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2. Les causes subjectives d'irresponsabilité pénale Il convient de procéder ici comme on l'a fait à propos de l'étude des faits justificatifs. Cela conduit à étudier tour à tour la délimitation puis le contenu des causes de non-imputabilité. A. La délimitation des causes de non-imputabilité En ce qu'elles emportent l'irresponsabilité pénale de l'agent, les causes de non-imputabilité se rapprochent des faits justificatifs. Elles s'en distinguent par leur caractère essentiellement subjectif. Contrairement aux faits justificatifs qui se rapportent aux circonstances objectives dans lesquelles l'infraction a été commise, les causes de non-imputabilité tirent leur pourvoir disculpateur de la personne même du délinquant. Pour cette raison, les causes subjectives d'irresponsabilité pénale opèrent in personam et non in rem. Strictement personnelle à celui qui peut s'en prévaloir, la cause de non-imputabilité ne profite pas à tous ceux qui ont participé à l'infraction. C'est là une grande différence avec le fait justificatif qui légitime l'acte en lui-même et n'interdit pas seulement la condamnation de son auteur. Les causes de non-imputabilité doivent par ailleurs être différenciées des immunités pénales, qu'elles soient politique, diplomatique, judiciaire ou familiale (v. ZOOM, infra). Sans doute s'agit-il également de circonstances personnelles à l'auteur des faits qui font obstacle à la répression. Mais là s'arrête le rapprochement. Alors que l'immunité pénale tient à une qualité personnelle de l'agent (parlementaire, diplomate, chef d'État étranger en exercice 1 , plaideur, proche parent de la victime), la cause de non-imputabilité s'explique par l'absence de volonté libre et éclairée chez l'agent. L'immunité pénale reste extérieure aux composantes du libre arbitre (intelligence, volonté, liberté). encadré ZOOM sur les immunités pénales 1 La coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'États étrangers en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger. En ce sens, Crim., 13 mars 2001, Aff. Kadhafi, Gaz. Pal. des 25-29 mai 2001, p. 27 ; D. 2001, p.2631, note J.-F. Roulot.

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2. Les causes subjectives d'irresponsabilité pénaleIl convient de procéder ici comme on l'a fait à propos de l'étude des faits justificatifs. Cela conduit à étudier tour à tour la délimitation puis le contenu des causes de non-imputabilité.

A. La délimitation des causes de non-imputabilitéEn ce qu'elles emportent l'irresponsabilité pénale de l'agent, les causes de non-imputabilité se rapprochent des faits justificatifs. Elles s'en distinguent par leur caractère essentiellement subjectif. Contrairement aux faits justificatifs qui se rapportent aux circonstances objectives dans lesquelles l'infraction a été commise, les causes de non-imputabilité tirent leur pourvoir disculpateur de la personne même du délinquant. Pour cette raison, les causes subjectives d'irresponsabilité pénale opèrent in personam et non in rem. Strictement personnelle à celui qui peut s'en prévaloir, la cause de non-imputabilité ne profite pas à tous ceux qui ont participé à l'infraction. C'est là une grande différence avec le fait justificatif qui légitime l'acte en lui-même et n'interdit pas seulement la condamnation de son auteur.

Les causes de non-imputabilité doivent par ailleurs être différenciées des immunités pénales, qu'elles soient politique, diplomatique, judiciaire ou familiale (v. ZOOM, infra). Sans doute s'agit-il également de circonstances personnelles à l'auteur des faits qui font obstacle à la répression. Mais là s'arrête le rapprochement. Alors que l'immunité pénale tient à une qualité personnelle de l'agent (parlementaire, diplomate, chef d'État étranger en exercice1, plaideur, proche parent de la victime), la cause de non-imputabilité s'explique par l'absence de volonté libre et éclairée chez l'agent. L'immunité pénale reste extérieure aux composantes du libre arbitre (intelligence, volonté, liberté).

encadré

ZOOM sur les immunités pénales

En même temps qu'elles constituent toutes des obstacles à la répression, les immunités correspondent à des privilèges réservés à certaines catégories de personnes, soit pour l'ensemble des infractions qu'elles commettraient, soit pour certaines d'entre elles seulement. La notion étant hétérogène, il convient ici de distinguer selon la nature des immunités.

— Les immunités politiques : afin d'assurer le libre fonctionnement des assemblées parlementaires, la Constitution du 4 octobre 1958 (art. 26, al. 1er) consacre une immunité au profit des députés et sénateurs s'agissant des opinions ou des votes qu'ils émettent dans l'exercice de leurs fonctions. Aux termes de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, cette immunité parlementaire s'applique aux infractions (injures, diffamations, outrages, provocations à des infractions, etc.) résultant des discours tenus au sein du Sénat ou de l'Assemblée nationale. Hors de ces enceintes, les déclarations des parlementaires ne sont plus couvertes par l'immunité2. Par-delà les discours, les débats et les votes, l'immunité couvre 1La coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'États étrangers en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger. En ce sens, Crim., 13 mars 2001, Aff. Kadhafi, Gaz. Pal. des 25-29 mai 2001, p. 27 ; D. 2001, p.2631, note J.-F. Roulot.2Crim., 7 mars 1988, JCP 1988, II, 21133, note W. Jeandidier et plus récemment Crim., 12 novembre 2008, pourvoi no 07-83.398, Dr. Pén. 2009 comm. no 20, obs. M. Véron (s'agissant de la publication dans un journal de propos homophobes d'un député) : les déclarations d'un député faites à l'occasion d'une interview téléphonique donnée à un journaliste ne sont pas des actes relevant de la fonction parlementaire. Cette limitation à l'exercice des fonctions est approuvée par la jurisprudence européenne

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également les documents parlementaires (comme les rapports des commissions), les comptes rendus des séances publiques faits de bonne foi dans les journaux auxquels sont assimilées les retransmissions sur une chaîne de télévision3 (art. 41 al. 2, loi du 29 juillet 1881). À l'origine réservée aux seuls parlementaires, cette immunité a été étendue par la jurisprudence4 aux membres du Gouvernement et aux hauts fonctionnaires appelés à participer aux débats, puis à la faveur d'une loi récente aux témoins entendus par les commissions d'enquête parlementaire (art. 41 al.3, loi du 29 juillet 1881 dans sa rédaction issue de la loi no 2008-1187 du 14 novembre 2008). À l'instar des députés et des sénateurs, les parlementaires européens bénéficient d'une immunité comparable.

— Les immunités judiciaires : en matière judiciaire, la loi du 29 juillet 1881 (art. 41) institue une immunité au profit des acteurs du procès pénal (mis en examen, prévenu, accusé, partie civile, avocats, témoins) à raison des propos tenus ou des écrits produits5 – sauf s'ils sont étrangers à la cause débattue6 – devant les juridictions d'instruction ou de jugement. Fondée sur la recherche de la vérité et le libre exercice du droit d'agir ou de se défendre en justice, cette immunité cesse au-delà de la salle d'audience7 et ne couvre que certaines infractions (diffamation, injure, outrage) à l'exclusion de tout autre comportement délictueux (apologie d'infractions, faux témoignage, violences à magistrats, rappel de condamnations amnistiées8, dénonciation calomnieuse). À défaut d'être absolue9, l'immunité s'applique également aux journalistes dès lors qu'ils sont de bonne foi et rendent compte fidèlement des débats judiciaires. Il s'ensuit que le chroniqueur doit s'abstenir de toute dénaturation des faits et de toute imputation malveillante à l'égard des parties ou des membres de la juridiction.

