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Gustave Thibon, la leçon du silence - exultet.net · ISBN epub : 9782220078502 Groupe Artège Éditions Desclée de Brouwer ... Versailles est jeté aux orties. Londres et Paris,

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GustaveThibon,laleçondusilence

Tousdroitsréservéspourtouspays

©mai2014,ÉditionsDescléedeBrouwerISBN:9782220066257

ISBNepub:9782220078502

GroupeArtège

ÉditionsDescléedeBrouwer10rueMercœur75011Paris

9espaceMéditerranée66000Perpignanwww.artege.fr

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quelquesmois,latuberculosel’emporte.Malgrésonimmensetristesse,Gustavesècheseslarmesavec

le temps. Sans oublier l’Absente figée dans l’éternité, il ouvresoncœuràlafilledesonancieninstituteur,PauletteGleize.Ildécouvre émerveillé des yeux où affleure la naissance d’unsentimentoud’undésir,s’enflammedevantuncorpsmouvantdefemme, dépose son être aux pieds d’une âme. Bientôt, ilséchangentleursvœuxdanslavieilleégliseduvillage«jusqu’àce que la mort les sépare ». Nous sommes en 1938. Un ans’écoule. Aux moissons suivantes, le glas résonne sur Saint-Marcel. La jeune femme a emporté son amour dans la tombe,épuisant ses forces endonnant lavie àunepetite fille,Marie-Thérèse.

Meurtri,Thibon se reconstruiraune fois encorepouroffrirses souffrances et son cœur à la cousine de Paulette, YvetteRoudil. Ils se marieront en 1940 et auront deux enfants,Geneviève et Jean-Pierre. Il pourra aussi écrire cette phraseterrible dans sa noblesse : « Je sais gré à l’amour dem’avoirsauvédubonheur5.»L’amourdonnéetreçu,l’amourreprisparlamortmaisfixédansleprésentdesamémoireluiaurontapprislaprofondeur.Ainsiaura-t-ilvécudavantagedans l’offrandeetledépouillementquedanslebonheurquiaccaparel’homme.

Ladébâcle(1940)

Loin d’aboutir à une réconciliation, la guerre civileeuropéenne de 14-18 a exaspéré les passions. Épuisés, lesvainqueurs se terrent frileusement sous les ruines de leurgrandeur passée, tandis que s’arment les vaincus d’hier,énergiques et avides de revanche. En vingt ans, le traité deVersaillesestjetéauxorties.LondresetParis,quiavaientlaissé

HitlerremilitariserlarivegaucheduRhinsansréagiralorsqu’iln’avaitquequelquesunitésmalarmées,décidentdeluidéclarerla guerre quand laWehrmacht atteint son apogée.On a connumeilleureinspiration.Réforméencoreunefois,Thibonchercheàserendreutilecommeinfirmier.Onleremercieaprèsqu’ileutarrachélapeaud’unmalheureuxparundecesgestesdésolantsd’intellectuelpleindebonnevolonté.LaDrôledeguerredébutedans une ambiance festive.On baye aux corneilles,mirant lesalouetteset lampant levinrougedansuneambiancedecongéspayés. Maurice Chevalier fait de triomphales tournées auxarmées.Laguerrede tropn’aurapas lieupeut-on espérer avecGiraudoux catapulté à la propagande. Ondine et la folle deChaillot narguent les dieux du Walhalla germanique. LesFrançais se sentent si spirituels !Thibonaentre-tempséchouédans un bureau du contre-espionnage. Il y évalue le moral del’arméepar sondagesdans les lettres de soldats qui parlent defluxions de poitrine, de promesses d’amour éternel, desbrimadesdel’adjudant,d’espérancessensuelles,delaqualitédel’ordinaire.Illesparcourtjusqu’àl’écœurement.

Enfin résonne le fracas des armes. Des nuages debombardiers voilent le ciel demai. Les communiqués tombentavec les bombes, confus, inquiétants. La situation des arméesalliées l’est plus encore. La Hollande tombe, la Belgiques’effondreetlesArdennescrachentdesdivisionsblindéesparlatrouée de Sedan. Les premiers réfugiés deviennent bientôt unflotgrondantethagard,affoléparlarumeurdelaguerrequiserapprocheetvidelesvillages.Onrenverseleministère,cequineralentit pas lesAllemands.Enfin, la radio retransmet unevoixchevrotante qui annonce le cœur serré qu’il faut cesser lescombats. Les canons se taisent et font place au silenceangoissant de la défaite. Des dizaines de milliers de cadavreséventrés, troismillionsdeprisonniers, leurs femmeset enfants

errantsansbutsurlesroutesdel’exode.Hébétéeetincrédule,laFrance a cessé de croire en l’avenir et regarde l’étendue dudésastre.Ellenes’enesttoujourspasremise.

ThibonetVichy(1940-1944)

Danslatourmente,Thibon,comme40millionsdeFrançais,serallieaumaréchalPétain.Lemoindremalsemble-t-il.Ilauramême l’occasion de le rencontrer par le truchement d’HenriMassis. Ce ne sera pas une révélation. Il ne lui trouve qu’un«mélangedebonhomieetderoueriepaysanne6».

Thibon était encore un inconnu et son dernier ouvrage,Diagnostics, n’avait guère eu de succès à sa parution, couvertparlefracasdesarmes.Ilenvatoutautrementaprèsl’armistice.Pensez ! Un paysan philosophe ! La chose était dans l’air dutempsdepuisquel’onavaitproclaméquelaterrenementaitpas.Onamêmevoululuifaireunhonneurquiétaitunmauvaistouret l’embrigadercomme«philosopheofficiel»du régime.PaulMorandétaitambassadeur, répandantavec laprincesseSoutzo,son épouse, un parfum d’années folles dans la Roumanied’Antonescu.Ileutétédumeilleur tond’exhiberunlettré issudes entrailles de la terre de France pour faire son pendantrustique dans la Carrière. Thibon décline.On lui offre encoresanssuccèsunechaireauCollègedeFrance.Àdéfaut,ontentede lui épingler une francisque sur son veston. Une vraiedécoration,crééeetoffertepar levainqueurdeVerdun,pensezdonc!Ilrefuseencore.

Ilnes’agitpasderésistancemaisd’abstention.ErnstJüngera parlé avecbonheur du recours aux forêts, du salut par l’exilintérieur–celuidel’âme.

Thibon déteste les postures. La frénésie fanatique de

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vraimentpourveniràtoi,oubien,netrouvantrienentoiquiluiressembleetqui l’attire, ilne teregarderamêmepas.Maiss’ilreste dans ta pitié une vague tentation de fuir ta solitude, unobscur besoin de dominer ou demodeler, une ‘’attache’’, uneimpureté quelconque, cette impureté sera votre unique traitd’unionettonrêverédempteurs’effondrera.Onnedoitchercherà sauver que les êtres dont on peut absolument se passer.Dèsl’instantquenousavonsbesoindeceluiquiestau-dessousdenous,c’estnousquidescendonsverslui14.»

Comment ne pas évoquer notre société du spectacle oùl’homme-masse s’achète une conscience et une existence ens’indignantbruyammentdevantsatélévisionàécranplasma?Iltraquelebossuoul’immigré,quin’ontriendemandé,pour lesplaindre.Pourunpeu,ilsegrifferaitletorseets’arracheraitlescheveux pour protester contre la vilenie du monde. Mais çaferaitmalet iln’estpasprêtàsouffrir.Alors ils’indigneetserepent. Il quémande l’attention de ceux qu’il prétend aider,s’humiliepourunregard,sereniepouruneparole,réflexebienconnudefemmebattue.Iln’ygagnequemépris,maisunméprisdont il vit.C’est sonpetit syndromedeStockholmà lui. Il enjouit.«Ceux-làontreçuleurrécompense»…

L’êtreetlanécessité

Certes, la violence et la dureté ne sont pas des valeurs ensoi.Ellessontlapartdepesanteurdubien.Duconstatdeleurnécessairealliance,ilnes’agitpasd’extrapoleretdeconfondrel’êtreetlanécessité.

« Il faudraitquecettealliance soit reconnue et avouée commeunenécessité, sans confusion, illusion ni hypocrisie et qu’elle

ne tourne jamais à l’alliage. Ou encore que l’inévitablecompromis avec la force n’entraîne pas la compromission del’âme15…»C’est ce qui fait que « la bonté, la courtoisie, lecalme, sont lâches devant certaines vérités. Sans la haine, lacolère,cetteamèreexaltationquecréelaperteducontrôledesoiquedechosesvraiesn’auraientpasétédites16!»

