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Médecine d'urgence 2006, p. 521-530. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Critères cliniques de gravité aux urgences J.-C. Allo, Y.-E. Claessens, J.-F. Dhainaut * Service d'accueil des urgences, groupe hospitalier Cochin, Université Paris 5, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, France * e-mail : [email protected] POINTS ESSENTIELS · Apprécier le degré de gravité d'un patient est le rôle essentiel des équipes travaillant aux urgences. · Les signes cliniques de gravité doivent être acquis par l'ensemble du personnel et notamment par l'équipe infirmière qui a la charge de surveiller et souvent de « trier » les patients dès leur arrivée aux urgences. · Le pronostic des patients graves dépend de la rapidité des mesures thérapeutiques mises en place. · L'arrivée précoce des patients après l'apparition des premiers symptômes dans les services d'urgence entraîne l'émergence d'une sémiologie nouvelle en cours d'écriture. · Le diagnostic de gravité aux urgences se fait souvent sur un signe clinique isolé. · Les signes cliniques de gravité sont le plus souvent non spécifiques d'une pathologie mais d'une défaillance d'organe. · L'appréciation de la gravité à partir d'un symptôme dans le contexte des urgences peut être paradoxalement mise en défaut. · Un malade « grave » peut ne pas l'être d'emblée à son arrivée aux urgences. · Un certain nombre de situations cliniques se caractérisent par une évolution dramatique sur quelques heures et doivent donc être considérées comme graves dès la suspicion diagnostique. INTRODUCTION Les compétences spécifiques du médecin urgentiste sont multiples, de mieux en mieux définies et bientôt mieux reconnues. À partir de situations médicochirurgicales très diverses, l'urgentiste doit notamment être capable d'établir un diagnostic le plus précis possible à partir de symptômes souvent très précoces dans un temps souvent très court pour décider d'hospitaliser à bon escient les patients. Il doit par définition être capable d'apprécier rapidement le degré d'urgence, c'est-à-dire savoir repérer le ou les signes de gravité quel que soit le motif de recours aux soins. C'est probablement son rôle premier tant le pronostic des patients graves dépend de la rapidité et de l'adéquation des mesures thérapeutiques mises en place dès les premières minutes de leur prise en charge. Pourtant, l'appréciation de la gravité à partir d'un symptôme dans le contexte des urgences peut être mise en défaut. L'exercice médical aux urgences implique la prise en charge simultanée de plusieurs patients dont la plupart

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Médecine d'urgence 2006, p. 521-530. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Critères cliniques de gravité aux urgences J.-C. Allo, Y.-E. Claessens, J.-F. Dhainaut * Service d'accueil des urgences, groupe hospitalier Cochin, Université Paris 5, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, France * e-mail : [email protected]

POINTS ESSENTIELS· Apprécier le degré de gravité d'un patient est le rôle essentiel des équipes travaillant aux urgences.· Les signes cliniques de gravité doivent être acquis par l'ensemble du personnel et notamment par l'équipe infirmière qui a la charge de surveiller et souvent de « trier » les patients dès leur arrivée aux urgences.· Le pronostic des patients graves dépend de la rapidité des mesures thérapeutiques mises en place.· L'arrivée précoce des patients après l'apparition des premiers symptômes dans les services d'urgence entraîne l'émergence d'une sémiologie nouvelle en cours d'écriture.· Le diagnostic de gravité aux urgences se fait souvent sur un signe clinique isolé.· Les signes cliniques de gravité sont le plus souvent non spécifiques d'une pathologie mais d'une défaillance d'organe.· L'appréciation de la gravité à partir d'un symptôme dans le contexte des urgences peut être paradoxalement mise en défaut.· Un malade « grave » peut ne pas l'être d'emblée à son arrivée aux urgences.· Un certain nombre de situations cliniques se caractérisent par une évolution dramatique sur quelques heures et doivent donc être considérées comme graves dès la suspicion diagnostique.INTRODUCTION Les compétences spécifiques du médecin urgentiste sont multiples, de mieux en mieux définies et bientôt mieux reconnues. À partir de situations médicochirurgicales très diverses, l'urgentiste doit notamment être capable d'établir un diagnostic le plus précis possible à partir de symptômes souvent très précoces dans un temps souvent très court pour décider d'hospitaliser à bon escient les patients. Il doit par définition être capable d'apprécier rapidement le degré d'urgence, c'est-à-dire savoir repérer le ou les signes de gravité quel que soit le motif de recours aux soins. C'est probablement son rôle premier tant le pronostic des patients graves dépend de la rapidité et de l'adéquation des mesures thérapeutiques mises en place dès les premières minutes de leur prise en charge. Pourtant, l'appréciation de la gravité à partir d'un symptôme dans le contexte des urgences peut être mise en défaut. L'exercice médical aux urgences implique la prise en charge simultanée de plusieurs patients dont la plupart