— Les immunités diplomatiques : dérivées de la coutume internationale avant d'être formulées sous l'égide des Nations unies par les conventions de Vienne des 18 avril 1961 et 24 avril 1963, les immunités diplomatiques et consulaires ont pour objet de permettre à leurs bénéficiaires d'exercer leur mission représentative en toute indépendance vis-à-vis des autorités locales. Pour le surplus, l'immunité accordée aux agents diplomatiques est plus généreuse que celle accordée aux agents consulaires. S'agissant des premiers, l'immunité s'applique à toutes les infractions, de la plus vénielle (contravention) à la plus grave (crime), y compris celles commises antérieurement à l'entrée en fonction du diplomate. Elle couvre non seulement l'agent diplomatique régulièrement accrédité en France par les gouvernements étrangers mais aussi les membres du personnel administratif et technique ainsi que les membres de leur famille respective – dès lors qu'ils ne sont pas ressortissants de l'État accréditaire ou n'y ont pas leur

(CEDH, De Jorio c/ Italie, 3 juin 2004) car à trop étendre les contours de l'immunité, le législateur finirait par créer une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal.3Crim., 13 avril 2010, no 09-85.135, AJ Pénal 2010, p. 337, obs. G. Royer ; Dr. Pén. 2010, comm. no 78, obs. M. Véron.4Civ, 2e, 22 février 1956, Bull. Civ., no 137.5L'immunité judiciaire couvre les écrits produits devant les tribunaux et non les reproductions de ces écrits (en l'occurrence une plainte avec constitution de partie civile) sur un site internet. En ce sens, Crim., 26 mars 2008, Dr. pén. 2008, comm. no 96, obs. M. Véron.6Pour un rappel récent de cette limite traditionnelle, Crim., 11 octobre 2005, comm. no 5, obs. M. Véron (à propos de poursuites pénales du chef d'outrage à magistrat).7Civ., 1re, 5 avril 2012, pourvoi no 11-11044 AJ Pénal 2012, 368.8CA Paris, 8 décembre 1971, D. 1973, p.370, note Brunois.9Lorsqu'elle n'est pas couverte par l'immunité judiciaire, la provocation verbale d'un avocat peut de surcroît constituer une immunité spéciale à l'injure proférée en riposte conformément aux dispositions de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881. En ce sens, Crim., 31 mars 2015, pourvoi no 13-81.842, AJ pénal 2015, p. 313, note Ch. Courtin.

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résidence permanente. Pour sa part, l'immunité consulaire est plus restrictive. Elle ne s'applique qu'aux agents et employés consulaires, pour les actes qu'ils ont pu accomplir dans l'exercice de leurs fonctions. Cependant, à l'instar de l'immunité diplomatique, l'immunité consulaire est d'ordre public. En conséquence, aucune poursuite n'est possible à l'encontre des personnes protégées à moins que l'État accréditant ne renonce expressément à cette protection. Il s'ensuit parfois certains abus que l'État français sanctionne par des mesures administratives d'expulsion des diplomates fautifs. Longtemps réservées aux seuls diplomates, les immunités bénéficient aujourd'hui, en application de conventions particulières, à la plupart des membres des organisations internationales ayant leur siège en France. Il en va ainsi des membres de l'UNESCO10, de l'OCDE, du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne, d'Interpol, etc.

— Les immunités familiales : contrairement à Euthyphron qui n'hésite pas à accuser son père d'homicide (Platon, Le procès de Socrate, Euthyphron ou De la sainteté), le droit français privilégie en certaines circonstances la « paix des familles » en admettant que la solidarité et la fraternité qui gouvernent les rapports familiaux fassent obstacle aux poursuites pénales. L'immunité familiale est cependant doublement limitée car elle ne s'applique pas à toutes les infractions et ne profite pas à tous les membres de la famille. Il faut ici distinguer. S'agissant de certaines infractions contre les biens (vol, abus de confiance, escroquerie, extorsion, chantage), le manteau de l'impunité recouvre les ascendants, descendants et le conjoint11 (à l'exclusion des époux séparés) sauf si l'infraction porte sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime (documents d'identité, titres de séjour, moyen de paiement, art. 311-12 C. pén. dans sa rédaction issue de la loi no 2009-399 du 4 avril 2006). S'agissant en revanche de certaines infractions contre l'autorité de la justice (non-dénonciation de crime, recel de criminel, défaut de témoignage en faveur d'un innocent), l'immunité présente un aspect plus large : sont concernés les parents en ligne directe (et leurs conjoints) du mis en cause, ses frères et sœurs (et leurs conjoints), son conjoint ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.

encadré

1

B. Le contenu des causes de non-imputabilitéLa minorité pénale ayant fait l'objet de développements distincts, les causes de non-imputabilité qui restent à étudier sont au nombre de trois : les troubles mentaux, la contrainte et l'erreur.

▶ Les troubles mentauxDans son fameux article 64, le Code pénal de 1810 déclarait qu'il n'y a « ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action ». La rédaction de cet article était critiquable à bien des égards. En ne mentionnant pas les contraventions, le texte était d'abord incomplet et trop restrictif. La formule employée – « il n'y a ni crime, ni délit » – laissait ensuite penser que l'irresponsabilité pénale de l'agent résultait de la disparition de l'infraction. Or, à l'instar des autres causes subjectives d'irresponsabilité pénale, la démence ne supprime pas l'infraction mais empêche simplement de l'imputer à l'agent. Enfin, le vocable de démence était techniquement inexact. Dans son acception psychiatrique, la démence correspond en effet à un état pathologique bien précis : il s'agit de toute forme de déchéance progressive et

10Pour une illustration topique concernant un fonctionnaire de l'UNESCO mis en cause pour atteinte à la dignité humaine de ses nièces, Crim. 12 avril 2005, pourvoi no 03-83452.11La loi exclut ici du bénéfice de l'immunité familiale les soustractions commises par des alliés au même degré (gendre-belle mère, bru-beau père). En ce sens, Crim. 14 novembre 2007, Dr. Pén. 2008, comm. no 116, obs. M. Véron ; AJ pénal 2008, p. 29, obs. G. Roussel.

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irréversible des facultés mentales en raison d'une altération organique du cerveau. Or, dans l'esprit des rédacteurs du Code pénal, la démence devait être entendue plus largement comme synonyme de toute forme de disparition de libre arbitre. Fort heureusement, toutes ces maladresses de rédaction n'ont pas porté à conséquence, la jurisprudence ayant su restituer à l'article 64 du Code pénal son étendue en même temps que sa véritable signification.

La situation des délinquants malades mentaux est aujourd'hui envisagée à l'article 122-1 du Nouveau Code. Tout en remédiant aux imperfections de l'ancienne législation, les deux alinéas de l'article 122-1 – auxquels il faut ajouter les articles 706-119 et s. C. pr. pén. – apportent également de réels changements sur le fond du droit singulièrement depuis les récentes réformes issues de la loi12 no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, d'une part, et de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, d'autre part. En conséquence, on examinera successivement les conditions et les effets de l'irresponsabilité pour troubles mentaux.

• Les conditions de l'irresponsabilité pénaleSelon l'article 122-1 du Code pénal, « n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime ». Il s'ensuit que le malade mental échappe à la responsabilité pénale à deux conditions. La première tient à l'ampleur du délabrement mental. La seconde tient à son moment par rapport à l'infraction. Deux points à examiner tour à tour.

