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Mise au point Insuffisances he ´ patiques aigue ¨s se ´ ve ` res d’origine toxique : prise en charge e ´ tiologique et symptomatique Severe toxic acute liver failure: Etiology and treatment R. Amathieu a, *, E. Levesque a , J.-C. Merle a , M. Chemit a , C. Costentin b , P. Compagnon c , G. Dhonneur a a Service d’anesthe ´sie et des re ´animations, re ´animation chirurgicale he ´patobiliaire, digestive et transplantation, universite ´ Paris-12, CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de- Tassigny, 94000 Cre ´teil, France b Service d’he ´patologie, CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-Tassigny, 94000 Cre ´teil, France c Service de chirurgie he ´patobiliaire et transplantation he ´patique, CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-Tassigny, 94000 Cre ´teil, France Annales Franc ¸aises d’Anesthe ´ sie et de Re ´ animation 32 (2013) 416–421 I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Rec ¸u le 24 septembre 2012 Accepte ´ le 1 er mars 2013 Mots cle ´s : He ´ patite toxique He ´ patite me ´ dicamenteuse Insuffisance he ´ patique aigue ¨ Keywords: Toxic hepatitis Drug-induced liver injury Acute liver failure R E ´ S U M E ´ De nombreuses substances, me ´ dicamenteuses ou non, peuvent e ˆtre responsables d’he ´ patite aigue ¨. Cependant, l’origine toxique, hormis lorsqu’elle est e ´ vidente, est un diagnostic d’e ´ limination. Les causes les plus fre ´ quentes, notamment virales, doivent e ˆtre recherche ´ es en premier. Les he ´ patites me ´ dicamenteuses les plus fre ´ quentes sont dues au parace ´ tamol, aux antibiotiques, aux antie ´ pileptiques et aux antituberculeux. L’e ´ valuation de la gravite ´ de l’atteinte he ´ patique est primordiale. Elle repose sur des crite ` res cliniques et biologiques. L’insuffisance he ´ patique aigue ¨ est de ´ finie par une diminution du facteur V respectivement supe ´ rieur a ` 50 % pour les formes mode ´ re ´ es et infe ´ rieur a ` 50 % pour les formes se ´ ve ` res. L’examen neurologique doit e ˆtre minutieux a ` la recherche de signes d’ence ´ phalopathie pouvant e ˆtre frustes initialement. Selon la classification franc ¸aise, l’he ´ patite fulminante est de ´ finie par l’apparition d’une ence ´ phalopathie dans les deux premie ` res semaines ou subfulminante lorsqu’il apparaı ˆt entre la deuxie ` me et la 12 e semaine apre `s le de ´ but de l’icte ` re. L’administration, me ˆme tardive, de N- ace ´ tylcyste ´ ine dans des intoxications au parace ´ tamol avec ou sans he ´ patite est fondamentale. De me ˆme, dans les insuffisances he ´ patiques aigue ¨s non dues au parace ´ tamol, mais pre ´ sentant une ence ´ phalopathie grade I ou II, l’administration de N-ace ´ tylcyste ´ ine a montre ´ une ame ´ lioration de la survie sans transplantation. Le transfert du patient vers un centre spe ´ cialise ´ doit e ˆtre discute ´ devant toute he ´ patite toxique et doit e ˆtre syste ´ matique en cas d’insuffisance he ´ patique associe ´ e. Il ne faut pas attendre les crite ` res de transplantation pour transfe ´ rer le patient. ß 2013 Socie ´ te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). Publie ´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´ s. A B S T R A C T Many substances, drugs or not, can be responsible for acute hepatitis. Nevertheless, toxic etiology, except when that is obvious like in acetaminophen overdose, is a diagnosis of elimination. Major causes, in particular viral etiologies, must be ruled out. Acetaminophen, antibiotics, antiepileptics and antituberculous drugs are the first causes of drug-induced liver injury. Severity assessment of the acute hepatitis is critical. Acute liver failure (ALF) is defined by the factor V, respectively more than 50% for the mild ALF and less than 50% for the severe ALF. Neurological examination must be extensive to the search for encephalopathy signs. According to the French classification, fulminant hepatitis is defined by the presence of an encephalopathy in the two first weeks and subfulminant between the second and 12th week after the advent of the jaundice. During acetaminophen overdose, with or without hepatitis or ALF, intravenous N-acetylcysteine must be administered as soon as possible. In the non-acetaminophen related ALF, N-acetylcysteine improves transplantation-free survival. Referral and assessment in a liver transplantation unit should be discussed as soon as possible. ß 2013 Socie ´te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Amathieu). 0750-7658/$ see front matter ß 2013 Socie ´te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). Publie ´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2013.03.004

Insuffisances hépatiques aiguës sévères d’origine toxique : prise en charge étiologique et symptomatique

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Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 416–421

Mise au point

Insuffisances hepatiques aigues severes d’origine toxique : prise en chargeetiologique et symptomatique

Severe toxic acute liver failure: Etiology and treatment

R. Amathieu a,*, E. Levesque a, J.-C. Merle a, M. Chemit a, C. Costentin b, P. Compagnon c, G. Dhonneur a

a Service d’anesthesie et des reanimations, reanimation chirurgicale hepatobiliaire, digestive et transplantation, universite Paris-12, CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-

Tassigny, 94000 Creteil, Franceb Service d’hepatologie, CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-Tassigny, 94000 Creteil, Francec Service de chirurgie hepatobiliaire et transplantation hepatique, CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-Tassigny, 94000 Creteil, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Recu le 24 septembre 2012

Accepte le 1er mars 2013

Mots cles :

Hepatite toxique

Hepatite medicamenteuse

Insuffisance hepatique aigue

Keywords:

Toxic hepatitis

Drug-induced liver injury

Acute liver failure

R E S U M E

De nombreuses substances, medicamenteuses ou non, peuvent etre responsables d’hepatite aigue.

