Grammaire de l’apprenant et explicitation : quand ...gramm-r.ulb.ac.be/fichiers/colloques/Nantes2008/Aguerre.pdf · Des outils pour construire des représentations Le rôle des

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  • Grammaire de lapprenant et explicitation : quand apprendre,

    cest se construire des reprsentations, partir de corpus et

    dinstruments.

    AGUERRE SANDRINE

    EA 4195 TELEM, Universit Bordeaux 3

    Introduction

    La dmarche prsente ici sinscrit dans un courant pdagogique qui vise donner lapprenant un rle primordial dans cette construction quest son apprentissage. Ce courant est large ; il va de Freinet la perspective actionnelle, avec de notables variations dans les concepts et dans les pratiques. La particularit de ce qui suit est de porter sur une grammaire donne non pas comme objet apprendre par lapprenant, mais comme vritable grammaire de lapprenant, cest--dire constitue par lapprenant lui-mme, au moyen dexplicitations. Nous recourrons donc des formulations, verbales ou non verbales, par lapprenant afin quil illustre ses reprsentations et permette ainsi de les valuer.

    Nous nous appuyons sur lanalyse de la reprsentation par Michel Denis (1989)1. Il distingue la reprsentation-processus et la reprsentation-produit (matriel ou cognitif). Dans notre travail, nous nous limitons la reprsentation-produit-cognitif . Le processus, plus ou moins labor, lorigine de ce produit vise la transposition mentale dun objet du monde (qui peut tre ici une structure grammaticale, une notion smantique, une relation pragmatique). Cette transposition mentale peut tre rendue sous la forme dun ensemble de traits (phontiques, morphologiques, syntaxiques, smantiques, pragmatiques). Les reprsentations permettent la fois de conserver et de manipuler linformation, elles existent donc deux niveaux , dune part dans la mmoire long terme, dautre part dans leffectuation doprations mentales (Michel Denis parle de deux tats des reprsentations : disponibilit et actualit). Dans la mmoire long terme, elles sont stockes sous une forme stabilise mais modifiable ; lors doprations mentales, elles sont convoques sous la forme de lensemble de traits qui correspond le mieux leur fonction, lopration qui doit tre effectue.

    Dans leur formation et leur utilisation, les reprsentations sont influences par la nature de lobjet quelles reprsentent, le contexte de leur formation et/ou de leur utilisation, et par des paramtres subjectifs (styles dapprenants notamment). Les reprsentations ne sont pas directement observables, mais on peut observer leur actualisation, que celle-ci ait lieu avec ou sans explicitation.

    Dans notre dmarche, la construction des reprsentations sur les structures langagires passe par une mise en relation de la forme et du sens, cest--dire par une tude des traits (linguistiques, smantiques, syntaxiques, etc.) des structures langagires faisant lobjet de lapprentissage. Notons toutefois que la formation de reprsentations ne donne pas forcment lieu explicitation ou apprentissage.

    Composantes de la dmarche

    Le schma ci-dessous donne un aperu des quatre composantes de notre dmarche de construction de reprsentations. Il faut considrer ces composantes non comme des tapes, ou comme se droulant selon une squence prdfinie, mais comme des modules itrables, pouvant se combiner diffremment selon le droulement de lapprentissage.

    La premire composante est en fait une composante double, puisquil sagit la fois de manipulations langagires et dobservations qui sont faites sur ou donnent lieu ces manipulations langagires. Ces observations renvoient un travail mtalangagier ; elles peuvent tre spontanes de la part de lapprenant, ou provenir de rtroactions fournies par lenseignant ou tout autre interlocuteur en langue trangre. De notre point de vue, il peut y avoir manipulation langagire sans quil y ait ncessairement observation, mais

    1 Dans cet ouvrage, Michel Denis analyse limage comme forme particulire de la notion gnrale de reprsentation, ce qui le

    conduit laborer une notion gnrale de reprsentation.

