’C’), (C’A’) et (A’B’) du triangle A’B’C’ on prend des points α, β, γ tels que (A’α), (B’β) et (C’γ) soient concourantes. Montrer que les droites (Aα), (Bβ) et (Cγ) sont concourantes. 2) Former l’énoncé corrélatif.

    8. Complétion projective d’un espace affine. Nous allons développer ici certaines idées de 2.3. 8.1. Complétion projective d’un espace vectoriel.

    Définition 1 : Soit E un K-espace vectoriel. On appelle complété projectif de E l’espace projectif Ê = P(E×K).

    Soit p : (x, α) ∈ E×K → p(x, α) ∈ P(E×K) l’application associée. E se plonge dans E×K : il s’identifie à l’hyperplan affine W = E×{1} de E×K, qui a pour direction vectorielle E×{0}. H = P(E×{0}) est un hyperplan projectif de P(E×K).

    Proposition : L’application ϕ : x → p(x, 1) est une bijection de E sur Ê − H.

    Définition 2 : H est appelé hyperplan de l’infini , et l’injection ϕ est dite injection de complétion.

    Si E est de dimension n, son complété projectif aussi.

    Si (e1, … , en) est une base de E, ((e1, 0), … , (en, 0), (0, 1)) est une base de E×K, et

  • 22

    m0 = p(e1 + … + en, 1), m1 = p(e1, 0), … , mn = p(en, 1), mn+1 = p(0, 1) est un repère projectif de Ê. Si le point courant m de Ê a pour coordonnées homogènes (x1 , … , xn, t), H est l’hyperplan d’équation t = 0, et E s’identifie à son complémentaire, d’équation t ≠ 0, ou t = 1. 8.2. Complétion projective d’un espace affine.

    Soit E un espace affine associé à l’espace vectoriel E. Soit a un point quelconque de E. Si l’on prend

    a comme origine de E, on définit une bijection θa : m ∈ E → am ∈ E.

    L’application ϕa : m ∈ E → ϕ( am) ∈ Ê est injective comme composée.

    Définition 3 : P(E×K) est appelé complété projectif de l’espace affine E, et noté P. ϕa est dite injection de complétion d’origine a.

    Soit F un sous-espace affine de E. Le sous-espace projectif P(F) de P engendré par F s’identifie au complété projectif de F. L’application F → P(F) est une bijection de l’ensemble des sous-espaces affines de E sur l’ensemble des sous-espaces projectifs de P qui ne sont pas contenus dans l’hyperplan de l’infini H. De plus, F // F’ ⇔ H ∩ P(F) = H ∩ P(F’). 8.3. Liaison entre groupe affine et groupe projectif .

    Ne traitons qu’un exemple, laissant au lecteur le soin de généraliser, ou de se reporter aux exposés sérieux de Delachet, Martin, Berger, etc. Soit E un plan affine rapporté à un repère affine, f la bijection affine de E donnée par f(M) = M’, où M(x, y), M’(x’, y’),

    x’ = 3x + 2y + 4 y’ = x – y + 5

    Si l’on plonge le plan affine E dans son complété projectif P, E s’identifie à l’hyperplan H d’équation t = 1 ; M et M’ ont pour coordonnées homogènes (x, y, 1) et (x’, y’, 1), triplets liés par : x’ = 3x + 2y + 4.1

    y’ = x – y + 5.1 1 = 1

    ou encore M(x, y, t), M’(x’, y’, t’), triplets liés par : x’ = 3x + 2y + 4.t y’ = x – y + 5.t t’ = t

    Ainsi, f est la restriction à E d’une homographie de P, homographie ayant pour matrice

    100511423

    .

    Plus généralement, le groupe affine GA(E) se plonge injectivement dans le groupe projectif H(P). Plus précisément, il s’identifie au sous-groupe de H(P) formé des homographies qui laissent stable l’hyperplan de l’infini H. On a déjà vu en 5 que, dans une droite projective complétée d’une droite affine, les homographies contiennent les bijections affines, celles-ci sont les homographies laissant fixe le point ∞.

    9. Pappus et Desargues, derechef. Théorème de Pappus : Dans le plan projectif P, soient ∆ et ∆’ deux droites distinctes, A, B, C trois points distincts de ∆−∆’, A’, B’, C’ trois points distincts de ∆’−∆. Les points (BC’) ∩ (CB’) = α , (CA’) ∩ (AC’) = β et (AB’) ∩ (BA’) = γ sont alignés.

