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Introduction 7 INTRODUCTION Paul Champsaur Directeur général de l’Insee En mon nom et au nom de mes collègues de l’Insee, je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue. Je suis très heureux de vous accueillir pour ce 8ème séminaire de la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee, consacré à l’innovation dans les entreprises. Comme ceux qui l’ont précédé, ce séminaire a l’ambition de faire dialoguer acteurs et observateurs pour améliorer l’adéquation entre l’offre de la statistique publique et les besoins de ses utilisateurs. Il s’agira de réfléchir ensemble aux enjeux que représente la mesure de l’innovation pour comprendre les évolutions macro- et micro-économiques. Il s'agira aussi de porter un regard sur la manière de collecter l’information nécessaire, en fonction des contraintes et de l’organisation des entreprises. Je voudrais tout d’abord remercier de leur présence les intervenants qui vont nourrir notre réflexion d’aujourd’hui. Pascal Hénault, directeur de la recherche et de l’innovation chez PSA Peugeot-Citroën, Pierre Saulay et Eric Barchechath, du GIE Recherche Haussmann (groupe des Galeries Lafayette), nous feront part de leur expérience directe d’hommes d’entreprises, et Sylvie Schott-Reverberi, directrice d’Alsace-BioValley, nous montrera comment une association de cette nature favorise l’innovation dans les entreprises qui y adhèrent. Jacques Astoin, de la direction de la technologie au Ministère de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche, animera la table ronde des représentants des entreprises. Nous accueillerons également des chercheurs et universitaires : David Encaoua, professeur à Paris 1, que je remercie tout particulièrement d’avoir accepté de présider la séance de ce matin, Pierre Mohnen, professeur au Maastricht Economic Research Institute on Innovation and Technology (MERIT), Dominique Foray, de l’Institut pour le Management de la Recherche et de l'Innovation de Paris-Dauphine, sans oublier Jacques Mairesse, du Centre de Recherche en Economie et Statistique (CREST) de l’Insee. Chacun d’eux, en fonction de l’approche qui lui est propre, analysera les déterminants et les effets socio-économiques de l’innovation. Pour avoir un aperçu des instruments d’observation dont nous disposons actuellement, nous entendrons Georg Licht, du Centre de recherche économique européenne à Mannheim, Dominique Guellec, de l’OCDE et Elisabeth Kremp, du service des études et des statistiques industrielles. Pourquoi s’intéresser à la mesure de l’innovation dans les entreprises ? Plusieurs raisons à cela : l’innovation est un phénomène répandu dans la plupart des secteurs ; c’est un facteur majeur de la compétitivité de l’économie et, enfin, elle est très difficile à mesurer compte tenu de la multiplicité de ses manifestations dans les entreprises. Pour reprendre la définition qui figure sur la plaquette qui vous a été remise, « innover, c’est introduire quelque chose de nouveau ou de différent dans l’activité économique. Nouveaux produits, nouveaux matériaux ou procédés de fabrication, nouveaux services ou modes de communication, nouvelles formes d’organisation ». Ainsi définie, l’innovation, sous toutes ses formes, concerne la plupart des entreprises : ainsi entre 1998 et 2000, d’après l’enquête publiée aujourd’hui par le Sessi, plus de 40% des entreprises industrielles de 20 salariés et plus ont innové, et ces entreprises innovantes représentent de l’ordre de 80 % du chiffre d’affaires de l’industrie. Dans le tertiaire, la proportion d’entreprises innovantes atteint 20 % dans le commerce de gros et 38 % dans les services aux entreprises.

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Introduction 7

INTRODUCTION

Paul Champsaur Directeur général de l’Insee

En mon nom et au nom de mes collègues de l’Insee, je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue. Je suis très heureux de vous accueillir pour ce 8ème séminaire de la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee, consacré à l’innovation dans les entreprises. Comme ceux qui l’ont précédé, ce séminaire a l’ambition de faire dialoguer acteurs et observateurs pour améliorer l’adéquation entre l’offre de la statistique publique et les besoins de ses utilisateurs.

Il s’agira de réfléchir ensemble aux enjeux que représente la mesure de l’innovation pour comprendre les évolutions macro- et micro-économiques. Il s'agira aussi de porter un regard sur la manière de collecter l’information nécessaire, en fonction des contraintes et de l’organisation des entreprises.

Je voudrais tout d’abord remercier de leur présence les intervenants qui vont nourrir notre réflexion d’aujourd’hui.

Pascal Hénault, directeur de la recherche et de l’innovation chez PSA Peugeot-Citroën, Pierre Saulay et Eric Barchechath, du GIE Recherche Haussmann (groupe des Galeries Lafayette), nous feront part de leur expérience directe d’hommes d’entreprises, et Sylvie Schott-Reverberi, directrice d’Alsace-BioValley, nous montrera comment une association de cette nature favorise l’innovation dans les entreprises qui y adhèrent.

Jacques Astoin, de la direction de la technologie au Ministère de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche, animera la table ronde des représentants des entreprises.

Nous accueillerons également des chercheurs et universitaires : David Encaoua, professeur à Paris 1, que je remercie tout particulièrement d’avoir accepté de présider la séance de ce matin, Pierre Mohnen, professeur au Maastricht Economic Research Institute on Innovation and Technology (MERIT), Dominique Foray, de l’Institut pour le Management de la Recherche et de l'Innovation de Paris-Dauphine, sans oublier Jacques Mairesse, du Centre de Recherche en Economie et Statistique (CREST) de l’Insee. Chacun d’eux, en fonction de l’approche qui lui est propre, analysera les déterminants et les effets socio-économiques de l’innovation.

Pour avoir un aperçu des instruments d’observation dont nous disposons actuellement, nous entendrons Georg Licht, du Centre de recherche économique européenne à Mannheim, Dominique Guellec, de l’OCDE et Elisabeth Kremp, du service des études et des statistiques industrielles.

Pourquoi s’intéresser à la mesure de l’innovation dans les entreprises ?

Plusieurs raisons à cela : l’innovation est un phénomène répandu dans la plupart des secteurs ; c’est un facteur majeur de la compétitivité de l’économie et, enfin, elle est très difficile à mesurer compte tenu de la multiplicité de ses manifestations dans les entreprises.

Pour reprendre la définition qui figure sur la plaquette qui vous a été remise, « innover, c’est introduire quelque chose de nouveau ou de différent dans l’activité économique. Nouveaux produits, nouveaux matériaux ou procédés de fabrication, nouveaux services ou modes de communication, nouvelles formes d’organisation ».

Ainsi définie, l’innovation, sous toutes ses formes, concerne la plupart des entreprises : ainsi entre 1998 et 2000, d’après l’enquête publiée aujourd’hui par le Sessi, plus de 40% des entreprises industrielles de 20 salariés et plus ont innové, et ces entreprises innovantes représentent de l’ordre de 80 % du chiffre d’affaires de l’industrie. Dans le tertiaire, la proportion d’entreprises innovantes atteint 20 % dans le commerce de gros et 38 % dans les services aux entreprises.

Insee Méthodes 8

Quant aux entreprises qui n’innovent pas par elles-mêmes, elles seront souvent appelées à adopter les innovations des autres pour se développer, ou même simplement survivre en poursuivant leur activité : d’où l’importance des questions de diffusion de l’innovation.

Un rapide tour d’horizon des enjeux

Comme la création d’entreprises, qui était le sujet du séminaire de l’an dernier, l’innovation est un moteur essentiel du renouvellement du système productif et sa vigueur - ou à l’inverse sa faiblesse relative - constituent des indices précieux de la santé d’une économie, de sa compétitivité, de sa capacité à résister à la concurrence.

Le rôle moteur du changement technologique dans la croissance a été perçu depuis longtemps pour l’industrie, et il a notamment été décrit par Schumpeter. Ainsi l’innovation de produit, qui vise à créer des marchés, sur lesquels l’entreprise innovante sera temporairement en situation de monopole : elle a concerné 34 % des entreprises industrielles au cours de la période d’enquête. L’innovation dans les procédés de fabrication vise quant à elle à obtenir des avantages de coût afin d’accroître les parts de marché ou tout au moins les profits pour les produits existants : 23 % des entreprises industrielles disent en avoir réalisé pendant la même période.