La plus grande sagesse ne doit pas craindre des accès defuria.Aucombat, l’AthénaPallasdesGrecselle-mêmebranditl’égidegrimaçanteetsejetteavecfureurdanslamêlée.Unexcèsde sagesse tempérée n’est par moments que de la faiblesse.Commeilestdudevoirdusoldatprotégeantsonfoyerdetuer,lesage ne doit pas craindre de fulminer et d’affirmer avec forcecertaines convictions ou vérités. C’est le message du Christexpulsantlesmarchandsdutemple17,celuideCopernichurlantque la terre tourne rond, des Français libres de Bir Hakeimjetant leur courage comme un gant à la face du destin, deSoljenitsyne réinventant l’humanité du fond de son goulag detôlesetdeglace.

Une trop grande tempérance est un péché, un défaut devitalité, un manque de courage. Et lorsqu’elle dissimule sacoupablelâchetésouslesoripeauxdelabontéetdel’amourduprochain, elle joint l’ignominie à la mascarade. La faiblessetremblanteestl’antithèsedel’amourindestructible.

Ilestainsiuneformedesalutparlaviolence.Hitlernes’estpasécroulésouslesprièresdansunparfumd’encensmaissousleschapeletsdebombes.Lessaintsnesesontpasdétournésdela violence. Ils ont pu refuser son emploi mais l’ont acceptéepoureux-mêmes,lesyeuxgrandsouvertsfaceauCiel,affirmantleurfoiparleurmartyresanschercheràsedérober.C’estainsique l’Église a élevé la force au rang de quatrième vertu

cardinale.Laforceetlaviolencenesontpasàcraindre.Aucontraire.

Quelêtredecaractèren’arêvédeseforgeraufeu,cegrandfeude joie où le monde d’hier flambe en crépitant et à chaleurduqueldoitseforgerceluidedemain?

Volontédepuissance

On ne peut parler de violence sans évoquer l’apôtre de la«volontédepuissance».Thibonad’ailleursconsacréun livreentier àNietzsche18 et résume ainsi la volonté de puissance :«l’ascensiondelavolontéversl’autonomiecréatrice19».

Nietzsche prend comme explication causale et commemoteur du monde la volonté de puissance. La proposition estd’autant plus brillante et brûlante qu’elle est vraie à bien deségards et révèle chez son inventeur un sens aigu de lapsychologiehumaine;safaiblesserésideensasystématisation.

Résumons-la : l’hommerecherche l’épanouissementdesonêtre et celui-ci ne se trouve que dans la puissance créatriceautonome.Lesvertuslesplusnoblesetmêmelessacrificeslesplusremarquablesseraientainsisous-tendusparcettevolontédepuissance. Ainsi les religions universelles comme lechristianisme et le bouddhisme auraient pour origine une« asthénie de la volonté20 ». Par le fanatisme, ces religionsauraientréinjectéunedosedevouloirdanslescorpsfatiguésdeshommes.

Lemondene serait que conflit, quel que soit le niveauoùl’onsesitue.

«AristoteetsaintThomasontpressentiplutôt la facenégativede ce problème en soulignant la tendance à la dissolution

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indistinct à travers les plaisirs de masse. Insatisfait et vain,inutile et creux, comme la barrique vermoulue des filles deDanaos.

Le droit au bonheur a engendré des sociétés dépressives.L’individu consommateur, obnubilé par ses besoins et sesenvies,dégénèreenpersonnageblaséoufrustré.Blaséparcequela jouissance matérielle connaît ses limites et que le bonheurporte en lui son propre antidote : il estmomentané. L’hommequisecroitcomblésombredansuneasthéniedudésirquiestlamarquemêmedupéché.Oubien,frustré,confitdanslahaineetlarancœur,ilconsumesonâmedansl’envie.Privédanslesdeuxcas du désir transcendant, la désespérance le guette par larévélationpascaliennedesonproprenéant.

«Tucherchesàcueillir lebonheur.Chercheplutôtà te rendredigned’êtrecueilliparlebonheur17»conseillaitThibon.

Êtreheureuxn’estpasunbut.C’estlecouronnementdelavocationaccomplie.

Ainsi,«L’hommenoblechercheàvivreenhomme,l’hommebaschercheàvivreheureux18.»

Indistinctiondelasociétédemasse

Une conception aristocratique de l’homme vise l’élévation,le développement de l’homme et l’épanouissement de ses plushautes facultés. Son individuation. À l’inverse, la société demasse gomme l’individualité, la rabaisse à ce qu’elle a decommunàl’espèce,àsonanimalité.L’indistinctionmarqueunerupture et une régression dans la tradition occidentaled’affirmationdel’individu.Elledéshumanisel’homme.

L’égoïsmepost-modernen’entravenullementlemouvement.Il n’est pas élanmais enfermement. RichardMillet a ainsi puparler du « devenir, le renoncement à l’individuel pour lecollectifparquoinaîtl’individu19».Renoncementauxcôtéslesplus tortueux de l’individu, lesmoins nobles au service d’unecivilisationquiseraelle-mêmeunterreaupermettantàl’individudegrandirets’affirmercommeunêtreunique.

Leshommesquiseconfondentdanscequ’ilscroientêtreunéchange

«Sil’âmen’estqu’unfoyerd’échanges(Saint-Exupéry),qu’ya-t-ild’uniqueetd’irréductibledansl’êtrehumain?Laqualité,latonalitéquedonneàchaqueéchangelesujetpensantetaimantqui, lui, ne s’échange pas.Moins le sujet est interchangeable,plus ses échanges sont authentiques : c’est l’incommunicablequidonnesensetcouleuràlacommunication.Inversement,lesêtres sans identité n’ont pas de vrais échanges : voulant toutrecevoirsansriendonner, ils‘’néantisent’’àleurimagetoutcequ’ilsreçoivent.Confinésdansleslimitesdeleurpersonne,ilsendeviennent impersonnels : ils seconfondent dans lamesureoù ils sont incapables de se fondre : leur personne n’estpersonne20.»

Terriblecondamnationdumondemoderneetdesatendanceà l’uniformité.Etpourtant,Dieusaitquenotre tempsestceluide la communication. Le vocabulaire même s’est dégradé aupointderingardiserlebeaumotdediscussionauprofitdutermecommerciald’échange.Toutunprogramme.Onéchangemaisonnesaitpluschanger.L’hommeensérieperdtouteidentité,touteirréductibilité. Il confond troc et communion. Il se réifie sans

s’en rendre compte. Un autre terme en vogue est celui dedialogue, appliqué aux cultures d’ailleurs. Et il s’agit bien dedialogues de cinéma ou de théâtre. Jeu superficiel qui excluttouterencontrevéritable.L’affirmationdelapersonnesedissoutdansleplusimpersonneldesindividualismesetlemondedelacommunication finit par écraser la personne plus sûrement etplus intégralement que la plus fermée des sociétés holistesd’antan.

«L’originalitén’estpas l’artdesesingulariser,mais la facultéderemonterparsoi-mêmeàl’origineuniverselle21.»

«Ouverture»

C’estunmotàlamode.D’ailleurs,chacunpréfèreunvisageouvert,unespaceouvertàlatêted’uninstituteurmarxiste,àunebonnefemmeenniqab,àuncul-de-sac.Etpourtant,

«Voicidesgenspendusàtouteslesradios,avidesdetouteslesnouvelles, réceptifs à toutes les idées. On appelle celasensibilité,ouverture.C’estlàunequalitéquejen’enviepas.Jeserais plutôt porté à considérer comme un signe de santé etd’unité intérieures l’existence de larges zones d’indifférence.Uneréceptivitéuniverselleimplique,exceptionfaitedequelquesespritsextraordinaires,unepassivitédangereuse.L’échovibreàtouslessons,maislabouchechoisitsesparoles22.»

L’ouverture n’est souvent que le dernier mot du néant.L’intelligence ne consiste-t-elle justement pas à établir desrapports et des hiérarchies entre les choses, les hommes et lesidées?Unecertaineformedetoléranceestindispensableàlaviecommune.Onn’apourtantpasassezinsistésurleméprisdesoi

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conserve comme étalon faussé du monde. Il ne voit plus lemondequedéformésousleprismedesesfantasmes.Méprisantlessphèresoùilpourraitagir,ilseplaîtdansdesidéesgénéralesquiledépassentetl’écrasent.Endormidanslemonde,ilrêveetn’agit plus. Enfermé en lui-même, il n’a plus de liens avecl’univers.Ilaperdule«contactfécondantentrel’hommeetsafonction, l’homme et ses semblables, l’homme et la vérité,l’hommeetsonDieu4»quidonnesensàunevie.Iltraverselemondeenpoursuivantdesventsdesable,oubliantque«chaquemiragenousvoleunmorceaud’oasis5».