  • linverse est impossible ; en revanche, lobservation peut nourrir lobservation de la langue, soit immdiatement, par exemple lors de la correction dun nonc par lapprenant suite une rtro-action positive de son interlocuteur, soit de faon diffre, suite au travail de construction de reprsentations effectu en classe. Dans le droulement de notre dmarche, ce binme manipulation/ observation peut se mettre en place travers le recours des comptences varies de production et rception, crites ou orales. Selon le contexte dapprentissage, on peut tirer parti de situations de communications authentiques, par exemple de conversations avec des locuteurs natifs (cest lors dune conversation avec un franais quun tudiant du DEFLE de Bordeaux 3 sest rendu compte que ds et depuis ntaient pas quivalents), ou de confrontations avec des documents authentiques hors de la salle de classe. En classe, on peut sappuyer sur les interactions entre apprenants et sur les interactions enseignant/apprenant(s), sur des documents authentiques et enfin sur des corpus (cf la section sur les outils).

    La seconde composante est la construction dune reprsentation, la troisime la modification dune reprsentation existante, et la quatrime consiste en une rflexion transversale , cest--dire une rflexion qui prenne en compte plusieurs reprsentations rapproches les unes des autres (parfois dans le dessein darticuler certaines reprsentations en un rseau).

    La construction dune nouvelle reprsentation peut avoir lieu lorsque lapprenant observe, en manipulant la langue ou en observant les corpus, un lment qui ne correspond pour lui aucune reprsentation, ou bien lorsquil est amen modifier une reprsentation existante et que ces modifications mnent la scission dune reprsentation en deux notions distinctes. Une telle construction peut aussi tre provoque par une rflexion sur des reprsentations existantes, par exemple en rassemblant plusieurs reprsentations dans une reprsentation plus large. On peut citer en exemple la construction par des apprenants confronts un corpus portant sur la voix active et la voix passive dune reprsentation du complment dagent2, ou bien la cration dune reprsentation de ds diffrente de celle de depuis chez des tudiants trangers.

    La modification dune reprsentation peut intervenir lorsque lapprenant, en manipulant la langue ou en observant les corpus, se rend compte quune de ses reprsentations nest pas valide3 pour rendre compte de la structure langagire laquelle il est confront, ou bien lorsquune rflexion mtacognitive sur ses reprsentations lui fait ajouter des reprsentations existantes des liens avec dautres reprsentations. Par exemple, lorsque les apprenants travaillent sur la voix passive, non seulement ils construisent une reprsentation de complment dagent , mais ils modifient leur reprsentation antrieure du sujet , et ils ajoutent le trait de complment dagent leur reprsentation de par .

    La rflexion transversale opre sur les reprsentations est une composante placer sur le plan mtacognitif, puisquil sagit pour lapprenant de rflchir sur ses produits cognitifs. Une part de cette activit consiste analyser la validit des reprsentations construites, mais aussi et surtout mettre ces reprsentations en relation pour les constituer en systme. Une illustration commune de cette rflexion transversale est par exemple le travail sur le systme des temps dans le rcit au pass, qui permet de mettre en relation pass compos, imparfait, pass simple et conditionnel. Une forme plus particulire de cette rflexion transversale est la mise en opposition de deux notions ; par exemple, le contraste tabli entre ds et depuis ou entre voix active et voix passive . Ces comparaisons permettent aussi de mettre ces lments en perspective, par exemple avec dautres prpositions de temps, ou par rapport la conjugaison dans son ensemble (matrise des notions de mode, voix et temps).

    Dans le schma ci-dessous, la composante manipulation langagire et observations est place au centre, avec un retour de toutes les flches provenant des autres composantes, car cest grce ces lments que les formations de reprsentations sont dclenches, et ils sont aussi les moyens pour lapprenant dvaluer la validit des reprsentations construites, en systme ou isoles.

    2 On utilise ici la formule de complment dagent issue de la grammaire scolaire, mais il nest pas ncessaire que cette

    terminologie soit utilise en cours ; les apprenants peuvent construire la reprsentation de quelque chose qui nest pas le sujet mais qui fait laction dont parle le verbe sans matriser le mtalangage correspondant ; cf le paragraphe sur le mtalangage.

    3 Une reprsentation nest donc pas juste ou fausse, mais valide ou invalide pour analyser/ produire des noncs corrects en

    langue trangre.

  • Schma de larticle de Sandrine Aguerre.

    Activits de lapprenant

    Pour construire et adapter leurs reprsentations, les apprenants vont devoir effectuer diverses activits. La premire dentre elles va tre de comprendre le sens des noncs auxquels ils sont confronts. Il sagit ici non seulement de comprendre le sens globalement, mais aussi de savoir dcomposer ce sens en traits descriptifs smantiques.