L’exemple des secteurs des technologies de l’information et de la communication, où les deux types d’innovation ont joué de façon spectaculaire, est bien connu, au point que beaucoup d’analystes ont attribué à cette « révolution », sensible aux États-Unis avant de l’être ailleurs, la longueur de la dernière phase d’expansion outre-Atlantique, ainsi que l’accroissement de la productivité du travail constaté dans la deuxième moitié de la décennie 90. Mais l’enquête du Sessi met aussi en exergue certains domaines du secteur des équipements du foyer particulièrement innovants, comme les produits « blancs » dans lesquels plus de 80 % des entreprises sont concernées, ainsi que les activités de pharmacie, de parfumerie et entretien (58 % des entreprises) et la chimie (50 %).

Les pouvoirs publics ont depuis longtemps pris conscience des enjeux de l’innovation sur le développement économique. Cela d’autant plus que l’internationalisation des économies, la globalisation des marchés ont mécaniquement démultiplié ces enjeux. L’Union européenne a adopté le 20 novembre 1996, à la suite du Livre vert de décembre 1995, son premier plan d’action pour l’innovation, et la politique européenne d’aide à l’innovation a été relancée au sommet de Lisbonne en 2000. En France, le Gouvernement examine ce matin même, au Conseil des ministres, un train de mesures en faveur de l’innovation.

Pour élaborer et cibler ces politiques, puis pour suivre les effets de ces politiques, des outils ont été mis en place : la France a commencé à publier en avril 1999 un « tableau de bord de l’innovation ». Deux fois par an, il présente une vingtaine d’indicateurs répartis sur quatre volets : nouveaux capitaux, nouveaux entrepreneurs, nouvelles technologies, nouveaux usages. La Commission a, pour sa part, annexé un tableau de bord à sa communication de 2000 au Conseil et au Parlement sur « l’innovation dans une économie fondée sur la connaissance ».

Ces outils peuvent comporter des indicateurs indirects de l’innovation, comme le suivi des brevets, mais ils posent très vite la question qui nous occupe ici, la mesure de l’innovation dans le système productif d’un pays.

La mesure de l’innovation

Pour appréhender l’innovation à travers une mesure statistique, il faut d’abord la définir. Actuellement, les statisticiens disposent d’un cadre de mesure, le manuel d’Oslo, qui est relativement récent puisque sa première version a été produite au début des années 90. La version actuelle a été publiée en 1996.

Le manuel d’Oslo propose un cadre conceptuel pour l’innovation : conditions de l’innovation, facteurs de transferts, et le réseau complexe de facteurs propres à l’innovation au premier rang desquels figure la recherche-développement. Il comporte des définitions permettant d’appréhender l’innovation technologique de procédé et de produit, ainsi qu’un cadre de mesure : objectifs poursuivis par l’entreprise à travers l’innovation, facteurs facilitant ou freinant celle-ci, identification des firmes innovantes, impact de l’innovation sur les performances de ces firmes, diffusion de l’innovation dans le tissu économique.

Introduction 9

Malgré ses limites, le cadre défini par le manuel d’Oslo et l’impulsion donnée par l’Union européenne et, plus spécifiquement, Eurostat ont permis la mise en œuvre d’enquêtes communautaires coordonnées dont la première (CIS1) a été lancée en 1992 : on en est à la troisième vague d’enquêtes (CIS3) dont les résultats, pour la France, sont publiés en cette fin d’année. Les enquêtes CIS constituent un matériau précieux d’étude comparative du phénomène de l’innovation, de son impact sur l’économie, dans un cadre qui déborde même les pays de l’OCDE, dans la mesure où le manuel d’Oslo est utilisé par des pays tiers.

La difficulté d’expliquer les divergences entre les résultats de certains pays montre cependant que le dispositif est perfectible, ce qui justifie la poursuite des recherches et souligne l’intérêt de ce séminaire.

En particulier, le manuel d’Oslo est encore fortement marqué par une vision industrielle, il n’aborde pas les autres formes d’innovation, ni l’innovation de produit non technologique, ni l’innovation dans l’organisation : restructurations internes, techniques avancées de gestion, orientations stratégiques. Il met en évidence de nombreux cas limites qui laissent encore beaucoup de marge à la concertation entre statisticiens et utilisateurs. C’est pourquoi il fait l’objet d’un processus de révision et d’amélioration.

Dans ce processus, la France s’est efforcée d’apporter sa contribution : l’Insee a ainsi lancé en 2001 une enquête spécifique sur le commerce de détail et certains services, afin de tenter une observation différente des processus d’innovation, destinée à mettre en évidence l’existence d’innovations non technologiques et d’innovations de nature stratégique. Dans le secteur du commerce, notamment, un choix spécifique a été fait de manière à enquêter des entreprises dont le caractère innovant est supposé nécessaire pour résister à un marché fortement concurrentiel, et l’enquête a pu mettre en évidence que 62 % des entreprises répondantes du secteur de la grande distribution (hypermarchés, centrales d’achat, grande distribution spécialisée) sont ou ont été dans une problématique d’innovation ces dernières années.

Déroulement de la journée

Sur ce sujet, dont l’importance stratégique n’échappe à personne, mais dont on perçoit les difficultés de conceptualisation et de mesure, nous commencerons par entendre la vision concrète qu’en ont les représentants des entreprises. Ils nous décriront leur expérience, et un débat pourra s’engager entre eux, et avec la salle. Cette entrée en matière, habituelle dans les séminaires de la direction des statistiques d’entreprises, occupera toute la matinée et présente cette année une utilité toute particulière.

Au début de l’après-midi, les statisticiens et économistes français et internationaux préciseront le cadre de mesure et les instruments que je viens d’évoquer brièvement.

Enfin, les chercheurs et les universitaires nous entretiendront des enjeux de la mesure, des résultats qu’ils en tirent, de leurs satisfactions et de leurs insatisfactions vis à vis des instruments mis en oeuvre.

Je souhaite que la confrontation de toutes vos expériences nous aide collectivement à progresser dans la description et dans l’analyse du phénomène de l’innovation, à l’aide d’outils adaptés aux possibilités et à l’organisation des entreprises, et répondant aux besoins des utilisateurs de nos données. Je formule le vœu que, suite à ce séminaire, la France puisse apporter, dans le processus de rénovation du manuel d’Oslo, des propositions concrètes et argumentées, répondant aux besoins d’observation et compatibles avec les pratiques des entreprises.

Je vous souhaite une excellente journée de débats.

L’innovation, quelles stratégies ? 13

L’INNOVATION, QUELLES STRATÉGIES ?

David Encaoua Professeur d’économie, EUREQua, Université Paris 1

Cette première session est elle-même divisée en deux parties. La première sera dédiée à la présentation de trois expériences d’entreprises en matière d’innovation, dans des domaines apparemment très différents :

�� le secteur de l’automobile, représenté aujourd'hui par Pascal Hénault, directeur de la Recherche et de l’Innovation Automobile chez PSA Peugeot Citroën ;

�� le secteur de la biotechnologie, représenté par Sylvie Schott, directrice de l’association Alsace BioValley ;

�� le secteur des services commerciaux, représenté par Pierre Saulay, de la mission Innovation de Laser, Groupe Lafayette Services.

La seconde partie de cette séance sera consacrée à la présentation par Monsieur Jacques Astoin d’un certain nombre d’éléments relatifs à la politique technologique, mais également à la tenue d’une table ronde, laquelle permettra à la salle d’intervenir.

Cette première séance est consacrée à un dialogue entre deux des principaux acteurs de l’innovation ; les entreprises et les pouvoirs publics. J’espère que ce dialogue sera riche et vivant. Il m’a été demandé de présider cette séance compte tenu de mon implication dans le programme CNRS Les enjeux économiques de l’innovation, que j’ai dirigé de 1997 à 2001.

Je souhaite remercier Messieurs Hébert et Grandjean, qui sont à l’origine de l’organisation de cette journée, qui, je l’espère, sera fructueuse.

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Innovation automobile : de l’idée à la voiture

Aujourd’hui, l’innovation est devenue une nécessité pour toute activité économique. Pourquoi ? Parce qu’innover, c’est aller de l’avant et conduire le progrès. Parce qu’une entreprise qui innove est une entreprise vivante à laquelle les clients s’identifient plus directement et plus facilement.

L’innovation est l’occasion unique de se créer les avantages concurrentiels indispensables à la croissance et à la rentabilité. Elle est donc une véritable priorité pour un constructeur automobile qui doit convaincre chaque jour des milliers de clients dans le monde de choisir son produit parmi une offre abondante et ainsi faire la différence.

Pour créer cet avantage concurrentiel, l’entreprise doit être à l’écoute des besoins, exprimés ou latents, des clients et de la société. En parallèle, l’entreprise doit être capable d’assimiler et d’intégrer dans ses projets les possibilités offertes par les nouvelles technologies dont l’évolution a été exponentielle ces dernières années ; et c’est par le rapprochement de ces deux démarches que naissent les propositions d’innovation.

