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Grenade Al-Andalus Mercredi 23 mai 2018 – 20h30 SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE

Grenade Al-Andalus - Philharmonie de Paris · 2018-05-18 · Grenade, de la fondation du royaume de Grenade, de l’expansion et splendeur d’Al-Andalus à son incorporation au royaume

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Grenade Al-AndalusMercredi 23 mai 2018 – 20h30

SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE

ÉPOQUE ZIRIDE

1013 Fondation du royaume de Grenade par Zawi ibn Zirí sur l’ancien emplacement de la Garnata al-Yahud, la Grenade des juifs.

1066 Persécution et tuerie des juifs de Grenade (décembre).

Invocation Qamti be-Ishon Layla – Cantique des Cantiques (inspiré du Cantique 3, 1-4)

1086 Bataille de Sagrajas : les Almoravides triomphent d’Alphonse VI de Castille.

Taqsim instrumental et danse mauresque (ney)

ÉPOQUE BERBÈRE : LES ALMORAVIDES

1090 Les Almoravides retraversent le détroit et s’emparent des taïfas andalouses.

Mowachah Billadi askara min aadbi Llama – tradition d’Al-Andalus

1092 Imposition d’un Islam sévère et rigoureux. Grenade, siège du pouvoir almoravide d’Al-Andalus. Départ pour l’exil de nombreux poètes et philosophes de Grenade comme Abu Hamid et Moisés ibn Ezra. Les mozarabes de Grenade perdent leurs églises et leurs évêques.

Preces : Penitentes orate – anonyme mozarabe (xie siècle)

PROGRAMME

Grenade, de la fondation du royaume de Grenade, de l’expansion et

splendeur d’Al-Andalus à son incorporation au royaume de Castille

et León, et la conversion forcée de tous les musulmans (1013-1502)

1094 Le Cid Campeador fait la conquête de Valence et repousse les Almoravides.

Ductia (instrumental) – Alphonse X le Sage (Cantiga de Santa María, CSM 123)

1110 Judá Ha-Leví rencontre à Grenade les poètes Moisés ibn Ezra et Abraham ibn Ezra, avec lesquels il restera lié sa vie durant.

Sionida : Yefe Nof – Judá Ha-Leví (1075-1141)

ÉPOQUE ALMOHADE

1144 Désintégration des domaines almoravides d’Al-Andalus. Deuxième période de taïfas.

Taqsim – Mowachah : Ya gosan naqa – Abou Bakr Ibn Zohr (Séville, 1073-1162) – tradition d’Al-Andalus

1148 Maïmonide se déplace à Almería devant l’avancée des Almohades.

Fragment de l’Iguéret ha-shemad, lettre sur la conversion forcée (chapitre IV)

Las Estrellas de los cielos (instrumental) – anonyme séfarade

1157 Les Almohades prennent Grenade.

Danse moresque (instrumental)

1188 Mort du roi Sancho III de Castille.

Lamentation : Plange Castella misera – anonyme (Codex de las Huelgas, f. 160, xiie siècle)

1212 Bataille de Las Navas de Tolosa.

Danse d’initiation (instrumental)

Les unités chrétiennes d’Aragon, de Castille et de Navarre battent les Almohades.

Lamentation hébraïco-andalouse : Dror yiqra – Dunas Ben Labrat (xe siècle)

ENTRACTE

ÉPOQUE NASRIDE

1238 Muhammad ibn Nasser al-Ahmar (« le Rouge »), premier sultan nasride de Grenade (1238-1273). Début de la construction de l’Alhambra.

Poème sur pierre de l’Alhambra de Grenade, écrit dans la salle des deux sœurs, sur les beautés de l’Alhambra. Texte de Ibn Zamrak

1280 Victoire de Moclín : les unités de Muhammad II battent les troupes castillanes. En expédition punitive, l’infant Sancho, fils aîné d’Alphonse X le Sage, ravage la plaine de Grenade.

Pero que seja a gente – Alphonse X le Sage (Cantiga Santa María, 181)

1368 Blocus de Baeza (gouvernée par don Enrique), par le roi maure de Grenade et son allié don Pedro.

Romance de la Frontière : Cerco de Baeza – anonyme (Cancionero musical de Palacio, 106)

LA DYNASTIE DES MUHAMMAD

1362 Muhammad VI se rend à Séville avec 300 cavaliers pour demander à Pedro I l’arrêt des hostilités. Pedro I assassine le roi nasride dans le quartier sévillan de Tablada.

Plainte : Le chemin – L’angoisse - Improvisation arabo-andalouse

1410 L’infant Ferdinand de Castille prend Antequera. Yousouf III récupère Gibraltar.

Propiñan del Melyor (instrumental) – anonyme (xve siècle)

1464 Moulay Hassan accède au trône de Grenade. Avec la sultane Aisha, il a un fils, Boabdil.

Villancico : Aquella mora garrida – Gabriel (Cancionero musical de Palacio, 254)

FIN DU ROYAUME NASRIDE DE GRENADE

1492 Boabdil capitule le 2 janvier devant les rois catholiques. Fin du royaume nasride de Grenade (250 ans). Boabdil s’enfuit au Maroc.

Villancico : Viva el Gran Re Don Fernando – Carlo Verardi

1492 Décret d’expulsion des juifs et des musulmans en Castille et en Aragon.

Romance : El pan de la aflicción – prière séfarade en ladino

(mars)

1492 Découverte de l’Amérique.

(octobre) Journal de bord de Christophe Colomb, nuit du 11-12 octobre 1492

Villancico : Xicochi Conetzintle – Xochipitzahuatl – Gaspar Fernandes / anonyme nahuatl

DOMINATION CASTILLANE

1500 Naissance de Charles V.

Villancico : Todos los bienes del mundo – Juan del Enzina

1502 Conversion forcée de tous les musulmans du royaume de Grenade.

Chronique des rois de Castille – Chap. CXCVI Plainte arabo-andalouse : Maqam Hijaz –

Ibn Zeydoun (1003-1071)

La Capella Reial de CatalunyaHespèrion XXIJordi Savall, directionWaed Bouhassoun, chant, oudLior Elmaleh, chantDriss El Maloumi, chant, oudMoslem Rahal, neyHakan Güngör, qanûnYurdal Tokcan, oudHaïg Sarikouyoumdjian, dudukDimitri Psonis, guitare mauresque, santur, clochesErez Shmuel Mounk, percussionsManuel Forcano, récitant

Conception du programme : Jordi Savall.Sélection, adaptation des textes et chronologie : Sergi Grau et Manuel Forcano.

Ce concert est surtitré.

FIN DU CONCERT VERS 22H15.

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Grenade, 1013-1502De la fondation du royaume de Grenade avec l’expansion et la splendeur d’Al-Andalus jusqu’à son incorporation au royaume de Castille et León, suivie de la conversion forcée des mauresques

La fondation du royaume de Grenade par Zawi ibn Ziri en 1013 sur l’ancien emplacement de Garnata al-Yahud, la Grenade des juifs, est le point d’inspiration de ce projet : une évocation historique et musicale de cinq siècles de vie d’une des villes les plus importantes et les plus admirées de l’Andalousie musulmane. Commande spéciale du Festival de música y danza de Grenade, ce programme a été imaginé et créé pour célébrer le millénaire de la fondation du royaume de Grenade. Les musiques qui le composent ont été en grande partie interprétées durant le concert donné le 1er juillet 2013 au palais de Charles Quint de l’Alhambra.

Pour mesurer la grande richesse d’influences, de traditions et d’échan-ges présents au moment de la fondation du royaume de Grenade, il faut remonter au début du ve siècle. La présence de communautés juives en Andalousie et leurs relations avec les chrétiens commencent à préoccu-per la hiérarchie ecclésiastique dès le concile d’Elvira (Grenade), célébré dans les premières années du ive siècle, et, un siècle plus tard, Severus de Menorca relate avec inquiétude, dans une lettre encyclique de l’an 417, les bonnes relations existantes entre juifs et chrétiens. Quelques années auparavant, en 409, l’arrivée dans la péninsule ibérique des Vandales, Suèves et Alains en finit avec quatre siècles de romanisation, pendant lesquels s’établit dans la péninsule la liturgie wisigoth-mozarabe, dont l’influence disparaît définitivement en l’an 812 lorsque l’empereur de Byzance reconnaît Charlemagne comme légitime empereur d’Occident.