    Cette comprhension est prolonge par la description, en utilisant des traits formels (syntaxiques, morphologiques, phontiques etc.), des structures langagires, ce qui permet ensuite lapprenant dobserver ces structures langagires afin de sen forger une reprsentation tenant compte la fois des contextes o ont t rencontrs les structures et de leurs caractristiques formelles.

    Cette observation peut solliciter une grande diversit doprations mentales, comme identifier, comparer, classer, catgoriser, srier, etc. Le cas chant, lapprenant peut mobiliser des connaissances dclaratives pralables, ce qui peut se rvler tre un avantage ou un inconvnient selon les cas.

    Lobjectif de lactivit de lapprenant est de construire des reprsentations sur les structures langagires, sur les rgles qui en rgissent la formation et lemploi. La dfinition de rgles est mise en place dans le cadre dune mthodologie des essais et des erreurs, qui permet de dgager des critres/traits (ncessaires, suffisants, facultatifs) caractrisant les structures langagires rencontres, et permettant de les utiliser la fois en situation de comprhension et de production.

    Nous considrons que la fixation des connaissances, cest--dire la fois la mmorisation en mmoire long terme, et la mise en place dun processus daccs rapide et efficace ces connaissances, ncessite leur manipulation. Dans notre dmarche, cette manipulation a lieu lors des activits de comprhension et de production des apprenants.

    La fixation des connaissances ncessite aussi des activits mtalangagires (expliciter ce que lon a compris) et des activits mtacognitives (expliciter comment on la compris). Dans notre dmarche, les activits mta langagires sont celles de description des structures langagires, et les activits mtacognitives renvoient aux retours explicites que lapprenant peut faire entre observations et manipulations et/ou la rflexion sur ou lors de lutilisation des outils.

    Construction

    dune

    reprsentation

    Modification

    dune

    reprsentation

    Rflexion

    transversale

    Manipulation

    langagire

    Observations

    Distinction/transfert de trait

    Comparaisons Globalisation

    Reprage dun

    lment nouveau

    Conflit avec une

    reprsentation

    existante

    Ajouts de

    liens

  • Des outils pour construire des reprsentations

    Le rle des outils est damener lapprenant mettre en relation la forme et le sens des structures langagires, et notamment de laider dcomposer le sens de la structure et le contexte dans lequel elle est employe, afin de dgager des critres permettant de dcrire la structure et son emploi, dassocier des lments de sens lemploi dune structure.

    Nous utilisons deux types doutils : les corpus et les instruments.

    Les corpus sont des chantillons de langue authentique ; ils peuvent tre de tout type :

    - productions dapprenants (orales ou crites) enregistres,

    - corpus prconstruits continus (oral ou crit) recueillis par lenseignant,

    - corpus prconstruits discontinus (oral ou crit) constitus ditems recueillis par lenseignant.

    On peut penser que certains types de corpus seraient plus appropris pour travailler sur certains objectifs ; par exemple, il semble assez cohrent dutiliser des corpus dapprenants pour travailler sur la remdiation, ou des corpus discontinus pour travailler sur le contraste entre deux structures langagires, mais cette question reste ouverte.

    Les corpus dont nous parlons sont des corpus de taille rduite par rapport ceux que lon peut utiliser dans une pdagogie de corpus 4, car ces corpus ne sont destins ni tre traits automatiquement, ni donner lieu un travail rcurrent, et doivent donc tre limits une taille que lapprenant peut traiter lui-mme en un temps limit. Cependant, limiter quantitativement le corpus ne signifie pas slectionner les occurrences des structures langagires tudies : moins on slectionne le corpus, plus on peut vrifier la qualit des critres dfinis par lapprenant, car une grande diversit doccurrences permet de mettre davantage lpreuve les traits dgags. Confront des occurrences diversifies, lapprenant pourra liminer les traits qui ne sont pas communs ces occurrences et donc la fois rduire leur nombre et sassurer de leur validit (la slection se fait, dune certaine faon en entonnoir, en rduisant progressivement le nombre de traits pertinents).

