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Le Syndrome de Botero Anastassja Nikitine

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o Le Syndrome de Botero

Anastassja Nikitine

8.82 627673

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 124 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 8.82 ----------------------------------------------------------------------------

Le Syndrome de Botero

Anastassja Nikitine

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« Le différent, aujourd’hui, ce n’est pas le Noir, l’Asiatique ou l’étranger. Tout cela remonte à des conflits, mais c’est autre chose, de tout aussi grave. Quelque chose comme le difforme, sans forme, sans grâce, sans espace, qui prend place. On ne parle plus de la différence, mais de la proportion. Tout est trop grand, trop petit ou trop étroit. Adaptation nécessaire. On ne parle pas vraiment de ces géométries physiques, voire, on les efface. Et pourquoi ? Ne font-elles pas partie de la réalité ? Plurielle, refaite, élargie. Elles sont une réalité, oui. Il faut en témoigner. Je le ferai car j’en suis capable. »

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Introduction

Le présent ouvrage a pour vocation de parler d’un syndrome que le docteur Hoo a observé auprès de plusieurs patients. C’est un syndrome qui est fort peu connu, mais qui mériterait largement de connaître des publications dans des revues scientifiques, ou du moins, l’intérêt de l’opinion populaire. C’est un syndrome qui n’a pas d’origine génétique, ou encore biologique, mais qui naît au sein d’une société donnée, dans un contexte particulier, avec des attributs uniques et des comportements stéréotypés et incompréhensibles. On peut le comparer à des syndromes tels que le syndrome d’Asperger, ou encore une forme particulière d’autisme infantile. Mais le syndrome de Botero doit son unicité et sa vocation curieuse, par le fait qu’il évolue dans le temps, et s’exprime seulement chez les personnes atteintes d’obésité. Nous étudierons dans le cas clinique ci-présent, la situation de madame Kas, vingt-huit ans, obèse depuis l’enfance, atteinte du

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syndrome en question. Nous tenterons au mieux, nous, scientifiques, de comprendre ce phénomène, les incidences au sein de la vie affective, privée, et relationnelle, et l’empêchement qu’engendre ce type de maladie au regard du travail, de la mobilité d’une manière générale, ou encore, des perspectives professionnelles au sein du régime mis en place.

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Première partie

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Chapitre 1 La Kas

Lettre autobiographique. 15 heures.

Groupe ergothérapie

Je m’appelle Kas. Comme Carmen Kass mais je n’ai rien en commun avec cette femme. Je ne lui ressemble nullement et ne suis pas top-modèle, encore moins glamour ou séduisante. Je suis obèse, extrêmement large, dans tous les sens du terme. Je prends de la place. Donatella. Enchantée. Un nom large, lui aussi. Que le seigneur m’excuse, d’être si italienne, dans ma beauté. Le docteur m’a demandé de prendre le stylo, ici, à l’hôpital, et d’écrire pendant un certain temps. Je ne sais pas jusqu’à quand, mais en tout cas, je suis contente. Je trouve que c’est une opportunité : cela me libère de toute ma souffrance, ou encore, de mes moments de solitude. J’ai la sensation de faire partie du monde, non plus par mon seul corps, mais aussi par ma voix et mon intériorité, mes doutes ou failles. Être obèse n’est pas juste

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une spécificité physique. C’est aussi une manière de concevoir l’espace, le temps et la corporéité, de manière différente de celle des autres. C’est porter des tailles à la portée de personne. Se prendre parfois pour quelqu’un de supérieur ; souvent, se prendre pour quelqu’un d’informe, disproportionné et inadapté à l’espace. Tremblant, dans les queues des magasins, au travers des bips des produits, parce que personne n’avait prévu qu’une chose aussi grosse passe, un être humain même, telle une vache intergalactique. C’est un scandale presque. Passons.

