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Legal risk management : l’expression est partout. Des départements juridiques redéfinissent leur mission autour de ce concept. Les juristes d’entreprises sont toujours plus nombreux à se définir comme des risk managers, et exhortent leurs avocats à les assister dans la gestion du risque. S’agit-il d’un simple effet de mode, du dernier anglicisme en vogue ? Ou bien l’essor de l’expression traduit-elle une véritable évolution ? Nous penchons pour lla seconde hypothèse. No-man Homo Legalus et le legal risk management Juristus Primitivus Le risque juridique a toujours existé : amendes pénales, nullité de clauses contractuelles, indemnités… Le juriste d’entreprise s’est toujours occupé de gérer ces risques. Mais longtemps, le risque juridique est resté mineur (ou perçu comme tel). Cette perception a aussi confiné le juriste d’entreprise dans un rôle secondaire de « support technique » que l’on consulte (et encore…) pour une simple mise en forme de décisions déjà prises. Juristus Primitivus incarne cette époque : un personnage de l’ombre, que l’on dérange peu et qui ne dérange pas grand monde, expert en droit mais peu au fait du business, et qui doit sa longévité plus à sa discrétion qu’à son excellence. A partir des années 80, c’est l’explosion juridique : des règles plus nombreuses et plus complexes, envahissant des domaines toujours plus étendus, et assorties de sanctions bien plus que symboliques (Microsoft forcé de revoir sa stratégie européenne, dirigeants d’entreprise en correctionnelle, etc.). Face à ces risques désormais sérieux, le juriste d’entreprise s’électrise : il devient un « Monsieur Non » qui voit des problèmes et des risques partout. Les clients de No-Man, c’est-à-dire les managers et les décideurs de l’entreprise, sont vite découragés par l’attitude négative et paralysante de ce « deal breaker ». Ils estiment que la prise de risque est inhérente à la vie des affaires, y compris sur le plan juridique. Un juriste qui voit rouge dès qu’il identifie le moindre risque est un obstacle que les managers vont d’ailleurs contourner en sollicitant des avis plus complaisants à l’extérieur ou écartant le juriste d’entreprise des discussions et des décisions stratégiques.

Homo Legalus et le Legal Risk Management

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This article shows how in-house counsel can make their role in corporations more strategic

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Page 1: Homo Legalus et le Legal Risk Management

Legal risk management : l’expression est partout. Des départements juridiques redéfinissent leur mission autour de ce concept. Les juristes d’entreprises sont toujours plus nombreux à se définir comme des risk managers, et exhortent leurs avocats à les assister dans la gestion du risque. S’agit-il d’un simple effet de mode, du dernier anglicisme en vogue ? Ou bien l’essor de l’expression traduit-elle une véritable évolution ? Nous penchons pour lla seconde hypothèse.

No-man

Homo Legalus et le legal risk management

Juristus Primitivus Le risque juridique a toujours existé : amendes pénales, nullité de clauses contractuelles, indemnités… Le juriste d’entreprise s’est toujours occupé de gérer ces risques. Mais longtemps, le risque juridique est resté mineur (ou perçu comme tel). Cette perception a aussi confiné le juriste d’entreprise dans un rôle secondaire de « support technique » que l’on consulte (et encore…) pour une simple mise en forme de décisions déjà prises. Juristus Primitivus incarne cette époque : un personnage de l’ombre, que l’on dérange peu et qui ne dérange pas grand monde, expert en droit mais peu au fait du business, et qui doit sa longévité plus à sa discrétion qu’à son excellence.

A partir des années 80, c’est l’explosion juridique : des règles plus nombreuses et plus complexes, envahissant des domaines toujours plus étendus, et assorties de sanctions bien plus que symboliques (Microsoft forcé de revoir sa stratégie européenne, dirigeants d’entreprise en correctionnelle, etc.). Face à ces risques désormais sérieux, le juriste d’entreprise s’électrise : il devient un « Monsieur Non » qui voit des problèmes et des risques partout. Les clients de No-Man, c’est-à-dire les managers et les décideurs de l’entreprise, sont vite découragés par l’attitude négative et paralysante de ce « deal breaker ». Ils estiment que la prise de risque est inhérente à la vie des affaires, y compris sur le plan juridique. Un juriste qui voit rouge dès qu’il identifie le moindre risque est un obstacle que les managers vont d’ailleurs contourner en sollicitant des avis plus complaisants à l’extérieur ou écartant le juriste d’entreprise des discussions et des décisions stratégiques.

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Juristus Servitius

C’est le paradoxe des scandales dans la foulée d’Enron : les entreprises, pourtant peuplées de juristes de grande qualité, s’engageaient à fond dans l’illégalité. Rendons toutefois justice aux juristes : dans bien des cas, et en dépit de leur volonté d’être proches de leurs clients, ceux-ci les avaient tout simplement contournés pour opérer dans l’ombre. En réaction aux scandales, beaucoup Juristus Servitius sont redevenus des No-man. C’est dans l’air du temps : la « compliance » a le vent en poupe, y compris dans les départements juridiques. Cette régression vers une attitude purement négative est-elle la solution ? Pas sûr.

Super Legalus

Aujourd’hui, le défi du juriste d’entreprise est de réaliser la synthèse du meilleur de No-Man et de Juristus Servitius : c’est Super Legalus. Maintenir la proximité avec le business, le souci du client, le pragmatisme et la recherche de solution, mais tout en aiguisant sa vigilance et en intervenant avec fermeté quand l’entreprise flirte avec des risques juridiques inacceptables. Proche de son client mais toujours indépendant dans son jugement, affûté sur les questions stratégiques et opérationnelles mais intransigeant sur la légalité, disponible mais pas servile, le juriste d’entreprise doit assumer le risque intrinsèque des affaires mais discerner les risques acceptables des autres. La recherche de cette équiilbre, de cette combinaison dynamique, est au cœur du débat actuel dans les départements juridiques.

Antoine Henry de Frahan en Barend Blondé

Cette mise hors jeu ne plaît évidemment pas au juriste d’entreprise. Pour s’imposer dans le cercle des décideurs, il va se convertir à la religion du « service » : le juriste, version Juristus Servitius, est « orienté client », soucieux de la satisfaction de ses clients qu’il mesure régulièrement par des enquêtes. Au service du business, Juristus Servitius se distingue par sa créativité et son pragmatisme. Fini le « non » catégorique de No-man : place à la recherche proactive de solutions. Les managers sont évidemment ravis, et Juristus Servitius devient un allié, un « business partner ». Cette cohabitation se déroule tellement bien que Juristus Servitius s’identifie aux objectifs business de ses clients et oublie de tirer la sonnette d’alarme quand les bornes dont il était censé être le gardien sont dépassées.