    Preuve : Remarquons que ces trois points existent toujours. Soit V la droite (αγ). Introduisons le plan affine X = P(E)−V. Les points A, B, C, A’, B’, C’ appartiennent à X. Dans X on a AB’ // A’B et BC’ // B’C , par construction de V : on dit qu’on a « envoyé à l’infini » les points de la droite V.

  • 23

    D’après le théorème 1 du § 1.2., AC’ // A’C. Donc β ∈ (αγ). Cqfd.

    Preuve analytique : Les points A, B, A’ et B’ forment un repère projectif. On peut supposer qu’ils ont pour coordonnées A(1, 0, 0), B(0, 1, 0), A’(0, 0, 1), B’(1, 1, 1). ∆ a pour équation t = 0, ∆’ pour équation x = y. Alors on peut prendre C(a, 1, 0), C’(1, 1, 1 + q) (a, b, q non nuls). On trouve : α = [ a, 1 + aq – q, qa ] , β = [ a, 1, q ] , γ = [ 0, 1, 1 ].

    Comme 11110

    qqaqaq

    aa−+ = 0 , les trois points sont alignés.

    Autre version, plus conforme à la première preuve : On peut supposer que ∆ a pour équation y = 0, ∆’ pour équation y = x. A(a, 0, 1), B(b, 0, 1), C(c, 0, 1), A’(a’, a’, 1), B’(b’, b’, 1), C’(c’, c’, 1). La droite V = (αγ) a pour équation t = 0 ssi bb’ = cc’, et aa’ = bb’. Alors aa’ = cc’, donc β∈(αγ).

    Théorème des triangles perspectifs de Desargues6 : Soient P un espace projectif, S, A, B, C, A’,

    B’, C’ sept points distincts de P(E), tels que S, A, B, C et S, A’, B’, C’ soient projectivement indépendants, A’ ∈ (SA), B’ ∈ (SB), C’ ∈ (SC). Alors les trois points : α = (BC) ∩ (B’C’) , β = (CA) ∩ (C’A’) et γ = (AB) ∩ (A’B’) sont alignés. Autrement dit : si les droites joignant les sommets correspondants de deux triangles sont concourantes, alors les points d’intersection de leurs côtés correspondants sont alignés.

    Preuve : La démonstration est radicalement différente selon que dim P(E) ≥ 3 ou dim P(E) = 2.

    • Si dim P(E) = 2, on expédie à l’infini les deux points (AB) ∩ (A’B’) et (BC) ∩ (B’C’). La conclusion résulte alors du théorème 1 du § 1.3.

    Preuve analytique : On peut supposer que A, B, C, S aient pour coordonnées homogènes A(1, 0, 0) , B(0, 1, 0) , C(0, 0, 1) , S(1, 1, 1). Les droites (SA), (SB), (SC) ont alors pour équations homogènes y = t , x = t , x = y. Alors A’, B’, C’ ont pour coordonnées A’(a + 1, 1, 1), B’(1, b + 1, 1), C’(1, 1, c + 1). Et α(0, b, – c) , β(– a, 0, c) , γ(a, − b, 0).

    Leur alignement vient de ce que 0

    00

    ccbb

    aa

    −−

    − = 0 (somme des colonnes !).

    • Si dim P(E) ≥ 3, supposons d’abord que le sous-espace projectif H engendré par les sept points soit de dimension 3 exactement. Alors les trois points α, β et γ appartiennent tous aux deux plans (ABC) et (A’B’C’), dont l’intersection est une droite.

    6 Ce théorème fut publié en 1648, dans un ouvrage sur la perspective d’Abraham Bosse.

  • 24

    Théorème de Desargues en dimension 3 Si dim P(E) ≥ 3 et dim H = 2, on choisit un point M∉H, puis deux points D et D’ tels que D∈(MA), D’∈(MA’) et tels que S∈(DD’), D ≠ A, D’ ≠ A’. On peut toujours trouver de tels points M, D et D’, car une droite projective contient au moins trois points. Les sept points S, D, D’, B, B’, C et C’ engendrent un sous-espace projectif de dimension 3 par construction et vérifient le théorème de Desargues, d’après ce qu’on vient de voir. Mais la projection centrale de centre M sur H respecte les propriétés d’intersection et d’alignement, d’où le résultat pour S, A, A’, B, B’, C, C’.

