22
Michel Gratton JHQV G·E[FHSWLRQ 'HV Grande dame de l’Ontario français Extrait de la publication

HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

Michel Gratton

E

Grande dame de l’Ontario français

Extrait de la publication

Page 2: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

Michel Gratton

Grande dame de l’Ontario français

Extrait de la publication

Page 3: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

Conception graphique et couverture : Mireille CroteauMise en pages : Lison LauriaultPhotos : Fonds de photos GLCorrection : Denis LalondeImpression : Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques

© CFORP, 2011 435, rue Donald, Ottawa ON K1K 4X5 Commandes : Tél. : 613 747-1553 Téléc. : 613 747-0866 Site Web : www.librairieducentre.com Courriel : [email protected]

Tous droits réservés.

Cette publication ne peut être reproduite, entreposée dans un système de récupération ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans le consentement préalable, par écrit, de l’éditeur ou, dans le cas d’une photocopie ou de toute autre reprographie, d’une licence d’Access Copyright, The Canadian Copyright Licensing Agency, 1, rue Yonge, bureau 800, Toronto (Ontario) M5E 1E5.

ISBN 978-2-89581-935-6Dépôt légal — deuxième trimestre 2011Bibliothèque et Archives Canada

Imprimé au Canada Printed in Canada

Le CFORP remercie Gisèle Lalonde d’avoir gentiment accepté de rappeler les faits saillants de son parcours personnel et professionnel au cours d’une série d’entretiens avec l’auteur.

Le CFORP salue la mémoire de Michel Gratton décédé le 13 janvier 2011.

Extrait de la publication

Page 4: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

Table des matières

Une vie en quinze dates 5

L’enfant d’Eastview 7Une enfant chétive à la fibre francophone ........................ 7Un, deux, trois départs ................................................. 9Dans l’ombre des géants ............................................... 11L’éclosion d’une élève douée ........................................ 13

L’enseignante et la conseillère scolaire 15L’enseignante pas née pour un petit pain ........................ 15La candidate efficace dans un univers masculin et secret .. 18La conseillère qui fait bouger les choses en grand ............ 21 à EastviewLa place du français au Conseil des écoles séparées .......... 23 catholiques d’OttawaDans l’univers politique de l’éducation ontarienne ........... 27Dures leçons de vie .................................................... 28

La directrice générale du CFORP 35Des débuts plus que modestes ...................................... 35L’an deux : ça passe ou ça casse .................................... 38Les débuts de l’envol ................................................... 41

Extrait de la publication

Page 5: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

La militante de l’Ontario français 43Le départ fracassant du CÉFO ....................................... 43L’AFCSO ou le mouvement qui s’enclenche .................... 46Le CAFO, passage obligé dans la Ville Reine .................... 47Un premier symposium sur la femme francophone ......... 49Le comité Qui fait quoi? : la cerise sur le gâteau .............. 50

La maire de Vanier 53Une maire marquante qui ne voulait pas de la mairie ....... 53Un vent de renouveau souffle sur la ville ........................ 55L’AFMO, une institution essentielle ............................... 56

La porte-étendard de Montfort 59Montfort fermé : pas possible! ...................................... 59SOS Montfort ............................................................. 61Le Grand Ralliement ................................................... 63Le « Pavillon Montfort francophone » tué dans l’œuf ........ 66La Grande Marche ...................................................... 68Montfort, une question nationale ................................. 70Une décision diabolique .............................................. 71Le départ de madame Montfort ..................................... 74La saga du recours judiciaire ......................................... 75Le prix à payer ............................................................ 77 Un dernier coup de cœur ............................................. 79

Et maintenant? .......................................................................83

Extrait de la publication

Page 6: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

55

Une vie en quinze dates

1933 Le 28 juin, naissance de Gisèle Deschamps à Eastview dans l’est de l’Ontario.

1951 Première année d’enseignement à l’école Montfort d’Eastview.

1954 Le 17 août, mariage avec Gilles Lalonde.

1965 En décembre, élection au Conseil des écoles séparées d’Eastview.

1974 Le 7 janvier, première directrice générale du Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP).

1977 Candidate du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario dirigé par William Davis.

1980 Membre du Conseil de l’éducation franco-ontarienne (CÉFO).

1981 Directrice générale de l’Association française des conseils scolaires de l’Ontario (AFCSO).

1984 En juin, présidente du Conseil des affaires franco-ontariennes (CAFO).

1985 En décembre, maire de Vanier.

1989 Présidente-fondatrice de l’Association française des municipalités de l’Ontario (AFMO).

1996 Membre du comité provincial Qui fait quoi? nommé par le gouvernement de l’Ontario.

Page 7: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

66

1997 Le 26 février, première conférence de presse à titre de présidente du comité SOS Montfort.

1999 Retrait temporaire des activités de SOS Montfort.

2001 Le 7 décembre, victoire de SOS Montfort et de l’Hôpital Montfort à la suite du jugement rendu par la Cour d’appel de l’Ontario.

