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Hommes et métiers de cinéma

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HOMMES

ANDRÉ BONNE ÉDITEU

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T MÉTIERS DE CINÉMA

PIERRE LEPROHON

, RUE LAS-CASES - PARIS

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AVANT-PROPOS

L E cinéma, qui est pour vous le divertissement le plus familier, est aussi, pour d'autres, un métier. Un

métier ? Il faudrait plutôt dire cent métiers. Cent métiers qui touchent aux domaines les plus divers de l'art, de l'industrie et du commerce. Cent métiers qui vont de la création artisti- que aux besognes les plus humbles de l'ouvrier, sans qui pourtant, ce film que vous allez voir ne pourrait être.

Métiers souvent passionnants et qui exigent, plus que d'au- tres, d'être exercés avec amour. Métiers difficiles toujours, pénibles en bien des circonstances, et parfois dangereux, qu'il s'agisse des comédiens ou des « cascadeurs ».

C'est pour vous les faire connaître que ce livre a été écrit. Mais il ne s'agit pas ici d'un guide. Nous n'avons pas

voulu faire de ce « documentaire », un manuel. Nous avons voulu seulement vous inviter à pénétrer avec nous dans ce qu'on pourrait appeler « les coulisses du cinéma » pour vous montrer « comment on fait un film ».

Pour vous révéler ces hommes et ces métiers de cinéma,

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fallait-il rédiger des définitions, établir des rapports, com- menter des textes ? Nous avons préféré, au fil des souvenirs de vingt ans de reportages à travers les studios et les lieux de tournage les plus divers, évoquer ces hommes à l'œuvre pour dévoiler la diversité et les exigences de leur tâche. Nous avons préféré vous rapporter ce que ces hommes eux-mêmes nous ont dit de leur métier.

Sans doute sera-t-il question, le plus souvent, de films réa- lisés dans les années 50 à 60. Beaucoup prennent déjà leur place dans l'histoire de notre cinéma, et ce sont eux que vous voyez surtout sur les chaînes de la télévision.

Les hommes passent. Les films se succèdent. Le métier lui- même évolue — nous le verrons — mais il ne change guère ; il est souvent, aujourd'hui comme hier, plus et mieux que cela. Il est l'accomplissement d'une œuvre à laquelle chacun doit apporter sa science, sa volonté, mais aussi, et peut-être d'abord, son enthousiasme et sa foi.

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Nous devons à l 'obligeance de la revue T E L E - C I N E , organe de la « Fédéra t ion Loisirs et Cul ture c inématographiques » d 'avoir pu rep rendre le t i t re du p résen t ouvrage, déjà employé pa r cet te revue, pour une série d ' in terviews publiée en 1961. Qu'elle en soit ici remerciée.

© 1968 by André BONNE, Paris .

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COMMENT ON TOURNE UN FILM

N ous tournons demain en mer, sur un cargo, mais nous partons à six heures et demie du

matin... C'est sur le quai je ne sais plus quoi... Ce « tuyau », un jeune homme me le donnait à

Nice, voilà bien des années, alors que j'arpentais la place Masséna, me demandant comment je pourrais joindre l'équipe du film Manon en tounage dans la région. Trois individus avaient attiré mon atten- tion — cheveux en bataille, chemise débraillée, pantalon de toile remonté à mi-jambe, ils étaient, à n'en pas douter, de l'espèce « cinéma ».

« Le tuyau » était bon. Le lendemain, à six heures, un camion déchargeait déjà le matériel de prises de vues pour le monter à bord. Quelques instants plus tard, tout le personnel arrivait par cars et enfin le metteur en scène H.-G. Clouzot, lui-même, vêtu d'un short bleu marine et d'une chemisette flottant au

vent, pipe aux lèvres et lunettes noires. Il descen- dait de voiture, accompagné des « officiels » et d'une gamine qu'on eût prise pour sa fille et qui n'était autre que Manon.

— Monter à bord ? Pourquoi pas ? Le cargo sur lequel, pendant quatre ou cinq

jours, va se tourner Manon est un vapeur d'assez beau tonnage qui fait généralement Nice-Marseille- Oran et quelques ports d'Afrique du Nord. Le commandant est un énorme gaillard, débonnaire et jovial. Les officiers sont en short kaki, très « jeu-

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nes premiers » et l'équipage est marseillais avec un accent qui ne trompe pas. Les cuisiniers sont chi- nois, comme il se doit et les soutiers nord-afri- cains : un cargo très classique.