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appartiennent au domaine de la consultation de médecine générale. Une grande partie des malades graves est en effet prise dès leur domicile en charge par les médecins travaillant en préhospitalier (Samu et Smur) et sont dirigés directement vers les structures de soins intensifs. Si la formation et les compétences des médecins travaillant en préhospitalier se rapprochent des réanimateurs, les médecins travaillant aux urgences sont issus d'horizons très divers souvent éloignés de la prise en charge des malades graves. De plus, les malades se présentent souvent dans les premières heures d'évolution de leur pathologie et la sémiologie des maladies graves aux urgences est quasi spécifique de cette spécialité. Enfin, un certain nombre de situations cliniques se caractérisent par le contraste entre une présentation clinique initiale parfaitement rassurante et une évolution péjorative dans un délai très court. Dans ces conditions et pour toutes ces raisons, les situations de détresse vitale vraies peuvent être paradoxalement mal appréciées par les équipes médicales travaillant aux urgences et le risque d'erreur important. Dans ce chapitre, nous rappellerons quels sont les critères de gravité communs aux divers motifs de recours aux soins, en insistant sur les signes précoces et en rappelant leur utilité pour un bon triage des patients dès leur arrivée aux urgences. Nous listerons enfin les situations cliniques au cours desquelles une évolution dramatique peut survenir en quelques heures malgré l'absence de signe de gravité initiale.

SIGNES CLINIQUES DE GRAVITÉ AUX URGENCES Les signes de gravité des différentes pathologies sont communs quels que soient les modes d'exercice. La particularité des urgences est la précocité d'arrivée des patients par rapport au début des signes et la nécessaire rapidité de l'évaluation médicale (le patient est ambulatoire). L'appréciation d'un signe isolé de gravité n'est de ce fait pas toujours aisée et l'évolution péjorative peut se faire dans les heures qui suivent la sortie du patient des urgences. C'est en particulier vrai pour les patients jeunes ne présentant pas de pathologie préexistante et dont la réserve fonctionnelle de l'organisme est importante. Signes d'une insuffisance circulatoire aiguë L'insuffisance circulatoire aiguë ou état de choc est définie par une insuffisance de délivrance de l'oxygène aux tissus [1]. Les états de chocs sont classés en quatre catégories : le choc hypovolémique, principalement hémorragique, le choc cardiogénique par défaillance de la fonction cardiaque, les chocs distributifs caractérisés par des anomalies de la répartition du flux sanguin selon les différents territoires (le choc septique en est le meilleur exemple), les chocs « obstructifs » dans lesquels l'éjection ventriculaire est compromise par un obstacle (embolie pulmonaire, tamponnade). La physiopathologie du choc est complexe et peut différer selon son origine mais les principaux signes cliniques sont communs. Les modifications des téguments sont précoces : la peau est froide, les extrémités sont cyanosées (nez, oreilles, lèvres, doigt, orteils). Les téguments sont marbrés surtout au niveau des genoux et des coudes. Les veines périphériques mal visibles sont difficiles à ponctionner. Les signes respiratoires sont fréquents en l'absence d'une atteinte pulmonaire vraie. Ils sont alors