Page 8: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

77

L’enfant d’Eastview

Une enfant chétive à la fibre francophone

Gisèle Deschamps voit le jour le 28 juin 1933 à Eastview1 dans une maison modeste et peu spacieuse de la rue John, que son

père avait achetée à  son retour de la Première Guerre mondiale (1914-1918).

Elle est la plus jeune des quatre enfants d’Ovila Deschamps et Alice Gravelle. « On m’a appelée Gisèle, dit-elle, parce qu’il s’agit d’un nom que ma mère aimait beaucoup. Elle l’avait découvert dans un livre au hasard de ses lectures2. »

Avec ses quatre enfants – trois filles et un garçon –, la famille Deschamps constitue une famille plutôt petite pour l’époque. Wilfrid, un fils aîné, était déjà décédé d’une pneumonie à l’âge de deux ans. En ces années où la mortalité infantile n’est pas rare, les antibiotiques et l’assurance-maladie n’existent pas encore.

Les premiers souvenirs de la petite Gisèle sont des souvenirs liés à  la maladie. Selon sa mère, elle serait presque morte à  plusieurs reprises. Une pneumonie, puis une seconde pneumonie et, ensuite, la coqueluche, une inflammation des poumons et la rougeole obligent l’enfant chétive à garder le lit pour des périodes prolongées. « J’ai vécu couchée sous une tente de draps blancs. Je devais respirer la vapeur qui montait des seaux remplis d’eau bouillante. Il y en avait tout autour de mon lit » se remémore-t-elle.

Commis-voyageur chez Loeb, son père rentre en général tard le soir. Il se rend directement à la chambre de la petite malade pour la veiller tout en récitant son chapelet. Il ne veut pas la perdre, comme son épouse Alice et lui ont déjà perdu le jeune Wilfrid. « Mais chaque fois, je rebondissais! » de

1 Devenu Vanier en 1969, Eastview est ensuite fusionné à la ville d’Ottawa en 2001. 2 En plus des propos rapportés ici, le lecteur découvrira avec plaisir la voix de Gisèle Lalonde tout

le long du récit intitulé Jusqu’au bout! qu’elle a publié en 2003 aux Éditions du Nordir.

Extrait de la publication

Page 9: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

88

dire Gisèle Lalonde. « Même si je demeurais chétive – on m’avait d’ailleurs surnommée Skinny – et même si je n’avais presque pas d’appétit. Déjà, on disait de moi que j’étais une vraie petite boule d’énergie! »

Vivre à Eastview, c’est un peu vivre dans un monde à part. D’un côté de la rivière Rideau, une petite ville très majoritairement francophone où les Canadiens de langue française sont de fait maîtres chez eux malgré une réelle pauvreté. De l’autre, Ottawa, la capitale du Canada où l’on travaille et fait du magasinage, que l’on visite le dimanche et où la vie française est nettement moins évidente.

Eastview, c’est aussi le berceau de La Patente, c’est-à-dire l’Ordre de Jacques-Cartier, une société secrète vouée à la promotion des francophones et du fait français au Canada. Ovila Deschamps, un bon Canadien français qui fréquente l’église tous les dimanches – et une fois à la retraite, quotidiennement – en est membre. Et comme l’exige la consigne, il n’en parle à personne à l’extérieur de l’organisme. Même pas à sa femme. Pour sa famille, il demeure ce père travailleur s’estimant chanceux d’avoir toujours eu du travail, même pendant la Grande Dépression des années 1930.

En 1937, la famille Deschamps emménage dans la maison qui voit grandir la petite Gisèle. Il s’agit d’un édifice en briques rouges à l’angle du chemin Marier et de la rue Overton, aujourd’hui la rue Montfort. Celui-ci abrite un restaurant-dépanneur au-rez-de-chaussée, le royaume d’Alice dorénavant, et un modeste logement à l’étage, le nouveau nid familial des Deschamps.

« Pendant plusieurs années, ma mère travaillera au restaurant de 7 heures à  minuit. Des journées de dix-sept heures! J’ai grandi dans ce milieu grouillant d’activité et de gens. Un milieu que j’adorais. Un Coke à la main. L’oreille collée au jukebox. J’apprenais les dernières chansons françaises à la mode. Je ne me fatiguais jamais d’écouter la radio. J’adorais Les Joyeux Troubadours et Un homme et son péché. » se souvient-elle.