    La seconde catgorie doutils, les instruments, renvoie des objets construits par lenseignant et qui vont permettre, voire guider, le fonctionnement mental de lapprenant, et linciter aux oprations mentales ncessaires son apprentissage. Ces instruments peuvent tre trs varis, tant dans les oprations suscites que dans la forme quils prennent : questions, questionnaires, schmas, graphiques, tableaux, dessins, etc. Le travail du subjonctif fournit un bon exemple. Avec un groupe de niveau B2 (CECR), plutt que de partir des descriptions linguistiques du subjonctif (pour une prsentation cf Soutet 2000) qui aurait conduit lenseignant faire un cours de grammaire, il a prfr sappuyer sur un document qui met en scne les lments grammaticaux pour le grand public. Il sagissait du livre dOrsenna Les chevaliers du subjonctif, dont des extraits sont devenus alors un corpus dapprentissage, la fois pour la morphologie et les valeurs smantiques. Remarquons quon ne part pas ainsi dune description thorique mais dune apprhension plus courante . Cela nempche pas lenseignant de conserver ses rfrences thoriques pour un guidage ventuel des apprenants. En partant de ce corpus de quatre textes, (en sintressant la fois au contenu linguistique et au contenu informatif mtalinguistique), et dun corpus discontinu de phrases utilisant le subjonctif fournies par les apprenants, un tableau a t construit collectivement pour essayer de catgoriser les emplois du subjonctif. Ce tableau avait deux entres, lune syntaxique (verbes, conjonction de subordination, tournures impersonnelles, corrlation avec lindicatif), et lautre oriente vers ce quon appelle en linguistique modalits (par exemple esprance et crainte, attente et dception, etc.).

    Il ne faut pas oublier que ce qui nous importe nest pas une reprsentation de linguiste laquelle lapprenant aboutirait mais le positionnement dun lment de rflexion dans une trajectoire. Ce qui importe donc in fine, cest la dynamique du processus5. La vise du processus nest pas thorisante6, mais laccompagnement par lenseignant sappuie sur des thories linguistiques actualises lui permettant de rpondre aux questions souleves par les apprenants et maintenant ainsi la dynamique.

    Lintrt de ces outils nest pas de dsigner directement les formes du subjonctif tudier, ou les lments qui peuvent permettre dexpliquer son emploi dans le contexte linguistique, mais de permettre lapprenant de mener une rflexion sur les structures utilisant le subjonctif.

    4 Par exemple lorsquon utilise un corpus de grande taille pour prsenter aux tudiants toutes les occurrences de telle structure.

    5 Quant la thorisation linguistique du subjonctif, on peut distinguer trois tats : un tat modal peu thoris (grammaire scolaire,

    grammaire traditionnelle), un tat de type temporel (cf Gustave Guillaume), un tat de type modal smantico-logique (cf Martin, 1983). On pourrait valuer cette diffrence entre processus de reprsentation mentale et thorisation linguistique au regard du couple pilinguistique/ mtalinguistique de Culioli.

    6 On ne veut pas amener les apprenants laborer une thorie linguistique sur le subjonctif, mais leur permettre de comprendre et

    mmoriser quand et pourquoi lemployer, ce qui est aussi une forme de thorisation, mais oriente vers la pratique.

  • Ces deux types doutils corpus et instruments sont amens interagir, les seconds permettant lapprenant dobserver et de manipuler les premiers. Les outils ne sont pas figs, en ce sens que lenseignant peut tre amen adapter les instruments, ou enrichir les corpus, ou que lapprenant lui-mme peut les faire voluer, par exemple en agissant directement sur le corpus, le transformant ainsi en instrument : en mettant en relief des lments, en listant, catgorisant, classifiant, slectionnant, sriant, etc. (cette volution du corpus en instrument est dautant plus facile lorsquil sagit dun corpus discontinu, qui prsente des lments que lon peut facilement r-agencer). Par exemple, le travail sur lactif et le passif sest appuy sur un corpus discontinu, sur lequel les apprenants devaient mettre en vidence les verbes et les personnes accomplissant laction, puis catgoriser les phrases ; une fois la catgorisation accomplie, ce corpus, par ailleurs enrichi de nouveaux items par lenseignant au cours du travail, sest ainsi mu en instrument pour la rflexion mtacognitive des apprenants, qui comparaient leurs critres de catgorisation.

    Les outils utiliss dans cette dmarche sont en tout cas ncessairement ouverts, dans la mesure o lon doit pouvoir la fois les modifier et y faire des ajouts.