Je profite des préparatifs pour éclairer ma lan- terne et grimpe auprès de la script, Mme Reuzé, qui va me donner les grandes lignes du sujet adapté du roman de l'abbé Prévost, mais transposé dans l'époque moderne, c'est-à-dire très loin de l'opéra et de ses roucoulades. On y retrouvera pourtant Des Grieux, Manon et son frère Lescaut. Le pre- mier est F.F.I. ; le second fait du marché noir et ce trio se laisse entraîner en d'assez fâcheuses histoi- res au bout desquelles il n'y a qu'une issue : la fuite. C'est précisément cette fuite qui se passe à bord du cargo : un cargo emmenant clandestine- ment des Juifs vers la Palestine.

Tous les personnages de l'intrigue ne sont pas à bord. Mais voici Michel Auclair qui joue Des Grieux. Un foulard autour du cou, il soigne une angine au vent du large. Il ne tournera pas aujour- d'hui, mais il est venu en camarade. La petite fille du quai est remontée sur le pont, maquillée, méta- morphosée, prête à tourner. Elle porte une longue robe verte à pois blancs, déchirée sur l'épaule, une chevelure blonde et de grosses lunettes d'écaille sur un nez minuscule. Elle a un visage et un air d'en- fant gâté, boudeur et têtu, que vient éclairer sou- dain un sourire amusé. On eût dit autrefois, une beauté « chiffonnée ». Elle s'appelle Cécile Aubry.

Après quatre années de danse, dont une au Con- servatoire, elle suivait un cours dramatique quand Clouzot la remarqua. Il cherchait une interprète

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pour son film et la convoqua... avec cent autres jeunes filles pour le fameux « bout d'essai ». La chance était minime, car beaucoup des candidates avaient plus de références et d'expérience que la petite Cécile Aubry. Ce fut elle pourtant qui l'em- porta. Il fallut encore d'autres essais, des répéti- tions en studio, mais décidément le choix était bon : Cécile Aubry serait Manon.

Comme je m'étonne de la toilette de l'héroïne au moment d'une traversée, Cécile Aubry me pré- cise que Manon a été appelée par téléphone alors qu'elle se préparait à se rendre à une soirée. Et elle est partie pour Marseille où l'occasion d'un départ clandestin s'offrait aux fugitifs. Manon a ajouté à sa toilette un immense chapeau de paille orangé qui tient des styles niçois et mexicain. Mais cela, c'est pour le soleil, car Cécile Aubry a une peur terrible du soleil.

Son impression en se voyant pour la première fois à l'écran ? Comme toujours, assez pénible : « Et puis, on s'habitue à cette nouvelle figure qu'on voit, qui n'est ni mieux ni plus mal que celle que l'on croyait avoir ; mais combien différente ! »

J'apprends encore que Cécile Aubry est pari- sienne et qu'elle habite toujours la maison où elle est née.

Pendant que nous bavardions ainsi sur le pont, le cargo a pris le large. Au loin, sous une brume de chaleur, toute la côte s'étale, de l'Esterel aux premiers caps italiens. On reconnaît Antibes, Nice, Monaco, Eze sur son rocher et en arrière, les crou- pes des premières collines, la chaîne frontière tache-

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tée de neige éclatante. Au-dessus de la mer, un immense ciel bleu.

Je quitte Cécile Aubry pour faire le tour du pont. Le metteur en scène est déjà en pleine action. Il n'est plus seulement cinéaste, mais marin et donne ses indications avec une assurance qui laisse les assistants abasourdis : « Commandant, 15° tribord, s'il vous plaît ! » Le navire change un peu son orientation. Clouzot a déjà l'œil à la caméra, dis- pose ses figurants. On va tourner ainsi, au cours de la matinée, de nombreux plans très courts qui ne sont que des détails d'atmosphère : un homme, le torse nu, scrutant l'horizon, des femmes qui font leur lessive sur le pont, un jeune Israélite qui joue de l'harmonica auprès de ses compagnons en route vers la « Terre promise ».

Pendant ce temps, les officiers et les marins — les faux — bavardent avec leurs « collègues » authentiques. Quant aux officiers du bord — les vrais — ils profitent de leurs loisirs pour faire de la photo. Acteurs et techniciens posent avec com- plaisance. Avec tant de complaisance que Clouzot s'écrie tout à coup :

— J'ai déjà vu des « cabots » dans ma vie, mais comme les techniciens, jamais !