Cependant, l’origine toxique, hormis lorsqu’elle est evidente, est un diagnostic d’elimination. Les causes

les plus frequentes, notamment virales, doivent etre recherchees en premier. Les hepatites

medicamenteuses les plus frequentes sont dues au paracetamol, aux antibiotiques, aux antiepileptiques

et aux antituberculeux. L’evaluation de la gravite de l’atteinte hepatique est primordiale. Elle repose sur

des criteres cliniques et biologiques. L’insuffisance hepatique aigue est definie par une diminution du

facteur V respectivement superieur a 50 % pour les formes moderees et inferieur a 50 % pour les formes

severes. L’examen neurologique doit etre minutieux a la recherche de signes d’encephalopathie pouvant

etre frustes initialement. Selon la classification francaise, l’hepatite fulminante est definie par l’apparition

d’une encephalopathie dans les deux premieres semaines ou subfulminante lorsqu’il apparaıt entre la

deuxieme et la 12e semaine apres le debut de l’ictere. L’administration, meme tardive, de N-

acetylcysteine dans des intoxications au paracetamol avec ou sans hepatite est fondamentale. De meme,

dans les insuffisances hepatiques aigues non dues au paracetamol, mais presentant une encephalopathie

grade I ou II, l’administration de N-acetylcysteine a montre une amelioration de la survie sans

transplantation. Le transfert du patient vers un centre specialise doit etre discute devant toute hepatite

toxique et doit etre systematique en cas d’insuffisance hepatique associee. Il ne faut pas attendre les

criteres de transplantation pour transferer le patient.

� 2013 Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar). Publie par Elsevier Masson SAS. Tous droits

reserves.

A B S T R A C T

Many substances, drugs or not, can be responsible for acute hepatitis. Nevertheless, toxic etiology, except

when that is obvious like in acetaminophen overdose, is a diagnosis of elimination. Major causes, in

particular viral etiologies, must be ruled out. Acetaminophen, antibiotics, antiepileptics and

antituberculous drugs are the first causes of drug-induced liver injury. Severity assessment of the

acute hepatitis is critical. Acute liver failure (ALF) is defined by the factor V, respectively more than 50%

for the mild ALF and less than 50% for the severe ALF. Neurological examination must be extensive to the

search for encephalopathy signs. According to the French classification, fulminant hepatitis is defined by

the presence of an encephalopathy in the two first weeks and subfulminant between the second and 12th

week after the advent of the jaundice. During acetaminophen overdose, with or without hepatitis or ALF,

intravenous N-acetylcysteine must be administered as soon as possible. In the non-acetaminophen

related ALF, N-acetylcysteine improves transplantation-free survival. Referral and assessment in a liver

transplantation unit should be discussed as soon as possible.

� 2013 Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar). Published by Elsevier Masson SAS. All

rights reserved.

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (R. Amathieu).

0750-7658/$ – see front matter � 2013 Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar). Publie par Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2013.03.004

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1. Introduction

Les hepatites aigues toxiques correspondent a une atteintehepatique secondaire a une substance exogene, medicamenteuseou non. En France, l’incidence des hepatites medicamenteuse estevaluee a 13,9 cas pour 100 000 habitants, ce qui permet d’estimera environ 8000 cas par an et approximativement 500 deces [1].L’incidence des hepatites toxiques non medicamenteuse n’est pasconnue. Toute la gravite des hepatites aigues toxiques repose sur ledegre d’insuffisance hepatique, qui dans sa forme extreme estrepresentee par l’hepatite fulminante laquelle est rare. Leshepatiques aigues toxiques sont responsables d’environ 10 % desinsuffisances hepatites aigues et sont la premiere cause detransplantation hepatique aux Etats-Unis [2]. D’apres les registresde greffe hepatique americains et europeens, elles correspondent aenviron 3000 cas en Europe et 2000 aux Etats-Unis au cours des dixa 12 dernieres annees. Le taux de mortalite sans transplantationdes formes fulminantes est compris entre 45 et 90 %.

2. Diagnostic d’hepatite aigue

Le diagnostic d’hepatite aigue est biologique. L’expressionbiologique de l’atteinte hepatique a ete definie de faconconsensuelle [3]. Elle est definie soit par : une augmentation del’alanine aminotransferase (ALAT) superieure a 2 N, ou uneaugmentation des ALAT et des phosphatases alcalines (PAL) avecun ratio ALAT/PAL superieur ou egal a 5 pour l’hepatitecytolytique ; une augmentation des PAL superieure a 2 N ou uneaugmentation de la bilirubine conjuguee superieure a 2 N ou uneaugmentation des ALAT et des PAL avec ratio ALAT/PAL inferieur ouegal a 2 pour l’hepatite cholestatique ; une augmentation des ALATet des PAL avec un ratio compris entre 2 et 5 pour l’hepatite mixte.

