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Malaise dans le documentaire ? L’anti-spectateur, sur quatre films mutants , par Jean-Louis Comolli. « Dans la chambre de Vanda » de Pedro Costa , par João Bénard da Costa. « Mort à Vignole » d’Olivier Smolders , par Serge Meurant. « Belovy » de Victor Kossakovsky , par Annick Peigné-Giuly. Films par Anne Brunswic. Parti pris « La vie dépend de la petite monnaie » , Pedro Costa parle avec Francisco Ferreira. A lire Malaise dans le documentaire ? L’anti-spectateur, sur quatre films mutants , par Jean-Louis Comolli. « Dans la chambre de Vanda » de Pedro Costa , par João Bénard da Costa. « Mort à Vignole » d’Olivier Smolders , par Serge Meurant. « Belovy » de Victor Kossakovsky , par Annick Peigné-Giuly. Films par Anne Brunswic. Parti pris « La vie dépend de la petite monnaie » , Pedro Costa parle avec Francisco Ferreira. A lire IMAGES documentaires 44 1er et 2e trimestres 2002

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  • Malaise dans le documentaire?Lanti-spectateur,

    sur quatre films mutants, par Jean-Louis Comolli.

    Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa, par Joo

    Bnard da Costa. Mort Vignole dOlivier Smolders,

    par Serge Meurant. Belovy de Victor Kossakovsky,

    par Annick Peign-Giuly. Filmspar Anne Brunswic.

    Parti prisLa vie dpend de la petite monnaie, Pedro

    Costa parle avec Francisco Ferreira. A lire

    Malaise dans le documentaire ? Lanti-spectateur,

    sur quatre fi lms mutants , par Jean-Louis Comoll i .

    Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa, par Joo

    Bnard da Costa. Mort Vignole dOlivier Smolders,

    par Serge Meurant. Belovy de Victor Kossakovsky,

    par Annick Peign-Giuly. Films par Anne Brunswic.

    Parti pris La vie dpend de la petite monnaie , Pedro

    C o s t a p a r l e a v e c Fr a n c i s c o Fe r r e i r a . A l i r e

    I M A G E S documentaires 441er et 2e trimestres 2002

  • Editorial

    Ce numro dIMAGES documentaires est n du dsirdcrire sur quelques films singuliers qui navaient pu treabords dans les numros prcdents car ils nentraientpas dans les thmatiques choisies. Mort Vignole dOli-vier Smolders, choisi par Serge Meurant, ou Dans lachambre de Vanda de Pedro Costa, dont il est questionici plusieurs reprises, sont des films qui produisent unmalaise ou un fort sentiment dtranget . Ces films, etles quelques autres qui ont t choisis par les auteurs quiont contribu ce numro, ne dfinissent pas un nou-veau courant ou un nouveau territoire du documen-taire. Mais ce sont peut-tre des films mutants , pour re-prendre lexpression de Jean-Louis Comolli. Le film dePedro Costa atteint certainement une limite par la placeintenable quil assigne au spectateur. Pour complter larflexion sur ce film, un entretien avec Pedro Costa, tra-duit pour IMAGES documentaires, est publi dans la ru-brique Parti pris.Enfin la rubrique Films analyse huit films choisis dans lesslections du Fipa (Biarritz, janvier 2002) et du festivalCinma du rel (mars 2002).Catherine Blangonnet

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  • Malaise dans le documentaire ?

  • Mort Vignole , un film crit et ralis par Olivier Smolders sur lair de La Valse des souvenirs de Dimitri Chostakovitch

    par Serge Meurant

    Il est des films qui dposent en nous une pluie decendres, une lumire assourdie, un sentiment de pro-fonde mlancolie. Mort Vignole, film solitaire possdecet accent de secret dsespoir qui ne se livre et nest re-u que dans la solitude.

    Il y a dans le regard que nous portons sur lui la m-me dlicatesse douloureuse que lorsquon souffle surune plaie.

    Il me faut dabord dire en quoi le film dOlivierSmolders me touche avec tant dacuit. Il voque uneexprience personnelle dont je reste traumatis. Cellede la naissance de ma fille ane en 1977 que je dcri-vis dans un petit livre intitul Etienne et Sara, cocritavec le cinaste danimation canadien Pierre Hbert 1/.

    Jtais le tmoin, en ce moment crucial et in-croyable, que dun mlange incertain de vie et de mort,de lucidit et dinconnaissance pouvait natre, chosebanale et indiciblement mouvante, un enfant.

    Et puis il y eut cet instant qui nous parut fatal o lamort sembla peser de tout son poids en ce fragile qui-libre o le corps apparut, agenouill, hors de toi, la t-te prisonnire de ton corps.

    Pierre Hbert grava sur la pellicule, de manire fineet prcise, les diffrentes images de laccouchementqui connut une fin heureuse. Mais jen conserve le sen-timent dune victoire toujours incertaine de la vie surla mort. Et je ne sais pourquoi ces images, lorsque je

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  • Le voyage revt un caractre funbre. Il voque lledes morts et le cortge des gondoles qui assurent lepassage discret entre les vivants et les morts sur la la-gune.

    Ces images furtives chappent au touriste : elles de-meurent hors champ. Le film de famille ne retient, pardfinition, des voyages que les images des lieux et desvisages voquant lide du bonheur. Il se sert dun d-cor de rve pour raliser limage rve des tres aims.

