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H,s,ory of European Ideas, Vol. 14, No. I, pp. 115-136, 1992 0191.6599/92 $5.00+ 0.00 Printed in Great Britain Pergamon Press plc IDkE D’fiGALITk, TH&ME ET MYTHE DE L’liiGE D’OR EN FRANCE AU XVIIIe SIkCLE ANDRE DELAPORTE* 1. INTRODUCTION Le present article n’a pas pour but de mettre un point final aux etudes que nous avons entreprises sur les deux themes de l’bgalite et l’bge d’or au XVIIIe sikcle. l Bien plutbt s’agit-il ici de faire le point en digageant les regles de m~thodologie qui nous ont guide; en signalant les textes et les auteurs du dix-huititme siecle dont notre documentation s’est enrichie depuis la publication de nos precedents travaux; en Ctayant ceux-ci des trouvailles recentes de certains de nos collegues; en suscitant le dtbat et en ouvrant des pistes de recherche pour les dix- huititmistes des diverses disciplines question&s, qu’ils soient historiens, philosophes, specialistes de la litttrature ou des Beaux-Arts, de l’histoire des idtes ou de politologie. 2. EGALITl? ET THBMES CO-OCCURRENTS Le mot ‘tgalite’ est, de nos jours, couramment employ& par Ies hommes politiques, les journalistes, les syndicalistes, ainsi que par le commun des mortels. 11 fait partie d’un corpus idiologique constituant le soubassement des societts lib&ales et democratiques. 11 est constamment me16 a une foule de dtbats touchant, selon le cas, aux droits civiques, a l’enseignement, aux salaires, aux imp&, a la redistribution, a l’emploi, aux relations internationales tant politiques qu’tconomiques, aux relations inter-communautaires et inter- sexuelles2 11constitue-devrions-nous tcrire ‘il constituait’?-aussi le fondement des societes d’tconomie centralement planifiee. Cela pour prirciser que la concretion autour de ce mot dun si grand nombre d’occurrences rend ntcessaires de le maintenir pour ainsi dire in situ, sans l’extraire de son contexte historique et sociologique. C’est pourquoi, d&s lors qu’on pretend etudier l’egalitt au XVIIle siecle, il importe, en tant qu’historien, de se garder rigoureusement de toute tentation d’anachronisme, de tout point de vue du rttroviseur qui consisterait a projeter dans le passe des preoccupations d’aujourd’hui, ou a faire des auteurs de l’tpoque des ‘prtcurseurs’ ou des ‘predecesseurs’ de ceci ou de cela. Cette regle tltmentaire de simple bon sens m~thodologique est celle que nous nous sommes efforce de suivre depuis la mise en euvre de notre These; c’est celle qu’a rappel&e, et mise en ceuvre avec un rare bonheur Renato Galhani dans son etude si riche et *Bergstrasse 4, Trier D-5500, Germany.

Idée d'égalité, théme et mythe de l'âge d'or en France au XVIIIe siécle

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Page 1: Idée d'égalité, théme et mythe de l'âge d'or en France au XVIIIe siécle

H,s,ory of European Ideas, Vol. 14, No. I, pp. 115-136, 1992 0191.6599/92 $5.00 + 0.00

Printed in Great Britain Pergamon Press plc

IDkE D’fiGALITk, TH&ME ET MYTHE DE L’liiGE D’OR EN FRANCE AU XVIIIe SIkCLE

ANDRE DELAPORTE*

1. INTRODUCTION

Le present article n’a pas pour but de mettre un point final aux etudes que nous avons entreprises sur les deux themes de l’bgalite et l’bge d’or au XVIIIe sikcle. l Bien plutbt s’agit-il ici de faire le point en digageant les regles de m~thodologie qui nous ont guide; en signalant les textes et les auteurs du dix-huititme siecle dont notre documentation s’est enrichie depuis la publication de nos precedents travaux; en Ctayant ceux-ci des trouvailles recentes de certains de nos collegues; en suscitant le dtbat et en ouvrant des pistes de recherche pour les dix- huititmistes des diverses disciplines question&s, qu’ils soient historiens, philosophes, specialistes de la litttrature ou des Beaux-Arts, de l’histoire des idtes ou de politologie.

2. EGALITl? ET THBMES CO-OCCURRENTS

Le mot ‘tgalite’ est, de nos jours, couramment employ& par Ies hommes politiques, les journalistes, les syndicalistes, ainsi que par le commun des mortels. 11 fait partie d’un corpus idiologique constituant le soubassement des societts lib&ales et democratiques. 11 est constamment me16 a une foule de dtbats touchant, selon le cas, aux droits civiques, a l’enseignement, aux salaires, aux imp&, a la redistribution, a l’emploi, aux relations internationales tant politiques qu’tconomiques, aux relations inter-communautaires et inter- sexuelles2 11 constitue-devrions-nous tcrire ‘il constituait’?-aussi le fondement des societes d’tconomie centralement planifiee. Cela pour prirciser que la concretion autour de ce mot dun si grand nombre d’occurrences rend ntcessaires de le maintenir pour ainsi dire in situ, sans l’extraire de son contexte historique et sociologique. C’est pourquoi, d&s lors qu’on pretend etudier l’egalitt au XVIIle siecle, il importe, en tant qu’historien, de se garder rigoureusement de toute tentation d’anachronisme, de tout point de vue du rttroviseur qui consisterait a projeter dans le passe des preoccupations d’aujourd’hui, ou a faire des auteurs de l’tpoque des ‘prtcurseurs’ ou des ‘predecesseurs’ de ceci ou de cela. Cette regle tltmentaire de simple bon sens m~thodologique est celle que nous nous sommes efforce de suivre depuis la mise en euvre de notre These; c’est celle qu’a rappel&e, et mise en ceuvre avec un rare bonheur Renato Galhani dans son etude si riche et

*Bergstrasse 4, Trier D-5500, Germany.

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si feconde sur ‘Rousseau, le luxe et l’ideologie nobiliaire’ (in Studies on Voltaire and the eighteenth cenrury, Oxford, 1989) laquelle a demontre que, contrairement a ce qu’on pourrait penser au premier abord, l’idee d’egalite ttait bien partie prenante, constitutive meme, de I’ideologie nobiliaire au XVIIIe sitcfe.

Aussi bien, enquktant sur l’idee d’tgalite au siecle des Lumieres, le chercheur devra-t-i1 autant que possible faire complete abstraction de sa condition de citoyen engage dans les d&bats economiques, politiques et sociaux du XXe siecle et, comme un archeologue des idles maniant davantage scalpel, pinceau et brosse que pioche, isoler avec precaution le noyau forme par le concept d’egalitir et ses co-occurrences. tout en veillant a le maintenir soigneusement in situ, c’est-a-dire dans le contexte de la societb et du debat d’idees dans la France et 1’Europe des Lumieres.

Si done il etudie l’egalite au XXe siecle, ou l’egalite au XVIIIe sitcle, le chercheur devra saisir l’idee d’tgalitt: telle qu’elle etait concue B tel moment don&. En somme, sa demarche ne sera guere differente, ceteris paribus sic stantibus, de celle du linguiste Ctudiant I’Ctat global d’une langue B tel moment p&is de son evolution. La diffkulte survient lorsque l’historien doit entreprendre de suivre l’evolution ou la filiation d’une idee: car meme en l’espace d’un siecle seulement l’idte d’tgalite a pu evoluer et ce concept se charger d’un sens different, selon qu’il Ctait employ6 par Bossuet B la fin du XVIIe siecle, ou par Sylvain Mar&ha1 a la fin du XVIIIe. Pourtant, les mots sont Ies memes, Ies metaphores identiques, le ton de la declamation voisin-mais le contexte idtologique, sociologique et politique est certes different, qui &pare l’orateur eccltsiastique theoricien de l’absolutisme monarchique, auteur classique familier de la Cour et des Grands, du ‘doux berger Silvain’, petit bourgeois erudit et ‘religieusement athee’ a qui la revolution de France offrit l’occasion de tenter de prendre sa revanche sociale, celui-la meme qui composa le ffamboyant ‘Manifeste des Egaux’ de la conspiration babouviste. Suivant alors I’evolution du mot en l’espace d’un sibcle le chercheur devra alors se cornporter pour ainsi dire non plus en linguiste mais bien plutot en philologue.

2.2 On observe en premier lieu que tes djctjonnuires divergent sens~~~ement quant

ir fa date d~appar~tion du mot ‘t!galitk’ dans la iangue franraise: le Dictio~na~re ktymologique de la ianguefranpaise (Paris: Larousse, 1938) d’Albert Dauzat tient que ‘le mot apparut au XIIIe s., derive du lat. aequalitas’, qui signifiait ‘similitude’, ‘conformite’, ‘nivellement’, tandis qu”egalite des droits, egalite civile et politique’ ttaient rendues parjuris aequabilitas, et ‘Cgalite de conditions’ parpar condicio cjvium. Les dictionnaires d’ancien francais (Tob~er-Lommatsch, von Wartburg, Godefroy) fournissent une Iiste assez impresionnante de mots mtditvaux derives d’aequafitas: kgaltk, Pgailett?, kgautk, igaIet6, iveitk, ysveltk, oelt.5, ovellett: eiwaliteit, ye&k. Le Dictionnaire gtnPra1 de la langue francaise du commencement du XVIIe jusqu’h nos jours (Paris: Delagrave, 1964) d’Adolphe Hatzfeld et Arskne Darmsteter affirme qu’cigaltt est ‘derive de &gal, sous l’influence du latin aequa~jtas (. . .) Le mot actuel est une sorte de compromis entre [ies] formes diverses [&e/r& &gal&!, Pqualitk, etc.] connues de l’ancien francais. Le XVIe siecle ne connait guere que kqualitk, remplace par .kgaIitP au commencement du XVIIe s’. Le Moyen Age avait un autre mot pour designer ce

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qu’on entend aujourd’hui par ‘Cgalite’: Lest le motparage, ouparatge, dtrivant du latin par, paris, qui a don& ‘pair’, mot noble pour designer l’egaiite nobiliaire (‘Pairs du Royaume’, ‘Pairs de France’, ‘Dues et Pairs’), d’ou sont sortis le mot ‘parite’ et son antonyme ‘disparite’, ce dernier couramment utilise aujourd’hui par le pedantesque jargon journalistique et politicien pour signifier I’inegalite entre deux groupes. Or ‘kgalite’ et ‘parite’ sont mis en correlation dans le

Dictionnaive de Furetiere (1690):

EGALITE, s.f. Parite exacte, ressemblance, ce qui rend igal en quantite, en qualiti. I1 y a entre ces deux lignes de 1”‘egalitt”. Entre ces deux personnes, il y a “egalitt” d’age, de condition (. .)

