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Juin 2006, vol. 6, n° 2 Droit, déontologie et soin 147 É DITORIAL Histoire de confiance Gilles DEVERS La règle est posée par l’article L. 1116 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 : tout patient lors de son hospitalisation doit être invité à désigner une personne de confiance qui sera consultée si le patient n’est plus à même de s’exprimer avec discernement, du fait de l’avancement de la maladie. Le dialogue ainsi encouragé à l’hôpital : qui n’applaudirait pas de bon cœur ? Chacun comprend bien le sens de la loi : alors que je sens ma vigilance s’affaiblir, je confie à un proche, en qui j’ai toute confiance, le soin de prendre le relais pour exprimer mes attentes et mes convictions. Et la loi, sagement, précise que ce tiers confiant, par ses avis, participe d’une bonne prise en charge et du respect du consentement. Fort bien, si ce n’est que l’on est pas obligé d’être d’accord. Parce qu’il n’est pas interdit de penser que la loi, toute de bonnes intentions, s’égare et remet en cause l’essentiel. Car, justement, l’essentiel c’est la confiance. Précieuse confiance, qu’il faut savoir créer face à la souffrance, au doute, à la peur de la mort. Confiance qui doit reposer sur deux blocs, la science d’une part, et l’humanisme d’autre part, dont chacun, quelles que soient ses compétences et sa fonction, est le garant. Une construction de la confiance qui puise dans le passé et se nourrit de l’espoir dans le futur. Une confiance à la fois objective et subjective, partagée et intime. Une confiance qui aide à accepter le passage vers l’autre, le fait de s’en remettre à autrui pour combattre et, si possible, triompher de la maladie. Alors, s’il existe une personne de confiance, c’est bien le corps soignant, et c’est cette confiance envers le corps soignant qui mérite tous les égards, toutes attentions. Désigner une personne de confiance, sans référence à la maîtrise de la science ou à la pratique des soins, se place en contrariété frontale avec ce que doit être le rapport humain dans les établissements de santé. Aussi, il est difficile de faire confiance à la personne de confiance.

Histoire de confiance

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Juin 2006, vol. 6, n° 2

Droit, déontologie et soin

147

É

D I T O R I A L

Histoire de confiance

Gilles D

EVERS

La règle est posée par l’article L. 1116 du code de la santé publique, issude la loi du 4 mars 2002 : tout patient lors de son hospitalisation doit être invitéà désigner une personne de confiance qui sera consultée si le patient n’est plusà même de s’exprimer avec discernement, du fait de l’avancement de la maladie.Le dialogue ainsi encouragé à l’hôpital : qui n’applaudirait pas de bon cœur ?Chacun comprend bien le sens de la loi : alors que je sens ma vigilance s’affaiblir,je confie à un proche, en qui j’ai toute confiance, le soin de prendre le relaispour exprimer mes attentes et mes convictions. Et la loi, sagement, précise quece tiers confiant, par ses avis, participe d’une bonne prise en charge et du respectdu consentement.

Fort bien, si ce n’est que l’on est pas obligé d’être d’accord. Parce qu’iln’est pas interdit de penser que la loi, toute de bonnes intentions, s’égare etremet en cause l’essentiel.

Car, justement, l’essentiel c’est la confiance. Précieuse confiance, qu’il fautsavoir créer face à la souffrance, au doute, à la peur de la mort. Confiance quidoit reposer sur deux blocs, la science d’une part, et l’humanisme d’autre part,dont chacun, quelles que soient ses compétences et sa fonction, est le garant.Une construction de la confiance qui puise dans le passé et se nourrit de l’espoirdans le futur. Une confiance à la fois objective et subjective, partagée et intime.Une confiance qui aide à accepter le passage vers l’autre, le fait de s’en remettreà autrui pour combattre et, si possible, triompher de la maladie.

Alors, s’il existe une personne de confiance, c’est bien le corps soignant,et c’est cette confiance envers le corps soignant qui mérite tous les égards, toutesattentions.

Désigner une personne de confiance, sans référence à la maîtrise de lascience ou à la pratique des soins, se place en contrariété frontale avec ce quedoit être le rapport humain dans les établissements de santé. Aussi, il est difficilede faire confiance à la personne de confiance.