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souvent discrets et mis seulement en évidence si l'on prend soin de mesurer la fréquence respiratoire. La sécrétion de catécholamines résultant de l'activation du système sympathique est généralement responsable d'une tachycardie et de sueurs classiquement « froides », observables notamment au niveau du front. La chute de la pression artérielle ou collapsus n'est pas constante au stade initial. Les symptômes précédemment cités, associés à une pression normale, sont suffisants pour évoquer le diagnostic. L'action du système sympathique peut en effet maintenir une pression artérielle normale malgré un débit cardiaque effondré. L'observation d'une différentielle pincée est alors assez caractéristique. La pression diastolique est maintenue grâce à la vasoconstriction mais la systolique est abaissée du fait de la diminution de l'éjection ventriculaire. Le pouls, dont l'amplitude est proportionnelle à la différentielle, est faible et filant sa perception devient difficile. Il faut relever que le choc septique à sa phase initiale peut être au contraire caractérisé par une vasodilatation périphérique. Les téguments sont alors chauds et la pression artérielle différentielle élargie. La chute de la diurèse est un signe constant qui, pour être correctement apprécié, nécessite un recueil des urines. C'est un signe très utile pour la surveillance du patient. Enfin, les troubles neurologiques sont inconstants et signifient le plus souvent que l'état de choc est grave. Néanmoins aux stades initiaux il n'est pas rare d'observer une agitation avec anxiété et/ou agressivité parfois isolée, dont l'interprétation peut faire errer le diagnostic aux urgences. En l'absence de thérapeutique adaptée, des troubles de la vigilance peuvent apparaître. Tous ces signes ne sont pas nécessairement présents en même temps, en particulier à la phase initiale d'installation du choc. Ceci par définition concerne les malades des urgences ou un seul de ses signes est présent. Il n'est ainsi pas rare d'observer aux urgences, par exemple chez les malades septiques, une polypnée, une confusion, voire une oligurie isolée. La reconnaissance de ces signes est fondamentale tant l'importance de débuter les premières mesures thérapeutiques dès la phase initiale du choc est grande [2]. Il faut également rappeler l'importance de la recherche systématique (et répétée !) de lésions purpuriques chez les patients fébriles ou présentant une infection (les signes méningés initiaux peuvent être frustes) tant la mise en route du t r a i t e m e n t a n t i b i o t i q u e i m m é d i a t e s t i m p o r t a n t d a n s l e s méningococcémies [3]. D'autres particularités sémiologiques de gravité peuvent se voir en fonction des étiologies spécifiques. L'importance d'un saignement actif (hémorragie digestive haute ou basse, plaie artérielle ou sur fistule artérioveineuse...), de signes généraux comme une soif intense ou l'importance de la pâleur cutanéomuqueuse signent aisément la gravité d'un choc hémorragique. Il faut dans ce cadre se méfier de l'apparition de malaise facilement étiquetée vagal, notamment à la mise en orthostatisme chez des patients dont les paramètres vitaux apparaissent normaux ou sub-normaux. Outre la pression artérielle, la fréquence cardiaque se révèle au cours du choc hypovolémique parfois paradoxalement basse et donc faussement rassurante. C'est en effet souvent