Le Dictionnaire de TrPvoux (4e ed., 1740) developpe et precise cette definition:

EGALITE. Rapport des chases &gales. ~Equa~itas. I1 y a entre ces deux lignes de l’kgafit.6. Entre ces deux perscnnes, il y a tgaliti d’age, de condition. L’amitit a besoin de quelque kggalitt;, mais c’est plutot d’une kgalirk qu’elle se fait d’elle-m&me, que d’une Cgalite qu’elle y trouve. M. SCUD. (. . .)

Ainsi done le Dictionnaire de Trkvoux place-t-i1 l’accent:

2.2.1. d’une part sur le caracttre mesurable de l’egalitt, aspects qu’il convient de mettre en correlation avec le foisonnement des disciplines scientifiques au XVIIIe siecle, comme l’attestent les definitions successives de l’egalite en astronomie, en gtometrie, en algtbre;

2.2.2. d’autre part sur l’egalite d’ame en tant que vertu philosophique, I’kquanimit6,-’ B rapprocher de l’ataraxie du sage et du culte d’une raison sachant dominer les passions, theme constant au XVIIIe sitcle et que l’abbe de Mably trigea en veritable systtme.

L’Encyclop&die de Diderot et d’Alembert retient trois mots derives chacun d’egal:

2.2.3. Concernant les successions, 1’

EGALEMENT (jurisp.) signifie ce qui se fait pour observer ou retablir l’egaliti! entre enfants, ou entre plusieurs heritiers, soit directs ou collatiraux.

ainsi que 1’

EGALITE (Jurispr.) dans les successions et partages, est lorsqu’aucun des htritiers n’est plus avantagk que les autres.

2.2.4. Puis l’tgalitk dans son rapport ri la Zogique, par quoi l’on retrouve le souci du sikcle d’etablir des normes rationnelles grace notamment a des ttalons de mesure. C’est ce meme souci qui poussa 1’Assemblte Constituante a diviser la France en dtpartements que d’aucuns auraient voulu rigoureusement tgaux quant au decoupage et a la superficie, et la Convention a inventer et & instituer le systeme metrique;

2.2.5. Enfin l’kgalitk naturelle ou morale, dont le Chevalier de Jaucourt, le rtdacteur de l’article, dit qu’elle est le fondement de la libertt puisque la nature

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humaine est ‘commune a tous ies hommes qui naissent, croissent, subsistent, et meurent de la m&me man&e’.

Ainsi, I’article de 1’Encyclopkdie synthttise-t-ii vraiment les conceptions du siecle en mat&e d’egalitt: Iui sont en effet associes les themes de nature, de raison, de bonheur. Mais la loi naturelle n’engage pas pour autant a un bouleversement des rangs: ‘inferieurs’ et ‘suptrieurs’ sont naturellement Cgaux; les droits sont les m&mes pour tous, sauf a pouvoir exciper d’un ‘droit particulier, en vertu duquel quelqu’un pourrait ‘exiger quelque preference’: done la Noblesse en particulier, les privileges de toute nature en gCnera1 ne sont nullement remis ne question. Or ceux qui ont les memes droits doivent pouvoir en jouir en commun, les posstder alternativement ou les diviser par &gales portions. L’esclavage rtsuhe d’une violation du droit naturel, celle-la m&me qui g&&e les criantes inegalitcs sociales du fait du ‘despotisme’ et des intrigues d’une courtisanerie arrogante et ruineuse. Mais de Jaucourt, a l’unisson de son siecle, n’en conclut pas pour autant a la ‘chimere de I’kgaiitk absolue’, c’est a dire de I’&galitt des conditions. L’histoire a fait perdre aux hommes, non pas l’egalite naturelle qui leur reste en partage de facon inaliknable et imprescriptible, mais l‘estat qui lui etait lie au temps du ‘premier age du monde’: le comte Henry de Boulainvilliers ne disait pas autre chose.4

Par ailleurs, le d&pouillement d’un grand nombre d’oeuvres du XVIIIe siecle et l’analyse des listings fournis par l’lnstitut national de la Langue franqaise de Nancy nous ont permis, une fois rejet6es les trts nombreuses occurrences ressortissant au domaine de la math~matique, de corrtler le concept d’Cgalite avec les id&es suivantes, prksentees ici de facon purement aleatoire: nature, raison, bonheur, Iiberte, humanite, simplicitk, mtdiocrite, frugal&e individuelle au sein d’une opulente nature, Isles fortunCes, Indes, Cythtre, amour, charitt, bienfaisance, philanthropie, village, campagne, communautirs monastiques, primitive Cglise de Jerusalem, partage des terres, Minos, Lycurgue, Gracques, bons sauvages, saturnales, age et siecle d’or, Otditi, ‘g&Creux Quakres’, utopie, justice, droit, propriktt, communautt- ces deux derniers termes paraissant souvent contradictoires selon le type d’egalite propose comme exemple ou comme modtle.

2.3 Les Sources de PZdke d’kgalitk 11 est courant d’entendre attribuer tout uniment l’origine de 1’~galitarisme au

jud~o-christianisme. Cette source est certes importante; elle offre souvent en exemple la felicite de ‘nos premiers parents’ en Ie Jardin d’Eden; la vie simple et frugale du temps des Patriarches; la communauti: de consommation de la primitive tglise de Jerusalem; les communautts monastiques qui servirent souvent de modeles aux differentes utopies Cgalitaires ou collectivistes; les reductions paraguayennes des JCsuites; la posttriti: du thomisme, directe chez son continuateur, compilateur et adaptateur Charles-Rent Billuart;5 indirecte dans les philosophies du droit naturel; les communautCs ‘herneutes’ (Herrenhuter) ou ‘quakres’ @uakers), ces derniers devenant paradigmes du Bon Civilist, antonymes du Bon Sauvage, etc.

Mais pour importante qu’elle soit, cette source-la est loin d’&tre exclusive. Nous avons en effet identifik un courant d’origine pdienne cfassique gr&zo-

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romaine offrant le modtle redondant et partout present de l’$ge d’or, de ce ‘premier age du monde’ oh, do&es de pouvoirs preternaturels comme la jeunesse, la long&it&, la Sante inalterable, la science infuse, etc., les hommes vivaient au contact intime de la Divinitt, occupes quasi exclusivement B celebrer leurs amours delicates et Cthtrees aux accords duphorminx et aux trilles du syrinx, ne sustentant leur existence que de la seule consommation des grains, des fruits, des produits laitiers offerts a chacun d’eux par l’opulente nature, coulant des jours heureux dans le cadre anarchisant de petites communautts patriarcales de bergers oti l’ancienneti etait le seul critere de differentiation sociale.

Or bien loin de s’opposer, les deux courants d’origine judeo-chrttienne et pagano-hell~nique confluent et mblent leurs eaux dans une synthese que l’on pourrait nommer pagano-chr~tienne, ample fleuve traditionnel irriguant par de multiples diffluents jusqu’aux plus minces des sources de la litterature en prose ou en vers du XVIIIe siecle. On est en presence, au demeurant, d’un vieux theme d’apologitique chretienne visant B recuptrer tout ce qui, dans les traditions pdiennes, s’apparenterait a certains passages des ecritures judeo-chretiennes, pour l’interprtter comme autant de traces, certes adult&es et corrompues, de la Revelation primitive (ou primordiale) livree a Adam et Eve en le jardin d’Eden. A la suite de l’abbe Fleury et de FCnelon, les Htbreux de l’antiquite furent revetus des peplu des bergers d’Arcadie, et rCciproquement.6 Cette identification de la Grece et de la Palestine antiques est, au demeurant, tout B fait explicite dans d’innombrables textes, tant des deux Rousseau, Jean-Baptiste’ puis Jean- Jacques,8 que de l’abbi: Genestg ou Bernardin de Saint Pierre.‘O

2.4. La reference au mythe et au theme de l’&ge d’or se renforqa encore avec les r&its des missionnaires et /es relations des voyageurs, persuades qu’ils etaient que les sauvages des Isles, des Indes ou d’otai’ti dont ils dtcouvraient le rustique et fruste mode de vie constituaient comme autant de reliques vivantes du ‘premier age du monde’ dont il convenait d’offir l’exemple de simplicite et de frugalite a la mauvaise conscience des Europeens corrompus et pervertis. De surcroPt, la d&occultation des ecrits vediques et brahmaniques” vint encore, B la fin du siecle, renforcer la puissance d’tvocation du theme de l’age d’or qui finit par prendre, sous les plumes de Voltaire,12 Court de GCbelin,13 Volney,14 Charles- Fran(;ois Dupuis,” Hemsterhuis,16 valeur d’un mythe universel.

Ainsi done, B mesure qu’avan~aient les recherches sur l’idte d’tgaliti: et les d~pouillements syst~matiques des textes d’tpoque, c’etait comme si l’on butait & chaque instant sur des monceaux de deblais accumules alentour du chantier cependant que l’on proctdait, B la faGon de coups de pioche d’abord, puis d’effleurements B l’aide de brosses et du scalpel ensuite, au patient dbgagement du noyau central de l’idte d’tgalitt. Patiemment dtgagt, celui-ci en arrivait petit a petit & prendre en quelque sorte l’aspect d’un belle ptpite d’or sertie de diamants et de pierres precieuses. Constatant peu B peu que les deblais extraits de la carriere prtsentaient toujours Sr peu prts la mZme physionomie, la frtquence de ces repetitions engagea a examiner encore de plus prb ce que l’on n’avait pris au depart que pour des morts-terrains sans valeur et qui s’avkra par la suite comme autant de reliefs dtlicatement ciseles d’une architecture antique de socles, de frontons, d’architraves, de chapiteaux, de pinacles adornant f’idte d’egalite et la

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mettant d’autant mieux en valeur. Aussi bien convenait-il d’examiner dun peu plus pres les motifs du theme, ce qui permettrait peut-&tre de ptnitrer au coeur du

mythe, afin de comprendre comment il etait perqu au XVIIIe siecle, et de degager sa valeur opkrationnelle, non seulement pour l’idte d’egalite en tant que telle, mais aussi pour l’inscription de celle-ci dans l’histoire du sikle par le biais de ce qu’on peut appeler le mouvement vers Ptigalitk (formule meilleure, semble-t-il, que ‘mouvement Cgalitaire’, ou ‘mouvement pour l’tgalitit’) qui devait finalement debaucher sur la revolution de France.

Devenu thtme redondant, le mythe de l’age d’or fut, au XVIIIe siecle, chanti: sous tous les modes, SW tous les tons, sur tous les tempos: nous le trouvons en prose ou en vers sous les calames des compositeurs d’eglogues, de pastorales, de bergeries; sous la plume des voyageurs, des missionnaires, des philosophes, des historiens, des polygraphes, des publicistes, des orientalistes, des historiens des religions, des revolutionnaires. Les astronomes et les astrologues guettent sa renovatiu au fond de leur lunette et dans les grimoires de leurs computs; les poktes ctlebrent son prochain retour, attendu B l’occasion de chaque nouvel avknement; les illuministes prttendent en ‘rtintegrer’ les pouvoirs grace aux ‘passes’ magiques qu’ils pratiquent au tours des tenues de leurs loges; les rtvolutionnaires s’activent fibrilement pour en hater la venue; les legislateurs ambitionnent de la graver sur de nouvelles Tables en rtdigeant leurs Consti- tions. C’est a qui, selon son talent propre, embouchera le tuba du Poete inspire modulant la Quatrieme Eglogue des Bucoliques de Virgile.