Nous, les obèses, nous souhaitons parvenir à plus de respect de la part des personnes normales. Je dis normales alors que je devrais dire « autres ». Moi, je suis grosse, mais c’est à cause d’un gène, pas du fait que je mange toute la journée. La vérité est incroyable et peut étonner tout un chacun : je ne suis pas gourmande, encore moins gastronome. Si ma gourmandise pouvait être à l’échelle de mon corps, des aspérités de cellulite et de ma souffrance, je me dirais : « Mais Dieu existe. » Or, cela n’est pas le cas. Mon corps est grand, je fais plus d’un mètre quatre-vingts. Il y a aussi des avantages à être grosse : on ne se fait pas embêter, dans la rue. On est des gardes du corps, infaillibles, surhommes et gigantesques. Oui. Mais je ne suis pas heureuse, et j’aimerais changer de corps, pour devenir plus libre, voyager, voir de nouvelles réalités, avec moins d’espace en moi. J’aime mon visage atemporel, comme les figures présentes sur les tableaux du peintre Botero. Souvent, les gens pensent que je suis d’origine hispanique, parce que je mets des

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vêtements fleuris, et souvent, copieux. De grandes capes, telle une Zaha Hadid, partant au chevet de son art. Une reine démesurée, immense et colorée. Je suis bouffie, mais pas bouffonne, grande, grasse, mais pas vache à lait. Soyons honnêtes. Je suis belle. On dirait presque sous les mots. L’heure tourne, je vais devoir lâcher le stylo, m’enfuir en moi-même, pour ne pas me sentir salie et étranglée par l’étroitesse de l’espace qui m’environne : je disproportionne, je touche à tout, je tombe, je cogne. Je ne suis jamais au bon endroit, au bon moment, comme il faut. Toujours un bras ballant, un truc qui dépasse. J’ai pourtant mis mes plus beaux escarpins et mon plus beau vernis à ongles, tous les efforts des gens simples, à la pensée claire. Mais cela ne suffit jamais à enlever ce sentiment de dépasser. D’être brusque, voire offensante, par ma seule réalité. Et pourquoi devrais-je dire « pardon d’être née comme ça » ? A-t-on jamais plaint Alizée d’être née belle, et d’avoir chanté « c’est pas ma faute » ? Alors, j’aimerais qu’on entende ma voix par-delà celles des stars talentueuses et hypocondriaques. Moi, je suis née dans un corps malédiction. Je suis née dans un corps bois, corps âpre et désert. Source de souffrance, hantise et temple. Mon corps est un temple, une haine et un exploit.

Je suis un temple. Oui. Mais on a ramassé ma feuille, il faut partir maintenant.

Lettre. Groupe du matin.

Je n’ai rien d’autre à faire ici, alors autant sauver le

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temps, l’aimer, le parsemer, le pénétrer pour tenter de dire quelque chose de lui. La salle d’attente de l’institut médical n’est pas très plaisante. Je crois qu’il faut que je comprenne qu’il existe des lieux plus adéquats à l’expression de ma souffrance, comme la plage, où tous les regards se rencontrent en moi, au travers de l’épreuve du maillot de bain, ou encore tout simplement, au supermarché, quand j’ose, accompagnée par l’un des membres de ma famille, ou quelqu’un d’autre, parcourir les rayons, à la recherche de ce qui constituera l’un de mes repas, l’une de mes joies ou peines, comme tout un chacun. Manger. Mais tout le monde mange, même ceux qui ne mangent pas, incroyable ? Je me moque de ceux qui se moquent. Alors oui, se casser de là, bon sang, que fais-je dans ce dortoir hideux, plus gris qu’un sarcophage ou un cadavre de noyé ? Il faut s’enfuir, mais ma masse est telle que je ne suis pas libre ; je suis corps informe, vague, écartelée. Que quelqu’un me soulève, un ange, ou un miracle. J’avance, vers l’unique fenêtre du lieu, et vois un rayon de soleil chavirer dans ma direction : cela faisait des années que je n’avais pas revu le jour, que la nuit s’était confondue avec le jour et que tout m’était plus ou moins égal, à cause de mon inefficacité et ma laideur légendaire. Je mets pourtant des habits de marque, des parfums de qualité supérieure. Mais cette laideur dont je souffre, comme d’une pathologie, n’a rien à voir avec une laideur de laisser-aller, mais plutôt avec une forme de laideur morale et génétique : je suis née comme ça, et chaque jour, dois