Les manifestations cliniques des hepatites sont peu specifiques.Elles peuvent inclure anorexie, asthenie, douleurs abdominales,diarrhee, ictere et fievre avant l’apparition de signes neurologi-ques. L’anamnese est fondamentale. Toutes les prises de medica-ments, habituelles ou non, doivent etre activement recherchees,notees et leurs imputabilites evaluees : date de debut dutraitement, heure de prise, dose ingeree, delai d’apparition dessignes, reintroduction, hepatotoxique connue. L’utilisation habi-tuelle de la phytotherapie, la prise volontaire de substances illicites(cannabis, cocaıne, ecstasy), la consommation d’alcool, les prisesalimentaires recentes (consommation de champignons) et leurcaractere potentiellement collectif doivent etre recherches ainsique les expositions professionnelles a des toxiques chimiques, bienqu’exceptionnelles. L’examen physique est souvent pauvre, maisdevra etre minutieux. La recherche de signes d’hepatopathiechronique sera systematique (angiomes stellaires, circulationveineuse abdominale collaterale, ascite. . .).

L’etiologie toxique, hormis le cas evident d’intoxicationvolontaire massive avec un produit connu pour ces effetshepatotoxiques comme le paracetamol, est avant tout undiagnostic d’elimination. Aucun examen biologique n’est assezspecifique d’une atteinte toxique ni meme la biopsie hepatique.Avant d’en arriver a la conclusion que l’origine est toxique, lescauses les plus frequentes doivent etre eliminees.

3. Principaux toxiques et mecanismes de l’atteinte hepatique

Les principaux toxiques en cause sont medicamenteux (para-cetamol, antibiotiques, antiepileptiques, antituberculeux, anti-inflammatoires) ou non medicamenteux : champignons (amanitephalloıde ou apparentes), et plus rarement les produits dephytotherapie, les substances illicites (cocaıne, ecstasy) et desproduits chimiques industriels. Les mecanismes de l’atteinte

hepatique sont differents en fonction du toxique en cause.L’hepatotoxicite peut etre previsible et souvent dose-dependanteou imprevisible et independante de la dose (idiosyncrasique ouimmunoallergique). L’expression anatomopathologique peut aiderau diagnostic etiologique en fonction de la region atteinte(periportale, mediolobulaire ou centrolobulaire). Les mecanismesresponsables de l’hepatotoxicite sont multiples et souvent associespour un meme toxique : alteration de la membrane cellulaire,inhibition de proteine de transport, metabolite actif, immunotox-icite ou atteinte mitochondriale [4]. Enfin, il existe une suscepti-bilite individuelle en ce qui concerne les atteintes hepatiquessecondaires aux toxiques dus a une variabilite genetique. Lespolymorphismes genetiques ont une influence importante sur lemetabolisme des substances exogenes et peuvent augmenter, defacon imprevisible, le risque de toxicite [5].

Les principales causes d’hepatite aigue a rechercher de faconsystematique sont : l’obstruction biliaire, les hepatites infectieuses(hepatites A, B, C, D et E dans un premier temps, puis les hepatitesaux virus de la famille des Herpes : EBV, CMV, HSV), les causesauto-immunes et metaboliques (Wilson), les hepatites secondairesa une hypoxie (insuffisance cardiaque, ischemie hepatique) ou a unsepsis. L’echographie-Doppler hepatique doit permettre d’eliminerune thrombose des veines sus-hepatiques (syndrome de Budd-Chiari), une thrombose de l’artere hepatique, une obstruction desvoies biliaires et rechercher des signes en faveur d’une hepato-pathie chronique. Dans le bilan toxicologique, le dosage duparacetamol sanguin doit etre systematique. La recherche destupefiants (cocaıne ou ecstasy) est a effectuer au moindre doutesur une eventuelle consommation. La ponction biopsie hepatiquepeut etre interessante pour orienter le diagnostic, mais souventdifficile a realiser ailleurs que dans les centres specialises [2,6].

4. Prise en charge

La prise en charge de l’hepatite toxique comporte deux voletsqui sont la prise en charge etiologique, specifique du toxique, et laprise en charge symptomatique des consequences de l’insuffisancehepatique aigue secondaire a l’hepatite.

4.1. Prise en charge specifique de l’hepatite aigue toxique

Devant toute hepatite aigue, l’arret de tout medicamenthepatotoxique est la regle. L’utilisation de medicaments poten-tiellement nephrotiques doit etre de meme proscrit. L’utilisationde medicaments pouvant perturber la surveillance neurologiquelorsque le patient ne presente pas d’encephalopathie ou uneencephalopathie de bas grade est interdite.