Les influences byzantines sur la musique wisigoth-mozarabe s’expliquent également par les relations étroites entre la péninsule et Constantinople, particulièrement intenses à partir des voyages de saint Léandre et d’autres Pères de l’Église. La musique du rite wisigoth ou mozarabe connut sa splendeur maximale entre le concile de Tolède de 633 (présidé par saint Isidore de Séville) et la fin de la domination wisigothe avec l’irruption

LE CONCERT

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des musulmans en l’an 711, mais continuera à être pratiquée dans toute l’Andalousie jusqu’au xie siècle.

À partir de l’arrivée des musulmans, on appelle musique mozarabe toute la musique liturgique chrétienne pratiquée dans les territoires sous leur domination. Quoique de nombreuses mélodies liturgiques bien antérieu-res à l’invasion se soient maintenues, la grande influence culturelle de la musique arabe, qui intervient entre les viiie et xie siècles, est la responsable de la décadence de la musique mozarabe. Mais la véritable probléma-tique de toutes ces musiques, comme d’ailleurs de la majeure partie de la musique des premiers temps du Moyen Âge, réside dans sa graphie, qui est constituée de neumas (signes) encore aujourd’hui difficiles à déchiffrer et qui, dans le meilleur des cas, nous permettent seulement d’imaginer la hauteur approximative des sons – mais difficilement leur durée exacte. La musique profane de tradition wisigothe, en revanche, se marie aisément avec les nouvelles musiques arabes incorporées à partir de 711, ce qui donnera lieu à une extraordinaire culture musicale.

Quand les musulmans arrivèrent en Andalousie, ils avaient encore d’impor-tantes préventions contre la musique. Le métier de musicien était considéré comme immoral et même malhonnête : une preuve de la piètre consi-dération dans laquelle étaient tenus les musiciens, les chanteurs et les pleureuses est le fait que leur témoignage n’était jamais accepté lors des jugements. Avec l’arrivée d’Abd al-Rahman Ier le Juste, premier émir de la dynastie Omeyyade dans Al-Andalus, la musique commence à être mieux considérée et à occuper une place beaucoup plus importante, jusqu’à devenir – avec l’arrivée du grand musicien Abu-i-Hassan Ali ibn Nafi, connu sous le nom de Ziryab – l’une des formes les plus appréciées de l’art anda-lou, tout particulièrement par les classes dirigeantes. Au fur et à mesure que s’adoucissaient les traditions mahométanes, la pratique musicale se développait avec une croissante intensité dans toutes les couches sociales.

Presque trois siècles avant de construire l’Alhambra, Grenade était déjà un royaume prospère et fascinant dirigé par des vizirs juifs, qui mirent leurs compétences au service du roi Badis ibn Habus al-Mudhaffar (1038-1073), monarque de la dynastie Ziride, d’origine berbère nord-africaine. Malheureusement, cette époque de développement et de vivre ensemble

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fut brisée par la terrible persécution et la tuerie des juifs grenadins de décembre 1066 décrites dans les Mémoires du dernier roi de la dynastie Ziride Abd Alláh ibn Buluggin bin Badis (1073-1090). Peu après son instal-lation sur le trône, son royaume s’appauvrit quand il dut payer de forts tributs (las parias, dues aux rois de Castille) à Alfonso VI pour être protégé de son éternel rival, le royaume taïfa de Séville. C’est dès le xie siècle que la grande dissension interne dans Al-Andalus (fitna) avait rompu l’unité du califat de Cordoue, créant une mosaïque de petits états, royaumes appelés taïfas.

Comme les autres royaumes de taïfas d’Al-Andalus, le royaume de Grenade s’est caractérisé par sa faiblesse, ses constantes divisions et ses luttes intestines. À la fin du xie siècle, profitant de cette conjonc-ture favorable, les Almoravides d’Afrique du Nord débarquèrent dans la péninsule, sous la direction de Youssef ibn Tachfine, chef régnant qui gouvernait à l’époque un empire s’étendant de l’Algérie jusqu’au Sénégal. Avec l’appui de certaines sympathies locales qui ne voyaient pas d’un bon œil la désorganisation gouvernementale des Zirides et celui d’influents personnages comme le cadi Abu Yafar, Tachfine entra dans Grenade en 1090, détrôna le dernier roi ziride Abd Alláh et intégra les territoires de l’Andalousie orientale à son empire, se confrontant à d’autres taïfas et même aux rois chrétiens du nord de la péninsule.

Après les Almoravides, ce sont les Almohades (hommes de la montagne) qui tentent d’occuper l’espace politique vacant et, partant d’Afrique du Nord, s’installent sur les territoires musulmans de la péninsule, réduisant une à une toutes les taïfas. Ils font plus précisément la conquête de la ville de Grenade en l’an 1157.

Malgré la prétendue stabilité des Almohades, il y eut diverses tentatives de la part de taïfas pour reconquérir leur indépendance, inspirées par des intérêts locaux et de puissantes familles privées de leurs anciens privilèges. À Grenade, le plus connu de ces épisodes fut celui qu’initia, en 1162, Muhammad ibn Sa’d, qui s’opposa aux Almohades lors de la sanglante bataille de la colline de la Sabika avec la collaboration d’élé-ments almoravides.

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Quoique les Almohades aient réussi à imposer une certaine stabilité et même à freiner l’impulsion conquérante des royaumes chrétiens, la vic-toire des troupes chrétiennes à la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212 ouvrit une brèche en direction de l’Andalousie occidentale qui annonçait la fin du rêve d’Al-Andalus.

Le royaume nasride de Grenade, connu comme le sultanat de Grenade, fut fondé en 1238 par le noble nasride Mohammed-Ben-Nazar. Malgré les nombreuses pressions extérieures, le royaume survécut grâce à sa situation géographique favorable, tant pour la défense du territoire que pour le maintien du commerce qui, grâce à une économie diversifiée, opérait avec les royaumes chrétiens péninsulaires aussi bien qu’avec les musulmans du Maghreb ou les Génois à travers la Méditerranée. Pourtant peu à peu, ce royaume perdit des territoires face à la Couronne de Castille, jusqu’à sa disparition définitive après la guerre de Grenade (1482-1492). Le royaume nasride de Grenade devait être le dernier état musulman de la péninsule ibérique et de l’ancien Al-Andalus.

Les musiques que nous avons choisies pour ce voyage fascinant à travers l’histoire de la dernière capitale d’Al-Andalus durant l’une des périodes les plus extraordinaires de ce que l’on a appelé « l’Espagne des trois cultures » sont d’origines et de transmissions très diverses.

Pour les musiques juives, il s’agit des anciennes musiques et improvisa-tions sur d’anciens écrits des poètes Dunash Ben Labrat et Yehuda Halevi (1075-1141), les textes récités du savant Maïmonide, médecin, rabbin, et théologien juif andalou et les musiques du Cantique des Cantiques. Elles sont interprétées conformément à la connaissance des anciennes traditions orales d’une antique communauté séfarade du sud du Maroc, que possède magistralement notre chantre Lior Elmaleh. Sans omettre la très belle prière anonyme séfarade (de la tradition de Salonique), qui se chantait durant le rituel festif du Seder de Pessah, célébré lors de la première nuit de Pâque : un chant expressif, El pan de la aflicción (Ania a Lahma), merveilleusement interprété en ladino par les solistes de La Capella Reial de Catalunya, en dialogue avec les improvisations du chan-teur Lior Elmaleh.

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Pour les musiques chrétiennes, nous avons choisi des œuvres provenant des répertoires mozarabes, codex et manuscrits hispaniques médiévaux, en particulier des œuvres du Códice de las Huelgas ou des Cantigas de Santa María d’Alphonse X le Sage, des Romanceros fronterizos (roman-ces historiques), particulièrement ceux des guerres de Grenade. Pour la période finale, nous avons choisi les villancicos de Juan del Enzina, de Gabriel et des pièces anonymes du Cancionero Musical de Palacio, inter-prétés par les solistes de La Capella Reial de Catalunya et d’Hespèrion XXI, que nous avons complétés par des textes historiques récités avec éloquence par le poète hébraïste et arabiste Manuel Forcano.

