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UNIVERSITE DE LYON 2 Institut d’études politiques de Lyon Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyse et comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste et culturelle Etude réalisée à partir d’un corpus de textes critiques sur les trois films suivants: Home d’Ursula Meier, Hunger de Steve McQueen et La Bande à Baader de Uli Edel par Adèle LHOUTELLIER Dans le cadre du séminaire Politique, Culture, Espace public Année universitaire 2008/2009 Sous la direction de Bernard LAMIZET Soutenance : 21 août 2009 Jury : Bernard LAMIZET et Jean-Michel RAMPON

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UNIVERSITE DE LYON 2Institut d’études politiques de Lyon

Du journalisme cinématographique auxavis d’internautes sur les sites de presse :analyse et comparaison des discourscritiques sur les films d’actualité dans lapresse généraliste et culturelleEtude réalisée à partir d’un corpus de textescritiques sur les trois films suivants: Home d’Ursula Meier, Hunger de Steve McQueen et LaBande à Baader de Uli Edel

par Adèle LHOUTELLIERDans le cadre du séminaire Politique, Culture, Espace public

Année universitaire 2008/2009Sous la direction de Bernard LAMIZET

Soutenance : 21 août 2009

Jury : Bernard LAMIZET et Jean-Michel RAMPON

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction : La constitution d’un espace public du cinéma . . 6I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie etles avis des internautes . . 15

I.1. Une finalité commune : la formulation d’un jugement explicite . . 15I.1.1. Evaluer le film . . 16I.1.2. Conseiller le lecteur/spectateur . . 20

I.2. La critique de cinéma dans la presse généraliste, un genre hétérogène : del’information à la critique . . 22

I.2.1. Informer . . 22I.2.2. Narrer . . 24I.2.3. Analyser . . 26I.2.4. Juger . . 27

I.3. De la proximité entre énonciateur et lecteur dans le discours critique . . 28I.3.1. Etre spectateur : une posture partagée par le critique et le lecteur . . 28I.3.2. Stratégies pour persuader le lecteur et le faire adhérer à sa position. . . 30

I.4. Des discours « réglementés » par un destinateur : le journal . . 31I.4.1. Le journalisme sur le cinéma, des discours normés . . 32I.4.2. La régulation des commentaires des spectateurs sur les sites de presse . . 33

II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent lesfinalités propres des differents acteurs de l'espace public. . . 35

II.1. De la légitimité de la critique de presse dans l’espace public du cinéma . . 35II.1.1. Le journal, un destinateur . . 35II.1.2. Le journaliste-critique, un énonciateur identifié . . 37II.1.3. Une posture énonciative hybride : entre distanciation et engagement . . 39

II.2. Les internautes occupent-ils véritablement une posture critique ? . . 41II.2.1. Jugement critique ou opinion ? . . 41II.2.2. Une conception relativiste du goût . . 47

III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ? . . 50III. 1. Etudes des titres . . 52

III. 1.1. Titres des articles de presse . . 53III.1.2. Titres des commentaires d’internautes . . 55

III.2. Etudes des critères de jugement . . 56III.2.1. A travers les différents sujets abordés au sein des discours sur les films . . 56III.2.2. Critères de jugement dans l’argumentation des discours . . 59

Conclusion . . 71Bibliographie . . 73

Ouvrages . . 73Revues et articles . . 74Filmographie . . 74Webographie . . 74

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Annexes . . 76Annexe 1 : Résumés des films de l’étude, présentation des réalisateurs . . 76Annexe 2 : Critiques de presse sur le film Home . . 77Annexe 3 : Discours des internautes sur le film Home . . 84Annexe 4 : Critiques de presse sur le film Hunger . . 89Annexe 5 : Discours des internautes sur le film Hunger . . 97Annexe 6 : Critiques de presse sur le film La Bande à Baader . . 105Annexe 7 : Commentaires des internautes sur le film La Bande à Baader . . 108Annexe 8 : Tableau des films du mois d’octobre dans Télérama , 5/11/2008 . . 112Annexe 9 : Le conseil des dix dans les Cahiers du Cinéma , N° 624, juin 2007 . . 113Annexe 10 : Classification des adjectifs de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI . . 113

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Remerciements

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RemerciementsEn préambule de ce mémoire, je remercie Bernard Lamizet pour sa grande disponibilité, pour lesconseils qu’il m’a donnés dans la préparation et la rédaction de ce travail, mais aussi pour le tempsqu’il a accordé à la relecture de certains de mes textes.

Je remercie également Jean-Michel Rampon d’avoir accepté d’être mon deuxième lecteur.

Enfin, merci à Louise et Vincent pour leurs relectures et leurs idées.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

6 LHOUTELLIER Adèle _2009

Introduction : La constitution d’unespace public du cinéma

La critique de cinéma, dès ses premiers développements, contribue à la formation d’un

espace public du cinéma. Alors que la critique littéraire voit le jour à la fin du XVIIème siècle

dans les Salons, on commence à écrire sur le cinéma au début du XXème siècle, quelquesannées après l’invention des Frères Lumière en 1895. En ouvrant un nouveau champ decréation artistique et un nouveau marché du divertissement, cette invention géniale initieégalement un mouvement de publication sur le cinéma et les premiers films muets.

Un détour par la théorie du philosophe Jürgen Habermas qui présente le processus parlequel une sphère publique littéraire s’est formée à la fin du XVIIème siècle, semble dès àprésent nécessaire. On pourra ensuite proposer une lecture analogue du développementd’une sphère publique du cinéma.

Habermas1 montre comment les Cafés entre 1680 et 1730, puis les Salons entre laRégence et la Révolution sont des lieux où se développe une critique d’ordre littéraire dansun premier temps, puis d’ordre politique ensuite. Dans ces lieux, la Noblesse et la GrandeBourgeoisie se retrouvent pour discuter, sur un même pied d’égalité, de sujets qui n’avaientjusqu’alors pas porté à discussion, à savoir l’art et la littérature. Se forme ainsi à la ville,une sphère publique littéraire dont les institutions sont les Cafés, les Salons et les réunionsd’habitués (HABERMAS, 1997 : 41). A la fin du XVIIème siècle, le public de cette sphère estcomposé des lecteurs, des spectateurs, des auditeurs, des consommateurs et des critiquesde l’art et de la littérature. Ainsi, le public ne se limite pas aux seuls interlocuteurs évoluantdans les Salons mais comprend également tout lecteur ou spectateur de la société del’époque2.

De manière similaire, des premiers débats critiques sur le cinéma voient le jour au début

du XXème siècle. Claude Beylie3 considère que les premiers textes critiques, à proprementparler, apparaissent dans la grande presse avec la sortie du film L’assassinat du Duc deGuise de Charles Le Bargy et André Calmette en 1908. La diffusion de Forfaiture de CecilB. deMille en 1915 constitue également une étape significative dans le développement de lacritique de cinéma : nombreux sont les « gens de lettres » qui, à l’occasion de la sortie de cefilm, expriment leur enthousiasme au sein des pages « spectacles » des journaux quotidiensou de revues littéraires. Ces évènements de l’actualité cinématographique donnent lieu àla publication ponctuelle de premiers textes critiques sur le cinéma. Ce sont les prémissesd’un nouveau genre aujourd’hui appelé « critique de cinéma ».

1 HABERMAS, L’espace public, 1997, collection Critique de la politique, éditions Payot2 Habermas précise que ce « grand public » reste toutefois très limité, étant donné l’analphabétisme de la majorité de la

population.3 « Histoire de la critique de cinéma, 1.1895-1900 » in La critique de cinéma en France sous la direction de M. Ciment et J.

Zimmer, Ramsay-Cinéma, 1997.

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Introduction : La constitution d’un espace public du cinéma

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Dans les années 20, le cinéma commence à être l’objet de rubriques régulières dansla presse quotidienne, notamment dans les journaux Bonsoir et Paris-Midi où Louis Dellucse fait rapidement reconnaître comme le premier grand critique de cinéma. Cette époquese caractérise également par la constitution d’une presse spécialisée sur le cinéma, ausein de laquelle on distingue une presse corporative, des revues d’analyse et des récitsde films illustrés4. Il faut noter que ces revues et les pages « spectacles » de la grandepresse ne sont pas lues par le grand public des cinématographes mais plutôt par un lectoratqui s’intéressait jusqu’alors à la critique littéraire et à la critique d’art. Le public populairepréfère en effet les revues comme le Film complet qui propose des récits de films ou encoredes journaux consacrés aux acteurs tels que Film-Star-Edition ou Les Grands artistes de

l’écran. Néanmoins, des textes critiques sur le 7ème art trouvent leur place au sein de revuesspécialisées. L’apparition de cette critique de cinéma est le signe que le cinéma devient,quelques années après son invention, un sujet de discussion à part entière.

Ce nouvel espace de discussion tend à s’affirmer à la Libération grâce au mouvementdes ciné-clubs. Ces « Salons du cinéma » concernent des millions de spectateurs5 enprésentant régulièrement des films dans un autre contexte que celui de la salle commerciale.Ils jouent en effet un rôle certain dans la diffusion de l’œuvre cinématographique avantla généralisation de la télévision en Europe dans les années 19606. Mais c’est surtout enintroduisant l’idée qu’un film invite à la discussion et à une réflexion partagée, que lesciné-clubs contribuent à la formation d’un espace public du cinéma. Il faut considérer deuxconséquences fondamentales du développement de ces rendez-vous réguliers. D’une part,les ciné-clubs amplifient la réceptivité d’un vaste public à la critique et fait ainsi naître unegénération de cinéphiles. Cela signifie que l’activité de réflexion critique sur les films et lecinéma de manière générale concerne un public élargi. Les ciné-clubs introduisent la critiquede cinéma dans un cadre nouveau, car elle ne s’exerce désormais plus uniquement au seindes colonnes des revues spécialisées et de la presse quotidienne.

D’autre part, le mouvement des ciné-clubs est un mouvement au cours duquelémergent des figures de la critique de cinéma. Aux rendez-vous de la CinémathèqueFrançaise, Henri Langlois réunit de nombreux passionnés de cinéma qui deviendront lesprincipaux critiques de la nouvelle génération. Au cours des débats passionnés dans lesciné-clubs parisiens se forment des chapelles de pensée sur le cinéma, divisions que l’onretrouve dans les revues spécialisées. Des théories du cinéma se construisent. Les Cahiersdu Cinéma 7 élaborent notamment une théorie critique appelée « politique des auteurs »qui correspond à une méthode d’approche des œuvres cinématographiques privilégiant unéclairage sur la mise en scène déployée par l’auteur.

4 PREDAL René, 2004, « Histoire des revues de cinéma » in La critique de cinéma, Armand Colin, pages 28-44. Pressecorporative : Hebdo-Film, Le Cinéopse, Cinéma-spectacle, La Cinématographie française ; revues analytiques : Le Film, L’Argus ducinéma, Ciné pour tous ; récits illustrés de films: Cinéma-Théâtre

5 Fin 1946, la Fédération des ciné-clubs (FCC) regroupe plus de 100 000 membres dans plus de 150 ciné-clubs. Vincent Pineldans son Introduction au Ciné-Club (1964) évoque l’activité de ciné-clubs ruraux entre les deux guerres (ciné-clubs itinérants, créationd’une Société française du cinéma rural, etc.), ce qui nous laisse présumer que le mouvement des ciné-clubs concernait, dans unecertaine mesure, le monde rural et l’univers citadin. L’histoire sociale du ciné-club représente d’ailleurs un champ de recherche peuexploré.

6 On dénombre 411, 7 millions de spectateurs dans les salles de cinéma pour l’année 1957, contre 211,5 en 1967 (SourceCNC). La télévision pourrait ainsi contribuer à la baisse d’activité des ciné-clubs.

7 Les Cahiers du Cinéma furent créés en 1951, dans la filiation de La Revue de Cinéma dirigée jusqu’en 1948 par Jean-JacquesAuriol. Elle est réputée difficile d’accès à cause de l’usage d’une syntaxe compliquée.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

8 LHOUTELLIER Adèle _2009

Si le débat a effectivement lieu lors des rendez-vous cinéphiles, la réflexion et l’activitécritique se déploie au sein de revues de cinéma qui naissent dans le contexte de l’Après-guerre. Les jeunes critiques (François Truffaut, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, JacquesRivette, Claude Chabrol) s’opposent ainsi violemment dans les colonnes des Cahiers du

Cinéma aux partis pris de la revue lyonnaise Positif 8 . La polémique entre les revues se

matérialise sous la forme de débats interposés entre les deux écoles critiques. En ce sens,l’effervescence de certaines revues cinématographiques dans les années 50 et 60 pourrait

être comparée aux Salons littéraires de la fin du XVIIème siècle décrits par Habermas.Les différentes instances de l’espace public du cinémaLe développement de l’activité critique est le terreau indispensable à la naissance de

l’espace public du cinéma. Mais il est nécessaire de considérer par ailleurs les institutions de

formation qui se mettent en place au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. L’éveild’un esprit critique sur le cinéma ne va en effet pas sans la formation d’un certain regardsur l’œuvre cinématographique. Ce regard se construit à partir d’une certaine sensibilitéesthétique, de connaissances techniques mais également à partir de la connaissance dupatrimoine cinématographique, voire même du patrimoine artistique au sens large (même sile savoir accumulé sur le cinéma ne fait pas nécessairement le bon critique). Le spectateurde cinéma est susceptible de pénétrer l’espace de discussion sur le cinéma dès lorsqu’il dispose de ce bagage esthétique et culturel. C’est en ce sens que les institutionsde formation semblent favoriser la naissance d’un espace public du cinéma, car ellesparticipent à « éduquer » le regard du spectateur, pour l’intégrer au public « éclairé ». Ledéveloppement des études cinématographiques au sein des universités en France dans lecourant des années 1980, l’ouverture de sections cinéma dans certains lycées et certainesclasses préparatoires littéraires participent à institutionnaliser l’enseignement sur le cinéma.On remarque cependant que la Cinémathèque Française, crée en 1936, présentait dèsson origine cette mission pédagogique, au-delà de ses missions de conservation et derestauration des films anciens.

Les institutions telles que l’école Louis Lumière (fondée en 1926), l’Institut Des HautesEtudes Cinématographiques9, mais aussi les nombreuses écoles privées qui proposent desformations aux divers métiers de la réalisation de films, interviennent également au seinde cet espace public du cinéma, dans le sens où ils contribuent à l’élaboration de normestechniques et esthétiques. Au même titre que les réalisateurs de films, ces institutions de« formation professionnelle » appartiennent aux institutions esthétiques qui balisent laconstitution d’un espace public du cinéma. Les liens qui relient les écoles de cinéma etles créateurs sont d’ailleurs explicites, du fait que de nombreux réalisateurs du cinémaeuropéen sont diplômés de ces institutions. Enfin, le Centre National de la Cinématographie(CNC) relève aussi de cet ensemble, de par son activité de contrôle et de réglementation del’activité de l’industrie cinématographique. Il dispose en effet d’un pouvoir réel sur l’attributionde financements et d’agréments de diffusion pour les longs et courts-métrages. Cetteautorité lui confère un rôle évident dans la détermination de normes esthétiques dans lechamp de la production et de la diffusion des œuvres.

8 Positif fut fondée en 1952 par des khâgneux lyonnais autour de Bernard Chardère ; la revue affirme ses partis pris politiques(engagement auprès de la gauche non communiste) et esthétique (surréalisme). Sa critique s’intéresse, quant à elle, davantage auxsujets abordés par le film.

9 L’IDHEC est crée en 1943 par Marcel L’Herbier et le compositeur Yves Baudrier. Elle correspond aujourd’hui à l’Ecole nationalesupérieure des métiers de l’image et du son (ancienne Fémis).

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Introduction : La constitution d’un espace public du cinéma

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Il nous faut à présent considérer un autre acteur de cet espace public du cinéma :les programmateurs de salles et les distributeurs. Ceux-ci jouent un rôle extrêmementimportant dans la diffusion et la réception des œuvres. Ils occupent en effet uneposition d’interface entre le réalisateur et le spectateur, qui correspond à l’étape de lacommercialisation du film et de sa sélection pour la diffusion. Ils permettent (ou limitent) lacirculation des œuvres au sein de l’espace public du cinéma, au même titre que les éditeurspermettent la diffusion des écrits au sein de la sphère publique littéraire.

Enfin, les festivals tels que le festival de Cannes, la Mostra de Venise, les Ours deBerlin ou le festival de Toronto comptent également parmi les différents acteurs de cetespace public. Ils participent à l’exercice critique aux côtés des médias (grande pressecomprenant des rubriques cinéma et revues spécialisées) et des spectateurs cinéphiles.Mais la différence réside dans le fait que ces festivals procèdent à un classement età des distinctions, offre une visibilité immédiate aux films dans l’espace public et leurassure ainsi une certaine durée de diffusion dans les salles de cinéma. N’oublions pas aupassage les enjeux économiques et politiques qui caractérisent ces manifestations et quisont susceptibles de biaiser le jugement des jurys.

Des espaces critiques et des clivages culturels

L’espace public du cinéma se construit au fil du XXème siècle avec notamment ladémocratisation et la diversification des canaux et supports d’accès à l’œuvre (télévision,cassette VHS, DVD, téléchargement sur internet, etc.). Au sein de cet espace, on observela formation de plusieurs espaces de discussion sur le cinéma, phénomène qui sembles’intensifier au cours de l’histoire du cinéma et des innovations des technologies dela communication. Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’espace initial au seinduquel naît la critique de cinéma est celui de la presse quotidienne et ensuite des

revues consacrées au 7ème art. Les années 50 et 60 sont des décennies où la critique« professionnelle » est prédominante dans les revues. Au cours de cette même période,un autre espace critique se construit parallèlement à l’espace critique de la revue (mêmesi ces deux sphères sont connectées de manière évidente10) : les ciné-clubs. Le spectateurprofane a dès lors la possibilité de divulguer au sein de cet espace un jugement sur le cinémaet d’en débattre avec les autres membres du public. Lorsque François Truffaut affirme que« tout le monde a deux métiers : le sien et celui de critique de cinéma », il considère lespectateur comme instance critique légitime. Les ciné-clubs introduisent donc le jugementprofane au sein de l’espace public du cinéma aux côtés du jugement des critiques qui enfont désormais leur profession.

Simultanément, certaines évolutions relatives au marché du cinéma et à la diffusiondes films participent à la formation de clivages culturels et idéologiques au sein de l’espacepublic du cinéma. Comment le public se divise en plusieurs publics ? Tout d’abord, ledéveloppement puis la massification de la télévision représentent un vecteur fondamentalde la diffusion du cinéma, à partir duquel naissent de nouveaux publics du cinéma. Laconstitution de nouveaux publics va de pair avec une évolution et une diversificationdes normes de la Critique. Par ailleurs, des divisions culturelles s’accentuent au sein del’espace public du cinéma à travers la genèse de nouveaux modes de consommationdes films : les nouvelles formes d’urbanisation, en particulier dans les périphéries desvilles, coïncident avec le développement de centre commerciaux et de salles de cinémamultiplexes. Ces nouvelles modalités de diffusion du cinéma contribuent à segmenter

10 La frontière entre la critique « professionnelle » et la critique profane demeure floue à cette époque où les critiques desrevues sont issus et fréquentent des associations de ciné-clubs.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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culturellement et politiquement l’espace public du cinéma. En outre, l’internationalisationdu cinéma, qui permet notamment l’introduction de cinématographies étrangères sur lesécrans nationaux, est également à l’origine de divisions au sein du public, via la distinctionqu’elle engendre entre films doublés et films sous-titrés. Il semble important de remarquerque les clivages culturels et idéologiques qui caractérisent le public du cinéma ne coïncidentpas nécessairement avec la différenciation institutionnelle entre une critique de cinéma quis’exprime dans les médias et une critique dite « profane ».

A la fin du XXème siècle, certaines mutations au sein des médias continuentà accréditer l’idée d’un éclatement des espaces critiques sur le cinéma. Dans lesannées 1980, l’actualité cinématographique occupe davantage les colonnes de la pressegénéraliste. Le passage de Serge Daney de la rédaction en chef des Cahiers du Cinémaà la direction des pages « cinéma » de Libération en 1981 est par exemple significatifde l’inscription de la critique de cinéma dans un champ beaucoup large que les revuesspécialisées. Le lecteur de la presse généraliste devient un lecteur potentiel de critiquesde cinéma.

Avec l’ouverture de facultés de cinéma dans les années 1980, le cinéma est alorsconsidéré comme un objet de recherche. Une critique universitaire sur le cinéma, qui seveut plus analytique et détachée de l’enjeu de la consommation des films, se superposeainsi à la critique journalistique. Cette critique savante s’exprime au sein de publications(Vertigo fondée en 1987, Trafic fondée par Serge Daney en 1991, etc.) dont la parution necoïncide pas avec la temporalité de l’actualité cinématographique.

La multiplication et la diversification des espaces critiques sur le cinéma s’intensifientavec l’avènement d’Internet à la fin des années 1990. Nombreux sont aujourd’hui les sites,les blogs et les forums de discussion où l’on traite de cinéma et où expose des jugementssur des films. Le Net abrite ainsi une diversité d’espaces critiques qui se distinguent parleur style, leur ligne éditoriale, leurs objectifs ou leur genre : sites consacrés au film policier,blogs tenus par des cinéphiles, commentaires de lecteurs sur les sites de presse en ligne,forums de discussion sur les films à l’affiche, ou encore nouvelles revues de cinéma enligne11 cohabitent sur la Toile. Internet invente de nouvelles façons d’écrire sur le cinémacombinant à la fois le texte, les montages photo et la vidéo (voir certains blogs de cinéphiles).Grâce à la technologie du Web 2.012 notamment, le Net offre un nouveau terrain accessibleà tous les internautes pour discuter, débattre et échanger sur le cinéma. Le cinéphile netrouve-t-il pas dans les forums sur le cinéma l’espace de réflexion et de discussion des ciné-clubs des années 1950 ? La multitude des blogs, forums et sites sur le cinéma semblentconstituer un nouveau foyer de délibération, où le profane est libre de s’exprimer.

A présent, il est donc possible de distinguer trois espaces critiques apparuschronologiquement au sein de l’espace public du cinéma. Tout d’abord, l’espacecritique traditionnel de la presse généraliste et de la presse culturelle (comprenant parexemple Télérama et les Inrockuptibles) donne la parole aux journalistes de cinéma. Lacritique savante des universitaires et des théoriciens s’exprime quant à elle au sein revuesspécialisées et de publications universitaires. Enfin, la critique « grand public » se développedepuis les années 2000 à travers les divers supports et plateformes sur le web. Ces trois

11 Exemple de blog : http://365joursouvrables.blogspot.com; de site de presse : www.lemonde.fr ou www.télérama.fr, de forumsur le cinéma : www.cinécritiques.free.fr; de revue en ligne : Cadrage.net depuis 1998.

12 Cette technologie informatique qui s’impose à partir de 2007 permet aux internautes d’interagir à la fois sur le contenu despages web et entre eux. On le nomme ainsi le web communautaire ou interactif.

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Introduction : La constitution d’un espace public du cinéma

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instances de jugement sur le cinéma illustre la diffraction de la parole critique qui caractériseaujourd’hui l’espace public du cinéma.

Dans ce contexte où l’on serait tenté de diagnostiquer une sortie de laprofessionnalisation de la critique de cinéma, une enquête sur les rapports d’influence entrecritiques et spectateurs semble à propos. L’analyse qui suit repose ainsi sur l’hypothèsesuivante : la critique de film d’actualité dans la presse généraliste et culturelle a un pouvoirprescripteur. C’est-à-dire qu’elle est reconnue par les spectateurs comme une instancelégitime pour évaluer et conseiller le public du cinéma dans ses choix. Cela signifieégalement que le critique exerce une influence sur la formation des critères de jugementchez le spectateur et dans le champ de l’industrie culturelle.

La prescription de la critique de presse constitue le champ d’investigation généraldans lequel s’inscrit ce mémoire. Cette question pourrait faire l’objet de recherches trèsdifférentes, de par leur méthodologie et l’objet sur lequel l’analyse se focalise (discours,acteurs, économie du cinéma, etc.). On pourrait ainsi envisager une étude du rapportqu’entretiennent les spectateurs avec la critique de film dans leur sortie (il s’agiraitd’une approche analytique des pratiques de la critique de presse par le public ducinéma). La mesure de l’impact réel de la critique sur l’économie du cinéma pourrait parailleurs constituer une autre démarche pour traiter la question du pouvoir prescripteur dujournalisme cinéma. Enfin, d’un point de vue sociologique, un travail sur le jugement dujournaliste-critique face aux contraintes éditoriales et aux enjeux économiques du cinémapourrait être mené.

Mais nous porterons dans le cadre de ce mémoire une attention particulière auxdiscours émis au sein des espaces critiques de l’espace public du cinéma. Il estquestion d’examiner le pouvoir prescripteur du critique à travers une analyse des modalitésd’énonciation et des critères mobilisés dans le discours critique sur les films d’actualité. Atravers une analyse des discours des différents acteurs de l’espace public du cinéma, onpourra interpréter les intentions et les finalités qui sous-tendent la rédaction de critiques defilms.

Notre étude s’intéresse plus spécifiquement aux rubriques cinéma de la pressequotidienne généraliste et de la presse hebdomadaire culturelle, médias qui appartiennentà l’espace traditionnel critique sur le cinéma, ainsi qu’à la critique dite « grand public » parle biais des espaces critiques réservés aux lecteurs au sein des sites web de cette mêmepresse. Ces espaces d’expression se caractérisent par une appellation et un fonctionnementpropres à chaque journal : avis des lecteurs sur le site de Télérama, réactions des abonnéssur www.lemonde.fr, commentaires des internautes sur le site de Libération, du Figaro, desInrockuptibles et du Progrès. Entre le traditionnel courrier des lecteurs et le forum interactifsur l’actualité du cinéma, ces espaces constituent un support innovant pour l’expressiondes « spectateurs-critiques ». La particularité de ces espaces réside notamment dansl’instantanéité de la publication, une semi autonomie vis-à-vis du journal, une très grandeaccessibilité13 et la mémoire infinie des écrits. Ces caractéristiques participent à faire de celieu d’énonciation de discours sur les films d’actualité, un objet d’étude passionnant dansl’analyse des différents foyers d’expression sur le cinéma.

La critique savante est par ailleurs écartée de l’analyse car elle ne coïncide pas (ou peu)avec l’actualité du cinéma, et qu’elle se destine à un lectorat qui recherche des analysesesthétiques plus approfondies pour prolonger l’expérience du film. En ce sens, les revues

13 Cette accessibilité est évidemment conditionnée à un accès à internet. Ainsi, la dite « fracture numérique » tempère l’idéed’une démocratisation de la prise de parole grâce aux forums et aux divers espaces d’expression sur le Net.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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spécialisées sont moins susceptibles de jouer un rôle prescripteur auprès du public ducinéma car elles ne concernent pas directement la « consommation » du film et que leurlectorat est négligeable devant celui de la grande presse.

L’introduction de la parole critique des internautes sur les sites de presse bouleverse-t-elle le discours sur les films d’actualité émanant de l’espace médiatique ? Les commentairesdes internautes proposent-ils une nouvelle manière d’écrire sur les films d’actualité et deles juger au sein de l’espace du journal ? Dans l’énonciation de leurs analyses et de leursjugements, occupent-ils la même posture d’autorité que le journaliste-critique au sein del’espace du journal et au sein de l’espace public du cinéma ?

Pour répondre à ces interrogations, nous proposons de travailler, dans ce mémoire, àune définition de la critique de film des journalistes de la presse généraliste et culturelle, etde celle des internautes intervenant sur les sites de presse. Il s’agit d’adopter une démarchecomparative en considérant les deux catégories de discours critiques qui cohabitent dansun même espace sur les sites de presse. Qu’est-ce qui distingue le jugement du journalistecinéma du jugement énoncé par les internautes?

Nous proposons d’entreprendre une comparaison des formes discursives de la critiquede film des journalistes cinéma et des avis d’internautes. Il est question d’appréhender cesdiscours dans une perspective globale, c’est-à-dire en s’efforçant d’analyser conjointementles énoncés et leurs lieux d’énonciation. Considérer l’espace du journal est en effetindispensable pour interroger le sens de ces discours critiques.

Cette comparaison des discours se décline en plusieurs étapes en fonction des objetsde l’analyse : comparaison des modalités énonciatives et des postures d’énonciation desdifférents acteurs, comparaison du contenu de ces discours à travers une étude desthématiques, des critères d’analyse et des critères de jugement, etc. A travers cettedémarche analytique, nous nous appliquerons à dégager les similitudes, les tensions, lescontradictions, les antagonismes entre ces différents discours qui cohabitent au sein del’espace du journal, et ainsi déterminer les finalités propres à chacun des énonciateurs.

Ce mémoire s’appuie sur un certain nombre de références théoriques et de méthodesd’analyse. L’approche analytique que nous avons choisie réside dans la question de lasignification des discours critiques au sein de l’espace médiatique. Pour mener à bien notreenquête, nous avons ainsi fait appel à des méthodes d’analyse du discours. Les analysesde Claude JAMET et d’Anne-Marie JANNET14 sur les stratégies et la mise en scène del’information au sein des médias constituent une de nos références principales. Même sila critique de cinéma n’appartient pas à proprement parler au journalisme d’informationmais relève plutôt du journalisme d’opinion, les analyses du dispositif journalistique, del’énonciation et des modes discursifs dans la presse écrite ont profité à notre travail. Parailleurs, l’étude du journal quotidien et de ses énoncés par Maurice MOUILLAUD et Jean-François TETU15 représente également un de nos ouvrages de référence.

Certains outils de la linguistique sont aussi invoqués dans notre raisonnement.L’approche linguistique de l’énonciation (à travers les travaux de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI16 en particulier) nous permet notamment d’envisager ce qui dans le langageparticipent à caractériser la posture énonciative des différents acteurs de l’espace public du

14 C. JAMET et A.-M. JANNET, Les stratégies de l’information, 2000, L’Harmattan ; La mise en scène de l’information, 1999,L’Harmattan.

15 M. MOUILLAUD et J.-F. TETU, Le journal quotidien, 1989, Presses Universitaires de Lyon.16 C. KERBRAT-ORECCHIONI, L’énonciation, édition 2009, Armand-Colin.

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Introduction : La constitution d’un espace public du cinéma

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cinéma. L’analyse de la subjectivité dans le langage apparaît effectivement indispensabledans le cadre d’une réflexion sur le genre de la critique culturelle.