Les rêvesperfectionnistes et irréalistes sont souvent lourdsdeconséquencesdramatiques.

« Victor Hugo a écrit quelque part ce vers qu’on ne devraitjamais se lasser de répéter à tous ceux que travaillentl’impatienceetlenégativismerévolutionnaires:‘’Lemalqu’onfaitestlourdplusquelebienqu’onrêve6…’’»

On a ainsi oublié que, même humanitaires, lesbombardements enflamment les maisons et soufflent lesberceauxetquelachutedetelautocrate,peurecommandableaudemeurant,peutêtrepirequesonmaintien.Demême,pournepass’infliger l’épreuvedecorriger lebambin tendrementaimé,on renonceà l’éduqueret l’onsenavrede trouver20ansplustardunpetitratéfrustré.

Lepoidsdelanécessité

Napoléon se disait l’esclave de la nécessité, à ne pasconfondre avec la fatalité « excuse des incapables » selon lemême. C’est une des rares limites qu’il ait admise à sa

puissance.Cen’estqu’enl’acceptantetenlaprenantencomptequel’hommepeutcompterpesersurlesévénements.

Certes,«Ilestfaciledesecantonnerdansl’inertie,ilestfacileaussidecouriraprèsn’importequoi;ilestplusdifficiled’allierl’incessante poursuite de l’oasis à l’incessant refus dumirage.Seulleréalismeintégralduchrétienpeutcela7.»

Enpolitique, lavolonté importemoinsquelanécessité.Lemonde, les civilisations, la foideshommeset le chocde leursintérêtsobéissentàunecertainepesanteur,àdesconstantesquel’ondoitprendrelapeined’analyseretdecomprendre.

LeXXe siècleauraétéceluidu« triomphede lavolonté».L’homme rêvant de trouver en lui-même sa propre fin.L’échecestpatent.

Refusdelanécessitéetjugement

Leplusdifficileàaccepterpour l’hommecontemporainestque « Dieu seul sait donner sans retour8 ». La fantastiquepropensiondel’hommeoccidentalmoderneàjugersonprochainestaujourd’huiaisémentexplicableparcerefusdelanécessité.Ayant brisé ses autels, le consommateur exige néanmoins desidoles qui élèvent un peu sa pauvre petite personne. Sonmalheur est de découvrir que ses plus grands hommes eux-mêmesnesontpasexemptsd’égoïsme,decalcul.Ondemandeàl’hommepécheur la transparencedudivin et l’on s’étonned’ytrouveruneimagemaculéedeboue.

Amouretjugement

«Aussi longtempsqu’onaime,onne jugepas. Juger, c’est neplus aimer – et c’est déjà détruire, car lamort ne vit que desreculsdel’amour.L’œuvredubourreaucommenceauverdictdujuge9.»

Cequiestvraide l’amourhumain l’estaussi,évidemment,de l’amour mystique et explique que Thibon réprouve siviolemment l’idée d’un dieu vengeur, d’un Dieu justicier. Lajusticen’estfinalementqu’unedesnécessitésdugrosanimal,unbesoin social mais ne possède intrinsèquement nulle valeurtranscendante.

«Lesalutdelacitéreposesur la justice.Maisceluidelacitédivine ? Le symbole de la justice, c’est la balance. Mais labalancen’ad’emploiquepourleschosesfiniesetsoumisesauxlois de la pesanteur. Alors, si l’on suppose un Dieu infini etéternel, il ne peut qu’être immense accueil, immensemiséricorde10.»

La justice divine comprise à l’aune de la justice humainecontrediraitl’amourdivinquiestgratuité.UnDieujustenepeutêtre un Dieu d’amour. « Balance, le plus faux des symbolesdivins»écritMaurrasdansunversqueThibonaimeàciter.

Lemoindremal

Alorsquelesgrandesidéologiess’entrechoquentetqueles«intellectuels»s’égarentdansunmanichéismeprimitif,Thibonse refuse à tout dogmatisme. Effaré par les désastres del’idéalisme,ilrappelleavecforcequenotremondedechairetdematière reste le domainedumoindremal.Lepressentiment duBien, associé au divin, n’empêche nullement un réalisme qui

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3.Retourauréel,p.53.4.Retourauréel,Avant-propos,p.VII–VIII5.Retourauréel,p.53.6.Retourauréel,p.57.7.Retourauréel,p.126.8.Retourauréel,p.49.9.L’échelledeJacob,p.53.10.Ausoirdemavie,p.181.11.Retourauréel,avant-propos,p.X.12.Retourauréel,p.21.13.Retourauréel,p.914.Levoileetlemasque,p.55.15.L’ignoranceétoilée,p.161.16.L’ignoranceétoilée,Avantpropos,p.XVII.17.Malgrélemythecontemporaindelatablerasegénéraliséeetpermanente.18.L’ignoranceétoilée,Avant-propos,p.XVI.19.Retourauréel,p.104.20.Levoileetlemasque,p.188.21.Retourauréel,P.15.22.Retourauréel,p.11.23.L’ignoranceétoilée,p.156.24.Retourauréel,p.64-65.25. Il est symptomatique qu’au débat proposé par le présidentSarkozysurl’identitéfrançaisenuln’aitsutrouverderéponse.Etcertes,qu’ontencommunlaFranceduvignerontaillantsesvignes suruncoteaude tuf surplombantuncoudede laLoire,celledusalafisteenbabouchesméditantles99nomsd’Allahlesyeuxmi-closdansunbusdebanlieue,oucelleduquadragénairetraitantuneaffaireàDubaïlelundi,uneimplantationauKéralaenfindesemaineet l’avortementdesamaîtressenew-yorkaiseleweek-end?

26.L’ignoranceétoilée,Avant-propos,p.XXI.27.Levoileetlemasque,p.205.28.Levoileetlemasque,p.205.29.Ausoirdemavie,p.88.

Sexualitéetviereligieuse

Émancipateur historique des femmes et propagateur del’union librement choisie entre deux êtres, le christianisme aencouru à l’époque contemporaine le reproche de brimer lasexualité. Il est vrai que la spiritualité chrétienne et la chairn’ontpastoujours,loins’enfaut,entretenudesrapportsapaisés.Les développements de Thibon à ce sujet renversent lesperspectives,replaçantledésircharnelàsajusteplace,sansenfaire,undieudécevant.

Vertudel’ascétisme

Ilfutdessièclesoùl’ascétismeétaitengrandhonneur.Lesstylitessedesséchaientausoleildemidiettelermiteauxjouescreuses vivait de miel et de sauterelles dans le Sinaï. On saitqu’Origèneportamêmeleferàlasourcedesestentations.Lestemps changent. L’ascétisme ne nous parle plus. Quand on sepenche dessus, c’est pour en souligner les aspectspathologiques. Il est pourtant certaines vertus développées parles ascètes dont le plus grand nombre n’a pas idée. Certes,l’obsessionmillénairedemoinesgrisetdeprêtresjaunesprêteàsourire. On ne la prend guère au sérieux. Pensons au prêtred’AmarcordadmirablementcaricaturéparFellini.

Cependant, « le mystique sent que les émotions, les‘’tentations’’ charnellesmenacentdirectementen luiuncertainétat cénesthésique1 (sorte de ‘’tremblement voilé’’, de toucheren profondeur) lequel, sans se confondre avec l’expériencereligieuseprisedans sa spécificité spirituelle, en est comme le

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semble avoir touché le fond de l’être aimé. En réalité, il n’atouché que le fond de lui-même, de son moi fermé, de soninstinct fugitif, et comme il n’est pas fait pour vivre de lui-même, son ivresse privée d’air s’éteint et croule en cendresstériles. L’être qui retombe si lourdement en soi n’était jamaisbiensortidesoi:l’amourn’avaitjamaisdépasséenluilazoned’attraction du narcissisme ; l’épreuve – qui n’est autre choseque le contact avec le réel – le rend à sa pauvreté, à soninsuffisanceessentielles9.»

L’amourcannibale

Comme les Pères blancs du Zambèze, l’amour court lerisque de finir à la casserole. Au lieu de nourrir son amour,l’amant aura la tentation insensible de s’en nourrir, de ledétruirepetitàpetitenledécortiquant,enlegrignotant.Etbienqu’ilsoitrépréhensibledejoueraveclanourriture, la tentationestfortededisséquersessentiments.

«Proustexprimetrèsbiencebesoinstérilisantdetoutsavoir,detout transpercer de lumière morte qui pousse les enfants àéventrer leurspoupéeset l’avareà tuer lapouleauxœufsd’or,cette soif impure du fruit de l’arbre de science qui privel’hommedu fruit de l’arbredevie : ‘’nous aimonsune femmepourladésincarnerdesonmystère’’10.»