Nous évoquerons certains moments essentiels de l’apogée arabo- andalouse grâce à des Mowachah et Maqams, à des chansons sur les textes et les poèmes d’auteurs comme Ibn Zuhr (1073-1162) ou Ibn Zamrak (1333-1394) et des évocations et des danses instrumentales, conservées orale-ment dans les villes et les pays où émigrèrent massivement les Andalous pendant et après les guerres de Grenade. Grâce à la maîtrise créatrice et à l’art de l’improvisation vocale et instrumentale de nos chanteurs et musiciens de Syrie, du Maroc, de Turquie, de Grèce et d’Israël, ces musi-ques – qui ne furent jamais écrites mais toujours conservées par tradition orale – seront magnifiquement recréées. Tous ces musiciens possèdent la connaissance des traditions propres au style arabo-andalou qui s’est conservé en Afrique du Nord et au Proche-Orient.

Notre dernière évocation historique et musicale fera appel au souvenir de la conversion forcée de tous les musulmans du royaume de Grenade en 1502. Pour ressentir l’émotion et la tragédie de cette dernière imposition arbitraire, il suffit d’écouter le dialogue bouleversant entre la chanteuse syrienne Waed Bouhassoun et le chantre israélien Lior Elmaleh sur la lamentation andalouse Maqam Hizaj, de l’immense poète d’Al-Andalus Ibn Zeydoun (1003-1071), chanteurs accompagnés par l’expressivité du oud, du qanûn et du ney. Vous percevrez combien sont restées pleinement en vigueur les traditions transmises de père en fils et de maître à disciple durant des siècles. Ces traditions sont toujours vivaces grâce à l’effort et au talent de tous ces merveilleux musiciens orientaux.

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Cet concert est un hommage passionné au pouvoir de la musique en faveur de l’essor de l’échange interculturel et à tous les musiciens qui l’ont rendu possible avec leur extraordinaire talent, leur humanité et leur généreuse capacité de dialogue engagé, dépassant leurs origines, leurs cultures et leurs croyances.

Jordi Savall

Traduction : Klangland

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Grenade éternelleDe la fondation du royaume de Grenade jusqu’à son incorporation au royaume de Castille et Léon (1013-1526)

« Je continuai mon chemin jusqu’à Grenade, capitale du pays d’Al-Andalus, la fiancée de ses cités. »

Ibn Battuta – xive siècle

La ville de Grenade a commémoré durant l’année 2013 le millénaire de la fondation en 1013 du célèbre royaume de Grenade, entité politique et culturelle d’Al-Andalus qui devait perdurer jusqu’à sa conquête en 1492 par la Castille des mains des rois catholiques. Durant cette période, Grenade fut une terre de vie commune entre civilisations, cultures et religions d’une extraordinaire richesse, comme le démontrent les artistes qui y travaillèrent alors, les poètes qui la célébrèrent, les savants qui y étudièrent et y enseignèrent, les voyageurs qui la visitèrent et y séjour-nèrent. Son histoire se situe entre celle des rois de la dynastie Ziride, les envahisseurs almoravides et almohades ainsi que celle des rois nasrides et celle des chevaliers castillans qui l’amoindrirent peu à peu et diminuèrent ses domaines jusqu’à la conquête définitive. Cette histoire s’étend sur une période de cinq siècles, pendant lesquels la ville devient, grâce à l’alcazar de l’Alhambra, à ses jardins et ses vergers chantés par ses poètes, un phare de beauté irradiant à travers Al-Andalus, jusqu’à en faire un mythe encore vivant aujourd’hui.

Magnifiquement située aux pieds des contreforts de la Sierra Nevada, au beau milieu de la confluence de deux rivières, le Darro et le Genil, possé-dant une plaine horticole très fertile, la Vega, Grenade est à l’origine un habitat ibérique (Iturir), postérieurement colonie carthaginoise (Iliberri), puis soumise à l’autorité de Rome au iie siècle avant Jésus-Christ (Iliberis) et intégrée dans la province de la Hispania Ulterior. Avec César, elle gagne le titre de Municipium Florentinum Iliberitanum, de telle sorte que les sources romaines finissent par s’y référer comme Florentia, la Florence de l’Andalousie. À l’époque du Bas Empire romain ou à un moment du Haut Moyen Âge, il semble que la cité se soit dépeuplée en faveur de

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l’agglomération voisine, Elvira, située à une dizaine de kilomètres de distance et qui, au viiie siècle, est devenue la capitale d’un des districts de l’émirat et califat de Cordoue, une fois que les musulmans eurent envahi la péninsule ibérique et créé Al-Andalus.

La ville de Grenade ne reprend vie qu’au xie siècle, quand le califat de Cordoue se désintègre en 1009 et que se créent les différents royaumes appelés taïfas. C’est alors que fut fondé le royaume de Grenade par Zawi Ibn Ziri, chef berbère originaire de la Kabylie algérienne. Il arrive à Al-Andalus en tant que mercenaire sous les ordres d’Al-Mansour, et fonde la taïfa de Grenade en 1013 sur l’emplacement de l’ancienne cité alors occupée par un petit groupe de population juive, ce qui explique le nom de Gharnata al-Yahud. La taïfa de Grenade arriva à comprendre une partie des provinces actuelles de Jaén, Séville, Cordoue et Cadix, ainsi que la totalité des provinces d’Almeria, Malaga et bien sûr Grenade.

Zawi Ibn Ziri (1013-1019) fut remplacé à la fin de son règne par son neveu Habus ben Maksan (1020-1038), artisan d’un grand développement poli-tique, culturel et économique de la ville. Son puissant vizir fut le prince juif Samuel ben Nagrela ha-Naguid, poète célèbre, grammairien, philosophe et talmudiste, en même temps que général des armées du fils du roi en lutte contre les taïfas voisines (Séville, Málaga, Carmona et Almería). Il faut noter aussi à l’époque des rois de la dynastie ziride la présence du grand poète hébraïque Moïse ibn Ezra (1055-1135), très lié à la cour de Grenade mais qui se verra obligé de quitter temporairement cette ville en 1066, à cause d’une émeute anti-juive. En 1080, sous le règne du roi ziride Abdallah ben Bologhin (1075-1090), naît à Grenade le célèbre voyageur Abu Hamid al Gharnati, qui au début du xiie siècle voyage en Afrique du nord, au Proche-Orient, dans le Caucase, en Perse, dans l’Empire byzantin, dans les steppes russes et jusqu’en Europe orientale. Il a laissé par écrit une chronique évoquant les nombreuses merveilles de l’ancien monde. Dès la fin du xie siècle, Grenade était une cité fortifiée, dont une partie de la muraille défensive est encore visible, protégeant l’actuel quartier de l’Albaicín, alors connu sous le nom de Qasba Qadima et qui comptait plus de quatre mille maisons. C’est alors que sonne l’alarme avec la conquête de Tolède par le roi Alphonse VI de Castille. Les taïfas musulmanes, et parmi elles Grenade, se mobilisent pour demander de

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l’aide aux Almoravides de Youssef ibn Tachefine pour essayer de contenir les progrès des armées chrétiennes.

En 1090, les Almoravides berbères traversent le détroit de Gibraltar et s’emparent des taïfas andalouses, imposent un islam strict et rigoureux, déposent la dynastie ziride et prennent Grenade pour capitale. Beaucoup de poètes et de philosophes comme Abu Hamid ou Moïse ibn Ezra, suivis par la communauté juive, abandonnent la ville tandis que les chré-tiens mozarabes (chrétiens en terre islamique) perdent leurs églises et leurs évêques. Les troupes concentrées à Grenade partent souvent se battre contre les armées chrétiennes, comme par exemple, celle du Cid à Valence. En 1126, les armées chrétiennes d’Alphonse Ier d’Aragon bat-tent les Almoravides à la bataille d’Arnisol, mais n’arrivent pas à prendre Grenade. Le pouvoir almoravide s’épuise avec l’arrivée d’une nouvelle vague d’envahisseurs berbères, les Almohades, qui, en 1147, occupent Al-Andalus. Dans cette période turbulente vit la grande poétesse de Grenade Hafsa Bint al-Hajj, connue sous le nom d’Al-Rakunuyya, dont les œuvres conservées sont parmi les plus nombreuses : quatorze pièces. La muraille, qui avait vu au temps des Almoravides son extension com-portant des portes imposantes comme l’Arco de las pesas et la Puerta Monaita toujours sur pied, ne réussit cependant pas à contenir l’inva-sion des Almohades, qui prennent la ville en 1157. Ceux-ci installent leur capitale à Séville, laissant Grenade sous l’autorité d’un vizir. L’un d’entre eux fut le philosophe, médecin, mathématicien et poète Ibn Tufayl (1110-1185), auteur du fameux Philosophe autodidacte, et également médecin personnel du chef almohade d’Al-Andalus. Les faubourgs de Grenade (aujourd’hui le quartier du Realejo) furent alors fortifiés par les Almohades.