4.1.1. Utilisation du N-acetylcysteine (NAC)

4.1.1.1. Hepatite au paracetamol. L’intoxication au paracetamol estresponsable d’une hepatite cytolytique avec necrose hepatiqueessentiellement centrolobulaire. Cette toxicite est secondaire a uneaccumulation anormale d’un metabolite instable du paracetamol,le N-acetyl p-benzoquinone imine (NAPQI) normalement conjugueavec le glutathion pour ensuite etre elimine dans la bile. A fortedose, lors d’induction enzymatique du cytochrome P450 oulorsque les reserves de glutathion hepatique sont diminuees, leNAPQI s’accumule, entraınant des dysfonctions cellulaires enperturbant l’homeostasie calcique, diminuant les reserves d’ATP,augmentant la production de radicaux libres et la peroxydationlipique puis en entraınant des dysfonctions mitochondriales et infine la mort cellulaire. Le risque d’hepatotoxicite debute enmoyenne a partir de 125 mg/kg, est de 50 % lorsque la dose est de250 mg/kg et constant au-dela de 300 mg/kg. Une possibilite detoxicite a dose therapeutique existe notamment si le paracetamol

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est associe a un traitement inducteur enzymatique ou a un deficiten glutathion (denutrition) ou une hepatopathie chroniquepreexistante. L’alcoolisme chronique reste tres debattu commefacteur de risque de toxicite accru. Outre la toxicite hepatique, leparacetamol presente aussi un risque de toxicite renale. Letraitement est maintenant bien codifie et passe par l’administra-tion la plus precoce possible d’un donneur de glutathion : le NAC.L’effet protecteur est maximal dans les dix premieres heures del’ingestion. Il doit etre administre devant toute intoxication auparacetamol sans attendre la confirmation par le dosage de laparacetamolemie. Le schema habituel est de 300 mg/j, par voieintraveineuse : 150 mg/kg en une heure, puis 50 mg/kg en quatreheures puis 100 mg/kg les 16 heures suivantes. L’utilisation dunormogramme de Rumack-Matthew permet d’evaluer la pro-babilite de la toxicite hepatique en fonction de la paracetamolemie.Son utilisation presente toutefois quelques limitations puisque lenormogramme n’est utilisable que si l’ingestion a lieu sous formed’une seule prise massive, et si l’heure en est connue. Il n’est pasvalide lors d’ingestion repetee a doses supratherapeutiques car ilpeut dans ce cas sous-estimer le risque d’hepatotoxicite. Recem-ment, un normogramme complementaire permettant de quantifierle risque a ete propose par Sivilotti et al. [7]. Ce modele permetd’evaluer le risque d’hepatotoxicite en considerant la concentra-tion de paracetamol et le delai de mise en œuvre du traitement,mais il reste a etre valide de facon prospective avant la genera-lisation de son utilisation. En l’absence de traitement, la cytolysehepatique est a son paroxysme entre le deuxieme et le quatriemejour de la prise, et l’insuffisance hepatique entre le deuxieme et lesixieme jour de la prise. Le NAC doit etre administre meme si lepatient est vu tardivement ou si des signes d’hepatite cytolytiquesont deja presents, y compris si une insuffisance hepatique aigueest associee. Le meme protocole que celui decrit precedemment estutilise et poursuivi quotidiennement a la dose de 300 mg/kg parjour jusqu’a amelioration de la « fonction hepatique » sans que descriteres precis soient definis. Le principal effet indesirable est lareaction anaphylactoıde, souvent secondaire a une injection troprapide lors d’une dose de charge et regressant lors de la diminutionde la vitesse d’injection.

4.1.1.2. Autres formes graves non liees au paracetamol ou de cause

indeterminee. Si la place de l’acetylcysteine dans les intoxicationsau paracetamol ne souffre d’aucun doute, elle fait encore l’objetd’un debat dans les autres hepatites graves non liees auparacetamol. Cependant, des arguments sont de plus en plusnombreux pour tendre vers une utilisation precoce du NAC dansle contexte d’hepatites non liees au paracetamol. Le principal estque l’utilisation precoce du NAC dans les hepatites graves nonliees au paracetamol, chez des patients presentant une ence-phalopathie de Grade I ou II, a montre une amelioration de lasurvie sans transplantation [8]. De plus, une etude recente amontre que parmi les patients presentant une hepatite fulmi-nante d’etiologie inconnue, environ 18 % etaient en faitsecondaire a une toxicite du paracetamol [9]. Devant l’innocuiterelative du produit, son utilisation devant toute hepatite aigued’origine toxique ou non doit etre large aux memes dosesque celles utilisees dans le cadre de l’hepatite aigue auparacetamol.

4.1.2. Autres traitements specifiques

4.1.2.1. Hepatite secondaire a l’acide valproıque. L’acide valproıqueest responsable d’une toxicite hepatique non previsible, idiosyn-crasique meme en l’absence de surdosage. Dans les intoxicationsmassives, souvent volontaires, un dosage serique superieur a850 mg/L est predictif d’une toxicite grave multiviscerale.La toxicite est mitochondriale par anomalie de la beta-oxydation.Le seul traitement medicamenteux, ayant potentiellement un

benefice, est la L-carnitine, dont la posologie habituelle est de 50–100 mg/kg par jour pendant un a trois jours.

