3
Le Praticien en anesthésie réanimation (2012) 16, 308—310 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Intoxication aux anesthésiques locaux et TAP bloc dans les suites d’une césarienne sous rachianesthésie Local anesthetics toxicity during a post caesarian transverse abdominis plane block Claire Contargyris a,, Aurélie Bourgoin a , Rémi Guilhaumou b , Marc Leone a , Claude Martin a a Maternité du service d’anesthésie, hôpital Nord, chemin des Bourrély, 13015 Marseille, France b Laboratoire de pharmacologie médicale et clinique, CHU Timone, 13005 Marseille, France MOTS CLÉS Toxicité aux anesthésiques locaux ; Grossesse ; TAP bloc ; Rachianesthésie ; Intralipide ® Résumé Si des cas cliniques d’intoxication systémique aux anesthésiques locaux ont été décrits depuis quelques années, très peu concernent les parturientes. IL existe dans ce contexte un risque particulier du fait de l’utilisation de doses cumulées d’anesthésiques locaux et de modifications pharmacodynamiques. Les doses maximales autorisées et les seuils plasmatiques considérés comme à toxiques sont probablement inférieurs aux valeurs préconisées dans la population normale. Les posologies doivent être adaptées et tenir compte du cumul des doses. La valeur diagnostique des dosages est imprécise chez la femme enceinte, ainsi tout signe neuro- logique isolé ou mineur doit faire évoquer une intoxication. La prise en charge doit être précoce, la place des émulsions lipidiques reste à définir en cas d’apparition isolée de prodromes. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Local anesthesics toxicity; Pregnancy; TAP block; Spinal anesthesia; Intralipid ® Summary Though, case reports of local anesthetics toxicity have been published, very few were reported in pregnant women during the last years. However, cumulative doses, and phar- macodynamic changes may increase the risk in this setting. The maximum recommended doses and the plasma toxic thresholds are probably lower than in normal population. Dose adjustments must take into account the physiological status as well as the accumulation of local anesthe- tics. Any isolated neurological sign should lead to serious consideration of systemic toxicity. The benefit of using lipid emulsions remains unclear in front of isolated prodromes. © 2012 Published by Elsevier Masson SAS. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Contargyris). 1279-7960/$ see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2012.10.001

Intoxication aux anesthésiques locaux et TAP bloc dans les suites d’une césarienne sous rachianesthésie

  • Upload
    claude

  • View
    212

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Intoxication aux anesthésiques locaux et TAP bloc dans les suites d’une césarienne sous rachianesthésie

L

C

Id

Lb

1h

e Praticien en anesthésie réanimation (2012) 16, 308—310

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

AS CLINIQUE

ntoxication aux anesthésiques locaux et TAP blocans les suites d’une césarienne sous rachianesthésie

ocal anesthetics toxicity during a post caesarian transverse abdominis planelock

Claire Contargyrisa,∗, Aurélie Bourgoina,Rémi Guilhaumoub, Marc Leonea, Claude Martina

a Maternité du service d’anesthésie, hôpital Nord, chemin des Bourrély, 13015 Marseille,Franceb Laboratoire de pharmacologie médicale et clinique, CHU Timone, 13005 Marseille, France

MOTS CLÉSToxicité auxanesthésiqueslocaux ;Grossesse ;TAP bloc ;Rachianesthésie ;Intralipide®

Résumé Si des cas cliniques d’intoxication systémique aux anesthésiques locaux ont étédécrits depuis quelques années, très peu concernent les parturientes. IL existe dans ce contexteun risque particulier du fait de l’utilisation de doses cumulées d’anesthésiques locaux et demodifications pharmacodynamiques. Les doses maximales autorisées et les seuils plasmatiquesconsidérés comme à toxiques sont probablement inférieurs aux valeurs préconisées dans lapopulation normale. Les posologies doivent être adaptées et tenir compte du cumul des doses.La valeur diagnostique des dosages est imprécise chez la femme enceinte, ainsi tout signe neuro-logique isolé ou mineur doit faire évoquer une intoxication. La prise en charge doit être précoce,la place des émulsions lipidiques reste à définir en cas d’apparition isolée de prodromes.© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSLocal anesthesicstoxicity;

Summary Though, case reports of local anesthetics toxicity have been published, very fewwere reported in pregnant women during the last years. However, cumulative doses, and phar-macodynamic changes may increase the risk in this setting. The maximum recommended doses

Pregnancy;TAP block;Spinal anesthesia;Intralipid®

and the plasma toxic thresholds are probably lower than in normal population. Dose adjustmentsmust take into account the physiological status as well as the accumulation of local anesthe-tics. Any isolated neurological sThe benefit of using lipid emulsi© 2012 Published by Elsevier Ma

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Contargyris).