Certes, l’expression %ge d’or’ est souvent employee, dans la litttrature du temps, a tout propos et hors de propos. 11 a deja la valeur d’un lieu commun du langage courant: on dit alors ‘c’est un homme de l’age d’or’,i7 ‘l’enfance est Page d’or de la vie’,‘* ‘Mon Ama est Page d’or personnifit’,r9 etc., comme on parle aujourd’hui d’un ‘age d’or de la Science-Fiction’, d’un ‘age d’or des an&es soixante’, d’un ‘age d’or du cinema d’Hollywood’, etc.

Mais il serait quelque peu niais d’en rester B ces platitudes. Notre thkse est que c’est justement le complexurn ideologique de l’age d’or qui a confer& B l’idee d’egalite-et aux themes connexes &non& plus haut-tout son irresistible dynamisme rtvolutionnaire. Cela se demontre aistment:

2.4.1. par l’aspiration getkale du sitcle B retrouver un mode de vie heureux et paisible dans un cadre agreste, dans la mediocrite de besoins modestes assouvis par une nature opulente et dans l’absence de hi~rarchisation sociale (Cglogues,

pastorales, idylles des pottes et bergerettes des musiciens, hameau du Petit Trianon, etc.);

2.4.2 par la volontt de ceux des ‘philosophes’ (J.-J. Rousseau, Mably) se piquant de legislation, d’etablir une Constitution idtale s’inspirant des modeles mythiques de la Sparte de Lycurgue, de la Crete de Minos, de la Rome rtpublicaine, oti l’tgalite civile serait Ctablie (ce qui suppose moins l’abolition des ordres fonctionnels que leur rapprochement autour de la classe modale de la mtdiocrite) et oh l’on s’efforcerait, par l’institution d’impots somptuaires, de maintenir l’egalitt sociale, ou, grace aux transferts, de compenser les inegalites dues a la fortune;

2.4.3. par les modeles qu’offrent les auteurs d’utopies egalitaires et/au communautaires (le cure Meslier, Fenelon, Dom Deschamps, certains passages

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de Mably, Morelly, Restif de La Bretonne, L.-S. Mercier) dont certains visent explicitement a restaurer I’Age d’Or?O vieux theme litttraire occidental res- sortissant a la premiere fonction, particulitrement mis en valeur au XVIIIe siecle par la deuxikme (v. R. Galliani), r&cup&t enfin par la troisikme (valorisation du monde rural et des activites agricoles par les physiocrates; jeu de la bonne conscience bourgeoise faisant mine d’envier le sort du paysan oblige de trimer du matin jusqu’au soir: v. R. Mauzi);

2.4.4. par les certitudes milltnaristes, eschatologiques, sottriologiques, messianiques, de l’intluctable retour de l’age d’or a l’issue d’un cycle rtvolu: seraient alors abolies toutes les degenerations politiques, toutes les corruptions morales, toutes les iniquitts sociales, toutes les superstitions et tous les fanatismes religieux. Cette renovatio que signifie le terme meme de revolution est envisagee tantbt comme l’ceuvre d’un Grand Monarque dont le role pourrait &tre joue par Louis XVI (Gauvain, dit Galloi?‘) ou les rois a venir Louis XXXIV (L.- S. Mercie?) ou Louis-Francois XXII (Restif de La Bretonnez3), tantot comme

celle des Legislateurs (abbes Sibire et Lamourette25 aux Constituants), tantot

comme celle du peuple se lib&ant de ses chaines (Gueudeville,26 Mably dans certaines de ses declamations, Sylvain Marechal, Bonneville, Babeuf). Elle est presentte, soit comme une reforme pacifique (Gallois, l’abbt Sibire, certains passages de Mably), soit comme une ‘emotion’ violente (Gueudeville, S. Marechal, Bonneville, certaines declamations de Mably*‘);

2.4.5. par le d&sir constant de jouir de la compagnie d’hommes ayant garde en leur cceur les vertus de l’age d’or (J.-B. Rousseau; l’abbe Brizard a props de son confrere Mably); par les prttentions, parfois risiblement outrecuidantes, d’&tre un de ces sages du temps de l’age d’or malheureusement egari: en notre noir age de fer (J.-J. Rousseau, S. Markhal); par la volonte, enfin, de certains de ‘reintegrer’ ou de ‘realiser’ les pouvoirs prtternaturels de l’age d’or grace aux ‘passes’ magiques pratiqutes dans les tenues des loges illuministes comme celles des Elus coens de Martinks de Pasqually.

3. DE CE QUI PRECEDE PEUVENT SE DEGAGER QUELQUES REMARQUES

3.1. La source millenariste, eschatologique, sottriologique et messianique la plus couramment invoqute par les Ccrivains et les philosophes du XVIIIe sitcle n’est, ni 1’Apocalypse de Jean, ni celle d’Esa’ie. Presque toujours la reference implicite ou explicite est celle de la IVe tglogue des Bucoliques de Virgile annoncant la renovatio de Page d’or, lequel serait restaure grace a l’avknement d’un Enfant divin dont la naissance est annoncte. A la fin du sikcle cette source pai’enne grtco-romaine est encore renforcte par la d&occultation des tcrits hindous decrivant la mission des avatara-s de V&u et le mahapralaya terminant un caturyuga. A lire certains passages flamboyants de Bonneville, Babeuf, Sylvain Mar&ha1 annoncant la prochaine et ultime revolution, on croirait voir la description de l’embrasement general de 1’Univers suivant l’entrte de Siva Natarajah dans sa danse dtvastatrice. La git certainement l’une des sources, et non des moindres, du romantisme revolutionnaire du siecle suivant.

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122 And& l>elaporte

3.2. Du debut a la fin du siecle, Page d’or sert de prttexte aux regrets et a l’apologie dune religion naturelle sans pr&tres ni dogmes-la religion ttabhe, le Catholicisme romain, etant present&e comme le fruit d’une degeneration ayant provoqui et dtveloppt le ‘fanatisme’ et la ‘superstition’ de YInfame’ (du curt Meslier B Sylvain Marechal en passant par Boulanger, Voltaire naturellement, Condorcet, Ch.-Fr. Dupuis, Volney, etc.). On est en presence, la, d’un retournement complet par rapport a l’apologetique chretienne qui interpretait la religion naturelle des Bons Sauvages ou des mandarins ‘a la Chine’ comme une trace adulttree de la Revelation primitive transmise jadis par Iaveh-Elohim a

Adam en le Jardin d’Eden. Cette trace adult&&e au&it ett: conservte, et par les Gentils avant la restauration effectuie par 1’Evangile de Jesus-Christ, et par Ies tribus ‘primitives’ aux Indes, dans les Isles et & Otaiti, et mcme par des civilisations avanctes comme ceile du Mogol et de la Chine avant I’arrivte des missionnaires jtsuites, capucins, recoliets. Ce qui, jadis, servait B valoriser te christianisme (v. Eusebe, Praeparatio evangelica; saint Augustin et la religio perennis; Huet) se trouve, a la fin du siecle, complktement retournt: Charles- Franc;ois Dupuis emploie trois tnormes ouvrages de pesante erudition a effectuer la recension complete des divers mythes de l’Antiquitt, des peuples primitifs, du Mogol, de la Chine, du Japon etc. pour dtmontrer au contraire tout ce que le juddisme et le christianisme leur ont empruntt, tous les cultes resultant, selon Dupuis, dune dtgtnkation B partir de la ‘Religion universelle’ primordiale, c’est-a-dire du sabisme des anciens Egyptiens qui, pour lui, n’etait autre que la religion panthtiste de I’Univers-Dieu-panth~isme confinant a I’atheisme, au demeurant, A la suite de Voltaire, il demontre la fonction de conservation sociale du theme du jugement dernier; il relativise 1’Apocalypse du prophete phrygien Jean-qui, selon lui, n’aurait rien a voir avec l’apotre du mCme nom-en la comparant avec les autres ‘apocatastases’ de 1’Antiquitt dtcrivant le renouvelle- ment periodique du monde selon la tradition de l’histoire cyclique fondee sur l’astrologie et la precession des equinoxes. 28 Le renouvellement de l’age d’or signifierait done le retour B l’unite religieuse, sociale, politique de l’humanite des origines, particulikrement B une religion naturelle tpuree des stories de superstition et de fanatisme. LB git sans doute l’une des causes de l’intiret que les rtvolutionnaires porterent a l’tlaboration dune nouvelle religion (DCesse Raison; Etre Supreme; Th~ophilanth~opie; cultes civiques). C’est aussi ce qui exphque I’autre obsession, religieuse celle-18 bien qu’il se c&t et se dit athee, du ‘doux berger Silvain’.

3.3. Neanmoins, du debut B la fin du siecle, de Fontenelle a Mably en passant par Voltaire fut &on&e aussi I’idte que l’age d’or ne serait qu’une ‘fable’ ou une ‘chimtre’. Pourtant, certains auteurs, et non des moindres, semblent y croire: Jean-Jacques Rousseau et Sylvain Martchal29 en semblent particulitrement obsides. Toutefois il est interessant de relever, ici encore, un remarquable retournement dialectique: dans la perspective traditionnelle des ages du monde en effet, il y a progressive degradation de l’age d’or a 1’5ge de fer; puis, une fois accompli celui-ci, se produit l’apocastase ou ‘grand renouvellement des sitcles’, c’est-h-dire la renovatiu de l%ge d’or selon un ineluctable processus cyclique d’tternel retour:

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L’age d’Ur en France au XVIIIe SiPcle 123

Occident

Age d’or ou sibcle d’or Age d’argent

L [Age des HCros]

Age de bronze Age de fer (ou de corruption, ou de pollution, ou age noir

Orient

satya- ou kIta-yuga (~Q~~U~gQ~)

dvapara-yuga (dOVQ~Q~~OUgQI?t)

treta-yuga (tretayougam) kati-yuga (calyougam)

Qualites

VertuKon- naissancef communauttt

Passion/ tgalite

Ignorance/ Biens materiels

Estats

I - Clergf? (bruhm@a-s)

II-Noblesse (ksatriyu-s)

III-Tiers (vaiSya-s)

IV - ‘Quatritme’ (Sudra-s)

SchCma d&iv6 Schkma tire des d’tresiode, Les textes canoniques Travaux et ie> Jours brahmanistes et

hindous

La decadence cyclique s’accompagne d’une corruption morale et d’une dechiance sociale