4.1.2.2. Hepatite aux champignons (amanites et apparentees). Latoxicite des champignons est secondaire a la production d’ama-toxine, thermostable, resistante a la dissecation ; l’alpha-amini-tine, presente dans differentes especes dont la plus connue estl’amanite phalloıde. Cette toxine bloque la transcription au niveaucellulaire et est responsable d’une apoptose. Elle possede un cycleentero-hepatique et est eliminee dans les selles. Les troublesapparaissent apres un intervalle libre de six a 20 heures apresl’ingestion sous forme de diarrhee choleriforme responsabled’hypovolemie et de desordres hydroelectrolytiques importants.Les signes hepatiques apparaissent dans les 48 heures avec unecytolyse, dont le paroxysme est entre le troisieme et cinquiemejour, s’associant alors a une insuffisance hepatique grave. Undosage serique et urinaire est possible pour confirmer lediagnostic. Il n’existe pas d’antidote specifique, mais plusieursmolecules ont ete testees chez l’homme dont les principales sont leNAC, la penicilline et la silymarine (5 mg/kg en une heure puis20 mg/kg par jour). Enjalbert et al. [10] ont etudie retrospective-ment la prise en charge de plus de 2000 intoxications et ontessentiellement montre un interet pour le NAC et la silymarinemais pas pour la penicilline.

4.2. Prise en charge de l’insuffisance hepatique aigue et de ses

consequences

La base de la prise en charge repose sur des principes simples,applicables des la prise en charge prehospitaliere, aux urgences ouen reanimation non specialisee. Elle correspond avant tout a untraitement symptomatique, organe par organe des defaillancesassociees a la defaillance hepatique et la prise d’avis specialise envue d’un transfert secondaire vers un centre specialise, ayant accesa la transplantation hepatique et aux differents moyens modernesde reanimation hepatique (supports hepatiques artificiels, dialysea l’albumine, monitorage de la pression intracranienne [PIC] et dela perfusion cerebrale. . .) et cela, des les premieres manifestationsde la maladie [11].

4.2.1. Defaillance neurologique

L’etat neurologique est la pierre angulaire conditionnant lepronostic des hepatites aigues. Pour evaluer la gravite dela defaillance neurologique, le « West Haven Criteria » qui separel’encephalopathie en cinq grades est classiquement utilise.Schematiquement, les grades correspondent a : une absenced’encephalopathie (Grade 0), des troubles de l’attention oude concentration (grade I), la presence d’un asterixis (grade II),d’une somnolence (grade III) ou d’un coma (grade IV). La priseen charge chez les patients presentant une insuffisancehepatique aigue severe depend du grade d’encephalopathiehepatique.

Dans le cadre d’une encephalopathie de grade I–II, lasurveillance neurologique rapprochee est le point le plusimportant. L’utilisation du lactulose, de L-ornithine-L-aspartateou des antibiotiques non reabsorbables n’a pas fait la preuve de sonefficacite et ne peut etre recommandee. Seule l’utilisation du NACdans les hepatites aigues non dues au paracetamol est associee aune augmentation de la survie sans transplantation [8].

L’existence d’une encephalopathie de grade III ou IV est un descriteres d’inscription sur liste de transplantation en super-urgence[8]. La prise en charge de ces patients a ete decrite dans denombreuses recommandations [11]. Dans cette situation, hormisla transplantation, les traitements ont pour objectif d’optimiser lepronostic en stabilisant les conditions cliniques jusqu’a laregeneration hepatique ou la transplantation (disponibilite d’un

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greffon). Ainsi, il est licite de proposer une intubation tracheale afinde proteger les voies aeriennes. Une induction a sequence rapideest dans ce contexte d’urgence la meilleure alternative. Unesedation-analgesie profonde est souvent necessaire d’autant plusque la douleur et l’agitation sont responsables d’une augmentationde la PIC. Il n’existe pas de recommandation quant a l’agent sedatif(propofol ou benzodiazepine) ou au morphinique a utiliser. Dans cecontexte ou la surveillance neurologique est primordiale, lepropofol a toute sa place. Du fait de sa demi-vie courte, il permetun examen neurologique quotidien du patient. Ces autresavantages consistent en la diminution du debit sanguin cerebralet la diminution de la PIC [12]. S’il est utilise plus de 48 heures, cequi n’est pas valide dans les recommandations d’experts francais, laposologie ne doit pas exceder 4 mg/kg par heure du fait du risquede syndrome d’infusion du propofol.

La recherche de signes evocateurs d’une hypertension intra-cranienne (HTIC) et son traitement sont primordiaux. En effet, lapresence d’une HTIC est la premiere cause de mortalite et demorbidite dans ce contexte. Elle a une forte incidence lorsque ledelai entre l’apparition de l’ictere et l’encephalopathie est inferieura quatre semaines. Une TDM cerebrale, a la recherche d’unehemorragie, doit etre effectuee devant tout patient presentant uneencephalopathie de grade III ou IV, une aggravation aigue de sonetat neurologique et avant la mise en place d’un capteur de PIC.

