Prface

Helmut METER

Lvnement fait vnement, au moins en juger par le nombre relative-ment important de publications qui se consacrent ce sujet dans ces der-niers temps1. Pourtant, considr partir du secteur des lettres, il ne parat pas quil sagisse l dun des nombreux sujets la mode que lon voit inon-der, brefs intervalles, le domaine des activits intellectuelles et culturelles. Il est vrai quil est chose diverse puisque, dune part, il regarde quasiment toutes les disciplines du secteur des lettres et des sciences humaines et, de lautre, une mthodologie dune ampleur peu commune. Soccuper de ce qui est un vnement, ne saurait donc se rduire suivre un large parcours frquent par quantit de chercheurs anims par un mme souci de connais-sance univoque: cest plutt saventurer dans un enchevtrement de voies bien diffrentes qui mnent souvent vers des destinations peu compatibles entre elles. La recherche de lvnement ne peut plus se fonder sur une dfinition, communment accepte, de ce quest un vnement. Et lap-proche inductive de son sens nest pas non plus propre dissoudre le di-lemme. Trop nombreux et trop divers sont les points de dpart.

Il en rsulte certes un tableau des recherches assez color et stimulant, plein daffinits, de contrastes, dintersections et de contradictions. Peut-on soutenir avec Alain Badiou, abm dans des rflexions sur Pascal, que le miracle [] est lemblme de lvnement pur comme ressource de la v-rit2 ou faut-il se ranger du ct de ceux qui soutiennent que lvnement na pas besoin, pour apparatre, dun quelconque support, factuel ou trans-cendantal3, pour ne mentionner que deux ples dargumentation opposs?

1. A retenir notamment les deux livres de Claude Romano: LEvnement et le monde,Paris, P.U.F., 1998, et LEvnement et le temps, Paris, P.U.F., 1999, parus dans la col-lection Epimthe.

2. Alain Badiou, LEtre et lvnement, Paris, Seuil, 1988, pp. 213 sq.3. Lyne Khabbaz, LEpreuve de lvnement supra-individuel: Pour une phnomnolo-

gie de lexprience historique, in Que se passe-t-il? Evnement, sciences humaines et littrature. Textes runis par Didier Alexandre, Madeleine Frdric, Sabrina Parent, Michle Touret, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 21.

Helmut Meter VIII

Traditionnellement, lvnement tait considr comme un fait objectif, essentiellement historique et donc de porte gnrale. Mais, actuellement, des divers champs de la recherche, ressort plutt une singularisation de lvnement et ainsi, la limite, le constat dun phnomne existentiel, le cas chant, mais non ncessairement, permable aux expriences de plu-sieurs individus.

Mais lvnement historique ne se voit pas seulement relativis, voire mis en question comme tel par dimportantes tendances la subjectivation. Il perd sa qualit intrinsque du fait que par diverses voies et celle dune considration phnomnologique nest que la plus marque il se voit cir-conscrit comme donne immdiate, comme ce qui est prsent en dehors de toute logique, volution rationnelle ou explication empirique. A ce compte l, lvnement assume le statut dune catgorie ultime, non plus analysable ou dcomposable. Si cet tat des choses peut permettre douvrir de nou-velles voies daccs au fait de lvnement en faisant de lui un paradigme fondamental toute tentative dapproche du monde, il faut cependant ad-mettre que la nouvelle smantique marque aussi une vidente rupture avec la dfinition conventionnelle qui est dune praticabilit lmentaire simple, permettant en mme temps dargumenter sur une base commune.

[...]Cest ce qui tait encore le principe au dpart du colloque interdiscipli-naire sur le sujet de lhistoire et de lvnement du groupe de recherche allemand Potique et hermneutique en 1973 dont les actes recueillis par R. Koselleck et W.-D. Stempel laissent toutefois dj transparatre, a et l, une certaine indtermination de la notion dvnement4. Mais cela regarde moins le noyau du concept mme que les approches interprtatives des divers phnomnes historiques. Lrosion en puissance de ce que fut alors la notion vnementielle se profile au fur et mesure. Cest dj lannonce dune grande diversification future. Mais, cest la fois le dbut dun re-cours lhermneutique pour circonscrire les facettes de ce que pourrait ou devrait tre un vnement.

Pour ce qui est strictement du domaine de la littrature, la question de lvnement prsente encore des aspects particuliers dans la mesure o les textes littraires sont capables de produire des univers vnementiels par-tir dune smantique propre. Limaginaire fait valoir son caractre spci-fique en matire dvnements sans recourir obligatoirement des rfrents extralittraires. Si, dans la plupart des cas, les textes littraires sorientent et

4. Cf. Reinhart Koselleck / Wolf-Dieter Stempel (Eds), Geschichte Ereignis und Erzh-lung, Mnchen, Fink, 1973 (Poetik und Hermeneutik, 5).

Vu cette situation assez complexe, il apparat raisonnable, quant lv-nement dans les textes littraires, de chercher des modes dapproche suffi-samment vrifiables. Pour dfinir lentreprise de ce quon a dnomm, Pierre Glaudes et moi, Le Sens de lvnement initiative soutenue comme projet Amade par les autorits franaises et autrichiennes on a fait valoir lavantage dune approche hermneutique qui permet des accs varis la question sans pour autant reprsenter un cadre mthodologique trop contraignant ou mme de caractre prdterminant. Le choix de la littrature franaise des XIXe et XXe sicles comme champ dinvestigation devait permettre dexaminer des spcimens textuels dordre assez divers pour faire ventuellement ressortir une volution et les tapes dun chan-gement du concept dvnement. Vu lensemble des communications re-cueillies, il nest pas sans importance que les auteurs proviennent de sph-

res linguistiques et culturelles assez diffrentes et que leurs conceptions en matire dvnement en soient naturellement conditionnes. Cet aspect quelque peu polymorphe des dmarches (et, sans doute, des conceptualisa-tions) devrait se rvler utile et peut-tre fructueux.

Quant la majorit des contributions runies et prsentes au colloque

de Klagenfurt sur LEvnement (1er juin 3 juin 2005) , les participants ont eu soin de choisir des crivains ou des secteurs littraires pour lesquels compte tenu de leurs activits et de leurs publications ils peuvent tre considrs comme des spcialistes. Cela sinscrit dailleurs dans lintention gnrale du projet de viser un objet aux caractristiques complexes en par-tant dune base de connaissances bien assures. Do une conclusion quon pourrait dire optimiste: on espre que les textes de ce volume pourront ai-der faire progresser tant soit peu lide du concept dvnement en litt-rature.