    10. Les coniques en géométrie projective. 10.1. Où l’on réconcilie Descartes et Desargues…

    Dans le plan affine E rapporté à un repère (O, i , j ), à tout polynôme du second degré à 2

    indéterminées F(x, y) = a.x2 + 2b.xy + c.y

    2 + 2d.x + 2e.y + f , (a, b, c) ≠ (0, 0, 0), Descartes associe

    la courbe : ΓF = { M = O + x.i + y. j ; F(x, y) = 0 }.

    F(x, y) = [ ]yx

    cbba

    y

    x+ 2[ ]ed

    y

    x + f .

    L’étude de ces courbes a été faite, dans le cas réel, dans le chapitre sur les coniques.

    Dans le plan projectif P(E), où tout point M est rapporté à un système de coordonnées homogènes

    (x, y, t), associons à toute matrice symétrique A =

    fedecbdba

    non nulle, le lieu des points M tels que :

    [ ]tyx

    fedecbdba

    tyx

    = 0 (1) . Si l’on note X = t [ ]tyx , cela s’écrit tX.A.X = 0.

    Si l’on associe au point (x, y) du plan affine E le point (x, y, 1) de son complété projectif, on voit qu’une conique affine est une partie d’une conique projective ; les points à l’infini sont alors les points (x, y, 0) tels que a.x

    2 + 2b.xy + c.y

    2 = 0.

    Autre approche : dans R3, (1) est l’équation d’un cône du second degré, réunion de droites ; la

    conique affine en est la section par le plan d’équation t = 1.

  • 25

    Dans la suite de ce §, on suppose le corps K de caractéristique différente de 2.

    10.2. Coniques projectives.

    Si l’on veut une définition intrinsèque des coniques, il faut passer par les formes quadratiques.

    Définition 1 : Soient E un K -espace vectoriel de dimension 3, P(E) le plan projectif associé, q une forme quadratique non nulle sur E. Le cône isotrope C(q) = {X∈ E ; q(X) = 0} est réunion de droites, donc définit, par passage au quotient, une partie de P(E), dite conique projective associée à q :

    Γ(q) = {M ∈ P(E) ; ∃X∈E M = p(X) et q(X) = 0} = {M ∈ P(E) ; ∀X∈E p(X) = M ⇒ q(X) = 0}.

    La conique est dite propre si la forme q est régulière.

    Traduction analytique.

    Si l’on rapporte E à une base B = (e1, e2, e3), et si A =

    fedecbdba

    est la matrice de q relativement à

    cette base, alors le point M, de coordonnées homogènes (x, y, t) appartient à Γ(q) ssi : a.x

    2 + 2b.xy + c.y

    2 + 2d.xt + 2e.yt + f .t

    2 = 0

    [ ]tyx

    fedecbdba

    tyx

    = 0 , ou encore tX.A.X = 0 , où X =

    tyx

    .

    On dit que c’est une équation de la conique. Si P est la matrice de passage de B à une nouvelle base B’, l’équation de la conique s’écrira :

    tX’.

    tP.A.P.X’ = 0 .

    On a intérêt à classifier A à congruence près. On va utiliser les résultats du chapitre sur les formes quadratiques.

    Il est bien évident que ∃λ ∈ K* q’ = λq ⇒ Γ(q) = Γ(q’).

    Définition 2 : Les coniques Γ(q) et Γ(q’) sont dites projectivement équivalentes si les formes quadratiques q et λq’ sont équivalentes pour un certain scalaire λ ∈ K*.

    Il revient au même de dire que q’ = λ.q o u , où u ∈ Gl(E), λ ∈ K*. 10.3. Classification projective des coniques.

    • Supposons K = C (ou algébriquement clos).

    − Si A est de rang 3, A est congruente à I3, donc Γ(q) est projectivement équivalente à la conique d’équation x

    2 + y

    2 + t

    2 = 0, ou encore à la conique d’équation x

    2 + y

    2 = t

    2, ou encore à la

    conique d’équation y2 = tx.

    − Si A est de rang 2, A est congruente à diag(1, 1, 0), Γ(q) est projectivement équivalente à la conique d’équation x

    2 + y

    2 = 0, ou encore à la conique d’équation x

    2 = y

    2. C’est la réunion de deux

    droites distinctes. − Si A est de rang 1, A est congruente à diag(1, 0, 0), Γ(q) est projectivement équivalente à la conique d’équation x

    2 = 0. Elle est formée de deux droites confondues : c’est une droite double.