Tablenu illustrant le theme tradition& de I’involution cyclique et de ses conkquences morales et sociales; montrant l’kquivalence entre traditions occidentale et orientuie: prouvant comment de t&s nombreux krits fran@s du XVIIIe sikcle, jusques et y compris r~vo~utionn~ires* ~fonctionnaient’ selon k schlma mythistorique ryclique; perrne~i~n~ de mieux faire comprendre la profondeur et la port&e de I’adjectif WvoiutionneP utiiisk par Louis-Skbbastien hfercier. 46

Or les idles melioristes de perfectibilite puis de progres tendent B inverser completement le schema; a replacer l’8ge defer aux origines de l’humanite et 1’8ge d’or dans l’avenir car on relie ensemble progres technologique, prbgres social, progrts moral, progrb de la legislation. De ce retournement participent aussi bien l’ceuvre de Voltaire, le projet encyclopedique et la vaste synthese de Condorcet oti, pas une seule fois dans son Essai d’un tableau historique de Pesprit

humain30 n’est mentionni: le theme de Page d’or des origines lors meme qu’il est decrit comme par prettrition pour depeindre l’avenir radieux que le philosophe en fuite decrit; que des oeuvres de moindre renom, comme celle de Dom Deschamps3’ rest&e inconnue en son sitcle hormis du cenacle de fideies habitues de la tour du comte d’Argenson au chateau des Ormes; celle de Gallois ci-dessus mentionnte retracant la succession, inverse par rapport aux descriptions canoniques, d’abord de 1’8ge de fer decrivant le regne de Louis XIV, puis de l’age du bronze designant le rtgne de Louis XV, enfin de l’age d’or que va restaurer le jeune et bon roi Louis XVI; et L’An~e~~~i~~e quatre cent quarante, Rve s~i~en~u~ jamais de Louis-Stbastien Mercier.

3.5, Retournement du thtme aussi, que cette reduction du messianisme millenariste, eschatologique et soteriologique jadis incarnit par un Enfant divin, un Grand Monarque ou un Empereur des Derniers Temps3* un Messie, un Kalkin, un Shaoshyant, un Mahdi ou un Maitreya, 33 dorenavant represent& par le Peuple-ou un Peuple, puisque le Souverain n’est #lus un Prince mais le Peuple. Ici mZme l’on relkera l’ambigui’te de l’ceuvre de Nicolas de Bonneville,34 macon illuministe que retourne completement I’historiographie nobiliaire et ecclesiastique traditionnelle faisant de la France la fille ainte de I’Eglise, et des

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124 And& Deiaporte

Francs le nouveau peuple tlu, successeur des Hebreux de 1’Antiquitt pour ritaliser le Plan de Dieu (Gesta Deiper Frances). Pour Bonneville-comme pour L.-S. Mercier avant lui-en effet, les Francs sent ~tymologiquement mais aussi rtellement les Libres, qui doivent briser le joug du ‘Peuple-Roi’, i.e. des Romains,

nom de code pour designer 1’Eglise catholique romaine; rendre la liberte aux autres peuples de 1’Europe qui, affranchis, seront invites a reprendre leur ancien nom gtnerique de Francs, cela a l’issue d’une revolution qui prendra l’aspect d’une saturnale a l’issue de quoi sera restaure l’age d’or sous les auspices de la Maqonnerie illuministe. Quel que puisse &tre le derangement cerebral de Bonneville, evident a la lecture de ses declamations emphatiques de grandiloquence ampoulee et de creuse rhttorique pompeuse et amphigourique, on est ici en presence de l’une des sources les plus inttressantes du messianisme revolutionnaire contemporain chez cet auteur bizarre, germaniste repute qui identifiait etymologiquement les Francs a la Liberti: (adj. frank = libre), les Allemands a 1’Egalite (Alamans = A~~e~~nner = tous les hommes, l’humanit~), les Germains a la Fraternite (v. esp. Hermano = f&e). L’egalite qu’il prtconisait n’allait guere au-deli d’un simple partage des terres. Quoiqu’il en soit, relevons encore que ce m&me retournement de l’ancienne historiographie nobiliaire franque dans un sens dtmocratique se retrouve dam les Ccrits de nombreux ritvolutionnaires alsaciens et rhenans, francophones comme germanophones, tel le strasbourgeois Guillaume-Auguste Lamey.js

4. SOCIOLOGIE ET METAPHYSIQUE DE L-AGE D’OR DANS SES RAPPORTS A L’IDEE D’EGALITE

Ce qui precede aura dtmontrt a l’envi que le theme de l’age d’or ne se limitait pas a de banales et fades bergerettes, mais itait aussi riche d’implications politiques sous-jacentes. 11 est possible d’aller encore plus profondement dans l’analyse et de dtcouvrir des implications toujours plus ttonnantes.

4.1. 11 etait courant de parler d”hommes de l’%ge d’or’ pour designer, soit les paysans (la fonction mystifi~atrice de l’ideologie bourgeoise jouait dans ce cas a plein, comme l’a dtmontri: Robert Mauzi);36 soit les sages et, au XVIIIe siecle,

c’est des ‘philosophes’ qu’il s’agissait, puisqu’ils prttendaient Dtre investis d’une raison superieur, se dtcernaient eux-m2mes des brevets de vertu (Boulanger, J.-J. Rousseau, Mably, Martchal) ou encore, feignant de se trouver a l’abri des passions, amoureuses singulikrement, faisaient mine d’avoir atteint a l’ataraxie et a l’~quan~mit~; soit les poetes, attendu qu’ils parlaient ‘le langage des dieux’: paysan, sage, poete, musicien egaiement, voila quelques pieces du costume du per- sonnage que Jean-Jacques Rousseau affecta d’incarner a la fac;on provocante d’une ‘manifestation’37 sur la scene parisienne; c’est sans doute a cause de cela qu’il est rest6 pour beaucoup le symbole m&me du XVIIIe sikcle dans sa quete de l’tgalite civile et sociale. Cela explique aussi la ‘conscience, instinct divin’ que chaque individu garde en son cceur comme stigmate de la religion naturelle que les hommes avaient en partage au temps de l’age d’or. Cela explique enfin les recherches auxquelles s’adonna Jean-Jacques avec son siecle pour retrouver la

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L’age &Or en France au XVIIIe Sikcle 125

langue primitive de l’humanitC3*-recherches a mettre en paralltle avec celles concernant la religion et le monde primitifs.

4.2. L’Bge d’or, c’etaient aussi lespouvoirs ~r~~er~a~ure~s dont jouissaient les hommes quasi divins de ce temps-lh. Pourquoi ne pas les ‘reinttgrer’? S’il existait bien encore en ce ‘noir Lge de fer’, en cet ‘age de corruption’, en cet ‘age de pollution’39 comme le Bagavadam traduisait le calyougam, des reliques vivantes du premier age du monde, ces hommes-la Ctaient encore en possession de tels pouvoirs et etaient en mesure de les transmettre a d’autres par initiation: voila qui explique les magisttre de man&es de gurus illuministes tels que Martin&s de Pasqually, Willermoz, Louis-Claude de Saint-Martin; voila qui explique les ‘passes’ et les singulieres pratiques a l’aide du bizarre attirail adtquat auxquelles on s’adonnait dans les loges des Elus colns; voila qui explique le succes de charlatans comme le comte de Saint Germain et Joseph Balsamo, comte de Cagliostro. Ainsi voit-on, a la fin du siecle, les Lumieres s’obscurcir ou prendre les couleurs chatoyantes dun illuminisme parfois dtvoye. On est done bien loin de ce rationalisme prt-scientiste ou pri-positiviste a quoi l’on a pretendu reduire le XVIIIe si&cle: on se trouve en effet en presence d’une volonti: de puissance promtthtenne, lucifi:rienne,faustienne, oti Queste de pouvoirs individuels rime avec conqu&te (ou reconqugte) du Pouvoir socio-politique. Or quel personnage embltmatique peut-il mieux exprimer cette ambivalence au plan individuel comme au plan social que celui, ancien pourtant et ltgendaire, du Docteur Johannes Faust dont Johann Wolfgang von Goethe rtactualisa magnifiquement le mythe a la charniere des XVIIIe et XIXe siecles? Vieilli dans les grimoires obscurs et poussitreux, prenant soudain conscience que son savoir universe1 ne lui a pourtant donnt ni la puissance, ni l’amour, ni la connaissance, le vieux Herr Professor Doktor n’a plus d’autre recours qu’un pacte diabolique conclu B l’issue dune seance de ‘passes’ a l’interieur d’un cercle magique pour ‘reintegrer’ les pouvoirs de l’age d’or: jeunesse, richesse, puissance, clairvoyance, teleportation, etc. Sans doute n’a-t-on pas assez pris garde que le nom de ‘philosophes’ s’appliquait aussi aux ‘philosophes chymiques’, et n’a-t-on guere pr&ti: l’attention qui convenait a tout l’arri&re-plan et a l’arriere-monde traditionnel bohemien, rosicrucien, illuministe, th~osophique, pietiste etc. formant comme I’ombre portee des Lumieres, ni souligne assez la portee de l’euvre immense du Maitre de Weimar, celle-la m&me, vouee au mythe de Faust, qu’il ne cessa de completer tout au long de sa vie.

4.3. Age d’or au plan individuel comme Siecle d’or au plan social: en tant qu“hommes de l’age d’or’, philosophes et/au initits de haut grade peuvent se juger tres au-dessus des simples mortels et se croire investis de la mission de guider les peuples: c’est cet aspect du ‘sacerdoce ldique’ des intellectuels qu’a si bien mis en valeur Paul Btnichou. 4o Or Philosophes et/au inities trouvaient la place qu’ils revendiquaient deja solidement occupte par le Clergt. C’est ce qui explique l’aprett de la querelle opposant la Philosophie a la Religion: l’enjeu ttait rien moins que la premiere place dans la societe. La clef traditionnelle pour rendre compte de ce combat ideologique, & savoir la monttte d’une bourgeoisie dont les philosophes se seraient faits les hirauts ne rend qu’imparfaitement compte du conflit dont le paroxysme se situerait plutot en 1787-88 qu’en 1789.