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un signe de gravité qui traduit une perte de plus de 30 % de la masse sanguine et la survenue imminente d'un désamorçage de la pompe [4]. Signes de gravité d'une insuffisance respiratoire aiguë La dyspnée est un symptôme dont les mécanismes physiopathologiques sont complexes, dont les modes d'expression sont variables (manque d'air, effort pour respirer, rétrécissement du thorax, oppression thoracique, pesanteur abdominale...) [5] et que le malade va avoir parfois du mal à décrire. Il est donc important pour le médecin urgentiste de bien rechercher les éléments témoins de la gravité d'une atteinte respiratoire et en particulier de bien mesurer le rythme respiratoire. Reconnaître une insuffisance respiratoire aiguë grave pose peu de difficultés lorsque tous les signes de détresse respiratoires sont présents (et à condition d'avoir été bien recherchés). Ces signes associent à des degrés variables des signes respiratoires proprement dits, des signes neurologiques et des signes hémodynamiques. Les malades aux urgences consultent le plus souvent à un stade de sévérité souvent moindre et l'appréciation des signes de gravité moins aisée car ces signes sont souvent isolés et parfois trompeurs. Les signes respiratoires de lutte associent une polypnée (FR > 30 c/min), un tirage sus-claviculaire et intercostal, scalènes et sterno-cléido-mastoïdiens, l'utilisation des muscles respiratoires accessoires (qui témoignent d'un état critique) ou des signes de respiration paradoxale. L'existence d'une cyanose périphérique (ongles, lèvres...) témoigne de la présence d'une désaturation en oxygène de l'hémoglobine [5]. La sévérité de ce signe doit être interprétée en fonction du chiffre de l'hémoglobine. La recherche de signes en faveur d'une origine laryngée (œdème, tumeur, corps étranger...) doit être systématique tant l'évolution peut être rapidement péjorative [6]. La sensation de manque d'air en rapport avec l'hypoxie est une sensation très angoissante qui s'accompagne d'une agitation et d'une anxiété très importantes qui peuvent compliquer la prise en charge thérapeutique et dans certains cas, et prendre le pas sur la symptomatologie respiratoire [7]. L'apparition de signes d'épuisement musculaire (d'emblée chez les patients présentant des atteintes neuromusculaires ou en remplacement des signes de lutte) indique la nécessité d'un recours à une ventilation artificielle. Une diminution de la fréquence respiratoire qui peut se normaliser et alors devenir inadéquate, remplace alors la polypnée et les signes de tirage sont moins marqués, et nécessitent alors un accroissement de surveillance et possiblement la mise en route de traitements plus agressifs. Des troubles de la conscience peuvent apparaître dans les cas d'hypoxémie extrêmes ou dans les situations d'hypercapnie. Dans ce dernier cas, il est important de savoir rechercher l'existence d'un astérixis qui témoigne de l'existence d'une encéphalopathie hypercapnique et de sueurs (classiquement chaudes). Enfin, les situations de tamponnade gazeuse (pneumothorax suffocant, asthme aiguë grave...) ou d'obstruction vasculaire pulmonaire aiguë (embolie pulmonaire) peuvent s'accompagner d'une défaillance cardiaque droite (jugulaires turgescentes, reflux hépato-jugulaire) pouvant évaluer vers un collapsus. À noter que, pour l'embolie pulmonaire grave, les signes hémodynamiques peuvent contraster avec un état respiratoire apparaissant peu inquiétant [8].

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La mesure du peak flow (et son expression en pourcentage de la valeur optimale) est un élément essentiel de la prise en charge du patient asthmatique. Elle permet d'objectiver la gravité d'une crise d'asthme et de s'assurer de la bonne évolution sous traitement. Les récentes études ASUR ont cependant montré que la mesure du peak flow était moins pertinente que la rapidité d'installation des troubles pour juger de la sévérité d'un asthme [9]. La surveillance de la saturation en O2 de l'hémoglobine (SpO2) fait partie des constantes monitorées dès l'arrivée du malade grave aux urgences et elle doit être considérée comme un des éléments de l'examen clinique. L'interprétation du résultat de la SpO2 nécessite d'une part de rappeler la différence qui existe entre l'hypoxie et l'hypoxémie (exemple de l'anémie grave) et d'autre part de connaître la relation non linéaire qui lie la PaO2 et la SaO2 (la saturation chute de manière rapide pour un niveau d'hypoxémie proche de 60 mmHg). Signes de gravité d'une atteinte neurologique aiguë [10] L'altération de la conscience ou coma résulte d'une atteinte neurologique centrale (tronc cérébral ou hémisphères cérébraux) dont les mécanismes peuvent être très variés. L'appréciation de la gravité du coma se fait en parallèle à la réalisation systématique d'un hémoglucotest et la mesure de la température. L'état de coma est un processus évolutif dont l'évaluation immédiate doit être consignée avec précision de manière répétée. Ainsi la cotation des comas doit être faite à l'aide de scores partagés reproductibles simplifiant la communication entre les différents intervenants. Le degré de profondeur des comas traumatiques et non traumatiques est évalué le plus souvent à l'aide du score de Glasgow initialement décrit pour la surveillance des traumatisés crâniens [11]. Ce score, relativement bien corrélé au pronostic vital et fonctionnel du patient, a permis de fixer des valeurs seuils pour orienter certaines décisions telles que l'indication à une intubation trachéale lorsque la valeur est inférieure à 8. La recherche de signes neurologiques témoins d'une souffrance cérébrale grave complète l'évaluation de la profondeur du coma. Il s'agit principalement de l'observation d'une asymétrie pupillaire, d'une paralysie oculomotrice, de déficits focaux, de mouvements d'enroulements ou de décérébrations ou encore de la présence de signes de dérèglements végétatifs. Ces signes sont généralement le témoin d'un déplacement et d'une compression du tissu cérébral secondaire à un processus expansif intracrânien (risque d'engagement cérébral). Critères de gravité d'une insuffisance rénale aiguë La gravité de l'insuffisance rénale aiguë s'apprécie cliniquement avant tout par l'importance de l'oligurie et du retentissement principalement cardiaque des anomalies métaboliques (troubles de conduction cardiaque dans le cadre d'une hyperkaliémie) [12]. L'ECG qui fait partie intégrante de l'examen clinique aux urgences permet d'en apprécier le retentissement avant les résultats de la biologie. Critère de gravité d'une insuffisance hépatocellulaire aiguë La gravité d'une insuffisance hépatocellulaire sévère se fait essentiellement sur des critères neurologiques [13]. L'encéphalopathie hépatique dont la

