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Il suffit de passer le pont…

Frédéric Rubio Serano

12.22 642663

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 146 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12.22 ----------------------------------------------------------------------------

Il suffit de passer le pont…

Frédéric Rubio Serano

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« Elle m’a simplement donné le goût d’écrire ; merci à Martine… » « Merci également à Jacques…

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« Merde, merde et merde !! », fallait que ça me tombe dessus. Le médecin a été catégorique : « une tumeur… stade avancé… cependant, il faudra effectuer d’autres d’examens… Allez, ne vous en faites pas… Vous n’êtes pas le premier auquel cela arrive… D’autres s’en sont sortis… ».

J’ai compris. Encore trois mois, peut-être six, pas plus. Le Cancérologue n’y va pas par trente-six chemins : je sais à présent en quoi m’en tenir. Il est certain qu’un jour ou l’autre ça devait arriver, comme à tout un chacun, … mais là ! je viens de passer la quarantaine, en pleine forme : boulot, footing, musculation, amours, quelques copains, … tout baigne. Enfin, tout baignait ! La solution ? Peut-il y avoir une solution pour sortir de là, les pieds devant,… mais la tête haute ? Disons, la tête qui ne souffrirait pas, avec la certitude de mourir quasiment sans douleur. Et si en plus, cela arrivait dans un environnement choisi par moi, entouré d’une ou deux personnes ayant le plus compté. Pourquoi pas ? …

Retour en arrière :

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1 Brazzaville

17h15, l’avion d’Air France vient d’atterrir. Je prends mon sac et descends la passerelle. La chemise colle à la peau et les premières gouttes de sueur commencent à perler sur le front. Passeport, visa, valise, Armand me fait un signe de loin. Une accolade. Cela fait plus de six mois que je ne l’avais pas revu. La première fois, avec sa pancarte bien haute, il regardait avec insistance tous les Blancs qui hésitaient à s’engager dans la foule en attente :

– Armand ? – Jérémy ? S’en étaient suivis les classiques salamaleks, lui

pour bien montrer qu’il prenait de mes nouvelles et qu’il était à mon entière disposition ; moi pour le remercier de sa présence et lui laisser sous-entendre qu’une fois la nuit passée, le boulot pouvait commencer. L’objectif était simple : trouver le

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meilleur endroit du fleuve à partir duquel pourrait être envisagée la construction d’un futur pont reliant Brazzaville à Kinshasa. Objectif simple, mais combien complexe sur les plans aquatico-géologiques et ethno-sociologiques. De nombreux courants traversent ce fleuve, large à certains endroits et étroitement torrentiel à d’autres et la répartition villageoise des terres en référence aux concessions ancestrales n’autorisent aucunement les pouvoirs politiques ou financiers à prendre une décision sans l’accord, au préalable, du conseil des sages.

Armand de l’ethnie Bangala est ingénieur en Génie civil tout comme ce Blanc, expert de l’Union Européenne, avec qui il va tisser des relations profondément amicales. En l’accueillant, il était loin d’imaginer que ce projet-là allait être la source de conflits importants. Au cours de la première semaine, je logeais dans un hôtel du centre ville tenu par une famille libanaise, lieu de passage d’hommes d’affaire divers, sans grande chaleur relationnelle. Après quelques jours de solitude enchaînant boulot, repas, dodo, j’ai demandé à Armand de me trouver une case, ni trop chic, ni trop simple, pour m’intégrer davantage à la culture congolaise. Une femme de ménage, des courses de temps en temps du côté de Bakongo et son marché populaire, en alternance avec le super marché climatisé à l’occidentale du centre ville, des restos différents, des moments de détente café/dessert à l’unique salon de thé de l’avenue

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principale,… à la recherche d’une vie normale. L’installation terminée, les études concernant le projet occupèrent alors la plus grande partie de mes journées. Il est vrai que j’avais à cœur de prouver la fiabilité de ce projet, comme celui mis en œuvre sur le fleuve Sénégal. Seul problème : bien comprendre que l’Afrique c’est l’Afrique, et que les Africains sont chez eux. A partir de là, tout est possible, à condition de laisser, plus qu’ailleurs, le temps au temps. Petit à petit, les relations se sont multipliées : invitations-repas chez les correspondants locaux liés à quelques ministres ou banquiers de la place ; des sorties-visites avec Armand du côté de Pointe-Noire ou vers l’intérieur des terres et de la haute forêt tropicale. J’adorais davantage ces balades : elles me permettaient de mieux connaître la région et plus particulièrement les mentalités des différentes ethnies qui allaient se retrouver parfois au cœur des discussions concernant notre travail.

Et puis, comme cela arrive lorsque le séjour perdure, il y a eu des rencontres d’un soir, de quelques jours… Un sourire dans la rue, le raccompagnement d’une invitée lors d’un repas officiel. Et puis…

Au Ministère des Finances, il est difficile d’obtenir un rendez-vous avec le Ministre en personne. Antonin Bockombo est en charge des finances publiques et coordonne, entre autres, la distribution des projets de développement.

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– Bonjour, j’ai fait déposer par mon secrétariat il y a deux jours un dossier concernant le projet de pont sur le fleuve.

– Oui, je suis au courant. Le Ministre a été informé. Le dossier lui a été remis. Il est d’ores et déjà d’accord pour vous accorder un rendez-vous. Mais pas avant la semaine prochaine. Son emploi du temps est chargé.

Sur le coup, j’ai râlé car cela reportait de plusieurs jours les décisions à prendre dans la perspective du démarrage du chantier.

– Vous croyez que ce projet peut attendre ? L’Union Européenne est prête à s’investir à condition que les partenaires fassent preuve d’intérêt, de motivation. Vous êtes sûre de ce que vous dites ?