La soupape de sûreté laisse brusquement échap- per sa vapeur blanche avec un bruit assourdissant. Sivel a coupé le son tout aussitôt, mais Clouzot et son opérateur Thirard n'en ont pas moins continué à tourner. « Il y a des moments où il faut faire de l'Actualité », dit le metteur en scène. Mais l'ingé- nieur du son ne l'entend pas de cette oreille et rentre dans sa cabine en pestant. William Sivel est

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un personnage considérable. Quand il est au tra- vail, il a l'air d'un dompteur de fauves, d'un boxeur prêt à affronter l'adversaire. Il s'est installé dans le poste de radio, au plus haut point du pont, mais il en sort à tout instant, suant, soufflant, hurlant, postillonnant, gesticulant, comme un diable échappé de sa boîte. Il a ses arguments, et quand il n'en trouve plus, il lance à Clouzot, rageur : « Tu n'ai- mes pas ça, mais tu seras bien content de le trou- ver là-haut ! » Là-haut, ce doit être au studio, au montage, quand tout ce remue-ménage deviendra un film.

L'œuf de « Manon »

Les heures ont passé. Un dernier plan est pré- paré. Selon son expression familière, Clouzot s'écrie : « On se l'envoie ! » Et la scène est tour- née. Il est temps maintenant de penser au déjeuner. Les directeurs et les vedettes sont invités à la table du commandant, mais pour les techniciens la pro- duction a fait embarquer des vivres que le régis- seur Loutrel, promu caporal d'ordinaire, distribue aux ayants droit dans l'entrepont.

Le Boudjmel est plus que jamais un cargo d'émi- grants. Des groupes se sont formés sur le pont, dans la coursive, pour consommer un frugal déjeu- ner. Les Juifs ont ouvert leurs valises et s'accom- modent des provisions dont ils se sont munis. Maî- tre d'hôtel et cuisiniers chinois s'affairent à leur tour, mais avant deux heures, l'assistant Serge Val-

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lin, et bientôt Clouzot lui-même, sonnent la « reprise ».

Pour l'avoir souvent vu tourner, je connais sa méthode. Clouzot est de ceux qui ne se contentent pas de diriger : il travaille. Il ne tourne pas un plan sans avoir lui-même choisi son angle, disposé ses acteurs, vérifié la scène à la camera. Il est par- tout à la fois. C'est maintenant Cécile Aubry qui prend place devant l'appareil. Clouzot lui explique la scène en deux mots : « Tu es seule, tu te coif- fes mélancoliquement et puis, tout à coup tu aper- çois ce miroir devant lequel un homme se rase... Tu t'approches... C'est la coquetterie qui se réveille... et tu souris au miroir... Allez, tu comprends, mon coco ? »

Le « coco » fait « oui » de la tête et lisse ses che- veux blonds, mais il faut regarder le soleil éblouis- sant, et les yeux de Manon clignotent sous la lumière. On dispose au-dessus d'elle un immense tulle soutenu par deux bambous : « Té, nous allons marcher à la voile », dit un matelot. On couvre de mousseline rose les réflecteurs. Mais Manon en est presque aux larmes. « Trois tulles, je ne peux pas faire plus, dit Clouzot ; fais un effort, mon petit ! » On tourne enfin la courte scène à la satisfaction des techniciens.

Le soleil a dû être vexé de déplaire à la vedette, car il se voile maintenant la face sous une brume qui vient de la terre. Il est cinq heures. Brusquement, le vent fraîchit, la mer moutonne. Tout le monde s'in- quiète. Va-t-on cesser de tourner ? Clouzot inspecte le ciel. Une large trouée luit encore sur Cannes : « Cap au soleil, lance le metteur en scène, en avant

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toute ! » Pendant un quart d'heure, on va tenter de gagner l'orage de vitesse. On double Antibes et l'on est bientôt en vue de Cannes et des îles de Lérins. Mais le ciel se prend de plus en plus. De petites vagues frangées d'écume roulent devant le cargo. L'assistant-opérateur qui, ce matin, par calme plat, était livide du mal de mer, se sent maintenant en pleine forme à l'approche du mauvais temps.