Une analyse menée à partir des critiques de trois filmsLe corpus de l’analyse est composé des critiques publiées dans les journaux Le Monde,

Libération, Le Figaro, Le Progrès, Télérama et les Inrockuptibles et de commentairesde lecteurs « postés » sur les portails internet de ces journaux. Ces textes critiquesfurent écrits à l’occasion de la sortie en France des films suivants : Hunger de SteveMcQueen (26/11/2008), Home de Ursula Meier (29/10/2008), La Bande à Baader de UliEdel (11/11/2008)17.

Le choix de ces journaux quotidiens et hebdomadaires répond au souci de considérerune critique dont le lectorat est le plus étendu possible et qui s’inscrit au sein d’un médiapour lequel le cinéma n’est pas le propos principal. Par ailleurs, il semblait intéressant depouvoir analyser le discours critique au regard des différentes appartenances politiques deces organes de presse, c’est pour cette raison que nous avons retenu ces trois quotidiensnationaux. Pour mieux cerner le discours dans la presse nationale, une étude de l’écrituresur le cinéma dans la presse régionale se révèle également nécessaire. Enfin, la pressehebdomadaire culturelle ici représentée par Télérama et les Inrockuptibles trouve une placedans notre enquête du fait de son appartenance à une presse à grand tirage et à destinationd’un lectorat à la recherche de l’actualité culturelle. En ce sens, elle propose une autrecatégorie du journalisme cinéma, qu’il semble important de considérer.

Les choix des films de l’étude résulte de motivations diverses. Hunger et La Bandeà Baader ont fait l’objet d’une réception contrastée par les journalistes-critiques. Il nous aainsi semblé intéressant d’analyser et de comparer des critiques divergentes, susceptiblesde présenter plus explicitement des critères de jugement sous-jacents. D’autre part, cesdeux films ont fait couler beaucoup d’encre, ils ont bénéficié d’une grande visibilité au seinde l’espace public du cinéma (Steve McQueen a en effet reçu la Caméra d’Or au festivalde Cannes 2008) et les internautes sont nombreux à avoir postés des commentaires surles sites de presse en ligne. Le discours abondant des internautes constitue une matièreintéressante pour cette étude.

Le choix du troisième film, Home d’Ursula Meier, relève davantage de critèresesthétiques personnels. Premier film d’une jeune réalisatrice franco-suisse inconnue,l’étude de sa réception critique représente cependant un intérêt certain, notamment si l’ontient compte de l’espace accordé à sa critique au sein des différents journaux18.

Pour commencer cette analyse des discours critiques sur les films d’actualité énoncésdans l’espace du journal généraliste ou culturel, il convient tout d’abord d’envisager lestraits communs aux articles des journalistes-critiques et aux commentaires des internautes.Ecrire sur le cinéma au sein d’un journal et dans une temporalité qui coïncide avec cellede l’actualité du cinéma, caractérise ces deux catégories d’énonciateurs. Quelles sont lesmodalités partagées par ces deux familles de la critique culturelle?

Ensuite, nous proposerons une différenciation de ces discours en considérant lespostures énonciatives des critiques professionnels et des critiques profanes au sein del’espace du journal, et les régimes d’engagement qui en découlent.

17 Voir ANNEXE N° 1 : présentation des réalisateurs et résumés des films choisis pour l’étude.18 Le Progrès ne consacre d’ailleurs aucun article au film d’Ursula Meier.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Enfin, afin de compléter cette étude comparative, il nous faudra entreprendre uneanalyse du contenu de ces discours, en se concentrant plus particulièrement sur les critèresde jugement.

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiquescommunes entre journalismecinématographie et les avis desinternautes

Écrire sur le cinéma, ce n’est pas parler de cinéma. Chaque spectateur de film estapte à proférer un jugement au sortir de la salle de cinéma, alors qu’il n’envisage pasnécessairement de le formuler par écrit. L’écriture suppose une certaine distanciation vis-à-vis du film, elle extrait le spectateur du rapport d’immédiateté au film et aux émotions(FRODON, 15). En ce sens, l’écriture revêt un rôle fondamental dans la construction de lapensée du critique. Le geste critique se fonde en effet sur une certaine prise de recul vis-à-vis de l’œuvre, que l’acte d’écrire facilite.

L’Ecriture sur le cinéma ne se renvoie pas nécessairement au travail du critique decinéma à proprement parler. L’ensemble des écrits sur les films et le cinéma est trèshétérogène car il réunit des formes et des contenus divers : interviews des acteurs oudes réalisateurs, synopsis de films, débats sur des cinématographies émergentes, analyseesthétique, avis de spectateur dans un forum sur internet, etc. Ecrire sur le cinéma concerneune grande diversité d’acteurs, qui se distinguent dans cet exercice par le support retenu,la temporalité de l’écriture (avant ou après la projection du film, avant la sortie du film ensalles ou à l’occasion de la sortie du DVD, etc.) mais aussi par les motivations de l’écriture(intellectuelles, commerciales, cinéphiles, pratiques, etc.).

Dans le cadre de notre étude, il est question de se concentrer sur les formes d’écrituresur le cinéma que sont le journalisme cinématographique dans la presse quotidienne etculturelle, et les avis des internautes publiés sur les sites de presse. C’est-à-dire sur unepartie des textes sur le cinéma qui se présentent en tant que « critiques de films ».

Considérons à présent ce qui, du point de vue du discours, les rapprochent et lescaractérisent.

I.1. Une finalité commune : la formulation d’unjugement explicite

On accuse régulièrement les critiques de cinéma de jouer un rôle de censeur dans le champcinématographique. Par exemple, en érigeant un tribunal aux dits « juges du cinéma »,Pierre Ajame19 dénonce l’effet et l’esprit de certains critiques dont les articles s’apparententplus à des verdicts ou à des sentences qu’à des plaidoiries.

19 AJAME Pierre, Le Procès des juges, les critiques de cinéma, 1967, Flammarion, 268 pages.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Cependant, la formulation d’un jugement peut être interprétée de plusieurs façons enfonction de l’intention qui sous-tend sa publication, au sein d’un journal ou dans l’espacedes lecteurs sur un site de presse ; et en fonction des modalités d’énonciation.

D’une part, le jugement peut être envisagé comme l’évaluation d’un film par unesubjectivité particulière, qui détermine la valeur de l’œuvre en fonction de ses proprescritères (mais pas nécessairement conscients). D’autre part, le jugement a parfois pour butexplicite de guider le lecteur dans le choix de son film. Dans ce cas, l’exercice critique ne selimite pas à l’expression de la subjectivité du journaliste ou de l’internaute mais s’adressedirectement aux lecteurs. Quand la formulation d’un jugement prend la forme d’un conseilau lecteur, la critique tend à se rapprocher de la promotion.

I.1.1. Evaluer le filmLa critique de presse s’affaire à évaluer l’œuvre qui fait l’actualité, c’est-à-dire à proposerune estimation de sa valeur. La formulation de cette évaluation prend des formes variéesau sein des journaux et des sites web : évaluation à travers un texte argumenté, évaluationsymbolisée par des étoiles, des points ou les humeurs du petit bonhomme Ulysse dansTélérama, évaluation-sondage sur certains sites de presse, etc. On distingue donc uneévaluation textuelle qui explicite au sein d’un article la valeur d’un film à partir de critèresparticuliers, et une évaluation-notation qui indique quantitativement la valeur de ce mêmefilm.

L’évaluation-notationLes journalistes cinéma du Figaro, du Monde, de Télérama et des Inrockuptibles disposentde signalétiques sensées traduire leur opinion sur le film en question. Apposées aux articles,ces symboles prétendent synthétiser le travail critique du journaliste. L’évaluation-notationpeut cependant difficilement être assimilée au geste critique, car elle fait abstraction del’exercice rédactionnel, qui correspond à la phase favorable au développement de la penséecritique. Ce type d’évaluation se caractérise par une simplification et un réductionnismeexcessifs qui évitent l’analyse et le véritable travail critique. Remarquons, par ailleurs,l’aspect scolaire de cette façon d’évaluer, ou du moins de synthétiser le discours critique.

Ainsi, les mimiques d’Ulysse indiquent le jugement des critiques de Télérama sur lesnouveaux films en salle. Il en va de même avec les étoiles dans les pages cinéma du Figarochaque mercredi.

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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Le quotidien du Monde propose, quant à lui, une signalétique plus proche du guide deconsommateurs. A l’instar des évaluations émises sur l’électroménager par les associationsde consommateurs, cette notation semble signifier « Le Monde a testé pour vous ce film » :

Remarquons également que les internautes postant des commentaires sur les sitesde Télérama et du Figaro disposent d’une myriade d’étoiles pour noter le film à leur tour.L’évaluation des internautes et celle des critiques professionnels, exprimée à travers cessymboles, sont dès lors aisément comparables et se côtoient dans l’espace virtuel de lapage web.

L’évaluation symbolisée est par ailleurs à l’œuvre au sein de certains journaux quiéditent chaque mois des tableaux récapitulant les avis de leurs critiques sur l’ensemble desfilms sortis au cours du mois20. Les sondages proposés aux lecteurs visant à élire leurs 10meilleurs films de l’année (top-list) s’inscrivent aussi dans cette logique de classement etde notation, qui n’accompagne pas nécessairement le jugement d’une argumentation.

20 Voir ANNEXES N° 8 et 9.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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L’évaluation textuelleEn plus d’une évaluation symbolisée, le critique de cinéma, qu’il soit expert ouprofane, expose un jugement sur le film. Cet avis ne fait pas nécessairement l’objetd’une argumentation. Le jugement prompt et dénué de développement caractérise plusparticulièrement les commentaires de certains internautes.

Télérama, « avis des lecteurs »à propos du film Home, Nounouchka> film assez bon, original, supers acteurs, en revanche qui peut m’éclairer ? je n’ai pas

saisi la fin ? merci d’avance à l’internaute qui s’interressera à mon désaroi !21

Qu’elle soit argumentée ou non, la formulation d’un jugement repose obligatoirementsur des critères déterminants. Ceux-ci sont cependant propres à chaque subjectivité etinvoqué de manière plus ou moins consciente.

Distinguons à présent différentes tendances possibles de l’évaluation du critique en detrois critères particuliers.

Les pages cinéma du Monde, du Figaro ou de Libération appartiennent à une pressedite d’opinion (même si son déclin est ouvertement dénoncé en considération notammentde l’avènement de nouveaux médias et d’une certaine convergence des opinions). Lescritiques de cinéma de ces quotidiens nationaux, qui se distinguent les uns des autres parleur engagement idéologique, sont ainsi susceptibles d’intégrer cette affinité politique dansleur jugement sur les films d’actualité. Ainsi, lorsque l’on entreprend une étude de la critiqueculturelle dans la presse, il est nécessaire de considérer la place occupée par le critèrede l’engagement dans le jugement cinématographique des journalistes. On pourra ainsienvisager une évaluation politique du film.

Un autre critère sous-jacent à l’évaluation du critique peut être celui du savoir.Le journaliste estime alors la valeur du film en fonction de ses références culturelles(esthétiques, philosophiques, plastiques, historiques), de la justesse avec laquelle ilrapporte un évènement historique ou traite d’une problématique sociétale. Il s’agira ici d’uneévaluation culturelle du film.

Enfin, le critère du plaisir est également susceptible de déterminer de manière décisivel’avis général du critique. « Ce film est bon car j’ai passé un bon moment. » Cette évaluationest d’autant plus subjective que le plaisir de chaque spectateur relève d’une recette etd’ingrédients particuliers.

On peut cependant faire l’hypothèse que l’évaluation du journaliste ou de l’internautefait appel à une multitude de critères. Le jugement synthétique énoncé serait ainsi le résultatd’une délibération entre plusieurs critères.

Nous nous intéresserons plus loin à la place accordée à ces différents critères au seindes journaux de l’étude et par les différents acteurs de la critique de cinéma. Une typologiede ces critiques en fonction des critères de jugement sera alors envisagée.

I.1.2. Conseiller le lecteur/spectateur

21 Les commentaires des internautes seront cités tels qu’ils ont été écrits. La ponctuation informelle et les éventuelles fautesd’orthographe sont donc reproduites. Par ailleurs, les extraits de discours issus de notre corpus seront présentés de la manièresuivante : Nom du journal, critique du film Y ou commentaires des internautes sur le film Y, nom du journaliste ou pseudonyme del’internaute.

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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Comme nous l’avons précédemment évoqué, le jugement du critique est souvent présentécomme un conseil au lecteur et au spectateur de cinéma en puissance qu’il constitue.L’intention de guider le lectorat dans ses sorties culturelles s’avère plus ou moins explicitedans les différents journaux étudiés, et au sein des commentaires des internautes. Parce cequ’ils se distinguent par leur formulation, leur présentation et leur objet, les conseils issusde ces différents espaces critiques sur le cinéma peuvent être hiérarchisés.

Le conseil du journalOutre le balisage des films « à voir » que le journaliste-critique réalise au moyen de symbolesprésentés plus haut, le conseil au lecteur apparaît aussi souvent en filigrane dans l’article.En formulant un avis sur le film en question, le journaliste formule implicitement un conseilau lecteur. Lorsqu’elle n’est pas ouvertement exprimée, la recommandation est souventsuggérée.

Exemple :Télérama, critique de la Bande à Baader, Jacques Morice> On attend toujours le film qui serait à la RAF ce que Buongiorno Notte de Marco

Bellochio fut aux Brigades rouges.La dernière phrase de l’article de Jacques Morice sur La Bande à Baader laisse

aisément penser le lecteur, qu’il n’est pas nécessaire de s’empresser d’aller découvrir ledernier film de Uli Edel. De même, le titre de la critique de Libération « Eichinger manqueBaader » donne très explicitement le ton de la critique de Didier Péron. Le lecteur se passedonc d’une notation « étoilée » pour comprendre le conseil du journal Libération.

Il faut également remarquer que Télérama se rapproche d’autant plus du guide deconsommation lorsqu’il édite chaque mois un feuillet intitulé « les meilleurs films du mois »qui présente un tableau récapitulatif de ses critiques de films22.

Le conseil des internautesAu sein des espaces critiques destinés aux internautes sur les sites de presse, la formulationd’un jugement prend aussi parfois la forme d’un conseil aux autres spectateurs. Il diffèredu conseil de l’expert-critique et du journal en tant qu’institution parce qu’il s’adressedirectement au lecteur en l’interpellant frontalement. L’emploi du « vous » et du modeimpératif confère un caractère très explicite au conseil du profane au profane.

Télérama, « avis des lecteurs » à propos de Hunger, Balminette> Je ne peux conseiller qu’une chose : d’y aller !! et très vite ! c’est vraiment un des

films de 2008 …Télérama, « avis des lecteurs » à propos de Home, Brigar> A voir, même si, a priori, ce n’est pas votre genre de film (comme pour moi !)Le Figaro, « vu par les internautes » à propos de Hunger, Anttoine.f> Allez voir ce film qui est d’une puissance incroyableCertains conseils relèvent de la mise en garde contre les effets psychologiques que

pourraient provoquer la projection chez certains spectateursTélérama, « avis des lecteurs » à propos de Hunger, bradfordmusical

22 Voir ANNEXE N° 8.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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> soyez prudent si vous allez voir ce filmTélérama, « avis des lecteurs » à propos de Home, Doudou1> (Claustrophobe s’abstenir !) »Enfin, l’internaute est aussi prêt à partager des conseils pratiques, quant au choix de

la salle de cinéma.Libération, Commentaires des internautes à propos de Hunger, Pas net> Eviter absolument le MK2 Bibliothèque

I.2. La critique de cinéma dans la presse généraliste,un genre hétérogène : de l’information à la critique

Dans les pages Cinéma, cohabitent des articles à caractère journalistique (interview duréalisateur, portrait de l’acteur principal, enquête sur les conditions de tournage, etc.) et letexte critique à proprement parler. Mais le contenu même de ce qui est appelé « critiquede cinéma » dans la presse quotidienne et hebdomadaire généraliste se caractérise parson extrême diversité et varie au sein et entre les médias étudiés. De manière analogue,la critique dite « profane » réunit des commentaires que l’on peut différencier de part leurcontenu.

L’analyse du corpus de critiques nous permet d’envisager quatre finalités quiapparaissent dans le discours des différents journalistes-critiques et des internautes :informer, narrer, analyser et juger. On retrouve au sein des journaux, et en fonction desrédacteurs, ces quatre genres de discours dans des proportions plus ou moins importantes.

I.2.1. InformerLe lieu d’énonciation que constituent la presse quotidienne généraliste et la pressehebdomadaire culturelle offre une place importante au discours informatif en général, et enparticulier au sein de ses pages « Culture ». Au contraire, la certaine presse spécialiséesur le cinéma représentée par les Cahiers du cinéma ou Positif propose peu de textes àcaractère informationnel à ses lecteurs, au profit de l’analyse.

La critique de presse sur le cinéma livre ainsi des informations sur le film en lui-même.Le premier paragraphe du texte du critique-expert remplit souvent cette fonction dans lapresse quotidienne: dès les premières lignes, le lecteur se voit informé sur le réalisateur,le budget mobilisé pour le tournage, sur les acteurs ou encore sur le lieu du tournage.Les données mises en avant ont été sélectionnées par le journaliste et révèlent ainsi unecertaine idée de qui importent dans la présentation du film d’actualité, et du film considéréen particulier. Il existe donc des discours informatifs dans le genre de la critique de presse.

A propos du film Home d’Ursula Meier, Libération s’applique particulièrement àprésenter la jeune réalisatrice en consacrant près d’un tiers de l’article à sa biographie :pour le journaliste Didier Péron, l’évènement réside plutôt dans l’avènement d’une nouvelleauteure au sein de l’espace public du cinéma que dans l’œuvre elle-même. De manièremanifeste, l’information délivrée est aussi commentaire et porteuse de significations.

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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Autre exemple : Alors que la presse nationale évoque à peine la performance de l’acteurMichael Fassbender dans Hunger de Steve Mcqueen, Le Progrès focalise l’attention de sonlecteur sur cet acteur en y consacrant l’intégralité de sa notulette au sein de ses pagesLoisirs-Spectacles (présentation de son rôle dans le film et ses précédents rôles).

Remarquons par ailleurs que le discours informatif sur le film est souvent inséré parmides considérations d’ordre plus analytique ou évaluatif.

Dans la presse généraliste, la critique de cinéma livre aussi parfois des informations surle sujet du film, en particulier lorsqu’il s’agit d’un film dit politique ou historique. Le journalistepeut alors choisir d’évoquer, voire de détailler le contexte historique et les évènements quifont l’objet du film. Les films Hunger et La Bande à Baader sont particulièrement propices àces développements informatifs et au rappel historique. Les journaux Libération, Le Mondeet Télérama y semblent d’ailleurs particulièrement attachés, alors que les journalistes-critiques des Inrockuptibles s’en exonèrent.

Comme exemple, considérons les premières lignes de la critique de JacquesMandelbaum sur le film de Steve McQueen :

Le Monde, critique de Hunger, Jacques Mandelbaum> En 1981, dans la prison de Maze en Irlande du Nord, les détenus de l’IRA, refusant

de porter l’uniforme des droits communs, vivent nus sous des couvertures depuis 5 ans.Ils mènent ainsi une grève de l’hygiène pour protester contre le refus du gouvernementconservateur britannique de rétablir leur statut de prisonniers politiques.

Lorsque les autorités politiques pénitentiaires décident de briser ce mouvement, unerévolte éclate, violemment réprimée. Bobby Sands, leader du mouvement, décrète alorsune grève de la faim totale qui le conduit à la mort le 5 mai 1981, à l’âge de 27 ans. (…)

Cet extrait démontre un souci manifeste de rapporter ces évènements de l’histoirepolitique dans leur exactitude (lieux, dates, chiffres) avant de considérer le traitementcinématographique du réalisateur. Au sein de la presse quotidienne nationale, les filmsportant sur des évènements politiques passés (souvent controversés) sont l’objet d’uneprésentation qui souligne le débat politique sous-jacent. Ces interférences entre l’actualitédu cinéma et les débats politiques qui préoccupent la société sont en effet particulièrementvalorisées par ces journaux : Libération juxtapose ainsi dans ses pages Cinéma la critiquedu film La Bande à Baader et une interview d’un professeur de l’Université de New York,spécialiste de l’histoire allemande, pour préciser quelques points de l’histoire de la RoteArmee Fraktion (RAF).

Les internautes usent également de leur espace d’expression virtuel pour publierdes commentaires portant sur le sujet-même du film, qui, pour certains, ont un caractèreinformationnel. Ainsi, sur les sites du Monde, de Libération et de Télérama, les avis decertains internautes sont parfois de simples précisions sur un fait historique, à distinguerdu discours critique.

Exemple :Libération, réactions des internautes à propos de l’article sur Hunger, poipoi :> Bonjour,Pourriez-vous corriger le fait qu’il y eu 10 et non 9 décès :Vol. Bobby Sands, IRA après 66 joursVol. Francis Hughes, IRA après 59 jours

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Vol. Patsy O’Hara, INLA après 61 joursVol. Raymond McCreesh, IRA après 61 joursVol. Joe McDonnell, IRA après 61 joursVol. Martin Hurson, IRA après 46 joursVol. Kevin Lynch, INLA après 71 joursVol. Kieran Doherty, IRA après 73 joursVol. Thomas McElwee, IRA après 62 joursVol. Michael Devine, INL après 60 joursMerci,Au sein des espaces d’expression sur les films d’actualités réservés aux internautes,

le sujet de la RAF et du conflit en Irlande du Nord est aussi l’objet de débats etde considérations idéologiques portant sur les évènements à proprement parler et pasobligatoirement sur l’œuvre cinématographique. Ces commentaires sur le thème du filmdépassent la finalité informative.

I.2.2. NarrerLa critique de film, qu’elle soit experte ou profane, comprend une part de discours narratif ettend souvent à s’y résumer dans la presse quotidienne régionale et parmi les commentairesde nombreux internautes. On pourra, dans ce cas, parler de « critique narrative ».

On l’a vu, le mode de la narration peut être employé pour contextualiser l’intrigue dufilm. Mais il est principalement mis à l’œuvre pour donner au lecteur quelques bribes duscénario, voire sa quasi-totalité dans certaines critiques.

Au sein de notre corpus, les articles rédigés au sujet du film Home d’Ursula Meier sedistinguent par leur abondance en discours narratif. Arrêtons-nous à présent sur quelquesextraits de ces textes critiques.

Télérama, critique de Home, Pierre Murat> (…)Ils semblent parfaitement heureux, d’ailleurs : papa, maman et leurs trois enfants

jouent au hockey, la nuit, s’éclaboussent gaiement, avec des cris et des rires, dans la sallede bains, et se frôlent tous avec tendresse. Au matin, le père (Olivier Gourmet) part travailleret les deux cadets vont à l’école. L’aînée (Adélaïde Leroux) ne fait que bronzer, allongéedans son transat, avec, dans les oreilles, une musique qui tue le silence. Normal. Tout paraîtnormal. (…)

Dans les premières lignes de sa critique, Pierre Murat fait le récit de la situation initialede l’intrigue. Mais bien au-delà du simple synopsis, son discours présente une autre finalitéque celle d’informer le lecteur sur le contenu du film. Le critique propose au sein des pagesde Télérama, une véritable mise en scène des premières séquences du film. Il présenteau lecteur les protagonistes du film (« papa, maman, et leurs trois enfants », « les deuxcadets », « l’aînée »), leurs relations affectives (« des cris et des rires », « se frôlent tous avectendresse »), leurs activités (« jouent au hockey », « le père part travailler », « l’aînée ne faitque bronzer »), l’atmosphère sonore qui règne dans ce huis-clos (« des cris et des rires »,« une musique qui tue le silence ») et des indices temporels (« la nuit », « au matin »). Tousces éléments contribuent à faire de ce paragraphe une description où les sens du lecteursont mobilisés dans une mise en perspective spatiale et temporelle. Le style du journaliste-

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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critique participe à rendre la scène palpable et intrigante grâce à un phrasé contrasté : lesdeux dernières phrases, courtes (« Normal. Tout paraît normal.»), bouleversent le rythmedes longues phrases énumératives qui précèdent.

Au sein du genre journalistique, la critique de presse s’autorise donc parfois à dépasserles modalités rédactionnelles propres au journalisme d’information et d’opinion (politique)pour adopter un style plus littéraire et plus libre. Ceci dépend évidemment des journaux, etdes journalistes de cinéma en particulier.

A travers l’exercice de style que peut être la narration, le journaliste-critique devient lui-même metteur en scène par le biais des mots. Cette qualité est d’ailleurs indispensable aumétier selon Michel BOUJUT, un des vétérans de Positif. Il affirme en effet que le critiquedoit « montrer qu’il est capable de créer à son tour. Sinon, il ne vaut pas mieux qu’un jugeembusqué derrière son Code. Je me retrouve sur la même ligne que François Weyerganset Roger Leenhardt. Le premier écrit : « pour être un critique sans complexe, il faut êtreun créateur en gestation. » Le second : « Tout critique compétent est un aspirant metteuren scène » »23.

Dans la narration de séquences choisies, le journaliste intègre parfois certainesrépliques des protagonistes du film, ce qui accrédite l’idée qu’il procède à une réadaptationde l’histoire, de ses logiques discursives, de son déroulement. Le fait de rapporter desbribes de dialogues nous indique également le plaisir que peut rencontrer le critique à contercertaines anecdotes d’un film. Ces citations démontrent aussi combien le discours est l’objetd’une attention particulière de la part du critique.

Ainsi les journalistes du Monde et de Télérama agrémentent leur discours narratif avecles paroles d’Isabelle Huppert (mère de famille dans le film d’Ursula Meier) afin d’illustrerle récit :

> (…) Papa (Olivier Gourmet) s’acquitte des courses et des travaux, maman (IsabelleHuppert) de la cuisine et de la lessive - « J’vais faire du blanc ! ». (…)

> (…) Partir, oui, il faudrait partir. Bien sûr qu’il faudrait partir. « Tu vas nous fairedéménager ? demande la mère, affolée, en larmes. On irait où ? On ferait quoi ? C’estchez nous, ici… » (…)

D’autre part, la narration comprend généralement un part de discours descriptif, dont ilconvient d’interroger la finalité. En quoi la description constitue-t-elle une stratégie discursivede légitimation du critique auprès de ses lecteurs ?

Présenter un décor dans ses moindres détails, dépeindre le lieu de tournage du film,tirer le portrait des personnages principaux sont autant de descriptions que le lecteurretrouve fréquemment dans les critiques de films de la presse généraliste. Le mode de ladescription appartient aux modes discursifs employés par le journaliste pour faire croire à laréalité d’une situation24. Cette stratégie s’applique également au journalisme culturel, dansla mesure où la description permet au critique d’attester le fait qu’il a bien vu le film, la piècede théâtre, ou le spectacle de danse qu’il présente. Dans le domaine du cinéma, le discoursdescriptif est un moyen par lequel le critique témoigne de son expérience de spectateur, etde l’existence réelle du film critiqué. Il tend ainsi à rassurer le lecteur suspicieux à l’égardde la démarche du critique, que l’on accuse parfois d’avoir rédigé son papier, sans mêmeavoir assisté à la projection du film.

23 Michel BOUJUT, La promenade du critique, (Institut Lumière/Actes Sud, 1996), page 18.24 Maurice MOUILLAUD, Jean-François TETU, Le journal quotidien, (Presses Universitaires de Lyon, 1989), page 162

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Enfin, le mode discursif de la description est un procédé du critique-metteur enscène, car il lui permet d’investir sa propre personne dans le récit. D’après PatrickCHARAUDEAU25, « la description peut être considérée comme l’outil qui permet au sujetparlant de satisfaire son désir de possession du monde : c’est lui qui le singularise, lespécifie, lui donne une substance et une forme particulière en fonction de sa propre visiondes choses qui passe par sa rationalité, mais aussi par ses sens et ses sentiments». En cesens, à travers la narration de certaines séquences ou de certaines anecdotes, ou encorela description de certains éléments du film, le journaliste revisite et s’approprie l’œuvrecinématographique. La critique du cinéma s’émancipe ainsi parfois de l’œuvre originale queconstitue le film.

I.2.3. AnalyserParmi les différents foyers critiques de l’espace public du cinéma, l’activité qui consiste àanalyser le film caractérise plus particulièrement la presse spécialisée intellectuelle commeles Cahiers du cinéma ou les revues universitaires telles que Vertigo ou Cadrage.net.Cependant, au sein de la presse généraliste, certains éléments nous invitent à penser quele journaliste-critique et l’internaute des sites de presse adoptent parfois une démarcheanalytique.

Un article sur le cinéma se rapproche de l’analyse filmique lorsque le rédacteur s’efforcede dégager des structures esthétiques, lorsqu’il interprète les choix scénographiques,chorégraphiques, visuels, sonores du réalisateur. L’étude du jeu des acteurs peut égalementêtre l’objet d’une analyse dans le cadre de la critique de cinéma. Il est pour autant nécessairede remarquer que l’analyse est une démarche qui se marie mal avec l’économie des motset de l’espace, à l’œuvre au sein des pages culturelles de la presse généraliste (et puisparticulièrement de la presse quotidienne). Ainsi, il est évident que l’analyse ne trouve guèrede place dans les notulettes consacrées aux films d’actualité au sein des pages Loisirs etSpectacles du Progrès.

Comparer le film critiqué avec d’autres œuvres cinématographiques nécessite unecertaine distanciation de la part du rédacteur vis-à-vis du film. En ce sens, lorsque le critiqueprofessionnel ou amateur évoque des cinématographies, des courants de cinéma ou encorel’œuvre d’un réalisateur particulier, il convoque des références susceptibles de préciser et dedéfinir l’esthétique, la mise en scène, l’univers sonore de l’œuvre qu’il critique. Son discourscomprend donc une dimension analytique.

Au sein de notre corpus, les énoncés étudiés se différencient par leur teneur en discoursanalytique et par l’objet même de l’analyse.