L’air étonné, elle a dans un premier temps essayé de me faire comprendre que ce n’était pas à moi de décider. L’ambiance s’est tendue des deux côtés, puis, contre toute attente, elle a souri…

Constatant alors que son sourire me déconcerte, elle se lève, passe devant le bureau et s’approche de moi, près, tout près. Elle n’est pas bien grande, se hisse sur la pointe des pieds pour être à hauteur de visage :

– Monsieur, je sais combien ce projet est important pour vous, et pour nous comme vous tenez à le préciser. Cependant, dans tous les pays du monde, il est des priorités qui font que les « choses » se réalisent les unes après les autres.

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Je vois ses yeux, le fond de ses yeux. Son sourire, ses lèvres, sa bouche… Et puis il y a ce parfum, terriblement frais et doux.

– Je m’excuse d’avoir insisté, de vous avoir peut-être choqué. J’accepterai le rendez-vous le jour et à l’heure que vous voulez… à condition…

Elle voit que j’hésite : « à condition » dit-elle… – … que de votre côté, vous acceptiez de dîner ce

soir, demain, quand vous voulez, avec moi. Elle pose ses pieds à plat, devient plus sérieuse, et

tout en faisant le tour du bonhomme, me pose une question totalement inattendue :

– Que lisez-vous, Camus, Victor Hugo, Miller, Ken Follet, Morin, Connelly ?

– Khadra, en ce moment je termine un bouquin de Yasmina Khadra, « L’équation africaine » et…

– … et vous comprenez de mieux en mieux la réalité de notre continent ?

– Parce que vous l’avez lu ? La Somalie, le Soudan, vous savez très bien que cela n’a rien à voir avec le Congo.

– Pas sûr, pas sûr. Il n’y a pas si longtemps…

Elle s’arrête, car elle se rend compte que ce n’est ni l’heure, ni le lieu. Réfléchit rapidement :

– J’accepte votre invitation. Ce sera pour demain soir, 20h. Mais si vous le permettez, je choisirai le restaurant. Cela vous va ?

Elle refait le tour du bureau, s’assoit, reprend ses documents, prête à travailler.

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– Au revoir Monsieur euh… – Jérémy, ce sera Jérémy si vous voulez bien. Et

vous ? – Elikya. Au revoir Monsieur Jérémy. Excusez-

moi, j’ai du travail, beaucoup de travail. A demain. Pour elle, je sens bien que je ne suis plus là. Alors

je tourne les talons et sors en faisant l’effort de fermer tout doucement la porte : « Chut, elle travaille !!! » dis-je entre mes dents, en souriant …

Un tel travail, une telle responsabilité et elle semble si jeune ; Elikya me racontera au cours du dîner comment elle est arrivée à ce poste important. Des études supérieures en Droit, Gestion et Fiscalité à Dakar, sa réussite n’est pas venue par hasard.

Avant les divers coups d’états de ces dix dernières années, Abidjan représentait le point de chute de la plupart des étudiants Congolais. Depuis, Dakar et son Université focalisent l’attention des systèmes éducatifs des pays africains pour donner ainsi la possibilité à leurs étudiants méritants de continuer des études supérieures de qualité, sans passer forcément par l’Europe et en particulier la France.

Dans une villa du Canal IV rassemblant quelques boursiers d’origine congolaise, camerounaise ou centrafricaine, Elikya a mené ses études grâce au soutien de ses parents tout en donnant des cours de français pour arrondir sa bourse. Elle adore la langue française. Elle a lu tous les grands classiques de la littérature et n’hésite pas à farfouiller dans les cartons

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remplis de bouquins d’occasion vendus trois fois rien sur les bords du trottoir près du marché Tilène.

Aussi, lorsqu’elle rencontre un Français de passage, à Dakar et plus tard à Brazza, elle veut bien sympathiser pour savoir si la personne en question est intéressante sur le plan littéraire. C’est ainsi qu’au centre culturel de Dakar, elle a fait la connaissance un jour d’un jeune volontaire en charge de la bibliothèque de l’Alliance Française. S’en est suivie une relation amoureuse, pas toujours commode dans la mesure où la vie de couple mixte est sujette à des critiques diverses. En fait, il a craqué le premier dès qu’il a informé ses parents : « tu ne vas pas épouser une fille de là-bas, j’espère ! ». Alors, elle l’a laissé partir en se plongeant davantage dans les livres et ses études.

De retour au pays avec un Master II, il n’a pas été difficile pour elle de trouver un emploi. Malgré son jeune âge, plusieurs ministères étaient d’ores et déjà d’accord pour l’embaucher, de secrétaire de direction à directrice de cabinet en passant par la fonction de conseillère financière. C’est cette dernière proposition qu’elle a acceptée car, dans tous les pays du monde, le Ministère des Finances est généralement celui qui a la plus grande responsabilité nationale.

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2 Saint-Louis du Sénégal

Depuis trois jours, l’harmattan assèche les voies respiratoires, jusqu’au fond des poumons. La poussière jaunâtre fait comme un voile, laissant transparaître le contour des maisons.

En sortant de l’hôtel de la Poste, je hèle le premier taxi qui passe : « La Langue de Barbarie, niata ? ». J’accepte le montant et grimpe dans la voiture quelque peu dégingandée. Cela fait trois mois que je suis à Saint-Louis. Auparavant, j’étais sur les rives du fleuve Sénégal, du côté de Matam. Le projet, mis entre les mains des Chinois par le gouvernement précédent sans que cela décolle vraiment, a été récupéré par l’Union Européenne. Mandaté pour faire des propositions, j’ai remis un dossier dont les financements diversifiés ont permis de poser les premiers jalons. Aujourd’hui, le pont reliant Matam à Ourossogui est devenu plus qu’un simple projet. Mon