Ces approches, dans certains cas antagonistes et dans d’autres synergiques, mettent sous tension les diverses facettes d’une automobile. La voiture est un produit grand

public complexe qui fait appel à une multitude d’expertises technologiques. Toutes ses fonctions sont en permanente ébullition et l’innovation peut se loger dans chacune d’entre elles et parfois même dans le concept tout entier.

Pour retenir la bonne innovation et pour qu’elle atterrisse dans ses véhicules de demain, PSA Peugeot Citroën a mis en place une démarche structurée. Ce processus est défini, de l’amont jusqu’à l’aval, autour d’un Plan de Recherche et d’Innovation. Par des étapes successives d’évaluation et de sélection, il permet de passer d’une idée à une réalisation concrète dans une logique de gestion par projet.

Innover, pour PSA Peugeot Citroën, c’est déployer un processus organisé pour conduire la mutation permanente de l’automobile, dans ses composants élémentaires comme dans ses synthèses, pour au final proposer aux clients les produits qu’ils attendent plus ou moins consciemment.

Innover, c’est aussi rêver le futur pour construire une vision à long terme de l’automobile afin de préparer dès aujourd’hui les grands enjeux de demain.

Insee Méthodes 16

Automotive innovation: from concept to car

Innovation is a necessity in all business sectors. Innovation means staying in the lead and driving progress. An innovating company is a living company with which customers identify more directly and more easily.

Innovation provides a unique opportunity to create the competitive advantages that are vital to growth and profitability. It therefore makes all the difference for an automaker that must convince thousands of customers every day, around the world, to prefer its product to a host of competing ones.

To create this competitive advantage, the company must be attentive to the expressed or implicit needs of customers and society. At the same time, the company’s programs must be capable of assimilating and integrating the potential offered by new technologies, which have grown exponentially in recent years. And it is the combination of these two approaches that engenders innovation proposals.

These approaches—sometimes antagonistic, sometimes synergistic—create continuous pressure in the many areas

of automobile design and production. The automobile is a complex mass-market product that draws on a wide range of technological skills. All its functions are in perpetual effervescence: innovation may be embedded in each of them and sometimes even in the overall concept.

To select the right innovation and ensure that its ends up in tomorrow's vehicles, PSA Peugeot Citroën has introduced a structured approach. The process is defined from end to end by a Research and Innovation Plan. Through successive assessment and selection stages, it provides a transition from idea to practical implementation within a project-management framework.

For PSA Peugeot Citroën, innovation consists in conducting an orderly process to manage the automobile’s continuous change—in its basic components as well as in its aggregates. The end purpose is to offer customers the products they more or less consciously expect.

Innovation also means thinking ahead to the long-term future of the automobile, so we can prepare today for the major challenges of tomorrow.

L’innovation, quelles stratégies ? 17

INNOVATION AUTOMOBILE : DE L’IDÉE À LA VOITURE

Pascal Hénault Directeur de la Recherche et de l’Innovation Automobile,

PSA Peugeot Citroën

Pourquoi innover dans le monde de l’automobile ?

Le secteur de l’automobile est très concurrentiel, et l’offre des différents constructeurs est aujourd'hui extrêmement riche. Ainsi, si la Peugeot 205 se battait à l’époque contre 14 concurrents, la Peugeot 206 doit aujourd'hui faire face à 39 concurrents, et nous estimons que sa remplaçante devra lutter contre 54 véhicules concurrents.

Plus généralement, dans l’ensemble du marché européen, il y avait en 1997, 205 silhouettes différentes, c'est-à-dire des carrosseries différentes d’un même véhicule (berline, break, coupé). Aujourd'hui, il existe 280 silhouettes sur le marché et il y en aura plus de 350 à l’horizon de 2007.

Face à ce jeu concurrentiel, l’innovation est un outil formidable pour un constructeur automobile : en effet, il nous faut chaque jour convaincre plus de 13 000 clients à travers le monde de choisir nos véhicules.

L’innovation est donc une clé essentielle pour PSA Peugeot Citroën. Elle figure ainsi parmi les trois axes stratégiques retenus par son président, Monsieur Jean-Martin Folz :

• l’innovation ;

• la croissance des ventes ;

• la rentabilité.

Pour accompagner cette volonté d’innovation, Jean-Martin Folz a décidé de créer en 1998 une direction spécifique dédiée à l’innovation sur les produits, que j’ai le plaisir de diriger.

Quelles sont les innovations pertinentes dans le monde de l’automobile ?

Il est possible de distinguer dans l’automobile deux types d’innovations majeures :

�� les innovations visibles : il peut s’agir d’un concept de véhicule nouveau – comme la 206 coupé cabriolet – ou d’un équipement nouveau – comme un système de freinage innovant ;

�� les innovations « invisibles » contribuant à la compétitivité : ces innovations « invisibles » sont tout autant nécessaires : une automobile n’est pas seulement un style ou un concept, mais un « tout », fabriqué à l’aide d’un grand nombre d’éléments différents. Par exemple, le choix d’une technologie aluminium pour fabriquer le capot d’une 607 permet de gagner sept kilos, ce qui contribue à réduire la masse globale de la voiture, et donc sa consommation.

L’innovation chez PSA Peugeot Citroën

Malgré la taille de notre groupe, il ne nous est pas possible d’explorer en permanence toutes les technologies émergentes. Nous devons donc sélectionner rapidement les plus pertinentes, afin d’éviter une dispersion de nos moyens qui atténuerait notre compétitivité.

Insee Méthodes 18

Nous avons donc mis en place une démarche structurée, qui se fonde sur la recherche, en adoptant une logique de gestion par projet. Lors des phases amont, nous avons décidé de concentrer plus particulièrement nos activités d’innovation sur quatre axes stratégiques majeurs.

Les trois premiers prennent en compte les besoins des clients, qu’ils soient exprimés ou latents, et les besoins sociétaux et réglementaires :

�� l’amélioration de la sécurité sous toutes ses formes ;

�� la réduction de la consommation et la prise en compte de l’environnement ;

�� l’agrément d’usage de l’automobile et la notion de confort.

Le quatrième axe vise à assurer la croissance du groupe : grâce à l’augmentation et la diversification de l’offre produits, nous cherchons à préparer une plus grande couverture des marchés par PSA Peugeot Citroën.

La recherche amont

La première étape du processus, dévolue à la recherche amont, a pour objet de détecter et d’évaluer les innovations. Nous menons ces travaux avec :

- des laboratoires extérieurs, comme le Centre d’études atomiques (CEA) ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

- des écoles et des universités, comme le Laboratoire de mécanique des solides de l’École polytechnique ;

- des fournisseurs équipementiers comme Valéo, Magneti-Marelli ou Bosch.

Un grand nombre de ces travaux sont effectués dans le cadre de partenariats nationaux – le Programme national de REcherche et D’Innovation dans les Transports terrestres (PREDIT) – ou de partenariats européens, avec le Programme Cadre de Recherche et Développement (PCRD). Nous disposons de plus de soixante-dix programmes de recherche dans ce secteur. Le plus important de ces programmes est le domaine de la pile à combustible, qui projette PSA Peugeot Citroën dans l’automobile du futur autour de plusieurs axes :

�� le développement durable ;

�� le respect de l’environnement ;

�� la qualité de l’air dans les villes ;

�� le fait que les carburants fossiles soient en quantité finie.

L’ensemble des constructeurs automobiles a ainsi décidé de travailler sur le secteur de la pile à combustible, en utilisant l’hydrogène comme carburant. Le mécanisme de cette pile est le suivant : une double injection d’hydrogène et d’air permet de produire de l’énergie électrique et de l’eau. Un réservoir d’hydrogène, pour disposer d’une autonomie équivalente à cinquante litres d’essence, a un volume qui est environ sept à dix fois supérieur à celui du réservoir d’essence.

Cette contrainte induit une révolution complexe : si l’hydrogène est stocké de manière liquide, le réservoir doit être 5 fois plus grand, si l’hydrogène est comprimé à 700 bars, le réservoir doit être 7,5 fois plus grand et 10 fois plus grand si la compression est de 350 bars.

Face à ce problème de stockage, nous avons proposé deux types de conception. Le premier est appelé « Taxi PAC » : il s’agit d’un véhicule électrique, sur lequel nous avons remplacé les batteries par un stockage d’hydrogène et une pile à combustible. Cette option est particulièrement intéressante, dans la mesure où la taille du volume d’hydrogène n’assure qu’un complément d’autonomie. Le système que nous avons breveté est du type « plug and drive ». L’autonomie de ce type de véhicule est d’environ 250 à 350 kilomètres, ce qui correspond complètement à la tournée du taxi parisien habituel.