Les amants véritables, au contraire, feront de leur amour,nourridesacrificesetdedons,unbûcherétincelantdanslanuit.

Amouretdurée

Souvent, les amants échangent des promesses d’avenirpariant sur la durée de leur amour à l’aune de son intensité ;sansdouteest-cel’unedesgrandesetdesplusdoucesillusionsdusentimentamoureux.

«Et,defait,laplupartdesâmeshumainessontdesnécropolesoù gisent les cendres de passions qui se crurent nées pourl’éternité11.»

Lorsquelachairnepalpiteplussousleregarddel’êtreaiméetquel’envoûtementdel’amoursensibleestrompu,lesamantsconnaissent ce que Thibon nomme la « nuit », reprenantl’expression mystique de saint Jean de la Croix12. Sous lesassauts du temps, l’amant qui remplissait l’univers estfatalement réduit à son être seul, enveloppe et âme. Il se faitétrangement absent, inaccessible. Les amants échappent l’un àl’autre.Lesouffleinspiréd’Érosavaitdonnélepressentimentdel’éternité partagée main dans la main. Vient le temps desépreuves.Lamainde la jeune femme sedessèche, l’homme sevoûte,lesmesquineriesdel’un,l’étroitessedel’autreaffleurentà la surface sous l’usure du temps. Le visage aimé se froisse,comme un drap après l’amour. Même chargé de tendresse, leregardde l’autre polit les ors de l’âme, laissant apparaître sonhumaniténueetdécevante.GustaveThibonabienrelevé:

«L’intimitéest lagrandeépreuvedel’amour.L’ardeursexuelles’atrophieparl’habitudeouseheurte,àcausedelamaladieoud’autresnécessitésvitales,àd’inévitablessacrifices13.»

La légende ne raconte-t-elle pas que le filtre d’amour deTristanetIseultlui-mêmen’eutd’effetquetroisannéesdurant?

«D’autre part, la lente découverte de la réalité de l’être aimédétruitpeuàpeul’idoleintérieurequenousnousétionsforgéedelui,etquin’étaitautrechoseque laprojection idéaliséedenous-mêmes, l’imagedecequinousmanque.Ladécouvertedel’autreestamèreàl’idolâtrienarcissique14…»

C’est qu’après l’embrasement divin de l’aurore amoureuse,lesamantsenlacentenlieuetplaced’undieuunecréatureaussichétive et imparfaitequ’eux-mêmes. Il fautpardonner à l’autrede se tenir, malgré ses efforts désespérés peut-être, si loin endeçàdenos illusions.Laréactionlaplusnaturelleestalorsdese détourner avec violence, de repartir en quête de l’aurorejusqu’au prochain crépuscule. La déception sera fidèle à ladémesure de la tâche. En lieu et place de l’obscurité purifiantson amour, il traînera sa solitude de caresses en ruptures etconnaîtra l’enfer de la répétition jusqu’à la désillusion totale.Alors sonâmebalancera-t-elle entre legouffredudésespoir etceluid’une jouissancemorne.Lasolitudeestdevenue l’undesgrandsmauxdumondeoccidental.Àforceden’effleurerquelasurfacedesonprochain,l’hommemodernenevitqu’entourédereflets. Il cherchait des personnes et ne trouve plus que desimagesflottantes.

Etpourtant, « […]quem’importe l’univers, si jen’y senspasbattreuncœurdontl’amourrépondeaumien15»?

Mouriràsonrêve

Lefrissondescommencementsestpassager.Àlerechercherà tout prix, l’homme ne fait que lutter vainement contre lecourantdutempsquipasse.Ils’enfermedanslepassé.

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performance artistique individuelle aux dépens de l’expressiond’unebeautétranscendante(oumêmed’uneréalitésordidemaistranscendéeousubliméeparl’artiste)témoigneàcoupsûrd’unappauvrissementdenotresociété.Lesassembleursdemots, lesthésaurisateurs de traits ne disent plus rien. Des mots sanssouffledissousdans lenéant,couleurs sans lumièreou formessansmatière.

Àl’inverse,«Lepoète,l’alchimisteduverbe,rendàlacréationlapureté,l’innocencedel’incréé.Lacréationdivinedescenddel’éterneldansle temps; lacréationhumaineremontedutempsversl’éternel11…»

Le dépassement de la beauté par l’art contemporain estprésenté comme une grande nouveauté. Non. L’histoire descivilisations fourmille d’éclipses de l’art et de périodes destérilité artistique. Le malheureux vie siècle occidental parexemple. Ou l’Afghanistan d’Ahmed Khan et ses successeursquiestàlaBactrianecequ’estleParisdestechno-paradesàlaville Lumière de 1900. Ces éclipses reflètent des sociétésdéclinantesayantperduleurcohésioninterne,lafoienl’aveniretlaforcedeperdurer.

Beautéetvérité

Tant brocardée de nos jours, la beauté est un des plusfragilesmystèresdelacréation.Elleestmêmel’imagedeDieuencemonde.Certainesœuvresoupaysagesproduisentunchocqui plonge jusqu’aux racines de l’âme. Thibon a évoqué ces«Hautsmomentsdel’existence»quisont:

«stupeurradieusedevantlaBeauté,compassionsansretoursur

soi, extase des amants, voiles de l’oubli qui se déchirent,résurgence de la patrie dans l’exil, victoires tremblantes etfugitivesdel’éternitésurletemps–lafidélitéconsisteensuiteàrefuser de les reconnaître comme éphémères et illusoires, àprolongerl’éblouissementpassagerenattenteindéfinie12…»

Ce frémissement de l’âme en attente qui est un avant-goûtdesvéritéséternelles13.

Labeautéestfragileencemonde.Ilfautbienavouer:

«LeBeauetleBiensontlavéritédeDieu.Mais,ici-bas,ilsnes’unissent au vrai que par éclairs rares et fugitifs. Il faut prierpour que ces éclairs semultiplient et se prolongent.Adveniatregnumtuum:tueslaBeauté,tuesl’amour,maiscetteBeautéet cet amour flottent comme des songes sur les frontièresindécisesdelavieetdelamortets’évaporentaucontactdelaterre ferme et dugrand jour.Donne-nous,Seigneur, d’incarnercessongesenmettantàleurservicecequ’ilyadeplusvigilantet de plus solide en nous.Que tout ce qu’on nomme sagesse,raison,expérience,senspratiques’unissepourdevenirl’alliagequi donne la consistance et la durée à ce métal fragile etprécieux du rêve ! Les saints sont ceux qui vivent, éveillés, labeautéetl’amourquelesautresn’entrevoientqu’ensonge14…»

La laideur ne constitue-t-elle pas un « outrage à la puretédivine » au même titre que le mal ? Est laid ce qui n’a pasd’âme,cequin’éveillepasennousl’échodel’éterneloumêmela tristesse infinie devant la finitude qu’emportent les ans etdispersentlesvents.

C’estpourquoi«L’hommeabesoindepoésieplusquedepain15»,besoindelabeautécommed’unrefletdeDieu.Même

les bêtes savent aimer. Seul l’homme est sensible au beau.«L’effroidubeau»,pourreprendrelebeautitredeJean-LouisChrétien,révèleàl’hommelaplusmystérieuseet laplushautepartiedesonêtre.

«[…]laplupartdesréalitésdumondemoderne,eneffet,etenparticulier les chefs-d’œuvre de la technique ne sont paspoétisables16.»

Silemondemodernen’estpaspoétisablen’est-cepasparceque,égarédansl’utile,ils’estécartédesavérité?Obnubiléparl’avoir, n’a-t-il pasperdude son être ?Peut-être aussi, effrayéparlamort,nesait-ilplusvivre.Levieuxchevaldelabour,suaitdanslessillonsetsecouchaitunjourdanslapaillepourneplusse relever.Lemoulin à eau cassait ses ailettesdans l’eauvive,perdait ses tuiles, crachait ses pierres et s’endormait sous lelierre.Un tracteur rouillé part à la casse, un autre le remplaceplusbeauetplusbrillant.Leschosesdecemondeontunprix,elles n’ont plus de valeur. Interchangeables, elles ne touchentplusl’âme.

Poésieetreligion

Déjà les aèdes dans leurs garrigues parsemées d’oliviers etlesbardesdelagrandeforêthercyniennesesavaientinspirésparlesdieux.Danssontempleapollinien, laPythiecomposaitdespetits poèmes surréalistes dans un nuage d’encens. LesprophètesbarbusdePalestineetlesroisdeJérusalemchantaientlespsaumesetcantiquesinspirésparleDieud’Israël.

La poésie bronze au soleil de la religion et longtemps lesprophètesontétédespoètes.

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contre‘‘ledernierhomme’’19».