Le soleil ne laisse plus que des traînées lumineu- ses dans un ciel d'encre. Mais Clouzot ne renonce pas. Il a déjà pris son découpage, sauté les pages. Il va tourner les scènes du débarquement.

Serge Vallin rassemble les figurants : « Préparez- vous à débarquer ! — Déjà ? fait une voix. — Dans le film, précise l'assistant, pas à Nice ! » Les Juifs, rabbin en tête, se massent devant le bastin- gage, tandis que deux matelots du bord — deux vrais — disposent « l'échelle de maçon », lestée d'un fût vide, pour le débarquement, lui aussi clandestin.

Sous le vent qui souffle dans les cordages, dans cet éclairage tragique, une activité fébrile anime tout le pont du cargo. C'est alors que du haut de son poste, contemplant la scène avec admiration, Sivel s'écrie dans le tumulte, d'une voix de stentor : « Quand même, tout ce qu'on peut faire avec un œuf dur ! »

Fou rire général. Le mot fera fortune. A mesure que les heures passeront, « l'œuf de Manon » aura de plus en plus la vedette. Mais Serge Vallin ne laisse pas retomber le zèle des « petits rôles ». « Allez, les courageux ! » Il s'agit d'enjamber le pavois, de descendre à l'échelle sur le flanc du cargo vers d'hypothétiques barcasses. Mais il n'y a que le

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vide au-dessous, et la manœuvre est d'autant plus inquiétante que la mer est mauvaise. C'est une jeune campeuse au sac lourdement chargé qui prend la tête et doit descendre presque au niveau des flots pour permettre à deux ou trois camarades de la sui- vre et de disparaître à leur tour du « champ » de la camera.

Les choses se passent pourtant au mieux : per- sonne ne tombe à la mer.

Les projecteurs ont remplacé le soleil défaillant. Cela compose un éclairage magnifique. La côte, maintenant proche, n'est qu'une barre de montagnes où les détails disparaissent. Clouzot a pour ces scè- nes le temps qu'il désirait. Aussi tourne-t-il sans répit. A huit heures du soir, il fait encore enregistrer pour la « transparence » des effets de ciel, car il craint de ne plus retrouver une lumière aussi conforme à ses besoins.

Le port de Nice est enfin en vue. Un coup de sirène appelle le pilote et le bateau arrive bientôt à quai. Tout le monde s'est groupé sur le pont, face au débarcadère, mais la manœuvre est assez délicate. C'est cette fois aux matelots — ils n'ont pas perdu la leçon — à s'écrier avec autorité : « Attention ! Dégagez le champ ! »

On a l'impression de revenir d'un vrai voyage. Quatorze heures de mer. Une assez jolie traversée ! Le producteur, M. Decharme, est venu attendre ses passagers, et s'informe de la chose qui l'intéresse : « Combien de plans ? — Trop, répond Clouzot. Quatorze ! »

Ailleurs, on donne aux terriens les impressions

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du voyage. « Nous sommes brunis, hâlés... affamés, rugit Sivel. Quatorze plans pour un œuf dur ! »

Manon a repris sa tenue niçoise : pull-over de laine bleue de ciel d'Ile-de-France, short très court, couleur de ciel de Provence. Ce n'est plus une vedette, ni même, semble-t-il, une amoureuse, mais une petite fille qui revient de vacances.

Il est neuf heures du soir quand nous débarquons. Et je m'enfuis en hâte, aussi affamé que Sivel, sans écouter le rendez-vous que Clouzot donne à son équipe pour le lendemain : « A sept heures tapant ! » Nice aussi est devenue la « Terre pro- mise »...

Extérieurs et intérieurs

Pour cette équipe dont nous avons suivi le délicat travail, cette journée fut semblable à tant d'autres avec ses efforts, ses incidents, ses « coups de gueule » parfois, et sa bonne humeur. Nous devions la retrouver un peu plus tard au studio où l'on tour- nait cette fois les intérieurs.

C'est sur d'autres exemples — d'autres souve- nirs — que nous examinerons la tâche de chacun. Le cinéma, comme beaucoup d'industries modernes, est fait de travail collectif. Mais ici, il n'y a guère que des spécialistes et la mission de l'un n'est jamais identique à celle de l'autre. Toutes concourent pour- tant au but commun : le film.