Les émissions radiophoniques que préfère par-dessus tout la jeune Gisèle sont sans contredit la diffusion des matches de hockey des Canadiens de Montréal et le Ralliement du rire, avec le comédien-comique Ovila Légaré. Elle s’amuse à mémoriser nombre de blagues plus ou moins osées qu’elle répète par la suite à  qui veut l’entendre. Ce goût de faire rire les gens autour d’elle, elle le conservera toute sa vie.

Extrait de la publication

Page 10: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

99

La vie à Eastview est également rythmée par le rituel du chapelet que l’on récite en famille tous les soirs. Au besoin, Alice Deschamps n’hésite pas à fermer le restaurant pendant ce moment de piété familiale.

Bref, les premières années de la jeune Gisèle Deschamps sont assez semblables à  celles d’innombrables autres Canadiens francophones dont on disait souvent à  l’époque qu’ils étaient nés pour un petit pain. Des gens fiers de ce qu’ils sont certes, mais qui ne se perçoivent pas nécessairement comme maîtres de leur destin ou comme des leaders. Encore moins comme des agents de changement social.

Et pour le moment, la petite Gisèle Deschamps s’inscrit parfaitement dans ce milieu.

Un, deux, trois départs

Assez rapidement, cependant, elle est confrontée à une première et dure leçon de vie : celle qui veut qu’on soit souvent, et sans raison apparente, privé des gens qu’on aime le plus. Elle voit s’éloigner son père Ovila, sa sœur Reina et son frère Gérard.

Une journée sans histoire de 1939, toute la famille est sous le choc lorsqu’Ovila Deschamps rentre du travail… vêtu d’un uniforme militaire. Dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans l’armée canadienne comme vétéran. Sans en avoir glissé mot à qui que ce soit. Ce n’est pas qu’il manque de travail, mais il affirme suivre les conseils de son médecin qui lui aurait fait comprendre qu’un homme qui commence à souffrir des reins et de maux de dos devrait se trouver un travail aux heures plus normales.

À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit, et ce, dans des camps aussi bien à Farnham près de Montréal qu’à Monteith dans le grand nord ontarien ou qu’à Medicine Hat en Alberta. Gisèle Lalonde : « Ce qui me faisait de la peine énormément, c’est le fait que mon père ne bénéficierait dorénavant que d’un seul congé de deux semaines par année. Le fameux furlough! Autant dire que je ne verrais plus mon père! »

Alors qu’il est de service à Farnham, Ovila Deschamps obtient néanmoins un congé d’une fin de semaine pour se rendre dans sa famille. Gisèle et sa

Page 11: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1010

sœur aînée Cécile se rendent à la gare ferroviaire accueillir leur père : « Pour ma sœur et moi, c’était là notre premier contact avec les horreurs de la guerre. Des familles en sanglots. Des adieux déchirants. Des retours pleins d’émotion. Des soldats blessés étendus sur des brancards. Des hommes fiers confinés à des fauteuils roulants. Et mon père nulle part. Plus tard, nous apprendrons que son congé avait été annulé à  la dernière minute faute de place dans le train. Je suis rentrée à la maison en pleurant. »

Sa sœur aînée Reina est la deuxième à partir, elle aussi de façon inattendue. À  l’âge de 19 ans, elle annonce son intention de devenir religieuse en joignant les rangs des Filles de la Sagesse, une communauté d’origine française présente au Canada depuis 1885. Pour la petite Gisèle alors âgée de onze ans, Reina, c’est « ma grande sœur, une belle fille aux longs cheveux châtains et à  la personnalité toujours joyeuse. Et, en plus, très populaire auprès des garçons. C’était la fille au grand cœur, celle qui est toujours là pour aider les autres. ».

Gisèle doit se faire à  l’idée que sa sœur choisit de partir en mission en Colombie. Reina y reste neuf ans, durant lesquels elle découvre les dures réalités d’une révolution sanglante et des maladies tropicales, dont la malaria. Quand Reina rentre au Canada, c’est pour Gisèle un nouveau choc. Amaigrie, affaiblie et sans gaieté, sa sœur est méconnaissable. « Je me suis trouvée devant quelqu’un brisé par la vie » reconnaît Gisèle Lalonde. « Après une courte période de repos, elle est repartie en mission pour sept ans en Espagne et, ensuite, pour sa dernière affectation en Papouasie. Elle est revenue au pays pour de bon, alors qu’elle était dans la cinquantaine. Elle apprend alors qu’elle est atteinte d’une tumeur bénigne au cerveau. À la suite d’une opération subséquente, elle devient aveugle. »

Troisième coup dur : lorsque Gisèle voit son frère Gérard partir lui aussi. Il veut devenir prêtre montfortain, une compagnie de la même famille religieuse que les Filles de la Sagesse. Il quitte le milieu familial à douze ans pour devenir pensionnaire au Séminaire Montfort de Papineauville au Québec, à une soixantaine de kilomètres d’Eastview.