L’innovation, quelles stratégies ? 19

Le second type de configuration a pour objet de produire l’hydrogène à bord, ce qui induit de disposer d’hydrogène liquide : une solution de borohydrure de sodium et un catalyseur permettent de fabriquer de l’hydrogène à bord, lequel est utilisé dans un prolongateur d’autonomie. Ce concept car, appelé H20, a été présenté au Mondial de l’automobile au mois de septembre 2002 à Paris.

La pile à combustible constitue néanmoins une source de problèmes qui doivent être résolus. Les quinze prochaines années devraient nous permettre de savoir si ce type d’innovation est définitivement viable.

Le plan innovation

Ce plan mobilise 750 personnes sur 75 projets qui durent environ deux ans. Notre mission consiste ici à valider les innovations technologiques sur le plan technique et économique, mais également en recherchant l’intérêt potentiel du client. Cette étape permet également de protéger les innovations par le dépôt de brevets : nous déposons plus de 300 brevets en France, ce qui nous classe au second rang derrière L’Oréal.

L’innovation qui est développée doit ensuite être validée selon deux cas de figure.

a. L’innovation rejoint un projet véhicule ou un projet organe.

L’organisation de PSA Peugeot Citroën favorise ce processus, dans la mesure où la direction de l’innovation est également responsable de la première année du développement des futurs véhicules organes du groupe.

Il s’agit par exemple du concept car Peugeot Sésame présenté au Mondial de l’automobile, qui préfigure un prochain véhicule urbain de la marque Peugeot. Ce véhicule urbain est muni d’une porte latérale coulissante qui couvre presque le tiers de la surface latérale du véhicule et dégage l’accessibilité aux places arrière. Pour achever ce projet, nous avons bien entendu dû vaincre un certain nombre de problèmes d’équilibrage et de fonctionnement de cet organe innovant.

b. L’innovation rejoint un véhicule déjà existant.

Il s’agit par exemple de l’innovation du pavillon Modutop, qui a été proposé trois années après le début de la commercialisation du Citroën Berlingo. Ce véhicule est à l’origine une fourgonnette de livraison, mais il existe également une version de voiture particulière destinée aux familles avec des enfants en bas âge. Nous avons cherché à démarquer la voiture particulière de son jumeau véhicule utilitaire, en développant un système de pavillon qui reprend un concept utilisé dans les avions, avec des casiers de rangements. Cet équipement connaît un grand succès, qui ne se dément pas.

Enfin, le filtre à particules est une exclusivité de PSA Peugeot Citroën, qui a été appliquée sur l’ensemble des moteurs à injection directe diesel common rail du groupe. Ce système permet de piloter un certain nombre d’injections, et notamment de la post injection (« le cinquième temps du moteur »), qui permet de brûler les particules dans un filtre et de ramener le niveau des émissions de particules en dessous de la limite du mesurable. Désormais, plus de 300 000 filtres à particules sont aujourd'hui en circulation, et nous sommes satisfaits d’avoir démontré que la motorisation diesel disposait d’un grand avenir devant elle, dans la mesure où son rendement est bien meilleur que celui d’un moteur à essence.

L’accroissement de l’offre produit

Cet axe a pour objectif d’augmenter la diversité de notre offre produits. Le Groupe a ainsi créé neuf silhouettes nouvelles entre 1997 et 2000, et en créera vingt-cinq entre 2001 et 2004. Ceci est en cohérence avec nos objectifs de croissance : nous vendions deux millions de voitures en 1998, plus de trois millions en 2001 et nous visons quatre millions en 2006. Notre objectif de croissance nécessite ainsi d’accroître notre offre produit.

Dans ce dessein, nous avons retenu un double objectif. En premier lieu, nous menons une politique de plate-forme qui permet de mutualiser les coûts. En second lieu, la prise en compte des attentes des clients par l’intermédiaire d’enquêtes nous a permis de discerner deux courants : le besoin du multiusage (une voiture à tout faire) et l’attrait pour les silhouettes hors berline.

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Face à ces deux paramètres, nous avons opté pour une stratégie d’hybridation de concept. Le premier exemple concerne la Peugeot 206 Coupé Cabriolet : nous avons innové avec un toit rigide articulé qui disparaît dans le coffre. Cette formule est un succès, dans la mesure où plus de 430 exemplaires de ce type de véhicules sont vendus quotidiennement, soit le double des volumes prévisionnels.

Un autre type d’hybridation est représenté par la Peugeot 307 SW : nous voulions un véhicule familial tout en ne reprenant pas la formule de la berline. Nous avons établi une formule hybride, qui adopte le style d’un break, avec les fonctionnalités d’un monospace.

Enfin, le concept car Citroën Pluriel part de l’objectif de réinventer des voitures mythiques (2CV, Dyane, Méhari), en intégrant une triple hybridation : une berline, un cabriolet et un pick-up. Ce véhicule sera très prochainement commercialisé.

En guise de conclusion, trois points essentiels doivent être retenus :

�� pour PSA Peugeot Citroën, l’innovation est une nécessité pour garantir la croissance et la rentabilité ;

�� l’innovation est un processus structuré autour de plans de recherche et d’innovation, avec une gestion par projets ;

�� l’innovation a pour objectif d’être constamment à l’écoute des clients, pour mieux les satisfaire grâce aux technologies de demain.

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L’innovation dans le secteur des biotechnologies : de la découverte scientifique à la création de nouvelles entreprises

Parler d’innovation dans les biotechnologies est un quasi-pléonasme considérant que les biotechnologies représentent un nouveau secteur d’activité qui a pu se développer grâce aux découvertes récentes sur la connaissance du vivant, notamment le décryptage du génome humain. Les biotechnologies représentent le marché le plus important du XXIème siècle puisqu’elles vont permettre de développer les thérapies de demain. Diagnostic précoce de maladies génétiques, médecine personnalisée en fonction de la carte génétique d’une personne, nouvelles thérapies telles que la thérapie génique, le monde de tous les possibles est ouvert.

L’enjeu de l’innovation dans les biotechnologies est à la fois sociétal et économique :

- Sociétal en raison des questions éthiques que peuvent soulever certaines nouvelles thérapies (utilisation des cellules-souches, par exemple). Quelles sont les promesses et les limites de cette médecine du futur ? Les réponses apportées par les différents pays ne seront pas toujours les mêmes alors que la population de toute la planète est concernée.

- Économique car les biotechnologies bouleversent le visage du secteur de la santé. Face au coût colossal du développement d’un nouveau médicament, les grands groupes pharmaceutiques fusionnent et externalisent de plus en plus leur recherche et développement (4 % en

1996 contre 30 % en 2000). Des entreprises d’un nouveau modèle ont vu le jour : les « jeunes pousses » biotech qui se créent à partir de transferts de brevets issus des laboratoires publics ou des « big pharma ». La deuxième branche de la nouvelle économie est née d’abord aux États-Unis, puis a démarré de façon significative en Europe vers 1995.

Ces entreprises d’un modèle nouveau appellent la création de nouveaux outils d’accompagnement du point de vue des modes de financement ou des infrastructures d’accueil qui demandent un engagement de la puissance publique.

Compte tenu des perspectives offertes par cette nouvelle filière économique issue de l’innovation, beaucoup de régions européennes se sont positionnées sur ce créneau pour devenir l’un des « clusters » (agrégats) biotech reconnu au niveau global.

BioValley est l’une de ces régions avec l’originalité de réunir trois régions de trois pays frontaliers : la France, l’Allemagne et la Suisse. Quels sont les facteurs de succès d’un cluster biotech pour permettre à une innovation scientifique de créer de la valeur ajoutée ?

L’objectif de cet exposé sera de vous tracer les grandes lignes de la démarche qui a été engagée dans BioValley pour relever ce défi scientifique, économique et sociétal du XXIème siècle.

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Innovation in biotechnology: from scientific discovery to business start-ups

To speak of innovation in biotechnology is almost a pleonasm: biotechnology is a new industry whose growth has been driven by recent discoveries in the life sciences—most notably the decoding of the human genome. Biotechnology constitutes the biggest market of the twenty-first century, since it holds the key to tomorrow’s therapies. From early diagnosis of genetic diseases to personalized care based on an individual’s gene map and new approaches such as gene therapy, biotechnology opens up a world of possibilities.

Biotechnology innovation raises social and economic issues:

- Social issues, because of the ethical implications of new therapies such as those involving the use of stem cells. What are the promises of this “medicine of the future”—and what are its limits? While different countries will not always come up with identical answers, the entire world population is concerned.