Une coalition chrétienne réussit à vaincre les armées almohades à la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212. Cette défaite musulmane ouvre la porte à une conquête graduelle de l’Andalousie par les rois de Castille. Grenade cependant pourra temporairement arrêter ce mouvement avec l’arrivée au pouvoir en 1238 de Muhammad ibn Nasser al-Ahmar (« le Rouge »), premier sultan de la dynastie nasride et initiateur de la construction de l’Alhambra (en arabe, al-Hamra signifie « la rouge »). Par un pacte de non-agression de vingt ans avec la Castille, Grenade devient vassale du roi Ferdinand III, qui avait pris Cordoue en 1236 et Jaén en 1246. Cette

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politique va permettre aux rois nasrides de consolider leur pouvoir sur ce qui reste d’Al-Andalus jusqu’au xve siècle. Malgré les avanies d’une époque toujours belliqueuse, la ville de Grenade restera la gardienne des derniers soubresauts de la culture musulmane dans la péninsule ibé-rique en y faisant encore fleurir les arts, les lettres et les sciences. C’est ainsi que le poète as-Suqundi au xiiie siècle lui dédie une petite flatterie en l’appelant « la Damas de l’Europe, bonheur des yeux, élévation des âmes ». Donc, le mythe existait déjà.

La dynastie nasride régnera sur Grenade durant deux siècles et demi, jusqu’à 1492. Seule enclave musulmane résistant aux attaques conquérantes des royaumes chrétiens du nord, elle a joué le rôle d’accueil de la population mudéjar (musulmane en terre chrétienne), qui fuyait l’intolérance en territoire castillan. En 1264, la royauté nasride soutient les révoltes mudéjars de Séville et Murcia, et accueille la population expulsée de la vallée du Guadalquivir, une fois la révolte écrasée. De même, Grenade, entre 1276 et 1304, fomentera et même interviendra dans la grande révolte des Mudéjars de Valence. Malgré l’amoindrisse-ment progressif du royaume, la ville échappe à certains moments à la pression des Castillans : en 1280, le roi de Grenade Muhammad II (1273-1302) bat les troupes castillanes à la bataille de Moclín, ce qui provoque la vengeance de l’infant Sancho, fils aîné d’Alphonse X de Castille, qui ravage la vega de Grenade. Mais l’édification de l’Alhambra continue avec la construction par Muhammad II de la plupart des chambres du palais, tandis que son fils Muhammad III (1302-1309) fait construire la mosquée royale de la forteresse. La ville est à l’époque un important noyau urbain, divisé en six districts fortifiés et communiquant entre eux par des portes fermées la nuit. Chacun, subdivisé en quartiers, possède une taille et un caractère différents.

Séduit par la résistance héroïque de la dynastie nasride face aux avan-cées castillanes en Andalousie, le grand voyageur originaire de Tanger Ibn Battuta décide de traverser le détroit de Gibraltar pour participer à la guerre contre les chrétiens qui harcèlent les derniers bastions musul-mans encore sous le contrôle du sultan de Grenade. En effet, le royaume au temps de Youssouf Ier (1333-1354) n’est plus qu’une étroite bande du territoire andalou équivalant aux provinces actuelles de Málaga, Almería,

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Grenade et une petite partie de Cadix. Ce sont les dernières possessions du royaume, qui, affaibli par la pression castillane, se voit dans l’obligation de dépendre à tout moment du sultan du Maroc. Les habitants de Grenade ne sont plus vraiment capables de se défendre seuls et, en échange de la protection de la dynastie des sultans mérinides du Maroc, doivent en 1319 céder à ces derniers certaines villes comme Algésiras, Ronda et Marbella. En 1333, le sultan mérinide y ajoute le rocher de Gibraltar, qui depuis 1309 était tombé aux mains des Castillans. En revanche, en 1342, il perd la domination sur Algésiras comme conséquence de la fameuse bataille du Río Salado de 1340 à Cadix, où Alphonse XI de Castille réussit à vaincre les troupes musulmanes à Tarifa. Le rocher servit alors de frontière, et les Mérinides le fortifièrent de haut en bas afin de ne pas le reperdre. Quand Ibn Battuta débarqua à Gibraltar, Alphonse XI de Castille « le Justicier », venait de mourir. Après en avoir fait le siège pendant deux mois, le 20 mars 1350, il meurt de la peste qui avait décimé ses troupes. La dispari-tion de cet ennemi de l’islam laissait surgir parmi les musulmans l’espoir d’un vrai triomphe, d’une victoire qui allait réparer la dépression causée par le harcèlement castillan auquel ils étaient soumis. Ibn Battuta arrive à l’Al-Andalus à l’âge de 46 ans, et, malgré son désir de combattre, son véritable objectif est de visiter la mythique Grenade. D’après son récit, Ibn Battuta fait une très brève visite à Al-Andalus et Grenade, malgré sa curiosité. Il ne donne pas de détails ni ne fait de grandes descriptions, mais son secrétaire et écrivain, Ibn Juzay, natif de Grenade, compléte le texte par sa chronique, à laquelle il ajoute histoires et poèmes louant toutes les vertus de la capitale grenadine afin d’en accroître le mythe, quoique finissant par affirmer que cette description est superflue car « cela n’a pas de sens de se prodiguer à parler d’une ville alors qu’elle a déjà une telle renommée ».

Les dures batailles entre Pedro Ier de Castille et Muhammad VI, avec la déroute de ce dernier à Linuesa en 1361 ou avec la victoire musulmane sur les Castillans à Guadix en 1362, mais qui se termine par l’assassinat du sultan de Grenade à Séville, constituent le paysage belliqueux habituel du xive siècle. C’est ainsi que Grenade s’affaiblit définitivement jusqu’à arriver au xve siècle, qui en verra la fin. Dans cette dernière étape de son histoire de capitale musulmane d’Al-Andalus, et malgré les usurpations de trône et les constants changements de sultans de la dynastie nasride,

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certaines figures éminentes émergent, comme celle du roi Youssouf II (1391-1392), un monarque pacifique qui favorisa les arts et les sciences, ou encore le mathématicien et voyageur Ali al-Basti al-Qalasadi, auteur d’une intéressante chronique de voyages et d’œuvres sur l’arithmétique. De plus, en ce temps-là, les artisans grenadins ont exporté leurs produc-tions tant dans le monde musulman qu’en terres chrétiennes tandis que les chrétiens laissent apparaître leur marque dans l’art nasride d’alors, ce que l’on observe dans la construction du palais de l’Alhambra ; les apports chrétiens sont évidents dans les peintures murales de la salle des Rois autant que dans le palais des Lions. Mais ce qui a fait la célébrité de ce palais sont l’extrême richesse et la beauté des décorations en gypse et leurs mosaïques de faïences avec des motifs géométriques et des étoiles polygonales, avec l’élégance des plafonds à caissons et les vers délicats de poètes comme Ibn Zamrak sculptés sur les voûtes des salles et les patios du palais.

En 1464, Abu al-Hasan Ali, dit Moulay Hasan, prend le trône de Grenade. Il a un fils, Boabdil, avec la sultane Aïcha, mais, d’après la légende, il brûle d’amour pour une esclave chrétienne convertie à l’islam, Isabelle de Solis. Son fils Boabdil le détrône en 1482 et se proclame émir de Grenade. Abu al-Hasan, fatigué du commerce des hommes, prend des dispositions pour qu’à sa mort son corps soit enterré sur le plus haut lieu du royaume, près des étoiles et loin de la civilisation et des combats militaires, sur le sommet de la Sierra Nevada qui porte aujourd’hui son nom : Mulhacen. En 1484, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon commencent la guerre de Grenade contre les derniers dirigeants de la ville. En 1491, ils font le siège de la « Damas andalouse » et construisent le campement de Santa Fe, d’où ils dirigent la campagne militaire ainsi que les négociations qui s’achèveront par les Capitulations de Santa Fe, un ensemble de condi-tions en vue de la reddition de la ville. Incapable de soutenir la pression castillane, Boabdil capitule le 2 janvier 1492, date officielle de la fin du royaume de Grenade.