    Le travail de lenseignant

    Etant donn limportance des outils, une grosse partie du travail de lenseignant se situe en amont de la situation de classe, au niveau de la constitution des corpus et de la fabrication des instruments ; cependant, il a aussi un rle jouer lors du droulement des activits, il doit notamment :

    - sassurer de la cohrence des observations faites par les apprenants,

    - faire des ajouts au corpus si besoin, y compris parfois en classe,

    - accompagner lvolution des outils.

    Lintervention de lenseignant consiste donc non pas impliciter une grammaire quil sagirait pour lapprenant de retrouver, mais guider lapprenant dans la description de la langue.

    Cette position peut se rvler inconfortable pour lenseignant ; nous avons videmment bien conscience quil ne peut travailler qu partir de sa propre conception des rgles de la grammaire, mais il faut quil matrise assez bien sa propre grammaire pour pouvoir se mouvoir dans lapproximation (obligatoire et mme ncessaire dans un premier temps chez lapprenant) ou les formulations non-acadmiques, voire des reprsentations diffrentes dune mme structure, et il lui faut aussi accepter de saventurer dans des zones linguistiques dont il matrise mal la rgulation grammaticale. Il y a toujours dans ce type de dmarche pdagogique une part de dcouverte que le professeur fera en mme temps que ses lves crit Henri Besse propos de sa conception de la conceptualisation (Besse 1974 : 44). Enfin, il faut que lenseignant parvienne valider les hypothses des apprenants selon leur seule efficacit - validit dcrire les faits de langue rencontrs plutt quen fonction de ses connaissances dclaratives.

    Il faut prciser ici que le rle de lenseignant nest pas de slectionner les donnes partir desquels les apprenants forment ou construisent leurs reprsentations. En effet les apprenants, grce aux instruments fournis par lenseignant, extraient des donnes pertinentes des corpus qui leur sont proposes. La slection de ces donnes doit tre le fait de lapprenant, et non de lenseignant : les instruments ne proposent pas des extractions juges pertinentes par lenseignant, ils sont des outils qui permettent lexploration du corpus par lapprenant, mais en aucun cas ils ne donnent explicitement les lments relever ou observer. Lapprentissage a lieu partir des lments slectionns par lapprenant, et ce sont ces lments qui forment linput de lapprentissage : linput nest plus la langue dans son ensemble, mais il se trouve reprcis, dtaill, focalis par lapprenant. Lenseignant doit en revanche veiller la cohrence des donnes fonctionnant comme input, la fois du point de vue de leur slection, et de celui des conclusions tires leur propos. Ainsi, lors du travail sur les temps du pass, lenseignant veillait lidentification des formes verbales par les apprenants, afin quils puissent comparer lutilisation de ces temps. Il devait aussi veiller ce que les apprenants, pour effectuer les tches proposes par les instruments (des questions et des schmas avec des lignes de temps), ne mobilisent pas mcaniquement des connaissances dclaratives, par exemple pour viter que les tudiants se contentent de rpondre pour le conditionnel quil servait exprimer une demande polie, ce qui nest pas faux mais ntait pas valide dans le contexte.

    Manifestation des reprsentations

    Comme nous lavons mentionn en dfinissant en introduction ce que nous entendons par reprsentation , il nest possible davoir un accs direct ni ces reprsentations ni aux rseaux quelles forment. En revanche, on peut les observer indirectement, que ce soit au cours de leur construction, dans leur tat disponible (stockage sous une forme stabilise en mmoire long terme) ou dans leur tat actualis (utilisation pour effectuer des oprations mentales). Au cours de leur construction, ou sous leur forme disponible , on peut demander aux apprenants dexpliciter ces reprsentations, et ainsi les

  • observer travers leurs discours mtacognitif7 ; par explicitation, nous entendons la formulation par des moyens verbaux ou iconiques, graphiques, gestuels, etc. Lorsque les reprsentations sont actualises dans des oprations mentales, on peut observer les rsultats quelles permettent dobtenir ; dans notre cas, il sagit surtout dobserver lutilisation des structures langagires en situation de rception et de production.