— L'ampleur du délabrement mental

Pour entraîner l'irresponsabilité pénale de celui qui en souffre, le trouble mental doit avoir totalement aboli le discernement ou le contrôle des actes (art. 122-1, al. 1er, C. pén.). Privé de conscience ou de volonté, l'agent ne peut logiquement répondre de ses actes13. En ce domaine, il n'existe pas de nosographie de l'abolition du discernement ou si l'on préfère de liste préétablie et limitative d'affections déresponsabilisantes. Aussi, l'aliénation mentale totale est-elle une

12Loi no 2008-174 du 25 février 2008, JO no 48 du 26 février 2008, p. 32666. Cette loi a été validée partiellement par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2008-562 DC du 21 février 2008, JO du 26 février 2008, p. 3277. Sur ce nouveau dispositif, v. H. Matsopoulou, « Le développement des mesures de sûreté justifiées par la dangerosité et l'inutile dispositif applicable aux malades mentaux », Dr. pén. 2008, Étude no 5 ; RSC 2008, Chron. Lég., p. 392 par Ph. Bonfils ; J. Pradel, « Une double révolution en droit pénal français avec la loi du 25 février 2008 sur les criminels dangereux », D. 2008, Chron., p. 1000 ; E. Senna, « Premières réflexions sur les adaptations du régime de sûreté des condamnés criminels dangereux », AJ pénal no 5/2008, p. 223 ; J.-P. Céré, « La rétention de sûreté à l'épreuve de la convention européenne des droits de l'homme », AJ pénal no 5/2008, p. 220.13Selon le ministère de la Justice, le nombre d'affaires dans lesquelles une irresponsabilité totale est prononcée sur le fondement de l'article 122-1, al. 1er est inférieur à 200 par an. Depuis une quinzaine d'années, le nombre de non-lieux psychiatriques tend à diminuer sensiblement, passant de 0,72 % en 1992 à 0,16 % en 2003 (in La France face à ses prisons, Rapport de la commission d'enquête de l'assemblée nationale, La documentation française, 2000). Cet usage plus parcimonieux des dispositions relatives à l'abolition du discernement s'explique par le jeu combiné de plusieurs facteurs : durcissement de la jurisprudence expertale, développement d'un courant psychiatrique favorable à la responsabilisation des patients souffrant de troubles mentaux, évolution de la politique de santé publique, besoin croissant de justice, baisse du seuil de tolérance au risque, meilleure prise en considération des revendications des victimes, etc.

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cause exonératoire de responsabilité pénale sans qu'il y ait lieu de distinguer selon sa forme (bouffée délirante, attaque convulsive, délires paranoïaques, delirium tremens, troubles obsessionnels, angoisse névrotique, autisme schizophrénique, confusion mentale, hallucinations), son caractère réversible ou durable (démence sénile, ivresse passagère, hypnose, somnambulisme, épilepsie) ou bien encore son origine (congénitale, métabolique, infectieuse, traumatique). Si les formes d'abolition du discernement sont diverses (v. infra ZOOM), les experts concluent le plus généralement à l'état de démence que s'il existe un rapport direct et exclusif entre l'état mental pathologique et l'infraction considérée14. Dans les bouleversements cataclysmiques d'un vécu délirant, une mère de famille tue ses enfants car elle pensait qu'il s'agissait de marionnettes désarticulées envoyées par le diable pour remplacer ses propres enfants. En pareil cas, l'abolition du discernement sera sans doute retenue. Le même diagnostic s'impose selon toute probabilité lorsqu'un schizophrène tue en réponse à des ordres hallucinatoires dans un contexte d'envahissement délirant ou lorsqu'une femme enceinte, souffrant du déni de grossesse, est incapable de réaliser qu'elle donne naissance à un enfant15. En revanche, le même schizophrène surpris en flagrant délit d'exhibition sexuelle pourrait être reconnu responsable dans la mesure où l'infraction qui lui est reprochée n'est pas directement en rapport avec la pathologie dont il souffre. Mais que penser de la responsabilité de Lennie Small16, colosse innocent aux mains dangereuses, au moment où, dans un instant de panique, il vient à tuer l'épouse de Curley en ne parvenant pas à maîtriser sa force hors du commun ?

L'indifférence à l'égard de la nature du trouble mental implique normalement l'irresponsabilité de celui qui agit en état d'ivresse ou sous l'emprise de produits stupéfiants. La solution est juridiquement certaine lorsque l'intoxication a supprimé le libre arbitre. Elle n'en demeure pas moins inopportune dans les cas– nombreux en pratique – où l'intoxication est volontaire. C'est pourquoi l'impunité liée à l'absorption d'alcool ou de stupéfiants comporte deux limites. Il ne saurait d'abord y avoir irresponsabilité pénale dans les cas où l'ivresse ou la toxicomanie sont en elles-mêmes constitutives d'une infraction (ivresse publique, conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, usage de stupéfiants) ou d'une circonstance aggravante (ainsi, pour l'homicide ou les blessures involontaires commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule). Mais, en dehors de ces hypothèses, les tribunaux sont généralement réticents à admettre l'irresponsabilité. En pratique, l'inconscience de l'agent au moment des faits est très souvent gommée17 par sa faute antérieure en sorte que celui-ci demeure responsable.

En tout état de cause, l'impunité ne joue qu'autant que le trouble mental enlève toute liberté à l'agent. Lorsque, sans disparaître, les facultés intellectuelles sont simplement altérées ou diminuées, la responsabilité demeure et l'agent reste punissable (hypothèse des « demi-fous »). Il appartient toutefois à la juridiction de tenir compte de cette circonstance au moment de prononcer la peine et d'en fixer le régime (art. 122-1, al. 2, C. pén.). Depuis la réforme issue de la loi18 précitée du 15 août 2014, l'indulgence judiciaire est en quelque sorte tarifée ou si l'on préfère paramétrée à tout le moins s'agissant des crimes et des délits. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion ou de la

14En ce sens, D. Zagury, « Irresponsabilité pénale du malade mental : le rôle de l'expert », AJPénal no 9/2004, p. 311 et spéc., p.312.15cour d'assises de la Gironde, 7 septembre 2012, AJPénal 2012, 651, obs. O. Décima.16L'un des personnages principaux du roman Des souris et des hommes de John Steinbeck, publié en 1937.17Tout se passe comme si, en se droguant ou en s'enivrant, l'individu avait en quelque sorte accepté les conséquences attachées à la perte de ses facultés mentales.18Loi plus douce, et donc applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés. En ce sens, Crim., 15 septembre 2015, pourvoi no 14-86.135.

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détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. Cette règle arithmétique connaît toutefois quelques dérogations. En matière correctionnelle, la juridiction peut en effet, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. En outre, lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état. Partant, l'existence d'un tel trouble peut justifier le prononcé, si cette peine est encourue, d'un suivi socio-judiciaire ou d'une contrainte pénale avec injonction de soins. En matière criminelle, si la cour d'assises conclut à l'existence chez l'accusé d'un trouble ayant simplement altéré le discernement (art. 361-1 CPP), les peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure aux deux tiers de la peine initialement encourue ne peuvent être prononcées qu'à la majorité qualifiée19. Si la distinction entre l'abolition et la simple altération des facultés mentales présente ainsi la plus haute importance, les frontières entre ces deux diagnostics est parfois ténue. Prenons un exemple20 : dans un contexte de solitude et de détresse, une femme polycarencée, frustre et d'efficience intellectuelle limite, secoue son bébé qui en garde de lourdes séquelles : que concluront les experts ?

encadré

ZOOM sur les différentes catégories de maladies mentales

Selon le Professeur Paul Sivadon, psychiatre honoraire des hôpitaux de Paris, les maladies mentales qui se manifestent au niveau du psychisme de l'individu ne sont pas un trouble de l'intelligence, mais un trouble de l'intégration de la personnalité et du monde. Selon la nature du trouble, il est permis de différencier plusieurs « familles de maladies mentales ».

— L'arriération mentale : cette notion correspond à la situation des patients dont le développement des fonctions mentales est freiné par un trouble précoce du fonctionnement cérébral. Selon la gravité de l'arriération, on parle d'idiotie, d'imbécillité ou plus fréquemment de débilité mentale.

— La démence : cette notion correspond à la situation des patients dont les fonctions mentales, après un développement normal, se trouvent altérées par une atteinte organique du cerveau. Lorsque la dégénérescence affecte le cerveau de certains vieillards, on parle de démence sénile. Lorsque l'involution c'est-à-dire le processus inverse de l'évolution – des fonctions mentales affecte des personnes moins âgées, on parle de démences préséniles liées très souvent à la maladie d'Alzheimer.