Les Capitulations étaient, en général, permissives, généreuses, laxistes envers les vaincus. Les habitants de Grenade pouvaient continuer à pra-tiquer leur religion publiquement et librement, leurs propriétés seraient respectées et le droit islamique serait toujours en vigueur dans la ville

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pour les litiges entre musulmans. On envisageait même la possibilité de créer des juges mixtes pour les procès avec des chrétiens ainsi que la création d’une « mairie musulmane » parallèle à la chrétienne, et l’on prévoyait des franchises fiscales pour trois ans, jusqu’en 1495. De plus, les rois catholiques nommèrent Hernando de Talavera, le confesseur de la reine Isabelle, comme premier archevêque de la Grenade soumise : un homme d’opinions modérées et qui estimait la qualité morale des vaincus. Pourtant malgré ces dispositions favorables aux vaincus, quand la cour royale s’installe temporairement dans la ville en 1499, le scandale éclate. L’islam perdure fortement, et la population se rend massivement dans les mosquées le vendredi. Le nouveau confesseur de la reine et archevêque de Tolède, Fray Francisco Jiménez Cisneros, débute une campagne de conversions forcées au christianisme, qui s’accompagne de confiscation de propriétés et de terres, d’emprisonnement d’autorités religieuses musul-manes, de procès d’inquisition et de bûchers de livres. Ces persécutions et ces humiliations font éclater la révolte du quartier d’Albaicín ainsi que d’autres parties de l’ancien royaume quand d’anciennes mosquées se voient obligatoirement transformées en églises. Les autorités castillanes répriment les révoltes par la force, passant au fil de l’épée les révoltés entre 1499 et 1501. À la suite de ces faits, les rois catholiques annulèrent les Capitulations, et décrétèrent la première expulsion des musulmans de la ville.

Peu de mois après la conquête de Grenade, le 31 mars 1492, les rois catholiques avaient déjà signé le cruel décret d’expulsion des juifs et des musulmans de Castille et de la Couronne catalano-aragonaise, provoquant un grand nombre de conversions au christianisme de juifs et de musul-mans des deux royaumes, et tout particulièrement à Grenade et dans les territoires musulmans récemment soumis. En 1492, ce fut aussi l’année de la découverte du continent américain, qui fera de Séville la capitale du commerce et des communications avec le Nouveau Monde. À partir de ce moment, Grenade vivra et souffrira une rapide décadence politique et économique, qui la laissera prostrée pour les siècles suivants. En 1502, les musulmans encore présents sur leur ancien territoire (le royaume nasride) furent obligés de se convertir en masse ou de s’exiler, ce qui n’empêchera pas le problème latent d’un restant de population encore très attaché aux coutumes et à la religion musulmane : les mauresques. Les tentatives

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castillanes pour en finir avec cette population dont on se méfiait aura son point culminant dans la pragmatique Sanción de Philippe II publiée en 1567, limitant au maximum les libertés religieuses et culturelles de ce peuple. La maltraitance et la discrimination aboutirent à la révolte des Alpujarras entre 1568 et 1571. Le pouvoir royal réussit à étouffer les révoltes en dispersant plus de 80 000 mauresques à travers la péninsule afin de permettre son assi-milation. L’expulsion définitive arriva finalement avec le décret de Philippe III en 1609. Avec eux devaient partir les derniers témoins d’un passé musulman d’Al-Andalus qui eut Grenade pour phare, pour étoile, pour joyau et pour rêve. Grenade est encore vue et célébrée aujourd’hui avec nostalgie par les musulmans du monde entier car elle a conservé, malgré le passage des siècles, toute son aura mythique.

Manuel Forcano

Traduction : Klangland

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Waed BouhassounLa jeune Syrienne Waed Bouhassoun est une oudiste et chanteuse de grand talent dotée d’un timbre de voix d’une qualité rare, qui la classe aux côtés des grands noms de la chanson arabe des années 1930. Elle chante des poèmes d’amour mystique et profane, qu’elle recueille dans le vaste répertoire de la poésie arabe pré-islamique, dans celui des poètes mystiques et arabo- andalous des viie au xiiie siècles et des contempo-rains. En s’accompagnant de son oud, elle interprète en solo ses propres com-positions sur des poèmes d’Adonis, Qais Ibn al-Mulawwah, Ibn Zeydoun, Ibn Arabi… Waed Bouhassoun les associe tous dans son amour pour son pays, la Syrie, sa nostalgie pour sa terre natale et Damas, la ville de sa jeunesse. Attachée à ses racines, elle ne conçoit sa musique que comme l’expression d’une identité, la sienne. Originaire du sud de la Syrie, Waed Bouhassoun est née dans un village près de Soueida, au sein d’une famille férue de musique : son père lui offre un petit oud alors qu’elle n’a que 7 ans. Venant de la même région que les chanteurs Asmahan et Farid al Atrache, elle s’ouvre très vite à d’autres musiques que celles de son pays natal puisque, enfant, ses parents l’emmènent vivre deux ans au Yémen, où elle découvre la musique locale au cours de réunions féminines. Poursuivant la pratique de

son instrument, elle entre ensuite au Conservatoire de Damas, alors très marqué par la musique occidentale. Elle saura profiter de ces diverses influences pour se créer un style personnel, tout en restant fidèle à l’esprit musical de son pays. Dès son apparition à Alep, son talent est immédiatement reconnu par le milieu : elle se produit alors à Paris, à la Maison des cultures du monde puis à l’Institut du monde arabe en mars 2006, où elle rencontre un grand succès. Depuis, elle enchaîne les concerts dans le monde arabe et en Europe. Elle a éga-lement été invitée avec Kudsi Ergüner au Festival du Sori de Jeonju (Corée du Sud). En 2009, elle enregistre son premier disque, La Voix de l’amour, et obtient la même année le Coup de cœur de l’Académie Charles-Cros. En 2014, elle enregistre son deuxième disque en solo, L’Âme du luth, pour voix et oud (Buda Musique), où elle interprète ses propres compositions. Cet album remporte aussi, en 2015, un Coup de cœur de l’Académie Charles-Cros. En septembre 2016 paraît La Voix de la passion, son troisième disque (Buda Musique), qu’elle a enregistré avec Moslem Rahal, son ancien camarade du Conservatoire de Damas et virtuose du ney. En 2017, à l’initiative du Festival de Saint-Denis, elle collabore avec la vio-loncelliste Ophélie Gaillard pour un dia-logue musical en compagnie de Moslem

LES INTERPRÈTES

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Rahal et de la percussionniste Michèle Claude. Toujours au mois de mai 2017, Waed Bouhassoun est invitée par l’Opéra de Lyon pour la troisième année consécutive. Elle demande à Omar Bashir, oudiste hors pair, de se joindre à elle pour une exploration du répertoire musical et chanté commun à la Syrie et à l’Irak. Parallèlement à sa carrière de soliste, Waed Bouhassoun collabore régulièrement avec Jordi Savall et son ensemble Hespèrion XXI. En 2013, elle participe à l’enregistrement d’Orient Occident II – Hommage à la Syrie, et, en 2016, à Ramon Llull et Granada. Toujours avec Jordi Savall, elle contribue active-ment à la mise en place de son projet Europe Creative Orpheus XXI – Music for Life and Dignity, pour la transmission du patrimoine musical aux nouvelles générations, et anime des ateliers de musique pour des enfants réfugiés et déplacés afin que ceux-ci ne soient pas coupés de leurs racines culturelles.