Au-delà de l’étude du film considéré, la critique de cinéma des Inrockuptibles estsouvent le lieu d’une réflexion sur le cinéma et de ses perspectives contemporaines. Au seinde sa critique de La Bande à Baader, Amélie Dubois consacre ainsi près de la moitié deson article à une réflexion sur la multiplication actuelle des films inspirés de faits historiquessur les écrans de cinémas. L’analyse concerne « l’inspiration scénaristique » qui caractérisele cinéma contemporain, et non le film de Uli Edel à proprement parler, qui sert ici plutôtde point d’ancrage à une réflexion d’ordre plus général. Par ailleurs, les trois critiques denotre corpus issues de l’hebdomadaire culturel les Inrockuptibles contiennent un universlexical propre à l’analyse du genre cinématographique : « outils réflexifs et romanesques du

25 Patrick CHARAUDEAU in JAMET-JANNET, Les stratégies de l’information, (l’Harmattan, 2000), page 204.

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cinéma », « scénario », « mise en scène », « fiction cinématographique »26, « dispositif »,« séquence », « images »27, « premiers plans », « travail sur le son », « scène »28, etc. Cesmots et expressions sont autant d’outils et de balises employés pour procéder à l’examenminutieux d’une œuvre cinématographique.

Certains spectateurs-critiques proposent également de brèves analyses dans lescommentaires postés sur les sites de presse. Traversay,intervenant régulier sur le sitede Télérama, formule un jugement au sein duquel plusieurs dimensions du film sontenvisagées : les extraits suivants mettent en évidence l’attention qu’il porte à l’image, auscénario, à la dynamique narrative mais aussi son souci de comparer le film critiqué à desœuvres de son répertoire cinéphile.

Télérama, avis des lecteurs à propos de Hunger, Traversay> (…)Steve McQueen (…) démontre dès son premier film un sens de l’image

éblouissant qui laisse augurer d’un bel avenir. (…)> (…)le scénario prend parfois des chemins de traverse surprenants et se fait volontiers

elliptique au grand dam du quidam qui connaîtrait mal l’historique du conflit en Irlande duNord. (…)

Télérama, avis des lecteurs à propos de Home, Traversay> (…) Home de Ursula Meier est un film angoissant, inclassable en son genre, entre

Répulsion de Polanski et Le septième continent de Haneke. (…)Télérama, avis des lecteurs à propos de La Bande à Baader, Traversay> (…) le film fonctionne également comme un thriller d’une grande efficacité. (…)Même si l’analyse reste très minoritaire dans le discours des internautes sur les sites de

presse, la critique profane n’est pas, pour autant, dépourvue de réflexion et de référencesesthétiques, plastiques et cinéphiles.

I.2.4. JugerSi la critique de presse et les commentaires des internautes ne contiennent pasnécessairement de discours narratif et de discours analytique, la formulation d’un jugementexplicite est une forme d’invariant au genre de la critique de cinéma. La critique de cinémadans la presse généraliste se présente en effet comme le lieu où s’exprime une subjectivité àpropos d’une œuvre cinématographique. Dans le discours, le jugement du journaliste ou del’internaute se repère à travers des marqueurs de subjectivité, qui différent selon les médiaset les énonciateurs. La différenciation des critiques de cinéma en fonction des modalitésdiscursives et du régime d’engagement de l’énonciateur sera proposée dans la deuxièmepartie de ce mémoire.

Le jugement de l’énonciateur critique se caractérise par ailleurs par le ton adopté pourl’exprimer : ironique, péremptoire, véhément, etc. On distingue notamment une critique decinéma proche du billet d’humeur par les marques d’indignation qu’elle contient et par lefait que le lecteur l’identifie clairement comme une prise de parole individuelle au sein dujournal. La critique d’humeur trouve par exemple un terrain favorable au sein des pages

26 Expressions issues de la critique de La Bande à Baader par Amélie Dubois.27 Expressions issues de la critique de Hunger par Serge Kaganski.28 Expressions issues de la critique de Home par Jacky Goldberg.

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cinéma de Télérama, lorsque l’hebdomadaire propose deux critiques divergentes rédigéespar deux journalistes de cinéma sur un même film. Télérama met en évidence cette divisionau sein de la rédaction en présentant un « POUR » et un « CONTRE ». Cette désignationtend à valoriser le journaliste-critique en tant que « subjectivité singulière », qui exprime sonpropre jugement dans Télérama. La critique n’apparaît pas comme la critique du journal,mais celle d’un de ses rédacteurs particuliers.

A propos du film Hunger de Steve McQueen, la critique de Pierre Murat, affichéecomme l’avis « CONTRE » de la rédaction de Télérama, présente les caractéristiques dubillet d’humeur : un jugement tranché et qui se distingue de l’avis général émanant de lacommunauté critique, un ton exaspéré qui se traduit par un enchaînement d’interrogationset une ponctuation libre :

> Juste une question : une œuvre d’art doit-elle exhiber ou suggérer ? Les scènesd’amour sont-elles plus intenses si l’on voit s’activer les sexes ? Torture-t-on de manièreplus efficace si l’on montre les lames déchirant les chairs ?...(…)

Mot d’ordre du réalisateur : j’insiste donc je suis. (…)En un temps où l’abus des images aurait tendance à nous rendre aveugles, faut-il,

comme Steve McQueen, croire l’épure obsolète ? Peut-être, mais alors, c’est vraimentgrave.

I.3. De la proximité entre énonciateur et lecteur dans lediscours critique

I.3.1. Etre spectateur : une posture partagée par le critique et lelecteur

Dans l’espace public du cinéma, le critique occupe une place particulière et se caractérisepar une certaine ubiquité. Il se distingue en effet du spectateur ordinaire par son activitédouble qui consiste à visiter les salles de cinéma et à écrire sur les films qu’il a auparavantvisionnés. Il détient donc simultanément le statut du spectateur et celui d’énonciateur dediscours. Ces deux pratiques lui confèrent une double posture au sein de l’espace dediscussion sur le cinéma, dont le critique use dans l’énonciation pour se rapprocher de sonlecteur, voire le séduire.

Le lecteur s’identifie à la posture du spectateur qu’occupe le journaliste-critique oul’internaute et se situe de façon distanciée par rapport à la posture d’énonciateur de discours.Mais quels sont les processus à l’œuvre dans cette identification entre critique et lecteur ?Il semble que le partage se réalise autour de l’expérience commune de cinéma. FrancescoCASETTI29 explique en quoi le critique et le lecteur se retrouvent dans l’expérience passéede spectateur de cinéma :

« Celui qui parle ou qui écrit témoigne directement du fait d’aller au cinéma puisquec’est l’accomplissement même de cet acte -souvent devenu métier- qui l’autorise à donnerinformations et jugements. L’auditeur ou le lecteur de critique fourniront à leur tour la preuveflagrante de l’expérience de cinéma puisque ce sont le souvenir ou le désir même de la

29 CASETTI Francesco, D’un regard l’autre, le film et son spectateur, (Presses Universitaires de Lyon, 1994), page 15.

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projection qui les poussent à s’informer. Tous se qualifient comme spectateurs, effectif oupotentiel (…)».

La critique culturelle de promotion fonctionne donc grâce à ce processus d’identificationdu lecteur au critique, qui est envisageable à partir du moment où le lecteur est en mesurede s’imaginer en tant que spectateur. L’identification du lecteur au critique est donc facilitéelorsque l’énonciateur s’applique à évoquer explicitement son expérience de spectateur.Ainsi, le lecteur est susceptible de se sentir interpellé et de voir son expérience singulièresollicitée. Le critique de cinéma - spectateur et énonciateur de discours - avive « le souveniret le désir de la projection » du lecteur à travers des stratégies discursives que nousétudierons plus loin, et la narration, objectivée ou non, de ses impressions de spectateur :

Le Figaro, Critique de Hunger, Eric Neuhoff>(…).Lorsque l’on entend la voix de Thatcher déclarer (…), un frisson parcourt l’échine.

(…)Sur le trottoir, on se retrouve sonné. On marche quelques mètres puis on se met à

réfléchir. (…)Télérama, avis des lecteurs à propos de Hunger, cin ?yl> Et moi malheureusement je suis restée trop longtemps une demie heure après le

début je suis sortie, choquée par tant de violence et de détails quelquefois me semble-t-il inutiles (…)

Ainsi, le discours du journaliste-critique dans la presse généraliste ou de l’internautesur les sites de presse s’apparente ainsi parfois à un témoignage, qui valorise la posture duspectateur que l’énonciateur partage avec son lecteur.

Précisons, par ailleurs, que la posture du spectateur et la posture du critique sedifférencient par le regard que le sujet porte sur le cinéma. Le spectateur occupe en effetune posture du plaisir, qui se caractérise par un regard ludique sur le film visionné. Dansla posture de spectateur, le sujet envisage la séance de cinéma comme un moment dedistraction. La posture du critique suppose, quant à elle, un regard distancié sur le cinéma,c’est-à-dire un regard plus analytique qui s’efforce de mettre entre parenthèses les émotionsdu spectateur. Cependant, le critique professionnel peut se trouver dans ces deux postures.L’exercice de son métier de critique ne l’empêche pas en effet d’adopter simultanémentun regard ludique et un regard analytique. De même, le public du cinéma n’occupe pasnécessairement une posture de spectateur mais il est également susceptible de poser unregard plus distancié et plus intellectualisé sur le cinéma.

Après avoir envisagé le jeu de postures à l’œuvre au sein de l’espace public du cinémaentre le lecteur, le spectateur et le critique, il semble intéressant de s’arrêter quelquesinstants sur la figure du spectateur dans le discours critique sur le cinéma.

En introduction à une réflexion sémiotique sur le spectateur30, Francesco CASETTIaffirme que la critique de cinéma admet le principe de base suivant : « le spectateur n’estqu’un figurant, tant et si bien que les discussions portent sur autre chose comme la qualitéou l’importance de ce qui est vu plus que de la façon dont cela est donné à voir. ». L’attentiondu critique se concentre sur le film et ses modalités, sans chercher à définir et explorerla figure du spectateur, son rôle, sa relation à l’œuvre cinématographique. La critique decinéma considère le spectateur comme un état de fait (CASETTI, p. 15), et ne s’inquiètepas d’approfondir des questions qui préoccupent aujourd’hui de nombreuses disciplines :

30 Ibid., page 16.

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qu’est-ce qu’un spectateur ? Existe-t-il vraiment ?. Dans le discours critique sur le cinéma,professionnel ou « amateur », l’intérêt de l’énonciateur se focalise de manière générale surl’œuvre cinématographique elle-même, afin de formuler un article informatif, analytique et/ou évaluatif susceptible de guider ou d’influencer un lecteur-spectateur passif.

I.3.2. Stratégies pour persuader le lecteur et le faire adhérer à saposition.

L’expérience de la projection partagée entre le lecteur et l’énonciateur de discours surle cinéma est à l’origine de stratégies énonciatives de persuasion et séduction enversl’allocutaire de ces discours. Nous étudierons plus particulièrement, dans ce paragraphe,la stratégie énonciative qui réside dans l’emploi du pronom personnel « on » au sein desdiscours critiques « professionnels » et chez certains commentaires d’internautes.

Le pronom personnel indéfini de la 3ème personne se caractérise par une très grandepolyvalence d’usage, qui permet de le mettre au service de stratégies énonciatives les plusdiverses31. Il peut en effet être appréhendé comme la référence à des ensembles plus oumoins déterminés en fonction du contexte de l’énonciation et de sa situation au sein del’énoncé. Ainsi, le « on » peut être associé à l’énonciateur, au co-énonciateur, à un individu,un groupe ou un ensemble flou.

Le style rédactionnel à l’œuvre dans la critique de presse se caractérise par un usagemassif du « on », au service notamment de l’argumentation d’un jugement porté sur uneœuvre. Au sein d’un même énoncé, le « on » ne se réfère pas nécessairement aux mêmesensembles. Ceci contribue à complexifier le système des références dans le texte et tendparfois à rapprocher le lecteur de la position de l’énonciateur-critique.

Télérama, critique de La Bande à Baader, Jacques Morice> (…) on suit le parcours en amont des années de plomb (…)On la voit au début du film en mère de famille (…)On attend toujours le film qui serait à la RAF ce que Buongiorno, notte de Marco

Bellochio, fut aux brigades rouges.Inrockuptibles, critique de Hunger, Serge Kaganski> Là où tout le monde semble voir cohérence, courage plastique et radicalité, on ressent

insistance lourde, vanité formaliste et posture radicale sans risques. Hormis quelquesscènes au début du film, on est enfermé avec les détenus prisonniers politiques irlandais eton ne sortira pas ou peu de ce point de vue carcéral. (…)

Dans ces deux extraits de critique, nous observons une alternance de « on » quine désignent pas les mêmes ensembles. D’une part, le journaliste emploie le pronompersonnel indéfini pour relater son expérience de spectateur, qui susceptible de concernerl’ensemble des spectateurs. Le « on » englobe ainsi la communauté des spectateurs et doncle spectateur potentiel qui représente le lecteur. Par ailleurs, le « on » revêt un caractèretotalement subjectif lorsque l’énonciateur l’emploie pour formuler son propre jugement surle film. Ce pronom personnel présente l’avantage d’opérer une certaine distanciation vis-à-vis de la subjectivité de l’énonciateur, distanciation qui améliore la réception du jugementchez le lecteur. L’usage du « on » permet donc de procéder à une objectivation du jugement

31 Voir MAINGUENEAU Dominique, Analyser des textes de communication, Armand-Colin, 2005, page 111.

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de l’énonciateur (le « je pense que » est remplacé par une phrase affirmative qui a poursujet le pronom personnel indéfini). En cela, l’emploi du « on » dans le discours critique surle cinéma est une stratégie discursive au service de la prescription d’un jugement propreau journaliste-critique. D’autant plus que le lecteur, concerné par un « on » englobant lacommunauté des spectateurs, est susceptible d’adhérer plus facilement à l’engagementdistancié, qui est énoncé par le critique.

Il faut également remarquer que le « on » franchit parfois la frontière qui sépare l’universclos du film et celui de la salle obscure. Dans certains passages narratifs, l’énonciateurintègre ainsi le spectateur au récit du film. Par exemple, pour exprimer le sentimentd’étouffement qui règne dans le huis clos familial à la fin du film Home, mais égalementl’étouffement du spectateur lui-même assiégé par un univers sonore et lumineux proche del’insupportable, le critique du Monde emploie un « on » qui se réfère au public du cinémaet aux protagonistes du film :

> (…) On ne s’entend plus, on dort tous dans la même pièce côté campagne (…)En définitive, l’usage du « on » dans la critique de presse est une modalité discursive

très polyvalente, qui doit être considérée avec attention pour l’étude des stratégies delégitimation du critique auprès de ses lecteurs.

Remarquons également que l’emploi du pronom personnel indéfini de la 3ème

personne caractérise principalement la critique dite « professionnelle ». Cependant,quelques internautes adoptent cette posture énonciative dans la rédaction de leurscommentaires sur les sites de presse. Leur style rédactionnel, sur lequel nous nousattarderons pus loin, se rapproche par ailleurs de la critique de presse traditionnelle.

Télérama, avis des lecteurs à propos de La Bande à Baader, Traversay> Uli Edel, 61 ans, n’est pas un cinéaste de grande envergure et on n’attendait pas de

sa part un film aussi radical et (en grande partie) réussi que La Bande à Baader. (…)Télérama, avis des lecteurs à propos de La Bande à Baader, pakobx> (…) On ressort en ayant vu un film un peu longuet.D’un point de vue général, le « je » et le « nous » sont quasiment bannis dans le discours

journalistique sur le cinéma, alors que la majorité des internautes exposent leur jugementen employant la première personne du singulier ou du pluriel.

I.4. Des discours « réglementés » par un destinateur :le journal

Les discours sur le cinéma dans la presse généraliste (au sein des journaux et sur le web)doivent être analysés en considération d’un schéma énonciatif propre à la critique culturelle.

Au sein du journal, il existe plusieurs niveaux d’énonciation hiérarchisés les uns parrapport aux autres. Ainsi, la voix principale est celle du journal: il orchestre l’ensembledes autres voix que sont les journalistes, ou énonciateurs secondaires. Le journal, en tantqu’institution au sein de l’espace public du cinéma, représente le destinateur 32, c’est-à-dire l’autorité au nom de laquelle s’exprime l’énonciateur de discours sur le cinéma dans la

32 LAMIZET Bernard, 1992, Les lieux de la communication, Collection Philosophie et Langage, Mardaga, p. 197-202.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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presse, qu’il soit journaliste-critique ou internaute postant des commentaires sur les sitesde presse. Les discours des journalistes et des internautes énoncés au sein du journal sontdéterminés par ce destinateur.

Le schéma énonciatif de la critique culturelle se distingue des autres genresjournalistiques, car elle est liée à un enjeu économique évident : la promotion des filmsd’actualité. En ce sens, l’allocutaire auquel se destine le discours critique est l’objet d’uneattention particulière, dans l’hypothèse où le discours est construit de manière à le faireadhérer à l’avis énoncé. L’allocutaire de la critique de promotion est donc un lecteur-typeavec des goûts et des comportements culturels pressentis par l’énonciateur. Il doit êtredifférencié du lecteur réel, qui, lui, constitue le récepteur effectif du discours critique.

Ce schéma de l’énonciation est nécessaire pour envisager les relations d’autorité etles normes qui régissent le discours des journalistes sur le cinéma, ainsi que celui desinternautes cinéphiles sur les sites de presse.

I.4.1. Le journalisme sur le cinéma, des discours normésLes pages consacrées au cinéma dans la presse généraliste appartiennent à un journalparticulier, qui se caractérise notamment par une mise en page, des règles typographiqueset une police d’écriture spécifiques. Le journal est en effet un espace organisé et agencéà l’aide de balises (notules, brèves, portraits, éditorial, etc.) qui orientent le lecteur aufil des pages (JAMET-JANNET, 1999 : 40). Si cet agencement et cette hiérarchisationde l’information s’impose au lecteur de presse, il représente également le cadre rigide(car défini et quasiment invariable) dans lequel s’inscrit le discours critique sur le cinéma.L’énonciateur que constitue le journaliste-critique, est en ce sens, soumis à des règlesde composition graphique, qui normalisent son énoncé dans sa disposition spatiale. Lelieu de l’énonciation implique un certain nombre de codes spécifiques qui participent àl’élaboration d’une critique de cinéma normée et qui se singularise en fonction du journal.On peut également revenir sur les signalétiques de notation propres à certains journaux del’étude (Le Monde, Le Figaro, Télérama, les Inrockuptibles) : elles contribuent aussi à la« codification » du discours critique sur le cinéma dans la presse généraliste et culturelle.

D’autre part, le destinateur est porteur d’une histoire, d’une charge sémantique etoccupe une place définie dans le paysage médiatique et politique. En cela, le travail desjournalistes s’inscrit dans un cadre idéologique plus ou moins explicite et se doit de respecterun certain « esprit » du journal. Même si la norme n’est pas clairement énoncée, tous lesdiscours journalistiques présentés sous le titre d’un journal donné sont susceptibles d’êtredéterminés par l’identité politique et culturelle du journal.

A travers une étude sémio-linguistique de critiques issues de la presse quotidiennefrançaise lors des années 2001 et 200333, Héloïse POURTIER dégage des schèmesinterprétatifs esthétiques et politiques à l’œuvre dans la critique de cinéma des journauxLibération, Le Monde et Le Figaro. Elle montre ainsi en quoi le jugement des journalistescritiques de la presse quotidienne est fondé sur des critères esthétiques et métaphysiquespermanents et spécifiques aux trois quotidiens. Cette étude contribue à accréditer l’idéeselon laquelle le discours sur le cinéma dans la presse généraliste s’inscrit dans uncadre idéologique structuré par des valeurs, qui participent ainsi à faire du journalismecinématographique un discours normé.

33 POURTIER Héloïse, article intitulé Discours cinématographique et discours politique, Quaderni, n° 60, printemps 2006,pages 91-105.

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I. Écrire sur le cinéma : caractéristiques communes entre journalisme cinématographie et les avisdes internautes

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I.4.2. La régulation des commentaires des spectateurs sur les sites depresse

Le discours des internautes est également « réglementé » par le destinateur dans lesens où la pratique de la critique profane est conditionnée par des règles de rédaction.Sur les sites de presse, des recommandations sont explicitement formulées à l’intentiondes internautes souhaitant poster un commentaire sur un film ou réagir à la critique d’unjournaliste. L’exercice rédactionnel entrepris par le lecteur-critique est donc délimité pardes modalités relatives au contenu et à l’énonciation. Ainsi, le site de Télérama précise le« règlement intérieur » du nouveau foyer d’expression critique que constitue son espaceconsacré aux avis des lecteurs :

Par ailleurs, le respect des « règles » présentées ci-dessus est contrôlé par unmodérateur sur la plupart des sites de presse. Le discours critique des internautes est doncsoumis à des normes extérieures et propres à chaque journal. En ce sens, cet espaced’expression dédié aux lecteurs n’est pas véritablement indépendant de l’espace critiquede la presse traditionnelle.

Il semble intéressant de remarquer, par ailleurs, que sur le site www.lemonde.fr, seulsles abonnés ont la possibilité de réagir aux articles du journal. Il s’agit d’une forme deréglementation à l’accès de cet espace d’expression, qui contribue à déterminer le discoursdes internautes.

Le discours des internautes est également soumis à des évaluations et des jugementsémis par les autres internautes, simples visiteurs du site web ou intervenants dans l’espacedes lecteurs. Sur le site de Télérama, par exemple, le lecteur est invité à évaluer lescommentaires en répondant par oui ou par non à la question suivante : « avez-vous trouvécet avis intéressant ?». Sur le site www.liberation.fr, l’espace des lecteurs se rapprochedu forum interactif grâce à la possibilité qui est donnée aux internautes de répondreaux commentaires des autres lecteurs. On observe donc à propos de certains films deséchanges de messages entre internautes sur le site du quotidien Libération :

Libération, commentaires des internautes à propos de HungerCinéphile :> voilà tout le problème des critiques de film : onencense un film, on donne envie d’aller

le voir, et puis on gâche tout en révélant la finBuna :> il me semble pourtant que la mort de Bobby Sands en 1981 n’est pas passée

inaperçue, donc était-ce ironique ?Jojo2 :> je croyais bien que Steve McQueen était mort.Alf :> Ah oui, je suis d’accord, ça avait déjà été la même chose avec les films de Titanic

et JFK !;))))))))))))

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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On observe également des réactions aux messages précédents sur le www.telerama.fr:Télérama, avis des lecteurs à propos de Hunger, inthemood4> Je rejoins Poet75 et Pierre Murat (…)La communauté des lecteurs procède donc à une régulation et une réglementation

implicite de l’espace d’expression institué par le journal. L’interaction instaurée par lesmodalités de fonctionnement de l’interface permet la formation de normes implicites etl’exercice d’un contrôle de la part des internautes sur les discours. Ce contrôle est d’autantplus manifeste sur le site web de Libération, qui offre la possibilité aux visiteurs de « signalerau modérateur » tout commentaire jugé indécent ou inopportun dans le cadre de ce lieud’énonciation. Tout internaute de ce site de presse est donc un régulateur potentiel desdiscours « amateurs » sur les films d’actualité. En ce sens, le fonctionnement des espacesd’expression consacrés aux lecteurs sur les sites de presse permet la définition sous-entendue d’un discours autorisé (aussi bien dans le style rédactionnel que dans le contenudu discours), et d’un type de discours proscrit. C’est notamment pour cette raison que l’onpourra dire que la pratique de la critique sur les films d’actualité sur les sites de presse n’estpas exempte de contraintes.

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

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II. Des postures enonciatives et desrégimes d'engagement spécifiquesqui relèvent les finalités propres desdifferents acteurs de l'espace public.

II.1. De la légitimité de la critique de presse dansl’espace public du cinéma

La prescription de la critique de presse dans l’espace public du cinéma peut être envisagéepar le biais d’une analyse des discours critiques. Le caractère prescripteur d’un discoursne se mesure pas uniquement dans la réception de ce discours auprès des lecteurs, etdans le rapport que ceux-ci entretiennent avec la critique de cinéma pour le choix de leurssorties culturelles. Il semble en effet que l’analyse du discours (énonciation et contenu)permet d’identifier des modalités constructrices de légitimité, qui confèrent (ou du moins yparticipent) à l’énonciateur le statut de prescripteur.

Nous proposons d’explorer la question de la légitimité de l’énonciateur-journaliste dansle domaine du cinéma en considérant les textes critiques et en s’interrogeant sur leurs lieuxd’énonciation. Quel rôle joue le journal dans le processus de légitimation du journaliste ausein de l’espace public du cinéma? En quoi la posture énonciative du journaliste dans lacritique de presse produit-elle un discours crédible auprès des lecteurs ?

Nous allons à présent tenter de répondre à ces interrogations en examinant lesdimensions symboliques, institutionnelles et linguistiques qui contribuent à légitimer lejournalisme cinéma de la grande presse aux yeux de la communauté des lecteurs et desspectateurs.

II.1.1. Le journal, un destinateurChaque journal est porteur d’une identité propre qui se définit à partir de son histoire, dela représentation du monde qu’il propose, de ses affinités idéologiques, de sa relation avecle pouvoir, des énoncés qu’il diffuse, etc. Il constitue ainsi une figure singulière au sein del’espace médiatique, et, de manière plus générale, au sein de l’espace public. Dans cesespaces, il dispose d’une légitimité relative, auprès de l’ensemble des lecteurs mais aussiauprès des instances politiques, sociales et administratives. L’acquisition de cette légitimitéest le produit d’une histoire, de personnalités (notamment de journalistes), d’engagements,du choix d’un langage et d’une rhétorique, etc. Ainsi, le journal, en tant qu’entité symboliqueet institutionnelle au sein de l’espace médiatique confère une certaine autorité acquise auxdiscours qu’il présente, et notamment aux discours sur les films d’actualité publiés chaquemercredi dans la presse quotidienne. Il est le destinateur, soit l’autorité au nom de laquelles’exprime le journaliste Cinéma au sein des pages culturelles.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Le nom du journal dans la construction de légitimité des discours sur lecinémaLe journal quotidien est le lieu d’énonciation d’une critique sur les films d’actualité.Examinons en quoi le nom de ce journal donne créance aux énoncés sur le cinéma au seinde ses pages culturelles.

Le nom du journal représente l’institution de l’énonciation, c’est-à-dire la transformationde l’énonciation en un fait institutionnel : en tant que destinateur, il introduit des énonciateurs(JAMET-JANNET, 1999 : 102), parmi lesquels se trouvent les journalistes cinéma. Il joueainsi le rôle de diffuseur de voix dans l’espace du journal. D’autre part, en occupant uneplace centrale dans la mise en page, le nom du journal précède toutes les signatures au seinde l’espace journalistique34 ; il clôt ainsi la totalité des énoncés compris dans le journal. Ence sens, les signatures des journalistes-critiques sont « dominées » par le nom du journal,qui peut alors être considéré comme une « archi-signature »35. Mais l’important réside dansla signification de cette archi-signature : au sein de l’espace médiatique, le nom du journalpeut être appréhendé comme la marque d’une reconnaissance du discours énoncé sur lecinéma par l’instance-journal. Le nom du journal, en tant qu’en-tête des pages culturelles,symbolise ainsi l’engagement solidaire de l’institution avec le jugement et les propos émisau sein des articles consacrés à l’actualité du cinéma. Maurice MOUILLAUD considère ainsile nom du journal comme une contre-signature des articles qu’il publie. Le nom du journal,lui-même porteur d’une légitimité dans l’espace médiatique, attribue une certaine crédibilitéaux discours de ses journalistes-critiques au sein de l’espace public du cinéma.

Si l’on envisage à présent le nom du journal comme l’énoncé qui précède l’ensembledes énoncés journaliques36, il correspond au titre qui chapeaute l’ensemble des titres desarticles d’un numéro. Il est le titre des titres (MOUILLAUD-TETU, 1989 : 5). « Le nom dujournal dit et ne dit rien de plus qu’une proposition minimale : tous les titres font partie dece même journal (…) ». En ce sens, il signifie, en particulier, l’appartenance des titresdes articles sur l’actualité du cinéma, et par suite les articles eux-mêmes, au destinateur.L’énonciation de cette appartenance contribue à légitimer la critique de presse au sein del’espace public du cinéma.

Une délégation d’autorité entre le journal et ses journalistesLe journal dispose d’un statut institutionnel au sein de l’espace public, mais il joue aussi uncertain rôle auprès de ses journalistes et dans l’espace restreint du journal. Il est en effet le« grand ordonnateur, [qui] organise [les] discours dont il assume la responsabilité qu’il peut

partager avec les journalistes (…) » 37 . Il orchestre les différents discours au sein de ses

pages (à travers notamment la mise en page, les rubriques, etc.), et délègue son autorité,en tant que destinateur, à ses journalistes, eux-mêmes énonciateurs de discours dans desdomaines particuliers. Le journal délègue une certaine autorité à ses journalistes, dans lesens où il accueille leurs discours au sein de son propre espace. En intégrant le comitéde rédaction de Libération, le critique de cinéma devient alors Le critique de Libération. Il

34 MOUILLAUD-TETU, Le journal quotidien, Presses Universitaires de Lyon, 1989, page 6. (La numération des pagescorrespond à celle d’une version électronique).

35 Ibid, page 6.36 Les énoncés journaliques représentent l’ensemble des énoncés qui se trouvent dans le journal.

37 JAMET-JANNET, La mise en scène de l’information, L’Harmattan, 1999, page 35.

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

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acquiert non seulement le statut de journaliste culturel au sein de l’Institution-journal, maiségalement une certaine autorité au sein de l’espace médiatique, du fait de son appartenanceà la communauté des rédacteurs du journal. C’est l’acquisition de cette autorité qui participeà donner à son discours le statut d’une norme au sein de l’espace public du cinéma. Ence sens, le journal, en tant que destinateur, joue un rôle fondamental dans la réception desdiscours critiques auprès des spectateurs de cinéma.

II.1.2. Le journaliste-critique, un énonciateur identifiéLa légitimité de la critique de presse au sein de l’espace public du cinéma semblenotamment reposer sur le principe de l’identification de l’énonciateur-journaliste. La critique« grand public» sur les sites de presse se distingue du journalisme sur les films d’actualitédans la presse, par le fait que l’auteur masque son identité sous un pseudonyme ou restedans l’anonymat. Au contraire, les journalistes des pages cinéma de la presse quotidiennenationale et des hebdomadaires culturels peuvent être identifiés par le lecteur grâce à lasignature qui clôt la grande majorité des critiques de films d’actualité. La critique de cinémacomme lieu d’expression d’une subjectivité est étroitement liée à la notion d’identité au seinde l’espace médiatique.