Le monitorage de la PIC est largement debattu. Il a ete montrequ’elle permet une meilleure adaptation des traitements pre-ventifs et curatifs des poussees d’hypertensions intracraniennes, etameliore le pronostic des patients [13]. Cependant, sa mise enplace n’est pas denuee de complications, principalement hemor-ragiques, et ne semble pas ameliorer la survie apres transplanta-tion. Les recommandations americaines preconisent sa mise enplace, mais l’attitude dans la majorite des centres francais estl’abstention. Le delai d’attente entre l’inscription sur liste detransplantation et la transplantation elle-meme est probablementun facteur de ce choix. En effet, aux Etats-Unis, le delai d’attente surliste est de l’ordre de cinq a six jours alors qu’en France le patientmis sur liste de transplantation en super-urgence est transplantedans les 48 heures. L’impact d’un tel monitorage et les therapeu-tiques qui en decoulent, pour maintenir une PIC en dessous de25 mmHg, n’ont probablement pas le meme poids sur le pronosticdes patients en fonction du delai d’attente d’un greffon. Pour lespatients ayant une contre-indication a la transplantation, lemonitorage peut etre discute au cas par cas et pourrait avoir saplace. Le Doppler transcranien peut etre utilise pour predire leschangements de pression de perfusion cerebrale et de PIC chez lespatients presentant une insuffisance hepatique aigue [14].Cependant, son utilisation est operateur-dependant, necessiteune formation et des etudes complementaires semblent neces-saires pour confirmer sa place dans la prise en charge de cespatients.

La prise en charge d’un patient presentant une HTIC estsimilaire a celle d’un patient de neurotraumatologie : proscriptionde toute manœuvre pouvant augmenter la PIC (kinesitherapierespiratoire, aspiration tracheale, flexion-rotation de la tete,changement brutal de position, mise en Trendelenburg). La tetedoit etre positionnee en position neutre et surelevee a 308 auminimum. L’hyperventilation prophylactique n’est pas recom-mandee, la PCO2 doit etre maintenue entre 30 et 40 mmHg et lesfacteurs d’agression cerebrale secondaires d’origine systemiquecorriges (hyperthermie, hypoglycemie, hypoxemie). Quant al’hypothermie prophylactique, les donnees sont encore insuffi-santes pour qu’elle soit instituee de facon systematique. Devantdes signes d’engagement, l’osmotherapie est instituee en premiereintention (mannitol 0,25 a 0,5 g/kg en bolus). Le serum salehypertonique est egalement efficace et il peut etre aussi utilise demaniere preventive. L’hyperventilation dans ce contexte peut

reduire transitoirement la PIC par vasoconstriction cerebrale. Enfinle recours au coma barbiturique est la solution ultime, maisnecessite une expertise du reanimateur et une surveillanceelectroencephalographique. L’utilisation d’un antiepileptique enprophylaxie ne semble pas justifiee dans la litterature et celamalgre l’incidence importante des crises infracliniques documen-tees chez ces patients.

4.2.2. Infections

Les patients presentant une insuffisance hepatique grave ontplus de risque de developper une infection systemique. Ellerepresente l’une des premieres causes de deces. L’origine dusepsis est, par ordre de frequence, pulmonaire, urinaire et unebacteriemie. Les bacteries (cocci a Gram positif et les bacilles aGram negatif), suivi du Candida sont les principaux germes encause [15,16]. Les infections sur catheters profonds represententune cause frequente et surtout evitable. La prescriptionsystematique d’une antibiotherapie empirique n’est pas recom-mandee devant le manque de donnees et l’absence de resultatspositifs des etudes, meme si ce resultat est possiblementsecondaire a un manque de puissance de l’etude [17]. Unesurveillance quotidienne est necessaire chez ces patients afin defaire au plus tot le diagnostic de sepsis et de traiter precoce-ment. Une antibiotherapie empirique peut raisonnablement etredebutee devant l’apparition de positivite de culture de liquidenormalement sterile (sang, urine), une aggravation de l’ence-phalopathie, l’apparition d’une hypotension refractaire oul’apparition d’un syndrome inflammatoire de reponse syste-mique. Les donnees de la litterature sont insuffisantes pourproposer une antibiotherapie specifique. Le spectre de l’anti-biotique doit couvrir les bacteries cocci a Gram positif et bacilleGram negatif et etre adapte aussi aux caracteres communau-taire, nosocomial et a l’ecologie du service.

4.2.3. Defaillance respiratoire

La survenue d’une insuffisance respiratoire est possible chez cespatients. Elle peut etre soit directement secondaire a l’insuffisancehepatique aigue ou a une infection pulmonaire secondaire. Danstous les cas, devant un patient presentant une insuffisancerespiratoire, l’intubation et la ventilation mecanique sont neces-saires. Le bilan etiologique est primordial pour en retrouver lacause : SDRA, cause hemodynamique et surtout infectieuse. Laventilation mecanique n’a pas de particularite en l’absence deSDRA. L’utilisation d’une pression expiratoire positive n’est pascontre-indiquee surtout si elle est moderee. Elle a un effetinconstant sur la PIC qui n’est pas toujours cliniquementimportant.