— La névrose : cette notion correspond à la situation des patients dont l'intégration des exigences du « moi » et des exigences du monde s'opère douloureusement. Pour soulager son angoisse et ses souffrances, le sujet développe alors des mécanismes de défense permettant de coexister avec son environnement. Selon le type de névrose (phobique, obsessionnelle, hystérique), ces mécanismes de conciliation varient. Au lieu d'être refoulé, le conflit qui oppose

19Soit au minimum six voix en première instance et huit voix au moins en appel (art.  362 C. pr. pén.). En revanche, aucune motivation spéciale n'est exigée, contrairement à la règle qui prévaut en matière correctionnelle.20Exemple cité par D. Zagury, « Irresponsabilité pénale du malade mental : le rôle de l'expert », AJPénal no 9/2004, p. 314.

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le sujet au monde environnant peut parfois être transformé en actes extériorisés. La névrose cède alors la place à un comportement antisocial pervers ou agressif.

— La psychose : cette notion correspond à la situation du patient pour lequel la coexistence du « moi » et du monde ne peut se réaliser sans la modification profonde de l'un ou de l'autre. Lorsque la psychose s'installe chez l'adulte où le « moi » a acquis une certaine consistance, le sujet se trouve plongé dans un monde incompréhensible, étranger et anormal et adopte un comportement inquiétant et morbide pour son entourage. Lorsque la psychose s'installe chez un patient plus jeune dont le « moi » est encore fragile, c'est ce dernier qui cède et se dissocie en même temps que le monde se désorganise : on parle alors de schizophrénie. Il existe d'autres formes plus fréquentes de psychose comme la mélancolie (caractérisée par la dépression) ou encore la manie (caractérisée à l'inverse par l'excitation euphorique).

encadré

— Le moment du délabrement mental

Pour être disculpatrice, la perte du libre arbitre doit non seulement être totale mais également contemporaine de l'infraction commise. C'est « au moment des faits » que doivent s'apprécier les troubles psychiques ou neuropsychiques dont souffre l'agent21. Il s'agit là d'une appréciation fort délicate qui relève du pouvoir souverain22 des juges du fond. Dans la pratique, les magistrats recourent à l'expertise psychiatrique23 dont les conclusions – souvent déterminantes en ce qui concerne la culpabilité et l'accessibilité de l'auteur à une sanction pénale – ne sauraient cependant les lier.

En exigeant que le trouble mental existe au moment des faits24, l'article 122-1 du Code pénal semble n'attacher aucune importance à la démence antérieure ou postérieure à l'infraction. Il convient, à la vérité, d'être moins catégorique. Partant du principe qu'un aliéné ne devient pas du jour au lendemain un homme sain d'esprit et pleinement responsable, les tribunaux ne sont pas insensibles au passé psychiatrique de l'agent au moment de prononcer la sanction. Quant au trouble mental postérieur à l'infraction, il est de nature tantôt à suspendre les poursuites pénales25, tantôt à modifier l'exécution des peines privatives de liberté. C'est ainsi que les détenus atteints de troubles mentaux26 – dont le nombre s'inscrit en forte progression – sont pris en charge à temps complet par des unités hospitalières spécialement aménagées27 (UHSA),

21Pour un rappel de cette exigence, Crim. 7 octobre 1992, Bull. Crim. no 314.22Le juge pénal n'est aucunement lié par les présomptions que le droit civil attache à certaines situations comme la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice.23Sur cette question, v. D. Zagury, « Irresponsabilité pénale du malade mental : le rôle de l'expert », AJPénal no 9/2004, p. 14.24Exigence rappelée par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2008-562 DC du 21 février 2008 (§ 27), JO du 26 février 2008.25Pour une illustration récente, Crim. 11 juillet 2007, Dr. pén. 2007, comm. no 128.26Selon un rapport parlementaire publié en mai 2010 (« Prison et troubles mentaux, comment remédier aux dérives du système français ? », Sénat, Rapport d'information no 434 fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales), près de 10 % des détenus souffriraient de pathologies lourdes (psychoses de type paranoïa, schizophrénie, etc.).27À l'instar de la première structure implantée à Lyon-le-Vinatier, les UHSA sont de petites unités pénitentiaires bâties au sein même des hôpitaux psychiatriques. Créées par la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 et réglementées par le décret no 2010-507 du 18 mai 2010, les UHSA sont actuellement réparties sur neuf structures (Lyon, Toulouse, Nancy, Orléans, Paris, Lille, Rennes, Bordeaux et Marseille) et accueillent des détenus présentant des troubles mentaux rendant impossible leur maintien en

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ou à titre transitoire, affectés dans un des 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) répartis sur l'ensemble du territoire (art. L. 3214-1 CSP). Les plus dangereux28 d'entre eux – ceux dont la violence greffée sur la folie nargue tous les traitements – peuvent faire l'objet d'une incarcération au sein d'une des cinq unités29 pour malades difficiles (UMD). Il s'agit là de structures spécialisées, implantées dans des centres hospitaliers psychiatriques, et habilitées à fonctionner sous le régime de la contrainte mais dont la capacité d'accueil est aujourd'hui encore trop réduite (environ 400 places au total). Entre accompagnement des malades et exclusion, les UMD constituent un défi thérapeutique, humain et social. Structures aux frontières de l'humain dont il est parfois difficile de sortir30, elles reposent sur une surveillance accrue et des traitements de choc (cocktails de calmants et de neuroleptiques, électrochocs sous anesthésie, isolement en chambre, camisole de force).

• Les effets de l'irresponsabilité pénaleLa personne atteinte de troubles mentaux n'est pas simplement non punissable, elle est pénalement irresponsable car l'infraction qui lui est reprochée n'est pas le fruit d'un acte libre et conscient. Selon le moment où elle est constatée, cette irresponsabilité se traduit par des décisions – désormais inscrites31 au casier judiciaire – d'une grande diversité sémantique. Devant les juridictions de jugement, l'irresponsabilité est synonyme tantôt d'un jugement, tantôt d'un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental32 (selon l'ancienne terminologie, on parlait de relaxe devant les juridictions correctionnelles et de police et d'acquittement devant la cour d'assises). Plus en amont, l'irresponsabilité pénale se traduit juridiquement par un classement sans suite motivé par les dispositions de l'article 122-1 du Code pénal, une ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (et non plus un non-lieu) ou bien un arrêt33 de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (et

détention. La sécurité des UHSA, comme celle des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) implantées dans les CHU, est assurée par l'administration pénitentiaire. Selon un rapport sénatorial de mai 2010 (« Prison et troubles mentaux, comment remédier aux dérives du système français ? »), la création des UHSA demeure controversée. Incontestablement, ces unités devraient favoriser l'hospitalisation des détenus dans de meilleures conditions. Néanmoins, leur existence pourrait aussi inciter experts psychiatres et juridictions à renoncer à constater l'irresponsabilité pénale des auteurs d'infractions s'ils estiment que la condamnation pénale sera le meilleur moyen d'assurer leur prise en charge médicale sécurisée.28Maxime Brunerie, « le régicide chiraquien », Georges Cipriani, l'icône d'Action directe, ou le Japonais cannibale Issei Sagawa ont échoué dans une UMD.29Ces unités – comme celle de Cadillac, de Villejuif ou de Montfavet – accueillent majoritairement les personnes ayant bénéficié d'une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et les malades mentaux dangereux mais non détenus.30Dans un avis consacré aux unités pour malades difficiles en date du 17 janvier 2013 (JO du 5 février 2013), le Contrôleur général des lieux de privation de liberté stigmatise les dysfonctionnements administratifs liés à la sortie des malades au moment où ils doivent être hospitalisés dans des établissements moins sécurisés.31Les décisions d'irresponsabilité pénale prononcées pour cause de trouble mental sont désormais inscrites au casier judiciaire (bulletins no 1 et 2) dès lors qu'ont été prononcées des mesures de sûreté prévues par le nouvel article 706-136 et tant que ces interdictions n'ont pas cessé leurs effets. L'inscription au casier judiciaire de ces mêmes jugements ou arrêts est également la règle lorsqu'ils sont assortis d'une hospitalisation d'office en application de l'article 706-135 du Code de procédure pénale (art. 768 et 769 dans leur rédaction issue des lois no 2008-174 du 25 février 2008 et no 2010-242 du 10 mars 2010). V. sur ce point la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision no 2008-562 DC du 21 février 2008 (§ 31).32Articles 361-1 et 470-2 C. pr. pén. dans leur rédaction issue de la loi no 2008-174 du 25 février 2008.33Arrêt d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental si le juge d'instruction transmet – d'office ou à la demande des parties – le dossier de la procédure au procureur de la République aux fins de saisine de la chambre de l'instruction appelée à se prononcer par arrêt sur l'application du premier alinéa de