C’estlachancehistoriqueduchristianismecoupédel’État,s’affranchissant de ses ors et de ses rets, libéré de sespesanteurs20. Un christianisme de l’âme, enfin sorti de saganguesociale.

L’antiquefoichrétienneabrûlélesvaisseauxdelareligionsociale qui était sienne pour s’élever à un universalisme vrai,infiniment plus fragile mais plus profond aussi que lescertitudesdejadis.

Un vaisseau sert à traverser les océans et à triompher destempêtes.Iladegrandesvoilesblanchesetunefiguredeprouedorée.Pourtantàybienregarder,l’étraveestrecouverted’alguesvertesetgluantes.L’eaucroupitdans lescalesoùgalopentdesrats noirs aux yeux rouges. Ainsi en est-il de la grande nefcatholique. Cela ne l’empêche pas de naviguer. Religion dugrandlarge,lecatholicismeépurépeuts’aventurertoutesvoilesdéployées sur la hautemerde la viemystique, voguant vers lesoleilaugrédesbourrasquesetsilencesdusouffledel’Esprit.

1.Nietzscheouledéclindel’esprit,p.31.2.Levoileetlemasque,p.20.3.CequeDieuauni,p.61.4.L’ignoranceétoilée,p.93.5.Notreregardquimanqueàlalumière,p.62.6.CequeDieuauni,p.39-40.7.Levoileetlemasque,p.137.8.L’Ignoranceétoilée,p.32.9.Levoileetlemasque,p.122.10.L’Ignoranceétoilée,p.31.11.Levoileetlemasque,p.115.

12.L’illusionféconde,p.90.13.L’illusionféconde,p.31.14.Levoileetlemasque,p.26.15.Levoileetlemasque,p.21.16.CequeDieuauni,p.31.17.Levoileetlemasque,p.24.18.Levoileetlemasque,p.202.19.L’illusionféconde,p.106.20. « Religion : Dieu comprimé jusqu’à l’homme.Mystique :l’hommedilatéjusqu’àDieu.»(L’illusionféconde,p.43).

LarechercheduDieutranscendant

Larègledetoutereligion,detoutemystique,estdechercherDieu.Chacuns’accordegénéralementsurceminimum.Ehbiennon.

«IlnefautpaschercherDieu:onneletrouvequetrop,maiscen’estpaslui!Ilfautplutôtsemaintenir–ens’imprégnantdesvaleurssuprêmes:lavériténue,labeautésansalliagededésiretl’amourexemptdepassion–danscetétatdepuretéetd’attentequinousrendradignes,siDieuexiste,d’êtrecherchésettrouvésparDieu1.»

Cette passivité mystique est vexante pour un Occidentalvolontaristequiaurait tendanceàchercherlaformulechimiqueoumathématiqueoùsedissimulelefacétieuxcréateurduCieletdelaTerre.

Le sage agit sur le monde et reçoit le divin. La véritablerecherche spirituelle est attente et préparation. Elle est désir.Désir de recevoir et de semontrer digne de l’épouxmystique.Certains s’enpassentpourtant trèsbien. Ilsmènentuneviedelapin de garenne. D’autres pèchent par l’excès inverse. IlsjouissentdeDieuet l’exhibent commeune rosette sur lavested’un politicien. Seul problème : ce n’est pas Lui2. Il estdécidément deux types d’hommes insupportables : «CeuxquinecherchentpasDieuetceuxquis’imaginentl’avoirtrouvé.»Dans les deux cas, l’homme, être fini et dépendant, s’installedanslasuffisance.

Passivitédelarecherche

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Lavéritéentrevoilesetmasques

Comme la commedia dell’arte révèle sous ses masquesbouffonsdegrandesvéritéssurlecaractère,lemasquepermetàl’hommed’exister.LesEnfantsduparadisnerévèlent-ilspasleplus intime de leur personnalité sous le filtre dumime ou del’acteur?Demême, leromanciernerévèle-ilpasunepartiedesonêtresouslemasquedelafictionquiluipermetd’entrerenrelation avec ses lecteurs ? Certes, le masque nous sépare dumonde.Ilapourtantunevertucachée:il«opèreunesélectionautour de nous.Ceux qui sont capables de le percer, ceux-làsont dignes de nous aimer. Et c’est pour cela queDieu portetantdemasques5…»

Lemasqueadesvertus tantqu’il ne fait pas corps avec levisagefragilede l’homme.Tantqu’il resteunattribut, ilnevitpas pour lui-même et protège la nudité de l’homme. Sinon, ildevientuneidolemortifère.

Thibonnousindiquelamanièredevoiràtraverslemasque:

« Dans ce clair-obscur du pèlerinage terrestre où l’hommemasquesonnéantetoùDieuvoilesonÊtre,pasd’autrevoiedesalutquelaprière,enattendantl’heuredevéritéoù,pourciterune fois encore l’intarissable Hugo, ‘’le masque tombera duvisagedel’hommeetlevoileduvisagedeDieu’’6.»

Dangerdesidolâtries

Onsaitlecharmedesidolesdepuisleveaud’oretlacolèrefameusedeMoïse.Brillantesetcreuses,ellesattirent l’hommeinexorablement.

«Lesidolâtresteparaissentplusvivantsqueleschrétiens.Quoid’étonnant ? Les idoles tirent à elles ce qu’il y a demeilleurdans l’homme ; elles ont besoin de notre ardeur, elles qui paressence, sont froides et mortes. Elles ne sont pas Dieu pours’accommoderdesmisèresetdesdéchets7.»

L’idolâtrie consomme les vertus de l’homme quand Dieutransfigure ses impuretés8 et pourtant, chacun d’entre noussacrifie à ses fétiches intérieurs grimaçants, sans cessecombattus, sans cesse renaissants. Ce combat où les victoiressuccèdent heureusement aux défaites permet une évolution del’homme.

Il y a pourtant pire encore que de sacrifier aux fétiches.C’est l’indifférence, l’incompréhension, cequeThibonappellel’aberration.

«Ilestdesêtresquisontcondamnésà l’aberrationetnonà lachute:ilsnetombentjamais,maisilspassenttoujoursàcôté!Et ceux-làméritent la plus profonde pitié : celle qui s’inclinedésespérémentsurlesincurables9.»

Relativitédesvertus

On finit toujours par croiser la route d’un ascète qui nousexplique qu’une soupe aux truffes n’est qu’une illusion, unebouteilledePomerolundétoursurlechemindelafoi,lemaillotdebainéchancréd’unejeunefemmeunpiègemortel.Sionalesang épais, le tempérament vif et un peu de culture pour sesouvenirquel’eutrapélie,l’espritdedétenteetdegaîté,étaitunedesvertusselonsaintThomasd’Aquin,onprendsesremarquesavecbeaucoupdedétachement.C’estdéjàunpremierpassurla

voiedelasagesse.Le second consiste à prendre les vertus pour ce qu’elles

sont. Des instruments, si l’on veut, mais aussi un voile entrel’homme etDieu.Une trop grande vertu prise pour elle-mêmeécartel’hommedeDieu,l’enfermedansuneboguedecertitudeconfortable qui l’empêche de se dépouiller et de s’élever versl’indicibleunité.

« Certains ascètes semblent condamnés à ne sauver qu’unfragment d’eux-mêmes ; ils refusent l’unité, ils divinisent leconflit10.»

C’est d’ailleurs avec un amusement apitoyé que Thibonévoqueunegrand-mèreluiconfiantavecfiertén’avoir«jamaisétéuneardente».

La plupart des vertus sont socialement inutiles. Un petitmensongesauvebiendescouples,dessituationsetdesprojets.Lapesanteur sociale faitbienplusque l’amourde lavertu.LesaintpèredudésertEphremensavaitquelquechosequi,poursedébarrasserd’uneprostituéeaguichantequilefatiguait,l’amenasurunegrand-placetrèsfréquentéeetluiproposades’ylivreràl’acte qu’elle lui proposait ; la vue de la foule dissuadal’entreprenante créature quand tous les sermons étaient restésvains. Les vertus n’ont guère d’usage direct que coupées,tronquées,diminuées,cequeThibonappelle«l’alliage11».Carles vertus et les vices procèdent de la même nature, seul leurdosage diffère, ce qui exaspérait Pascal aussi bien queNietzsche.

Au final, « Ce que nous appelons la vertu peut-il être autrechosequ’unéquilibreentredesforcesquinesontd’ailleursensoi ni des vices ni des vertus, mais tout simplement des

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même,lesêtreset leschosesnesontrieneneux-mêmes.C’estdansleurrapport,leurmiseenrelationqueserévèleleurnature,leur mystère. À l’inverse, la culture de mort que dénonçait lebienheureuxJean-PaulIIestcellequiisoleetsépare.