Pour retrouver l'équipe au travail, pénétrons maintenant dans le studio que l'on nomme justement « l'usine aux images ». On y tourne encore le plus

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souvent les scènes dites d'intérieurs, c'est-à-dire cel- les qui ont pour cadre l'intérieur d'un lieu habité, mais aussi parfois les rues d'une ville ou certains sites de plein air, quand les conditions de ces lieux ne permettent pas leur adaptation à l'époque au cours de laquelle se situe l'action du sujet. Presque tous les films dits historiques exigent donc le tour- nage en studio ou sur de vastes terrains adjacents, où sont édifiés — en matière factice — les décors plus ou moins importants parmi lesquels doivent se dérouler les divers épisodes de l'intrigue.

« L'usine aux images » comporte donc de nom- breux départements et fait appel à des corps de métiers très différents, puisqu'il ne s'agit pas seule- ment d'impressionner de la pellicule, mais d'abord de composer le cadre de l'action qui s'inscrira sur cette pellicule, de bâtir le décor où évolueront les personnages.

La France comptait autrefois une quinzaine de studios de cinéma, la plupart situés dans la banlieue parisienne, à Billancourt, à Joinville, à Saint-Mau- rice, à Courbevoie, à Neuilly. Le grand studio Gaumont — le plus ancien demeuré en activité — est installé aux Buttes-Chaumont, en plein Paris. Nice dispose, depuis l'époque du cinéma muet, du studio de la Victoire et Marcel Pagnol en fit instal- ler un à Marseille quand il abandonna le théâtre pour le cinéma.

Plusieurs studios parisiens ont aujourd'hui cessé leur activité dans le domaine du cinéma. Certains ont disparu, d'autres travaillent désormais pour la télévision. Nous verrons plus loin les raisons de cette désaffection, bien que la production des films

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soit en France sensiblement la même qu'il y a quinze ans.

Les prises de vues en extérieurs sont soumises à plusieurs aléas dont les principaux sont évidem- ment le temps et la saison. Le metteur en scène ne peut commander au soleil et s'il peut organiser arti- ficiellement la pluie — à l'aide de lances d'ar- rosage et de puissants ventilateurs — l'inverse ne lui est pas possible. On a vu des équipes immobili- sées sur le terrain pendant des jours, voire des semaines, dans l'attente du beau temps, ce qui entraîne des pertes considérables pour la produc- tion. C'est donc en fonction de la saison que l'on prévoit la date de tournage en extérieurs. Celle du tournage en intérieurs est liée à la disponibilité du studio et à celle des acteurs et des techniciens.

La réalisation des scènes d'un film ne dépend en aucune façon, on le sait, du déroulement chro- nologique de l'histoire qu'il va raconter. On peut le commencer par les scènes finales, si la facilité du travail l'exige ainsi. En fait, on tourne les unes à la suite des autres, toutes les scènes qui se situent dans le même décor. La remise en place de cha- cune constitue l'élément essentiel du travail de mon- tage dont nous parlerons le moment venu.

Il convient cependant de faire coïncider le mieux possible l'époque du tournage en extérieurs avec celle du tournage en studio, cela afin de limiter la durée de réalisation du film qui représente une immobilisation de capitaux importants. Bien qu'un long stade de préparation ait précédé cette réali- sation, c'est au moment où débutent les prises de vues, soit en extérieurs, soit en intérieurs, que le

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film entre vraiment dans sa période d'exécution. C'est alors, selon l'expression consacrée, que l'on donne « le premier tour de manivelle » — expres- sion tout à fait symbolique, la manivelle des pre- miers appareils ayant depuis longtemps disparu des caméras.

Dans l'usine aux images

On ne pénètre pas aisément dans « l'usine aux images ». A l'entrée du studio veille un cerbère redoutable, le concierge des bâtiments qui en inter- dit l'accès aux curieux. Il ne laisse entrer que les visiteurs accrédités ou autorisés par la fiche de visite transmise au préalable à la personne que l'on veut voir. Ici plus que partout ailleurs, « le temps, c'est de l'argent ». Une journée de travail en stu- dio représente plusieurs millions dans le budget du film. Il n'est donc pas question d'y perdre la moin- dre minute qui, à elle seule, coûte très cher ! Et ici, répétons-le, le résultat final dépend du travail de chacun.