Lior ElmalehNé en 1974, Lior Elmaleh a grandi à Quiryat Shmona et, dès son enfance, a baigné dans le son envoûtant de la musique andalouse. Il fait sa première éducation auprès du poète séfarade Nissim Shushan en même temps qu’il suit des cours de musique au Conservatoire Ramat Gan. Dès l’âge de 13 ans, parallèlement à ses cours de piano et de musique, il commence à se produire sur scène, en Israël et à

l’étranger, se forgeant une réputation exceptionnelle. Au service militaire, il est soliste dans l’IDF Chorus puis, toujours soliste, il rejoint pour dix ans l’Orchestre Andalou d’Israël dirigé par Avi Amzaleg. Il se produit aux États-Unis et en Europe avec cet orchestre ainsi qu’avec Munshid Abdelfattah Bennis et l’Ensemble Oriental Classique de Chicago. En 2003, Lior Elmaleh et l’orches tre ont enregistré une anthologie de pièces Sh’abi d’Algérie et du Maroc, intitulées Tzur Shehechiani, auprès du célèbre pianiste Morris Almaduni. En véritable visionnaire, Lior Elmaleh rêve de faire connaître la beauté du piutim à autant d’amateurs de musique que possible, à travers le monde. C’est ainsi qu’il publie son premier album, Neshima (Souffle) composé par le musicien Eric Rudich (2003), émouvante fusion de musique andalouse traditionnelle et d’une variété de morceaux modernes. Le talent exceptionnel de Lior Elmaleh fait l’objet d’une demande croissante favorisant la formation d’un nouvel orchestre de musique andalouse sous le nom d’Andael. Par ailleurs, il crée son propre groupe de fusion flamenca avec le guitariste et arrangeur Nabil Khalidi, et travaille constamment avec le dépar-tement d’ethnomusicologie de l’Univer-sité hébraïque de Jérusalem.

Driss El MaloumiNé en 1970 au Maroc, Driss El Maloumi, titulaire d’une licence en littérature

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arabe, a reçu une solide formation musi-cale classique arabe et occidentale, et a été récompensé, successivement au Conservatoire national de musique de Rabat par un premier prix de oud, un premier prix de perfectionnement de oud et un prix d’honneur de oud. Son style dépasse le patrimoine dont il a hérité pour s’aventurer dans des terri-toires musicaux où la rencontre instru-mentale et l’immersion dans des genres nouveaux, tels que la musique ancienne et le jazz notamment, donnent naissance à une musique puissamment évocatrice, ouverte, délicate et surprenante. Son jeu, à la technique très sûre et délicate, est empreint de la profondeur qui carac-térise le oud. Driss El Maloumi sait pui-ser dans les racines de l’âme soufie, mais aussi dans tous les genres de la tradition orientale pour créer une couleur musi-cale où s’exprime aussi sa culture ama-zigh. Driss El Maloumi a reçu plusieurs récompenses, parmi lesquelles le prix Ziryab des virtuoses du Comité natio-nal de la musique (2010), le prix Ichrakat (2010), le Trophée du Festival Jarach en Jordanie (2014). Il a été fait cheva-lier dans l’ordre des Arts et des Lettres en 2016. Il a travaillé – et continue tou-jours – avec des artistes de renommée internationale comme le compositeur Armand Amar (pour les musiques des films La Source des femmes, Né quelque part, Méditerranée notre mer a tous), le guitariste indien Pandit Debashish Bhattcharya, l’accordéonniste Daniel

Mille, l’Ensemble N.B.E., le percus-sionniste iranien Keyvan Chemirani et bien d’autres. Driss El Maloumi a publié plusieurs albums dont L’Âme dansée (2006), 3 MA (2008) avec Ballaké Sissoko et Rajery (prix du meilleur album aux World Charts Europe en 2008) et MAKAN (2014), qui a reçu de nom-breuses distinctions. Driss El Maloumi est l’invité de nombreux festivals, salles et théâtres des cinq continents.

Moslem RahalDiplômé de l’Institut supérieur de musique de Damas en 2003, Moslem Rahal choisit de se spécialiser dans la technique du ney. Il est soliste dans l’Orchestre Symphonique National de Syrie et membre du Groupe National de Musique Arabe. Il devient professeur de ney à l’Institut supérieur de musique de Damas et au Music College d’Homs. C’est le fondateur et directeur du Shams Ensemble Group. Il a participé à l’Arabic scientific of Music en faveur du déve-loppement du ney, et participé aux Rencontres internationales d’interprè-tes du ney pour le Festival Jerash. Avec l’Orchestre Symphonique de Syrie, il a donné de nombreux concerts sous la direction de Misak Bagboderian, et, dans le monde arabe, sous la direc-tion de Solhi al-Wadi, ainsi qu’avec le Groupe National de Musique Arabe. Spécialiste de son instrument, Moslem Rahal a écrit un chapitre sur le ney pour le Dictionnaire musical de Victor

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Babinco. Outre son activité de musicien, il fabrique des neys et des kawala. Grâce à ses travaux de recherches musicales et à ses nombreuses collaborations avec des artistes européens, Moslem Rahal est une figure-clé de l’interprétation de la musique orientale au cœur de l’inter-prétation occidentale.

Hakan GüngörSa virtuosité, son style mélodieux, sa sonorité riche et claire, la tendresse de son mezrab (plectre) font de lui un joueur de qanûn unique. Il a suivi l’enseigne-ment de son père, joueur de oud, mais a préféré faire des études de musique classique européenne, et s’est pas-sionné pour la composition, l’harmonie et le contrepoint au Conservatoire d’Istanbul. Bien qu’au départ, le qanûn ne fût pour lui qu’une passion per-sonnelle, son jeu fut bientôt tellement apprécié que le versant oriental de sa formation, surtout la musique otto-mane, prit le dessus sur la musique européenne. Il a collaboré avec Kudsi Ergüner dès les années 1990, et a depuis participé aux concerts et disques réalisés en Europe et en Turquie. Le qanûn est une cithare trapézoïdale à vingt-quatre triples cordes pincées à l’aide de plectres fixés à chaque index. Une série de cla-pets métalliques (mandal) permettent de produire des intervalles, nuancés selon les makams. Le grand philosophe Al Farabi est considéré comme l’inventeur de cet instrument au xe siècle.

Yurdal TokcanNé à Ordu en Turquie en 1966, Yurdal Tokcan a obtenu son diplôme du Conservatoire National (Université Technique d’Istanbul) en 1988. Il a enseigné le oud à l’Université de 1989 à 1997. En 1990, il a intégré l’ensemble musical du ministère de la Culture et du Tourisme turc, sous la direction de Tanbûri Necdet Yaşar. Considéré comme l’un des meilleurs joueurs de oud à travers le monde, Yurdal Tokcan a développé sa propre technique, com-binant le jeu traditionnel aux sonorités d’aujourd’hui, et a étendu cette tech-nique à la guitare sans frettes. Beaucoup de ses compositions instrumentales mêlent mélodies traditionnelles et textu-res polyphoniques. Par ailleurs, il colla-bore avec l’Ensemble de Fasıl d’Istan­bul, l’Ensemble de Musique Soufie d’Istanbul et les Istanbul Sazendeleri, avec lesquels il s’est produit à travers le monde. Yurdal Tokcan a participé à différents projets de Kudsi Ergüner, avec qui il a donné de nombreux concerts en Turquie et à l’étranger. En 2009, il a joué au Festival de oud de Jérusalem avec Ara Dinkjian et Taiseer Elias, et s’est souvent produit avec l’Orchestre Philharmonique Tekfen, composé de musiciens issus de vingt-trois pays. Il a réalisé des enregistrements, et certaines de ses compositions ont été utilisées dans des musiques de film.

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Haïg SarikouyoumdjianNé en 1985, Haïg Sarikouyoumdjian commence l’étude du duduk (hautbois arménien) à l’âge de 13 ans. Il effectue de nombreux séjours auprès de maî-tres en Arménie, avec qui il apprend d’une part la technique de l’instrument, avec toutes ses nuances de timbres, et d’autre part le répertoire traditionnel, avec toutes ses subtilités (d’intervalles, d’intonations, ambiguïtés et multiplici-tés rythmiques, travail de l’ornement, développement des modes). Jusqu’en 2004, il collabore avec un ensemble traditionnel arménien, sous la direction de Gaguik Mouradian, qui l’a profon-dément marqué par son approche de la musique. Il travaille actuellement sur différents projets, dont Medjlis, où la musique arménienne rencontre le jazz et la musique contemporaine, et un trio de musique traditionnelle d’Arménie.