Àproposdesmorts justement, ilestuneautre relationquenous entretenons avec eux. Vivants dans nos cœurs et notremémoire,nousn’entretenonsaucunecommunicationaveceux–àmoinsdeprendreausérieuxlestourneursdetablesbiensûr.

« Pas de communication avec les morts. C’est le signe del’absencedéfinitiveoude laprésenceabsolue.Communicationimpliqueextériorité:orlesmortsnesontpasavecnous,ilssontennous.Et l’abîmequinoussépared’euxestceluiqui séparenotreâmed’elle-même.L’unitéexclutlesigne14.»

La leçon vaut même au niveau social. Ainsi sommes-nousdans une société qui se fragmente. Plus l’unité se désagrège,plusonmultiplielessignesvidesdesignification.

Distinctionetunité

Lestermessontcontradictoiresenapparence15.Néanmoins,il s’agit de ne pas ramener l’unité à la confusion car ladifférenciation permet l’amour et la communion, la rencontre.Lessagesetlessaintssontlesplusirremplaçablesdesêtres.Nulnemet en cause l’originalité et le caractère d’un saint Benoîtnonplusquesaforcedecommunionaveclemondeetl’au-delà.

« L’unité n’est pas la confusion ; la rupture des limitesn’entraînepasl’abolitiondesdifférences.Toutseradistinctdansl’éternité, mais rien ne sera séparé. Je serai moi plusprofondémentqu’ici-bas,ettuserastoi;chacunseralui-même

et tousne seront qu’un.Car l’Unn’abolit pas l’unique : il enfixe à jamais les traits irréductibles et le retour à l’unité seral’affirmationdeladifférence;[…]Auplusbasdegré,iln’yanidifférenceniéchangeentredeuxgrainsdesable.Ausommet,lesêtressonttrèsdifférenciés,maisouvertsàtoutcequilesentoureparlaconnaissanceetl’amour.Ausommetsuprême,Dieuestàla fois le plus distinct et le moins séparé des êtres : il neressembleàrien(quissimilisDeo?)etilestpartout.Lamatière,aucontraire,estleprincipedelaconfusionetdelaséparation.Soncaractèreamorpheetindéterminéfaitqu’onpeutladiviseràl’infinietque toutes sesparties sonthomogènes. […]Riendece qui est complémentaire (c’est-à-dire fait pour l’unité) n’estinterchangeable et tout ce qui est interchangeable estnécessairementséparé16.»

L’antithèsedel’unité,c’estlenivellement.L’hommeproduiten série, arraché à tout le socle de racines et de culture quifaisait battre son cœur au rythme du monde n’est plus guèrecapable de rencontres. L’homme masse rencontre sonhomologue. Ce sont deux robots qui se croisent, deux êtresramenésàleursplussimplesfonctionsbiologiques.Iln’yaplusde communion car plus d’émerveillement possible devantl’autre.

Amouretunité

Àlafindesavie,Thibonnecroyaitplusquel’amourfûtunéchange.Illuidemandaitdavantage:

« L’unité – la même relation qu’entre les personnes divines(‘‘Moi et le Père, nous sommes un’’), non un commerced’attributs, mais une identité de substance : aimer l’être aimé

commeDieu s’aime. Pas de signe plus clair de notre vocationsurnaturelle1…»

Les époux ne s’engagent-ils pas à ne plus former qu’uneseuleâmeetuneseulechair?Aimerintégralement,c’estnepaslaisser l’autre à l’extérieur de soi et accéder aumystère de lacommunion.Parl’élection,onchoisitl’êtreaveclequelonveutcesser d’être un individu, abandonner ses limites. Être soi enétant l’autre, phase ultime de l’amour. Aussi peut-on avancerquel’antithèseparfaitedel’amour,c’estl’individualisme.

4.Lepaindechaquejour,Avant-propos,p.IV.5.L’échelledeJacob,p.114.6.L’échelledeJacob,p.167.7.Levoileetlemasque,p.134.8.«Lamétaphysiquedelaséparationestlamétaphysiquemêmedupéché.»(CequeDieuauni,AP,p.9).9.L’échelledeJacob,p.123.10.L’ignoranceétoilée,p.17.11.L’ignoranceétoilée,p.18.12.VoirL’ignoranceétoilée,p.18.13.L’Ignoranceétoilée,p.35.14.L’ignoranceétoilée,p.152.15.Enfin,«Undessignescardinauxdelamédiocritéd’esprit,c’est de voir des contradictions là où il n’existe que descontrastes.»Lepaindechaquejour,p.26.16.Notreregardquimanqueàlalumière,p.65-66.1.L’illusionféconde,p.73.

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23.CharlesMaurrascitéinLevoileetlemasque,p.193.24.OnpeutmêmeallerplusloinensuivantBérullequiavanceque leChrists’est incarnémalgré lepéché.Voiràcesujet lesGrandeursdeJésus.25.L’illusionféconde,p.7.26.L’échelledeJacob,p.92.27.Levoileetlemasque,p.129.1.Lepaindechaquejour,p.91.2.Levoileetlemasque,p.139.

Lamystiquedusilence

Lorsque Thibon a écrit son essai sur Nietzsche, il s’estavancé à la rencontre de sa pensée muni de « l’armureprotectriced’unecertitudeéternelle3».Cettecertitude,Thibonen a déposé les pièces au fur et àmesure, prêt à semesurer àDieufaibleetnu,pasmêmeconsentant (ilparlerade l’horreurqueluiinspirelamort)maisdépouillé.

Tragédiedusilence

Lechristianismecréeunetensiontragique:

« Si nous ne ressuscitons pas, c’est que l’aspiration de notreâmevers l’éternitéetparconséquentnotreâmeelle-mêmesontdesillusions:alors,sinotreâmeestfaitedebouecommenotrecorps,roulons-nousdésespérémentdanscettebouequis’appelleaujourd’huiplaisiretdemainnéant4.»

C’estlatragédiedusilencedeDieu.Croireenl’immortalitéau risque de la mortalité. Quelle sinistre escroquerie si lemystique après s’être dégagé dumonde ne devait que plongerdanslenéant.LeChristestvenuporteruneespérancefollemaissansaucunepreuve.Sansundébutd’application.HeureuxsaintThomasquiapuvoir!Lecroyanttendl’oreilleetécarquillelesyeux.Ilestseul.Seul.

L’a-t-onassezdit?Lafoiestunefolie.

L’hommeetledonduvide

L’hommeconnaîtsamisère,lavanitédesonêtre.Qu’a-t-ilàoffriràDieu?Sonmaigreavoirneluipermettraitpasdes’offrirune plume d’ange au royaume des cieux. Qu’évoque le Dieud’amouràcertainsêtresquineconnaissentpasmêmeladouceurde reposer la tête sur une épaule aimée ? Ne sont-ils pas lesoubliés de Dieu, ces misérables que l’amour humain évite oumeurtrit et qui ne trouvent que ténèbres dans leurs prièrespathétiques ?Ne sont-ils pas la grappe oubliée des vendangesdivines?Cellequisèchesurpiedettombeenpoussière?

Au plus misérable des hommes, il reste toujours quelquechose.Aussidérisoire soit-il, sonêtrepeutoffrir sonnéant aumaîtredusilence:

«Rienn’esttroppauvre,rienn’estvainenfacedeDieu[…]Laviedivineestunabîmedontnulsentimenthumainn’atouchélefond :ellen’estpasdanscequ’onsentdeDieu,maisdanscequ’ondonneàDieu.Etàceluiquinetrouvedanssonâmeriendepuretdevivantàoffrir,ilresteàs’offrirsoi-même.Offrandenue et foncière, qui atteint jusqu’à la substance. Les pauvressontchersàDieuparceque,videsdetoutavoir,ilsdonnentleurêtre;cen’estpasneriendonnerquededonnersonrien5.»

C’estmêmelecœurdelaviemystique.Celuiquioffresonrien s’est libéré de l’expérience et des mirages de laparticipationàCeluiquiestau-delàdesmondes.Ilentredansla« nuit obscure » de saint Jean. Au-delà de la croyance et dudoute,ilfranchitlesespacesversl’Éternel.

Ledésenchantementdumondene suffitpas.Thibonprôneledésenchantementdel’âme,ledépouillement,larenonciation.Il se détourne desmirages de l’expérience, à l’image de saintJeande laCroixfaisantaspergerd’eaufraîcheunefidèleprised’extasemystiqueenpleinemesse.

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satiété.

Platonaditque:«‘’lecommencementestcommeunDieuqui,aussi longtemps qu’il séjourne parmi les hommes, sauve toutechose.’’ –Problèmecomment retenir cevisiteur ailé sansqu’ilperde dumême coup son pouvoir transfigurateur ?Où finit lecommencementetoùcommencelarépétition19?»