Gisèle n’est pas surprise de la décision de Gérard  : «  C’était un enfant très intelligent et généreux. Il servait la messe tous les matins. Nous nous ressemblons : pour lui et moi, pas question d’accepter la défaite! »

Page 12: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1111

Cependant, elle perd plus qu’un frère. Elle voit partir son meilleur ami, son seul confident. Ils parlaient de tout ensemble, et beaucoup de sport. Surtout des Canadiens et de leur nouvelle étoile, Maurice Richard. Ils jouent à la balle ensemble, Gisèle étant la seule qui consent à recevoir les lancers foudroyants de cet excellent lanceur. Ils vont au cinéma régulièrement, surtout pour voir des films de cowboys. Avec son grand frère, la petite Gisèle se sent plus grande.

Une fois ordonné prêtre, Gérard s’en va très loin, lui aussi. Il part comme missionnaire en Papouasie pendant quarante-deux ans. Il est ordonné évêque en 1966. À de nombreuses reprises, Gisèle Lalonde organise des activités de collecte de fonds pour la mission de son frère. Celui-ci revient au Canada en 2002 et, une fois à la retraite, s’installe dans sa paroisse natale.

Dans l’ombre des géants

En l’absence des êtres qui lui sont chers, la petite Gisèle Deschamps, comme tous les enfants, est en quête de grands modèles dans la vie. C’est tout naturellement qu’elle se tourne vers les deux grandes figures de la vie d’Eastview à cette époque. Des figures qui susciteront chez elle le désir de toujours viser plus haut et plus loin.

Dans cette petite ville ontarienne dont les habitants sont à  la fois très francophones et très catholiques, les curés des deux plus importantes paroisses constituent autant de figures imposantes et respectées.

Et, en ces temps où le Règlement 173 est encore présent dans tous les esprits, l’heure est toujours à la protection d’une communauté linguistique fragilisée au sein de paroisses homogènes qui sont en général soucieuses de développement social en plus de leur mission spirituelle. L’heure est aussi à la revendication, à la lutte si c’est nécessaire, en vue d’améliorer le sort des francophones.

Toutefois, et contrairement à  de nombreuses localités abritant des francophones en Ontario, le petit Eastview est administré par un conseil

3 En 1912, le gouvernement de l’Ontario adopte le Règlement 17 qui vise à limiter l’usage du français et à faire de la langue de la majorité anglophone la principale langue d’enseignement au sein des écoles que fréquentent les élèves francophones de la province. À la suite d’une importante période de contestation et de revendication de la part des francophones ontariens, le Règlement 17 est assoupli en 1927 avant d’être aboli en 1944.

Extrait de la publication

Page 13: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1212

municipal entièrement composé de francophones et, à  cette époque, il constitue un milieu qui permet à sa population, francophone à 90 %, de vivre et de s’épanouir en français.

Refusant l’étiquette voulant qu’ils soient nés pour un petit pain, les deux curés d’Eastview, François-Xavier Barrette de la paroisse Saint-Charles et Edmond Ducharme de la paroisse Notre-Dame de Lourdes, n’hésitent pas à poser des gestes audacieux en faveur du progrès des leurs.

Le premier facilite en catimini la création de l’Ordre de Jacques-Cartier, la fameuse Patente. Conçu à  l’origine pour favoriser la promotion des francophones catholiques au sein de la fonction publique fédérale, celui-ci épouse de nombreuses causes dont la bilinguisation de la monnaie et des timbres postaux ou encore l’adoption de l’unifolié comme drapeau canadien ou d’une loi fédérale sur les langues officielles.

Pour sa part, le second milite en faveur de la fondation du Eastview High School en 1949. En dépit du nom, il s’agit presque d’une école de langue française avant l’heure. Elle deviendra l’école secondaire André-Laurendeau vingt ans plus tard. Le curé Ducharme milite également pour la francisation du nom de nombreuses rues, pour le développement des caisses populaires et pour la fondation de l’Hôpital Montfort en 1953, pour lequel Gisèle Lalonde mènera plus tard le combat de sa vie.

Les curés Barrette et Ducharme laissent une empreinte forte sur le milieu et les gens. Les leaders communautaires qui leur succèdent héritent du premier le goût d’un militantisme affirmé, souvent jusqu’au-boutiste, et du second la volonté de poser des gestes concrets en faveur des démunis Sans oublier un profond amour de la langue française et de la culture d’expression française.