- Economic issues, because biotechnology is revolutionizing the healthcare industry. The colossal cost of new-drug development is forcing the major

pharmaceutical firms to merge and, increasingly, to outsource their R&D (from 4% in 1996 to 30% in 2000). A new type of business has emerged: biotech start-ups created thanks to patent transfers from public laboratories and from “big pharma” firms. This second branch of the new economy was born in the United States, and had developed significantly in Europe since about 1995.

Biotech start-ups need to be supported in new ways, with official backing for funding and infrastructure.

Because of the potential of this new, innovation-based economic sector, many European regions are now striving to become world-class “biotech clusters.”

One such area is BioValley, whose originality lies in its associating three regions from three contiguous countries: France, Germany, and Switzerland. What are the success factors in a biotech cluster that enable a scientific innovation to create value?

This paper will outline BioValley’s approach to meeting this scientific, economic, and social challenge of the twenty-first century.

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L’INNOVATION DANS LE SECTEUR DES BIOTECHNOLOGIES :

DE LA DÉCOUVERTE SCIENTIFIQUE À LA CRÉATION DE NOUVELLES ENTREPRISES

Sylvie Schott Directrice, association Alsace BioValley

Mon exposé a pour objectif de présenter le secteur des biotechnologies, qui représente une innovation en soi, puisqu’il s’agit de nouvelles sciences et de nouvelles entreprises qui se développent à partir des brevets issus de cette nouvelle recherche.

Le cadre général du secteur des biotechnologies

Une définition succincte de la biotechnologie permet de l’envisager comme l’utilisation d’organismes vivants pour produire des biens et des services. Les applications interviennent dans plusieurs domaines :

�� le domaine de la santé humaine et animale ;

�� le domaine de l’agroalimentaire ;

�� le domaine de l’environnement.

La bio-industrie consiste en une nouvelle filière industrielle indissociable de l’innovation scientifique et intellectuelle. En effet, la bio-industrie et les biotechnologies représentent le marché le plus porteur de croissance pour les cent prochaines années, dans la mesure où elles vont révolutionner le secteur de la santé.

Un des enjeux essentiels a trait à la brevetabilité du vivant, pour la médecine du futur. Ainsi, grâce à la recherche génétique, les nouvelles thérapies offrent des perspectives d’espoir, mais il convient de se demander jusqu’où nous souhaitons aller. Cette question doit être traitée par les législations nationales.

L’enjeu économique est également majeur : le secteur de la santé est l’un des plus importants au niveau de l’économie mondiale. Les biotechnologies permettent ainsi de relier la communauté scientifique et le monde économique, qui avaient eu tendance à s’éloigner.

En outre, les grandes entreprises de la santé (les « big pharmas ») ont changé d’attitude, en externalisant de plus en plus leur politique de recherche. Ceci est en partie lié au coût de développement d’un médicament, qui s’étalonne entre 500 et 800 millions de dollars et dure une dizaine d’années.

La mondialisation a ainsi donné lieu à de gigantesques fusions et les entreprises pharmaceutiques sont devenues d’immenses outils de marketing pour la mise sur le marché de nouveaux médicaments, mais elles ne constituent plus la source de l’innovation et de la recherche. Elles sont donc conduites à trouver les innovations dans les laboratoires de recherche sur les biotechnologies.

Dans la mesure où les entreprises de biotechnologies se développent à partir de la recherche publique, il existe également un processus d’aide gouvernementale.

Il convient de noter que la création et le développement des entreprises de biotechnologies ont été accompagnés par un nouveau modèle économique d’origine américaine, fondé sur l’initiative. En effet, l’esprit entrepreneurial est à l’origine de ce développement : un étudiant américain sur deux qui sort de l’université a envie de créer son entreprise. En outre, la facilitation du transfert de technologies est primordiale : les organismes publics de recherche français ont désormais mis en place des nouveaux outils pour accélérer ce transfert de technologies et favoriser la création de valeur.

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En Europe, les biotechnologies ont émergé vers 1995, grâce à un changement de mentalité et à la prise de conscience des institutions européennes et des différents pays d’un nécessaire transfert de technologies. Malgré la multiplication d’entreprises de biotechnologie en Europe, elles demeurent deux fois moins nombreuses qu’aux Etats-Unis et emploient nettement moins de salariés. Néanmoins, de plus en plus de produits sont actuellement en phase de test et contribuent ainsi à faire de ce secteur un secteur d’avenir.

Les seules statistiques sur le secteur des nouvelles technologies sont publiées par le cabinet Ernst &Young et remontent pour l’Europe à l’année 2001. Le marché leader était alors le Royaume-Uni, à présent dépassé par l’Allemagne en terme de nombre d’entreprises, grâce à un programme gouvernemental fédéral lancé en 1995.

Le fondement même de la nouvelle économie est appelé le « réseau social » ou social network. Les principaux facteurs clés de succès permettant les conditions de création de valeur grâce à un potentiel scientifique sont les suivants :

�� la présence de grandes entreprises du secteur sur un territoire géographique délimité ;

�� l’existence d’un fort potentiel au niveau de l’enseignement supérieur, de la recherche et d’un environnement clinique et médical important ;

�� un environnement économique favorable.

L’exemple de BioValley

BioValley est une organisation trinationale, franco-germano-suisse, qui a été initiée par un industriel suisse, Georg Endress, président d’un groupe de fabrication d’instruments de métrologie qui emploie aujourd'hui 7 000 personnes dans les trois pays du territoire concerné par Biovalley.

BioValley est aujourd'hui un réseau ou une « grappe » (cluster) de 2 000 personnes représentatives de tous les acteurs du processus de création d’entreprises de biotechnologies :

�� des centres de recherche publics et privés ;

�� des centres de transfert de technologies ;

�� de grands groupes pharmaceutiques comme de petites et moyennes entreprises de biotechnologie ;

�� des organismes de développement économique ;

�� des sociétés de capital risque et d’autres prestataires financiers.

Ce cluster couvre l’Alsace, le sud du Bade-Wurtemberg et le nord-ouest de la Suisse, soit une population de près de 2,5 millions d’habitants.

Les objectifs de BioValley

BioValley a été lancée en 1996, après la fusion de Ciba et de Sandoz en Novartis et le rachat par Roche de Boerhinger Mannheim, qui avait entraîné le licenciement de 5 000 personnes qualifiées dans le domaine des sciences de la vie.

Les objectifs que nous nous sommes assignés ont d’abord consisté à favoriser le transfert de technologies en faveur de la création d’entreprises. Nous voulons également devenir la région européenne la plus attractive sur ce secteur et promouvoir des alliances entre partenaires internationaux.

L’Union européenne a commencé à nous soutenir en 1997, à travers le programme de coopération transfrontalière Interreg, qui nous a permis de développer un certain nombre de services pour nos membres. Aujourd'hui, BioValley est reconnu comme le principal cluster biotechnologique (« biocluster ») européen.

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Les facteurs clés du succès de BioValley

Il s’agit en premier lieu de la qualité de l’enseignement supérieur et des organismes de recherche. BioValley regroupe ainsi 15 000 scientifiques de haut niveau, dont 5 000 doctorants, travaillant dans plus de 160 organismes de recherche. Ainsi, l’Alsace est la région disposant du plus grand nombre de laboratoires publics dans le domaine des sciences de la vie. Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie, y a ainsi fondé l’Institut de Science et d’Ingénierie Supramoléculaires (ISIS).

En second lieu, 40 % de l’industrie pharmaceutique mondiale est implantée dans la zone de la BioValley : Novartis, Roche et Aventis y ont leur siège mondial.

Cent vingt et une start-ups ont été créées dans la région entre 1997 et 2000. Les premières ont été des spin-offs issues des fusions dans l’industrie pharmaceutique : Roche et Novartis ont mis en place des fonds de conversion qui ont aidé des chercheurs issus de ces entreprises à créer leurs propres structures. Ces entreprises de biotechnologie ont besoin d’un environnement scientifique et économique spécifique.

Le modèle économique d’Alsace BioValley

Nous avons mis en place une véritable stratégie de détection de projets innovants : il existera dans les laboratoires un correspondant de la valorisation et plusieurs chargés d’affaires, afin d’essayer de produire un maximum de projets innovants dans les biotechnologies.

De surcroît, nous voulons mettre en place une plateforme de valorisation régionale. En effet, les laboratoires publics sont aujourd'hui des structures mixtes (CNRS – Universités – INSERM), ce qui engendre souvent des problèmes de paternité des brevets. Notre vocation est de permettre d’adopter une décision consensuelle sur le mode de valorisation de cette invention et du transfert de propriétés.

