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HenriRech

Notremondevient

d'entrouverunautre

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©HenriRech,2021

ISBNnumérique:979-10-262-8688-2

Courriel:[email protected]

Internet:www.librinova.com

LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.

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«Toutcequivitestàlarecherched’unmondemeilleur.»

KarlPopper

«Ondiraitquelehasardetlanécessitépoursuiventleurchemintriomphaletorganisateur.OndiraitqueDieu,quiadéjàfaitbeaucoupeninventantl’univers

etlavie,seprépareàlaretraiteetchoisitsessuccesseurs.»

Jeand’Ormesson,Unhosannasansfin

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Unenuitdepleinelune

Haïléavaitversé troismilledollarsaupasseurenéchangededeuxgiletsdesauvetage et de la promesse de deux places, pour lui et son épouse, pourLampedusa, sur un bateau neuf piloté par un capitaine expérimenté, avecseulementsoixante-quinzepersonnesàbord.

En réalité, lors de l’embarquement, le 4 septembre 2017 aux alentours de21heures,plusd’unecentainedecandidatsàcette traverséesontentassésà lahâteetavecbrutalité,surunvieuxbateaudepêcheenbois.Certainsn’ontpasdegiletdesauvetage.Undespasseursarracheceluiqu’Haïlétenaitimprudemmentdans sa main pour le donner à un homme vindicatif qui réclame le sien. Àquelques centaines de mètres de la plage de Sabratha, le « capitaineexpérimenté»quitteprécipitammentlenaviresurunZodiacaprèsavoirconfiélabarreàundespassagersquisetrouvaitinnocemmentàsescôtés,aveccommeseule directive « tu gardes ce cap, l’aiguille doit rester sur cette position ».Affolé, le nouveau barreur demande de l’aide. Un homme à la voix grave seproposealorspourprendresaplace,ilditqu’iladéjàpilotédesembarcations…Des pêcheurs croisés en chemin donnent, par gestes, des indications sur ladirection à suivre : tout droit, vers le nord. Le soleil s’enfonce à l’horizon,empourprant le ciel et lustrant les vagues de reflets sanglants, avant dedisparaîtreenouvrantlaportedesténèbresàl’angoissedespassagers.Seulslesourdronronnementdumoteur,lebruitduruissellementdel’eausurl’étraveetleroulisattestentdelaprogressiondubateau.Bientôt,laluneselève,sondisqued’argentrépandunepâlelueursurl’immenseespacemarinoùleregardseperddansunhorizonauxlointainespromesses.Pasdevent,mercalme,heureusementcarl’eauparfoisaffleureauplat-bord.L’espoirrenaîtdanslecœurdesmigrants,serréslesunscontrelesautresetdontlesvisagesnoirssefondentdanslanuit.Quatre heures environ après le départ, une voie d’eau apparaît sur le bordétribord,provoquantunmouvementdepaniquequidéséquilibre immédiatementle bateau et provoque son chavirage. Des cris, des lamentations, des pleursenvahissentlasurfacedel’eau,sousl’œildelaluneauxrefletsmouvants,tandisque lebateaucouled’uncoupenvomissantengrandeséructations l’airdesesentrailles,éparpillantparlesremouslesmaigresbagagesremplisderêvesd’une