Gisèle Deschamps, la petite francophone fidèle à  sa langue et à  sa foi, grandit dans l’ombre de ces deux géants. De façon sans doute pas toujours consciente, elle se laisse imprégner par leur engagement quasi viscéral et leur volonté de fer.

Elle ne le sait peut-être pas encore mais, un jour, elle sera de ces leaders, héritiers des curés Barrette et Ducharme, qui n’hésiteront pas à  poser les gestes nécessaires – au besoin audacieux et impopulaires – au

Extrait de la publication

Page 14: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1313

développement et à  l’épanouissement à  la fois de leur communauté immédiate et de l’Ontario français dans son ensemble.

L’éclosion d’une élève douée

Mais, pour l’instant, Gisèle Lalonde est entièrement occupée à être une élève modèle à l’école Montfort et, plus tard, au Couvent Notre-Dame de Lourdes, deux écoles d’Eastview4.

À l’école Montfort, la petite Gisèle Deschamps fait un peu effet de prodige malgré sa timidité et sa santé chancelante. Arrivée à l’âge de cinq ans en 1re année, où elle ne séjourne que deux mois puisqu’elle savait déjà lire, elle termine sa 8e année à dix ans après avoir « sauté » la 3e et la 5e année. La pratique de « faire sauter une classe » aux élèves doués est assez fréquente à  l’époque. Ce qui l’est moins, c’est qu’une fillette de dix ans se trouve à l’entrée du cours secondaire, ce qui est le cas de Gisèle Deschamps après avoir réussi les examens d’entrée qu’il fallait obligatoirement passer en anglais!

À onze ans donc, la voici élève au palier secondaire, toujours à  l’école Montfort qui offre la 9e et la 10e année. Une importante transformation personnelle est en cours. Maintenant qu’elle est chez les grandes, l’élève timide et parfois pleurnicharde choisit de devenir imperturbable. « Je ne voulais plus verser de pleurs, peu importe ce qu’on me dirait  » martèle Gisèle Lalonde. « Je suis devenue une joueuse de tours et le clown de la classe. Celle qui faisait rire les autres. » Cela n’empêche pas le moins du monde Gisèle Deschamps de réussir ses études de façon brillante, et ce, même si les manuels scolaires sont presque tous en langue anglaise.

Mais voici que les choses prennent une tournure quelque peu étrange lorsque la directrice de l’école refuse d’émettre le certificat de 10e année tant convoité. Contre l’avis de son enseignante titulaire, la directrice estime que Gisèle est encore trop jeune pour entreprendre ses études de 11e année. Elle s’inscrira donc au Couvent Notre-Dame de Lourdes, mais pour reprendre ses études de 10e  année! Au cours de l’année, elle est invitée à remplacer la professeure de latin, une religieuse partie en Afrique.

4 L’école Montfort accueille des filles et des garçons, mais séparément comme cela est courant à l’époque. Quant au Couvent Notre-Dame de Lourdes, il n’est fréquenté que par des filles.

Page 15: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1414

Un autre changement important s’opère chez Gisèle Deschamps en 11e année. Elle prend ses études de plus en plus au sérieux de sorte que, à la fin de la 12e année alors qu’elle n’a que 15 ans, elle choisit de devenir « maîtresse d’école  ». Cependant, comme elle doit patienter une année avant de pouvoir s’inscrire à  l’École normale d’Ottawa, elle décide de compléter sa 13e année au tout nouveau Eastview High School : « J’étais la seule fille dans une classe de gars. »

Ce sera là une année déterminante, puisque la future enseignante côtoie dans cette nouvelle école celui qui deviendra son conjoint, Gilles Lalonde.

La route qui conduit la petite Gisèle Deschamps de l’enfance heureuse à Eastview à  l’aube de sa vie professionnelle est empreinte des valeurs véhiculées par son milieu et par ses parents. Des valeurs qui sont devenues siennes, et dont elle entend faire la promotion.

«  Mes parents étaient des gens simples qui ont travaillé sans relâche jusqu’au soir de leur vie. Ils voulaient améliorer leur sort et celui de leur famille. Ils estimaient ainsi contribuer à l’œuvre de Dieu et à la survivance du fait français. Je me voyais en faire au moins autant. » confie-t-elle.

Jamais Gisèle Lalonde n’oubliera ses origines simples. Ni ceux qu’elle appelle tout simplement «  mon monde  ». Toutes ces personnes qui deviendront la raison principale de son action publique et privée tout le long de sa vie.