    Dans le premier cas, la conique est propre ; dans les deux autres cas, elle est décomposée.

    • Supposons K = R. La loi d’inertie de Sylvester montre que :

    − Si A est de rang 3, A est congruente, soit à ± I3, soit à ± diag(1, 1, −1). Dans le premier cas, Γ(q) est projectivement équivalente à la conique d’équation x2 + y2 + t2 = 0, d’image vide.

  • 26

    Dans le second cas, elle est équivalente à la conique d’équation x2 + y

    2 = t

    2 , ou encore à la conique

    d’équation x2 – y

    2 = t

    2, ou encore à y

    2 = tx.

    − Si A est de rang 2, A est congruente, soit à ± diag(1, 1, 0), soit à ± diag(1, ±1, 0). Dans le premier cas, Γ(q) est projectivement équivalente à la conique d’équation x2 + y2 = 0 : elle est réduite à un point (0, 0, 1). Dans le second cas, elle est projectivement équivalente à la conique x

    2 =

    y2 : c’est la réunion de deux droites distinctes.

    − Si A est de rang 1, A est congruente à diag(±1, 0, 0), Γ(q) est projectivement équivalente à la conique d’équation x

    2 = 0. Elle est formée de deux droites confondues : c’est une droite double.

    On notera que la classification projective obtenue est bien différente de la classification affine : dans le cas réel, il y a 5 classes au lieu de 9. Les ellipses réelles, les hyperboles et les paraboles sont projectivement équivalentes : c’est, au fond, la grande découverte de Desargues, dans son Brouillon project de 1639.

    Si l’on veut obtenir un exposé satisfaisant des coniques projectives, il faut se placer dans C ou dans un corps algébriquement clos. Pourquoi ? Dans le cas réel, une droite ne coupe pas toujours un cercle en deux points réels ; cela signifie qu’elle le coupe en « deux points imaginaires conjugués ». Dans le cas complexe, ce phénomène ne se produit pas.

    Dans les figures, nous conviendrons le plus souvent de représenter une conique du plan projectif complexe par une ellipse réelle. On pourrait aussi la représenter par une hyperbole, une parabole ou deux droites sécantes ; après tout, les coniques d’équations x

    2 + y

    2 = t

    2 , x

    2 = y

    2 et x

    2 = 0

    contiennent des points à l’infini. Oui mais le plan projectif est un compactifié du plan affine : en ce sens, le choix de l’ellipse est plus judicieux. Mais ce n’est qu’une convention.

    Remarque : si K = Fq, corps fini de car ≠ 2, il y a quatre types de coniques projectives : − Les coniques irréductibles forment une seule classe ; on peut les paramétrer par (1, t, t2), et leur équation se ramène à x

    2 − yz = 0.

    En effet, tout polynôme homogène de degré 2 en au moins trois variables admet un zéro non trivial. Par décomposition en carrés, il se ramène à ax

    2 + by

    2 + cz

    2 = 0. On peut supposer a, b et c non nuls,

    et z = 1. Or by2 + c = − ax2 a au moins une solution, car by2 + c et − a x2 prennent (q+1)/2 valeurs.

    Revenant à la conique, elle admet au moins un point, dont elle en admet q+1.

    − Comme Fq admet une seule extension quadratique, il y a 3 types de coniques décomposées : deux droites sécantes, deux droites quadratiques conjuguées (x

    2 − g.y2 = 0, où g est un non-carré de

    Fq ; bref, un point) ; enfin deux droites confondues.

    Dans toute la suite de ce § , nous supposons K = C.

    10.4. Etude de la correspondance q →→→→ ΓΓΓΓ(q).

    Nous notons B la forme polaire de q, et Γ = Γ(q).

    Théorème 1 : Dans le plan projectif P(E), la conique Γ n’est jamais vide. Toute droite projective est, soit incluse dans Γ, soit coupe Γ en un point ou deux. De plus Γ(q) = Γ(q’) ⇔ ∃λ ∈ C* q’ = λq.

    Preuve : Soient A et B deux points distincts, A = p(X), B = p(Y). Le point courant M de la droite D = (AB) s’écrit M = p(Z), où Z = λX + µY.

    M ∈ Γ ⇔ q(Z) = 0 ⇔ λ2.q(X) + 2.λµ.B(X, Y) + µ2.q(Y) = 0 (1).