A partir du moment où un brevet doit aboutir à un projet plus finalisé, le scientifique doit bénéficier d’un certain encadrement, grâce aux chargés d’affaires qui disposent d’une double compétence scientifique et économique. Cette période dure de six à neuf mois, pendant laquelle un fonds de préamorçage public permettra de poursuivre les recherches.

Lorsque le projet est bien déterminé, le processus d’incubation débute et dure deux années, ce qui permet de réaliser une première levée de fonds auprès des sociétés de capital risque, mais la puissance publique assume toujours la charge des bâtiments dédiés, les « bio pépinières ». À partir du second tour de table, la société peut se lancer sur le marché privé.

Nous avons élaboré ce modèle économique avec une centaine d’experts, mais nous avons également créé des commissions de travail correspondant aux différentes phases. Notre objectif est de créer dans un horizon de dix ans 400 nouvelles entreprises et environ 3 000 emplois grâce à l’innovation et à la création de valeur dans le domaine des biotechnologies dans Biovalley au niveau trinational.

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L’innovation dans le secteur des services commerciaux

Innovation par les services ou innovation dans les services… Du concept à la diffusion réelle des usages, on s’intéresse ici à la réalité des services : rendre service, en attachant la plus grande attention au statut particulier du bénéficiaire du service, une personne.

La question de la valeur occupe une position centrale qui met en relief :

• les modalités de production : la chaîne de la valeur et en particulier son renversement ;

• la part de l’irrationnel et de l’émotion : penser aux jeux, à la musique, au sport ;

• les ressorts de l’immatériel : la gratuité, les dialectiques du marchand et du non-marchand ;

• la protection nécessaire des personnes : questions de « privacy », de libertés publiques et d’éthique.

En s’appuyant sur une cartographie particulière de l’activité marchande en général, développée par l’échangeur, il est possible d’illustrer les formes spécifiques que revêt l’innovation dans des environnements de service : de purs usages à des services à composante technologique.

Un exemple pris dans les nouveaux concepts de programmes de fidélisation permettra de montrer les ingrédients d’une innovation de service liant fidélisation dans le monde réel et fidélisation dans le monde virtuel.

De là, on constate que l’image projetée de l’innovation dans les services interroge les représentations de la valeur et des lieux où elle se forme, et que les changements de représentation et de métaphore ouvrent de nouveaux champs d’innovation, non nécessairement technologiques.

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Service innovation in the retail environment

There is innovation through services and innovation in services. From concept through actual dissemination, we focus here on the reality of services—i.e., the notion of providing a service—with special attention to the particular status of the individual to whom the service is provided.

The key notion here is value, which is central to the following areas:

• production methods: the value chain and, in particular, providing feedback;

• the role of irrationality and emotion: examples include games, music, and sport;

• intangible aspects: “free” services; the dialectics of market versus non-market products;

• the necessary protection of individuals: issues of privacy, civil liberties, and ethics.

By mapping the domains of merchandising activity in general, using the Échangeur program, we can illustrate the distinctive forms of innovation in service environments—from simple customary practices to services with a technological component.

Examining new concepts in customer-loyalty programs, we identify the components of a service innovation linking loyalty acquisition in the real world and in the virtual world.

From this example, we see that the image of innovation projected in the service sector raises questions about value perception and the contributors to value creation; representational paradigm shifts in these areas can open new fields of innovation that are not necessarily technologica

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L’INNOVATION DANS LE SECTEUR DES SERVICES COMMERCIAUX

Pierre Saulay Chargé de mission innovation, Laser (Lafayette Services)

La cellule de veille et innovation GIE Recherche Haussmann est une petite structure qui a pour mission de travailler à la croisée des nouvelles technologies, du marketing et des usages sociaux. Le groupe Galeries Lafayette, connu pour ses enseignes commerciales (Galeries Lafayette, Monoprix, BHV), l’est moins pour ses activités de services regroupées autour de la société Laser au sein de laquelle le GIE est intégré.

Or, le groupe réalise déjà le quart de son chiffre d'affaires sur des activités de services dont une grande partie à distance. Il s’agit des services commerciaux des enseignes (livraison, restauration dans les magasins), des services financiers qui accompagnent et stimulent la consommation (Cofinoga est connu pour cela), mais également d’autres concepts de services liés à l’apparition de technologies nouvelles.

Notre approche de l’innovation

On considère depuis longtemps déjà que les services doivent être envisagés comme coproduits par le bénéficiaire du service et par l’entreprise qui les commercialise. Mais l’arrivée d’Internet a suscité certains bouleversements qui accentuent cette perspective.

Internet est apparu dès l’abord comme une inversion de la chaîne de valeur pour le commerce traditionnel, l’échange pouvant « tirer » la production. C’est ainsi qu’ont connu un grand succès initial de nouveaux modèles économiques comme les enchères inversées où le client final allait jusqu’à définir lui-même, dans une certaine mesure, le produit qu’il désirait. Ces modèles, avant-gardistes, ont certes échoué mais ils ont permis de pérenniser un aspect : Internet et les réseaux placent le client au cœur de la problématique des services et inversent la relation commerciale. Nous passons d’un modèle push, où les entreprises imposaient leur offre, à un modèle pull, qui est tiré par les clients et les consommateurs.

L’innovation incrémentale

Dans ce contexte, nous sommes conduits à distinguer deux modes d’innovation. L’innovation incrémentale tout d’abord qui consiste à améliorer des services existants pour mieux les adapter aux clients et à l’évolution de leur demande sans restructuration profonde de la chaîne de valeur. Je prendrai deux exemples.

La liste de mariage Lafayette Mariage existait depuis longtemps au travers des canaux classiques (magasin, téléphone, minitel). Aujourd'hui Internet nous permet de mieux orchestrer toute une gamme de services, associés aux dons proprement dits (relation avec les conseillers, réservation de salles, animation, etc) et ainsi de fortement développer le chiffre d’affaires à travers ce nouveau canal.

De la même manière Télémarket, notre cyber-marché à domicile, a nécessité la mise en place d’un entrepôt entièrement automatisé, jugé alors très innovant alors qu’il n’introduisait pas de véritable rupture avec l’essentiel du métier, la maîtrise de la chaîne appro-logistique. En revanche on a pu vérifié que les clients de Télémarket, qui ont bien sûr leurs spécificités, pouvaient être à la fois clients de ce service et clients de nos autres enseignes. Et là réside sans doute la vraie création de valeur additionnelle, c'est-à-dire une connaissance consolidée d’un comportement large des clients, à la fois sur un canal Internet et sur un canal physique.

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L’innovation en rupture

L’innovation en rupture a contrario se caractérise par la destruction initiale de valeur, par la disparition de certains acteurs avant de redéfinir de nouveaux intermédiaires.

Prenons le cas du secteur informatique dont le modèle économique des années 80/90 se fondait sur une certaine rétention de valeur née de l’innovation technologique : les prix des machines ne baissaient pas alors que les performances des machines doublaient tous les 18 mois (la fameuse loi de Moore). Tout le bénéfice était réinvesti dans le marketing des nouveaux produits.

Dans ce contexte, Dell a bouleversé l’économie du secteur en proposant un modèle de vente à distance exclusivement, par téléphone puis sur Internet, exploitant la possibilité offerte par l’industrie microinformatique de créer des produits personnalisés à partir de composants extrêmement standardisées. Désormais, Dell est le premier distributeur de produits informatiques. La rotation extrêmement rapide de ses stocks (57 fois par an !), qui progresse chaque mois, témoigne de la rupture introduite.

Un second exemple est constitué par Wal-Mart, qui s’est lancé avant même le développement d’Internet dans les échanges EDI avec ses fournisseurs. A travers cette politique volontariste d’informatisation, Wal-Mart a pu nouer des partenariats très étroits avec chacun de ses fournisseurs, proposer des produits à des prix plus bas, proposer à ses clients des offres différenciantes. Ce modèle a surtout permis à Wal-Mart de faire bénéficier le client final d’une meilleure qualité de service. Une étude, au milieu des années 90, a révèlé que, pour un même chiffre d'affaires, un hypermarché Wal-Mart employait 450 personnes contre 280 pour un hypermarché français.