Mais, pour l’heure, la vie simple de Gisèle Deschamps ne le restera plus tellement longtemps. Déjà à  la fin de ses études secondaires, elle commence à  inspirer, dans son entourage et auprès de ses amies, un certain leadership qui la destine à quelque-chose de plus grand et sans doute de plus compliqué. Les aléas de la vie amèneront l’enfant d’Eastview à toucher des milliers et des milliers de ses semblables d’une façon encore insoupçonnée de sa part.

Pour le moment, c’est une carrière dans l’enseignement qui s’amorce en 1951.

Extrait de la publication

Page 16: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1515

L’enseignante et la conseillère scolaire

L’enseignante pas née pour un petit pain

À l’âge de dix-sept ans, c’est une Gisèle Deschamps enjouée qui se présente au salon du personnel enseignant de l’école Montfort où,

à peine cinq ans plus tôt, elle était encore élève.

Comme elle le fait pour toutes les grandes occasions de la vie, elle prend soin de bien choisir sa toilette : jupe en laine à carreaux verts et blancs, chemisier blanc, blazer vert. Avec ses cheveux coupés court et au carré, et avec son toupet lui couvrant le front, elle a l’air… de la jeune fille qu’elle est.

« Selon mon habitude, j’ai salué tout le monde d’un beau bonjour et d’un grand geste de la main. Mais, en ce jour de septembre 1951, je n’ai pas du tout eu l’effet recherché. J’entends encore l’enseignante de 6e année, Géraldine Lafontaine, m’inviter à retourner dans la cour d’école avec mes camarades de classe jusqu’au son de la cloche signalant le début des cours. » se souvient-elle.

La nouvelle enseignante pouffe de rire, sa réaction normale lorsqu’elle est au cœur de situations embarrassantes. Suzanne Lurette, une amie plus âgée du Couvent Notre-Dame de Lourdes et enseignante à  l’école Montfort, présente alors la «  nouvelle enseignante de 3e  année  » à  ses collègues. Les réactions sont partagées. De la part de sœur Élizabeth, enseignante de 1re  année de la petite Gisèle pendant deux mois avant le passage de cette dernière en 2e année : « Bienvenue ma petite Gisèle. Je suis tellement heureuse de te revoir!  » De la part de sœur Alfred, la directrice  : «  Mademoiselle Deschamps, vous êtes coiffée comme vos élèves de 3e  année. Vous feriez mieux de changer de coiffure si vous entendez maintenir un minimum de discipline. »

Extrait de la publication

Page 17: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1616

«  Ma réponse a  été directe  : “Chère sœur, si ce sont mes cheveux qui m’aident à garder une bonne discipline, je n’ai sans doute pas ma place dans une salle de classe, non?” Elle n’a pu que me répondre qu’on verrait bien! » se souvient-elle.

Gisèle Deschamps n’a pas à  vivre de baptême du feu au moment où elle amorce sa carrière dans l’enseignement. Dès le départ, à la manière d’un cheval champion qui entre en piste, elle s’affiche tête bien haute et confiante dans la victoire.

Mademoiselle Deschamps s’impose grâce à  l’excellence de son travail quotidien et à  sa redoutable efficacité dans tout ce qu’elle entreprend. Ses collègues voient en elle une fonceuse, une organisatrice et une rassembleuse hors pair, et ils saluent déjà le vent de fraîcheur qu’elle apporte au milieu.

La directrice lui conseille de parler moins fort en classe afin de ne pas s’abîmer la voix avant la fin de l’année. Elle n’a visiblement pas compris que, lorsqu’on s’appelle Gisèle Deschamps, on parle fort de façon naturelle. Surtout si on croit dans ce qu’on fait et surtout si on prend plaisir à le faire. Respectueuse de l’autorité, mademoiselle Deschamps baisse néanmoins le ton, mais ça ne dure pas!

Titulaire d’une classe de quarante-deux filles de bon niveau, Gisèle Deschamps respecte scrupuleusement le programme d’études : « Je suivais à la lettre le “petit livre gris” du ministère de l’Éducation. Comme si c’était la Bible! » Elle le suit tellement bien qu’à Noël ses élèves ont déjà assimilé l’ensemble du programme de 3e année : « Je leur ai même fait apprendre les quarante chansons données à titre de suggestion dans le programme » dit-elle en s’esclaffant.