4.2.4. Defaillance circulatoire

La principale cause de baisse de la pression arterielle estl’hypovolemie, frequente dans le contexte d’insuffisance hepatiquesevere. Elle doit etre recherchee quel que soit le moyen demonitorage, corrigee, et cela avant l’introduction des vasopres-seurs. Il n’existe pas de recommandations fortes sur le solute deremplissage a utiliser. Une pression arterielle systolique inferieurea 90 et/ou moyenne inferieure a 65 mmHg ne repondant pas auremplissage imposent l’introduction de vasopresseurs. La nora-drenaline est dans ce contexte le medicament de choix. En effet,l’adrenaline diminue de debit sanguin mesenterique, compromet-tant ainsi la circulation hepatique, et la vasopressine estresponsable d’une vasodilatation cerebrale et ainsi d’une augmen-tation de la PIC [18]. Une opotherapie substitutive par hemi-succinate d’hydrocortisone (200–300 mg/j) est a considerer devantune hypotension refractaire malgre les vasopresseurs du fait del’existence possible d’une insuffisance surrenalienne relative dansce contexte [19].

Page 5: Insuffisances hépatiques aiguës sévères d’origine toxique : prise en charge étiologique et symptomatique

Tableau 1Criteres de transfert des patients apres reanimation initiale vers un centre de

transplantation [25].

British Society of Gastroenterology

j2 apres intoxication j3 apres intoxication j4 apres intoxication

pH arteriel < 7,30 pH arteriel < 7,30 Toute augmentation de l’INR

INR > 3 INR > 4,5 Encephalopathie

Encephalopathie Encephalopathie Creatinine > 250 mmol

Creatinine > 200 mmol Creatinine > 200 mmol

Hypoglycemie

R. Amathieu et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 416–421420

4.2.5. Defaillance hematologique

La correction des troubles de l’hemostase chez ces patients nedoit avoir lieu que lorsqu’il existe un saignement cliniquementsignificatif pouvant mettre en jeu le pronostic vital ou avanttransplantation. Dans ce cas, meme si les donnees de la litteraturesont pauvres, il semble raisonnable que le TP soit proche de 50 %,les plaquettes de 50 G/L et le fibrinogene superieur a 1 g/L. Enrevanche, l’administration prophylactique de plasmas fraiscongeles n’est pas recommandee, car elle ne diminue pas le risquede saignement, altere la surveillance biologique de l’insuffisancehepatique et peut etre responsable d’une surcharge volemique. Lessaignements spontanes sont relativement rares au regard de laprofondeur de ces troubles. Ils sont presents dans 5 a 10 % des cas etessentiellement de localisation gastro-intestinale. Ces saigne-ments digestifs, dans le cadre des hepatites toxiques, sont le plussouvent secondaires a des erosions muqueuses plutot qu’al’apparition d’une hypertension portale. Une diminution del’incidence des saignements digestifs a ete montree chez cespatients lors de la mise systematique sous anti-H2. Une protectiongastrique systematique est indiquee soit par des anti-H2 ou soitavec des inhibiteurs de la pompe a protons largement plus utilisesactuellement. Ce faible taux de saignement, compare a celui despatients sous anticoagulant ayant le meme TP, est explique par labaisse concomitante des produits procoagulants et anticoagulantssynthetises par le foie [20]. Recemment, des auteurs ont montregrace au thromboelastogramme que seulement 20 % des patientspresentant une insuffisance hepatique aigue (avec abaissement duTP) etaient hypocoagulables alors que 35 % etaient hypercoagu-lables [21]. De ce fait, le TP reflete mal le risque de saignement chezces patients. L’administration de vitamine K (10 mg) est proposeede facon systematique, car un deficit concomitant peut contribueraux troubles de l’hemostase. En revanche, une fibrinolyse accrueest frequente. Devant la presence d’un fibrinogene inferieur a 1 g/L,la supplementation par du fibrinogene semble licite. Devant unetat de fibrinolyse biologique et clinique (saignements muqueuxou aux points de ponction en nappe), l’utilisation d’un antifi-brinolytique peut etre consideree.

4.2.6. Defaillance renale

L’apparition d’une insuffisance renale est frequente dans lesformes graves. Une cause fonctionnelle doit avant tout etreeliminee et corrigee par un remplissage vasculaire avant deconclure a une insuffisance organique. La litterature est insuffi-sante pour determiner des criteres pour le debut de l’epurationextrarenale. Le mode continu semble etre prefere au modediscontinu du fait de la meilleure tolerance hemodynamique. Lacorrection des troubles hydroelectrolytiques, notamment d’unehyponatremie hypo-osmolaire, est imperative. Du fait de l’instal-lation souvent rapide, le risque de demyelinisation est faible.L’utilisation de serum sale hypertonique est tout a fait possible afinde corriger l’hyponatremie et l’apport d’eau libre reduit aumaximum.

5. Gravite d’une hepatite aigue : evolution vers une insuffisancehepatique aigue

Devant toute hepatite aigue, et sans doute avant meme d’enconnaıtre l’etiologie, la recherche d’une insuffisance hepatiqueaigue doit etre systematique, car elle conditionne toute la gravitede l’atteinte hepatique.