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non plus un arrêt de non-lieu34, art. 706-125 C. pr. pén.). Cette dernière décision est rendue par la chambre de l'instruction en audience publique, à l'issue de débats normalement publics et après comparution personnelle de l'intéressé (à tout le moins si son état le permet) et audition des experts psychiatres (art. 706-122 C. pr. pén. dans sa rédaction issue de la loi no 2008-174 du 25 février 2008). En même temps qu'elle déclare l'intéressé irresponsable pénalement, la chambre de l'instruction peut – sur demande de la partie civile – renvoyer l'affaire devant le tribunal correctionnel compétent afin qu'il statue sur l'aspect civil du litige (et singulièrement les dommages-intérêts réclamés par la victime en application de l'article 414-3 du Code civil en vigueur depuis le 1er janvier 2009) étant précisé que cette compétence judiciaire peut être confiée au juge délégué aux victimes (créé par le décret no 2007-1605 du 13 novembre 2007). Le cas échéant, la chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement peut accompagner sa déclaration d'irresponsabilité pénale du prononcé d'une ou plusieurs mesures de sûreté – très éphémèrement requalifiées en peines par la Cour de cassation35. Limitées dans le temps (dix ans ou vingt ans selon les cas) et sanctionnées pénalement36 en cas d'irrespect, ces mesures sont principalement composées d'interdictions diverses (de paraître en certains lieux, d'entrer en relation avec certaines personnes, de détenir une arme, d'exercer telle ou telle activité criminogène) auxquelles s'ajoutent la suspension et l'annulation du permis de conduire. Chassez le liquide pénal, et il revient insidieusement sous forme de gaz… Bien mieux, par décision spécialement motivée, la chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement peut ordonner l'admission en soins psychiatriques37 de la personne, sous la forme d'une hospitalisation complète dès lors qu'il est établi, par voie d'expertise, que « les troubles mentaux de l'intéressée nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public » (art. 706-135 et s., C. pr. pén. dans leur rédaction issue de la loi no 2011-803 du 5 juillet 2011).

l'article 122-1 du Code pénal (art. 706-119 et s. C. pr. pén.).34Un arrêt de non-lieu concerne l'hypothèse dans laquelle la chambre de l'instruction estime qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés (art. 706-123 C. pr. pén. dans sa rédaction issue de la loi no 2008-174 du 25 février 2008).35Crim., 21 janvier 2009, pourvoi no 08-83.492, Bull. Crim. no 24, Dr. Pén. 2009, Étude no 9 par F. Rousseau et AJPénal 2009, p. 178 obs J. Lasserre Capdeville. ; D. 2009, p. 1111 note H. Matsopoulou ; JCP 2009, II, 10043, note S. Detraz. En qualifiant initialement les nouvelles mesures de sûreté de peines, la Cour de cassation était parvenue à écarter l'application immédiate des dispositions issues de la loi du 25 février 2008. Seules les infractions perpétrées après l'entrée en vigueur de la loi pouvaient ainsi exposer leurs auteurs à de telles mesures, conformément au principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères. Cette solution prudente a toutefois été rapidement abandonnée par la formation plénière de la chambre criminelle (Crim., 16 décembre 2009, no 09-85.153, Bull. Crim. no 216, D. 2010, p. 471 note J. Pradel, AJ Pénal 2010, p. 136, obs. C. Duparc, RSC 2010, p. 129, obs. E. Fortis). La position de la Cour de cassation a par la suite reçu l'onction juridique de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 3 septembre 2015, Berland c/ France, req. no 42875/10).36La violation des interdictions est en effet sanctionnée de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende (art. 706-139 C. pr. pén.). Naturellement, ces sanctions n'auront vocation à s'appliquer qu'à l'égard de personnes qui, au moment où elles ont méconnu les obligations résultant d'une mesure de sûreté, étaient pénalement responsables de leurs actes. V. en ce sens, le rappel salutaire de cette exigence par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2008-562 DC du 21 février 2008 (§ 27).37Soulignons à cet égard que les maires, et à Paris les commissaires de police, disposent de prérogatives à la fois exceptionnelles et temporaires. En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, les autorités susvisées peuvent en effet arrêter à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires (conduite à l'IPPP par exemple), à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'admission en soins psychiatriques. Faute de décision du représentant de l'État, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures (art. L. 3213-2 CSP).

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Sans véritablement rompre – à tout le moins en apparence  – avec la tradition juridique qui interdit de juger et de condamner pénalement les individus dénués de discernement, toutes ces nouvelles mesures38 ont pour objet de sauvegarder le souvenir de l'acte criminel en même temps que les intérêts des victimes. Largement vilipendé par la doctrine, ce « procès sans jugement » présente pourtant l'avantage d'offrir aux victimes et à leur entourage un espace social et judiciaire symbolique où peuvent être décortiqués les tenants et les aboutissants de l'acte délictueux. Source d'explications pour les victimes, le nouveau débat complet et contradictoire sur les faits dépouillés de leur connotation répressive (la chambre de l'instruction est habilitée à vérifier s'il existe des charges suffisantes contre le mis en examen mais n'est pas compétente pour déclarer que ce dernier a effectivement commis les faits qui lui sont reprochés) ne sacrifie pas pour autant les droits de la défense (assistance obligatoire d'un avocat, représentation obligatoire par un avocat dans le cas où le mis en examen n'est pas en mesure de comparaître personnellement, publicité de l'audience, etc.). Enfin, le nouveau dispositif témoigne d'une implication renforcée de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles. Jusqu'à l'entrée en vigueur de la réforme du 25 février 2008, la compétence de l'autorité judiciaire s'épuisait39 avec la décision (non-lieu, relaxe, acquittement) reconnaissant l'irresponsabilité pour troubles mentaux de l'auteur des faits. Sans remettre en cause la démarche de soins confiée aux autorités médicales avec l'éventuelle participation de l'autorité préfectorale (v. supra), l'autorité judiciaire est à présent investie de prérogatives nouvelles de nature à mieux prévenir la réitération de l'infraction et les troubles à l'ordre public. Il n'est pas certain en revanche que cette réforme suffise à remédier au discrédit régulièrement jeté sur la psychiatrie médico-légale. Au-delà de certains diagnostics rétrospectifs erronés40, la crédibilité de l'expertise psychiatrique est trop souvent encore sujette à caution en raison des conditions de rémunération (forfaitaire et notoirement insuffisante) des experts et des conditions matérielles dans lesquelles l'expertise prend place au sein des établissements pénitentiaires.