Perplexe et ne sachant que proposer à ses élèves pour la seconde moitié de l’année scolaire, elle demande conseil à  sa collègue de 2e  année, Jacqueline Renaud, en laissant entendre que, de janvier à  juin, elle pourrait bien enseigner le programme de 4e  année. Sa collègue lui fait comprendre qu’il ne faut surtout pas faire cela. Il est même préférable de recommencer tout simplement le programme de 3e année! Sur le coup, Gisèle Deschamps comprend qu’elle n’a pas intérêt à brasser les choses davantage. Cependant, au fur et à mesure qu’elle acquiert de l’expérience

Extrait de la publication

Page 18: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1717

et un savoir-faire professionnel, ses rapports à l’autorité se compliquent. Sans surprise.

Par ailleurs, elle constate rapidement à quel point les écoles de langue française d’Eastview sont dépourvues de matériel, d’équipement et de locaux adéquats : « Chaque fois, il me semblait entendre une petite voix qui disait : “Qu’est-ce que tu veux, quand on est né pour un petit pain…” Avec chaque jour qui passait, j’apprenais à détester cette phrase. Bien sûr, on peut accomplir de grandes choses avec peu de moyens. Je l’ai fait dans ma salle de classe! Mais j’avais de plus en plus conscience que cela ne devait pas servir de prétexte pour masquer les inégalités et les injustices. Si on voulait changer les choses, il fallait constater, rêver et, surtout, agir. Au fil du temps, je découvrais avec bonheur que je n’étais pas, mais pas du tout, née pour un petit pain! »

Au cours de ses premières années d’enseignement, elle apprend, comme toutes ses collègues, à composer avec les moyens du bord. Cependant, elle prend rapidement conscience du fait que, si Eastview est souvent désavantagé par rapport à Ottawa, son conseil scolaire n’est probablement pas un modèle d’efficacité. Il n’est probablement pas particulièrement déterminé dans ses revendications non plus, puisqu’il ne parvient même pas à obtenir de Toronto le financement qui lui revient!

« Et ce n’est pas tout! Sauf en français et en religion, les manuels scolaires sont en anglais. Pas une seule école de langue française d’Eastview n’a de gymnase ou de bibliothèque. Les cours de récréation ne sont pas aménagées convenablement. Souvent, ce sont de simples terrains vagues jonchés de petits débris de toutes sortes. En ce qui concerne le matériel d’apprentissage supplémentaire, il se limitait souvent à la carte du monde – unilingue anglaise – que recevait chaque enseignante de la compagnie de chocolat Neilson. Combien de fois j’ai vu mes collègues suppléer au manque de ressources en puisant dans leur propre porte-monnaie. Il y avait des progrès à réaliser, c’est sûr! La conclusion s’imposait comme une tonne de briques. » tranche-t-elle.

Malgré cela, Gisèle Deschamps adore son métier. Il lui arrive souvent de rester après les heures de cours pour discuter avec l’une ou l’autre de ses collègues. Mais tout cela ne suffit pas vraiment à canaliser l’indomptable énergie dont elle déborde depuis l’enfance  : «  J’ai accepté un travail

Extrait de la publication

Page 19: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1818

à temps partiel au magasin Caplan’s le samedi pendant l’année scolaire et pendant les vacances d’été. Je voulais me constituer un beau trousseau de mariage! »

Le mariage avec Gilles Lalonde, qu’elle aime depuis l’âge de quatorze ans, a lieu le 17 août 1954. Depuis cette date, elle n’est plus connue que sous le nom de Gisèle Lalonde.

L’année suivant son mariage est annonciatrice de changements majeurs dans la vie de Gisèle Lalonde. À la demande de son inspecteur, elle accepte d’aller enseigner en 8e année à la nouvelle école Saint-Paul. En changeant d’école, elle change aussi de zone scolaire et même de… conseil scolaire. L’école Saint-Paul relève en effet du Conseil des écoles séparées d’Ottawa.

Et là, c’est le choc. « Tout de suite, j’ai vu tout ce qu’on pouvait trouver normalement dans les écoles d’Ottawa. C’est pas compliqué, en comparaison, à Eastview, on n’avait rien! Et je découvre ça l’année même de l’émeute Maurice Richard au Forum de Montréal. Les Canadiens français commençaient à relever la tête devant l’autorité! » renchérit-elle.

La candidate efficace dans un univers masculin et secret

À l’automne 1965, la vie paisible de la famille Lalonde est virée sens dessus dessous. Tout va pourtant bien. Gilles Lalonde détient un emploi stable comme fonctionnaire du gouvernement fédéral. Pour le mieux-être de sa famille, il travaille en plus à temps partiel cinq soirs par semaine. Malgré trois grossesses difficiles, Gisèle Lalonde poursuit sa carrière d’enseignante à l’école Saint-Paul. Le couple vient d’emménager dans une belle et grande maison neuve dans un nouveau secteur d’Eastview. Ses trois fils y grandissent près de l’école Cadieux et du parc du même nom, le plus beau terrain de jeu de la petite ville.