À une échelle plus réduite, un autre exemple d’innovation en rupture concerne le test d’un mannequin virtuel (MyVirtualModel) mis en place par le site Internet des Galeries Lafayette en 2000/2001. Celui-ci permettait aux clientes de rentrer dans une relation personnalisée avec l’enseigne, en marge de tout achat, et ce en décrivant leurs goûts, leurs mensurations, leurs attentes et finalement en essayant des vêtements virtuels (avant de venir les acheter réellement dans le magasin…). Nous n’avons pas poursuivi ce test pour différentes raisons dont celle des coûts de production associés. Sans doute notre proposition était en avance sur le marché mais le concept portait en germe trois caractéristiques innovantes fortes pouvant modifier profondément la donne :

�� la logique de personnalisation autorisant le client à exprimer des demandes très spécifiques, ce qui allait d’une certaine façon à l’encontre du rôle prescripteur qu’une enseigne se plaît à incarner ;

�� la logique de marché inversé impliquant une chaîne distributeur/fournisseurs capable d’adapter la production aux tendances qui ainsi s’exprimaient ;

�� l’implication du client/service qui instituait le fournisseur du service comme un tiers de confiance gestionnaire d’une véritable intimité numérique.

On voit que ce service bouleverse quelque peu le statut des intervenants habituels de la chaîne de valeur. Il gagnerait d’ailleurs à être proposé par un nouvel intermédiaire indépendant s’ouvrant à une offre beaucoup plus large que celle qui est proposée par une seule enseigne.

L’impact d’Internet sur l’ensemble de la chaîne de valeur des services

Sur le plan strictement technologique, on assiste à un profond bouleversement : la loi de Moore veut que la puissance des ordinateurs double à prix égal tous les dix-huit mois ; la loi de Gilder nous dit que la bande passante des réseaux double tous les neuf mois ; la loi de Metclafe veut que la valeur d'un réseau croisse comme le carré du nombre de ses utilisateurs. À un autre niveau, un PC de 1 500 euros permet aujourd'hui de stocker l’équivalent de 1 600 cédéroms, mais il sera possible d’en stocker 400 000 pour le même prix dans dix ans.

Mais il convient de faire attention aux anticipations technologiques qui peuvent être effectuées. Le Gartner Group indique ainsi qu’il existe une courbe décrivant le parcours d’une innovation technologique : une technologie apparaît, connaît un pic de visibilité, puis redescend « dramatiquement » avant d’atteindre le temps de sa maturité.

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L’anticipation doit ainsi être menée avec précaution afin de ne surestimer ni les attentes des clients, ni le potentiel des technologies à y répondre. Pendant la période 1994-2000, alors que les professionnels promouvaient sans retenue les solutions de vente et d’intégration des moyens de contact à distance, on a vu la satisfaction globale des clients s’effondrer pour un grand nombre de secteurs de services (banque, voyage, hôtellerie, etc) vis-à-vis des centres d’appel. C’est que les principes de segmentation-clients sous-jacents à ces applications induisaient des biais inadmissibles du seul point de vue du bon sens : deux secondes d’attente pour un « bon client » contre l’éternité pour un client de moindre valeur…

Finalement, la problématique centrale de l’innovation technologique dans les services réside dans la synchronisation de la maturité des offres ou des concepts avec celle des usages. Elles ne le sont pas a priori. Il n’existe pas de relations immédiates qu’il soit possible d’anticiper par une analyse des besoins qui serait située en amont. Le processus reste dialectique et évolutif, à l’instar de la nature coproduite des services. Ainsi devons-nous tenir compte d’une double contrainte :

o garder le cap sur les dimensions fondamentales du commerce : la construction de la relation client durable, l’établissement d’une relation de confiance large, la création d’une « expérience-client » qui dépend toujours en grande part de l’émotion.

o intègrer ce que la révolution Internet implique : une redistribution radicale des rôles, une coopération inédite des acteurs économiques, une création de valeur partagée autour de clients qui, plus que jamais, sont en situation de conduire le jeu et d’exiger en retour liberté de choix et de fidélité.

L’exemple d’Amazon est à ce titre éclairant : l’ambition de Jeff Bezos, son fondateur, était de proposer le plus grand magasin virtuel du monde, le client étant « irrésistiblement » attiré par l’universalité de son catalogue. Amazon a investi dans d’immenses entrepôts… Il a dû rapidement modifier son modèle économique, qui fonctionne aujourd'hui sur la valeur de capital client dont il dispose, la partie logistique demeurant située chez les spécialistes de chaque secteur pour lesquels Amazon fournit son service d’intermédiation.

Vers un dispositif original : anticiper les usages et favoriser l’innovation

S nous envisageons Internet dans sa dimension radicale de ré-intermédiation des échanges (il ne s’agit pas d’un simple canal de distribution supplémentaire, mais d’une vraie manière d'inverser la chaîne de valeur), nous ne voulons pas penser cette révolution technologique en dehors des évolutions sociétales plus larges dans lesquelles elle s’inscrit et qui conduisent tout autant à la remise en cause des anciens modèles.

Le sociologue Michel Maffesoli note ainsi le passage de la notion d’individu à la notion de personne :

« …nous mesurons des individus, qualifiés par des statuts, là où je ne vois que des personnes qui sont dans des processus d’adhésion, jouent des rôles et sont caractérisées par des sincérités successives (…) »

Ce portrait que traçait le sociologue dès les années 80 rencontre en des points multiples ce qu’Internet a révélé depuis : renversement de la chaîne de valeur, effacement des logiques hiérarchiques au profit des modèles pair-à-pair, part croissante de l’irrationnel et de l’émotion dans les processus de décision, importance du marchand et du non-marchand dans les mécanismes d’adhésion à une offre commerciale, nécessaire protection des personnes et de leurs données personnelles sont autant de sujets dont nous devons nous saisir pour orienter au mieux l’innovation dans les services sans fascination naïve pour leur composante technologique.

Le GIE Recherche Haussmann travaille ainsi au carrefour des technologies, du marketing et des usages sociaux. Nous nous efforçons de lier ces trois dimensions de manière à anticiper les usages et favoriser l’innovation. Ne pouvant nous appuyer sur un processus aussi structuré que celui qui a été présenté par les représentants des secteurs industriels, nos anticipations se fondent ainsi davantage sur les dispositifs collaboratifs que constituent la veille, le benchmark des bonnes pratiques, la création de lieux propices au partage de l’innovation tel que l’incarne l’Échangeur.

Cette structure a été créée en 1997 et permet de présenter des innovations technologiques en situation, c'est-à-dire de manière appliquée à un contexte métier précis. Elle ne fonctionne pas comme un show-room mais autour de séminaires s’appuyant sur les technologies présentées sur les plateformes. Aujourd'hui, 35 000 personnes et 5 000 entreprises sont passées par l’Échangeur, un réseau de huit échangeurs reprend également la même formule dans plusieurs grandes villes françaises : Lille, Bordeaux, Marseille, Rouen,….

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Ouvert aux entreprises extérieures comme aux sociétés du groupe Galeries Lafayette, l’Échangeur incarne l’ambition d’un partage de l’innovation autour du thème central de la relation client.

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L’INNOVATION, QUELLES STRATÉGIES ? TABLE RONDE ET DÉBAT AVEC LA SALLE

Animation : Jacques Astoin Direction de la technologie, Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale

et de la Recherche

Jacques Astoin : Nous sommes tous convaincus que, dans une économie ouverte et concurrentielle, marquée par le développement rapide des nouvelles technologies, la recherche et l’innovation constituent les principaux moteurs de la compétitivité, de la croissance et de l’emploi.

Vous venez d’entendre trois applications concrètes d’innovation, développées par des industriels : Madame Schott a traité de la très haute innovation dans le domaine des biotechnologies, comportant un fort partenariat entre la recherche et l’industrie. Elle a également évoqué la forte concurrence qui peut exister dans ce domaine, tant au niveau européen que mondial.

Monsieur Hénault nous a présenté, dans le secteur automobile, un exemple d’intégration d’innovations multiples, associant la demande des consommateurs à l’intégration de nouvelles technologies selon une démarche bien structurée.

Enfin, Monsieur Saulay, nous a rappelé que l’innovation n’était pas seulement technologique, mais qu’elle pouvait intervenir dans le domaine des services, soit pour en créer de nouveaux, soit pour les rendre meilleurs.

Il apparaît donc que, quel que soit le secteur, l’innovation est une nécessité pour se développer. Elle se situe au cœur de la stratégie des entreprises ; elles doivent mobiliser des compétences, dégager des financements et gérer des connaissances pour sa mise en œuvre. Nous allons essayer d’évoquer, lors de cette table ronde, les différentes stratégies développées par les entreprises, ainsi que le rôle des pouvoirs publics dans ce domaine.