▶ La contrainteDans une formule laconique inspirée de l'ancien article 64, l'article 122-2 du Nouveau Code pénal dispose que « n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister ». À l'instar des troubles mentaux, la contrainte empêche d'imputer l'infraction commise à son auteur en sorte que celui-ci n'est pas responsable pénalement. Mais alors que l'aliénation mentale supprime le discernement41, la contrainte abolit la volonté de l'agent. Autrement dit, l'agent soumis à la contrainte est

38Soulignons par ailleurs que le juge de l'application des peines peut soumettre, à sa libération, la personne dont l'altération du discernement a été retenue lors de sa condamnation et qui n'est pas par ailleurs soumise à un suivi socio-judiciaire, à une obligation de soins pendant une durée qu'il fixe et qui ne peut excèder cinq ans en matière correctionnelle ou dix ans si les faits constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement (art. 706-136-1 dans sa rédaction issue de la loi no 2014-896 du 15 août 2014).39Aussi, lorsqu'elles estimaient que l'état mental d'une personne déclarée irresponsable pénalement nécessitait des soins et compromettait la sûreté des personnes ou portait gravement atteinte à l'ordre public, les autorités judiciaires devaient-elles en aviser immédiatement le préfet. Il appartenait ensuite à la seule autorité administrative (Préfet de police de Paris ou représentant de l'État dans le département) de prendre les mesures nécessaires et, le cas échéant, de décider d'une hospitalisation d'office dans un établissement psychiatrique.40Le braqueur multirécidiviste que l'on surnomme « Pierrot le fou » (de son vrai nom Pierre Bodein) avait ainsi été décrit comme un sujet sain, ouvert et affable par les experts avant que la justice le soupçonne d'avoir commis deux meurtres accompagnés de violences sexuelles quelques mois seulement après sa libération conditionnelle (Le Monde, 8 juillet 2004).41C'est-à-dire la capacité de comprendre la portée de ses actes.

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parfaitement conscient de commettre une infraction, mais il n'agit pas de son plein gré, il subit. Au-delà de leur diversité, les circonstances qui détruisent la liberté du comportement doivent répondre à des exigences communes pour entraîner l'impunité. Cela conduit à étudier tour à tour les formes et les caractères de la contrainte.

• Les formes de la contrainteOn distingue traditionnellement plusieurs formes de contrainte qu'il est permis de regrouper selon leur nature (physique, morale) et leur origine (interne, externe).

Il y a contrainte physique lorsque l'agent est amené – contre son gré – à commettre une infraction en raison d'une force42 exercée sur son corps. La contrainte physique se dédouble à son tour. Selon que l'événement qui y donne naissance est extérieur ou inhérent à la personne de l'agent, la contrainte est qualifiée d'externe ou d'interne. Très proche de la force majeure des civilistes, la contrainte physique externe peut résulter indifféremment du fait de l'homme ou des forces de la nature. On cite souvent l'hypothèse – d'école – de l'assassin dont la main serait guidée par un tiers. Un autre exemple, plus vraisemblable, est celui du coureur cycliste qui, enfermé dans un peloton, ne peut faire autrement que de renverser un policier43. Pareillement, ne se rend pas coupable du délit de non-représentation d'enfant (art. 227-5 C. pén.) le père de famille qui se trouve dans l'impossibilité de remettre son enfant mineur à son ex-femme en raison d'intempéries d'une très rare violence. Dans le même sens, le délit de défaut de déclaration de revenus (art. 1741 CGI) ne saurait être imputé à un chef d'entreprise placé en détention provisoire et dont la justice aurait saisi toute la comptabilité44. Moins fréquente, la contrainte physique interne (maladie, sommeil profond, narcolepsie, malaise brutal) n'en est pas moins exonératoire de responsabilité. La jurisprudence en a ainsi jugé à propos d'un voyageur qui, par suite d'une grande fatigue, s'était endormi dans un train et avait dépassé sa gare de destination45. Une solution identique a été dégagée s'agissant d'un débiteur d'une pension alimentaire poursuivi pour abandon de famille qui avait dû cesser toute activité en raison d'une maladie cardiaque46. Un automobiliste qui provoquerait un accident de la circulation à la suite d'un malaise brutal n'engagerait pas davantage sa responsabilité pénale47.

Lorsqu'elle s'exerce directement sur la volonté de l'agent sans transiter par son corps, la contrainte est dite morale. Il en existe deux formes dont l'une seule produit un effet disculpateur. Puisant son origine dans une cause étrangère à l'agent, la contrainte morale externe est établie lorsque la liberté de l'agent est anéantie par la crainte d'un mal imminent. Celui qui, menacé dans va vie ou dans ses biens, commet une infraction ne saurait en principe engager sa responsabilité pénale. La chambre criminelle en a ainsi décidé48 à propos d'un fermier qui, pendant la guerre d'Algérie, avait hébergé des rebelles du FLN à la suite de menaces de mort particulièrement pressantes et directes. Il ne saurait en revanche y avoir de contrainte morale externe lorsque l'idée de commettre l'infraction est suggérée sans être véritablement imposée. Par suite, les provocations policières (en matière de stupéfiants par exemple)

42D'où l'expression « force à laquelle la personne n'a pu résister » employée par l'article 122-2 du Code pénal.43Crim., 5 janvier 1957, Bull. crim., no 17.44Solution suggérée par la Chambre criminelle dans un arrêt du 15 mai 2008 (Dr. Pén. 2008, comm. no 129, obs. J.-H. Robert)45Crim., 19 octobre 1922, Bull. crim., no 318.46Crim., 24 avril 1937, DH, 1937, p. 429.47En ce sens, Douai, 24 octobre 2000, JCP 2002, II, 10012 note Maréchal.48Crim., 26 février 1959, Bull. crim., no 139.

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n'entraînent pas l'irresponsabilité de l'auteur de l'infraction, faute de supprimer chez ce dernier toute liberté d'esprit.

Tandis que la pression qui, de l'extérieur, s'exerce sur la volonté de l'individu constitue une cause d'exonération, celle qui provient de la personne même de l'agent est inopérante. Le rejet de la contrainte morale interne est une solution traditionnelle49 en jurisprudence. Il s'ensuit qu'une simple force intérieure – tels l'amour, la haine, la jalousie, la passion du jeu, l'impulsivité – ne supprime pas la responsabilité de l'agent. Les convictions politiques, philosophiques ou religieuses ne constituent pas davantage une cause d'irresponsabilité pénale. Il s'ensuit qu'un pharmacien hostile à l'avortement ne peut se réfugier derrière ses convictions religieuses pour refuser de délivrer dans son officine une pilule abortive à une cliente50. Dans le même ordre d'idées les membres d'une secte qui, au nom de leur croyance, refusent les moyens modernes de la médecine (transfusion sanguine) peuvent être poursuivis, en certaines circonstances, pour non-assistance à personne en danger51. Cependant, à défaut de faire disparaître la responsabilité pénale, la contrainte morale interne peut conduire les tribunaux à prononcer une sanction modérée quand ce n'est pas une dispense de peine52.

• Les caractères de la contraintePour emporter l'irresponsabilité pénale, la contrainte doit présenter certains caractères qui sont commandés par l'idée générale que celui qui s'en prévaut ne doit pas être, de quelque manière que ce soit, fautif. Il s'ensuit que la contrainte doit d'abord être irrésistible ou si l'on préfère invincible. Cette condition, clairement posée par l'article 122-2 du Code pénal, implique que l'agent qui subit la contrainte doit avoir commis l'infraction dans l'impossibilité d'agir autrement. Cette absence de choix – appréciée avec sévérité par les tribunaux53 – est d'ailleurs ce qui distingue la contrainte de l'état de nécessité. Le bénéfice de la contrainte suppose ensuite que celle-ci soit imprévisible54. Cette condition, dégagée par la jurisprudence, évoque la force majeure du droit civil55. La contrainte ne saurait donc être invoquée par celui qui n'a pas prévu