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126 Andre’ Delaporte

Or depuis plusieurs anntes les historiens4’-et tout recemment encore Renato Galliani-ont remis en evidence ce qui pourtant aurait dQ sauter aux yeux de I’observateur le plus impartial, a savoir le role determinant jouit par une certaine partie de la noblesse dans l’itlaboration du corpus rtvolutionnaire, le declenchement, voire la conduite de la revolution: c’est ce qu’avait avec tant de force affirm& le General Thiard ci-devant comte de Bissy dans ses Mimoires (Paris: Flammarion, s.d., pp. 274 sq.; pp. 283 sq.); que l’on songe a un marquis de Saint Hurugue, a un comte de Barras, aux f&es Lucien et Napoleon Bonaparte eux-memes. Or la noblesse en tant que fonction guerriere se voulant d’origine franque (la franchise signifiant a la fois la libertt et l’egalitt) n’avait, au fond, jamais admis d’avoir du, au Haut Moyen-Age,42 ceder le pas au Clergtt romain, non plus que, depuis le Bas Moyen-Age, de s’etre vue progressivement dtpouillee de ses anciens droits et prerogatives par une royautt Cvoluant vers le ‘despotisme’: toute l’historiographie nobiliaire telle qu’elle s’exprime notamment sous la plume du comte de Boulainvilliers exhale ces recriminations stculaires. Boulainvilliers parle d’un ‘age d’or’ de la noblesse ‘francoise’ au Haut Moyen- Age, jusqu’a ce que les clercs eussent obtenu la preeminence; puis, toujours selon le comte, s’ensuivit une degradation progressive marquee par l’influence des ltgistes frottes de droit romain-les Nogaret d’origine juive sous Philippe le Be143-puis par les guerres d’Italie au debut de ce qu’on appelle la Renaissance mais qui fut plutcit une decadence pour Boulainvilliers.44 L’age d’or de la noblesse revint sous le regne du bon roi Henri IV;45 mais depuis la Roue de la Fortune a continue de tourner. Toutefois Boulainvilliers ne dtsesptre pas: il pense que ses descendants verront un jour quelque gentilhomme restaurer la Noblesse dans toutes ses prerogatives d’antan. Boulainvilliers croit a l’tgalite naturelle mais n’en estime pas moins legitimes les droits acquis dont ceux de la naissance qui fondent, selon lui, l’essence m&me de la noblesse d’origine raciale par sa participation au ‘sang &pure’ d’origine mtrovingienne. 11 d&it la socitte primitive des ‘Francois’-c’est-a-dire des Libres-comme une maniere de dtmocratie primitive de guerriers libres et tgaux elisant une sorte de magistrat portant le titre de roi-en fait rien de plus qu’unprimus interpares-et pratiquant la mise en commun puis le partage du butin.

L’on sait pourtant que Boulainvilliers passe pour l’un des htrauts de la reaction nobiliaire; qu’il ltgitimait la reduction en servitude, jadis, des Gallo- Romains vaincus par les Francs vainqueurs-ce qui, pour lui, justifiait la maintien de la domination de la Noblesse issue des Francs sur le Tiers-Etat descendant des Gallo-Romains conquis; qu’on a fait de lui un prtcurseur, tantot du racisme pangermanique, tantot de la lutte des classes. Or ce theme de la democratic franque des origines sera lui aussi non seulement rttcuperi: mais encore completement retourne, moins tant par l’abbe de Mably qui s’inscrit dans le prolongement de l’historiographie nobiliaire, que par des Ccrivains ‘rtvolutionnels’46 comme L.-S. Mercier, le germaniste Nicolas de Bonneville et le germanophone alsacien Guillaume-Auguste Lamey: il suffira d’ttendre a l’ensemble des Francais47 ce que Boulainvilliers entendait ne reserver qu’aux seuls descendants des Francs, savoir les Nobles. En fait, le mythe de l’age d’or tgalitaire des Francs s’inscrivait dans le prolongement du theme du ‘Bon Sauvage’ germain du a Tacite. 11 n’est, a tout prendre, pas plus absurde que celui

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L’.dge d’Or en France au XVIIIe Sitcle 127

des Egaux spartiates dominant ilotes et ptrikques (domination justifite par Sylvain Marecha14*), ni que celui de la dtmocratie athtnienne, dtmocratie restreinte rtservte a une minoriti: d’habitants et excluant femmes, mtteques, esclaves.

4.5. Boulainvilliers ne dedaignait pas, non plus, l’esotitrisme, puisqu’il s’adonnait a l’astrologie. 49 On peut y voir cette tendance constante depuis le Moyen-Age de certains membres de la seconde fonction guerriere pretendant s’arroger les pouvoirs de la premiere fonction sacerdotale; d’ou, dans une certaine mesure, la seduction qu’exercait la Franc-Maconnerie sur de nombreux nobles qui pouvaient retrouver dans les Loges des rituels, des grades, une ambiance chevaleresques rappelant la splendeur mtditvale, surtout lorsqu’il s’agissait d’obtdiences ou de grades evoquant le dtfunt Ordre du Temple dont on disait que ses moines-soldats avaient et6 investis de l’autorite spirituelle de premiere fonction comme du pouvoir temporel de seconde fonction. Ainsi, la Maconnerie a-t-elle pu servir tout autant de structure de compensation a une noblesse frustree de la perte de ses pouvoirs temporels que de miroir aux alouettes pour des bourgeois ‘a talents’ se donnant l’illusion d’une promotion sociale grace aux Loges. Structure d’usurpation tgalement oh chacun pouvait trouver son content; les Vtntrables nobles en mimant des ceremonies d’allure religieuse ou bien, dans les Loges illuministes, en parvenant a obtenir des ‘pouvoirs’; les Vtnerables bourgeois parts de titres ronflants, en faisant manier la truelle, l’equerre et le fil a plomb par des gentilshommes ou des ecclesiastiques de grade maconnique inferieur; les eccltsiastiques eux-memes, en s’occupant de questions profanes et en se donnant l’illusion de detenir une parcelle de pouvoir temporel. C’est en apprenant aux FF :. :. d’origines sociales diverses a ‘operer’ ensemble sans tenir compte de Yestat d’origine ou en cherchant a le d&passer, que la Maconnerie, dont le but ttait la renovatio politico-sociale et la ‘reintegration’ individuelle de Yestat’ de l’age d’or, fut bien, effectivement, ‘l’tcole de l’itgalitt’ sans qu’il faille pour autant expliquer les tvenements de la dtcennie posterieure a 1789 par quelque conspiration subversive ourdie de longue date et patiemment mise en oeuvre par les conjures, meme si de nombreux indices troublants ont pu permettre d’tlaborer la ‘ltgende noire’ de la Franc- Maconnerie-‘ltgende noire’ qu’on pourrait faire remonter, en-deca de l’abbt Barruel, entre autres a Nicolas de Bonneville lui-meme . . . Toujours est-il qu’a pu s’tlaborer dans les Loges en tant que structures d’inttgration la culture ‘ritvolutionnelle’ de cette elite Cclairte reunissant clercs, nobles et bourgeois: avant la transmutation politique et sociale que constitua la revolution, les Loges avaient CtC, deja, le creuset ou s’ttait tlaboree la transmutation socio-culturelle et idtologique; plus rares, sans doute, avaient Ctt celles ou l’on avait pu “rtaliser” la transmutation spirituelle-tant il est vrai que le Grande auvre alchimique peut s’entendre sur differents plans.s0

5.

Mais il est evident que, s’il avait vecu jusque la, Boulainvilliers n’aurait pu supporter le 17 juin non plus que la nuit du 4 aoQt 1789. 11 appert alors que les

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nobles libttraux ont be1 et bien joui: les apprentis sorciers de la fable: la revolution a pretendu remettre l’ensemble des Francais sous la toise, lors meme que c’ttait le reste des Francais que de nombreux nobles auraient souhaite pouvoir continuer de toiser. En fait il importe de savoir a quel niveau d’ttgalitk. les tcrivains situaient leur age d’or; celui-ci, nous voulons dire l’age d’or qu’ils s’imaginaient et dont ils rkaient individuellement, n’etait-il le plus souvent fonction que de leurs inttrets d’ordre ou de classe? Sans doute, encore que la reponse ne soit pas si simple. La societtt traditionnelle et hitrarchiste de 1’Ancienne France n’ignorait pas les espaces d’egalite, non plus que les pratiques d’tgalite (v. l’art. “Egalement” de I’Encyclopkdie): I’egalisation pouvait se faire par le mouvement de la Roue de la Fortune, comme on put le voir lors de l’affaire Law sous la Rtgence; mais aussi dans ces lieux et ces occasions d’tgalisation qu’etaient la mise en nourrice, le college, l’eglise, le ptlerinage, la promenade, le robinson, la f2te (jusques et y

compris la decollation en place de Greve . . .), le bal, la port de loups et de masques, le carnaval, le thehre, le cafe, le bordel, l’hopital, le cimetiere-sans compter l’enrichissement progressif du Royaume, le gout du luxe gommant pour ainsi dire les ‘ntcessaires distinctions’ des estats, ce contre quoi l’ideologie nobiliaire ne cessait de vituptrer.

L’on sait effectivement que dans le cadre d’une societt traditionnelle ou chacun doit rester dans l’estat oti l’a place sa naissance, il peut exister de tels espaces limit& et momentanits d’tphtmere tgalisation, soupapes de securiti: ne remettant pas pour autant la structure fig&e des Estats ou Ordres: c’est au rappel de cette ‘ancienne discipline’ contre le bouleversement des conditions du au luxe et a l’tmergence de l’esprit bourgeois que declamaient a l’unisson, au XVIIIe siecle, la predication catholique et les recriminations nobiliaires. Neanmoins, il convient de distinguer, dans la societt de transition du XVIIIe siecle, les espaces et occasions d’tgalisation traditionnels, comme l’tglise, les fetes religieuses ou profanes, les carnavals, et ceux temoignant au contraire du changement social: l’emballement de la Roue de la Fortune dont temoignait I’etalage d’un luxe tapageur par des femmes du commun parees en ‘demoiselles’, insolence pouvant, a la promenade, dtclencher de veritables ‘batteries’.

Par ailleurs, il a tti: etabli par nous-m&me et Renato Galliani que la redondante mise en avant de l’idee d’itgaliti: pouvait celer des it&&s d’ordres ou de classes fort differents, et viser en fait a rien de moins qu’au maintien de structures sociales intgalitaires. Egalitt d’estat-nous dirions d”essence’ aujourd’hui a l’interieur de chaque Ordre, la vertu particuliere caracterisant chacun d’eux ttant, par le degrir plus ou moins elevt atteint par ses membres, facteur discriminant et source d’intgalitaire hitrarchisation: le niveau de saintett pour le ClergC, la qualite du ‘sang &pure’ pour la Noblesse, la quantite de richesses pour les Communes.

Non sans beaucoup de circonspection, risquons-nous a present a etablir une typologie des d$f&entes sortes d’kgalitt offertes comme modtles dans le cadre des Trois Ordres fonctionnels instituits dans 1’Ancienne France, ttant entendu que Page d’or peut Ctre envisage differemment selon la categoric a laquelle on appartient. Ainsi peut-on distinguer:

5.1 Ie modkfe de I’tgalitC par la communautk, modele du couvent (premiere fonction sacerdotale, i.e. Clergt) ou de la caserne (deuxieme fonction guerrikre,

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L’age &Or en France au XVIIIe Sitcle 129

i.e. Noblesse), ou, dans le premier cas, utopisme de premiere fonction, dans le second, utopisme de deuxieme fonction.