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viemeilleureetrelâchantpêle-mêledesfiletsdepêcherapportésensurfaceparleursflotteurs,despare-battagesavecleurscordesd’amarrage,desbouteillesetbidonsenplastique,unvieuxgiletdesauvetageetdumazoutquiserépandennappe et dégage une odeur insupportable. Haïlé, éloigné de Saba lors dunaufrage, la rejointà lanage.Elleportesongiletqui lessoutientdifficilementtous les deux, il la serre fébrilement dans ses bras pour la consoler et laréchauffer.Plusloin,unhommenoir,jeune,grandetathlétiqueparleenfrançaisà une femme qui hurle de chagrin en voyant son bébé en train de se noyer.L’homme rattrape le nourrisson dont les cris témoignent qu’il vit toujours, ilsaisitlevieuxgiletàladérive,ydéposelepetitcorpsdélicatementententantdel’attacher pour qu’il ne tombe pas. « Non, attends, donne-le-moi, je vais leconsolerd’abord».Ilsaisitdeuxbidonsd’eauquiflottentalentour,endonneunàlafemmeetmetl’autre,presquevide,soussonblouson.Undesnaufragéstireavecprécautionun téléphoneportabled’unepocheplastique,puisditd’un tonrésignéetdésespéré,«c’estinutile,iln’yaaucunréseau,nousallonsmourir…queDieunousvienneenaide!»Iltendàboutdebrassonappareilàlalampeallumée, dans un geste dérisoire d’appel au secours, jusqu’à l’épuisement.Quelquesheuresplustard,lesilences’estétendusurlesflots,lalunepoursuitsacourse vers l’ouest et déjà une lueur apparaît à l’orient. Saba s’est évanouie,maintenueensurfaceparsongilet,Haïléalâchéprise,seullehautdesoncrâneémergedel’eau.

Le grand homme noir parlant français a quitté ses chaussures trop lourdes,encore éveillé, allongé sur le dos, il regarde le ciel et la lunedont la clarté sebrouilledansunhalodebrumeetseditquebientôtlesoleilvaseleveretquepeut-être,siDieuleveut,ilsserontsecourus.Ilsaitqu’ilfautbougerpournepass’engourdir,ilpeutencoreremuersesjambes,maisellessontdéjà,ainsiquesesbras,étourdiesparlefroid.Ilfinitpars’endormir.

Lesoleilquis’élèvedanslasomnolencevaporeusedumatinchasselabrumelégère qui flotte au-dessus des eaux et réveille le grand homme, qui constatequ’autourdeluivoguentdescorpsimmobilessoutenusensurfaceparleurgiletorange.Ilafroid,ilnesentpresqueplussespieds,sesmainssontankylosées,ilafaim.Ilregardeautourdelui.Ilappellelafemmeaubébé«Awa!Awa!Oùes-tu?»Ellene répondpas. Il lui semble lavoir flotteràquelquedistance, ilexécutequelquesbrassespours’enapprocher.C’estbienelle,maislebébén’estpas dans ses bras, ni sur le vieux gilet que la brise a emporté plus loin, il lasecoue…sesbrassontraidesetfroids.Sesyeuxouvertsneclignentplus.Ilfait

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unenouvelle tentativepourobteniruneréponse,envain. Ilappuiedoucement,d’unemaintremblante,sursespaupièrespourlesfermer.«Quelmalheur!dit-il,elleestsijeune!»…Illuisembleapercevoirauloin,lorsquelahoulelesoulèveun peu, la silhouette d’un bateau. Il fait de grands signes et lance des appels,aussi fort qu’il le peut. « S’il pouvait venir par ici ! pense-t-il ». Le soleil leréchauffeunpeu.Àquelquedistancedelui, ilentendunefemmequipleureettentedesouleverhorsdel’eaulatêted’unhomme.Voyantqu’illaregarde,elleluiditenanglaisaumilieudesanglots«Haïléismyhusband…mylove…mysolovelyhusband.Heisdead…drowned!Iwanttodiewithhim!1»Iln’apaslaforce de répondre, il pense simplement « non, ne fais pas ça, on va noussecourir».Lajournées’écoulesansqu’aucunbateaunepassedanslesenvirons.Parfois,uncridéchirelesilence,uncridepeuroud’insulte,unappelàl’aide,uneprière.Puislesoleilsecouche.Legrandhommen’apluslaforcedebouger,ilsedit«ilestplusfaciledemourirquandonnemeurtpasseul»et,àsontour,son esprit bascule dans la nuit. Le calme sur la mer règne alors comme unmalentendusurdesespérancesévanouies,çàetlà,entredescorpssansvie,au-dessusdesflotsnoirss’élèventdesvapeurs,commesilamersuaitlemalheur.