La signature met à nu et donne une dimension institutionnelle de la singularité del’énonciateur. Elle permet au lecteur d’attribuer le jugement énoncé au sein de l’article à unénonciateur singulier.

Il est intéressant de remarquer qu’au sein des pages Culture du Figaro, la signature estparfois accompagnée du portrait du journaliste-critique. La photographie du journaliste EricNeuhoff est, par exemple, juxtaposée à sa critique rédigée à propos du film Hunger:

Cette photographie permet au lecteur d’associer la subjectivité imaginaire qu’ildécouvre à travers la lecture de l’article critique et la personne physique de l’énonciateur. Encela, l’identification de l’énonciateur par le lecteur se trouve facilitée et son discours critiqueincarné.

L’identification de l’énonciateur par le biais de la signature est constructrice de légitimitédans le sens où la signature est la marque d’une certaine autorité acquise au sein dela communauté des journalistes et de la rédaction du journal. « La signature consacre

en quelque sorte la fonction de journaliste » 38 . Elle est en effet la reconnaissancesymbolique d’une plume singulière, intégrée au sein d’une rédaction. La signature extrait lejournaliste de l’anonymat : elle lui confère une identité au sein de l’espace du journal, et pluslargement au sein de l’espace médiatique. S’il reste dans l’anonymat, le journaliste s’effacederrière la fonction qu’il exerce dans l’équipe rédactionnelle. C’est par exemple le cas dujournaliste ayant rédigé les notules qui présentent les films Hunger et La Bande à Baaderdans les pages Loisirs-Spectacles du Progrès. Il demeure l’énonciateur « chargé de »rédiger des articles sur le cinéma, alors que l’auteur signataire acquiert une reconnaissanceinstitutionnelle au sein du journal, et une reconnaissance extérieure de la part du lectorat. Lasignature traduit donc l’acquisition d’un certain statut professionnel et symbolique au seinde l’espace médiatique.

Cependant, il est évident que tous les journalistes signataires ne disposent pas de lamême autorité dans le champ journalistique : la signature représente une balise à partir

38 JAMET-JANNET, La mise en scène de l’information, L’Harmattan, p. 102.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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de laquelle l’auteur pourra construire son renommée dans un domaine particulier et par lapratique d’un certain type de journalisme (informatif ou analytique).

Il faut aussi remarquer que l’identification des plumes critiques au sein de l’espacemédiatique consacré à l’actualité du cinéma est subordonnée à la subjectivité des lecteurs.Même si le journaliste acquiert une certaine autorité lorsqu’il est intégré au sein de larédaction du journal, il ne demeure pas nécessairement « un journaliste qui écrit pour LeMonde ou Libération ». Son autorité réelle dans le champ journalistique (voire au sein dela société à part entière) est susceptible de dépasser l’autorité symbolique acquise parle fait d’écrire dans les colonnes de tel ou tel journal. Le lecteur qui parcourt les pagesCinéma de Télérama peut en effet être à la recherche des critiques de films rédigées parAurélien Ferenczi, et non pas de la Critique de Télérama. Même si le critique a besoin de lareconnaissance de l’hebdomadaire en tant que destinateur, pour diffuser son discours dansl’espace public du cinéma, son identité ne se résume pas à celle de « journaliste-cinémachez Télérama » : son nom est susceptible de venir cacher celui du journal lorsque que lelecteur « réceptionne » son discours critique.

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

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L’autorité du critique de cinéma dans la presse généraliste ne relève donc pasuniquement d’une légitimité acquise grâce au destinateur, mais réside aussi dans larencontre singulière de la subjectivité de l’énonciateur de discours et de celle de son lecteur.L’identification et la reconnaissance plus ou moins importante du journaliste-critique parl’ensemble des lecteurs est donc facilitée par le médiateur que constitue le journal, maisne peut s’y résumer.

II.1.3. Une posture énonciative hybride : entre distanciation etengagement

La notion de posture fait référence à la place que le sujet occupe dans l’espace public, c’est-à-dire à la place qu’il occupe dans son rapport aux autres. On peut donc définir la postured’un sujet en considération du rôle qu’il exerce au sein de cet espace public et de l’image delui qu’il donne à voir aux autres dans l’exercice de sa fonction. Cette image est notammentdiffusée par le biais du langage et de l’usage particulier que le sujet en fait. Le concept deposture et le discours sont donc étroitement liés.

On parle ainsi de « posture d’énonciation » ou de « posture énonciative » pour désignerl’articulation entre une forme d’énonciation particulière (un certain usage du langage) etla place que l’énonciateur occupe dans le rapport aux autres. La posture énonciative ducritique correspond donc à la façon dont il exprime la place qu’il occupe dans l’espace publicdu cinéma.

Comment caractériser cette posture de l’énonciateur de discours sur les films d’actualitédans la presse généraliste ? Quelles sont les modalités discursives qui participent à luiattribuer la légitimité d’un prescripteur ?

Une tension fondamentale caractérise le genre de la critique culturelle. Partagé entreles enjeux économiques liés à la sortie du film et l’expression d’un jugement particulier,le discours journalistique sur le cinéma comporte à la fois des indices de distanciation etd’engagement de la part de l’énonciateur. Comme nous avons pu l’évoquer précédemment,la distance prise par le locuteur vis-à-vis de sa propre singularité se traduit notamment parl’emploi des pronoms personnels « on » et « nous », qui se référent à des ensembles assezflous, et non des pronoms « je », « tu » et « vous ». La quasi-absence de marques dela première personne et de la deuxième personne du singulier dans le discours critiqueau sein de la presse, invite à penser que l’énonciateur s’efforce de démodaliser sondiscours, c’est-à-dire de gommer dans l’énoncé qu’il produit les traces de sa présenceen tant qu’énonciateur39. Cette démodalisation de l’énonciation participe à créer un effetde distanciation, de détachement vis-à-vis de la personne du journaliste. Pour autant, lediscours critique au sein des pages culturelles de la presse généraliste se caractérisegénéralement par un certain engagement du journaliste dans son énoncé: la subjectivitédu journaliste se manifeste à travers à un certain nombre de marqueurs de subjectivité quitémoignent de son engagement affectif et/ou interprétatif. Ces indices correspondent aussibien à des adjectifs subjectifs, des formes interrogatives et exclamatives, qu’à l’emploi dumode conditionnel. La subjectivité de l’énonciateur apparaît également lorsque le discourscomporte des accents ironiques ou encore lorsqu’il suggère des contenus implicites. Enfin,l’engagement de l’énonciateur dans son discours se mesure aussi par une étude del’organisation et de la sélection des informations présentées.

39 D. CARDON, J-P HEURTIN, C. LEMIEUX, Parler en public, Politix, n° 31, 1996, page 9.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Examinons à présent un extrait de critique de presse afin de mettre en évidence la« cohabitation » d’indices de distanciation et d’engagement de la part du journaliste dansl’énoncé.

Télérama, critique de Hunger, Jacques MoriceC’est à la fois répugnant et beau comme peuvent l’être certaines allégories de Goya ou

du Caravage. Consigner les faits de manière méthodique et les transcender, voilà la forcede cette plongée dans le quotidien de la prison, où l’on suit d’abord deux prisonniers, Daveyet Gerry, qui font l’effet d’hommes des bois réfugiés dans une grotte.

L’énonciateur engage sa personne à travers les adjectifs évaluatifs axiologiques40

« répugnants et beau », l’expression interprétative « faire l’effet de » mais aussi à traversle choix des références picturales de Goya et Caravage. L’engagement de l’énonciateurapparaît en effet également dans le contenu du discours : les références proposéessont issues de son propre univers référentiel et le choix de celles-ci relèvent donc de lasubjectivité de l’énonciateur. D’autre part, cet extrait de critique se caractérise par un certaindegré de démodalisation, dans le sens où les pronoms personnels employés (« on ») seréférent à des ensembles flous et englobants (c’est l’ensemble des spectateurs qui assistentà la projection qui est ici susceptible d’être concerné). La forme déclarative (« c’est à la foisbeau et répugnant ») tente aussi de détacher le jugement énoncé de la source de l’assertion,c’est-à-dire de la singularité de l’énonciateur-journaliste. Elle tend ainsi à conférer une valeurnormative à l’évaluation du journaliste-critique.

Une dialectique entre détachement et engagement apparaît donc dans l’énonciation dela critique de presse et caractérise la posture énonciative du journaliste-critique. Quel sensdonner à cette posture hybride, à mi-chemin entre une posture distanciée et une postureengagée ?

Le genre de la critique de cinéma ne va pas sans l’expression d’un jugement explicitequi justifie la présence de marques de subjectivité dans le discours. Mais dans le mêmetemps, le journaliste s’efforce d’extraire de son discours une tonalité trop personnelle, afinde gagner une certaine autorité auprès de ses lecteurs. Pour le critique de cinéma dontla renommée n’est pas faite, cette distanciation dans le langage semble indispensable carelle contribue à donner au propos le statut d’une norme. La démodalisation du discourstraduit en effet la distance que le journaliste prend vis-à-vis de ce qu’il énonce (CARDON,HEURTIN, LEMIEUX ; 1995 : 9) et donne au discours l’apparence et le ton de généralitéindiscutable. C’est une stratégie discursive de légitimation dans le texte critique.

Remarquons que le critique reconnu au sein de l’espace public du cinéma pourraplus facilement se dispenser d’une certaine distanciation dans son discours, du fait qu’ildispose déjà d’une autorité au sein de la communauté critique et auprès d’un public-lectorat. Le discours tenu par les invités de l’émission radiophonique Le masque et laplume illustre ce phénomène : plumes critiques dans la presse généraliste et spécialisée, ilssont parfaitement identifiés au sein de l’espace public du cinéma et s’autorisent à énoncerun discours explicitement personnel (« je trouve que c’est magnifique », « je ne suispas d’accord avec vous », etc…). La reconnaissance dont ils jouissent aujourd’hui dansl’exercice de leur métier de critique leur permet d’adopter la posture énonciative d’unesubjectivité assumée.

L’énonciation dans les articles sur les films d’actualité issus de la presse généraliste,qui se caractérise par une tension entre indices de distanciation et indices d’engagement,

40 Voir classification des adjectifs de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L’énonciation, 4ème édition, Armand Colin, 2009,p. 94. (ANNEXE N°10)

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

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s’impose comme une norme d’écriture au sein de l’espace public du cinéma. Le destinateurcontribue en effet à donner au discours de ses journalistes de cinéma le statut d’une norme.La posture énonciative qu’il adopte devient alors la posture qui est reconnue comme légitimeet appropriée pour la rédaction de critiques sur les films d’actualité. Du point de vue del’énonciation, l’engagement distancié constitue donc la norme d’écriture sur le cinéma issuede la presse quotidienne généraliste et de la presse hebdomadaire culturelle.

II.2. Les internautes occupent-ils véritablement uneposture critique ?

Les internautes qui postent des commentaires sur les sites de presse à propos des derniersfilms à l’affiche occupent une place singulière au sein de l’espace public du cinéma.Spectateurs et énonciateurs de discours, ils n’appartiennent pas à proprement parler à uneéquipe de rédaction, mais inscrivent leurs discours au sein de l’espace du journal. Le lieud’énonciation des commentaires réside cependant dans la seule version virtuelle du journal,alors que les critiques de journalistes sont publiées aussi bien sur le Net que dans la versionpapier de l’édition.

La place occupée par les internautes au sein du journal résulte de l’aménagement d’unespace interactif par l’Institution elle-même, et de la définition de modalités d’intervention.Chaque internaute41 peut ainsi prétendre « écrire dans Télérama ou Libération », mais nebénéficie pas de la légitimité des journalistes professionnels écrivant au sein du mêmejournal. Les barrières à l’entrée du comité de rédaction et de la communauté virtuelle des« internautes critiques » s’avèrent évidemment très différentes.

En considération du lieu d’énonciation et de ses caractéristiques, la posture del’internaute intervenant sur les sites de presse sur le thème du cinéma se distingue donc dela posture journalistique. Qu’en est-il du point de vue des discours?

Il nous faut maintenant considérer l’énonciation propre aux discours d’internautes afind’essayer de la caractériser et d’envisager ce qui la distingue de l’énonciation dans la critiquede cinéma « professionnelle ».

II.2.1. Jugement critique ou opinion ?

Une « cyber-critique » très hétérogèneUne brève lecture des commentaires d’internautes sur les sites de presse suffit pourremarquer la très grande diversité des types d’intervention qui cohabitent dans un mêmeespace. Une analyse plus approfondie de ces discours nous permet de mettre en évidencedifférentes postures énonciatives et l’hétérogénéité des contenus selon les films critiquéset les sites de presse.

Cette diversité des discours d’internautes tend, par opposition, à unifier le discourspropre aux journalistes-critiques. Même si, on l’a vu, la critique de presse n’est pashomogène (le discours sur les films d’actualité dans les pages Loisirs-Spectacles du Progrèsse distingue nettement du discours tenu par les critiques de Télérama), l’extrême diversité

41 Hormis sur www.lemonde.fr où seuls les abonnés ont la possibilité de s’exprimer.

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qui caractérise les commentaires d’internautes, participe à refonder l’identité de la critiquede cinéma dans la presse. L’hétérogénéité des discours internautes construit ainsi, en unsens, la spécificité de la critique de presse.

Nous proposons une typologie42 de ces commentaires d’internautes en fonction desindices énonciatifs, du contenu et du régime d’engagement de l’énonciateur. Quatrecatégories de commentaires sont envisagées : le commentaire affectif, le commentaired’opinion, le commentaire militant et le commentaire proche de la critique de presse.

Le commentaire affectifNombreux sont les internautes à exposer les sentiments qu’ils ont ressentis pendant etaprès la projection du film, sans nécessairement prendre de distance vis-à-vis de ceux-ci.Ces commentaires comportent ainsi les traces de l’expression d’une subjectivité affective,dans le sens où le sujet d’énonciation se trouve émotionnellement impliqué dans le contenude son énoncé (KERBRAT-ORECCHIONI, 140). Les commentaires de type affectif issus denotre corpus visent surtout à relater l’expérience émotionnelle de l’énonciateur en tant quespectateur ; les termes affectifs concernent principalement celui qui énonce le discours etnon pas les sujets actants dans l’énoncé. Voici un exemple :

Télérama, avis des lecteurs à propos de Hunger, balminetteJ’ai été BOULEVERSEE de façon durable par ce film choc extrêmement fort (…)poignant et même plus que çapendant la semaine qui a suivi j’y ai pensé tous les jourset je n’ai pas arrêté d’en parler (…)L’internaute partage ici le choc émotionnel que la séance de projection a provoqué

chez elle. Le regard ici porté sur le film se distingue d’un regard analytique dans le sensoù l’énonciateur ne prend pas recul vis-à-vis de ses émotions : il s’efforce en effet plus dedécrire son état psychologique que de caractériser l’œuvre cinématographique de SteveMcQueen. L’emploi de la première personne du singulier contribue également à définir uneposture énonciative non-distanciée, dans la mesure où il sert à exposer une expérienceémotionnelle personnelle. En cela, les énoncés de type affectif se différencient clairementde la norme énonciative issue de la critique de presse traditionnelle.

Le commentaire d’opinionLe commentaire d’opinion se caractérise aussi par une forte implication du locuteur dans cequ’il énonce. Cette implication diffère cependant de l’engagement affectif à l’œuvre dans lacatégorie de commentaires présentés ci-dessus, dans le sens où l’énonciateur propose iciune interprétation ou une opinion sur le film concerné.

Considérons maintenant cet avis de lecteur :Télérama, avis des lecteurs à propos de Home, jlb93J’ai reçu ce film comme une parabole sur la marge, ou la marginalité. Peut-on vivre

durablement heureux dans la marge ? (…) J’ai compris que la cinéaste répondait finalement« Non ».

42 Remarque : devant l’extrême diversité des commentaires postés, cette typologie ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité.Rappelons également qu’elle est établie à partir d’un corpus de critiques portant sur trois films d’actualité. Il s’agit, en ce sens, d’unetypologie élaborée à partir de ces films particuliers.

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

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Une façon de dire que nous sommes condamnés à la vie moderne.On observe, dans l’énoncé, l’emploi de la première personne du singulier mettant en

évidence l’origine de l’idée émise. Il s’agit donc d’un commentaire d’opinion dans la mesureoù la modalisation de l’énoncé (« j’ai reçu », « j’ai compris ») limite la portée des propositionsénoncées. L’internaute montre qu’il ne prétend pas proposer une analyse à portée absoluemais une analyse qui, au contraire, a une origine singulière, et qui est donc limitée.

Remarquons, par ailleurs, la distinction introduite par l’internaute entre le « je » et le« on », et entre le « je » et le « nous ». Le pronom indéfini de la troisième personnedu singulier désigne ici l’individu, l’homme de manière générale. Le pronom défini de lapremière personne du pluriel représente l’ensemble des individus qui composent la société,auquel appartient également l’internaute jlb93.

Le commentaire militantLes deux films Hunger et La Bande à Baader portent sur des évènements del’histoire politique contemporaine et constituent en cela un terrain propice à des débatsd’interprétation. Le corpus de notre étude comprend donc une part importante de discoursqui portent sur le sujet même du film et qui donnent lieu à des propos engagés43. Cettefamille de commentaires se singularise par le fait qu’elle ne traite pas du film à proprementparler, de ses choix scénaristiques et esthétiques, du jeu des acteurs, etc.

On remarque aussi que les commentaires « militants » sont particulièrement abondantssur les sites des quotidiens Le Monde et Libération, journaux pour lesquels le débat politiqueest une tradition. Si l’on compare la proportion de commentaires postés à propos de filmspolitiques et à propos de films appartenant à d’autres genres cinématographiques, ons’aperçoit vite que le film politique est l’objet d’une attention particulière au sein de ces deuxquotidiens.

L’énonciateur du discours militant occupe souvent une posture de dénonciateur au seinde l’espace d’expression consacré aux internautes. La dénonciation ne vise cependant pastoujours les mêmes cibles. Elle peut en effet être formulée à l’égard des protagonistes del’Histoire :

Le Monde, réactions des internautes à propos de Hunger, jerome gHonte à Margaret Thatcher pour avoir fait cela, il ne faut pas l’oublier et merci à Steve

Macqueen. A quand un film équivalent sur la grotte d’Ouvéa, pour la honte de Chirac ?Cet internaute loue le film de Steve McQueen en tant qu’œuvre qui entreprend un

travail de mémoire sur l’épreuve de force qui opposa Margaret Thatcher et les nationalistesirlandais au début des années 1980.

Au contraire, l’internaute peut s’ériger contre l’adaptation cinématographique proposéepar le réalisateur :

Le Monde, réactions des internautes à propos de Hunger, FargoUn peu trop de complaisance dans la description de l’agonie d’un type qui après tout

n’est qu’un terroriste… Surtout au vu d’événements récents…

43 Il semble important de rappeler que le choix de deux films sur des luttes politiques récentes limite d’autant plus la valeur généralede cette typologie de commentaires d’internautes. Les catégories de discours ici proposées ont été élaborées à partir d’un corpussingulier de critiques.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Le jugement formulé à l’égard du film est fondé sur des considérations partisanes. En cesens, le commentaire de Fargo à propos du film Hunger doit être classé au sein des critiques« militantes ». Il faut également noter les références à l’actualité choisies par cet internaute,qui trouvent une résonance particulière au sien d’un média destiné à l’information.

Au sein des espaces interactifs destinés aux internautes, la dénonciation peutégalement se diriger contre les propos des autres internautes. Ce type de commentairemilitant est énoncé en réaction à ce qui a pu être affirmé auparavant, et contribue àrapprocher le fonctionnement de cet espace de celui du forum interactif.

Le commentaire de l’internaute basque qui suit réunit par exemple ces caractéristiques :Libération, commentaires des internautes à propos de Hunger, espagnol> Les terroristes sont fanatiques que tuent personnes. Qu’ils peuvent s’immoler ne les

fait pas admirables.Libération, commentaires des internautes à propos de Hunger, basque> Résumer l’action des nationalistes irlandais à du terrorisme, c’est nier un fait

politique, social, culturel : leur expression a longtemps été niée dans un régime soi-disantdémocratique. Les bien-pensants ont bien du mal à l’admettre, mais il y a trente ans,Guantanamo ou Abou Graib existaient en Grande-Bretagne. Comme en Espagne, où l’Etata financé un terrorisme d’Etat dans les années 80 avec les Gal et torturé pendant des annéesles militants basques dans ses commissariats et ses prisons (voir les nombreux jugementsde la cour européenne des droits de l’homme). Ce n’est pas faire l’apologie du terrorismecomme vous l’appelez que de dire cela. C’est un simple constat. Tan pis si il vous dérange,gardez vos idées reçues, continuez à ne pas vouloir comprendre.

Le discours de l’internaute basque s’adresse ouvertement à l’internaute dénomméespagnol, qui considère les nationalistes irlandais comme des terroristes. L’énonciateur dudeuxième commentaire affirme donc son militantisme en réaction à un autre commentairepartisan. Il fait de l’espace des lecteurs sur le site de Libération un espace où peuvents’affronter des discours idéologiques.

Le commentaire proche de la critique de presseEnfin, il nous faut considérer une dernière catégorie de commentaires d’internautes, qui tendà se rapprocher, dans l’énonciation et le contenu, du discours tenu sur les films d’actualitépar les experts-critiques. Traversay, intervenant régulier sur le site de Télérama, appartientnotamment à ces internautes dont la posture énonciative s’apparente à celle du journaliste-critique :

Télérama, avis des lecteurs à propos de Hunger, traversay> Un cinéaste est né. Steve McQueen (nom facile à retenir) démontre dès son premier

film un sens de l’image éblouissant qui laisse augurer un bel avenir. Ceci posé, Hungerest cependant un film qui laisse sur sa faim. Hormis un superbe face à face de 20 minutesentre Bobby Sands et un prêtre, le film est quasi insoutenable de bout en bout. Violencesextrêmes contre les détenus, détails scatologiques, stigmates de la déchéance physique :McQueen transforme le spectateur en voyeur qui n’en peut mais. (…). Fallait-il être aussiradical pour évoquer la mort de Bobby Sands et de 9 de ses compagnons dans les geolesbritanniques ? C’est plus que contestable.

L’internaute occupe en effet une posture énonciative distanciée : elle se caractérisepar une certaine démodalisation du discours (absence du « je »), qui comporte malgré tout

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

LHOUTELLIER Adèle _2009 45

les marques d’une évaluation (« éblouissant », « cependant », « superbe face à face »,« contestable », etc.). Traversay adopte ainsi le style rédactionnel « institutionnalisé »de la critique professionnelle. En outre, cet internaute accorde un intérêt aussi bien à ladimension esthétique du film qu’à ses partis pris scénaristiques et cinématographiques.Le contenu « pluridimensionnel » de son discours contribue également à le distinguer desautres commentaires d’internautes.

Au terme de cette classification des commentaires d’internautes, il est important denoter que les discours postés sur les sites de presse sont rarement homogènes et pourraientappartenir simultanément à plusieurs catégories de cette typologie. Même si cette dernièrepourra être jugée trop théorique, elle nous permet d’envisager les différentes tendancesénonciatives à l’œuvre au sein des foyers critiques profanes que constituent les espacesconsacrés aux lecteurs sur les sites de presse.

En définitive, les espaces au sein desquels s’expriment les lecteurs sont des espacesoù cohabitent plusieurs postures énonciatives et une multitude d’approches analytiques.On ne peut donc caractériser la critique dite « profane » de manière générale, maisplutôt insister sur la diversité des régimes d’engagement. Comment identifier le régimed’engagement adopté par l’internaute- énonciateur ?

Des régimes d’engagementDans les discours sur les films d’actualité, la notion d’engagement revêt une définitionspécifique. L’engagement dans la critique de cinéma est effectif, lorsque l’énonciateurimplique à la fois sa singularité (par l’emploi de la première personne ou la signature à la finde l’article) et sa subjectivité dans son discours. Il est engagé dès lors que le lecteur peutidentifier dans l’énoncé l’origine de l’idée émise et des indices qui dévoilent une part de lasubjectivité de l’énonciateur. Le régime d’engagement est la forme particulière que prendcet engagement dans le discours des journalistes et des internautes sur les films d’actualité.

Aux différentes catégories de la classification présentée ci-dessus correspondent desrégimes d’engagement qui se caractérisent par des modalités énonciatives singulières.

Quels sont les éléments de l’énonciation qui permettent de distinguer le régime de lacritique, le régime de l’opinion et le régime du partage ?

Nous l’avons vu, le régime de la critique se caractérise par une tension entre un discoursdémodalisé et un engagement personnel ou moral (CARDON, HEURTIN, LEMIEUX ;1995 : 10)44. Cette tension est à l’œuvre dans la critique professionnelle et chez certainscommentaires d’internautes (notamment ceux de Traversay sur le site de Télérama). Ecriresur les films d’actualité sous le régime de la critique, c’est vouloir élever son discours aurang des choses indiscutables, et ainsi adopter une posture péremptoire au sein de l’espacepublic du cinéma.

Mais la majorité des commentaires d’internautes issus de notre corpus relèvent durégime de l’opinion et participe à faire de l’espace d’expression consacrés aux lecteurssur les sites de presse, un espace de reconnaissance des points de vue particuliers (ibid :11). En quoi les modalités d’énonciation de l’opinion offrent-elles la possibilité à l’Autre des’exprimer ? L’emploi de la première personne et de verbes d’opinion (« je pense », « je

44 L’article précité de D.CARDON, J-P HEURTIN et C. LEMIEUX porte sur la grammaire de l’engagement en public, dans l’actede parole. Même si notre étude se focalise sur des discours écrits et non sur des discours oraux, le recours à la classification desrégimes d’engagement proposée par ces trois chercheurs nous a semblé pertinent. Des limites pourront cependant être formuléesen ce qui concerne le régime du partage.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

46 LHOUTELLIER Adèle _2009

trouve », etc.) traduit une forte implication de l’énonciateur dans ce qu’il dit mais sous-entend aussi l’existence d’un interlocuteur, une deuxième personne du singulier, un « tu ».L’échange intersubjectif est en effet rendu possible. On comprend donc que l’énonciateurqui débute ses propositions par des préfaces telles que « je trouve que…», ne prétend pasimposer son point de vue aux autres membres de l’espace public du cinéma. Il n’occupepas une posture d’autorité au sein de l’espace des internautes. Au contraire, cette modalitéénonciative signifie la prise en considération de l’avis des autres lecteurs. C’est pour cetteraison que les discours écrits par les internautes sous le régime de l’opinion participent àdonner à cet espace d’expression un caractère polyphonique (ibid : 12).

Il nous faut également appréhender un troisième régime d’engagement à l’œuvre ausein des espaces d’expression consacrés aux internautes sur les sites de presse : le régimedu partage. D. CARDON, J-P HEURTIN et C. LEMIEUX45 caractérisent cet engagementpar une très forte modalisation du discours, au sein duquel l’énonciateur exprime sesémotions et les expériences vécues et manifestées par son propre corps. La limite del’application de cette typologie des régimes d’engagement dans la parole publique auxespaces d’expression écrite sur les films d’actualité réside justement dans cet engagementcorporel qui définit en partie le régime du partage. En effet, dans le cadre d’une étudede textes, l’expression des émotions de l’énonciateur ne se réalise pas à travers lesmanifestations du corps, mais par le seul biais du langage.

Cependant, il nous a semblé judicieux de conserver cette terminologie afin decaractériser le régime d’engagement à l’œuvre dans les commentaires émotifs que nousavons précédemment présentés. Même si l’internaute n’est pas présent physiquement pourpartager ses émotions avec les autres internautes intervenant sur les sites de presse, lepartage émotionnel est permis par la rédaction d’une description de ses états internessuscités pendant et après l’expérience de la projection du film. On peut considérer quela présence physique de l’énonciateur joue un rôle fondamental dans l’appropriation desémotions évoquées par les récepteurs du discours. Cependant, dans le domaine du cinéma,le partage émotionnel peut se réaliser dans l’acte de lecture. Le spectateur-lecteur est eneffet susceptible de s’identifier aux propos de l’énonciateur : il pourra y reconnaître lesémotions qu’il a lui-même ressenti au cours de la projection du film et ainsi se réapproprierson discours.

Au sein de l’énoncé, l’engagement émotionnel de la part du locuteur apparaît avecl’emploi d’un lexique propre à l’émotion accompagné d’une forte implication du locuteur dansson discours (emploi de la première personne du singulier).

Il semble important de remarquer que l’engagement émotionnel, dans la communicationmédiatée (ici par le biais du journal, dans l’espace consacré aux avis des internautes), estsusceptible de faire l’objet d’un refoulement. L’émotion provoquée par la projection d’unfilm n’est pas nécessairement exposée dans les commentaires : c’est le cas notamment ducommentaire qui se rapproche, dans son contenu et dans ses modalités énonciatives, de lacritique de presse. On peut par ailleurs émettre l’hypothèse que, s’il apparaît au sein de cetespace, l’engagement émotionnel est mis en scène. Il est formulé de façon à être conformeà des normes de l’expression de l’émotion. Ce point pourrait être examiné à l’occasion d’uneétude ultérieure.

Finalement, au sein des espaces consacrés aux internautes cinéphiles sur les sites depresse, se côtoient différentes façons d’écrire sur les films d’actualité. Les commentairesdes spectateurs se distinguent entre eux par le régime d’engagement adopté (auquel

45 Ibid, page 12.

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

LHOUTELLIER Adèle _2009 47

correspondent des modalités énonciatives spécifiques) et le propos énoncé. Certainsspectateurs adoptent la posture énonciative du critique professionnel, d’autres exprimentune opinion particulière ou partagent leurs émotions suscitées lors de la projectiondu film. Au sein d’un même espace de publication, il y a donc une confrontation,voire une concurrence, entre les normes énonciatives issues de la critique de presse« professionnelle » et les normes issues du spectateur « ordinaire ». Devant cetteconstatation, il nous est difficile de caractériser d’un point de vue général le jugementprofane qui s’exprime sur les sites de presse. Il faudra en effet déterminer au cas par cas,si le commentaire d’internaute est un jugement critique ou une opinion.