    Il peut arriver que ceci soit vrai quels que soient λ et µ, autrement dit que la droite D soit incluse dans Γ. Dans le cas contraire, on peut choisir A∉Γ. Alors (1) implique µ ≠ 0.

  • 27

    Posant α = λ/µ, on voit que α2.q(X) + 2α.B(X, Y) + q(Y) = 0. L’équation (1) a une ou deux solutions ; il y a donc un ou deux points d’intersection. L’implication ∃λ ∈ C* q’ = λq ⇒ Γ(q) = Γ(q’) est évidente. Montrons la réciproque. Si Γ = Γ(q) = Γ(q’), soient A et B deux points n’appartenant pas à Γ, A = p(X), B = p(Y). Soit D la droite (AB) : D ∩ Γ(q) = D ∩ Γ(q’). Les équations α2.q(X) + 2α.B(X, Y) + q(Y) = 0 et α2.q’(X) + 2α.B’(X, Y) + q’(Y) = 0.

    ont les mêmes solutions, donc )()'(

    YqYq

    = )()'(

    XqXq

    . Ainsi q’(Y) = λq(Y) lorsque q(Y) ≠ 0.

    Cela reste vrai si q(Y) = 0.

    Conséquence : l’application q → Γ(q) définit une correspondance bijective entre l’espace projectif P(Q(E)) et l’ensemble des coniques. C’est une forme élémentaire du Nullstellensatz de Hilbert. 10.5. Conjugaisons, pôles et polaires.

    Définition 3 : Les points A = p(X) et B = p(Y) sont dit conjugués par rapport à la conique Γ si : B(X, Y) = 0

    Cette définition est pertinente, car indépendante des représentants choisis X et Y.

    Théorème : Les points A et B sont conjugués par rapport à Γ si et seulement si la droite (AB) est, soit contenue dans Γ, soit coupe Γ en deux points P et Q qui sont conjugués harmoniques par rapport à A et B.

    Preuve : • Supposons d’abord que A ≠ B et que A et B n’appartiennent pas tous deux à Γ : A∉Γ. Soient A = p(X), B = p(Y). La droite (AB) coupe Γ en deux points P = p(λA + B) et Q(.µA + B), où λ et µ sont solutions de l’équation α2.q(X) + 2α.B(X, Y) + q(Y) = 0. La conjugaison de A et B se traduit par B(X, Y) = 0, i. e. λ + µ = 1.

    Si λ ≠ µ, ils sont non nuls et µλ = −1 : {A, B} et {P, Q} sont conjugués harmoniques.

    Si λ = µ = 0, P = Q = B, et la propriété est encore vraie. • Si A et B sont distincts et appartiennent à Γ, q(X) = q(Y) = 0, et la conjugaison de A et B équivaut au fait que (AB) est incluse dans Γ. • Si A = B, la conjugaison se traduit par p(X) = B(X, X) = 0, donc A = B∈Γ, donc par : A et B sont conjugués harmoniques par rapport à P = A = B et Q, points d’intersection de Γ avec une droite contenant A et non contenue dans Γ.

    Définition 4 : On appelle polaire de A par rapport à Γ l’ensemble des conjugués de A.

    Proposition : La polaire de A par rapport à Γ est une droite.

    Proposition : Soit Γ une conique propre. Par tout point A∉Γ passent deux tangentes à Γ.

    Preuve : La droite (AB) est tangente à Γ ssi l’équation aux intersections M = p(αA + B) α2.q(X) + 2α.B(X, Y) + q(Y) = 0

    a une racine double, i.e. B(X, Y)2 = q(X).q(Y).

    Théorème : Soient Mi (1 ≤ i ≤ 5) cinq points du plan projectif, dont trois quelconques ne sont pas alignés. Il existe une unique conique projective passant par ces cinq points ; elle est propre.

    Preuve : Les points Mi (1 ≤ i ≤ 3) sont projectivement indépendants. On peut supposer qu’ils ont pour coordonnées homogènes (1, 0, 0), (0, 1, 0) et (0, 0, 1). En écrivant que l’équation générale d’une conique est satisfaite, on trouve e.yt + d.tx + b.xy = 0 , (b, d, e) ≠ (0, 0, 0). Les quatre points Mi (1 ≤ i ≤ 4) forment un repère projectif : on peut supposer M4 de coordonnées homogènes (1, 1, 1). Alors e + d + b = 0. On trouve la famille (le faisceau) de coniques : e.y.(t − x) + d.x.(t – y) = 0 , (d, e) ≠ (0, 0).