    Mais ces myriades dimages heureuses ne rsistentpas la ralit de la mort. Lirruption de celle-ci inter-rompt brutalement le rcit. Elle loblitre. Elle instau-re un point aveugle, un point de vue radicalement op-pos au cours naturel des choses.

    La mort la naissance du premier enfant est lv-nement tragique qui fonde la dmarche et le regard ducinaste. Le visage dune fillette dont le cinaste napas os fixer les traits avant quon ne lemporte, com-me sil sagissait dun tabou, constitue la matrice ab-sente de toute image venir.

    Nest-il pas de rtraction plus violente que la pensequil puisse exister un tre mort-n ? Bien que lanaissance dun enfant apprhende souvent un senti-ment dangoisse et de contiguit avec la mort, linstan-tanit de ces tats, la superposition des images quel-le suggre est insupportable.

    Aucune comparaison nest possible avec dautres ex-priences, dautres images.

    Jaimerais cependant tenter ici le rapprochementavec la rflexion dveloppe par Johan van der Keu-ken dans son film Les Vacances du cinaste. Il cite AndrBazin qui considre que le cinma est le seul art ca-pable de montrer le passage de la vie la mort. Il d-couvre dans cette intuition lun des fondements de lapense magique qui inconsciemment motive le ci-naste. Le film reprend et recycle les images et les pho-tographies des amis disparus (le saxophoniste BenWebster) et en ressuscite les traits. 2/

    Dans Mort Vignole, tout maillage de ce type estvou lchec.

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    les voque aprs tant dannes, je les vois en noir etblanc, empreintes dun fort accent dramatique et com-me endeuilles.

    Chacun dentre nous prouve, au cours de sa vie,pareille exprience fondatrice dune vision du mondesingulire et souvent indicible. Cest cela que je re-connus demble dans le film dOlivier Smolders Mort Vignole.

    Sa premire image est celle dune fillette debout surune balanoire. Elle contient dans son mouvement leva-et-vient, la ritournelle, le retour ternel aux imagesde lenfance. Nous en sommes spars jamais. Ellessont dun autre temps. Nous cherchons sans cesse lesressaisir en filmant nos propres enfants lge qui futle ntre. Cest quoi servent les films de famille. Peut-tre pourrait-on parler ici de linstallation dun tempsdiffrent que jappellerais futur antrieur.

    Des enfants jouent cache-cache derrire les arbresdun sous-bois. Ils apparaissent pour disparatre aus-sitt. Ce jeu et le miroitement des images quil susciteseront la nasse o viendront se prendre les autresimages du film.

    Son titre Mort Vignole semble se glisser dans lesillage dun autre chef duvre Mort Venise de Vis-conti adaptant Thomas Mann tel point que le souve-nir quon en conserve sen trouve (in)volontairementoccult. Plusieurs superpositions dimages mmo-rielles tablissent un tissu de rfrences extrmementriches en mme temps quelles nous oppressent etnous asphyxient par une sorte deffet dautocombus-tion. Le grain de la pellicule matrialise un tel malai-se : il voque la fois la cendre et la vermine envahis-sante.

    Le cinaste, accompagn de sa femme et de ses deuxenfants, accomplit le voyage Venise sur les traces desimages filmes jadis par le pre du ralisateur. Ce der-nier utilise la camra paternelle pour fixer les imagesdun singulier journal de voyage. Lentreprise sinscritdans un processus de filiation directe, substitue la vi-sion du fils celle du pre.

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  • Toute fondation ne peut tre pense qu partir decette absence originelle, de ce creux invisible et par-tout prsent.

    Par quels dispositifs, le cinma peut-il approcherune telle ralit : celle dun nouveau-n qui ne vcutmme pas lespace dun instant ? Celle dun visage peine entrevu, dj oblitr par labsence dun regard ?

    Est-ce par le jeu des ressemblances et des analogiesou par le mlange des photographies, comme on batles cartes de destins dont les traces en voie defface-ment se lisent dans la gravit de regards denfants ?

    Et enfin, la fiction nest-elle pas plus apte expri-mer limpensable, fonder cela qui na pas lieu dtre ?

    Olivier Smolders nous conduit la morgue, ordon-ne que lon ouvre les coffres o sont exposs les cor-chs. On se souvient du tableau de Rembrandt La le-on danatomie du Dr Tulp . Ren Descartes y auraitassist. Il notait quil faut dtourner son regard de lachair incomprhensible, le fixer sur la machine dispo-se en nous, sur ce qui peut tre compris totalement 3/.Jai le sentiment que le film cet instant se perd vou-loir montrer les dpouilles. Il ne faut pas dvisager lesmorts. Ce nest pas l que rside le mystre de la dis-parition. Quelque part, dans linterstice entre lesimages du film, se voile et se dvoile, comme un souffleimperceptible, un visage denfant inoubliable.Serge Meurant

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    1/ Etienne et Sara de Serge Meurant et Pierre Hbert. Edi-tions du Norot. 1983. p. 80.2/ Johan van der Keuken. Aventures dun regard. Cahiers ducinma. 1998. p.138.3/ W. G. Sebald. Les Anneaux de Saturne. Actes Sud. 1999.pp.24 et 25.