II.2.2. Une conception relativiste du goûtOpinion ou critique, le commentaire d’internaute formule un jugement explicite sur lefilm considéré. Cette évaluation pose la question des critères de jugement invoqués parl’énonciateur de discours, qui nous mène elle-même à examiner la problématique dujugement de goût au sein de l’espace consacré aux lecteurs sur les sites de presse.Comment caractériser le jugement de goût entrepris par les internautes cinéphiles de notreétude ? En quoi l’énonciation nous indique-t-elle l’idée du goût qui sous-tend le jugementdes spectateurs-critiques ?

Le goût se définit communément comme l’aptitude à sentir, à discerner les beautés etles défauts d’une œuvre d’art, d’une production de l’esprit46. Le « goût cinématographique »désignerait donc la capacité du spectateur à percevoir les qualités esthétiques d’un film.Ainsi, le jugement de goût appliqué au domaine du cinéma consiste à évaluer le film enfonction de ce goût et à répondre à la question suivante: le film est-il bon ?

Il faut noter que cette définition repose sur une certaine acception du concept degoût : elle sous-entend en effet que le goût est « naturel » ; il s’agit d’un don quis’impose au spectateur et ne peut faire l’objet d’un apprentissage. L’idée du goût natureldécoule de la définition kantienne d’un Beau absolu et immanent, qui désigne unesatisfaction désintéressée (à distinguer de l’agréable). Contre une théorie du goût pur, PierreBOURDIEU47 s’efforce de démontrer en quoi le social a un effet structurant sur la formationdu jugement de goût. Il contrecarre ainsi l’idée d’un goût universel et sans appel et ouvre lavoie vers une conception plus relativiste du jugement de goût.

La question du jugement de goût oppose notamment les tenants d’une conceptionkantienne du goût et les adeptes de la théorie bourdieusienne. Cette divergenceconceptuelle est-elle présente au sein de l’espace public du cinéma et, plus particulièrementà l’œuvre dans les différents espaces d’expression sur l’actualité cinématographique ?

Dans son étude sur les critères du jugement de goût en matière de cinéma, LaurentJULLIER48 affirme que la critique de presse se rapproche de la conception kantienne dujugement de goût :

« La critique de cinéma professionnelle, en France au moins, est largement kantienne.Quelles sont donc ces idées qui, forgées à Königsberg à la fin du XVIIIème siècle continuentà l’animer ? Pour simplifier, dans la Critique de la faculté de juger, elles sont quatre. 1.La faculté esthétique de juger est universelle ; elle « mériterait le nom de sens commun à

46 Définition du Petit Robert47 P. BOURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement de goût, Minuit, Paris, 1979.48 J. JULLIER, Qu’est-ce qu’un bon film ?, La dispute, 2002, p. 53-54.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

48 LHOUTELLIER Adèle _2009

tous ». Si le critique kantien trouve le film génial, nous aussi (par essence commune). 2.Cette faculté est intuitive ; elle ne s’apprend pas à l’école ni sur les bancs de l’université ;« le jugement sur la beauté ne serait un jugement de goût s’il appartenait à la science »,écrit Kant. Voilà pourquoi le critique kantien peut se dispenser d’expliquer en quoi un filmest génial. 3. Cette faculté, bien qu’elle fonctionne de manière intuitive, n’a rien à faire avecle corps. Le critique kantien pourra sortir de projection les yeux rougis d’avoir pleuré etdéclarer, entre deux hoquets, qu’il vient de voir le navet de l’année. 4. Juger une œuvrebelle doit consister en un acte désintéressé. Le critique kantien ne flatte jamais ses lecteurs,refuse d’être invité au restaurant par le réalisateur dont il vient d’écrire le plus grand bien,et n’espère aucun oh ! admiratif lorsqu’il cite au cours d’un dîner l’imprononçable titre d’uncourt-métrage coréen muet en guise de réponse à la question du film de chevet ».

Du point de vue du discours, certaines modalités énonciatives nous permettent devalider les propos de Laurent JULLIER, et ainsi d’accréditer l’idée selon laquelle la théoriedu goût naturel sous-tend la critique professionnelle. Même si l’on garde à l’esprit les enjeuxpromotionnels susceptibles d’influencer le jugement de goût dans la critique de cinéma,il semble en effet intéressant de s’en détacher quelques instants afin de déterminer cequi, dans l’énonciation, nous invite à penser que la critique de presse se rattache à l’idéekantienne du jugement de goût.

Nous l’avons évoqué au début de cette partie, le discours sur les films d’actualité dansla presse quotidienne et hebdomadaire se caractérise par une tension entre démodalisationet engagement. Démodaliser son discours, c’est tenter de le porter au rang des véritésgénérales. Le style assertif de la critique de presse suggère ainsi l’idée que le contenu del’énoncé s’impose à tous, et qu’il n’est pas le propos d’un individu particulier. Cela coïncidenotamment avec l’idée kantienne du goût, c’est-à-dire d’une faculté esthétique de jugerrelevant du sens commun.

Par ailleurs, l’absence de justifications à la suite de nombreuses assertions dans lacritique de presse entretient l’idée d’un critique qui se dispense d’argumenter son propos,considérant que le jugement de goût résulte de l’intuition et ne nécessite, pour cette raison,aucune explication. L’extrait suivant illustre ce phénomène :

Le Figaro, critique du film Hunger, Eric Neuhoff> Pour ses débuts, Steve McQueen (…) choisit un sujet fort et le traite avec force. C’est

la bonne méthode. On voit qu’il est aussi plasticien. (…)Le style déclaratif adopté par le journaliste contribue à donner le sentiment au lecteur

que son jugement est une évidence et qu’il s’impose à tous. Notons également le ton trèspéremptoire de ce commentaire, au sein duquel le jugement repose sur l’opposition bon/mauvais.

Enfin, si la critique de presse offre une petite place à l’expression des sensations etdes émotions de spectateur, le rapport à l’œuvre du journaliste-critique est souvent trèsintellectualisé. A la différence des commentaires d’internautes, le discours des journalistesde cinéma se caractérise en effet par une part de discours émotif peu importante (maisexistante !), ou s’efforce de d’évoquer les émotions de spectateur d’un point de vue distancié(grâce à des stratégies d’objectivation)49. Cette analyse participe à déconnecter le jugementde goût des manifestations corporelles et émotionnelles suscitées par la projection du filmchez le spectateur.

49 Exemple : Le Figaro, critique de Hunger, Eric Neuhoff : > Sur le trottoir, on se retrouve sonné. On marche quelques mètres,puis on se met à réfléchir. (…)

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II. Des postures enonciatives et des régimes d'engagement spécifiques qui relèvent les finalitéspropres des differents acteurs de l'espace public.

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Ainsi, la réunion de ces éléments du discours critique (qu’ils concernent le langage oules idées) invite à penser que l’idée kantienne de la critique esthétique coïncide avec celledes énonciateurs de discours sur le cinéma dans la presse généraliste.

Après avoir qualifié l’idée du goût qui sous-entend la critique professionnelle, il nousfaut à présent considérer cette même question pour les commentaires des internautes surles sites de presse. La diversité des postures énonciatives et des régimes d’engagementau sein de ces espaces implique la coexistence de plusieurs acceptions de la notiondu goût. Les commentaires d’opinion portent, dans leurs caractéristiques énonciatives, lamarque d’un relativisme. L’implication du locuteur dans son discours, à travers notamment laprésence d’embrayeurs (« selon moi », « je pense que, etc.), signifie la reconnaissance parl’énonciateur de la possible existence de jugements opposés, ou du moins différents du sien.En ce sens, l’énonciateur de commentaires d’opinion admet que les critères qu’il mobilisepour juger un film lui sont propres, et constituent une combinaison singulière parmi d’autresdans un espace public de la reconnaissance des points de vue particuliers (CARDON,HEURTIN, LEMIEUX : 11). En adoptant le régime de l’opinion, l’énonciateur « dote d’uncaractère polyphonique l’espace des prises de position » que constitue le lieu d’énonciationde son discours. C’est pour cette raison que l’on peut qualifier l’idée du goût à l’œuvre dansles commentaires d’opinion de relativiste50.

Le relativisme s’exprime également par une forme de distanciation vis-à-vis des critèresde jugement ou des interprétations proposées dans la critique professionnelle. L’expressiond’un désaccord par rapport à la critique journalistique symbolise, sous le régime de l’opinion,l’entrée dans un espace de reconnaissance de points de vue particuliers. Le commentairede cet internaute illustre cette distanciation vis-à-vis de la communauté des journalistes-critiques:

Télérama, avis des lecteurs à propos du film Home, chivoulse> (…), comme une vision désespérée de notre vie moderne, où l’on a le choix qu’entre

l’asphyxie sociale ou l’enfermement et la mort. Bizzarement, j’ai l’impression que peu decritiques ont vu cette dimension pourtant tellement évidente pour moi et qui donne tout sonsens au film.

Même si ce commentaire ne concerne pas, à proprement parler, l’esthétique du film,des éléments de l’énoncé (« j’ai l’impression que », « évidente pour moi ») indiquent quel’internaute formule son interprétation du film dans un espace de reconnaissance des avisparticuliers.

L’analyse de l’énonciation au sein des discours des différents acteurs de l’espacepublic du cinéma, ainsi que l’analyse de leurs lieux d’énonciation, mettent en évidencedes finalités propres à chacun de ces acteurs. Le journaliste des pages Cinéma de lapresse généraliste adopte ou occupe une posture énonciative susceptible de donner unecertaine autorité à son discours au sein de l’espace public du cinéma. Certains discoursd’internautes se rapprochent d’ailleurs, dans leurs modalités énonciatives, des discours surles films d’actualités issus de la presse. Mais, au contraire, nombreux sont les internautesà se caractériser par une posture énonciative qui traduit la reconnaissance de jugementsdifférents. Ces discours ouvrent ainsi la possibilité d’un échange, et signifient que l’espacedans lequel s’inscrivent ces commentaires d’internautes se rapproche plus du forum, quedu traditionnel « courrier des lecteurs ».

50 Rappelons, à l’occasion, que les commentaires d’opinion représentent le type majoritaire au sein des espaces consacrésà l’expression des spectateurs-lecteurs sur les sites de presse.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

50 LHOUTELLIER Adèle _2009

III. Peut-on parler d'une nouvellepolyphonie critique ?

Nous allons à présent nous intéresser au contenu des discours émis par les critiquesprofessionnels dans la presse généraliste et par les internautes au sein des espaces qui leursont consacrés sur les sites de presse. Afin de poursuivre la comparaison des jugementscritiques professionnels et « grand public » au sein de l’espace public du cinéma, il est eneffet nécessaire d’entreprendre une analyse des critères invoqués dans les évaluations,mais aussi d’étudier la place et l’importance accordée aux différentes dimensions d’unfilm (les acteurs, la mise en scène, le son, la photographie, les effets spéciaux, le scénario,les choix narratifs, le budget, le tournage, etc.) par chacun des énonciateurs de discours surles films d’actualité. Après une étude principalement focalisée sur les modalités énonciativesdes discours « experts » et « profanes », une analyse du contenu nous permettra de précisernotre définition des discours critiques énoncés dans l’espace journalistique (espace dujournal papier et espace du journal virtuel).

La presse généraliste et ses nouvelles extensions sur le Net permettent-ellesl’expression d’une polyphonie51 critique au sujet de l’actualité du cinéma ? A savoir, peut-on considérer qu’il y a une réelle diversité dans les jugements énoncés par les différentsjournaux consacrant, périodiquement, des articles à cette actualité cinématographique ?Les nouveaux espaces d’expression sur Internet, et en particulier sur les sites de presse,contribuent-ils à une diversification du jugement au sein de l’espace public du cinéma ?

Ces questionnements constituent le cadre de l’analyse développée dans cette partie. Apropos de notre enquête, il est cependant de préciser qu’elle est menée à partir d’un corpusde discours critiques au sujet de trois films. En ce sens, les résultats de l’analyse ne nouspermettront pas de prononcer des conclusions généralisables et absolues. Un corpus plusfourni, rassemblant les discours critiques de la presse et des internautes sur une période deun à deux ans, permettrait de dégager des appréciations et des tendances durables dans lejugement journalistique et le jugement « grand public ». Mais dans le cadre de ce mémoire,nous examinerons la question de la polyphonie dans les discours publiés à propos de nostrois films de référence. Il s’agit donc d’une étude de cas particulier.

Le caractère polyphonique de la critique de cinéma peut être interrogé en s’intéressantaux jugements synthétiques ou aux « évaluations-notation »52 attribuées par les journalistes-critiques et certains internautes. Les signalétiques des différents médias permettent en effetde dresser assez aisément un panorama des évaluations issues de la communauté critique

51 La polyphonie, que nous envisageons ici, est une polyphonie qui résulterait de l’ensemble des discours sur les films d’actualitéénoncés au sein des médias, par les journalistes et les internautes. Il s’agit, à travers une étude du contenu, de déterminer si lesdifférents discours s’accordent sur une même ligne mélodique, en invoquant des arguments et des critères de jugement similaires ;ou, si, au contraire, ils constituent, de par leur contenu, des voix singulières au sein de l’espace médiatique. Dans le dernier cas, nouspourrions parler de polyphonie critique à propos des films d’actualité, dans la presse généraliste et culturelle.

52 Définies dans la première partie de ce mémoire, page 18.

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 51

pour un film donné53. Avec cette approche quantitative, il est ainsi possible d’estimer si unconsensus se crée entre les différents auteurs de critiques de cinéma ou bien, au contraire,si le film est l’objet d’une réception controversée.

Nous proposons donc, dans un premier temps, d’appréhender la question de lapolyphonie en dressant un bilan des évaluations synthétiques émises par les journalisteset les internautes au sujet des trois films de l’étude.

Tableau 1 : Evaluation des critiques professionnels

Inrockupti-bles

LeFigaro

Le Monde Le Progrès Libération Télérama

HOME *** ** ** - *** ***HUNGER ● *** *** *** *** ***/●LA BANDEA BAADER

* ** * -(1) ● *

Tableau 2 : Evaluation des internautes sur les sites de presse

Inrockupti-bles

Le Figaro Le Monde Le Progrès Libération Télérama

HOME ** - - - - **HUNGER - ** - (2) - -(2) **

LABANDE ABAADER

- - - (2) - - **

Légende :*** : Très bien** : Bien* : Moyen● : Mauvais- : Aucune évaluation proposée(1) La notulette publiée dans Le Progrès à propos de La Bande à Baader ne propose

pas d’évaluation (voir ANNEXE N°6).(2) Il existe des commentaires d’internautes à propos de Hunger sur les sites web du

Monde et Libération, mais ils ne sont pas accompagnés d’une évaluation symbolisée.Ces tableaux récapitulatifs nous permettent de constater la relative unanimité de la

communauté critique (journalistes et internautes) en faveur du film Home de Ursula Meier,un jugement général très réservé à propos de La Bande à Baader, et la coexistenced’évaluations extrêmement divergentes pour le film Hunger. On remarque par ailleurs que

53 Les Cahiers du Cinéma proposent d’ailleurs, à la fin de chaque numéro, un tableau récapitulatif des évaluations attribuéespar les critiques de cinéma de la presse généraliste et spécialisée à propos des films en salle (voir ANNEXE N° 9).

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

52 LHOUTELLIER Adèle _2009

les évaluations des internautes54 coïncident globalement avec le jugement synthétiqueénoncé par le journaliste-critique du média au sein duquel ils s’expriment.

L’évaluation-notation de la critique de presse et des commentaires d’internautes livrepeu d’enseignements en ce qui concerne l’examen de la polyphonie des jugements sur lesfilms d’actualité. Laconique et simplifiée, elle permet seulement de mesurer la diversité desévaluations dans une perspective quantitative, c’est-à-dire à partir d’une échelle linéaireallant du « mauvais » au « très bien ». Aucune lecture des critères sous-jacents au jugementsynthétique ne peut être envisagée par le biais de cette méthode. Un aspect fondamentalde la diversité des jugements sur les films d’actualité risque donc d’être écarté, si l’on secontente de considérer l’évaluation-notation.

Comment mesurer avec justesse le degré de polyphonie critique au sein d’un corpusde texte ? Comment évaluer si la communauté des énonciateurs de discours sur les filmsd’actualité produit des analyses et des jugements uniformes ?

Après avoir évoqué l’insuffisance et le réductionnisme excessif de l’évaluation-notation,nous proposons d’analyser, pas à pas, les éléments de contenu, qui au sein des discoursdes journalistes et des internautes sont mobilisés pour la présentation, l’analyse, et lejugement d’un film dans la presse papier et la presse en ligne. Le caractère polyphoniquede la critique de cinéma dans la presse généraliste et hebdomadaire sera examiné à traversles analyses successives des titres des articles et commentaires ; des critères d’analyseet des critères de jugements mobilisés par les énonciateurs. Il est question d’adopter unedémarche comparative entre, d’une part, les différents journaux du corpus, et, d’autre part,entre le « discours expert » et le « discours profane ». L’objectif de cette investigation estdouble : nous analyserons simultanément la question de l’intertextualité dans les discourssur le cinéma au sein de l’espace journalistique (éditions papier et interfaces sur le Net)et le débat sur la dissonance ou la convergence des opinions au sein de cet échantillonde la communauté critique. Cette étape poursuit ainsi l’ambition de ce mémoire : définir etdifférencier les modalités d’énonciation, les critères d’analyse, et les critères de jugementpropres aux journalistes-critiques et aux internautes.

III. 1. Etudes des titresDans l’étude de la diversité des interprétations et des jugements énoncés sur les filmsd’actualité, il semble que les titres constituent un niveau de lecture pertinent. Aboutissementd’une écriture et point de départ d’une lecture (JAMET-JANNET, 1999 : 105), il joue unrôle stratégique pour la circulation du message énoncé par le journaliste de cinéma oul’internaute cinéphile.

D’autre part, le titre est chargé en significations. « Dans l’activité de production de texte

journalistique, le titre est l’arrivée d’un sens, son aboutissement le plus élevé » 55 . En

conséquence, le titre est susceptible d’annoncer l’interprétation ou l’évaluation proposée

54 Il faut préciser que les évaluations des internautes retranscrites dans le tableau n°2 correspondent à la moyenne desévaluations effectuées par les lecteurs sur le site de presse. Elles représentent donc l’évaluation moyenne résultant de l’expressionde plusieurs subjectivités. Au contraire, dans le tableau n°1, chaque « note » est celle d’une seule subjectivité : le journaliste-critique.

55 Jean GOUAZE, Maurice MOUILLAUD et Jean-François TETU in JAMET-JANNET, La mise en scène de l’information,L’Harmattan, 1999, p. 105.

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 53

par l’énonciateur, ou encore son idée de la critique de cinéma et des éléments d’un film quidoivent y être valorisés ou du moins considérés.

A partir de notre corpus, nous allons à présent dégager différents types de titres, etainsi envisager les tendances propres à chaque journal et chaque énonciateur de discourssur les films d’actualité dans l’espace journalistique.

III. 1.1. Titres des articles de presseTableau 3 : titres des critiques de presse pour les trois films sélectionnés

HOME HUNGER LA BANDE A BAADERInrockuptibles? ? ?Le Figaro « Home » d’Ursula

MeierDies IRA Les allemands

confrontés aux démonsdu terrorisme politique

Le Monde Le bonheur n’est pasprès de l’autoroute

Bobby Sands, corpsperdu

Baader, version livred’histoire

Le Progrès - Hunger de SteveMcQueen, MichaelFassbender : un acteuren or pour la caméra d’or

La Bande à Baader

Libération Trafic perturbant « Hunger », à toute faimutile

Eichinger manqueBaader

Télérama Une autoroute dansmon jardin

? La débandade à Baader

A la différence du journalisme d’information, le titre de la critique de presse est souventinterprétatif. Lorsque le média consacre seulement un bref article à la sortie d’un film, ils’agit généralement d’un article d’information (voir l’article du Figaro à propos de Home et lanotule publiée par Le Progrès à propos de La Bande à Baader), dont le titre (respectivement« « Home » de Ursula Meier » et « La Bande à Baader ») se caractérise par la seule fonctionde présentation. Lorsque la critique de cinéma est évaluative et/ou interprétative, le titre seréfère à cette évaluation ou à cette interprétation énoncée dans le corps du texte. Dès lors,il permet d’appréhender les choix entrepris par le journaliste et indique, dans une certainemesure, au lecteur les dimensions du film que l’énonciateur a choisit de valoriser (un acteur,un personnage, un décor, une ambiance, le sujet du film, etc.).

Afin d’illustrer la diversité des énoncés qui introduisent le lecteur dans la critique depresse, considérons, film par film, l’ensemble des titres des énoncés de notre corpus.

La Bande à BaaderLibération et Télérama expriment explicitement leur condamnation de l’œuvre de Uli

Edel sur la Fraction Armée Rouge. Leurs titres livrent d’emblée l’évaluation des journalistes-critiques. Même s’ils comportent tout deux une tonalité péjorative, leur signification estcependant très différente.

L’énoncé « Eichinger manque Baader » (Libération) délivre des éléments sur lejugement du journaliste Didier Péron. Ce dernier choisit de désigner le producteur du film,Bernd Eichinger, et non son réalisateur, Uli Edel, comme la personne qui à l’origine del’œuvre cinématographique jugée mauvaise. Comment expliquer ce choix ? Le journaliste

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

54 LHOUTELLIER Adèle _2009

propose une critique de La Bande à Baader, au regard des œuvres précédentes de BerndEichinger, notamment son film La Chute (2004) qui présentait Hitler dans les derniers joursde sa vie, et que le quotidien avait largement critiqué. Ainsi, le titre de Libération semblevouloir signifier : « après avoir manqué Hitler, Eichinger manque cette fois Baader ». Lechoix de mettre en avant le producteur du film n’est pas anodin, si l’on considère le méprisimplicite du critique vis-à-vis des productions à gros budget56.

Le titre de Télérama « La débandade à Baader » apparaît plus équivoque. La« débandade » peut en effet caractériser la déroute connue par le groupuscule de la RAFau cours des années 1970, ou bien elle signifie l’échec du réalisateur dans sa tentative deretracer l’histoire de La Bande à Baader. La cohabitation des deux significations indiquenéanmoins le jugement plutôt dépréciateur du journaliste-critique.

Le Figaro propose, quant à lui, un titre qui livre peu d’informations sur l’évaluation dufilm. L’énoncé « Les allemands confrontés aux démons du terrorisme politique » constitueplutôt une présentation du sujet du film de Uli Edel, qui comporte néanmoins des tracesde la subjectivité du journaliste. Le terme « démons » signifie en effet l’hostilité explicite dujournaliste pour le groupe terroriste, qui n’est pas aussi évidente dans d’autres journaux,tels que Libération ou Télérama.

Le Monde annonce avec son titre « Baader, version livre d’histoire », un article moinsengagé, qui propose cependant une analyse du traitement cinématographique des « annéesde plomb », proposé par Uli Edel.

HungerParmi les titres des critiques du film de Steve McQueen, il est intéressant de s’arrêter

tout d’abord sur celui du Progrès : « Hunger de Steve McQueen, Michael Fassbender :un acteur en or pour la caméra d’or ». Il annonce clairement ce sur quoi le journaliste sefocalise et met en évidence ce qui, selon l’énonciateur, contribue à la réussite du film : laperformance de l’acteur Michael Fassbender.

Les journalistes-critiques des quotidiens Le Figaro, Le Monde et Libération proposent,quant à eux, des titres jouant sur les mots. Ces titres comportent en effet un défigement57,c’est-à-dire un jeu de mots basé sur une expression figée de la langue:

Libération : « « Hunger », à toute faim utile »�« « Hunger », à toutes fins utiles »Le Monde : « Bobby Sands, corps perdu »�« Bobby Sands, à corps perdu »Le Figaro : « Dies IRA»�« Dies Irae »Ces jeux de mots permettent la cohabitation de plusieurs significations au sein de

l’énoncé-titre. Le titre du Monde, en particulier, propose deux interprétations qui insistentsur des aspects différents : soit sur la disparition de Bobby Sands (Bobby Sands, un corps

56 Le critique insiste en effet, à plusieurs reprises, sur cette caractéristique du film : «Donné comme le film le plus coûteux del’histoire du cinéma allemand (…) , « une superproduction », etc. (Voir ANNEXE N° 6)

57 D’après Françoise Sullet-Nylander, un figement linguistique est une expression figée de la langue renvoyant à un sensglobal plutôt qu’à celui de chaque unité ajoutée (ex : se casser la pipe signifie mourir). Ces expressions font souvent l’objet d’un« défigement », c’est-à-dire d’une cassure phonique, graphique ou polysémique débouchant sur un jeu de mots. (SULLET-NYLANDERF., 2002, « Titres de presse et polyphonie », Actes du quinzième congrès des Romanistes scandinaves)

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 55

perdu), soit sur la radicalité de la lutte menée par le leader politique (Bobby Sands, à corpsperdu, c’est-à-dire sans se ménager).

HomeOn retrouve ces jeux de langage parmi certains titres de critiques sur le film Home

(Libération : « Trafic perturbant », Le Monde : « Le bonheur n’est pas près de l’autoroute »).Il est intéressant de remarquer par ailleurs, que le film Home a inspiré aux journalistes

des titres qui se réfèrent directement à l’environnement dans lequel se déroule l’histoired’Ursula Meier : environnement sonore (le bruit évoqué dans l’énoncé « Trafic perturbant »),décor du film (le jardin et l’autoroute suggérés dans les titres du Monde et de Télérama :« une autoroute dans mon jardin »). Dès les premiers mots, on oriente l’attention dulecteur sur l’univers singulier du film. Un consensus se crée au sein de la communauté desjournalistes-critiques dans le choix de valoriser cet aspect de l’œuvre d’Ursula Meier.

En considérant les titres des articles sur le cinéma, on peut postuler l’existence dedifférentes voix interprétatives au sein de l’espace médiatique. Ces voix se distinguent lesunes des autres par l’objet de leur discours (le film, les modalités du film, le sujet du film,etc.), le choix de la langue et l’univers langagier auquel elles font référence, ainsi que leurtonalité (interprétative ou évaluative).

III.1.2. Titres des commentaires d’internautesTableau 4 : Titres des commentaires d’internautes pour les films sélectionnés

HOME HUNGER LA BANDE A BAADERInrockuptiblesUne vraie leçon de

cinéma- -

Le Figaro - Un film, un vrai film maisdur effectivement Un filmpour se secouer de satorpeur Un film dur

Réalistementaccusateur Realistemais parfois pas assezaccusateur

Le Monde - (1) (1)Le Progrès - - -Libération - Flou et pas

donné Héros ? Héroïsmeet justesse dela cause C’étaitla guerre Desinfos Dommage ? Bah Cinéphilepas cultivé ? Le couragede faire la paix CorectionSVP Des militants enlutte Point de vue

-

Télérama (1) (1) (1)

(1) Les commentaires de ces internautes ne sont pas précédés d’un titre.Les énoncés des internautes sur les films d’actualité sont parfois précédés de titres,

en particulier sur les sites web de Libération, du Figaro et des Inrockuptibles. Même sinotre échantillon de titres s’avère plus restreint, il nous permet cependant d’appréhender

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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quelques différences par rapport aux titres de presse. Les titres des internautes du Figaroet des Inrockuptibles se distinguent par le fait qu’ils qualifient explicitement le film critiqué.Nombreux sont les adjectifs employés pour caractériser le film dans sa globalité : « vrai »,« dur », « accusateur », « réaliste », etc. A la différence des titres de la critique de presse,le jugement qui apparaît dans les titres des commentaires d’internautes n’est pas énoncéà travers des jeux de langage et des expressions polysémiques. Le contenu de ces titressignifie que l’internaute se situe toujours dans un rapport peu distancié vis-à-vis du film qu’ilcommente : il ne propose pas une interprétation de l’œuvre et des intentions de ses auteurs,mais s’efforce plutôt de la qualifier.

D’autre part, les titres des discours d’internautes sur le site de Libération 58 sontdes indices de la nature des commentaires proposés : commentaires affectifs, d’opinionou militant. Une lecture des titres laisse entrevoir une caractéristique de l’espace desinternautes de Libération : la grande proportion de discours militants ou idéologiques.

Remarquons, enfin, que la succession des commentaires dans un même espace donnelieu à des enchainements de titres qui se citent et se corrigent entre eux :

Le Figaro, titres des commentaires à propos de HungerUn film durUn film pour se secouer de sa torpeurUn film, un vrai film mais dur effectivementLe Figaro, titres des commentaires à propos de La Bande à BaaderRéalistement accusateurRealiste mais parfois pas assez accusateurSynthèse/comparaison des titres journalistiques et d’internautes

III.2. Etudes des critères de jugement

III.2.1. A travers les différents sujets abordés au sein des discours surles films

Le jugement dans les discours sur les films d’actualité peut être analysé en considérant,tout d’abord, la place accordée par les énonciateurs aux différentes dimensions du film. Leschéma ci-dessous envisage les modalités d’un film qui sont susceptibles d’être évoquées,qualifiées, analysées et jugées dans la critique de presse ou le commentaire d’internaute.

58 Voir Tableau 4.

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 57

La sélection de certaines modalités par le journaliste de cinéma ou l’internaute cinéphiledans l’écriture de son article est un choix subjectif, qui révèle ce que l’énonciateur considèrecomme important, pertinent et judicieux dans la présentation et l’évaluation d’un film. Ausein de notre corpus, nous avons observé des angles d’approche très divers pour letraitement d’un même film. Cependant, la taille du corpus et les résultats de l’analysene nous permettent pas d’attribuer des tendances et des schèmes interprétatifs durablespropres à chaque journal et à chaque catégorie d’acteurs. Nous nous contenterons donc deprésenter ici la diversité des contenus et des objets examinés au sein d’une revue de presse.

HomeIl est intéressant de constater la diversité des manières de présenter le premier film

d’une jeune réalisatrice inconnue au sein des pages cinéma des différents journaux. Alorsque Libération accorde un grand intérêt à la présentation d’Ursula Meier en intégrant une

biographie, des extraits d’interview, ainsi que quatre portraits 59 de la réalisatrice dans sacritique de film, Télérama ne livre pas un mot sur son parcours. Ceci nous renseigne surla relation à l’œuvre cinématographique qu’entretient le journaliste-critique : il estime que lacompréhension du film est soumise à la connaissance de la vie et de l’œuvre du réalisateur,ou bien il préfère saisir l’œuvre dans sa singularité.