La plupart des studios français appartiennent à des sociétés privées. Seules les grosses firmes de production comme Pathé et Gaumont possèdent leurs propres studios. Généralement, le producteur qui entreprend un film loue cette « usine » pour une durée déterminée par le plan de travail établi par le directeur de production. Ce plan de travail a pour but de prévoir très exactement le temps de tournage. Il faut y ajouter celui du montage des décors et celui de leur démolition. Dans ces condi-

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tions, un film moyen demande l'utilisation du stu- dio pendant douze à quinze semaines de « plateau ». Parfois moins, parfois davantage, selon le genre du sujet, la qualité de la production ou les méthodes du réalisateur.

On entend par ce terme de « plateau », le lieu même dans lequel on tourne. Chaque studio possède généralement plusieurs plateaux, ce qui permet la réalisation simultanée de plusieurs films.

La loge d'entrée franchie, c'est vers ce « plateau » que le visiteur autorisé est alors conduit. Là encore, le temps et l'évolution des techniques ont changé bien des choses. Autrefois, le plateau de prises de vues pouvait être un simple hangar bruyant d'une activité fébrile. Au temps du cinéma muet, le met- teur en scène lançait ses ordres à l'aide d'un porte- voix, tel le capitaine du navire, le « maître à bord » qu'il est en fait. Pendant ce temps, dans un autre coin du studio, les ouvriers construisaient le décor des scènes suivantes.

Quand vint l'ère du cinéma parlant, tout changea. Un petit appareil venait de faire son entrée sur le plateau : le microphone, attentif à saisir le moindre bruit. Mais il ne devait transmettre à la pellicule sonore que les paroles des acteurs et les effets sono- res de l'action. Tout autre bruit devint l'ennemi n° 1.

Il fallut donc observer le silence le plus strict pen- dant les prises de vues et, de plus, rendre le pla- teau insonore pour éviter que des sons extérieurs ne viennent s'inscrire, eux aussi, sur la pellicule.

Voilà pourquoi le visiteur que nous avons laissé avec son guide, verra s'allumer à la porte du plateau une lampe rouge qui en interdit l'accès. C'est qu'à

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ce moment, on tourne sur le plateau et qu'il est par conséquent défendu d'en ouvrir la lourde porte capi- tonnée. Il faut attendre que la lampe s'éteigne. Cela a lieu quand, le plan étant enregistré, l'équipe va passer à un autre plan. On peut alors pénétrer sur le plateau ; la consigne de silence étant rompue jus- qu'à la prochaine « prise ».

Ce qui frappe immédiatement le visiteur, c'est le décor de la scène.

La salle de palais que vous verrez à l'écran n'a généralement que deux ou trois côtés et pas de pla- fond. Là, le roi recevra ses courtisans, le jeune héros sera fait chevalier ou, s'il s'agit d'un cadre plus modeste, ce sera l'appartement où le mari rejoint son épouse.

Au-dessus d'eux, ceinturant les murs — qui ne sont faits que de contre-plaqué ! — une rangée de projecteurs à incandescence — appelés spots ou sun- lights, terme anglais qui prévalut longtemps, ou encore « casseroles », en terme de métier. Devant le décor, l'appareil de prises de vues installé sur un bâti solide, s'il s'agit d'un plan fixe, ou sur rails, s'il s'agit d'un travelling, c'est-à-dire d'une scène au cours de laquelle la caméra devra suivre l'évolution des comédiens ou simplement s'éloigner ou se rap- procher d'eux, ou modifier de quelque façon, ce qu'on appelle « l'angle de prise de vues ».

Nous retrouvons sur le plateau toute l'équipe au travail, groupée face au décor : le metteur en scène et ses assistants, la script-girl, attentive au moindre événement, l'équipe des opérateurs de la caméra et celle des opérateurs du son, dont le « perchman », personnage chargé de maintenir à distance convena-

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ble des acteurs, la « girafe », sorte de longue et lourde perche dont l'extrémité supporte le micro qu'il convient de placer à la fois à proximité des comédiens dont il doit enregistrer les répliques, et néanmoins en dehors du « champ », ce terme dési- gnant la partie de décor qui sera visible sur la pel- licule.