Cependant, l’enseignante choyée à  l’école Saint-Paul d’Ottawa demeure un parent préoccupé par l’éducation de ses enfants à… Eastview. Comme elle connaît bien les réalités et les rouages administratifs des conseils scolaires d’Eastview et d’Ottawa et comme, surtout, elle a  la réputation de ne pas se taire devant les inégalités et les injustices, les parents de son

Extrait de la publication

Page 20: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

1919

quartier l’élisent présidente de l’Association de parents et instituteurs de l’école Cadieux.

Au cours d’une réunion visant à faire le point sur les élections scolaires à venir, Gisèle Lalonde entend deux conseillers scolaires sortants présenter des programmes avec lesquels elle est en total désaccord. Elle sent qu’elle ne peut pas demeurer inactive. À la fin de la réunion, elle annonce qu’elle se porte candidate au Conseil des écoles séparées d’Eastview.

Pour plusieurs observateurs, ce n’est pas très sage de sa part. On vit alors à une époque où les femmes peuvent bien exercer certaines professions dans le domaine de l’enseignement, de la santé ou de l’administration, mais pas plus. De façon générale, une mère de famille fait des enfants et reste à la maison pour s’en occuper à temps plein. À bien des égards, la petite communauté insulaire d’Eastview n’échappe pas à cette réalité. On la dit même plus conservatrice que d’autres quartiers urbains dans la région de la capitale du Canada. L’élite de la petite ville d’un mille carré est constituée uniquement d’hommes, probablement tous membres de La Patente, un groupe lui-même réservé aux seuls hommes.

« Se porter candidate à un poste élu sans la bénédiction de La Patente et d’autres organismes influents entièrement réservés aux hommes, c’était – me disait-on – tout simplement suicidaire sur le plan politique. Sans oublier que ce n’était pas du tout “bien vu” pour une femme d’oser agir de la sorte! » confie-t-elle.

Gisèle Lalonde saisit l’ampleur du défi qui l’attend lorsqu’elle rentre à la maison ce soir-là. Après avoir annoncé sa décision à son mari avec son enthousiasme habituel, elle s’entend répondre par ce dernier qu’il pourrait peut-être perdre son emploi à cause du geste qu’elle pose. Elle en reste bouche bée, mais, fidèle à elle-même, choisit néanmoins de foncer.

Même son père, Ovila Deschamps, lui-même ancien conseiller scolaire, est inquiet pour sa fille. Il ne voit pas comment elle pourra naviguer dans cet univers fermé et exclusivement masculin. Malgré ses réticences, il n’hésite pas à donner quelques coups de fil à des amis influents dans La Patente en vue de gagner des appuis à l’élection de sa fille.

Gisèle Lalonde demande à  une amie d’enfance, Laurette Roy, d’agir comme gérante de campagne. Une autre néophyte qui ne connaît rien à la

Extrait de la publication

Page 21: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

8585

même : « J’y ai reçu d’excellents soins. » Avec Gisèle Lalonde, toujours, la vie reprend le dessus. Cependant, dorénavant avec un rythme différent, auquel il lui faut s’habituer.

Mais que se passerait-il si jamais son peuple – « mon monde », comme elle dit affectueusement – devait lui lancer un nouvel appel à  l’aide? Gisèle Lalonde étant Gisèle Lalonde, on a beaucoup de mal à croire qu’elle répondrait autre chose que : « Présente! »

Page 22: HV JHQV G· E[FHSWLRQ...travail aux heures plus normales. À titre de vétéran, il est affecté à la garde de prisonniers allemands en sol canadien pendant la durée du conflit,

La collection Des gens d’exception présente des femmes et des hommes ayant grandement contribué au développement de l’Ontario français. Elle témoigne des grands moments du parcours de vie de ces personnes qui ont participé ou qui participent à leur façon à l’évolution et au rayonnement de l’Ontario français dans diverses sphères de la société.

G isèle Lalonde est devenue une légende de son vivant.

Au fil des ans, ses engagements décisifs lui confèrent la stature et le statut de grande dame. La grande dame de l’Ontario français.

Celle qui suscite à la fois une grande admiration et un profond respect.

Celle à qui on reconnaît spontanément le rôle de porte-parole de sa communauté linguistique et culturelle.

Celle qui, toujours, sait déceler les vrais enjeux et choisir les batailles qui comptent, en vue de réaliser des progrès significatifs au bénéfice de la communauté franco-ontarienne, son port d’attache.

Au point de départ, une petite fille chétive d’Eastview qui refuse d’accepter qu’elle serait née pour un petit pain...

Extrait de la publication