    Pour lenseignant, le suivi des reprsentations construites par lapprenant passe donc par lvaluation de la comprhension des apprenants, lvaluation de la production langagire des apprenants, et lvaluation du discours mtacognitif des apprenants. Dans le discours mtacognitif des apprenants intervient forcment, puisquil sagit pour eux de produire un discours sur des reprsentations de structures langagires, un mtalangage. Dans notre dmarche, plusieurs mtalangages se chevauchent : le mtalangage utilis par les apprenants dans leurs explicitations (verbales), le mtalangage utilis par lenseignant pour effectuer des rtro-actions, et le mtalangage commun (co-construit partir des deux mtalangages prcdents) utilis pendant la construction des reprsentations et lutilisation des instruments.

    Les mtalangages dont on parle ici, peuvent donc reprendre, ou non, un mtalangage grammatical traditionnel (notamment dans les cas o les apprenants sappuient sur des connaissances dclaratives pralables) mais de faon critique ; ce mtalangage doit faire lobjet dune ngociation entre les apprenants et lenseignant, et doit tre valu en fonction de sa capacit dsigner de faon commune et dcrire les objets de langue dont il est question.

    Rgles et abduction

    Nous dfinissons une rgle linguistique comme une formule qui permet de trouver la structure langagire la mieux adapte un objectif de communication, en mettant en relation les contraintes et un rpertoire de disponibilits, cest--dire en trouvant les reprsentations caractrises par les traits qui vont rpondre au mieux aux contraintes.

    Cependant, les rgles ainsi dfinies sont des rsultats qui ne peuvent tre atteints qu la suite de tout un processus. Or, notre travail denseignant consiste viser un rsultat final qui dpasse le cadre du cours donn. Cest donc la dmarche dapprentissage qui est lobjet du travail de lenseignant. De ce fait, la notion de rgle relve dun horizon de lenseignement apprentissage.

    Notre dmarche utilise diffrents types de raisonnement. Etant donn que le point de dpart du processus de construction de reprsentations est forme par des corpus, nous pensons que la dmarche est proche de la mthode abductive que dcrit Pierce.

    Cependant, comme pour lexplicitation de la morphologie du subjonctif, les caractristiques formelles donnent lieu une mthode plutt inductive fonde sur lobservation du corpus de formes : les apprenants essayent de formuler la structure morphologique partir dexemples quils reprent.

    En revanche, pour le type de raisonnement que nous incitons les apprenants suivre, nous utiliserons le terme dabduction. Labduction renvoie la formation dhypothses explicatives. Cest une notion labore par Peirce pour tenter de rendre compte de linvention scientifique. une abduction est une mthode pour former une prdiction gnrale sans assurance positive quelle russira dans un cas particulier ou dordinaire, sa justification tant quelle est le seul espoir possible de rgler rationnellement notre conduite future, et que linduction fonde sur lexprience passe nous encourage fort esprer qu lavenir elle russira (Peirce 1931 - 1958 : 2.270). Comme on le voit daprs cette citation, labduction se fonde sur linduction mais pour la dpasser. Une tude centre sur les rapports entre notre mthodologie et labduction fera lobjet dun travail ultrieur. Ce qui nous semble le mieux caractriser notre dmarche, cest de se vouloir une dynamique de dcouverte.

    Bibliographie

    Besse, H., Les exercices de conceptualisation ou la rflexion grammaticale au niveau 2 , in Voix et Images du Crdif, n 2-1974, Paris, Didier, 1974, p 38-45.

    7 On peut qualifier ce discours de mtacognitif puisque cest un discours qui porte sur un produit cognitif des apprenants. A ce

    stade, on nest pas encore dans la mtacognition au sens de rflexion sur les processus qui ont conduit laborer ces produits, mais ce type de mtacognition nest pas exclu de notre dmarche. On prfre ici le terme de mtacognitif celui de mtalinguistique car les reprsentations sur les structures langagires ne sont pas de la langue.

  • Besse, H., Porquier, R., Grammaire et didactique des langues, Paris, Hatier, 1984.

    Cicurel, F., Parole sur parole ou le mtalangage dans la classe de langue, Paris, Cl international, 1985.

    Denis, M., Image et cognition, Paris, PUF, 1994 (1989)

    Martin, R., Pour une logique du sens, Paris, PUF, 1983.

    Peirce, CS., Collected papers, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1931 1958.

    Soutet, O., Le subjonctif en franais, Gap, Orphys, 2000.