Le temps exigé pour la préparation d'un plan de tournage — celui durant lequel la lampe rouge demeure éteinte à la porte du plateau — dépend de la difficulté de la scène qui va suivre. C'est alors, en effet, que le metteur en scène ou l'un de ses assis- tants fait répéter aux acteurs le jeu et le texte qu'ils auront à interpréter. En même temps, le chef-opéra- teur — appelé aujourd'hui le directeur de la photo- graphie — fait régler ses éclairages, c'est-à-dire dési- gne les projecteurs qui devront être allumés pour obtenir la lumière qu'il veut avoir sur le décor. Tra- vail long, minutieux, difficile et dont l'importance est capitale, puisque c'est du choix de cet éclairage que dépend la qualité photographique de la scène. C'est alors aussi que le chef-accessoiriste dispose ou modifie l'emplacement des objets qui meublent le décor, selon les instructions qui lui sont don- nées, plaçant ici un fauteuil, ordonnant là une table servie.

Enfin, le décor étant prêt, les comédiens ayant la scène en tête, l'éclairage étant au point, le réalisa- teur s'écrie : « On tourne » — ce qui équivaut au « branle-bas de combat », pour le marin. Le chef- opérateur commande à son tour : « Lumière »... Pro- jecteurs et lampes s'allument — y compris celle de la porte d'entrée. « Silence ! Moteur ! » lance le

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metteur en scène pour donner le départ à la caméra. La lumière « brûle ». Les acteurs sont en place,

maquillés, entrés déjà dans la peau de leur person- nage. Un silence absolu règne sur le plateau. « Cla- quette ! »

Le visiteur voit surgir alors devant la caméra un ouvrier en salopette porteur d'une ardoise qu'il place devant l'objectif tout en rabattant la règle de bois nommé claquette. Cette ardoise est la première image du plan. On y lit par exemple : Fanfan-la-Tulipe — réalisateur : Christian-Jaque. Plan 154. Jour. Prise 1 — tandis que le micro transmet à l'appareil de son le bruit sec de la claquette, puis la voix du « clapman » qui annonce lui aussi : « Fanfan-la-Tulipe. 154. Pre- mière fois... » Ce sont là les repères visuels et sono- res qui permettront au montage de situer la scène dans l'action générale du film.

« Partez ! » crie le réalisateur. Et la scène com- mence...

Méthodes d'hier et d'aujourd'hui

La location du studio comprend, non seulement celle du bâtiment, mais aussi celle du matériel de prise de vues et de son, et celle de la main-d'œuvre ouvrière. La guerre et les difficultés économiques dans lesquelles le cinéma français se débat depuis de longues années n'ont pas permis d'améliorer comme il eût été souhaitable l'installation de nos studios. Il fallut souvent demander à l'ingéniosité des techni- ciens et des ouvriers de suppléer à la carence de l'équipement. « On peut dire que dans chaque

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équipe de studio, il y a au moins deux ouvriers de génie. Et si l'on peut envisager un travail de fortune, c'est parce qu'on a la certitude de rencontrer sur le plateau ces débrouillards extraordinaires. »

Jean Cocteau écrivait ces lignes peu de temps après la guerre, quand tout manquait au magasin d'accessoires et que l'on tournait quand même. Depuis ce temps, des conditions normales sont revenues, mais surtout l'évolution des techniques a modifié profondément les méthodes de tournage.

Celles des jeunes animateurs venus à la réalisation vers les années 1960-1961 — cinéastes de la « nou- velle vague » et du « cinéma-vérité » — tendent à s'écarter de plus en plus du travail en studio pour situer et enregistrer le maximum de scènes en décors naturels (terme impropre, puisqu'un décor ne peut être en aucune façon « naturel » !), plus exac- tement, en plaçant leurs personnages dans la rue, dans la campagne, en tournant parfois sans même interrompre la circulation normale comme on le fait chaque fois qu'il est nécessaire de filmer des extérieurs pour une action moderne. Jean Rouch, pionnier du « cinéma-vérité », et surtout Jean-Luc Godard, pratiquent couramment cette méthode qui consiste à camoufler la caméra de façon à la ren- dre invisible aux regards des passants et à photo- graphier ainsi les acteurs au milieu de la foule. Pour les scènes du film A bout de souffle au cours desquelles on voit Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg descendre les Champs-Elysées, la caméra était placée dans un triporteur qu'un assistant pilotait négligemment. On obtient de cette façon — et à

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moindre frais — un caractère de vérité que la figu- ration ne permet jamais d'égaler.