5.1.1. L’utopie ressortit au modtle du monastere, invent& le mot sinon l’idte, et dttveloppe justement par ceux-la memes dont la fonction est, entre autres, d’tcrire et de rtflichir, les clercs dans la socitte traditionnelle de l’occident chretien: modtle remontant a la rtgle de saint Benoit lui-m2me (oti il est question de ‘vice de propriete’,sl expression reprise mot a mot par le moine panthiriste et communiste Dom Deschamps, developpe par le createur du mot ‘Utopie’, le bienheureux Thomas More au XVIe siecle,52 puis par un autre moine, Tommaso Campanella,53 illustre au XVIIIe par la description de la socitti: des Atlantes developpee dans 1eSttho.s de I’abbe macon Terrasson.54 D’autres modeles ttaient offerts par la primitive tglise de Jerusalem;” et, dans un contexte classique paganisant, par les communautts pythagoriciennes ou Cpicuriennes de l’Antiquitt, parfois ttaytes par l’exemple des ‘gymnosophistes’ ‘ethiopiens (en fait, des sannyasins ou des sadhus hindous). Observons que les preoccupations mttaphysiques ne furent jamais absentes des ceuvres utopiques du XVIIIe sitcle, que ce fiit dans un sens thtiste plus ou moins ‘libertin’ (La Terre australe connue . . ., Vannes [Genke]: J. Verneuil, 1676, de Foigny; 1’Histoire des Stvarambes, Paris, Chez C. Barbin, 1677-1679, de Vairasse d’Alais), dans un sens pantheiste (L’enigme metaphysique de Dom Deschamps) ou dans un sens illuministe (Restif de La Bretonne, La Dtcouverte australepar un homme volant, ou le Dedale francais . . . [Leipsick: Paris, 17811).

5.1.2. Le modele du camp ou de la caserne remonte, lui, a la communaute des ‘Gardiens’ d&rite dans La Repubiique de Platon, s’inspirant lui-m2me de l’exemple spartiate.

5.1.3. Les modeles communautaires et tgalitaires des deux premieres fonctions n’ttaient, au demeurant, pas exclusifs I’un de l’autre. Bien au contraire, on voit rtapparaitre, dans la Civitas Solis de Campanella, le Teiemaque de Ftnelon, le Sethos de l’abbt Terrasson, des traces de la tripartition fonctionnelle indo-europtenne, si alter&es et attenutes fussent-elles. Le refus du commerce et du luxe chez Ftnelon, ainsi que bien d’autres elements apparaissant au fil des pages du Telemaque font de ce roman archtologique une magnifique synthese des utopismes de premiere et de deuxitme fonction, cadrant parfaitement avec les origines familiales de Francois de Salignac de La Mothe Ftnelon, et l’estat de M. de Cambrai. Les liens multiples entre les deux premiers ordres de 1’Ancienne France expliquent pourquoi, malgrt leurs rivalites parfois aigues depuis le Haut Moyen Age, et la reference aux memes textes pagano-chrttiens, il serait legitime de regrouper ensemble les deux modeles sous l’appellation demodele egalitaire et communautaire aristocratique-ttant entendu que I’ttgalite peut toujours s’entendre entre gens du m&me monde ou du m&meestat, c’est-a-dire entre pairs. Les deux premiers Estats affectaient le m2me dedain de la vaine poursuite des biens materiels, le Premier Ordre valorisant la Queste des seuls tresors spirituels et la vertu de renoncement, le Deuxieme pronant les valeurs htrdiques.

5.1.4. Priviltgiant au contraire la production de biens materiels, la troisieme fonction productrice-le Tiers-Etat-envisageait I’egalitt, non pas par la com- munaute des biens, mais plutSt par leur partage. Le modele de l’egaliti: par le partage des biens semblait possible a Bonneville en 1791, comme, deux ans plus

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tard, au mouvement sansculotte des artisans et des petits boutiquiers. En revanche, l’abbe de Mably tenait pour illusoire la pretention de maintenir l’egalite par l’impbt ou les lois somptuaires. C’est pourtant B ce type de solution que s’arretait l’abbe qui, quoique disciple de Platon, tenait que l’evolution de la societt rendait impossible le retour a I’ordre communautaire

de l’age d’or a quoi allaient pourtant ses nostalgies et ses preferences, malgrt le caractere de ‘chimtres’ qu’il reconnaissait volontiers a ses reveries. Neanmoins, egalitarismes aristocratique et roturier Ctaient quasi unanimes a d&lamer contre le luxe et les ‘gens a argent’, et A proposer la restauration des lois somptuaires, vieille revendication dont R. Galliani a bien Ctabli l’origine ideologique et sociologique nobiliaire. Enfin, l’tgalitt pourrait ltre retablie par l’alzerzzrmce sociale: sans remettre en cause la hitrarchie sociale, on occuperait alternativement postes tlevts et humbles. Telle est la signification du theme traditionnel de la Roue de la Fortune, qui peut s’entendre aux plans de l’histoire des empires comme de l’histoire des individus, et du theme des Saturnales, La tradition avait su menager des moments festifs d’alternance sociale et d’ephemere interversion des rangs servant de soupapes de securite aux tensions sociales: saturnales antiques, f^etes des fous et carnavals mtdievaux et modernes.56 L’alternance sociale etait preconisee par Diderot, mais aussi par Sade57 ainsi que par les auteurs de theatre ayant l’oreille du public populaire.58

5.1 S. Ce type d’~galisation, ainsi que le partage des biens, peut done ressortir a une Pgalitarisme de troisihme fonction. L.a norme de l’egalite n’est pas, en effet, la poursuite des seuls tresors spirituels comme pour la premiere fonction, ni la participation au ‘sang epuri?’ ou la conquete d’une gloire tout honorifique comme pour la seconde fonction, mais la possession des biens materiels. Et c’est la-dessus que s’optrerent, en dernitre instance, les clivages sous la revolution. Si l’egalitt a fini par supplanter, dans la devise rivolutionnaire, la propriett, c’est justement pour masquer la rialite sociale qui faisait que la propritttt gentrait, fossilisait ou accentuait de nouvelles intgalites fondles, non plus sur la naissance, mais sur la fortune. C’est ce dont finirent par prendre conscience les conjures de la Conspiration des Egaux; et c’est alors que Sylvain Marechal, abandonnant un temps ce ‘droit sac& de la proprittt’ qu’il avait tant ctlebre auparavant, et qu’il chantera a nouveau une fois clos l’tpisode de la conjuration, composera le flamboyanth4anz~esste desEgauxS9 oti la communauti: des biens parait comme une ideal superieur a rtaliser dans un avenir proche qui verra ineluctablement le retour de 1’Pge d’or grace a l’action du Quatrieme Etat brisant ses chaines. L’on comprend done la hantise des profiteurs de la revolution devant ces ‘anarchistes’ qui mena~aient de leur faire rendre gorge des biens dont ils s’itaient empares par une nouvelle usurpation et dont ils entendaient bien se goberger Cgoktement tout seuls.

5.2. La denonciation de l’inegalite, la condamnation du luxe et de la vanite ainsi que, corollaire, l’apologie de l’egalitt? et de la frugalite ressortissaient bien, comme nous-meme et R. Galliani l’avons ditmontrt, a la pensee traditionnelle et a l’idtologie aristocratique, nobiliaire m&me: affaiblie par la course au paraitre et par la surenchtre de luxe que pratiquaient la courtisanerie et les roturiers parvenus, la noblesse n’eut de cesse de critiquer, via le luxe, l’intgalite economique sans remettre en cause, a de rares exceptions pres (le marquis

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L’Jge #Or en France au XVIIIe Sikcle 131

d’Argenson par exemple), l’inigalite civile sur quoi elle fondait sa preeminence dans la societe et dans 1’Etat. Or, contrairement a ses esptrances, la revolution institua l’egalitk civile-et encore: la revolution passe, l’esclavage demeure aux Isles; la femme est toujours tenue pour mineure civilement et politiquement-tout en consacrant l’inegaliti: tconomique, ce qui eut pour effets de precipiter la destruction de I’Ancien Regime traditionnel, l’abolition de la societt d’ordres trifonctionnelle, la ruine de la noblesse en tant que second ordre du royaume. Remarquons toutefois qu’une fois apaisee la tourmente rtvolutionnaire, l’egalitt: civile permit a certains ci-devant nobles d’embrasser des professions jugees auparavant dtrogeantes dans 1’Ancienne France, et done de maintenir, voire de rkuperer puissance et influence, ce jusque dans la France d’aujourd’hui. Or

une telle renonciation aux anciennes vertus nobiliaires achevait de dissoudre le soubassement idtologique qui fondait jadis l’essence meme de la noblesse. On comprend comment, inversement, des milhers de bourgeois parvenus, fiddles heritiers de Monsieur Jourdain, purent et peuvent encore de nos jours s’imaginer que la noblesse pourrait s’acheter comme un titre, & l’instar d’une terre, d’un meuble, d’un objet d’art ou d’actions cot&es en bourse.

6. CONCLUSIONS

6. I. Arrivant en fin de sitcle, Pierre-Sylvain Mar&ha1 rtalise, dans l’immense

fatras de son ceuvre, la synthtse de tous les genres en vers ou en prose lies a l’age d’or tgalitaire au/et communautaire des origines. 11 y inttgre millenarisme, eschatalogie, messianisme (Les voyages de Pythagore [ Paris: Deterville, An VIU), prophetisme (Le Livre &huppt; nu Dkhge . . . , [Paris, 1784), voyages de dtcouvertes a la Nouvelle Cythere (Le Lucr&efran@s . . . [Paris, An VI& Costumes actueh de tous lespeuples [Paris: Deterville], s.d., t. Quatritme, p. 117; Dictionnaire d’amour [Paris, 17881, p. 112) ou aux Indes (Ibid., t. Troisieme, pp’. 257, 284, 287 sq.), bons sauvages (La femme abbt! [Paris: Roux, 18011, p. 229), pasorales (Eergeries [Paris, 17701; L’Age d’or . . . [Paris, 17821) peu ou prou inspirees de celles du suisse germanophone Salomon Gessner, a la mode en France au tours des an&es 1770; ainsi que l’echo des romans de chevalerie et la litterature galante, sinon libertine (Le temple de Z’Hymen . . , [Paris: Roset, 17711, le Dictionnaire d’Amour, art. ‘Tournois’, p. 117) qui saupoudre, de toute facon, l’ensemble de son ceuvre, jusqu’aux savants Costumes actuels de tous lespeuples et AntiquitPs d’Herculanum (Paris: F.A. David, 1780). L’age d’or se trouve au cceur de l’oeuvre du ‘doux berger Silvain’: croit-on l’avoir tpuist, close la dernibre page de quelque ouvrage, que la lecture d’autres de ses ceuvres nous fait decouvrir encore de multiples allusions plus ou moins explicites au siecle d’or. Mar&ha1 n’a de cesse de chanter le 10s d’un monde agreste et paisible, sans tien ni mien, forme de communautes patriarcales autonomes et anarchisantes sans pretres, puisque les homme sublimes de l’age d’or regrettt ou restauk sont proches de la Divinitt et eux-m&mes pretres en leurs familles: c’est & cela que s’arrete la religion de cet ‘homme sans Dieu’, de cet ‘athee religieux’ qu’ttait celui qui se prenait pour le prophete ‘S. Ar-Lamech’, voire pour l’ancien dieu romain Sylvain lui-m&me (Antiquitb d’HercuZanum, op. cit., t. quatrikme, vol. II, p. 40);