De même, l’attention portée aux acteurs de Home, portant très reconnus (notammentIsabelle Huppert et Olivier Gourmet), diffère considérablement en fonction des médias. Le

59 Voir ANNEXE N° 2

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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journaliste des Inrockuptibles consacre en effet plusieurs lignes à leur sujet, tandis que lesjournalistes de Télérama et de Libérationse contentent de les citer entre parenthèses :

Inrockuptibles, critique de Home, Jacky Goldberg> (…) Les personnages, vierges d’intention, n’ont d’autre passé que le surmoi

cinéphilique de leur acteur : on sent bien qu’Isabelle Huppert doit cacher quelque terriblenévrose, ou que l’ogre Gourmet (le plus américain des acteurs francophones, aussi à l’aiseici qu’il l’est avec ses postiches dans Mesrine et Coluche) ne demande qu’à se réveiller (…)

Télérama, critique de Home, Didier Péron> (…) Au début du film, Marthe et Michel (Isabelle Huppert et Olivier Gourmet), les

parents, Judith, Marion et Julien, les enfants, le chat, tout le monde est content. (…)Exceptée la critique des Inrockuptibles, c’est le scénario original et insolite du film qui

est valorisé par les journalistes-critiques et les internautes, à travers de nombreux passagesnarratifs et le récit de certaines anecdotes. L’univers sonore du film est également unedimension de l’œuvre qui est, à la quasi-unanimité, soulignée.

La Bande à Baader et HungerCes deux films politiques permettent de constater que la critique n’est pas homogène

quant aux thématiques et aux aspects d’un film qu’elle valorise au fil de ses lignes. Onremarque, en particulier, que les critiques du Monde, Libération et Téléramas’appliquent àretracer les évènements et le contexte historique sur lequel se trame le scénario des deuxfilms. Cette étape de « rappels historiques » précède souvent la formulation d’un jugementou d’une interprétation sur le film. Elle signifie ainsi l’importance que ces journalistesaccordent à l’exactitude et la vérité de ces moments historiques, ainsi qu’une certainevolonté pédagogique. La critique de cinéma est saisie comme une opportunité pour « parlerd’histoire ». L’interview d’un historien, spécialiste de la RAF, juxtaposée à la critique de LaBande à Baader, montre que c’est effectivement le sujet du film et l’interprétation de Uli Edelqui importent ici pour le journal quotidien.

Hunger, film réalisé par le plasticien britannique Steve McQueen, propose une versiontrès esthétisante de la mort de Bobby Sands dans les prisons de Maze en 1981. Ladimension picturale du film n’est cependant pas mentionnée dans l’ensemble des critiquesde presse et par tous les internautes sur les sites de presse. La thématique politiques’impose en effet dans de nombreux discours, et évacue toute considération sur l’esthétiquedu film. C’est le cas des articles de Libération et du Progrès, mais aussi des commentairesmilitants et politisés de la grande majorité des internautes sur les sites web de Libérationet Le Monde.

Notons, par ailleurs, que les discours sur les films d’actualités contiennent parfoisdes propos en réaction aux avis exprimés par la presse critique, des engagements quise construisent contre des discours antérieurement diffusés au sein de l’espace public ducinéma. La critique de cinéma devient ainsi une critique de critique.

L’article de Serge Kaganski (Inrockuptibles) sur le film Hunger construit ainsi unjugement contre les autres instances critiques :

> A l’instar de There will be blood, Hunger semble susciter un unanimisme critique donton entrevoit les motifs mais que l’on ne partage pas. (…)

De manière similaire, l’internaute intervient parfois sur les sites de presse pour exprimerson désaccord vis-à-vis de la critique journalistique :

Télérama, avis des lecteurs à propos de Home, babeloued

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 59

> Que vient faire ce film dans la sélection Télérama ? Oui je sais chaque année dansla sélection, il y a un « truc » qui fait tache. Cette année c’est Home ; (…)

III.2.2. Critères de jugement dans l’argumentation des discoursAfin de dégager les critères de jugement mobilisés par les journalistes-critiques de différentsjournaux, nous avons procédé, pour les trois films de notre étude, à un classement desarguments formulés en faveur ou en défaveur du film. Ces arguments nous ont ensuitepermis de mettre en évidence les critères sous-jacents à l’évaluation ou l’interprétationdu film proposée par les journalistes. Les résultats et les étapes de notre analyse sontprésentés, film par film, dans les tableaux qui suivent. Un bilan et une comparaison descritères de la critique professionnelle et des internautes nous permettront de continuer notreexploration de la question de la polyphonie critique.

Analyse film par filmHunger

Tableau 5 : Arguments et critères de jugement dans les articles sur le film Hunger

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

60 LHOUTELLIER Adèle _2009

Arguments « positifs » Arguments « négatifs » Critères de jugementInrockup-tibles

- la séquence dudialogue entre BobbySands et le prêtreest extraordinairepar la simplicité etla puissance dudispositif, la qualité dudialogue

- œuvre trop formalistepour un tel sujet politique -le parti pris du réalisateurest faussement radical - lespectateur est prisonnierde la mise en scène - lefilm est trop manichéen etne relève pas d’un grandcourage politique - trop decompassion

Justesse et respectde la complexité del’Histoire dans leschoix scénaristiqueset esthétiques Lespectateur ne doitpas être manipulé Leradicalisme et lacompassion ne relèventpas de l’engagementpolitique

Le Figaro - performance del’acteur - sujet forttraité avec force -maîtrise esthétique etsonore - le réalisateurne juge pas / le filmse situe au-delàdu politique - laséquence du dialogueavec le prêtre est unmoment de grâceet de bravoure - lespectateur est pousséà réfléchir

- scènes violentes àdéconseiller aux âmesfragiles

Le film n’énoncepas de jugementpolitique Performancedes acteurs, performanceesthétique etsonore Invitation à laréflexion

Le Monde -film d’une âpretéet d’une beautésaisissante -puissance plastique,émancipation ducanon scénaristique,revitalisation dumystère primitifde l’image - lefilm est l’itinéraired’une interrogationphilosophique - lecorps est l’enjeuesthétique duréalisateur

Complexité etcontradictions dansles choix esthétiques Originalité duscénario Portéephilosophique de l’œuvrecinématographique

Le Progrès - performance del’acteur MichaelFassbender

Performance des acteurs

Libération - puissance - beauté - vérité - engagement - expériencesensible vécue par lespectateur - présencesymbolique du hérosBobby Sands / BobbySands représentécomme un symbole

- introduction tâtonnante Vérité de lareprésentationhistorique Engagementpolitique duréalisateur Beauté dufilm

Télérama POUR (JacquesMorice)

- beau et répugnant -le film consigneles faits et lestranscende -puissance de l’imageet du son - un filmqui redonne toutson sens au termede « résistance » -réflexion surl’engagement - laséquence du dialogueest sidérante -bouleversant

Complexité des choixesthétiques Portéeréflexive du film, allantau-delà du simple récithistorique Emotions duspectateur

TéléramaCONTRE (PierreMurat)

- exhibition - ostentation -hyperréalisme - prochedes films de propagande

Pertinence des choixesthétiques dans lareprésentation de laviolence

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

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Tableau 6 : Arguments et critères de jugement dans les commentaires des internautessur le film Hunger

Arguments « positifs » Arguments « négatifs » Critères de jugementInrockup-tibles

- - -

LeFigaro (3avis)

- film puissant - rythmecontrasté - invitationà la réflexion sur soi-même - film qui parvientà faire compatir pour lesprisonniers politiques - scènes marquantes -belle conception

- le film fait peur -esthétique ennuyeuse

Choixesthétiques Emotionsdu spectateur Plaisirdu spectateur Le filmsert une cause et secaractérise par unedimension didactique

LeMonde (6avis)

- un film qui permetde ne pas oublier les« crimes » de MargaretThatcher

- film trop long - traitementpolitique complaisant

Le film sert une causeet se caractérisepar une dimensiondidactique Vérité de lareprésentation historique

LeProgrès

- - -

Libération (13avis)

- un film qui nous permetde constater le couragede nos contemporainsqui ont pris la décisionde poser les armes

- les terroristes sont desfanatiques, rien ne sert deles admirer

Moralité de lacause servie par lefilm Invitation à uneréflexion sur l’évolutioncontemporaine du conflit

Télérama (16avis)

- rappel historique - belleséquence du dialogueentre curé et le pasteur -Images bouleversanteset évocatrices - justessede la représentationdu combat - Belleperformance desacteurs - un film qui n’estpas manichéen - bellemise en scène

- le sacrifice n’est pas unesolution aux problèmes -film trop violent, scènesinsoutenables pourle spectateur - le filmimpose le voyeurismeau spectateur/ le filmpiège le spectateur - unfilm qui retrace mal lesévènements de l’histoire -le radicalisme de la miseen scène est contestable -film manichéen -hyperréalisme

Moralité despersonnages dufilm Justesse et respectde la complexité del’Histoire dans leschoix scénaristiqueset esthétiques Lespectateur nedoit pas êtremanipulé Pertinencedes choixesthétiques dans lareprésentation de laviolence Performancedes acteurs Mise enscène

L’analyse des arguments exposés concourant à la formulation d’une évaluationgénérale au sein du discours critique, confirme la réception contrastée du film Hungerauprès des journalistes et des spectateurs intervenant sur les sites de presse. Au regard desévaluations-notations, nous avions déjà constaté l’hétérogénéité des jugements énoncéspar les différentes instances critiques. Cette nouvelle étape montre que la diversité desjugements est fondée sur une diversité des critères de jugement. De manière générale,

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

62 LHOUTELLIER Adèle _2009

le critique jugeant le film bon ne mobilise pas les mêmes critères dans son discours quele critique jugeant le film mauvais. Ainsi, le jugement défavorable des Inrockuptibles àpropos de Hunger repose sur le critère du respect de la complexité de l’Histoire pour un filmdit historique, à travers ses choix scénaristiques et esthétiques ; alors que l’engouementdu journaliste du Monde pour ce film réside dans la complexité des choix esthétiques,l’originalité du scénario et la portée philosophique de l’œuvre.

De plus, deux critiques favorables ou défavorables ne s’appuient pas nécessairementsur des critères de jugement identiques. Cela se vérifie aussi bien dans la critiqueprofessionnelle que parmi les commentaires de lecteurs. Serge Kaganski (Inrockuptibles)critique le manichéisme du film de Steve McQueen, Pierre Murat (Télérama) dénoncel’impertinence des choix esthétiques du réalisateur pour représenter la violence : les deuxjournalistes s’accordent sur un même jugement synthétique, à savoir l’échec du cinéaste.De même, deux internautes du site de Télérama font tout deux l’éloge du film en s’appuyantsur des critères de jugement différents : l’un met en avant la performance de l’acteur MichaelFassbender, lorsque l’autre souligne la justesse avec laquelle le combat pour la liberté deBobby Sands est représenté.

D’autre part, il est intéressant de confronter les critères de jugement sous-jacentsà l’évaluation des internautes et ceux que valorisent les journalistes-critiques. A proposdu film Hunger, on constate l’existence de plusieurs critères propres aux internautes :la dimension didactique du film (Le Figaro et Le Monde), le fait que le film serve unecause, notamment celle de la mémoire du conflit (Le Figaro et Le Monde), la moralité despersonnages du film (Libération et Le Monde), et le fait que le film permet d’entreprendreune réflexion sur l’évolution contemporaine du conflit (Libération). Certains de ces critèresse caractérisent par une dimension idéologique et partisane. Le film est alors évalué enfonction des convictions politiques du spectateur-critique. Ce type d’évaluation peut donnerlieu à des jugements antagonistes. Sur www.telerama.fr,Traversay estime ainsi que SteveMcQueen n’a pas de parti pris (> (…) « Hunger » n’est pas un film manichéen (…)) alorsque l’internaute barbey07p juge le film manichéen (> Le seul doute que je pourrais avoir surle film, c’est son manichéisme (…)).

Ces critères propres aux internautes contribuent à accréditer l’idée que les nouveauxespaces d’expression consacrés aux lecteurs sur les sites de presse diversifient le jugementcritique à propos du film Hunger. On pourra, dans ce cas, parler d’une nouvelle polyphoniecritique.

La Bande à BaaderTableau 7 : Arguments et critères de jugement dans les articles sur La Bande à Baader

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

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Arguments « positifs » Arguments « négatifs » Critères de jugementInrockup- tibles

- sujet passionnant - lafresque historique estbien menée

- un scénario quifonctionne sur une logiquede la surenchère - miseen scène formatée, tropsimplement illustrative -certains personnages sonttraités superficiellement

Respect de lacomplexité de l’Histoiredans les choixscénaristiques Portéeréflexive du film, allantau-delà du simple récithistorique

LeFigaro

- Le film démythifie sanscomplaisance la fractionRAF - Efficacité dansla représentation del’Histoire de la RAF

- Pas d’analyse politiquerétrospective

Portée réflexivedu film, allant au-delà du simple récithistorique Neutralitédans la représentationde faits politiques

LeMonde

- Bons comédiens -Représentation assezréussie de la complexitédu personnage d’UlrikeMeinhof

- Compilation de faits -Chronologie sansperspective - le filménumère les faits, sansmettre en scène les enjeuxpolitiques

Portée réflexivedu film, allant au-delà du simple récithistorique Représentationde la complexité del’Histoire et de sesprotagonistes

LeProgrès

- - -

Libération - représentation despersonnages commedes individus marginauxet antipathiques,hormis le chef depolice Manichéisme dansla représentation - le films’efforce de décrédibiliserles luttes radicales - pasde réflexion et de recul

Portée réflexive du film,allant au-delà du simplerécit historique Véritéde la représentationd’évènements politiques

Télérama - représentationcaricaturale despersonnages, sansconsistance - le filmreconstitue les faitspolitiques mais ne lesraccorde pas au destindes terroristes - le filmne reconstitue pas ladimension mythique de laRAF - thriller standard

Représentation dela complexité del’Histoire et de sesprotagonistes Portéeréflexive du film, allantau-delà du simple récithistorique Engagementesthétique

Tableau 8 : Arguments et critères de jugements dans les commentaires d’internautessur La Bande à Baader

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Arguments « positifs » Arguments « négatifs » Critères de jugementInrockuptibles- - -LeFigaro (2avis)

- le film raconte bien ladérive d’une jeunesseidéaliste, devenueterroriste - bon jeudes acteurs - filmdocumenté, didactiqueet distrayant

- esthétisation d’unmythe de terroristes - lesacteurs ne sont pas assezantipathiques

Vérité de lareprésentationhistorique Neutralitédans lareprésentation defaits politiques Portéeréflexive du film, allantau-delà du simple récithistorique Emotions etplaisir du spectateur

LeMonde (2avis)

- ce film est unreprésentant de la miseen scène panoptique àl’œuvre dans le cinémapolitique contemporain

Portée réflexive du film,allant au-delà du simplerécit historique

LeProgrès

- - -

Libération - - -Télérama (7avis)

- film proche del’ambiance de l’époque -film qui n’est pascomplaisant vis-à-visdes assassins - le filmfonctionne comme unthriller d’une grandeefficacité - film quisoulève des questionsvis-à-vis du climat socialde notre société

- le film n’arrive pas àlier les évènements avecle contexte - pas deprésentation des enjeuxpolitiques - Personnagescaricaturaux, sansconsistance - film un peulong - quelques ellipsesdans la chronologie desévènements - versionromanesque de l’Histoire

Vérité de lareprésentationhistorique Représentationde la complexité del’Histoire et de sesprotagonistes Portéeréflexive du film, allantau-delà du simple récithistorique Invitation àune réflexion sur notresociété contemporaine

On constate une relative homogénéité des critères de jugement pour le film La Bande àBaader au sein de la critique professionnelle et de la critique « grand public ». La majorité descritiques reproche en effet au film de s’en tenir à un simple récit des évènements historiques,sans apporter d’éléments de réflexion sur les enjeux politiques du mouvement activiste.La critique réside aussi dans la lecture superficielle de la période et de ses protagonistespar les scénaristes, qui ne respectent pas la complexité de l’Histoire dans la représentationcinématographique. Ces arguments concernent principalement le scénario du film de UliEdel.

L’analyse des argumentaires nous fait remarquer que certains internautes relativisentune critique journalistique plutôt défavorable. Deux nouveaux critères apparaissent dansl’évaluation des internautes sur le site web du Figaro : le critère de la performance desacteurs et celui du plaisir du spectateur.

Le Figaro, avis des internautes à propos de La Bande à Baader, Mr Lich> (…) le jeu des acteurs est impeccable (…), c’est du grand cinéma, documentéet

didactique, et quand même très distrayant !!!

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 65

Le critère du plaisir et de l’amusement dans l’expérience de cinéma est, de manièregénérale, davantage valorisé par le spectateur « ordinaire » et négligé par le critique decinéma, qui entretient un rapport plus intellectualisé à l’œuvre.

D’autre part, un argument énoncé par l’internaute s.scholl (www.telerama.fr) sembleinédit au sein des jugements des journalistes et des internautes : il considère que le filmintroduit des questions nécessaires dans le contexte actuel de remise en question d’unsystème économique. Même si cet énonciateur ne développe par cette idée, nous pouvonsémettre l’hypothèse suivante : son jugement se fonde sur la capacité du film à provoquerchez le spectateur une réflexion sur sa propre réalité et celle du milieu dans lequel il évolue.

HomeTableau 9 : Arguments et commentaires dans les articles sur le film Home

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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« Arguments positifs » « Arguments négatifs » Critères de jugementInrockup- tibles

- personnagescomplexes qui déjouentles attentes duspectateur - bellesséquences, bellesimages - bon son - filmlyrique - extraordinaireenvie de cinéma d’unejeune réalisatrice

- personnages parfoiscaricaturaux

Complexité despersonnages Photographie Innovation

LeFigaro

- fable originale etprenante - mélangede burlesque et decauchemardesque -mélange de l’étrange etdu familier

Originalité et complexitédu scénario

LeMonde

- intrigue imprévisible -dramatique, burlesque,satirique et fantastique -Représentation duprocessus infernal d’unfoyer voulant cultiverson bonheur marginalet rattrapé par les effetspervers de la civilisation(foule, voyeurisme,pollution, etc.)

Originalité etcomplexité duscénario Imprévisibilité Invitationà une réflexion sur lasociété contemporaine,voire une remise enquestion

LeProgrès

- - -

Libération- image sarcastique duconfort moderne - laréalisatrice parvient àmontrer que le dramenaît dans la capacitédes gens à s’adapterà n’importe quoi -complexité du scénario -représentation innovantede la famille névrotique -illustre avec pertinencele cauchemar d’unecivilisation de vitesseet de violence - filmmaîtrisé et mature

Invitation à uneréflexion sur la sociétécontemporaine,voire une remise enquestion Originalité etcomplexité du scénario

Télérama- cruauté insidieuseet drôlerie grinçante -surréaliste - filmparfaitement originalet imprévisible - bellesimages - film qui faitréfléchir sur une sociétéproche de l’asphyxie :conte moral

Originalité etcomplexité duscénario Imprévisibilité Invitationà une réflexion sur lasociété contemporaine,voire une remise enquestion

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 67

Tableau 10 : Arguments et critères de jugement dans les commentaires d’internautessur le film Home

Arguments « positifs » Arguments « négatifs » Critères de jugementInrockuptibles (1avis)

- le film parvient à faireressentir les sensationsd’étouffement etd’asphyxie despersonnages auxspectateurs

Performance des choixscénaristiques, sonoreset esthétiques pour fairenaitre des sensationschez le spectateur

Le Figaro - - -Le Monde - - -LeProgrès

- - -

Libération - - -Télérama (18avis)

- suspens - filmimprévisible etallégorique (visiondésespérée de notresociété moderne) -belles images et bonson - bonne directiond’acteurs / acteursexcellents - un filmqui provoque desquestionnements /invitation à la réflexionsur notre société -surréaliste et absurde - parabole sur lamarginalité - subtilité -originalité - filminclassable dans songenre - bons dialogues -la famille du film estsuperbe

- film ennuyeux -étouffant - angoissant etinquiétant - le scénariotourne peu à peu à videet devient redondant -le spectateur estinterpellé mais ne saitpas où cela le mène /désarroi du spectateur /incompréhension - filmoppressant pour lespectateur

Originalité etimprévisibilité duscénario Photographieet son Performancesdes acteurs Invitationà une réflexion sur lasociété contemporaine,voire une remise enquestion Emotionsdu spectateur Lespectateur ne doitpas être prisonnier dufilm Intelligibilité du film

D’un point de vue général, le critère de l’originalité du scénario semble sous-jacentà toutes les évaluations de journalistes et d’internautes. La critique professionnelle et lacritique profane s’accordent sur ce point. Les critiques (journalistes et internautes) duMonde, de Libération et de Télérama fondent, par ailleurs, leur jugement sur la capacitédu film à susciter une réflexion à propos de notre société contemporaine, voire à remettreen question certains de ses travers. Cette interprétation du film d’Ursula Meier commel’allégorie d’une vision désespérée de notre vie moderne est particulièrement présente dansles commentaires de lecteurs sur le site web de Télérama : 8 commentaires sur 18 proposenten effet cette lecture.

L’analyse des arguments et des critères de jugement mobilisés par les instancescritiques pour le film Home montre également, que l’avis des lecteurs de Télérama est pluspartagé. Certains internautes privilégient en effet le critère du plaisir du spectateur face aux

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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critères de l’originalité et de la portée réflexive du film. Ils jugent ainsi que les sensationsd’étouffement et l’angoisse qui gagnent peu à peu le spectateur limitent la réussite du film.

Cependant, l’étude des critères nous confirme ici une certaine unanimité de la Critiquequant à la réussite de ce film, et une relative homogénéité des critères de jugement.

En définitive, notre analyse des critères de jugement nous apportent plusieursenseignements. D’une part, on constate que l’évaluation d’un film peut être soumise àune diversité de critères de jugement plus ou moins grande au sein de la communautécritique, en fonction du film critiqué. Ainsi, la critique est polyphonique à propos de Hunger,et relativement monocorde malgré son enthousiasme au sujet du film Home.

D’autre part, même si les internautes évaluent souvent le film en fonction de critèressimilaires à ceux des journalistes-critiques, le critère du plaisir et du confort du spectateursont souvent valorisés dans les commentaires. Les deux films politiques de notre corpusnous font également remarquer le recours explicite à des critères partisans au sein desespaces consacrés aux lecteurs sur les sites de presse. La critique profane, comme

l’expression d’une subjectivité indépendante de l’Instance-journal 60 , semble plus libre

d’exprimer ouvertement des convictions politiques. Le critère partisan représente parfois leseul critère de jugement de certains internautes.

Remarquons, cependant, que la critique professionnelle n’est pas dénuée de partipris idéologiques. Une analyse plus approfondie de certains arguments énoncés par lesjournalistes nous permettra de mettre en évidence des normes politiques qui sous-tendentleur discours sur le cinéma.

Discours politique et discours sur le cinémaLe choix de deux films dont le scénario porte sur des évènements politiques passés inviteà une réflexion sur les partis pris idéologiques à l’œuvre dans l’évaluation des journalistes-critiques. En quoi certaines considérations émises par les critiques culturels reflètent desengagements d’ordre politique ?

Les résultats de cette étude des normes politiques dans les articles sur les filmsd’actualité doivent être considérés comme les résultats d’une étude de cas particulier, àsavoir l’étude du discours critique de la presse sur des films politiques. Les conclusions dece paragraphe ne peuvent donc prétendre caractériser, de manière générale, le discourscritique sur les films d’actualité dans la presse généraliste et culturelle.

Envisageons, à présent, les journaux uns à uns.Alors que la presse critique parle à la quasi-unanimité de « film engagé » à propos de

l’œuvre de Steve McQueen sur la grève de la faim de Bobby Sands, le critique du Figaro,Eric Neuhoff, estime, au contraire, que le film s’extrait de toute prise de position sur cesévènements :

Le Figaro, critique de Hunger, Eric Neuhoff> (…) Le réalisateur ne juge pas. (…)On est au-delà de la politique. (…)En ce qui concerne Le Monde, la portée réflexive et la dimension analytique d’un film

semblent constituer des critères fondamentaux dans l’évaluation critique. La représentation

60 Même si cette liberté est relative, s’il l’on considère les règles de rédaction qui sont imposées aux internautes par le journal.

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III. Peut-on parler d'une nouvelle polyphonie critique ?

LHOUTELLIER Adèle _2009 69

de la complexité des phénomènes est également un critère de jugement récurrent dans lacritique culturelle de ce journal.

Le Monde, critique de Hunger, Jacques Mandelbaum> Cet itinéraire n’est pourtant pas celui d’une édification théologique ou idéologique

mais d’une interrogation philosophique : quel est donc cet ordre du monde qui justifie leshommes dans l’idée triomphante de leur propre destruction ?

Le Monde, critique de La Bande à Baader, Thomas Sotinel> (…) L’exhaustivité n’a servi qu’à énumérer les faits, sans que les enjeux politiques

aient été mis en scène.Ces critères peuvent être lus comme le reflet d’une certaine représentation du monde

et de la démarche journalistique propres au quotidien. Jusque dans l’évaluation des filmsd’actualité, Le Monde n’adopte-t-il pas le parti pris de l’analyse face à un monde complexeet paradoxal ? A travers l’étude d’un corpus plus étendu, il nous faudrait vérifier cettehypothèse. Cependant, elle nous laisse présumer une forme d’engagement qui apparaîtdans la critique cinématographique du journal.

Les critiques de Libération comportent des discours idéologiques plus explicites. Apropos de La Bande à Baader, le journaliste-critique Didier Péron s’insurge contre unscénario qui marginalise et diabolise les activistes d’extrême-gauche de la Rote ArmeeFraktion, et qui fait la part belle aux forces de l’ordre :

Libération, critique de La Bande à Baader, Didier Péron> (…) L’un des aspects les plus étranges du film, (…), est certainement l’effort

général pour montrer les protagonistes de cette histoire comme des individus borderline,antipathiques ou carrément révoltants, le seul traitement positif étant réservé au chef de lapolice, interprété avec finesse par Bruno Ganz. Le projet de revisitation de l’histoire moderneallemande par Bernd Eichinger, commencé par une superproduction qui tentait peu ou proud’humaniser Hitler en bête traquée, s’efforce ici de dépouiller le cadavre des luttes seventiesdes quelques lambeaux de crédibilité qui pouvaient encore lui rester accrochés au squelette.(…)

Cet extrait nous laisse penser que le critique ressent, sinon une certaine sympathie, dumoins de l’admiration à l’égard des membres de la Bande à Baader, et de la considérationpour les « luttes seventies ».

D’autre part, la lecture proposée par le journaliste Philippe Azoury, de la représentationde Bobby Sands par Steve McQueen, semble signifier explicitement son admiration pourla lutte du républicain irlandais contre l’Angleterre thatchérienne. Le prisonnier politique esteffectivement présenté comme un héros :

Libération, critique de Hunger, Philippe Azoury> (…) Bobby Sand est à la fois Jésus, l’Irlande du Nord ouvrière tout entière, le peuple

qui manque et l’addition de toutes les injustices. Un symbole en puissance.Notre corpus de textes laisse ainsi paraître une certaine inclination pour les luttes

radicales engagées contre le pouvoir établi, au sein des articles sur les films d’actualité duquotidien Libération.

Si les critiques des trois quotidiens choisis pour notre étude révèlent des partis prisidéologiques sous-jacents au jugement du film politique, les articles de Télérama, des

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Inrockuptibles et du Progrès ne semblent pas proposer de discours politique explicite. Cettequestion pourrait cependant être approfondie à partir d’un corpus plus étendu.

En définitive, cette courte analyse des propos politiques dans la critique de presse nousautorise à penser, que le journaliste culturel, dans la presse généraliste, ne se cantonnepas à une spécialisation esthétique, mais aime aussi se lancer dans des considérationsnon-esthétiques qui dessinent une position d’ordre politique. Ainsi, le critère partisan dansle jugement du film d’actualité n’appartient pas uniquement aux internautes, même si cesderniers l’invoquent de manière plus ostensible.

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Conclusion

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Conclusion

A l’heure de la presse en ligne, les discours d’internautes et les discours journalistiques surles films d’actualité cohabitent dans l’espace du journal virtuel. Le journaliste critique n’estplus l’unique acteur à publier des discours au sein des médias : il est désormais commenté,critiqué au sein des réactions d’internautes, ou accompagné par la publication d’avis delecteurs sur une même page web. Au terme de notre analyse, nous pouvons dire quel’introduction de la parole critique profane dans les médias ne tend pas, au sujet du cinéma,à déstabiliser ou concurrencer la posture d’autorité occupée par les journalistes-critiques ausein de l’espace public du cinéma. Même si l’internaute propose parfois des commentairesqui, par leurs modalités énonciatives et leurs critères de jugement, se rapprochent de lacritique professionnelle, une différence fondamentale subsiste entre les discours expertset les discours profanes. Celle-ci tient au fait que les internautes lambda ne disposent pasd’identité institutionnelle. Le journal, en tant que destinateur, confère en effet une certainelégitimité au sein de l’espace public du cinéma, aux discours des critiques culturels qu’ilaccueille au sein de son comité de rédaction. Au moment où de nouveaux acteurs critiqueset de nouveaux espaces d’expression sur le cinéma apparaissent, cette reconnaissanceinstitutionnelle assure la pérennité de la posture d’autorité des journalistes de cinéma.

Néanmoins, ce mémoire nous a permis de montrer, que les espaces consacrés auxinternautes sur les sites de presse introduisent de nouvelles manières d’écrire sur les filmsd’actualité au sein de la presse généraliste et culturelle. Le journal devient un lieu oùcohabitent discours critique et discours d’opinion, analyse distanciée des modalités d’uneœuvre cinématographique et évocation de l’expérience sensible d’un spectateur singulier.Les acteurs de ces nouveaux espaces d’expression au sein des médias se distinguentles uns des autres par la posture énonciative et le régime d’engagement qu’ils adoptentdans leurs discours. Ainsi, l’engagement, sous le régime de l’opinion ou du partage, quicaractérise la plupart des discours d’internautes, contraste avec l’engagement distancié quiapparaît dans le discours du journaliste de cinéma et d’une minorité d’internautes. C’est ence sens que de nouvelles manières d’écrire sur le cinéma sont introduites dans l’espacedu journal. Aux côtés des journalistes aux postures péremptoires, la majorité des discoursd’internautes signifient, quant à eux, la possibilité de discuter et de débattre les jugementsénoncés.