49L'affaire Silice (Crim., 11 avril 1908, S., 1909, 1, p. 473, note Roux) témoigne parfaitement de l'ancrage des solutions jurisprudentielles. En l'espèce, la femme d'un militaire, craignant la mise à la retraite anticipée de son mari, avait adressé une lettre d'injures au ministre de la Guerre. L'impulsivité de l'épouse n'a pas été retenue comme cause de non-imputabilité.50Solution ratifiée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, sect. III, 2 octobre 2001, Pichon et Sajous c/ France, JCP éd. E 2002, 1045, note Raynaud).51Crim., 29 juillet 1967, JCP, 1968, II, 15377, note Pradel.52CA Colmar, 8 décembre 1987, D., 1988, p. 131 note Koering-Joulin (à propos de militaires d'origine canaque qui, au moment des événements de Nouvelle-Calédonie, se réfugiaient derrière leurs convictions politiques pour refuser de servir sous le drapeau français).53La simple difficulté que l'on éprouve à se conformer à la loi ne saurait être assimilée à la contrainte. Ainsi, la résistance d'un enfant mineur ou son aversion à l'égard de celui qui est en droit de le réclamer ne saurait, à moins de circonstances exceptionnelles, constituer une contrainte pour celui qui a l'obligation de le représenter (Crim., 4 octobre 1995, Gaz. Pal., 1996, 1, Chron. 14 par Doucet). Autre signe de rigueur : la Cour de cassation a récemment cassé un jugement de relaxe rendu par une juridiction de proximité en faveur d'une conductrice, enceinte de huit mois, qui prise d'un malaise avait stationné son véhicule sur un emplacement réservé aux grands invalides (Crim., 15 novembre 2006, Dr. Pén. 2007 comm. no 16, JCP II, 10062, note J.-Y. Maréchal). Faute de préciser en quoi la défaillance physique invoquée par la prévenue l'avait placée dans l'impossibilité absolue de se conformer à la loi, le juge de proximité n'a pas en effet justifié sa décision.54Pour un rappel récent de cette exigence, Crim., 28 octobre 2009, Dr. Pén. 2010, Comm. no 4, obs. M. Véron.55En droit civil, l'assemblée plénière de la Cour de cassation exige en effet que la force majeure soit à la fois imprévisible et irrésistible (Cass., Ass. Plén., 14 avril 2006, JCP éd. G., 2006, II, 10087 note P. Grosser et D. 2006, p. 1577 note P. Jourdain).

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ce qui était prévisible ou, l'ayant prévu, n'a rien fait pour empêcher la survenance de l'événement. Celui qui, par sa faute, se place dans une situation de contrainte reste responsable. Ainsi s'explique, par exemple, la condamnation d'un marin déserteur qui n'avait pu rejoindre son navire en raison de son arrestation pour ivresse publique et manifeste56.

▶ L'erreur Dans le langage courant, l'erreur correspond à la faute commise en se trompant. Lorsque cette faute est constitutive d'une infraction pénale, l'erreur fait-elle disparaître la responsabilité de celui qui la commet ? On ne peut répondre à cette question sans distinguer selon que l'erreurporte sur la situation matérielle ou sur l'ordre juridique (son existence ou sa portée). Il faut donc considérer plus en détail l'erreur de fait et l'erreur de droit.

• L'erreur de faitÀ l'instar de l'ancienne législation, le Nouveau Code pénal ne souffle mot de l'erreur de fait. Pourtant, en certaines circonstances, l'erreur sur la matérialité des faits est de nature à exclure la culpabilité de l'agent et donc sa responsabilité pénale.

En matière d'infractions intentionnelles, l'erreur de fait permet d'exclure l'intention coupable lorsqu'elle porte sur un élément essentiel57 de l'infraction. Ainsi, celui qui se trompe sur l'âge de son partenaire sexuel peut, en certaines circonstances, exciper de son erreur pour échapper à une condamnation du chef de corruption de mineur58. Pareillement, celui qui, dans l'obscurité d'un vestiaire, s'empare d'un vêtement autre que le sien ne commet pas un vol. En l'absence de volonté de soustraire la chose d'autrui, il ne saurait y avoir d'infraction pénale. L'erreur de fait est ici synonyme de bonne foi. À défaut de supprimer l'infraction, l'erreur sur la matérialité des faits peut en modifier la qualification juridique : le pharmacien qui, par étourderie, délivre une substance mortifère à la place du médicament prescrit ne se rend pas coupable d'empoisonnement, faute d'intention coupable. Seulement, si le malade décède, le pharmacien pourra être poursuivi sous la qualification d'homicide par imprudence. Pareillement, lorsqu'un chasseur en tue un autre en pensant tirer sur du gibier, il y a homicide par imprudence et non meurtre.

En matière d'infractions non intentionnelles, l'erreur de fait est en revanche indifférente. Elle ne supprime pas la responsabilité de celui qui la commet. Bien plus, l'erreur commise attestera le plus souvent que l'auteur de l'infraction n'a pas fait preuve de toutes les diligences exigées par la situation. Le conducteur qui blesse grièvement un piéton après avoir confondu les pédales de frein et d'accélérateur s'expose à des poursuites pour blessures involontaires. La même qualification peut être retenue à l'encontre du policier qui, à l'occasion d'un exercice de tir, blesse un collègue avec une arme qu'il croyait dépourvue de munition.

• L'erreur de droitAux termes de l'article 122-3 du Code pénal, « n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ». En consacrant cette nouvelle cause d'irresponsabilité, le

56Crim., 29 janvier 1921, Aff. Trémintin, S., 1922, 1, p. 185, note Roux.57À l'inverse, la méprise de l'agent est inopérante lorsqu'elle porte sur un élément marginal de l'infraction : ainsi, une erreur sur l'identité de la victime dans le meurtre (aberratio ictus), une erreur sur la valeur des objets appréhendés dans le vol. Cela tient au fait que l'erreur n'est pas ici exclusive de l'intention coupable.58 Crim., 4 janvier 1902, DP 1902, 1, p.528 ; Crim., 6 novembre 1963, D. 1965, p. 323 note R. Vouin.

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législateur de 1992 remet en cause une longue tradition d'indifférence à l'égard de l'erreur sur le droit. Pour mieux comprendre cette rupture, il convient de confronter les solutions classiques aux solutions actuelles.

— Les solutions classiques

L'Ancien Code pénal reposait sur l'idée que nul n'est censé ignorer la loi (Nemo censetur ignorare legem). Par suite, l'auteur de l'infraction ne pouvait prétendre avoir ignoré la loi pour s'exonérer de sa responsabilité. Dans la pratique, cette présomption de connaissance de la loi était appliquée avec une grande rigueur par la jurisprudence criminelle59 même si certaines juridictions du fond se montraient parfois plus compréhensives. L'erreur sur le droit, en principe inopérante, a pu ainsi être admise au profit de l'époux poursuivi pour adultère qui croyait avoir divorcé alors que le jugement de divorce n'avait pas encore été transcrit60. De même, a été relaxé le prévenu qui, ayant découvert un trésor, se l'était approprié en totalité en méconnaissance des règles de l'article 716 du Code civil61. Ces quelques décisions étaient toutefois trop isolées pour former une véritable jurisprudence.

Sur le plan théorique, l'adage selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi » se justifie aisément. La présomption de connaissance de la loi est d'abord la contrepartie de la règle Nullum crimen, nulla pœna sine lege. Si les citoyens ne peuvent être punis qu'en application de textes préexistants, il leur appartient en retour de se renseigner sur ce que le droit permet ou interdit. Par ailleurs, si chaque citoyen pouvait se réfugier derrière son ignorance de la loi pour échapper à la répression, cela entraînerait les pires désordres. La présomption de connaissance de la loi est une fiction indispensable à l'exercice de la justice pénale. Cela est sans doute parfaitement admissible dans une société gouvernée par un petit nombre de règles figées et enracinées dans des coutumes ancestrales. Mais, lorsque les règles de droit sont mouvantes, incertaines, multiples et complexes, il y a un évident mépris de la réalité à exiger de l'homme de la rue ce que le juriste de profession peut parfois ignorer62. Pour cette raison, le législateur du XIXe siècle avait permis aux tribunaux d'accueillir l'exception d'ignorance de la loi lorsque l'infraction avait été commise dans les trois jours à compter de la publication du texte d'incrimination (décret du 5 novembre 1870). Certes, la brèche ainsi ouverte dans la répression restait étroite. Mais le chemin était désormais tracé pour des réformes plus ambitieuses. Celles-ci verront le jour avec le Nouveau Code pénal.