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socitti: sans guerriers non plus, puisque le cceur pur des divins hommes du sikcle d’or ne pouvait m2me concevoir l’avarice-mere de tous les vices dans la tradition chrttienne-non plus que le luxe, la vanitt, l’envie et le vol, principaux facteurs de troubles. Cela est a mettre en parallele avec la vision idealisee que Restif de La Bretonne donne de la campagne face a l’univers pourri et degentre de la Capitale dtcrit dans Le Paysan et la paysanne pervertis, ou les Dangers de la Ville (La Haye, 1784). Comme si, dans cette economic et cette socitti: de transition qu’etait la France d’Ancien Regime finissant, on voulait retarder l’ttchitance d’une prochaine revolution industrielle que l’on pressentait tout en la refusant, cependant que l’on gardait les peux fixes sur la vision, deja obsolete, d’une itconomie traditionnelle et d’une archa’ique socittttt rurale pre-industrielle parire de toutes les vertus du premier age du monde. Pourtant, les conditions du dtmarrage etaient deja en place. Jean de Pechmttja offre mcme, a la p. 35 du T&phe en XII livres (Londres et Paris: Pissot, 1784), une description assez savoureuse de l’exploitation dont ttaient victimes les travailleurs dans les fabriques, oti est tnonctte quasi deja l’idee de ‘loi d’airain des salaires’, que l’on peut aussi trouver sous les plumes de Linguet et de Mably.

6.2 On le sait, la revolution de France ne sut ni ne put restaurer l’age d’or, sauf a designer par cette expression 1”age de l’or’ particulier que fut la stabiliti: du franc germinal pendant tout le XIXe siecle. Encore devrait-on plutot, pour etre tout a fait exact, utiliser l’expression ‘age de l’or et de l’argent’ pour designer la situation monttaire de ‘bimttallisme boiteux’ que connut la France entre le Consulat et la Grande Guerre. Cet ‘age de l’or’ parut etre effectivement un ‘Age d’Or’ pour les ‘bourgeois conqutrants’. Pourtant, en raison de l’tvolution de l’tconomie au tours des deux revolutions industrielles, il semblerait plus adtquat de le qualifier, du fait du developpement de la sidtrurgie, de terme ultime de 1’Age du fer, voire d”age de l’acier’-avec tout ce que cette mttaphore peut sous- entendre de durete dans le domaine des relations humaines, tant entre les groupes sociaux a l’inttrieur des nations et des groupes ethniques a l’inttrieur des empires, qu’entre les nations et les empires eux-memes. On pourrait aussi qualifier cette periode d”age noir’ (qui traduirait exactement le Kali-yuga ([calyougam] des Hindous), non seulement au sens propre vu la place qu’y joua l’extraction de la houille et la proliferation substquente des paysages de black countries dans le Royaume Uni, en Belgique, en France, en Allemagne, mais aussi au sens figure en ce qui concerne la condition sanitaire, sociale, culturelle du proletariat industriel. Hasard ou non, constatons la singulikre adequation de ces formules traditionnelles avec l’evolution meme du nouveau siecle qui allait succtder a la revolution de France, puisque la gnose like a la mythistoire cyclique ou a l’historiosophie dont l’age d’or constitue a la fois et eternellement le point de depart et le point de retour enseigne la chute progressive de 1’Homme et de son ame dans les rets de la mat&e, leur emprisonnement final en celle-ci (v. le theme pythagoricien exprimtt par le jeu de mots sbma-sema) et la quete subsequente de la Delivrance. Du point de vue de la Tradition liant microcosme et macrocosme et se fondant sur les lois de causalite et d’analogie, il ne pouvait done y avoir que logique, evidente et ntcessaire correlation entre l’evacuation de la religion et de ses ministres, la remise au placard des anciennes vertus hero’iques et l’abolition de la noblesse d’une part, l’avenement de la societi: capitaliste bourgeoise, la

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L’ige d’Or en France au XVIIIe Sikle 133

revolution industrielle et les nouvelles Weltanschauungen matkriahstes et

scientistes, marxienne et darwinienne d’autre part. 6.3. Ainsi, entre Cgalitir et age d’or, les rapports paraissent Ctroits et

compltmentaires: en elle-m&me, l’idee d’tgalite peut paraitre un concept peut- Ctre un peu trop froid, trop dtsincarnt, trop philosophique, trop mathtmatique; enchassee dans I’ecrin de l’age d’or, elle se charge alors au contraire d’un contenu emotionnel t&s fort, fait tout a la fois des nostalgies d’un passe aboli de paradis perdu, de profondes reminiscences litttraires, de suaves airs pastoraux et de tendres idylles, en m&me temps que certitude d’un ineluctable retour au terme d’un cycle accompli une fois d&cap&e la ‘rouille du temps’ la renovario du sikcle d’or se produit alors au terme dune rkvolution, et celle-ci a pour fin la restauration de l’egalite, meme si les uns et les autres entendent celle-ci differemment. C’est l’insertion de l’egaliti: dans le mythe de l’%ge d’or qui donne a ces deux themes conjoints tout leur dynamisme ‘rtvolutionnel’, d’autant que l’avknement du jeune Louis XVI d’abord, la convocation des Etats Gtntraux ensuite, puis l’elaboration de la Constitution de 1791, la proclamation de la Republique ouvrant une ere nouvelle en 1792, le passage de la Couronne imperiale sur un chef francais en 1804, le tout dans le contexte de l’approche d’un nouveau siecle, tous ces tvtnements successifs et comme uniformtment acctlerts pouvaient conforter les esprits les plus exalt& ou les plus imprtgnts de milltnarisme et de messianisme, que l’age d’or etait en train de se renouveler, que la revolution presente allait be1 et bien ramener le regne de Saturne et de R.hee, que le siecle a naitre serait un nouveau siecle d’or. C’est alors que l’accomplissement de l’age d’or se vit en living theater avec les fites rtvolutionnaires, avatars de ces saturnales que l’abbt de Mably, Nicolas de Bonneville et Sylvain Mar&ha1 souhaitaient voir a nouveau ctlebrires. Nous ne ferons pas a ces auteurs l’injure de feindre de croire qu’ils pouvaient ignorer que celles-ci mimaient, comme en un rituel de magie sympathique, le rtveil du roi- dieu Cronos-Saturne rtgnant lors des temps fabuleux du paisible, bienheureux et divin age d’or tgalitaire et communautaire des origines.

UniversitP de Trtves (Trier), Allemagne Andre Delaporte

NOTES

1. Andre Delaporte, L’idke dkgalitt en France daprks les auteurs IittPraires et philosophiques, These de Doctorat d’Etat (Lille: ANRT, 1985) 2 t.; T. 1 en partie resume dans L’idie d’t?galitP en France au XVZZZe sitkle, avant propos de Pierre Chaunu (Paris: PUF, ~011. ‘Histoires’, 1987); Bergers d’Arcadie: Ie mythe de l’cige dor dans la Iittt!rature jirancaise du XVZZZe sikcle (Puiseaux: Pardts, 1988).

2. Louise Marc&Lacoste, La th&natiquecontemporainedeI’~galitt. Rbpertoire. rtsunks, typologie (Presses de l’universite de Montreal, 1984); ‘Cent man&es d’&tre Cgaux’, Philosophiques, XI, 1 (avril 1984). Plusieurs personnalitts et instituts se sont, ces dernitres dtcennies, penchts sur le probltme de I’tgalitt au XVIIIe sitcle. Mentionnons particulierement, outre l’oeuvre rtcente de Renato Galliani citee plus haut, celles de Corrado Rosso (notamment Mythe de I’&gaIitk et rayonnement des

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134 Andre Delaporte

Lumieres [Pise: Goliardica, 19801) et de son equipe de 1’Universite de Bologne (Carminella Biondi et ses travaux sur le combat antiesclavagiste en France au XVIIIe siecle, Francoise Aubert et ses travaux sur Sylvain MarCchal); d’Otto Dann (Historisches Seminar, Universitat zu Koln), Gleichheit und Gleichberichtigung, (Berlin: Duncker und Humblot, 1980); et article ‘Egalite’ a paraitre dans 1eHandbuch

politisch-sozialer Grundbegrtffe in Frankreich 1680-1820 (Munich: Oldenbourg); les publications sur 1’Egalitt du Centre d’Etudes de la Philosophie du Droit de 1’Universite Libre de Bruxelles. Concernant le mythe et le theme de l’age d’or au XVIIIe sitcle, force est de constater l’absence, a notre connaissance, de toute etude approchant si peu que ce soit de l’exhaustivitt.

3. Louise Marcil-Lacoste, ‘L’informatique en contrepoint’, in Penser I’informatique Informatiser la pen&e. Melanges offerts a Andre Robinet, Editions de I’Universiti: de Bruxelles.

4. Comte Henry de Boulainvilliers, Recueil depitces detachees concernantpresque toute I’Histoire de France, Bibl. d’Angoul&me, Ms. 23, ff. 387-391.

5. R.P. Charles-Rene Billuart, Summa S. Thomae hodiernis Academiarum accomodata, sive cursus theologicus. , Liege, 1746- 1756.

6. Abbe Claude Fleury, Mosurs des Israelites et des ChrCtiens (Paris, 1727). Francois de Salignac de La Mothe Fenelon, Les Aventures de Telemaque (Paris, 1700). Edition de reference avec introduction et notes d’Albert Cahen (Paris: Hachette, 1927). V. Volker Kapp, Telemaque de Fenelon. La signification dune aeuvre litteraire a Iafin du sitcle classique. . (Tubingen: Gunther Narr, Paris: Jean-Michel Place, 1982).

7. Lettre de Jean-Baptiste Rousseau a M. de Brossette (24 juillet 1715), in muvres de J.-B. Rousseau (reprint de l’edition de Paris, 1828, Geneve: Slatkine), pp. 130-131.

8. Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle HeIoiJe (1761 j. Edition de reference avec introduction et notes de Daniel Mornet (Paris: Hachette, 1925).

9. Abbe Charles-Claude Genest, Dissertation sur la Poesie pastorale OP de I’IdyIIe de I’EgIogue (Paris, 1707). ‘Epistre’ non paginee, p. 2.