  • 28

    Si M5 a pour coordonnées homogènes (x0 , y0 , t0), sa non-appartenance aux droites joignant deux à

    deux les autres points se traduit par : t0 ≠ 0, x0 ≠ 0, y0 ≠ 0, x0 ≠ y0 , t0 ≠ x0 , y0 ≠ t0 . La vérification de la condition e.y.(t − x) + d.x.(t – y) = 0 définit un couple (d, e) ≠ (0, 0) unique à un facteur non nul près. La conique obtenue ne peut être formée de deux droites : elle est donc propre. Elle a pour équation :

    25

    24

    23

    22

    21

    5544332211

    5544332211

    25

    24

    23

    22

    21

    5544332211

    25

    24

    23

    22

    21

    ²

    ²

    ²

    tttttttytytytytyyttxtxtxtxtxxt

    yyyyyyyxyxyxyxyxxy

    xxxxxx

    = 0.

    10.6. Paramétrisation d’une conique propre.

    Soit Γ une conique propre. On a vu en 9.3. qu’elle a pour équation y2 = tx dans un repère convenable.

    Remarque : Justification géométrique. Soient A et B deux points distincts de Γ, B le pôle de la droite AC. B∉AC, sans quoi AC serait tangente à Γ et A = C. Les points A, B, et C ne sont pas alignés. On peut supposer que BC, CA et AB ont resp. pour équations x = 0, y = 0 et t = 0. t = 0 doit donner une solution double y = 0 ; donc a = b = 0. x = 0 doit donner une solution double y = 0 ; donc f = e = 0. D’où une équation de la forme c.y

    2 + 2d.xt = 0, mais, x, y et t étant définis à coefficient près, on peut

    achever de choisir un repère y2 − tx = 0.

    Proposition : Une conique propre Γ admet une paramétrisation de la forme : x = α2 , y = αβ , t = β2 , où (α, β) ≠ (0, 0).

    Cette paramétrisation induit une bijection P1(K ) → Γ.

    Preuve : facile. La conique propre Γ privée du point A(1, 0, 0) admet pour paramétrisation : x = α2 , y = α , t = 1.

    Intersection d’une droite et d’une conique propre.

    L’intersection de Γ avec la droite ∆ d’équation ux + vy + wt = 0 conduit à l’équation : u.α2 + v.αβ + w.β2 = 0 . Si u ≠ 0, alors β ≠ 0 et α/β = µ est racine de l’équation u.µ2 + v.µ + w = 0. Il y a deux racines, sauf si v

    2 = 4.uw, auquel cas la droite ∆ est tangente à Γ.

    Si u = 0 et v ≠ 0, on a β.(v.α + w.β) = 0, et on a deux solutions distinctes (α, β) = (1, 0) et (−w, v). Si u = v = 0, β = 0 est racine double. On dit que v

    2 = 4.uw est une équation tangentielle de la conique Γ.

    Intersection d’une conique propre ΓΓΓΓ et d’une conique ΓΓΓΓ’ .

    Supposons les coniques distinctes. Soit m0 un point appartenant à Γ, non à Γ’. Coupant Γ par une droite passant par m0, on obtient une paramétrisation x = α

    2, y = αβ, t = β2 (α, β) ≠ (0, 0).

    Soit F(x, y, t) ≡ a.x2 + 2b.xy + c.y2 + 2d.xt + 2e.yt + f .t2 = 0 une équation de Γ’. Alors F(α2, αβ, β2) ≡ a.α4 + 2b.α3β + (c + 2d).α2.β2 + 2e.α β3 + f .β4 = 0 . Comme m0∉Γ’ , le couple (1, 0) n’est pas solution, donc F(1, 0, 0) = a ≠ 0. Alors β ≠ 0 et α/β = µ est racine de a.µ4 + 2b.µ3 + (c + 2d).µ2 + 2e.µ + f = 0 . Il y a 4 points d’intersection, distincts ou confondus : cas particulier du théorème de Bézout. Berger, § 16.4., étudie en détail l’ordre des points d’intersection. 10.7. Théorème de Pascal.

  • 29

    Proposition : Soient Γ une conique propre, A, B, C, D quatre points distincts de Γ. Pour tout point M de Γ, le birapport des quatre droites (MA), (MB), (MC), (MD) est indépendant de ces droites. On l’app