L’avion en provenance deMiami, qui devait arriver à 10 h 47, atterrit aveccinqheuresderetardsurletarmacdel’aéroportinternationalRohlsendeSainte-Croix,dans les îlesVierges.HelenNielsena rendez-vousàChristianstedavecd’autres touristes,afind’embarquersurunvoiliervers l’îleSaintJohnpourunséjourdeplongée.Elleaappelél’agencepourdirequ’elleseraitenretard,onl’arassurée,elleseraattendue.Elleneconnaîtaucundesmembresdecegroupedevacanciersplongeursetsedemandesielleestlaseuledanscettesituation,ousid’autres, comme elle, ont emprunté ce vol.Après avoir récupéré ses bagages,elleaperçoit,danslehalld’accueil,unhommevêtud’uncostumeblanc,coifféd’unPanamadelamêmecouleur,levisagearborantunebarbedequelquesjourset tenant à hauteur de sa poitrine une pancarte sur laquelle sont inscrits troisnoms : « Helen Nielsen, Jane Murphy, James Murphy ». Il est en train dediscuteravecunjeunecouple.Elle,vêtued’unerobebleueàpoisblancs,luienchemiseet shortdecouleurbeigeportantunsacàdossur l’épaule,avecdeuxgrandssacsdevoyageàleurspieds.Ilssemblentscruterlafoule,peut-êtreàsarecherche.LorsqueHelenlesrejoint,ilsluioffrentunbeausourireetleursmainsà serrer. Jane et James viennent eux aussi de débarquer du vol de Miami

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apprend-elle en même temps que le nom, Julio, du chauffeur chargé de lesrécupérer.Cedernierdisposetouslesbagagessurlechariotqu’ilaamenéetlesconduit tous les trois jusqu’auparkingoù il a garé savoiture.Au coursde ceparcours,HelenapprendquelecoupleMurphyagagnéceséjour,commeelle,enrépondantsansconvictionàunconcoursorganiséparunecélèbremarquedematérieldeplongée.Ilsontdécouvertcesportlorsd’unvoyageàlaJamaïqueetenconserventunexcellentsouvenir.

—Legrosdelatroupedesplongeursestdéjàparti,àmidi,leurexpliqueJulioavecunfortaccentespagnol,surleSeaWolf45deVirginWatersports.L’agencevousproposedevousacheminerjusqu’àCoralBayenvedetteàmoteurafinquevous puissiez rejoindre au plus tôt le reste du groupe et assister à la soiréed’accueil.Letrajetdevraitdurerunpeuplusd’uneheure.

—Mercidenousaccueillirainsi,répondJane,jemesensenfinenvacances!

«Mevoilà rassurée», penseHelen, appréciant l’accueil qui est réservé auxretardataires.

—As-tudéjàfaitdelaplongée?

—Non,c’estlapremièrefois,répondHelenàJane…Enfin,pourpréparerceséjour,j’aifaituneinitiationenpiscineetj’aihâtededécouvrirlesfondsmarinsdansunespaceplusétenduetplusséduisantqu’unbassinremplid’eauchlorée!

—Tuvasvoir,c’estépatant!

Toutencontinuantàdiscuter, lesdeuxfemmesprennentplacesur lessiègesarrièredelaJeepRenegadegaréedevantlesarcadessoutenantlalonguefaçadedel’aéroport,tandisqueJamess’installeàcôtéduchauffeur.

Jane et James tiennent un commerce de quincaillerie à Rockville, dans labanlieuedeWashington,ilsn’ontpasencored’enfant.

—…

— Diplômée du MIT2 ! Félicitations ! Tu entends, James ? Départementd’aéronautiqueetd’aérospatiale!Tudoisenconnaîtreunrayonsurlecieletlesétoiles!

En quelques minutes sur le trajet de l’aéroport à l’embarcadère, les troispassagers échangent les raisons de leur présence sur cette île des Antilles

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américaines,quelquesfutilitésdeleurexistenceetdesparcellesdeleurhistoire.

Arrivés au ponton avec leurs bagages, Julio les aide à les embarquer sur lebateau.

Le capitaine déjà affairé àmettre lesmoteurs en route déclare son nom aucoursd’unebrèvepoignéedemainqu’ildonneàchacun,maisdanslebruitdesmachines,quandvientsontour,Helennel’entendpas.L’hommeal’airpressé…« Prenez place où vous voulez ! Si vous allez sur le pont, quittez avant voschaussures!ordonne-t-il.»