De telles scènes exigeaient autrefois, d'une part, la construction de coûteux décors, d'autre part, la mobilisation de nombreux figurants. On a vu Marcel Carné faire reconstruire la station de métro « Bar- bès » pour y tourner Les Portes de la nuit et Mar- cel L'Herbier rebâtir Notre-Dame de Paris en Italie, pour des scènes de La Vie de Bohême. Il est bien évident que l'on ne peut bloquer la circulation d'une grande ville pendant plusieurs jours sous prétexte que « l'on fait du cinéma », ni supprimer aux alen- tours des monuments historiques les témoins gênants de l'époque moderne : fils télégraphiques, panneaux de signalisation, etc. Enfin, les bruits parasites, impossibles à éviter en plein air, avaient amené la plupart des réalisateurs, depuis l'avènement du « parlant », à tourner en studio, même les scènes d'extérieurs de leurs films. L'emploi d'appareils lourds et encombrants ne permettait pas davantage de filmer une scène d'intérieur dans un véritable intérieur. Il fallait donc, là encore, reconstituer des salles factices — nous l'avons vu — pour y faire évoluer les personnages.

Or, ces appareils sont devenus, d'année en année, plus légers, donc plus maniables et plus mobiles. On peut utiliser aujourd'hui la caméra à main et dis- simuler un micro dans une cravate. En bien des cas, le lourd matériel de studio est devenu archaïque. On tourne beaucoup plus qu'autrefois en extérieurs et souvent même en « intérieurs réels » c'est-à-dire dans le palais historique ou la gare de province, voire même, comme l'ont fait certains jeunes férus

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de cinéma et pauvres de capitaux, dans un modeste « deux-pièces » transformé en plateau de studio !

C'est évidemment vers cette liberté de réalisation qu'il faut aller. Elle permet de donner au film un accent de vérité impossible avec la reconstitution la plus soignée. Cette méthode a aussi ses inconvénients, mais ceux-ci diminueront à mesure que la technique se perfectionnera encore. Les exigences de la télé- vision, du reportage direct, conduiront à de nou- velles améliorations des possibilités de prises de vues et de sons. Parallèlement, le style du film devient plus souple, plus rapide, se détache de la formule théâtrale imposée pendant trente ans par les exigen- ces du dialogue. Celui-ci tend également à se sim- plifier, à se rapprocher de la vie.

Dans un délai plus ou moins éloigné, il est donc probable que la prise de vues en studio deviendra affaire d'exception.

Les coulisses du studio

Le studio ne comporte pas seulement les plateaux de tournage où s'affairent les techniciens. Il possède aussi de nombreuses dépendances et en premier lieu des bureaux. L'équipe du film dispose de l'un d'eux, appelé bureau de la régie. C'est en quelque sorte l'état-major où sont centralisées les instructions et les consignes de la direction. Le régisseur et ses assistants assurent les rapports entre la production et l'équipe du film, établit les contacts avec l'exté- rieur, convoque comédiens, figurants, techniciens, selon les nécessités du jour de tournage. C'est dans

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le bureau de la régie qu'est affiché le fameux plan de travail sur lequel le travail de chaque jour est noté et suivi.

Plus loin, voici les salles de maquillage et de coif- fure, les réserves d'habillement, les loges d'artistes où les vedettes peuvent s'habiller, se maquiller, se coiffer, se reposer entre deux plans.

D'autres bâtiments abritent les salles nécessaires au travail, non plus artistique du film, mais technique : auditorium pour les enregistrements de la musique et du doublage, le laboratoire pour le développement et le tirage de la pellicule, les salles de montage, et enfin les ateliers de menuiserie et de peinture, les magasins d'accessoires, etc.

Nous verrons au cours des chapitres suivants les multiples phases de cette préparation technique qui fait des bandes négatives impressionnées par la lumière et le son, un film d'où seront tirées les copies positives qui passeront un jour dans l'appa- reil de projection de votre salle de cinéma.

Quand, la lumière éteinte, jaillit sur l'écran le faisceau lumineux, des noms que vous ne connaissez pas défilent sur l'écran. Ce « générique » qui étale trop complaisamment à votre gré le rôle et l'action de chacun, ce n'est pourtant que la liste des princi- paux artisans du film. Combien d'autres, plus modes- tes travailleurs, ont participé à cette œuvre collec- tive ?

Le cinéma fait vivre en France plus de 200 000 personnes ; il nécessite un mouvement de capitaux de l'ordre de 10 à 15 milliards d'anciens francs par année. Il attire dans les salles de projection plus de 400 millions de spectateurs par an.