On peut en avoir une petite idée. L’amoureux véritableredécouvre chaque matin son amante avec un regard neuf.Certainspaysagesnoustouchentaucœur,avecleursoiseauxetleurs nuages, et semblent se renouveler en permanence.Lorsqu’ils sont vivants, les rites sociaux ou religieux sont unperpétuel renouvellement. La prière vraie, innocente estégalement un « commencement sans fin » pour reprendrel’expression de saint Grégoire de Nysse. Cette expressiondéfinit la « fidélité vivante : un recommencement indéfini, undépartsansarrivée,uneauroresanszénithetsansdéclin20».

Queseraitletempssansl’attente?Unenfer?Uneprison?À l’inverse, ne peut-on imaginer le paradis comme le lieu deséternelles prémices ? La béatitude doit ressembler à unémerveillementsanscesserenouvelé.

L’éterneletl’éphémère

L’éternelnes’opposepasàl’éphémère.Ilssecomplètent.Àl’homme de purifier son regard pour trouver la part d’éternitédanscequimeurt.

«[…]sijenecroispasàl’avenir,jecroisàl’éternitéquipeutféconder toutes les heures du temps, je crois à une présenceabsolue qui est aussi un présent et qu’on peut cueillir

aujourd’hui21»affirmeThibon.

Faceautempsquicouleetcharrienosrêvesounosactionsdanssesflots,l’hommen’aqu’unbarragedérisoireàdresserendehorsdesonespérance:lafidélité.Fidélitéàcequ’ilaaperçude plus haut, fidélité à l’amour, à la vérité, à la beauté car :«N’estpromisàl’éternitéquecequirésisteautemps22.»

Le changement, qui est une mort perpétuelle, en nousprenanttout,jusqu’aumoindredenossouffles,nenousarrache-t-iljustementàl’immobilitédelamort?

Ilestenfinundangerdontl’âmedoitseprémuniretquiestdemêler«unparfumd’éternitéauxchosesdutemps23».

Mensongedel’avenir

L’avenirest lapatriedeschamanstransis,desbohémiennesen fichus roses et créoles d’or, des marabouts extatiques, descartomanciennes de bazar, de Michel de Notre-Dame et deshommespolitiquesencampagne.C’estamusantmais fragileetlesagenes’yfierapas.

« Si paradoxal que cela paraisse, l’espérance surnaturelleconsisteavanttoutànepassongeràl’avenir.Carl’avenirestlapatriedel’irréel,del’imaginaire.LebienquenousattendonsdeDieurésidedansl’éternel,nondansl’avenir.Etleprésentseuldonne accès à l’éternel. Se réfugier dans l’avenir, c’estdésespérer du présent, c’est préférer un mensonge à la réalitéqueDieunousenvoiegoutteàgouttechaquejour1.»

Lesgourousdetoutpoil,millénaristes,néo-libéraux,crypto-communistes,doux-dinguesdiverssontprodiguesdepromesses

d’avenirmeilleur.Tousleshommesferontlafarandole,ilneferaplus froid, les nourrissons feront leurs nuits, les rues serontpavées d’or, les gamins des cités écriront des livres dephilosophie et lesmarchésmiseront sur l’agriculture artisanalesubsaharienne ; nous aurons tous un sourire niais et un petitlotusentre lesmains.Àfortedose, l’avenirestunedroguequiempêche d’appréhender le présent. Nous en connaissons tous,decesmalheureuxquimanquentperpétuellement leurs rendez-vous avec l’instant présent, se perdent dans leurs fantasmes etreportentleursespérancesàdemain.

Lavéritable libérationn’arrivequ’à l’heuredernièrequand«[…]l’éternelquis’ouvreétranglel’avenir[…]2».

2.Notreregardquimanqueàlalumière,p.162.3. Malgré la mort, il reste toujours « […] le souvenir qui,rattaché à l’éternel et non au passé, a le même goût quel’espérance.»(Notreregardquimanqueàlalumière,p.98).4.Ausoirdemavie,p.67.5.Ausoirdemavie,p.67.6.L’illusionféconde,p.10.7.VoirL’ignoranceétoilée,p.126.8.L’ignoranceétoilée,p.131.9.L’échelledeJacob,p.56.10.Levoileetlemasque,p.38.11.Levoileetlemasque,p.96.12.Levoileetlemasque,p.96.13.Levoileetlemasque,p.98.14.L’illusionféconde,p.74.15.Levoileetlemasque,p.128.16.On«n’estpasseulequandonattend».Vousserezcommedesdieux,p.42.

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n’existequedanslamesureoùelles’incarneetseconcrétiseenlui,lejouroùilprendraconscienceduconflitentrelavéritéetlavie,c’estlaviequ’ilchoisira11.»

C’estmêmelechoixdumondemoderne.Mais la question en appelle une autre, peut-être plus

troublanteencore:

«[…]del’amouroudelamort,lequelestuneillusion12?»

Laréponsechrétienneportesurlamortainsienglobéedansl’amour.

Pireencoreàl’heuredu«Suprêmechoix–celuientrelavéritéetlavie.Jetremble,carc’estpeut-êtrelechoixentrelavéritéetl’amour,celui-cisenourrissantdelavie13.»

Illustrantcepropos,Thibonprendl’exempled’Antigone.Lajeunefemmeestpure,pieuseetfidèle.SonimageimmaculéesedressecontrelatyranniefroidedeCréon.Enterréevivedansuncaveau,ellesouffremillemortsetangoissesavantdesependredanslanuitetdonnersonâmeàPluton.Dumoinsnes’est-ellepasreniée.Lepiresupplicen’aurait-ilpasétédelamettreà laplacedeCréon?Reinedelacitéthébaineruinéeparlesguerresintestines, n’aurait-elle pas dû anathématiser la mémoired’Etéocle et Polynice fauteurs des troubles civils ? Lesmortsont droit au repos, et cela est la vérité.Mais la vie, c’est unevillequiserelèvedesescendresetoffreunaveniràsesenfants.C’estlaconcordequiparfoispiétinelavérité.C’estlanécessité,quiseplaîtàmaculerlapureté.

Vanitédel’espérance

L’homme veut la guérison quand Dieu propose larésurrection, le passage obligé par la mort : « tu mourras demort»disentlesÉcritures.

Lesecretdelavanitédel’espéranceestconnudel’homme.Nos grands mythes nous l’enseignent. Mais est-il besoind’espérer pour être un homme ? Hector qui connaît lacondamnation de l’oracle, fourbit ses armes et marche sansfaiblir au grand Achille pour trouver une mort digne d’êtrechantée.TouslesexploitsdePercevalleGallois,deLancelotduLacetduChevalierauLionn’empêchentpasl’échecdelaquêtedu Graal, la mort d’Arthur et la ruine de Camelot mais sedressentcontrel’oubli.L’actionfinitpartranscendersoneffet.

Lamort est unmal, le Christ pleure sur le sort de Lazareporté au tombeau, mais un mal que l’on doit affronter mêmesansaucunechancedesuccès.L’individuquisacrifiesacarcassepourquelquechosequi ledépasse,amourouhonneur, se renddigned’êtreunhomme.

Lesancienscontaientl’histoiredeTithonàquiJupiteroffritl’immortalité sans la jeunesse. À force de se dessécher, de serabougriraufildesâges,lemalheureuxdevintunecigalegrise.La vie éternelle avait fait d’un prince un crissement dans lescyprès. La vie d’Achille, comète fugitive et brillante n’est-ellepaspréférable?

Onpeutallerplusloinencoreetaffirmerqu’«[…]ilyaunpéchéd’espérance comme il y a unpéchédedésespoir. Il fautsavoir mourir inconditionnellement14… » Celui qui meurt enespérantcommetunpéchédesottise.Lamortestunabandonetundéchirement.C’estcequifaitlagrandeurdumartyr.Etc’estpourquoi il n’est pas de plus grande preuve d’amour que dedonnersaviepourceuxquel’onaime.

Lamortetleprixdeschoses

C’est l’horreur du Schéol qui rend si appréciable lebruissement des herbes sous le vent ou le chant d’une petitefille. Le père acariâtre que l’on n’a pas vu depuis vingt anssemble tout à coup bien aimable lorsque tombe la nouvellequ’un cancer l’emportera dans les huit jours et on aimerait leretenir.Ladernièrecigarettedupaquetesttoujourslameilleure.