279-7960/$ — see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2012.10.001

ign should lead to serious consideration of systemic toxicity.

ons remains unclear in front of isolated prodromes.sson SAS.
Page 2: Intoxication aux anesthésiques locaux et TAP bloc dans les suites d’une césarienne sous rachianesthésie

hian

cd

qdlddr(5s3

lldfamsrddltrrs(elAidldtf

trddqsmg

Intoxication aux anesthésiques locaux et césarienne sous rac

Introduction

Après l’injection d’un anesthésique local (AL), le premiereffet attendu est le blocage du canal sodique et l’inhibitionde la conduction nerveuse [1]. Mais, à la suite d’un surdo-sage ou d’une injection vasculaire accidentelle, des effetstoxiques systémiques cardiaques ou neurologiques, à l’issueparfois létale, peuvent être observés. L’incidence de cesaccidents est variable (1/800 à 1/1500 blocs) [2]. La toxicitédes AL peut être modifiée par des agents pharmaceutiquesou par des conditions physiopathologiques liées au terrain,notamment en cas de grossesse. Ce cas relate une intoxi-cation aux anesthésiques locaux chez une parturiente aprèsréalisation d’un TAP bloc à la ropivacaïne dans les suitesd’une césarienne réalisée sous rachianesthésie à la bupiva-caïne.

Observation

Une patiente de 26 ans, 34 SA, G2P2, ASA 1, 51/58 kg,160 cm, était admise pour césarienne sur utérus cicatriciel.Ses antécédents incluaient une éclampsie à j10 d’une césa-rienne lors de sa première grossesse, sans aucun signe derécidive. La clinique et le bilan biologique étaient sans par-ticularité. La stratégie anesthésique prévoyait la mise enplace d’une rachianesthésie avec injection dans l’espacerachidien de 7 mg de bupivacaïne 5 mg/mL (1,4 mL) asso-ciés à 5 �g de sufentanyl (1 mL). Aucune réinjection n’étaitréalisée. L’analgésie postopératoire était assurée par unbloc abdominal transverse sous guidage échographique avec12 mL de ropivacaïne 7,5 mg/mL de chaque côté, soit unedise totale de 3 mg/kg. Le décollement des fascias lors del’injection était net.

Cinq minutes après la réalisation du bloc, la patientea présenté des prodromes d’intoxication aux anesthé-siques locaux : céphalées, distorsions visuelles et auditives,goût métallique dans la bouche, sans autres signes detoxicité neurologique. Aucun signe de toxicité cardiaquen’était décelé ; l’ECG montrait un rythme sinusal, régu-lier, sans trouble de la conduction ni de la repolarisation.La symptomatologie faisant suspecter une intoxication auxanesthésiques locaux, 200 mL d’Intralipide® à 20 % étaientperfusés, permettant la régression complète des symp-tômes. Un prélèvement sanguin pour dosage plasmatiquepar méthode HPLC de ropivacaïne et de bupivacaïne étaiteffectué dès l’apparition des signes. Les taux plasmatiquesretrouvés étaient de 1,4 �g/mL pour la ropivacaïne totale(seuil toxique > 2 �g/mL) et 0,09 �g/mL pour la ropivacaïnelibre (seuil toxique > 0,6 �g/mL). Ceux de la bupivacaïneétaient de 0,3 �g/mL (seuil toxique > 1,6 �g/mL). Cesconcentrations étaient étonnamment basses, bien infé-rieures aux doses considérées comme toxiques.

Discussion

Cette observation évoque, malgré un taux sanguind’anesthésiques locaux inférieurs aux seuils considéréscomme toxiques, un accident de toxicité systémique selonles critères pharmacologiques d’imputabilité associant la

C

Lp

esthésie 309

hronologie des faits, des effets connus et l’absence d’autreiagnostic.

L’hypothèse d’une injection intravasculaire est évo-uée en priorité en raison de la rapidité d’installationes symptômes, malgré les tests d’aspiration négatifs et’échoguidage [3]. Le TAP bloc doit être effectué avec pru-ence, notamment chez des patients sédatés, incapablese verbaliser le ressenti de prodromes [4]. Selon l’étudeécente de Griffiths et al., les fortes doses de ropivacaïne3 mL/kg) utilisées lors de ce bloc sont responsables dans0 % des cas de concentrations plasmatiques excédant leseuils neurotoxiques (> 2 �g/mL) avec un pic observé à la0e minute [5].

Le taux sanguin considéré commepotentiellement neurotoxique durant une

perfusion de ropivacaïne chez des volontairessains est de l’ordre de 2 �g/mL, celui de la

bupivacaïne de 1,6 �g/mL.