Dimitri PsonisDimitri Psonis commence à Athènes, sa ville natale, ses études d’analyse musicale, d’harmonie, de contrepoint, de musique byzantine et d’instru-ments popu laires grecs. Il les poursuit à Madrid, où il obtient le titre le plus élevé pour la percussion et la pédagogie musicale au Conservatoire supérieur de musique. Il étudie le marimba avec Robert Van Sice et Peter Prommel, et la musique contemporaine avec Iannis Xenakis. Il collabore avec de nombreux orchestres en Espagne. Il a fondé les

ensembles de percussion Krustá, Aula del Conservatorio de Madrid, P’An-Ku et Trío de Marimbas Acroma. Il a colla-boré avec plusieurs troupes de théâtre. Il a réalisé des enregistrements pour RNE et TVE, et a enregistré la bande sonore de divers films. Il collabore avec de nom-breux ensembles de musique ancienne comme Hespèrion XXI, Le Concert des Nations, Sema, Speculum, l’Orchestre Baroque de Limoges. Il donne des cours de percussion et de pédagogie dans dif-férents écoles de musique et conserva-toires, ainsi que des conférences sur la musique orientale. Récemment, il s’est consacré à l’interprétation de la musique classique ottomane et de la musique populaire de Grèce et de Turquie, ainsi qu’à ses instruments : le santur et le tar iraniens, le saz et le oud turcs, le santuri et le lauto grecs, et tous les instruments à percussion de ces régions. Il a fondé l’ensemble Metamorfósis puis Misrab, avec Pedro Estevan et Ross Daly.

Erez Shmuel MounkExpert en percussions, spécialiste reconnu de la « Table Indienne » et des percussions du Moyen-Orient (darbuka, daf et divers tambours), Erez Schmuel Mounk a enregistré avec de nombreux chefs israéliens dans divers styles de musique (Yair Dalal, Shlomo Gronich, Yasmin Levy, Masina et Ahod Banai, maestro Gyora Feidman). Il a aussi joué et enregistré avec de nombreux musi-ciens en Europe, aux États-Unis et au

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Japon. Erez Schmuel Mounk se produit dans de très nombreux festivals dans le monde entier – Angleterre, États-Unis, Australie, Italie, Nouvelle-Zélande… – ainsi qu’avec Jordi Savall et ses ensem-bles. Il a participé aux enregistrements des disques Jérusalem la Ville des deux paix et Granada (Alia Vox).

Manuel Forcano Né à Barcelone en 1968, Manuel Forcano est poète. Il a enseigné l’hébreu, l’ara-méen à l’Université de Barcelone. D’inspiration classique, sa poésie est en même temps d’une grande actua-lité ; elle a été très bien accueillie par la critique car il en émane une simplicité qui ne néglige nullement la complexité des concepts ni les références cultu-relles. Nombre des œuvres de Manuel Forcano ont été récompensées, ainsi Corint (2000, prix des Jeux floraux de Barcelone), com un persa (2001, prix international Tivoli Europe Giovanni en 2002) et El tren de Bagdad (2003, prix de poésie Carles-Riba). Sa connais-sance des langues sémitiques a fait de lui un traducteur spécialiste des poésies hébraïques. Il a notamment traduit de façon remarquée les poètes israéliens Yehuda Amichai, Pinjas Sadé et Ronny Somek. Avec le livre d’Yehuda Amichai, Clavats a la cam del món, il a obtenu les prix de la Critique Serra d’or et du Cheval vert de la traduction (2002), qui lui ont été remis par l’Association des écrivains de langue catalane. L’œuvre

Les Voyages d’Ibn Battûta, qu’il a tra-duite de l’arabe en collaboration avec la spécialiste Marguerite Castells, a reçu en 2006 le prix de la Critique cata-lane. L’ essai historique Les Croisades vues par les juifs (Barcelone 2007) a été publié. Il a assuré en 2016 la direction de la Semaine de la poésie de Barcelone.

Jordi SavallJordi Savall est une personnalité musi-cale parmi les plus polyvalentes de sa génération. Depuis plus de cinquante ans, il fait connaître au monde des mer-veilles musicales laissées à l’obscurité, l’indifférence et l’oubli. Il découvre et interprète ces musiques anciennes, sur sa viole de gambe ou en tant que chef. Ses activités de concertiste, de pédagogue, de chercheur et de créa-teur de nouveaux projets, tant musi-caux que culturels, le situent parmi les principaux acteurs du phénomène de revalorisation de la musique historique. Il a fondé, avec Montserrat Figueras, les ensembles Hespèrion XXI (1974), La Capella Reial de Catalunya (1987) et Le Concert des Nations (1989), avec lesquels il a exploré et créé un univers d’émotion et de beauté qu’il diffuse dans le monde entier pour le bonheur de millions d’amoureux de la musique. Avec sa participation fonda-mentale au film d’Alain Corneau Tous les matins du monde (César de la meil-leure bande-son), son intense activité de concertiste (cent quarante concerts

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par an, environ), sa discographie (six enregistrements annuels) et la création en 1998, avec Montserrat Figueras, de son propre label discographique Alia Vox, Jordi Savall démontre que la musique ancienne n’est pas nécessai-rement élitiste mais qu’elle intéresse un large public. Au fil de sa carrière, il a enregistré et édité plus de deux cent trente disques dans les répertoires médiévaux, Renaissance, baroques et classiques, avec une attention parti-culière portée au patrimoine musical hispanique et méditerranéen. Ce tra-vail a été souvent récompensé par de nombreux prix comme plusieurs Midem Awards, des International Classical Music Awards et un Grammy Award. Ses programmes de concert ont su convertir la musique en un instrument de médiation pour l’entente et la paix entre les peuples et les cultures diffé-rentes, parfois en conflit. Nul hasard donc si, en 2008, Jordi Savall a été nommé Ambassadeur de l’Union euro-péenne pour un dialogue interculturel et, aux côtés de Montserrat Figueras, Artiste pour la paix, dans le cadre du programme Ambassadeurs de bonne volonté de l’UNESCO. Sa contribution à la découverte et à la représentation des opéras de Martín i Soler Una cosa rara et Il burbero di buon cuore a été suivie, à la tête du Concert des Nations et de La Capella Reial de Catalunya, par l’Orfeo de Monteverdi, le Farnace de Vivaldi, l’Orfeo ed Euridice de Fux ainsi

que le Teuzzone de Vivaldi. Sa féconde carrière musicale a été couronnée de récompenses et de distinctions tant nationales qu’internationales dont nous pouvons citer les titres de docteur honoris causa des universités d’Evora (Portugal), de Barcelone (Catalogne), de Louvain (Belgique) et de Bâle (Suisse). Il a aussi reçu l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur de la République fran-çaise, le prix international de Musique pour la paix du ministère de la Culture et des Sciences de Basse-Saxe, la médaille d’or de la Generalitat de Catalogne et le prestigieux prix Léonie Sonning, considéré comme le prix Nobel pour la musique.

Hespèrion XXILa valeur la plus importante de la musique ancienne réside dans sa capa-cité, en tant que langage artistique uni-versel, à transmettre des sensibilités, des émotions et des idées ancestrales qui, encore de nos jours, captivent le spec-tateur. Avec un répertoire allant du xe au xviiie siècle, Hespèrion XXI recherche en permanence de nouveaux points de rencontre entre l’Orient et l’Occident, dans une volonté claire d’intégration et de récupération du patrimoine musical international, notamment dans la zone méditerranéenne et en connexion avec les musiques du Nouveau Monde amé-ricain. En 1974, à Bâle, Jordi Savall et Montserrat Figueras fondent, aux côtés de Lorenzo Alpert et Hopkinson Smith,