L’analyse des titres, des critères d’analyse et des critères de jugement que nous avonsmené en dernier lieu, tend à confirmer l’hétérogénéité qui caractérise la critique profanesur les sites de presse. Discours sur les modalités esthétiques de l’œuvre, jugementsidéologiques, commentaires sur le jeu des acteurs, sur les choix scénaristiques, conseilsaux spectateurs se côtoient dans un même espace. L’étude de notre corpus montreque, même si l’évaluation des internautes invoque souvent des critères de jugementsimilaires à ceux de la critique professionnelle, elle semble présenter deux spécificités.D’une part, le critère du plaisir procuré par la projection du film apparaît plus fréquemmentau sein des commentaires d’internautes que dans la critique de presse. D’autre part, lerecours à des arguments d’ordre politique ou idéologique dans l’évaluation d’une œuvrecinématographique semble plus explicite dans le discours des internautes. Ces deuxtendances, que nous avons mis en évidence, participent à diversifier les manières de jugerun film d’actualité au sein de l’espace du journal.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Afin de poursuivre l’analyse du contenu des discours critiques, qui cohabitent surles sites de presse, il serait intéressant d’entreprendre une étude des lexiques employéspar les internautes et les journalistes au sujet de nos trois films. Une comparaison desréférences culturelles (cinéphiles, plastiques, littéraires, historiques, musicales, etc.) desdifférents énonciateurs de discours sur les films d’actualité serait également nécessaire,afin de préciser leurs identités, mais aussi l’identité des journaux au sein desquels ilss’expriment, en matière de cinéma.

En définitive, ce mémoire permet de postuler l’existence de clivages discursifs etinterprétatifs au sein d’une critique profane qui s’exprime sur les sites de presse. Ce qui nousinvite aussi à repenser la catégorisation des discours critiques que nous avions introduiteau début de notre réflexion. En appréhendant les discours critiques à partir de leurs lieuxd’énonciation, la distinction fondamentale résidait dans l’opposition professionnel/profane.Or les résultats de notre travail indiquent que les catégories du discours profane et dudiscours professionnel ne sont pas nécessairement pertinentes pour envisager la diversitédes discours critiques au sein de l’espace public du cinéma. Il serait intéressant, dans laperspective d’une nouvelle étude, d’interroger la critique de film en fonction des clivagesculturels qui divisent le public du cinéma. On pourrait en effet entreprendre l’examen de cesdiscours critiques, de manière à déterminer si les différentes catégories que nous avonsici dégagées, recouvrent ou ne recouvrent pas les divisions qui caractérisent le public ducinéma.

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Bibliographie

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Bibliographie

Ouvrages

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BOUJUT Michel, 1996, La promenade du critique, Institut Lumière-Actes Sud, 152pages

BOURDIEU Pierre, 1979, La distinction, critique sociale du jugement de goût, Minuit,Paris

CASETTI Francesco, 1990, D’un regard l’autre, le film et son spectateur, CollectionRegards et écoutes, 205 pages

CIMENT Michel et ZIMMER Jacques (dir.),1997, La critique de cinéma en France,Ramsay-Cinéma, 424 pages

CRETON Laurent, 2005, L’économie du cinéma, Armand-Colin, 128 pagesDE BAECQUE Antoine, 2003, La cinéphilie, Hachette Littératures, 405 pagesFRODON Jean-Michel, 2008, La critique de cinéma, Cahiers du cinéma-SCEREN-

CNDP, 95 pagesHABERMAS Jürgen, 1997, L’espace public, Editions Payot et Rivages, 324 pagesJAMET Claude et JANNET Anne-Marie, 1999, La mise en scène de l’information,

L’HarmattanJAMET Claude et JANNET Anne-Marie, 2000, Les stratégies de l’information,

L’Harmattan, 313 pagesJULLIER Laurent, 2002, Qu’est-ce qu’un bon film ?, La dispute, 251 pagesKERBRAT-ORECCHIONI Catherine, 2009, L’énonciation, 4ème edition, Collection U,

Armand Colin, 267 pagesLAMIZET Bernard, 1992, Les lieux de la communication, Philosophie et Langage,

Mardaga, 347 pagesMAINGUENEAU Dominique, 2005, Analyser des textes de communication, Armand

Colin, 211 pagesMEJEAN Jean-Max, 2005, Comment parler de cinéma ?, L’Harmattan, 206 pagesMOUILLAUD Maurice et TETU Jean-François, 1989, Le journal quotidien, Presses

Universitaires de Lyon, 204 pagesPINEL Vincent, 1964, Introduction au ciné-club, collection "Vivre son temps", Les

Editions Ouvrières

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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PREDAL René, 2004, La critique de cinéma, Armand Colin, 128 pages

SULLET-NYLANDER Françoise, 2002, Titres de presse et polyphonie, Actes duquinzième congrès des Romanistes scandinaves

Revues et articles

ALLARD Laurence, 2000, Cinéphiles à vos claviers !, Réseaux, N° 99, CENT/HermèsScience Publications, pages 133-165

CARDON D., HEURTIN J.P, LEMIEUX C., 1995, Parler en public, Politix, volume 8,pages 5-19

Dossier : La critique culturelle, positionnement journalistique ou intellectuel ?, 2006,Quaderni, N° 60, pages 51-105

Filmographie

EDEL Uli, 2008, La bande à Baader, 145 min.

MCQUEEN Steve, 2008, Hunger, 100 min.

MEIER Ursula, 2008, Home, 97 min.

CENTRE GEORGES POMPIDOU, 2008, Où va la critique ? Nouveaux objets,nouveaux supports, nouveaux acteurs, 1/12/2008, Centre Georges Pompidou,www.ouvalecinema.centrepompidou.fr.

CINEMATHEQUE FRANCAISE, 2008 , La critique de cinéma et le défi internet : de larevue au blog , 06/07/2008, Cinémathèque française, www. cinema theque.fr/fr/nosactivites/ cine ditions/ cine ditions-video/ critique - internet .html ,118min.

Webographie

www. telerama .fr/ cinema /

www. liberation .fr/ cinema ,58

www. lemonde .fr/web/sequence/0,2-3476,1-0,0.html

http://www.lefigaro.fr/cinema/

www.les inrocks .com/ cine /

www.le progres .fr/fr/.../ cinema /index.html

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

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Annexes

Annexe 1 : Résumés des films de l’étude,présentation des réalisateurs

HOME de Ursula Meier

RÉSUMÉ DU FILMAu milieu d'une campagne calme et désertique s'étend à perte de vue une autoroute

inactive, laissée à l'abandon depuis sa construction. Au bord du bitume, à quelques mètresseulement des barrières de sécurité, se trouve une maison isolée dans laquelle vit unefamille. Les travaux vont reprendre et on annonce l'ouverture prochaine de l'autoroute à lacirculation...

LA REALISATRICE URSULA MEIERAncienne élève de l'Institut des arts de diffusion de Bruxelles (IAD), Ursula Meier y

fait ses études de 1990 à 1994 avant de travailler aux côtés d'Alain Tanner pour 'Fourbi'.Elle passe à la réalisation pour des moyens métrages de fiction puis des documentaires,s'intéressant autant à l'écrivain Robert Pinget qu'à une fête qui vire au psychodrame dans'Tous à table'. Pour le département DV d'Arte, qui diffuse des films réalisés avec descaméscopes numériques, la cinéaste tourne 'Des épaules solides', un portrait à vif d'unejeune athlète. Son premier long métrage de cinéma, 'Home', est salué : un film iconoclasteavec Isabelle Huppert et Olivier Gourmet qui ressemble à un road-movie, à ceci près queles héros regardent passer les voitures.

HUNGER de Steve McQueen

Récompensé par la Caméra d’Or dans la catégorie Un certain Regard àCannes en 2008

RÉSUMÉ DU FILMPrison de Maze, Irlande du Nord, 1981. Raymond Lohan est surveillant, affecté au

sinistre Quartier H où sont incarcérés les prisonniers politiques de l'IRA qui ont entamé le'Blanket and No-Wash Protest' pour témoigner leur colère. Détenus et gardiens y viventun véritable enfer. Le jeune Davey Gillen vient d'être incarcéré. Il refuse catégoriquementde porter l'uniforme réglementaire car il ne se considère pas comme un criminel de droitcommun. Rejoignant le mouvement du Blanket Protest, il partage une cellule répugnanteavec Gerry Campbell, autre détenu politique, qui lui montre comment passer des articles encontrebande et communiquer avec le monde extérieur grâce au leader Bobby Sands qu'ilscroisent lors de la messe dominicale. Lorsque la direction de la prison propose aux détenusdes vêtements civils, une émeute éclate. Au cours des échauffourées, les prisonniers

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Annexes

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détruisent les cellules neuves où ils avaient été installés. La rébellion est matée dans lesang. La violence fait tache d'huile et plus aucun gardien de prison n'est désormais ensécurité. Raymond Lohan est abattu d'une balle dans la tête. Bobby Sands s'entretient alorsavec le père Dominic Moran. Il lui annonce qu'il s'apprête à entamer une nouvelle grève dela faim afin d'obtenir un statut à part pour les prisonniers politiques de l'IRA. La conversations'enflamme. Malgré les objections du prêtre, qui s'interroge sur la finalité d'une telle initiative,Bobby est déterminé : la grève de la faim aura lieu...

LE REALISATEUR STEVE MCQUEENAprès des études à la Chelsea School of Art et au Goldsmith's College londoniens,

Steve McQueen complète sa formation en passant un an à la Tisch School of the Arts deNew York. Il ne tarde pas à se faire un nom dans le monde de l'art contemporain, grâce àdes vidéos expérimentales volontiers dérangeantes, et souvent influencées par le cinéma.Dans une de ses installations les plus fameuses, il revisite un gag de Buster Keaton issude Steamboat Bill Jr : une maison s'écroule sur un homme qui ressort indemne, son corpsayant traversé une fenêtre. Exposé dans les plus grands musées, du Guggenheim à laTate Gallery, il décroche en 1999 la récompense la plus prestigieuse décernée à un artistebritannique : le Turner Prize.

LA BANDE A BAADER de Uli EdelRÉSUMÉ DU FILMDans les années 1970, l'Allemagne est la proie d'attentats à la bombe meurtriers. Sous

la conduite d'Andreas Baader, Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin, une nouvelle générationradicalisée entre violemment en guerre contre ce qu'ils perçoivent comme le nouveauvisage du fascisme : l'impérialisme américain soutenu par les membres de l'establishmentallemand, dont certains ont un passé de nazi. Leur objectif est de créer une société plushumaine. Mais en employant des moyens inhumains, en répandant la terreur et en faisantcouler le sang, ils perdent leur propre humanité.

LE REALISATEUR ULI EDELAprès avoir étudié le théâtre à l'université, Uli Edel intègre la Munich Film School aux

côtés de Bernd Eichinger. Il obtient son diplôme et travaille en tant qu'assistant réalisateurde Douglas Sirk sur deux téléfilms. En 1981, il retrouve son ami Eichinger qui produit sonpremier film Moi, Christiane F...13 ans, droguée et prostituée, film choc qui s'avère unsuccès critique et public inattendu. Le couple se retrouve huit ans plus tard pour le trèscontroversé Dernière Sortie pour Brooklyn, adapté du best-seller d'Hubert Selby Jr.. Le filmest un nouveau succès critique et confirme la bonne réputation du cinéaste, malgré unaccueil mitigé du public. Ses films suivants son des échecs, tant publics que critiques, le plusgrand étant Body avec Madonna en 1993, qui obtient six nominations aux Razzie Awards. Al'inverse, il réalise plusieurs épisodes de la série à succès Oz. En 2008, il redore son blasonen réalisant La Bande à Baader, une fiction centrée sur le groupe terroriste allemand.

Annexe 2 : Critiques de presse sur le film HomeInrockuptibles , Critique de Home , 29/10/2008

Home de Ursula Meier - 2008Avec Isabelle Huppert Olivier Gourmet Adelaïde Leroux

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La vie d’une famille vire au cauchemar lorsque s’ouvre une autoroute au bord de leurjardin. Un premier film intrigant.

Créé le 29 octobre 2008 - par Jacky GoldbergHome aurait aussi bien pu s’appeler De l’influence des pots d’échappement sur le

comportement des marguerites, tant, à l’instar du chef-d’œuvre de Paul Newman, il se situeà la croisée miraculeuse (et plutôt rare sous nos latitudes) de deux influences opposées :le classicisme américain (et ses continuateurs), pour qui la famille est le ciment nécessaireet suffisant de toute vie en collectivité, et une certaine modernité européenne, qui neconçoit la famille que sous un angle conflictuel, névrotique. Aussi, ce qui se joue dansle film d’Ursula Meier, c’est la lente contamination d’un projet par l’autre, le passage dubucolisme emmersonien au “familles, je vous hais” d’André Gide ; soit l’horizon, utopiqueet néanmoins désenchanté, du cinéma américain des seventies, de ceux (Malick, Cimino,auxquels on pense parfois ici) qui vénéraient Ford mais avaient déjà trop vu Bergman. Dansses premiers plans, Home ressemble à un épisode de La Petite Maison dans la prairieoù Patti Smith aurait pris le rôle de Laura Ingalls : la tribu formée par Isabelle Huppert,Olivier Gourmet et leurs trois mouflets jouit d’un bonheur décomplexé que rien, pas mêmela nudité provocatrice d’une des filles ou la pudeur excessive de l’autre, ne semble pouvoirébranler. L’autoroute qui borde leur maison, perdue au milieu des champs de blé, est depuislongtemps désaffectée ; un petit mur a été construit, quelques glissières de sécurité sontposées là, mais personne ne vient entraver la quiétude de ce jardin d’Eden un peu destroy,qu’une voiture, un autobus scolaire et la radio maintiennent en contact précaire avec lemonde extérieur.

Les personnages, vierges d’intentions, n’ont d’autre passé que le surmoi cinéphiliquede leur acteur : on sent bien qu’Isabelle Huppert doit cacher quelque terrible névrose, ou quel’ogre Gourmet (le plus américain des acteurs francophones, aussi à l’aise ici qu’il l’est avecses postiches dans Mesrine et Coluche) ne demande qu’à se réveiller, mais la réalisatrice,rusée, déjoue nos attentes, en tout cas dans un premier temps. Au scénario de la spiralenévrotique, inévitable dès lors que la route est regoudronnée (belle scène, à la lisière dufantastique) et que l’incessant brouhaha des voitures (admirable travail sur le son) instaureson diktat, Ursula Meier oppose, aussi longtemps que possible, celui de la comédie illusoiredu bonheur – “faisons comme si” –, et y trouve matière à un lyrisme de bric et de broc,magnifiquement photographié par la chef op de Claire Denis, Agnès Godard. Que le traitsoit par endroit forcé (les délires de la fille scientifique) et la dernière partie, claustrophile, unpeu moins réussie – bien que la tension horrifique y soit par instant saisissante (on penseà Bug de Friedkin) – importe finalement peu face à l’extraordinaire envie de cinéma d’unejeune réalisatrice, et à sa réjouissante confiance dans les forces vives de son art.

Le Figaro , Critique de Home , 29/10/2008

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Libération, Critique de Home, 29/10/2008

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Le Monde, Critique de Home, 29/10/2008

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Télérama , Critique de Home , 01/11/2008

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Annexe 3 : Discours des internautes sur le film Home

Inrockuptibles , Commentaires des internautes sur Homesuperglaces : une vraie leçon de cinéma - dimanche 2 novembre 2008 21:51Home est un film troublant et angoissant. Mais le plus surprenant est que la réalisatrice

parvient à nous faire ressentir physiquement le bruit aliénant des vrombissements demoteurs, et la sensation d’étouffement et d’asphyxie des personnages qui se retrouventcloîtrés dans leur maison murée. www.superglaces.com

Télérama , Avis des lecteurs sur Home

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babeloueb - le 25/01/2009 à 12h10 Que vient faire ce film dans la sélection Télérama ?Oui je sais chaque année dans la sélection, il y a un "truc" qui fait tache. Cette année c'estHome; Le début est plutôt bien fait, on sent un début de suspens avec cette famille tropheureuse pour être honnête, ce lieu plutôt bizarre....et puis ...plus rien. Même la qualité desacteurs ne sauve pas ce film raté où l'on s'ennuie...

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chivoulse - le 7/12/2008 à 20h32 ..., comme une vision déséspérée de notre viemoderne, où l'on n'a le choix qu'entre l'asphixie sociale ou l'enfermement et la mort.Bizzarement, j'ai l'impression que peu de critiques ont vu cette dimension pourtant tellementévidente pour moi et qui donne tout son sens au film.

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chivoulse - le 7/12/2008 à 20h31 Un des plux beaux films que j'aie vu dans mavie. C'est drôle, tendre et dérangeant. Un film qui m'a fait penser à Gena Rowlands dansun film de Cassavetes et à Jacques Tati. Et puis, juste au moment où l'on commence àse demander où l'histoire de cette famille peut bien mener, le film prend une toute autredimension, allégorique, comme une vision déséspérée de notre vie moderne,

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chambol76 - le 7/12/2008 à 11h27 Fable moderne d'une famille fragile , balloté entrevie sociale et repli sur soi -pour ne pas dire confinement. Le lien extérieur, c'est la routepuissante et dominatrice, un flux d'ailleurs auquel tentent d'échapper les protagonistes parpeur de perdre l'élément fusionnel qui les relie ... Tout est exprimé par l'image et le son etprovoque de multiples questionnements. Direction d'acteurs superbe

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darlinf - le 7/12/2008 à 09h58 bravo J'ai beaucoup aimé ce film surréaliste oùl'absurde règne en maître. La route, brutalement mise en service après un répit d'un an,qui avait généré l'espoir une famille de riverains monstrueusement scotchée à ce no man's

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land sans âme. Les deux mondes ne s'affrontent pas ils errent sur leur rails respectifs versle néant.

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jlb93 - le 10/11/2008 à 16h23 J'ai reçu ce film comme une parabole sur la marge, ou lamarginalité. Peut-on vivre durablement heureux dans la marge ? Peut-on y vivre entièrementsurtout ? Et non pas un pied dedans, un pied dehors. Sans se mettre en danger. En dangerde mort. J'ai compris que la cinéaste répondait finalement "Non". Une façon de dire quenous sommes condamnés à la vie moderne. En faisant avec ses incohérences.

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lll.sophie.lll - le 9/11/2008 à 15h27 Fable familiale et sociétale qui pointe absurditéset précarités de l'"équilibre" familial et de notre vie "moderne". On assiste totalementimpuissants - et pas forcément intéressé... qui se soucie de ces beaufs menés par unefolle ? - au glissement d'1 folie douce et insouciante vers la psychose familiale morbide.Traitement original mais on se fou un peu du devenir de ces Groseille post modernes.

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Melanie G. - le 9/11/2008 à 00h50 Film d'une extraordinaire finesse. Gourmandisesucrée-salée -salée surtout- qui se déguste à chaud et à froid. L'exercice de style : partird'une idée commune dans les films sociaux : dépossession d'une maison à cause d'un axe(auto)routier, est délectable du fait qu'un mi-jeu s'instaure, celui-là même qui retourne et leton du film et nos attentes. Un délice qui se digère tout doucement.

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diapree - le 6/11/2008 à 16h32 Une maison près d'une autoroutedésaffectée,une famille qui "s'éclate" dans cet espace,leur "Home"...1er film de UrsulaMeier,original,certes,mais étouffant comme l'enfermement qui guette la famille dès lorsque l'autoroute reprend du service.Les névroses intimes refont surface notamment chez lamère,fragile,éternelle-petite fille.Film angoissant,inquiétant,sorte de fable noire et décalée ...

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christo - le 5/11/2008 à 00h48 Le film est dérangeant, inconfortable -avec un scénariototalement inédit- et l'angoisse et la drôlerie s'y cotoient étroitement.

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traversay - le 3/11/2008 à 22h32 Au début, il règne un climat étrange dans cette maisonau bord de l'autoroute déserte, avec cette petite famille qui vit repliée sur elle même. Et puis,cette maudite autoroute est ouverte, et l'atmosphère devient irrespirable. La maison devientle lieu de toutes les névroses : agoraphobie, claustrophobie, et autres phobies qui tournentau cauchemar. Home de Ursula Meier est un film angoissant, inclassable dans son genre,entre Répulsion de Polanski et Le septième continent de Haneke. L'exercice tourne peu àpeu à vide et devient redondant au point que le spectateur se demande : tout ça, pour quoi ?Malgré le malaise ambiant, ce film anxiogène interpelle fortement. Mais où ? Quelque part !

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brigar - le 3/11/2008 à 11h36 Comédie originale, au ton décalé, bons dialogues, trèsbons acteurs. Une famille unie vit heureuse au près d'une autoroute non encore utilisée(depuis 10 ans). Evolution des liens familaux, à partir de la mise en service de l'autoroute.Tensions, folie... intelligence du scénario, qui ne faiblit jamais. A voir, même si, a priori, cen'est pas votre genre de film (comme pour moi!).

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doudou1 - le 1/11/2008 à 22h15 Un huis clos original (car en plein air !) . Voici unconte sur l'enfermement, que l'on peut trouver drôle au début, et qui devient très oppressantà la fin. (Claustrophobe s'abstenir ! ) Mention spéciale au petit Julien.

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sorciereviolette - le 1/11/2008 à 17h59 trop bien dans le decalage et la vie modernequi bouscule tout....superbe famille heureuse mme si on sent les failles ...n'est ce pas plustot la vie moderne qui est anormale??on peut se poser la question!et le derisoire de leur

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combat pour essayer de sauver leur "petit paradis" condamne... la fin peut ressembler aune liberation:de l'air! acteurs excellents ..

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Faulkner - le 31/10/2008 à 21h43 Une famille qui s'invente une vie rien qu'à elle. Et quivit une invasion d'extraterrestres du monde moderne. Il y a les extraterrestres ouvriers, quiremettent en état l'autoroute, froidement, sans les voir. Et il y a les usagers automobilistes,odieux dans leur comportement de consommateurs d'asphalte. La vie moderne est en route.Et il s'agit de s'en préserver. Un film complètement barré. A voir

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fran7 - le 31/10/2008 à 19h30 Bravo aux interprêtes, au cinéaste quant à la facturemais j'ai pas compris grand chose à cette fable allégorique avec cette mère un peu dérangéeque sa liberté enferme elle et les siens dans une spirale sectaire étouffante et mortifèrequand la normalité débarque . La Dass en vrai ne la râterait pas !. J'ai pensé à Mosquitocoast où l'intransigeance se révèle aussi dangereuse.

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nounouchka - le 29/10/2008 à 17h06 film assez bon, original, supers acteurs, enrevanche qui peut m'éclairer? je n'ai pas saisi la fin? merci d'avance à l'internaute quis'interressera à mon désaroi!

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pinkola60 - le 29/10/2008 à 16h20 Cette famille, je l'adopte, envers et contre tout! Dela vie dans tous ses états.. Où est ce que je signe? tant pis pour l'autoroute..

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Annexe 4 : Critiques de presse sur le film HungerInrockuptibles, critique de Hunger, 26/11/2008

HUNGER de Steve McQueen – 2008Avec Liam Cunningham Michael FassbenderLa grève de la faim de prisonniers de l’IRA métamorphosée en cruxifixion enluminée,

filmée avec une outrance gênante par le plasticien Steve McQueen.Créé le 26 novembre 2008 - par Serge KaganskiA l’instar de There Will Be Blood, Hunger semble susciter un unanimisme critique

dont on entrevoit les motifs mais que l’on ne partage pas. Comme le film de Paul ThomasAnderson, celui de Steve McQueen a tous les attributs du faux chef-d’œuvre, objet quiséduit par son “grand sujet” et des partis pris formels très affirmés. Or, c’est précisément ceformalisme brandi en étendard qui nous refroidit et nous laisse un arrière-goût d’égotismeartistique un brin assommant. Cette surmaîtrise démiurgique finit par écraser son sujet.Dans Hunger, on finit par ne plus voir une dénonciation de la toute-puissance à tendancefascisante d’un Etat mais un cinéaste qui clame, à chaque plan : “Hey, regardez comme jesuis virtuose, inventif et politiquement radical !” Ou bien, on ne voit que trop cette critiquedu traitement de la question irlandaise par l’Angleterre de Thatcher, surlignée à chaqueseconde, et on finit par supplier mentalement le cinéaste d’arrêter de nous enfoncer dans latête à grands coups de force esthétiques un message que l’on a parfaitement reçu. Là oùtout le monde semble voir cohérence, courage plastique et radicalité, on ressent insistancelourde, vanité formaliste et posture radicale sans risques. Hormis quelques scènes au débutdu film, on est enfermé avec les détenus politiques irlandais et on ne sortira pas ou peu de cepoint de vue carcéral. La situation est claire : les prisonniers irlandais sont les victimes, lesgardiens sont les auxiliaires brutaux d’une ligne thatchérienne autiste. Les seules solutionsde résistance que trouvent les détenus face aux agissements du pouvoir anglais consistenten une série d’actions qui vont de la grève de la propreté à la grève de la faim du leaderBobby Sands. Dans ce bras de fer de la dernière chance, Sands gagnera son honneur maislaissera sa vie. Bien sûr, ces événements sont basés sur des faits réels, et que l’on soitsensible ou non à la cause des nationalistes irlandais ou aux méthodes contestables del’IRA, on sympathise sans trop d’efforts avec le positionnement politique de McQueen etavec le juste combat des détenus pour être traités comme des prisonniers politiques, selonles règles qui devraient être celles d’un Etat de droit. Le problème du film n’est donc passon propos mais la façon dont il l’assène, renforçant le manichéisme de la situation au lieude le complexifier, dans une surenchère tautologique entre forme et fond. On peut quandmême remarquer en premier lieu que dénoncer avec une telle vigueur une situation quiremonte à une trentaine d’années relève plus d’un certain confort moral que d’un grandcourage politique. Alors que la distance historique appelait recul et amplitude analytique,il est curieux que McQueen ait opté pour le pamphlet radical, comme s’il combattait unesituation contemporaine et urgente. Ensuite, on a l’impression que l’auteur ne fait pasconfiance au spectateur en lui enfonçant son message au pilon identificateur. Gros planssur des corps tuméfiés et des visages en souffrance, caméra n’esquivant aucune humeurcorporelle (sueur, sang, pisse et merde sont au programme), bande-son riche en râles,cris, silences pesants, mise en scène sulpicienne dans les séquences de la grève de lafaim qui ne nous épargnent aucune dégradation physique, aucune posture christique : il estpatent que McQueen n’entendait pas seulement décrire une situation politique, mais la faireressentir physiquement au spectateur, lui mettre littéralement le nez dans la merde, les yeux

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dans les plaies et autres scarifications. Méthode de mise en scène contestable qui rappellecertains films de Michael Haneke, et qui consiste à mettre un réel talent formaliste auservice d’une secousse culpabilisante du spectateur. Méthode tartufienne de pornographepuritain : dénonçons ces brutalités que je me complais à filmer sous tous les angles.Méthode politique tout aussi contestable qui consiste à sensibiliser le public par l’émotion,le sensationnalisme et la compassion plutôt que par la complexité d’un récit et l’analyse desmécanismes et des rapports de force qui aboutissent à de telles situations. Il y a pourtant,au cœur de Hunger, un moment proche du génial : un plan-séquence fixe d’une dizainede minutes qui montre deux hommes de profil dialoguant face à face – Bobby Sands etl’aumônier de la prison. Ils débattent longuement et paisiblement des relations Angleterre-Irlande, de la cause politique irlandaise, des différentes méthodes de lutte, des raisons etlimites de la violence… La scène est extraordinaire par la simplicité et la puissance de sondispositif, la qualité de son dialogue, le souffle impressionnant des deux acteurs. Articuléesur la parole, elle est l’antithèse du reste du film et représente une salutaire pause. On voitbien que le réalisateur a placé cette séquence au milieu de son film pour donner quelquesrepères politiques mais surtout pour créer un effet de contraste fort qui met en exerguel’univers sauvage et sans parole de l’arbitraire carcéral. Mais cette scène éclaire aussi acontrario les limites d’un formalisme compassionnel qui semble indiquer que la conscienced’un événement ne peut advenir que si l’on regarde longuement et intensément le spectacleradical de la souffrance. Le poids magnifique des mots injecté par Steve McQueen au cœurde son projet se retourne à son corps défendant contre lui en dénonçant le choc chic deses images.

Le Figaro , Critique de Hunger , 26/11/2008

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Le Progrès , Critique de Hunger , 26 /11 /2008

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Le Monde , Critique de Hunger , 26/11/2008

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Libération, Critique de Hunger, 26/11/2008

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Télérama , Critique de Hunger , 29/11/2008CRITIQUE POUR On n'a pas oublié son nom. Ni sa photo en noir et blanc, toujours la même, que la

télévision rediffusait et sur laquelle on voyait son visage souriant. Bobby Sands, symboledes républicains irlandais, s'est éteint le 5 mai 1981 après une grève de la faim de soixante-six jours. Marqué à jamais comme beaucoup d'autres par cet événement, Steve McQueen,connu jusque-là comme l'un des plasticiens britanniques les plus inspirés, revient dessusen réalisant son premier long métrage de cinéma. Ce n'est pas le premier artiste à changerde discipline, mais c'est l'un des rares à réussir un passage aussi impressionnant.

Rappelons brièvement les faits. Fin 1976, pour réclamer le statut de prisonnierspolitiques, les membres emprisonnés de l'IRA (l'Armée républicaine irlandaise) refusent deporter le moindre vêtement et restent nus, enroulés dans une couverture («blanket protest») . Dans un second temps, ils refusent de se laver (« no wash ») et se soulagent à même lesol. Pour peu qu'on ait oublié le degré d'abjection et de violence atteint dans cette prison deMaze, située en Irlande du Nord, Steve McQueen nous le rappelle sans prendre de gants. Il

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filme les murs des cellules entièrement recouverts d'excréments, l'urine déversée dans lescouloirs, les asticots qui grouillent par terre.

C'est à la fois répugnant et beau comme peuvent l'être certaines allégories de Goya oudu Caravage. Consigner les faits de manière méthodique et les transcender, voilà la forcede cette plongée dans le quotidien de la prison, où l'on suit d'abord deux prisonniers, Daveyet Gerry, qui font l'effet d'hommes des bois réfugiés dans une grotte. Nul dialogue : SteveMcQueen fait confiance à la puissance et de l'image et du son, en fragmentant le récit.Chaque séquence, autonome, est un concentré de tension qui menace de nous exploserau visage.