Mais ces seuils de toxicité établis lors de la mise sure marché des agents anesthésiques locaux sont extrapo-és à partir d’expérimentations animales ou de cas cliniquese surdosage. Ainsi peut-on se poser la question du bien-ondé de ces seuils pour étayer un diagnostic d’intoxicationux AL [6]. Par ailleurs, la détermination de la dose maxi-ale à administrer avant apparition de signes de toxicité

ystémique est arbitraire [7]. Fixés à 3—4 mg/kg pour laopivacaïne, et à 1,5 mg/kg pour la bupivacaïne, les seuilsevraient tenir compte de la pharmacocinétique (site, typee bloc anesthésique) et des aspects pharmacodynamiquesiés à l’état physiologique du patient (grossesse). Ainsi, San-os et al. ont mis en évidence chez la brebis gravide unisque de toxicité plus élevé pour des doses plus faibles deopivacaïne et de bupivacaïne [8]. Ce phénomène pourrait’expliquer par des modifications anatomiques, hormonalespotentialisation de la cardiotoxicité par le béta-estradiol)t métaboliques (augmentation de la fraction libre des ALiée à l’hypoalbuminémie) survenant chez les parturientes.insi dans ce cas clinique, l’hypothèse d’une résorption

mportante des anesthésiques locaux est possible même si laose injectée était inférieure à la dose toxique [9]. En effet,a grossesse en outre et le cumul des doses lié à l’injection deeux anesthésiques locaux : bupivacaïne (pour la rachianes-hésie) puis ropivacaïne (pour le TAP bloc) sont des facteursavorisants.

Enfin, ce cas clinique fait discuter la stratégie thérapeu-ique en cas de suspicion de toxicité systémique. La SFARecommande l’administration précoce d’une dose initialee 3 mL/kg d’émulsion lipidique à 20 % [10]. Les recomman-ations des sociétés savantes américaines et britanniquesuant à l’injection d’Intralipide® en cas d’apparition deignes de cardiotoxicité ou d’arrêt cardiaque sont claires,ais l’attitude à adopter en cas de manifestations neurolo-

iques mineures reste à définir [11].

onclusion

es anesthésiques locaux sont très largement utilisés enratique courante, notamment chez la femme enceinte

Page 3: Intoxication aux anesthésiques locaux et TAP bloc dans les suites d’une césarienne sous rachianesthésie

3

omretêscfdtpcmLdcpr

D

Lr

R[

10

ù l’anesthésie générale multiplie par sept la morbi-ortalié. Malgré l’apparition de nouvelles techniques de

epérage échographique, permettant de visualiser l’aiguillet d’éviter des injections intravasculaires, les risques deoxicité systémique existent toujours. La prudence doittre de mise, et ce d’autant plus chez la parturiente. Latratégie anesthésique privilégiant souvent une anesthésieombinée implique des doses cumulées importantes sur cesemmes dont l’état physiologique potentialise les risquese toxicité. Les doses maximales doivent donc être adap-ées à cet état et tenir compte du cumul des différentsroduits. Le diagnostic doit rester clinique, les seuils deoncentration plasmatique considérée comme potentielle-ent toxique n’étant pas validés chez la femme enceinte.

a prise en charge doit être précoce, dès l’apparition de pro-romes. Les émulsions lipidiques ont leur place en cas deardiotoxicité avérée, mais l’intérêt d’une utilisation plusrécoce, au stade des signes neurologiques isolés ou mineurseste à définir.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

[1] Sztark F. Toxicité des anesthésiques locaux. Revue Anesth ReaMed Urg 2009;1(4):1—7.

[

C. Contargyris et al.

[2] Brown DL, Ransom DM, Hall JA, Leicht CH, Schroeder DR, OffordKP. Regional anesthesia and local anesthetic-induced systemictoxicity: seizure frequency and accompanying cardiovascularchanges. Anesth Analg 1995;81(2):321—8.

[3] Zetlaoui PJ, Labbe JP, Benhamou D. Ultrasound guidance foraxillary plexus block does not prevent intravascular injection.Anesthesiology 2008;108(4):761.

[4] Kishore K, Agarwal A. Ultrasound-guided continuous transverseabdominis plane block for abdominal surgery. J AnaesthesiolClin Pharmacol 2011;27(3):336—8.

[5] Griffiths JD, Barron FA, Grant S, Bjorksten AR, Hebbard P,Royse CF. Plasma ropivacaine concentrations after ultrasound-guided transversus abdominis plane block. Brit J Anaesth2010;105(6):853—6.

[6] Fornier W, Leclerc C, Digeon-Rouxe C. De la difficulté d’étayerun probable diagnostic d’intoxication par la mépivacaïne.Critères d’imputabilité pharmacologiques ou dosage plasma-tique ? Ann Fr Anesth Reanim 2010;29:925—31.

[7] Rosenberg PH, Veering BT, Urmey WF. Maximum recommendeddoses of local anesthetics. A multifactorial concept. Reg AnesthPain Med 2004;29:564—75.

[8] Santos AC, De Armas PI. Systemic toxicity of levobupivacaine,bupivacaine, and ropivacaine during continuous intravenousinfusion to nonpregnant and pregnant ewes. Anesthesiology2001;95:1256—64.

[9] Hasselstrom LJ, Mogensen T. Toxic reaction of bupiva-caine at low plasma concentration. Anesthesiology 1984;61:99—100.

10] SFAR. Toxicité systémique aiguë des anesthésiques locaux. SFAR

2010.

11] Neal JM, Bernards CM, Butterworth JF, et al. ASRA PracticeAdvisory on Local Anesthetic Systemic Toxicity. Reg Anesth PainMed 2010;35:152—61.