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le groupe Hespèrion XX, un ensemble de musique ancienne qui souhaitait récupérer et diffuser le patrimoine musi-cal riche et fascinant antérieur au xixe siècle à partir de nouvelles prémisses : les critères historiques et les instruments originaux. Son nom, Hespèrion, signifie « originaire d’Hespérie », qui, en grec ancien, désignait les deux péninsules les plus occidentales d’Europe : l’ibé-rique et l’italienne. C’était aussi le nom que recevait la planète Vénus quand elle apparaissait à l’Occident. Dès l’an 2000, Hespèrion XX change son nom en Hespèrion XXI. Hespèrion XXI est aujourd’hui une référence incontour-nable pour comprendre l’évolution de la musique dans la période allant du Moyen Âge à l’époque baroque. Son travail de récupération d’œuvres, partitions, instruments et documents inédits possède une double valeur incalculable. D’une part, le travail de recherche rigoureux apporte des données et des interprétations sur les connaissances historiques d’une époque ; d’autre part, l’exécution exquise des interprétations permet au public de profiter de manière naturelle de la délicatesse esthétique et spirituelle propre des œuvres de cette époque-là. Dès ses débuts, Hespèrion XXI a adopté une orientation artistique claire et inno-vante qui finirait par faire école au sein du paysage mondial de la musique ancienne car le groupe concevait, et conçoit encore, la musique ancienne

comme un outil d’expérimentation musicale avec laquelle il recherche la plus grande beauté et la plus haute expressivité dans les interprétations. Tout interprète de musique ancienne prend un engagement par rapport à l’esprit original de chaque œuvre et doit apprendre à connecter avec celui-ci en étudiant son auteur, les instru-ments de l’époque, l’œuvre en soi et ses circonstances concrètes. Toutefois, en tant qu’artisan de la musique, il est également obligé de prendre des décisions sur ce qu’il interprète : de son talent, de sa créativité et de sa capacité à transmettre des émotions dépend sa capacité à connecter le passé avec le présent, la culture avec sa divulgation. Le répertoire d’Hespèrion XXI inclut, entre autres morceaux, des œuvres du répertoire sépharade, des romances castillanes, des pièces du Siècle d’or espagnol et de l’Europe des Nations. Certains de ses programmes de concerts les plus applaudis ont été Las Cantigas de Santa Maria d’Alfonso X el Sabio, La Diàspora Sefardí, les musiques de Jérusalem, d’Istanbul, d’Arménie ou les Folías criollas. Grâce au grand travail réalisé par les nom-breux musiciens et collaborateurs qui ont participé à l’ensem ble au cours de toutes ces années, Hespèrion XXI joue encore un rôle clé dans la récupération et la revalorisation du patrimoine musi-cal, avec une répercussion à l’échelle mondiale. Avec plus de soixante disques

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édités, la formation donne aujourd’hui des concerts dans toute la planète et participe habituellement aux Festivals internationaux de musique ancienne.

Psaltérion, harpeAndrew Lawrence-King

Vihuela de mano, guitareXavier Díaz-Latorre

Rebab, vièle, viole de gambe sopranoJordi Savall

Viole de gambe ténorSergi Casademunt

Viole de gambe bassePhilippe Pierlot

FlûteBelén Nieto

Cornet, trompetteJean-Pierre Canihac

ChalémieBéatrice Delpierre

SacquebouteDaniel Lassalle

PercussionPedro Estevan

La Capella Reial de CatalunyaSuivant le modèle des fameuses cha-pelles royales médiévales pour qui furent créés les nombreux chefs-d’œuvre de musique sacrée et profane de la péninsule ibérique, Montserrat Figueras et Jordi Savall fondèrent en 1987 La Capella Reial, l’un des premiers ensembles vocaux consacrés à l’inter-prétation des musiques des Siècles d’or sur des critères historiques, com-prenant exclusivement des voix his-paniques et latines. À partir de 1990, cette formation reçoit le parrainage régulier de la Generalitat de Catalunya, et, dès ce moment, s’est appelée La Capella Reial de Catalunya. Ce nouvel ensemble s’est consacré à la récupéra-tion et à l’interprétation, toujours selon des critères historiques, du patrimoine vocal polyphonique médiéval et des Siècles d’or hispaniques et européens antérieurs au xixe siècle. Dans la même ligne artistique qu’Hespèrion XXI, et chaque fois dans le plus grand respect de la profonde dimension spirituelle et artistique des œuvres, La Capella Reial de Catalunya a su combiner la qualité et l’adéquation au style de l’époque aussi bien que la déclamation et la projection expressive du texte poé-tique. Son ample répertoire va de la musique médiévale des cultures de la Méditerranée jusqu’aux grands maî-tres de la Renaissance et du baroque. Cet ensemble, qui a triomphé dans les domaines baroque et classique, s’est

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illustré aussi dans des compositions contemporaines d’Arvo Pärt. On remarque tout particulièrement sa participation à la bande sonore du film Jeanne la Pucelle (1993) de Jacques Rivette. En 1992, La Capella Reial de Catalunya débute dans le genre de l’opéra avec sa participation en tant que chœur à toutes les représentations où figure Le Concert des Nations. La discographie de l’ensemble comprend plus de quarante enregistrements, qui ont souvent été couronnés de prix et de récompenses. Sous la direction de Jordi Savall, La Capella Reial de Catalunya continue à développer une intense activité de concert et d’en-registrement autour du monde et participe régulièrement aux festivals internationaux de musique ancienne.

SopranoAdriana Fernández

Contre-ténorDavid Sagastume

TénorLluís Vilamajó

BarytonMarc Mauillon

BasseDaniele Carnovich

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Avec le soutien du département de la Culture de la Generalitat de Catalunya et de l’Institut Ramon Llull.

CECILIA BARTOLI • IAN BOSTRIDGE

PLÁCIDO DOMINGO • RENÉE FLEMING

MATTHIAS GOERNE • BARBARA HANNIGAN

BARBARA HENDRICKS • PHILIPPE JAROUSSKY

PETRA LANG • MARIE-NICOLE LEMIEUX…

SAISON 2018-19SAISON 2018-19P H I L H A R M O N I E D E PA R I S

Jordi Savall.

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LUNDI 15 OCTOBRE 2018 19H30

JUDITH TRIOMPHANTELE CONCERT DES NATIONS

LA CAPELLA REIAL DE CATALUNYA

JORDI SAVALL, DIRECTION

MARIANNE BEATE KIELLAND, JUDITH

RACHEL REDMOND, VAGAUS

MARINA DE LISO, HOLOPHERNE

LUCIA MARTÍN-CARTÓN, ABRA

KRISTIN MULDERS, OZIAS

LLUÍS VILAMAJÓ, CHEF DE CHOEUR

MANFREDO KRAEMER, CONCERTINO

Antonio Vivaldi Judith triomphante

SAMEDI 9 MARS 2019 16H30

DÉBAT EN COMPAGNIE DE JORDI SAVALL : COMMENT FAIRE DE LA MUSIQUE AVEC DES RÉFUGIÉS VENUS DE TOUS HORIZONS ?

DIMANCHE 10 MARS 2019 20H30

AVEC LA SYRIEORPHEUS XXI - HESPÈRION XXI

JORDI SAVALL, VIÈLE À ARCHET, LYRA & DIRECTION

WAED BOUHASSOUN (SYRIE), OUD & CHANT

MOSLEM RAHAL (SYRIE), NEY & CHANT

DIMITRI PSONIS (GRÈCE), SANTUR & GUITARE MAURESQUE

HAKAN GÜNGÖR (TURQUIE), KANUN

RUSAN FILIZTEK (KURDISTAN), SAZ & CHANT

NESET KUTAS (KURDISTAN / TURQUIE), PERCUSSIONS

AZMARI NIRJHAR (BANGLADESH), CHANT

REBAL ALKHODARI (SYRIE), OUD & CHANT

IMAD AMRAH (MAROC), CHANT

IBRAHIM KEIVO (SYRIE), BUZUQ

JEUDI 18 AVRIL 2019 20H30

PASSION SELON SAINT MATTHIEULE CONCERT DES NATIONS

LA CAPELLA REIAL DE CATALUNYA

JORDI SAVALL, DIRECTION

MATTHIAS WINCKHLER, BARYTON-BASSE (JÉSUS)

MARTA MATHÉU, SOPRANO

RACHEL REDMOND, SOPRANO

RAPHAELE PÉ, ALTO

MARC MAUILLON, BARYTON

LLUÍS VILAMAJÓ, CHEF DE CHŒUR

VEUS - COR INFANTIL AMICS DE LA UNIÓ

JOSEP VILA I JOVER, DIRECTION

Johann Sebastian Bach Passion selon saint Matthieu

MARDI 4 JUIN 2019 20H30

BEETHOVENLE CONCERT DES NATIONS

ACADÉMIE BEETHOVEN 2020

JORDI SAVALL, DIRECTION

JAKOB LEHMANN, CONCERTINO

Ludwig van Beethoven Symphonies no 1, 2 et 4

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