«C’estl’ombredelamortquidonneunprixinfiniàtoutesleschosesdelavie.Et,contradictoirement,c’estceprixinfiniqueleur donne lamort qui nous inspire l’horreur sans fondde lesvoirmourir.Nousadoronscequiestmenacéetnousrepoussonsl’accomplissementdelamenace.‘’Encoreunmoment,Monsieurle bourreau !’’ Mais comme tout serait plat et vain si laperpétuités’alliaitàlafinitude!Jet’aimeparcequetuesmorteletjeneveuxpasquetumeures15!»

Onécrasesansypenserl’araignéedumatinquitissesatoileentre le pot de café et le paquet de sucremais on ira protégeravec des trésors de précaution la petite tarentule endémiqued’une île des Caraïbesmenacée de disparaître. L’existence estprécieuse parce qu’elle se termine par le déchirement de laséparation.

Prenons un couple. Les brouilles et le quotidien font leurœuvre d’arasement. Qu’est-ce qu’ilm’ennuie celui-là, pense –en termes plus crus – la femme de son compagnon. Sonentreprisel’envoie-t-elleenmissionpoursixmoisaufonddelaChineet il retrouve l’éclatd’un jeuneamantdont ledépart luiarrachedeslarmes.

«Cequidonneunprixinfiniauxplushumbleséchanges,c’est

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Kénose

DuDieusans lapuissance,onpasseassez facilementàunDieudébarrassédel’Être6.UnDieuquiseseraitretiré,cequeles théologiens appellent la kénose et Simone Weil la« décréation ». Retiré de sa création, Dieu s’est ainsi faitdépendant:

«Dieudequitoutdépenddanslecieletquidépenddetoutsurla terre – lié chez les hommes au tissu de la nécessité et auxaccrocsduhasard.Etquenousavonslemonstrueuxpouvoirdelaisser mourir – ou de tuer. Seigneur, aie pitié enmoi de tonimage7…»

Thibon évoque encore Dieu qui aurait laissé tomber enl’homme«unegouttedesasolitudeincrééeetdesapuissancecréatrice.Etcelajusqu’aupointdeseretirerdesacréationpourselaisseràsontourrecréerparl’homme8…»

Peut-êtreest-ceencelaquel’hommeestàl’imagedeDieu.AprèsavoirlivrésonFils,nepeut-onimaginerquelePèrelui-mêmese soit livréaucœurde l’homme?Sans lapuissanceetsansl’être,recrééparl’amourimparfaitdesacréature,nenousdonne-t-il pas une marque de son amour infini ? Dieu etl’homme qui n’attendent rien l’un de l’autre que la créationmutuelle dans l’amour. Un Dieu réduit dans nos cœurs à lapossibilitéd’unamour.

L’éternelplusfragilequeletemporel?

Demain,onrasegratis.Renoncezaumonde!Nelâchezpasla proie pour l’ombre ! On peut vous promettre de belles

béatitudes. Un paradis ! Un nirvana ! Que sais-je encore ?Surtout,desbienséternelsetnonpérissables.Unplacementsûrenquelquesorte.Thibons’écarted’instinctdevantla«bassesseintéresséedecetteattitude.C’estprécisémentparcequ’elleestfragile et mortelle que cette chair appelle la tendresse et lacompassion.‘’Aimercequejamaisonneverradeuxfois’’9.»

Aimer l’éphémère d’un amour gratuit et vain, un amourchargédepitiéetdesollicitude.Unamourpauvreetimpuissant.Unamourd’enfantquelamortviendrabriser.

«Maissi–nouveaurenversementdurapportentrelaterreetleCiel – l’éternel, en ce monde, était encore plus fragile, plusvulnérable que le temporel ? Si Dieu était plus pauvre, plusfaible, plusmenacé que cette chair dont la splendeurm’enivreaujourd’huietdont jepleureraidemain la ruine?Etsi laplushauteplacedans l’éternitéétait réservéeàceuxqui,conscientsquecetteéternitén’estqu’unrêve(cf.Unamuno)serontrestés,jusqu’aubout,fidèlesàcerêve10?»

FaiblessedeDieu

CeDieu dépouillé, corps pantelant accroché au bois de lacroixousimplepossibilitédanslecœurdel’homme,émeutparsoninfiniefaiblesse.

Thibon relève les « Limites, dispersion de l’amour, dues àl’espace et aux temps.Nous ne pouvons aimer totalement quelesabsentsetlesmorts.Etleplussilencieuxdesabsents,leplusenfouidesmorts,c’estencoreDieu11.»

Ilnepeutqu’aimeretêtreaimé.

«Dieuestplusfaiblequenousencemonde,etsamiséricordeest celle d’un être qui ne peut rien donner, comme le motl’indique,quesoncœur12.»

Cette miséricorde impuissante ne se perd ni ne se souilledans l’avoir. Elle est réellement divine par sa gratuitésurnaturelle.Onpeutméditerencoresur:

«Undieuquimeurtdepitiépourlescréaturesqu’illivreaumaletà lamort.Savoirdufonddel’âmequeDieu,premierauteurdumal,enestaussilasuprêmevictime13.»

Nous voici loin du Dieu thaumaturge des Anciens. Paramour,Dieu s’est frotté au risque de l’homme pour s’en faireaimer. On ne peut aimer sans arrière-pensée celui que l’oncraint,alorsDieus’estfaitfaible.L’Incarnationn’a-t-ellepasétésuspendue au consentement d’une jeune femme de Galilée ?L’enfant Dieu n’a-t-il pas reçu le sein de samère ? Petit êtrecajolé parMarie, habillé, coiffé, protégé des vents de sable etdespluiesd’automne,serréentredeuxbrasaimants.Etsonpèreluiaapprislesmotsdeshommespourdésignerlemondeetsonsavoird’artisanpour lemaîtriser. Ilestémouvantd’imaginer lecharpentier Joseph enseignant au petit Jésus les gestes de sonmétier.Dieuaacceptéledonsimpledeceuxquin’avaientrienqueleuramouretleurhumanitéàluioffrir.Et,toutDieuqu’ilétait, il n’avait rien d’autre à rendre qu’un sourire de petitgarçon pour Joseph, une fleur cueillie au bord d’un ruisseaupourMarie…

Au moment de la Passion, l’impuissance de Jésus à « sesauver lui-même » tant moquée par les scribes et les soldatsn’estencorerien.IlestsurtoutimpuissantàarrêterleslarmesdeMarieaupieddelacroixetledésespoirdeMadeleine.Jésusne

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Dépasserl’anthropomorphismeFoietraisonLeparadoxematérialisteParadoxedudésirNepasattendrederéponsesdeDieuAmourettranscendanceEssenceetexistenceTranscendanceintégrale

LavéritéentrevoilesetmasquesDangerdesidolâtriesRelativitédesvertusLepéchédevertuMoraleetfaiblesseLuciditéetdésespoirLemasqueprispourvisageResponsabilitédel’hommeCommunionentreleshommesLasoifsupérieureàcequirassasie

L’unitéVéritéetunitéDramemétaphysiquedel’hommeUnitéetrelationDistinctionetunitéAmouretunité

Douleur,souffrance,péché,jugementLepéchésanslaresponsabilitéHumanitédeladouleurDignitédelasouffranceIdolâtriedelasouffranceConsentementàl’enferLemal,négationdubien?AmouretsouffranceContritionetpardonAu-delàdelaloietdelajusticePurificationetsouffranceLechâtimentdupardonAmitiéetsouffrance

LamystiquedusilenceTragédiedusilenceL’hommeetledonduvideDuchristianismesolaireaudépouillementdelanuitSilencedeDieuetscepticismeLapersonneLedépouillement,ledétachementLabarrièredel’existenceUltimerévélationdivineDétachementetcréation

L’éterneletletemps

SouveniretprésenceOubliL’éterneletlemoiLetempscommeabsencedeDieuMystèredel’attentePrémicesetrenouvellementL’éterneletl’éphémèreMensongedel’avenir

IllusionetvéritéÉlargirleréelparlerêveDistanceIllusiondel’amourUnmondesansrêveSagessedansl’illusionVéritéetréalitéLarmesetillusions

Mortetconnaissance:l’aorasieThibonetlamortLamortetl’amourMortetpuretéConflitentrelavieetlavéritéVanitédel’espéranceLamortetleprixdeschosesAorasieMortetidentité

LemystèreNepastoutexplorerAccepterlemystèresanschercheràlecomprendreRévélationdumystèreSignifiéetmatérialitéClairvoyanceetéblouissementConfusionetmystèreMystèreetignoranceFascinationdel’invérifiableMystèreetvérité

Fragilité,vulnérabilité,absencedeDieuDieusanslapuissanceKénoseL’éternelplusfragilequeletemporel?FaiblessedeDieuPrendreDieuenpitiéSauverDieuLadernièreprière

Conclusion

Oeuvrescitées

Biblographie