Julioaidelecapitaineàlarguerlesamarresetfaitensuitedelargessignesavecsesbras,enagitantsonchapeau,poursaluerlestouristesqu’ilaaccompagnés.

Dèslasortieduport,lecapitaineaccélèrelepetityachtquifileàpleinrégime.

Il est déjà presque 6 heures de l’après-midi. Helen s’est installée sur labanquette à deux places devant la cabine de pilotage, assise, appuyée sur sescoudes, respirant l’airdu large,dans lachaleurdecettesoiréedu5septembre,lescheveuxauvent,balancéeparletangage,bercéeparlebruitdesvaguesqui,sousl’étrave,enchuintant,s’ouvrentcommedessouriresdelamerendéversantdeslèvresd’écume.Puiselles’allongeet,lesyeuxauciel,laisseerrersonesprit.Lesoleilaamorcésachuteversl’ouest.C’est l’heuredélicieuseoùsesrayonscaressent lapeau sans éblouir le regard.Ellepense àDavidqui n’apasvoulul’accompagner,ellesongeaudernierrepasprisavecluiaucoursduquelilavaittropbu, auxquestionsqu’il lui avait posées sur sa famille…Elleveutoubliertout ça…ce séjourdevrait le luipermettre. Janevient la rejoindre sur cepetitespace.Helen se pousse un peu pour lui faire de la place et remarque qu’elleaussi a quitté ses chaussures. Jane s’assoit, étend ses jambes, s’appuie sur ledossieretsemetàlireunexemplairedeNationalGeographicjusqu’àcequelanuittombe,rapidement,commeellelefaitsousceslatitudes.

—Tudors,Helen?

—Non,lespectacleesttropbeaupournepasenprofiter.

Lesoleilaplongédanslamer,commepourseguérirdesonincandescence,enflammant encore quelques nuages avant de disparaître, la lune s’est levée àl’est,au-dessusde l’horizon,majestueuse,semblantvouloirprendrepossessiondel’espaceainsi libéré.Sablancheclartééteint lesétoileslesplusindécisesetdévoile l’horizon sanspour autantpercer les abîmesgisant sous les flotsnoirs

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entourantlebateau.

—Penses-tuqu’ilexistedesgensquinousregardentdelà-haut?

—Peut-être, on découvre régulièrement des exoplanètes dont certaines sontsusceptiblesd’hébergerlavie.

—J’ailuçaeneffet.

— En fait, on ne sait pas si la vie, telle que nous la connaissons, apparaîtinévitablement lorsque l’environnement la rendpossible, ou si au contraire leschances de son éclosion sont infimes… Autrement dit, on ne sait pas si lesmécanismes d’organisation de la matière en œuvre depuis le Big Bangconduisentinévitablementàlavielorsquelesconditionsdesonapparitionsontréunies.

—J’ailuaussiquel’onavaitenvoyédesmessagesdansl’espaceàdestinationdesextraterrestres.

— Oui, mais ces bouteilles à la mer ont peu de chances d’être un jourrécupérées, et si cela survenait, nous aurions sans doute déjà disparu, je veuxdire,nousleshumains…

—Pourquoidis-tucela?

— Nous n’avons jamais capté nous-mêmes de signaux émis par des êtresintelligents,vivantsurd’autresplanètes.Certainsscientifiquesprétendentquelapériodeaucoursde laquelleuneespècecommelanôtreestcapabled’envoyerouderecevoirdessignauxdel’espaceestinfimeàl’échelledutempscosmique,autrementdit, la duréedenotre existence en tant qu’espèce communicante esttropfaiblepourquenouspuissionsrecevoircesmessages.

—Tupensesalorsquenotreespèceestdestinéeàdisparaître?

— C’est le sort des espèces en général. Dans l’histoire de notre planète,beaucoupd’entre ellesontdisparu.Pour laplupart,onne saitpaspourquoinicomment.Lanôtrerisquelemêmesort.

— Nous savons pourtant nous soigner, notre espérance de vie ne cesse decroître.

— Oui, mais nous sommes menacés par d’autres cataclysmes : un gros