10. Bernardin de Saint Pierre, Etudes de Ia Nature, t. 1, etude 7, pp. 468-469. 11. Le Bhaguat-geeta ou Dialogues de Kreeshna et dArjoon . . , (Londres, Paris, 1787);

Bagavadam, ou doctrine divine. (Paris, 1788). 12. Voltaire, La Philosophie de I’Histoire (1765), in The complete Works of Voltaire

(Oxford, year) t. 59, p. 152; La defense demon oncle, Ch. XIII, in The complete wzorks of Voltaire (Oxford, 1984) t. 64, pp. 221-222.

13. Antoine Court de Gebelin, Le monde primitif analyse et compare avec Ie monde

moderne c. .) (Paris, 1773-1782). 14. Constantin-Francois Chassebeuf, comte de Volney, Les Ruines, ou meditations sur

Ies revolutions des empires (Gentve, 1791) (“Origine et filiation des id&es”). 15. Charles-Francois Dupuis, Origine de tous Ies cultes, ou Religion universeIIe . (Paris:

Agasse, An III). Par ex. t. III, pp. 155; 163; 203; 251-252; 259; 262; 392, etc. 16. Francois Hemsterhuis, Alexis, ou de I’age dor (Riga: J.-F. Hartknoch, 1787), p. 172. 17. Jean-Baptiste Rousseau a l’abbe d’olivet, lettre du (12 juin 1729). In Oeuvres..

op. cit., t. IV-V, p. 425. 18. Pierre-Sylvain Marechal, Le Livre de tous Ies ages, ou Ie Pibrac moderne ,

A Cosmopolis, et se trouve a Paris (1779) XL, ‘De l’enfance’, p. 177. 19. ID., L’cige d’or, recueil de contespastoraux.. . A Mityltne; et se trouve a Paris, chez

Guillot . . . (1782), ‘Portrait de celle que j’aime’.

20. Pour la difference entre theme de l’age d’or et theme utopique, v. nos Bergers d’drcadie.. , op. cit., p. 84 sq.

21. Jean-Antoine Gauvain, dit Gallois, Le retour de I’Age dOr ou Ie regne de Louis XVI

(Paris: Valade, 1774). 22. Louis-Sibastien Mercier, L’An Deux Mille Quatre Cent Quarante, r&e s’il en fut

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L’age d’Or en France au XVIIIe Sikcle 13.5

jamais, ed. de 1780, avec introduction et notes de Raymond Trousson (Bordeaux: Ducros, 1971); et celle de 1’An VI, avec preface de Raymond Trousson (Geneve: Slatkine, 1979).

23. Nicolas-Edme Restif de La Bretonne, L’An Deux-rnille, ComPdie hkrofqque, mClke dariettes, in Thtritre de N.-E. Restif-de-la-Bretonne, t. second (Neuchltel, Paris, 1786-1787).

24. Abbe Sibire, Discours & I’AssemblPe Nationale, in L’Aristocratie nPgriPre. . (Paris, 1789), pp. 8-15.

25. Abbe Antoine-Adrien Lamourette, Observations sur I’tQat-civil des Juifs, adresskes ri

PAssembIke nationale (Paris: Belin, 1790). 26. Nicolas Gueudeville, Mkmoires de I’AmPrique septentrionale. ou la suite des voyages,

de M. le Baron de Lahontan.. tome II-III), seconde edition (Amsterdam: F. L’Honore, 1728); Dialogues curieux entre l’auteur et un sauvage de bon sens qui a voyage et Mkmoires de I’AmPrique septentrionale, edit& par Gilbert Chinard (Baltimore: The John Hopkins Press, 1931).

27. Abbe Gabriel Bonnot de Mably, Q%vres complt?tes de I’abbP de Mab/y(Paris, An III). V. notre communication au Colloque de Vizille (ruin 1991) sur ‘Politique et Histoire dans le contexte des categories traditionnelles chez Mably’.

28. Ch.-Fr. Dupuis, op. cit., t. III, p., 203. V. les travaux de Robert Amadou, notamment ‘La precession des equinoxes, encore’, L’Autre Monde, 102 (janvier 1986).

29. Maurice Dommanget, Sylvain MarPchal. ‘I’homme suns Dieu’. (Paris: Spartacus, 1950); Francoise Aubert, Sylvain Markhal. Passion et faillite dun kgalitaire (Pise: Goliardica, 1979).

30. Jean-Antoine de Caritat, Marquis de Condorcet, Esquisse.. (Paris: Agasse, An III; V); V. aussi l’edition de Monique et Francois Hincker, Desprogrks de /‘esprit humain

(Paris: Editions sociales, 1971); Rolf Reichardt, Reform undRevolution bei Condorcet

(Bonn, 1973). 3 1. Dom Leger Marie Deschamps, Le Vrai Systkme ou le mot de ltkigme mPtaphysique et

morale, edition de Jean Thomas et Franc0 Venturi (Paris, 1939). 32. Eric Muraise, Histoire et IPgende du Grand Monarque (Paris: Albin Michel, 1975). 33. L’age d’Or.. ., No. I (Hiver 1983). 34. Nicolas de Bonneville, De /‘esprit des religions (Paris: Impr. du Cercle Social, 1791,

nouvelle edition, avec appendice 1792). 35. V. notre article a paraitre dans la Revue d’AZsace sur ‘Un mtconnu de la Revolution:

le poete alsacien Auguste Lamey, le ‘Franc des bords du Rhin’, suite des ‘Avatars de la legende franque’, Annales de Bretagne et des Pays de I’Ouest, t. 93, no. 2 (1986).

36. Robert Mauzi, L’idke du bonheur duns la littkrature et la pens&e franraises au XVIIIe siPcfe (Paris: Armand Colin, 4e ed., 1969).

37. V. l’introduction de Jean Starobinski au Discours sur les origines et lesfondemens de I’in~galit~parmi les hommes, in muvres compktes, ed. La Pleiade (Paris: Gallimard, 1964-1978) p. XLVI. Dans Particle cite plus haut, Renato Galliani a demontrt le caracttre purement litteraire de la fameuse ‘illumination de Vincennes’ qui aurait d&clench& la vocation iconoclaste de Jean-Jacques.

38. Jean-Jacques Rousseau, Essai sur I’origine des langues.. , edition, introduction et notes par Charles Porset (Bordeaux: Ducros, 1970).

39. Cette superbe expression, aussi poetique que prophetique, est empruntie au Bagavadam, ou doctrine divine.. . , op. cit., n. (lo), p. 326, L’on sait que le Bagavadam n’est autre qu’une traduction r&urn&e du BhagavatapurZ~a, ou grimad BhZgavatam, l’un des ouvrages canoniques de la tradition hindoue vaifnava narrant les Enfances de Sri Kmna et ses Divertisssements en compagnies des gopis B VIndavana.

40. Paul Benichou, Le sacre de I’kcrivain. Essai sur l’avknement d’un pouvoir spirituel Iai’que dans la France moderne (Paris, 1976).

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136 An&k Deiaporte

41. And& Devyver, Le sang kpurk: les p&jug& de race chez ies genti~shommes francais de l’Ancien Rkgime (I%&1720) (Cditions de I’Universitt de Bruxelles, 1974); Guy Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVHre sikcle: de la fkodaiitt! aux lumikres (Paris: Hachette, 1976).

42. Comte Henry de Boulainvilliers, Deux lettres, qui sont la treizitme et la quatorzikme sur fes Estats generaux, Bibliothkque municipale d’Angoulkme, Ms. 23, ff. 207-208.

43. ID., Mkmoire sur la Noblesse, Ms. cit., f. 422. 44. ID., ibid., f. 474. 45. ID., ibid. 46. Ce nkologisme tiri: de la p. j du Ci-devant noble, corn&die en trois actes (Paris, 1792) de

Louis-Skbastien Mercier est particulikrement heureux en ce sens qu’il est construit sur “rCvolution’ comme ‘traditionnel’ l’est SW ‘rkvolution’, et qu’il etablit ;rt I’envi le caractkre de retour & un point de d&part & l’issue d’un cycle que pritsentait le plus souvent encore le mot ‘rkvolution’ dans le langage du XVIIIe sikcle.

47. Comte Henry de Boulainvilliers, M&moire pour la Construction dun Nobiliaire G&&al, MS cit., ff. 61 l-612; I4e Leitre.. . , Ms. cit., ff. 207-208.

48. Pierre-Sylvain Martchal, Correctif b la R&voZution (Paris: Impr. du Cercle social, An II- 1793), CXVII, pp. 85-86.

49. Jean Ehrard, L’idee de nature en France ci I’aube des lumikres (Paris: Flamamarion, ~011. “Sciences de l’Histoire”, 1970), pp. 60 sq.

50. Auguste Viatte, Les sources occultes du romantisme.. (Paris: Champion, 1928); R. Le Forestier, La Franc-Maqonnerie occultiste au XWHe sikle et rordre des Pius co&s (Paris: Dorbon-Aink, 1928); Pierre Chevalier, Histoire de la Franc-Maqonnerie franqaise (Paris: Fayard, 1974), t. 1; Dix-Huitikme Sitcle (1987), etc.

51. V. le chapitre XXX111 de la RCgle bknidictine, par exemple in Mbre Elisabeth de Sulms, La Vie ef la Rkgle de saint Benoft (Paris: Des&es de Brouwer, 1977), p. 219.

52. Thomas More, Id&e dune r~pub~i~ue heureuse, ou ~Utop~e de Thomas More. :. , traduite en franqais par M. Gueudeville (Amsterdam: F. L’Honok, 1730). Edition de rkfkrence: L’Utopie de Thomas More, prksentation, texte original, apparat critique, exCg&se, traduction et notes, AndrC Prevost, . .; prkface de Maurice Schumann.. . (Paris: Mame, 1978).

53. Tommaso Campanella, La CitP du Soleil, Introduction, Cdition et notes par Luigi Firpo, Traduction franGaise par Arnaud Tripet (Gentve: Droz, 1972).

54. AbbC Jean Terrasson, Skthos, histoire, ou Vie tiree des monumens anecdotiques de l’ancienne Egypte, traduite dun ancien manauscrit grec. (Paris: J. Gutrin, 1731).

55. AC. 4.32-37. 56. Jacques-Antoine Dulaure, L)es divinittk g&nkratrices ou du culte du Phallus chez Ies

Anciens et les Modernes~ r&impression compkte collation&e sur les editions de 1805 et 1825 (Puiseaux: Par&s, 1987), ch. XVI, pp. 223 sq.

57. Marquis de Sade, Histoire de Jufiette, ou les Prospirit& du vice. . . t En Hollande, 1795 (Bruxelles, l870), t. I, p. 215, n. I.

58. V. notre livre sur L’Zd&e dkgaiitt! . . , op. cit., p. 132 sq. et notre these, op. cit., t. II, p. 1208 sq.

59. Filippo Buonarrotti, Conspiration pour I’Egalitk, dite de Babeuf, ed. A. Soboul et R. Rrecy, preface de G. Lefebvre, Bibl. J. Dautry (Paris: Ed. Sociales, 19.57), vol. 1, p. 94.