L’insuffisance hepatique aigue est definie par l’apparition sur unfoie anterieurement sain d’un ensemble de manifestationscliniques (essentiellement neurologiques) et biologiques. La notionde foie anterieurement sain est primordiale dans l’orientationdiagnostique, le pronostic et le traitement. Elle s’oppose a la

decouverte d’une atteinte hepatique aigue chez un patient ayantune hepatopathie chronique, le plus souvent une cirrhose.L’insuffisance hepatique qui en decoule n’a pas le meme pronostic.

L’intensite de l’insuffisance hepatique repond a une classifica-tion clinicobiologique. Deux grandes terminologies, l’une anglo-saxonne et l’autre francaise, sont interessantes a connaıtre. Laterminologie developpee par O’Grady dans les annees 1990 recon-naıt le role central du developpement d’une encephalopathie apresle debut de l’atteinte hepatique et divise la presentation en troisgroupes : hyperaigue, aigue et subaigue. Cette classification peutaider dans l’identification de la cause de la maladie, descomplications potentielles et dans le pronostic [22]. De faconsimilaire, une classification francaise a ete developpee, divisant enquatre categories la gravite de l’insuffisance hepatique : insuffi-sance hepatique aigue moderee, severe, insuffisance hepatiqueaigue fulminante et subfulminante [23]. La gravite est evalueebiologiquement par le facteur V, la bilirubine totale, cliniquementpar la presence d’une encephalopathie et le delai entre sonapparition et celui de l’ictere. Dans tous les cas, une diminution dufacteur V inferieur a 50 % definit l’IHA severe. L’association d’unictere et d’une encephalopathie definit le caractere subfulminant(delai ictere-encephalopathie > 2 semaines) ou fulminant (delaiictere-encephalopathie < 2 semaines). Rarement, dans les formeshyper-aigues, les signes neurologiques peuvent preceder l’appari-tion de l’ictere.

5.1. Criteres de transfert vers un centre specialise

L’orientation des patients chez qui un diagnostic d’hepatitetoxique est suspecte repose sur l’existence ou non d’uneinsuffisance hepatique aigue associee. Le moment opportun dutransfert chez le patient presentant une hepatite grave n’a etevalide par aucune etude, mais ne doit pas etre fonde surl’apparition de criteres de transplantation [24]. Cette decisiondoit etre anticipee et planifiee entre le medecin ayant en charge lepatient et l’equipe du centre specialise (chirurgien hepatique,hepatologue et anesthesiste-reanimateur) qui doit etre prevenudes le debut de la prise en charge du patient. Des criteres ont eteproposes dans le cadre des intoxications au paracetamol afin desuggerer le transfert vers un centre par la Societe britannique degastroenterologie (Tableau 1). Ces criteres sont fondes sur des avisd’experts et ne sont pas valides prospectivement. Quoi qu’il en soit,ils ont comme avantages d’etre simples et bases sur l’evolutivite dupatient apres reanimation initiale.

5.2. Criteres de transplantation

Deux grands modeles utilises en Europe, le King’s CollegeCriteria, developpe avec une specificite pour des intoxications auparacetamol, et les criteres de Clichy, initialement developpe dansle contexte d’hepatite B fulminante et non specifique aux toxiques,sont predictifs d’une probabilite de deces importante en l’absencede greffe hepatique (Tableau 2) [26,27]. Plus recemment,specifiquement pour les hepatites secondaires au paracetamol,des criteres ont ete developpes incluant la lactatemie arterielle et

Page 6: Insuffisances hépatiques aiguës sévères d’origine toxique : prise en charge étiologique et symptomatique

Tableau 2Criteres de transplantation en urgence [26,27,29].

Criteres de Clichy King’s College Criteria Amanite phalloıde

Encephalopathie Grade 3 ou 4 Hepatite fulminante liee au paracetamol Diarrhee < 8 h apres ingestion et TP < 10 % a j4

Associe fonction de l’age a pH < 7,30

< 30 ans : facteur V < 20 % Ou association des 3 criteres

> 30 ans : facteur V < 30 % Encephalopathie Grade 3 ou 4

INR > 6,5

Creatinine > 300 mmol

Autres causes

Forme aigue (delai ictere-encephalopathie < 7 j)

INR > 6,5

Ou association de (3 criteres)

Age < 10 ans ou > 40 ans

Etiologie virale (autre que A et B), toxique, Wilson

Forme subaigue (delai > 7 j)

INR > 3,5

Bilirubine > 300 mmol

R. Amathieu et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 416–421 421

son evolution apres reanimation. Une persistance d’une lactatemiearterielle superieure a 3 mmol apres expansion volemique esta risque d’evolution defavorable sans transplantation [28].Concernant les intoxications aux champignons, une etude a definil’indication de transplantation en fonction des facteurs predictifsde deces. Un TP inferieur a 10 % a partir du quatrieme jour et lasurvenue de diarrhee moins de huit heures apres l’ingestion, qu’il yait ou non une encephalopathie, sont des criteres de recours a latransplantation [29].

En conclusion, la gravite de l’insuffisance hepatique aiguesevere d’origine toxique reside dans l’apparition des defaillancesd’organes notamment neurologique. Devant toute hepatite toxiquepresentant une insuffisance hepatique aigue, le centre detransplantation doit etre contacte et les modalites de transfertsdiscutees avant que les criteres de transplantation n’apparaissent.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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