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physiopathologie reste incomplètement déterminée apparaît lorsque la destruction du foie est de l'ordre de 80 à 90 %. Elle est en général d'installation progressive, souvent fluctuante, parfois déclenchée par une hémorragie digestive, un sepsis ou un traitement médicamenteux. Précédées par des troubles du sommeil ou du comportement, les perturbations de la conscience sont de gravité variable et classées en 4 stades (le stade 4 correspondant au coma avec ou non réponse aux stimulations douloureuses). Un astérixis est présent au cours des trois premiers stades. Il n'y a pas de signe de focalisation, mais très souvent des signes d'irritation pyramidale et des convulsions sont possibles. Dans les cas extrêmes surviennent des signes d'hypertension intracrânienne secondaires à un œdème cérébral. Lorsque l'hépatopathie n'est pas connue l'origine hépatique du coma peut se faire sur l'anamnèse (intoxication éthylique), sur les signes classiques des hépatopathies comme le foetor hepaticus, la présence d'un ictère, d'angiomes stellaires, d'une ascite, d'une circulation veineuse collatérale, la palpation d'un foie anormal. L'encéphalopathie hépatique est usuellement intégrée dans le score pronostique de Child en association avec des données biologiques [14]. Critères de gravité en hématologie Les anomalies de l'hémostase à type de coagulopathie de consommation (thrombopénie, hypofibrinémie, diminution des facteurs du complexe thrombiniques) même s'ils n'ont pas de traduction clinique (présence de signes hémorragiques) témoignent d'une pathologie grave [15]. Nous rappellerons simplement sans les détailler la gravité d'une anémie, d'une thrombopénie ou même d'une leucopénie profonde qui nécessitent une prise en charge spécifique bien codifiée. Critères de gravité d'un abdomen douloureux [16] Même si le diagnostic étiologique est initialement difficile à établir, certains signes de gravité imposent une intervention chirurgicale dans des délais brefs : - la présence d'une contracture généralisée, qui traduit une irritation péritonéale intense et se caractérise par l'existence d'un ventre de « bois » ne respirant pas dont la palpation exacerbe les douleurs ; - l'existence d'une défense abdominale qui correspond à une irritation péritonéale de faible importance et se traduit par la disparition de la souplesse abdominale ; - la palpation montre une contraction musculaire qui est absente spontanément. Il faut souligner la possibilité de formes faussement rassurantes en particulier chez les personnes âgées et les patients immunodéprimés (notamment les patients sous corticoïdes) du fait de l'absence de signes d'irritations péritonéales patents même en présence de tableaux chirurgicaux graves (pneumopéritoine en particulier). On peut souligner la possibilité d'apparition de signes de détresse vitale possibles au cours des pancréatites et de la possibilité d'observer des ecchymoses de la paroi abdominale dans les formes hémorragiques (signes de Grey-Turner).