— Les solutions actuelles

En même temps qu'il consacre l'erreur de droit, le Nouveau Code pénal l'encadre dans des conditions très restrictives. Pour échapper à la répression, l'auteur de l'infraction doit en effet justifier avoir cru, par une erreur sur le droit qu'il n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte. Autrement dit, l'erreur de droit n'est une cause d'irresponsabilité pénale qu'autant qu'elle est invincible, inévitable, insurmontable. À s'en tenir aux travaux préparatoires du Code pénal, cela recouvre deux situations différentes. La première hypothèse est celle du texte non publié et donc inaccessible au citoyen. Par exemple, un arrêté municipal non affiché. La seconde hypothèse, moins théorique, est celle de l'information

59Dès que l'occasion se présentait, la chambre criminelle n'hésitait pas à marteler que « l'ignorance de la loi ne saurait être une cause de justification » (Crim., 4 mars 1986, Bull. crim., no 87).60Trib. corr. Laval, 9 janvier 1948, JCP, 1948, II, 4119 note Lhérondel.61CA Paris, 2 décembre 1924, Recueil de droit commercial, 1925, 2, p. 359.62J. Carbonnier, Flexible droit, LGDJ, 4e éd., 1979, p. 129.

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erronée fournie par l'autorité administrative (circulaires63, réponse écrite d'un ministre, attestation erronée de situation administrative, etc.). On voit mal en effet ce que l'on pourrait reprocher à l'individu qui ne fait que se conformer aux directives délivrées par l'administration ?

Comme on pouvait le pressentir, les premières applications jurisprudentielles de l'article 122-3 révèlent que la voie de l'impunité demeure très étroite et seules quelques décisions64 de la Chambre criminelle ont admis la force disculpatrice de l'erreur . C'est d'abord à la personne poursuivie qu'il appartient d'invoquer l'erreur de droit, les tribunaux ne pouvant la soulever d'office65. Il ne saurait ensuite y avoir d'erreur invincible lorsque celui qui l'invoque n'a pas pris la précaution de s'informer auprès des autorités publiques66 qualifiées67 : magistrat68, inspecteur du travail69, maire70, préfet, ministre, etc. En outre, le doute sur le sens ou la portée d'un texte répressif – en raison notamment de divergences jurisprudentielles – est exclusif de toute erreur légitime71. On ne peut pas en effet être à la fois sûr de son bon droit et hésiter le moment venu sur la légitimité de ses actes. Enfin, les tribunaux se montrent en règle générale plus réticents à

63La jurisprudence la plus récente ne semble pas très encline à admettre l'effet exonératoire des circulaires de l'administration quand ces dernières contredisent ouvertement les termes clairs et précis de la loi. V. singulièrement Crim., 18 janvier 2005, Bull. Crim. no 22, AJPénal no 6/2005, p. 236, obs. C. Girault.64Crim., 24 novembre 1998, JCP éd. G, 1999, II, 10208 note M.-A. Houtmann (relaxe d'un gérant d'une entreprise de déménagement poursuivi pour avoir méconnu la réglementation relative à la durée du travail alors qu'il n'avait fait qu'appliquer les clauses d'un accord professionnel élaboré sous l'égide d'un médiateur désigné par le gouvernement) ; Crim., 11 mai 2006, Bull. Crim., no 128, JCP éd. G. 2006, II, 10207 note O. Fardoux (relaxe d'un conducteur, dont le permis de conduire français avait été annulé, mais qui pensait pouvoir légitimement conduire son véhicule avec son permis international à la suite d'une attestation de situation administrative remise par erreur par un agent de police judiciaire). Pour une solution identique, CA Aix-en-Provence, 20 septembre 2007, AJ pénal no 5/2008, p. 231, obs. J.-D. Pellier.65Crim., 15 novembre 1995, Bull. crim., no 350. V. également, Crim., 28 juin 2005, AJPénal no 9/2005, p. 328, obs. G. Roussel (à propos de l'acquisition auprès d'une animalerie d'oiseaux appartenant à une espèce protégée avec remise d'une facture officielle).66Pour l'heure, la chambre criminelle (Crim., 11 octobre 1995, Bull. crim., no 301) écarte l'erreur de droit lorsque l'information erronée émane d'une personne privée, fût-elle un professionnel : ainsi, un avoué, un avocat un notaire ou bien encore un représentant des créanciers (pour une erreur s'agissant de la déclaration d'une créance, Crim. 7 janvier 2004, Dr. Pén. 2004, comm. no 49, obs. M. Véron). Plus récemment encore, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé le bénéfice de l'erreur de droit à des responsables d'un groupement agricole d'intérêt économique qui avaient réalisé des travaux de drainage irréguliers après avoir été induits en erreur par les conclusions d'un cabinet privé d'ingénierie (Crim., 22 mars 2016, pourvoi no 15-84.949).67L'autorité d'où procède l'erreur doit être à la fois publique et normalement compétente. Ainsi s'explique, par exemple, le rejet de l'erreur de droit dans une affaire où un prévenu avait édifié un chapiteau après en avoir reçu l'autorisation par la mairie de Paris mais sans avoir respecté la procédure spécifique relative au permis de construire (en ce sens, Crim., 12 septembre 2006, Gaz. Pal. Du 25 octobre 2006, p. 23, note M. B.).68L'erreur sur le sens ou la portée d'une décision de justice peut toujours être évitée par une requête en interprétation adressée à la juridiction de jugement (Crim., 11 octobre 1995, préc.).69Crim., 5 mars 1997, Bull. crim., no 84 : à propos d'un chef d'entreprise qui, après avoir consulté un ouvrage juridique faisant état d'informations erronées, était poursuivi pour avoir méconnu la réglementation applicable au temps de travail ; Crim., 20 janvier 2015, AJ pénal 2015, p. 142 note M.-C. Sordino : à propos d'un prévenu, dont l'entreprise était implantée de longue date en France, qui avait omis de solliciter l'avis de l'inspection du travail sur l'étendue de ses obligations en matière d'embauche de salariés.70Crim., 5 mai 2009, Dr. Pén. 2009, comm. no 113 obs J.-H. Robert (à propos d'un permis de construire délivré irrégulièrement – par simple courrier – par un maire au profit de l'un de ses administrés).71En ce sens Crim., 11 mai 2004, 2 arrêts (à propos des divergences sur le vol de documents en vue de se défendre dans le cadre d'une instance prud'homale), Les petites affiches no 191/2004, p.14, note F. Debove.

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admettre l'erreur de droit dans les cas où elle est invoquée par un professionnel72. Mais la relative bienveillance envers les profanes a ses limites : nul ne saurait ignorer certaines règles élémentaires comme l'interdiction du port d'armes73 ou bien le port obligatoire de la ceinture de sécurité.

72Ainsi, pour un responsable d'une grande surface poursuivi pour exercice illégal de la pharmacie après avoir commercialisé un médicament (une solution d'alcool à 70 °C) qu'il pensait légitimement pouvoir offrir à la vente (Crim., 15 octobre 2002, Dr. Pén. 2003, comm. no 25). Dans le même sens, à propos d'une animalerie poursuivie pour exercice illégal de la pharmacie après avoir commercialisé un médicament qu'elle croyait être un simple supplément nutritionnel à la lecture du dictionnaire des médicaments vétérinaires (Crim., 4 octobre 2011, Bull. Crim. no 191).73CA Grenoble, 13 novembre 1996, Dr. pénal, 1997, comm. 92, obs. Véron.