Filmer de manière viscérale un combat collectif puis individuel, tel est l'enjeu. Les unsfrappent et contraignent, les autres endurent et résistent. Résistance : un terme brandiaujourd'hui à tort et à travers, mais qui retrouve son sens premier dans cette célébration ducorps en lutte. Le système d'oppression a ses failles. Non seulement la violence des forcesbritanniques peut se retourner contre elle-même - ce gardien qui a les mains en sang àforce de cogner -, mais les prisonniers possèdent eux aussi une arme, à la fois dérisoireet magnifique : le corps et tout ce qu'il permet. Ce qu'il sécrète comme ce qu'il dissimule.Bouche, nez, anus, n'importe quel orifice fait l'affaire pour planquer des messages et lesfaire circuler.

Les cris ou le silence contre le joug d'une voix - celle qu'on entend un moment,surplombante et inflexible, de Margaret Tchatcher. Steve McQueen aurait pu se contenterde ce combat sans dialogue possible, mais la facilité n'est pas sa tasse de thé. Il va doncconsacrer son contraire. Et c'est justement avec Bobby Sands (Michael Fassbender) que leflot de paroles jaillit, dans la seconde partie du film, à travers un long plan-séquence sidérant(de vingt-deux minutes !) où le militant républicain s'entretient avec un prêtre catholique.Ce dernier, fin débatteur, entreprend tout pour le dissuader d'entamer sa grève de la faim.L'affrontement oppose cette fois des hommes du même camp. L'engagement jusqu'au-boutiste de Bobby Sands mène à un abîme de réflexion. Que défend-il à travers son geste ? Lui-même ou la cause de l'IRA ? Sa vie ou son sacrifice ? La discussion est acharnée.Poignante aussi, car les deux évoquent des souvenirs d'enfance et pressentent l'imminenced'une issue fatale. S'ensuit le long calvaire, au cours duquel Steve McQueen azure letableau. Le corps bleuâtre et rongé d'escarres de Bobby Sands déteint sur les murs. Dansun silence de glace, le prisonnier devient une étrange créature de sable ou de verre. Cesmoments où l'aide-soignant, au regard traduisant toute la compassion du monde, veilleà ce que rien ne pèse - pas même un drap ! - sur le corps décharné de Bobby Sandssont bouleversants. Face à cet homme qui réclame la plus grande douceur, la violence estsoudain vaincue.

Jacques Morice

CONTRE Juste une question : une oeuvre d'art doit-elle exhiber ou suggérer ? Lesscènes d'amour sont-elles plus intenses si l'on voit s'activer les sexes ? Torture-t-on defaçon plus efficace si l'on montre des lames déchirant les chairs... ? A ces interrogations,ce premier film répond par l'affirmative. Steve McQueen semble convaincu que plus onsouligne, plus on convainc. Une conversation philosophique, à ses yeux, ne vaut que sielle est filmée, de façon ostentatoire, en un plan fixe de vingt minutes. Ses matons nedonnent pas dix coups de trique sur les prisonniers, mais cent, là encore dans la durée.Et lorsque son héros meurt, ses plaies christiques sont détaillées et fouillées. Bref, on estdans l'hyperréalisme. Mot d'ordre du cinéaste : j'insiste, donc je suis. Le spectateur, lui,n'est pas là pour penser (ou contredire ou, pourquoi pas, rêver à un autre film...). Il n'est

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là que pour obéir : à la thèse, au dispositif de l'auteur. Mais le cinéma de propagande dejadis, qu'il soit américain ou soviétique, ne procédait pas autrement. Contrairement aux paysanglo-saxons, notre culture est fondée sur la litote. Racine et Corneille faisaient assassinerleurs héros en coulisses et seul le Grand-Guignol, ô combien méprisé, osait balancer surscène - au propre comme au figuré - tripes et boyaux. En un temps où l'abus d'images auraittendance à nous rendre aveugles, faut-il, comme Steve McQueen, croire l'épure obsolète ?Peut-être, mais alors, c'est vraiment grave.

Pierre Murat

Annexe 5 : Discours des internautes sur le filmHunger

Le Figaro, Avis des internautes sur Hunger

3 Avis | Premier avis de Pierrede anttoine.fle 10.12.2008 Un film, un vrai film mais dur effectivementbeaucoup mieux que les deux étoiles que vous lui donnez c'est surtout lorsque comparé

aux autres films mieux notés !!! notation à revoir merci pour le cinéma ou bien alors abstenezvous de commenter des films qui ne sont pas du cinéma mais du simple film vidéo A bonneentendeur. Allez voir ce film qui est d'une puissance incroyable, tout en silence et cri derage, le rythme est lent et soutenu à la fois haletant du début à la fin

de Clarale 03.12.2008 un film pour se secouer de sa torpeur!Un film dur, d'accord...mais d'une telle force qu'il mérite mieux que les deux étoiles que

vous lui donnez..D'accord, ça fiche la trouille d'aller le voir, mais mesurer ce que les humainssont capables de faire pour que leur dignité soit reconnue, ça oblige chacun à réfléchir sursoi-même... le genre de réflexion très individuelle qui toutefois fait du bien à tous!

de Pierrele 29.11.2008 Un film durOn comprend vite à quoi on va avoir affaire dès les 5 premières minutes. Pas de

musique, des plans étirés à leur maximum et l'ennui qui pointe le bout de son nez assezrégulièrement, même si je suis conscient que c'est l'intention de Steve McQueen. Malgré ça,c'est bien foutu, on parvient à compatir avec ces prisonniers prêts à tout pour leur cause etcertaines scènes sont marquantes (le dialogue avec le prêtre, le lavage des prisonniers, ...

Le Monde, réactions des abonnés

"Hunger" : Bobby Sands, corps perduDécouvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cette information.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

98 LHOUTELLIER Adèle _2009

Stan de J30.11.08 | 20h51Ce film est esthétiquement intéressant. Il reste long. Le traitement politique est un peu

complaisant. Bref, il ne mérite pas l'enthousiasme qu'on lui prête. Dans 2 ans vous l'aurezdéjà oublié.

laura l30.11.08 | 10h46Il faut vraiment connaitre peu de choses à l'Irlande pour affirmer que Bobby Sands était

un terroriste comme un autre... désolantFargo29.11.08 | 11h51Un peu trop de complaisance dans la description de l'agonie d'un type qui après tout

n'est qu'un terroriste... Surtout au vu d'événements récents...jerome g.26.11.08 | 16h19Honte à Margaret Thatcher pour avoir fait cela, il ne faut pas oublier et merci à Steve

Macqueen. A quand un film équivalent sur la grotte d'Ouvéa, pour la honte à Chirac ?MARTINE D.26.11.08 | 14h33Protestants et catholiques vivent ensemble après 800 ans de haine. Ce n'est déjà pas

mal...Jacques P.25.11.08 | 22h04Au dela de ce semble t il chef d oeuvre cinematographique consacre a l histoire de l

Eire, que font aujourd hui les citoyens de la Republique irlandaise de ceci, ou encore duVent se leve, de Ken Loach (RU). Ils vont au pub suivre le clinquant championnat anglaisde football. La cause servie semble celle du socialisme britannique.

Libération, Réactions des internautesVos commentaires13 commentaires affichés et 0 en attente de modération.RéagirPas netFlou et pas donnéPour les spectateurs tentés par cette petite bombe de forme et de contenu, éviter

absolument le MK2 Bibliothèque, la projection est floue sur 70% de l'écran, ce qui n'empêchepas la maison de vous vendre les places plein pot.

Samedi 29 novembre à 21h42Signaler au modérateur Répondreespagnol

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héros?Les terroristes sont fanatiques que tuent personnes. Qu'ils peuvent s'immoler ne les

fait pas admirables.Mercredi 26 novembre à 09h28Signaler au modérateur Répondremannix39héroïsme et justesse de la causeL'héroïsme au quotidien et une résistance hors du commun ne font pas,

obligatoirement, la justesse d'une cause.Mercredi 26 novembre à 16h12Signaler au modérateur RépondreVinceC'était la guerreIl ne faut pas l'oublier, qualifier les volontaires de l'IRA de terroriste relève d'un parti

pris à savoir être pour la colonisation de l'Irlande, accepté la soumission d'une partie de lapopulation. Car à l'époque, le recours à la violence était le seul moyen de faire bouger leschoses face à un Etat qui refusait toute concession. Non ce ne sont pas des héros, justedes gens normaux se retrouvant dans une situation anormale...

Jeudi 27 novembre à 10h44Signaler au modérateur Répondrechuckdes infoscool l'article pas un mot sur steeve mc queenMercredi 26 novembre à 18h50Signaler au modérateur Répondrecinéphiledommagevoilà tout le problème des critiques de film : on encense un film, on donne envie d'aller

le voir, et puis on gâche tout en révélant la fin.Mercredi 26 novembre à 09h59Signaler au modérateur Répondrebuna?Il me semble pourtant que la mort de Bobby Sands en 81 n'est pas passée inaperçue,

donc était-ce ironique?Mercredi 26 novembre à 12h17Signaler au modérateur RépondreJojo2

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BahJe croyais bien que Steve McQueen était mort.Mercredi 26 novembre à 13h44Signaler au modérateur RépondreAlfcinéphile pas cultivé ?Ah oui, je suis d'accord, ça avait déjà été la même chose avec les films Titanic et

JFK ! ;-))))))))))))Mercredi 26 novembre à 17h57Signaler au modérateur Répondremaximer999Le courage de faire la paixCe qui me réjouit le plus c'est que même si le conflit est entré dans l'extrémisme (et cela

des 2 cotés), la vie (et la mort) de bobby sand est là pour en témoigner, des gens courageuxont accepté de poser les armes, j'espère définitivement ...

Mercredi 26 novembre à 17h52Signaler au modérateur RépondrePoiPoiCorection SVPBonjour, Pourriez-vous corriger le fait qu'il ya eu 10 et non 9 décès: Vol. Bobby

Sands, IRA après 66 jours Vol. Francis Hughes, IRA après 59 jours Vol. Patsy O'Hara,INLA après 61 jours Vol. Raymond McCreesh, IRA après 61 jours Vol. Joe McDonnell, IRAaprès 61 jours Vol. Martin Hurson, IRA après 46 jours Vol. Kevin Lynch, INLA après 71jours Vol. Kieran Doherty, IRA après 73 jours Vol. Thomas McElwee, IRA après 62 jours Vol. Michael Devine, INL après 60 jours Merci, PS: Un très bon film et un bon article.

Mercredi 26 novembre à 17h36Signaler au modérateur Répondrebasquedes militants en lutteRésumer l'action des nationalistes irlandais à du terrorisme, c'est nier un fait

politique, social, culturel : leur expression a longtemps été niée dans un régime soi-disantdémocratique. Les bien-pensants ont bien du mal à l'admettre, mais il y a trente ans,Guantanamo ou Abou Graib existaient en Grande-Bretagne. Comme en Espagne, où l'Etata financé un terrorisme d'Etat dans les années 80 avec les Gal et torturé pendant des annéesles militants basques dans ses commissariats et ses prisons (voir les nombreux jugementsde la Cour européenne des droits de l'homme). Ce n'est pas faire l'apologie du terrorismecomme vous l'appelez que de dire cela. C'est un simple constat. Tant pis s'il vous dérange,gardez vos idées reçues, continuez à ne pas vouloir comprendre.

Mercredi 26 novembre à 11h22Signaler au modérateur Répondre

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partialpoint de vueespagnol: il y a des gens pour qui les terroristes sont les armées occidentales et leurs

dommages collatéraux et puis un jour il crie vengeance et passe à l'acte ....Mercredi 26 novembre à 10h51Signaler au modérateur RépondreTélérama , avis des lecteurs

VOS AVIS (16 commentaires)

Sueno - le 2/02/2009 à 22h25 Un document audacieux et cruel qui a le mérite denous rappeler les heures noires du conflit irlandais (dont les échos nous parvenaient bienassourdis à l'époque). Grâce à ce film qui reste d'une actualité brûlante, on ne peut rienignorer du combat poignant entre les soldats de l'IRA et leur conscience, un adversaireautrement plus redoutable que les matons de Mme Thatcher !

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grandtout - le 19/01/2009 à 17h50 Désolé pour l'erreur, c'est un curé et non un pasteur.Evidemment, quand on est irlandais pur jus... Je ne vais pas me sacrifier pour autant.

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grandtout - le 19/01/2009 à 17h49 Bonne ou mauvaise conscience.... Accrochez-vous. Comment voir ce qui est difficile à soutenir, quelqu'un qui veut mourir pour ses idées.J'ai aimé le dialogue entre Bobby et le pasteur. Une vraie question de vie ou de mort. Quantà la suite... L'Irlande du nord n'est pas rattachée à l'irlande du sud. Mourir avec bonneconscience ne résout pas les problèmes.

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Catheu - le 17/01/2009 à 12h52 On visionne ces scènes de violence atroce avecune fascination morbide.Cette réalisation audacieuse où les images suffisent à évoquermille paroles nous bouleverse.Une indicible justesse dans l'évocation de ce combat pour laliberté, on ne peut que dire 'Vive McQueen'

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nicolas75 - le 16/01/2009 à 15h31 M'a laissé sur la faim La scène de dialogue estheureusement plus roborative (et paradoxalement plus inventive cinématographiquement,malgré ou à cause de la sobriété du dispositif)

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cin?yl - le 15/12/2008 à 15h46 Et moi malheureusement je suis restée trop longtempsune demie heure après le début je suis sortie, choquée par tant de violence et de détailsquelquefois me semble-t-il inutiles, d'autre part pourquoi ne pas avoir interdit ce film aumoins de 12 ans ! La note ne concerne que le 1ère demie heure bien sûr je prendrai le DVDet je passeraii les scènes insupportables

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alex b - le 15/12/2008 à 11h07 à noter également que le film n'est interdit en Francequ'aux moins de 12 ans ! Quelle aberration.

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traversay - le 14/12/2008 à 19h10 Un cinéaste est né. Steve McQueen (nom facileà retenir) démontre dès son premier film un sens de l'image éblouissant qui laisse augurerd'un bel avenir. Ceci posé, Hunger est cependant un film qui laisse sur sa faim. Hormis unsuperbe face de 20 minutes entre Bobby Sands et un prêtre, le film est quasi insoutenablede bout en bout. Violences extrêmes contre les détenus, détails scatologiques, stigmatesde la déchéance physique : McQueen transforme le spectateur en voyeur qui n'en peutmais. En outre, le scénario prend parfois des chemins de traverse surprenants et se faitvolontiers elliptique au grand dam du quidam qui connaitrait mal l'historique du conflit enIrlande du nord. Fallait être aussi radical pour évoquer la mort de Bobby Sands et de 9 deses compagnons dans les geoles britanniques ? C'est plus que contestable.

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bradfordmusical - le 4/12/2008 à 10h56 Soyez prudent si vous allez voir ce film:violence extrême du début à la fin, je suis ressorti choqué et très en colère, considérant quej'avais été piégé. Pourquoi s'imposer de regarder l'horreur? J'avais envie de fuir, pourquoisuis je rester?

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katcombettes - le 30/11/2008 à 19h32 Film très dur dont on sort secoué .. Oui, jeme rappelle les infos sur la fermeture aux négociations de Thatcher et la mort de BobbySand .. Mais je n'ai pas pensé alors que les conditions au quotidien étaient si effrayantes etinhumaines ... Film excellemment bien construit, et filmé, personnages très fort (yc gardiende prison) Je ne l'ai pas trouvé sur-esthétique; A voir

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barbey07P - le 30/11/2008 à 01h25 Le seul doute que je pourrais avoir eu sur le film ,c'est son manichéisme , mais j'ai suffisemment été en Irlande , avoir pu apprécier la paixqui dure en Ulster ,prendre des photos à Belfast dans le quartier protestant à Londonderrydans le quartier catholique et me dire que le film est équilibré et qu'on en sort part en sedisant qu'il faut venger Bobby Sand . Le pardon Un film bouleversant .

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jean-j.corrio - le 28/11/2008 à 08h22 Remarque liminaire : le réalisateur SteveMcQueen n'a que son nom en commun avec l'acteur d'"Au nom de la loi" et de "La grandeévasion". Le Steve McQueen de "Hunger" est un anglais de 39 ans, noir, très réputé dansles milieux de l'art contemporain pour ses vidéos expérimentales. "Hunger" est son premierlong métrage de cinéma. Présenté à Cannes 2008 dans la sélection "Un Certain Regard",ce film a obtenu la Caméra d'Or, une récompense pour une fois très méritée. Car "Hunger"est ce qu'on appelle un film fort, et il est certain qu'on n'a pas fini d'entendre parler de cenouveau Steve McQueen ! Un film fort sur un sujet délicat : la mort, en 1981, de BobbySands, un militant de l'IRA, à la suite d'une grève de la faim de 65 jours menée pour queles prisonniers membres de l'IRA obtiennent le statut de prisonnier politique de la part dugouvernement Thatcher. La vie de ces prisonniers dans les prisons d'Irlande du Nord est unmélange de moments très physiques (les interrogatoires musclés) et de solitude dans les

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cellules. Le film ne nous cache rien. Il y a aussi les visites, et l'une d'elle nous vaut un desmoments les plus extraordinaires du film : un long plan fixe de 20 minutes pendant lequelun prêtre tente de décourager Bobby Sands de continuer cette grève de la faim, tant pourdes raisons morales que religieuses. Même si les matons et leurs méthodes sont montréesde façon très brutales, "Hunger" n'est pas un film manichéen, d'autres scènes montrant queles membres de l'IRA étaient loin d'être des enfants de choeur. Un film qu'il faut voir.

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balminette - le 27/11/2008 à 20h27 j'ai été BOULEVERSEE de façon durable par cefilm choc extrêmement fort d'une rare intelligence cinématographique. Remarquablementfilmé, monté, interprété, mis en scène poignant et même plus que ça pendant la semainequi a suivi j'y ai pensé tous les jours et je n'ai pas arrêté d'en parler je ne peux conseillerqu'une chose: d'y aller !! et très vite! c'est vraiment un des films de 2008 à 10 internautessur 13 ont trouvé cet avis intéressant.

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inthemood4 - le 27/11/2008 à 18h51 de l'entretien passionné avec le prêtre surl'engagement et le sacrifice de la vie pour des idéaux. Dans la même veine que "Les Justes"de Camus. Discussion foisonnante de haut vol qui nous permet d'apprécier la séquencesuivante (j'en dis pas plus) qui en temps normal viderait une salle de cinéma, une petiteperle de réalisation dans ce film perturbant.

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inthemood4 - le 27/11/2008 à 18h50 Je rejoins Poet75 et Pierre Murat, les soucisd'hyperréalisme nous mèneront à devenir complètement apathique à ces violences. Ce quiréduira le cinéma à regarder des images sans vouloir ni pouvoir y puiser quelque sens,comme regarder des photos de famille d'un inconnu. Ce type de cinéma peut être délétère,avis aux âmes sensibles, heureusement que Mc Queen y glisse ce plan audacieux

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Poet75 - le 26/11/2008 à 17h55 Quand Jacques Tourneur réalisait des filmsd’épouvante, il était assez malin et assez artiste pour ne pas montrer l’objet de l’épouvante,mais pour le suggérer. C’était du grand art, en effet, et ses films n’ont rien perdu de leurmagie. Las ! Les temps ont changé et, aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent quela seule voie possible, c’est de tout montrer. Rien ne sera épargné au spectateur, et tant pissi on lui en montre jusqu’à l’écoeurer ! Les plaies, le sang, les excréments, le vomi, vousaurez droit à tout cela et plus encore !!! Peut-être s’imagine-t-on faire ainsi du cinéma-vérité,et peut-être croit-on que c’est ça, le grand art ? Dans ce cas-là, pourquoi ne pas donnerla palme à Mel Gibson et à son abjecte Passion du Christ ? Mais ce que je lis à proposde Hunger ne vaut guère mieux et me fait craindre le pire… Ce prétendu cinéma-vérité,c’est à la fois absurde, illusoire et fatalement faux. Si c’est ça le cinéma, alors le cinéman’est plus un art. J’en ai assez de ce cinéma-là, de ces films et de ces réalisateurs sansimagination, sans inventivité. Chaque fois qu’il est question d’un film de ce genre, je merefuse dorénavant à aller le voir. Je ne vais pas au cinéma pour tout voir, jusqu’à la nausée.Je vais au cinéma parce que j’espère que le film, comme disent les frères Dardenne, «aimera les spectateurs ». Aimer les spectateurs, ce n’est pas certes pas tout montrer jusqu’àl’écoeurement !!!

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Annexe 6 : Critiques de presse sur le film LaBande à Baader

Inrockuptibles , Critique de La Bande à Baader , 26/11/2008La Bande à Baader de Uli Edel - 2008Avec Moritz Bleibtreu et Martina GedeckRécit des actions terroristes de l’activiste Baader, mené tambour battant dans un film

qui sacrifie l’analyse à l’efficacité. Créé le 12 novembre 2008- par Amélie DuboisLes faits réels, biographiques, entremêlés au mouvement de l’histoire, de la société

d’un pays, inspirent de plus en plus de réalisateurs (W., Coluche, Mesrine, pour citer desexemples récents), au point que l’on se demande, inévitablement, si ce penchant n’estpas le signe d’une profonde panne d’inspiration scénaristique. Il se pourrait bien que cettetendance marque aussi la volonté du cinéma de se démarquer des images télévisuelles enoffrant un champ de vision plus large – grand format oblige – que celui du petit écran. Soitune manière d’affirmer, de façon un peu naïve, la supériorité de la fiction cinématographiquesur le reportage télévisé. Pour que la démarche soit réellement convaincante, encore faut-il ne pas se cantonner à une logique de surenchère et mettre pleinement en branle lesoutils réflexifs et romanesques du cinéma, car après tout, ce pendant fictionnel, la télévisionle propose déjà depuis belle lurette, aussi pauvre soit-il. L’histoire sanglante de la bandeà Baader – ce groupe d’activistes d’extrême gauche qui effraya et défraya la chroniquedans l’Allemagne des années 70 – offre un scénario en or à quiconque veut traverser une

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zone agitée de l’histoire et satisfaire son goût pour les films d’action dynamités. De quoifournir des prétextes suffisants à Uli Edel (réalisateur du désastreux Moi, Christiane F.,13 ans, droguée, prostituée) pour “faire cinéma” tout en se donnant l’illusion de raconterune histoire pertinente. Certes, sa fresque des années de plomb est bien menée, commeon dit mollement, et contient nombre d’éléments passionnants, liés au sujet même : onplonge avec intérêt dans le climat politique et social de l’époque et l’on découvre à quelpoint Baader était débile. Mais ces aspects sont écrasés par le rouleau compresseur d’unemise en scène formatée, platement illustrative, qui finit par tout ramener sur le même pland’action vide, au point que l’on se demande si le fond du film n’est pas interchangeableet s’il importe tant que ça au réalisateur, qui ne donne pas de perspective humaine à sonsujet. Il est particulièrement frustrant que le film traite aussi superficiellement le personnagepourtant passionnant d’Ulrike Meinhof, cette journaliste qui intègre la bande et écrit sesmanifestes. Comparé à Contrôle d’identité de Christian Petzold ou à Buongiorno, notte deMarco Bellochio, qui abordent également le terrorisme, le film d’Uli Edel est vraiment loindu compte.

Le Figaro , Critique de La Bande à Baader , 12/11/2008

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Le Monde , Critique de La Bande à Baader , 12/11/2008Le Progrès , Critique de La Bande à Baader , 12/11/2008

Libération , Critique de La Bande à Baader , 12/11/2008

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Télérama , Critique de La Bande à Baader , 15/11/2008

Annexe 7 : Commentaires des internautes sur le filmLa Bande à Baader

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Le Figaro , avis des internautes2 Avis | Premier avis de Mr Lichde Clarale 19.11.2008 Réalistement accusateurL'histoire est celle d'idéalistes, comme une grande partie de la jeunesse de cette

époque, devenus terroristes pour de multiples raisons (haine des parents, soif d'absolu,rage face à la répression, refus de la réalité, incapacité à "prendre le pouls" de l'opinionpublique, refus de l'échec, ivresse de la violence et du pouvoir qu'elle confère...)...Le filmraconte bien cette effrayante dérive, effrayante parce qu'elle horrifie, mais qu'elle fascineaussi. Tous ces aspects sont montrés, ce qui fait que ce film vaut beaucoup mieux que cequ'une critique étrangement timorée en a raconté.

de Mr Lich

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le 04.11.2008 Realiste mais parfois pas assez accusateurHabitant en Allemagne, j'ai eu l'occasion de voir "La bande a Baader" avant les residants

francais. Le film est le plus cher de l'histoire du cinema allemand (Bernd Eichinger est leproducteur), donc les moyens deployes pour reconstituer l'ambiance de l'Allemagne desannees 70 ne manquent pas. Le jeu des acteurs est impeccable et le rythme, malgre les2H45 de film, tres soutenu. Le seul reproche qu'on puisse faire a ce film, au demeurantexcellent, c'est d'esthetiser le mythe de terroristes pretenduement idealistes et justiciersmais qui ont voue leur cause, en realite, a une barbarie inadmissible, tantot ciblee, tantotaveugle. Le film est loin d'etre un eloge, mais les acteurs auraient du etre montres sous unangle encore plus antipathique et antisocial. Cela dit, allez le voir, c'est du grand cinema,documente et didactique, et quand meme tres distrayant!!!

Le Monde, réactions des abonnésDécouvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cette information.mathieu tuffreau16.11.08 | 12h21La bande à Baader est un représentant de la mise en scène panoptique, qui marque

le cinéma politique depuis le 11 septembre 2001, et représente le monde, comme dans latrilogie Jason Bourne et Munich de Spielberg, comme un vaste espace de connexions danslequel s'affrontent des forces secrètes et antinomiques.

@ffm12.11.08 | 11h48"Grands moments de la bande à Baader", "vérité du moment politique"; doit-on sentir un

brin d'admiration rmoantique pour le combat politique de la bande à Baader chez le critique?Télérama, avis des lecteursVOS AVIS (7 commentaires)

pakobx - le 23/11/2008 à 22h54 Jamais le film n'arrive à raconter une histoire en la liantavec le contexte. Les petits documentaires (Vietnâm, Shah d'Iran, etc), censés expliquerles motivations des membres de la RAF, arrivent comme des cheveux sur la soupe. Enfin,Baader est franchement caricatural (sauf peut-être à la fin du film, où il prend un peu deconsistance). On ressort en ayant vu un téléfilm un peu longuet.

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Samer Dadonf - le 23/11/2008 à 19h14 Je n'ai pas dû voir le même film que J. Morice :ce film est très proche de l'ambiance de l'époque, et pas seulement du fait des imagesd'archives. La peur le société allemande est très bien rendue, la tension qui régnait dansla police également. Le principal défaut de ce film pour la critique française est sûrementqu'il est allemand ...

2 internautes sur 2 ont trouvé cet avis intéressant.

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Paul-Emile - le 18/11/2008 à 20h17 ce que j'ai bien aimé, c'est que le film (dixiteichinger) ne tente pas de donner par tous les moyens des arguments pol. et idéologiquesà des assassins qui en usent comme prétexte et sont quand même montrés comme devéritables abrutis (les éditos délirants de Meinhof, la scène où Gudrun cite Mao ou quandIsraël est comparé aux Nazis), comme une fin logique aux idéaux libertaires des années 60.

1 internaute sur 3 ont trouvé cet avis intéressant.Trouvez-vous cet avis intéressant ? Uli Edel, 61 ans, n'est pas un cinéaste de grande envergure et on n'attendait pas de

sa part un film aussi radical et (en grande partie) réussi que La bande à Baader. Certes,pour rester passionné 2 heures 30 durant, il vaut mieux avoir quelques connaissances surle contexte allemand et international (Vietnam, Moyen Orient) des années 70 mais le filmfonctionne également comme un thriller d'une grande efficacité. Le portrait de ces terroristesse fait par la bande mais le titre français est trompeur. Ulrike Meinhof, de loin le personnagele plus intéressant, les services de sécurité allemands, les médias...sont aussi au coeur dece film ambitieux, enragé, qui parvient, même en prenant des raccourcis, à saisir le poulsd'une époque, sans pour autant faire preuve de complaisance, tant vis à vis des terroristesque des méthodes policières et judiciaires.

7 internautes sur 8 ont trouvé cet avis intéressant.Trouvez-vous cet avis intéressant ? Le cadre historique décrit par le film (Vietnam, 68) souligne mal le contexte

spécifiquement allemand dans lequel la RAF a vu le jour : le rejet par la jeune générationdes officiels de l'ouest ayant trempé dans le nazisme n'est pas abordée : pas une allusionau fait que Schleyer était un ancien SS ! Un épisode comme la prise d'otages d'Entebbe(pourtant un tournant moral) est passé sous silence.

3 internautes sur 5 ont trouvé cet avis intéressant.Trouvez-vous cet avis intéressant ? De fait Ulriche est le seul personnage qui a vraiment de la consistance, peut-être aussi

celui de Gudrun, bref ce sont les femmes qui l'emportent c'est clair. Lle film montre bienque les personnages dérapent quand ils passent de l'idéal à l'idole, c'est présent dans lesscènes de nu en Jordanie. A ce moment-là les personnages deviennent des idoles poureux-mêmes et cessent de poursuivre un idéal.

Aucun internaute sur 4 a trouvé cet avis intéressant.Trouvez-vous cet avis intéressant ? Ce film est certes attaquable sur sa véracité, son réalisateur Uli Edel est connu

pour sa tendance romanesque, mais il permet de soulever quelques interrogationsnécessaire dans notre climat actuelle de remise en question d'un système économiquejugée incontournable.Prquoi un tel film maintenant? comt présente t-on ces soldatsdésenchantés , frustrés d'une révolution culturelle ratée?

3 internautes sur 6 ont trouvé cet avis intéressant.

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

112 LHOUTELLIER Adèle _2009

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Annexe 8 : Tableau des films du mois d’octobre dansTélérama , 5/11/2008

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Annexes

LHOUTELLIER Adèle _2009 113

Annexe 9 : Le conseil des dix dans les Cahiers duCinéma , N° 624, juin 2007

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 10 : Classification des adjectifs de CatherineKERBRAT-ORECCHIONI

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Du journalisme cinématographique aux avis d’internautes sur les sites de presse : analyseet comparaison des discours critiques sur les films d’actualité dans la presse généraliste etculturelle

114 LHOUTELLIER Adèle _2009

In L’énonciation, édition 2009, Armand-Colin, p. 94.