R E C O N N A Î T R E L E S S I T U A T I O N S POTENTIELLEMENT GRAVES MÊME SI LES

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SIGNES CLINIQUES DE GRAVITÉ SONT FRUSTES Un certain nombre de pathologies se caractérisent par une présentation initiale parfaitement rassurante et une évolution péjorative sur quelques heures. L'évocation du diagnostic doit alors entraîner le déclenchement d'une procédure associant mise en œuvre rapide d'examens complémentaires à visée diagnostique et surveillance dans une unité appropriée. Toutes ces situations ne sont probablement pas répertoriées dans ce chapitre. Leur recensement est néanmoins important afin que des standards de prise en charge soit définis pour ces malades. Ces procédures doivent tenir compte de l'organisation des différents services d'urgence au sein de chaque hôpital. Dissection aortique La dissection aortique est une pathologie rare, difficile à reconnaître et grevée d'une mortalité importante si elle n'est pas diagnostiquée et prise en charge dans des délais très courts [17]. Les présentations cliniques typiques ne représentent qu'un tiers des cas environ. Prises en charge par une équipe du Samu, les fortes suspicions iront directement dans les centres spécialisés. Les patients se présentant aux urgences auront plus volontiers une présentation atypique et un pronostic très dépendant de l'habileté du médecin urgentiste. Là encore, la réévaluation clinique (apparition d'un souffle diastolique aortique par exemple) et la surveillance (complication vitale brutale) sont fondamentales. Choc infectieux et terrain La brutalité du choc infectieux qui caractérise les méningococcémies et parfois les infections à pneumocoques survenant alors plus particulièrement sur des terrains fragiles (déficits immunitaires, splénectomisés, drépanocytaires...) est bien connue [18]. L'apparition du purpura dans un contexte fébrile aux urgences est possible et il est important d'insister sur la nécessaire réévaluation clinique des patients. Anévrisme de l'aorte abdominale Le patient peut, dans le cadre d'un syndrome fissuraire, se présenter pour une douleur abdominale pour laquelle un diagnostic de pathologie bénigne est porté et évoluer subitement vers un état de choc létal en l'absence d'intervention chirurgicale. Infarctus du myocarde La corrélation entre la précocité du traitement (et donc du diagnostic) et la mortalité immédiate (troubles du rythme) ou retardée est bien connue. Cependant, la relative rareté des syndromes coronariens avec sus-décalage du segment ST aux urgences rend nécessaire la mobilisation constante des équipes autour du patient se présentant pour une douleur thoracique sans signe de gravité clinique [19]. Palpitations, syncopes, malaises La notion d'épisodes mêmes transitoires de tachycardies extrêmes ou de bradycardie sévère accompagnés ou non de signes cliniques (malaise, syncope le plus souvent) doit interpeler le médecin urgentiste sur la possibilité de troubles du rythme ou de la conduction cardiaque qui nécessitent de toute

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évidence une surveillance spécialisée, la répétition de ces épisodes exposant au risque de mort subite. Intoxications médicamenteuses La majorité des intoxications sont bénignes et bénéficient d'une surveillance simple aux urgences. Certains produits utilisés sont néanmoins très dangereux avec une évolution à très court terme imprévisible. Il s'agit notamment des molécules responsables de troubles du rythme cardiaque. Parmi ces médicaments, citons notamment les digitaliques, la chloroquine, le lithium et les antidépresseurs. Pour ce type de molécule, une surveillance en milieu de réanimation peut être décidée même en l'absence de signes de gravité à l'arrivée du patient aux urgences. Hémoptysie La notion de gravité immédiate ne doit pas masquer le fait qu'une hémoptysie même minime représente dans tous les cas un signe d'alerte à ne pas négliger. Elle peut en effet récidiver à tout moment sous une forme beaucoup plus sévère. La gravité immédiate d'une hémoptysie vient bien moins du risque de spoliation sanguine que du retentissement sur l'hématose et en particulier du risque d'asphyxie (le volume des voies aériennes de conduction étant approximativement de 250 ml [20]). Grossesse extra-utérine L'adage qui consiste à dire que « la douleur pelvienne de la femme en âge de procréer est une grossesse extra-utérine (GEU) jusqu'à preuve du contraire » reste vrai. En effet, la GEU est l'exemple type de la pathologie pouvant être responsable du décès par choc hémorragique brutal si les mesures thérapeutiques appropriées n'ont pas été réalisées. Prééclampsie et éclampsie La faible incidence de l'éclampsie et de ses complications aux urgences peut être à l'origine d'un défaut de prise en charge. Dans la plupart des cas les signes cliniques initiaux sont peu inquiétants, isolés (HTA, céphalées, protéinurie, œdèmes, douleurs abdominales...) et l'évolution vers une situation de détresse vitale pour la mère et l'enfant (convulsions, HELLP syndrome, hématome rétroplacentaire) survenir brutalement [21] [22].

NOTION DE TRI AUX URGENCES Pour répondre aux besoins d'un volume fluctuant de patients, les services d'urgences ont mis en place un processus de tri permettant aux soignants de déterminer la priorité de soins en fonction de l'urgence et de la gravité des cas. Cette mesure permet de donner en priorité les soins médicaux aux patients dont la condition est la plus urgente. Ainsi, le tri détermine l'urgence d'une intervention médicale selon une classification prédéterminée. Cette évaluation s'effectue à partir d'un recueil nécessairement rapide d'informations sur la raison de la consultation, sur les signes et les symptômes du patient, sur son état général et par la mesure de certains paramètres. Il s'agit de déterminer le degré de gravité potentielle du problème de santé et ainsi de définir un ordre de priorité de prise en charge (catégorisation de 1 à 5) [23]. Pour assurer cette fonction, un grand nombre de centres ont créé la fonction d'infirmier d'accueil et d'orientation (IAO). Il doit avant tout savoir repérer les malades les plus

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graves c'est-à-dire ceux de catégorie 1 présentant des signes de détresse vitale et ceux de catégorie 2 correspondant aux pathologies ayant un degré de sévérité potentielle et nécessitant une prise en charge dans les 20 premières minutes. Le risque est bien sûr d'oublier la notion d'évolutivité des patients (le temps en salle d'attente est parfois prolongé) et de ne pas « reclasser » un malade initialement trié en 3 en 4 voire en 5. Tous les signes cliniques définis précédemment et toutes les situations potentiellement graves malgré un état clinique rassurant devront de toute évidence être parfaitement maîtrisée par l'IAO, la suite de la prise en charge étant souvent très dépendante de cette première appréciation.

CONCLUSION La reconnaissance des signes de gravité communs à l'ensemble des situations de recours au soin est fondée sur un certain nombre de paramètres vitaux et de signes cliniques, dont la reconnaissance et la maîtrise sont indissociables d'une prise en charge de qualité des patients aux urgences. Ces critères permettant de définir la sévérité d'un malade ne sont pas l'apanage des seuls médecins. Ces signes doivent être très rapidement acquis par l'ensemble du personnel travaillant aux urgences et notamment par les équipes infirmières qui ont la charge de surveiller les patients et, maintenant dans de nombreux centres, d'accueillir et de « trier » les patients dès leur arrivée aux urgences. La bonne qualité de ce « tri » est le corollaire d'un bon fonctionnement des services d'urgences, dont l'activité est souvent marquée par un afflux important et variable de patients. L'arrivée précoce des patients après l'apparition des premiers symptômes dans les services d'urgence entraîne l'émergence d'une sémiologie nouvelle en cours d'écriture, les signes cliniques (et paracliniques) de sévérité pour des pathologies variés pouvant être difficiles à repérer par les équipes médicales et paramédicales. Il est important d'avoir en tête la notion d'évolutivité même sur quelques heures passées aux urgences, (un malade « grave » peut ne pas l'être d'emblée) et de savoir mettre en place une surveillance appropriée sur des signes relativement isolés. La part du jugement clinique prenant en compte la spécificité d'une situation donnée et des éléments quelquefois subjectifs difficiles à répertorier reste essentielle dans l'appréciation de la gravité et dans la décision d'orientation des patients.

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