Je souhaite que quatre volets puissent être abordés :

• Le financement de l’innovation

Les chefs d’État européens se sont donné comme objectif à Barcelone que l’Union européenne (UE) atteigne un montant de dépenses en R&D égal à 3 % du PIB en 2010. Cet objectif est extrêmement ambitieux.

Si nous analysons ces chiffres de manière détaillée, nous constatons que certains pays atteignent déjà ce niveau et qu’il existe de très grandes disparités. La répartition souhaitée entre le public et le privé de cet objectif de 3 % est la suivante : 1 % pour la recherche publique, 2 % pour la recherche des entreprises. En ce qui concerne la recherche publique, la France est presque parvenue à ce niveau, mais ce n’est pas le cas pour l’effort de recherche des entreprises. Il nous faudra donc produire un substantiel effort de rattrapage dans ce domaine.

• Les politiques d’aide à l’innovation

La plupart des pays industrialisés soutiennent l’innovation, d’une façon ou d’autre, par des aides directes, des incitations fiscales, des recherches coopératives. En France, nous avons assisté ces dernières années à un changement dans la politique d’aide des pouvoirs publics. En effet, nous soutenions initialement l’innovation à travers de grands programmes développés de façon prioritaire par les grandes entreprises, puis cette aide s’est ensuite étendue aux PME. Enfin des efforts ont été produits pour la création d’entreprises innovantes, et la mise en place de réseaux de recherche et d’innovation technologique, afin de favoriser la croissance et l’emploi.

Cette évolution se poursuit : le Plan Innovation des ministères de l’Industrie et de la Recherche a pour objectif de développer l’innovation en France, en créant un environnement favorable à la confiance et à l’initiative des entrepreneurs.

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• L’espace européen de la recherche

L’organisation de cet espace s’effectue à trois niveaux : les priorités de l’UE en termes de programmes stratégiques et de financements ; l’attractivité des territoires par le biais des politiques nationales de R&D ; l’intégration des politiques d’innovation dans le tissu local, avec la constitution de pôles d’excellence.

• Qui sera la « Californie » de l’Europe dans dix ans ?

La compétitivité se mesure maintenant au niveau mondial, et l’innovation se développe au niveau local et régional ; les réseaux sont au cœur de cette problématique. En conséquence, il convient de se demander quel est le pays ou la région qui constituera le nœud de ces réseaux.

Nous n’évoquerons pas a priori ce matin les indicateurs nécessaires à la mesure de l’innovation, ni l’évaluation de ses performances et de ses retombées économiques. Toutefois, il convient de noter que la mise en place de bonnes stratégies et de bonnes politiques d’innovation nécessite au préalable de disposer d’indicateurs fiables et précis.

David Encaoua : Il me semble qu’il existe une très grande complémentarité entre les exposés des trois acteurs industriels et l’intervention de Monsieur Astoin. Pour comprendre le rôle des pouvoirs publics, il est intéressant de remettre en perspective l’évolution de la politique technologique de la France lors du dernier quart de siècle. Je m’appuie ainsi sur différents travaux, tels le rapport Guillaume, le rapport Majoie, différents documents de l’OCDE et une étude que nous avions réalisée dans le cadre d’un contrat avec l’Observatoire économique de la défense.

L’évolution de la politique d’intervention des pouvoirs publics en France permet d’effectuer deux constats :

�� l’effort de l’État en faveur de la R&D et de l’innovation a été relativement important durant les vingt-cinq dernières années, surtout si nous le comparons à celui d’autres pays de taille équivalente à la France ;

�� cet effort ne s’est pas mené en suffisante adéquation avec les choix ultérieurs qui ont été opérés par les acteurs et les marchés ; en outre, il n’a pas permis de retombées significatives en matière d’externalités de diffusion dans l’ensemble du tissu industriel.

L’effort de financement public s’est concentré sur un nombre restreint de secteurs et d’entreprises, dont l’offre correspondait davantage aux besoins militaires et civils de l’État qu’à des besoins privés en matière de biens de consommation et d’équipement, c'est-à-dire des besoins dont l’expression et la valorisation passent par le marché.

En effet, l’aide publique à la recherche a été particulièrement forte dans les domaines marqués par la sophistication des technologies et l’importance des investissements requis. Il s’agit, par exemple, des domaines spatial, aéronautique, nucléaire, du matériel des transports terrestres, des télécommunications et de la production d’armement. Dans ces domaines, des réalisations industrielles et commerciales remarquables ont été réalisées ; elles n’auraient vraisemblablement pas vu le jour sans une intervention forte et décisive de l’État.

Dans ce cas, l’intervention publique s’apparente plus ou moins à de la politique industrielle. Cette dernière a permis de doter la France de compétences technologiques dans ce domaine, qui ont permis d’œuvrer au redressement des performances, notamment au travers de l’exportation de ces biens correspondant à des commandes publiques.

Cet aspect positif du bilan de la politique technologique en France doit être nuancé par l’introduction d’un autre critère, qui me semble aussi décisif : le critère de la diffusion. La question consiste, en effet, à savoir si la forme prise par la politique de soutien en France a favorisé ou non la diffusion des découvertes et des innovations aux autres secteurs de l’économie.

La réponse semble plutôt être négative. Je souhaite ainsi avancer trois arguments pour étayer ce point de vue, tout en demeurant conscient qu’aucun des trois n’est entièrement conclusif.

1. En premier lieu, l’environnement économique global est marqué, du côté de la demande, par l’explosion du nombre de nouveaux biens et de nouveaux services, et, du côté de l’offre, par une ouverture sans précédent à la concurrence internationale et le développement d’une multiplicité de nouvelles opportunités

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technologiques. Dans ces situations où l’État n’a pas nécessairement une compétence spécifique pour opérer les bons choix, la France est en retard par rapport à d’autres pays.

Il s’agit notamment des technologies dites génériques, c'est-à-dire celles où les innovations ont une double propriété :

• elles sont utilisées par tout un ensemble de secteurs industriels et de services et non pas seulement par leur secteur d’origine ;

• elles sont elles-mêmes à la source d’un très grand nombre d’innovations ultérieures, qui sont des innovations d’amélioration ou d’application.

Aujourd'hui, le cas de ces technologies génériques est illustré au mieux par les technologies de l’information et de la communication, mais également par les biotechnologies et les thérapies géniques, dont l’émergence laisse augurer un immense champ de découvertes et d’innovations séquentielles. Toutes ces inventions sont souvent considérées comme étant à la source d’une troisième révolution industrielle, celle de l’économie numérique. Si tel est le cas, la France n’est pas le pays le plus avancé en la matière en Europe.

2. En deuxième lieu, une défaillance importante du système national d’innovation français est apparue comme relativement préoccupante. Il s’agit du décalage de performance entre la production de connaissances scientifiques d’une part et des innovations technologiques ou industrielles d’autre part. Plus précisément, la faible efficacité du couplage entre la recherche publique et l’innovation technologique a été largement dénoncée.

Cette faible efficacité est due à de nombreux facteurs :

��l’insuffisante mobilité des chercheurs vers le monde des entreprises ;

��l’insuffisante préoccupation de valorisation de l’innovation par les laboratoires publics ;

��l’inadéquation des systèmes de protection des découvertes scientifiques ;

��l’inadéquation du système éducatif dans certaines composantes ;

��le faible niveau de coopération entre les laboratoires publics et les entreprises ;

��la complexité administrative de la création d’entreprises.

3. En troisième lieu, la baisse des crédits militaires et civils pose la question de la survie du modèle français de développement scientifique, technologique et industriel. En effet, ce modèle a été marqué par l’importance des grands programmes technologiques militaires et civils dans lesquels l’État jouait un rôle essentiel.

L’évolution de l’environnement global et le poids des contraintes budgétaires conduisent à s’interroger sur les modalités d’une stratégie renouvelée de l’État, notamment dans le domaine de la R&D militaire, afin de favoriser l’exploitation conjointe de la recherche militaire vers des applications civiles. En outre, le problème des externalités de diffusion entre le secteur militaire et le secteur civil est posé, sans que nous sachions véritablement l’importance revêtue par ces externalités par le passé.

La France a pris en compte ces différents problèmes liés au système national d’innovation et nous observons une certaine inflexion de cette politique technologique. Des politiques publiques de subvention transversale, c'est-à-dire non ciblées vers des secteurs ou des entreprises spécifiques, se mettent en place et trouvent leur expression dans un certain nombre de mesures. Il s’agit par exemple de la loi sur la recherche et l’innovation du Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, l’amorçage et l’incubation de start-ups, l’incitation à orienter l’épargne vers l’investissement.

Plutôt que de créer de nouveaux grands programmes technologiques pour pallier le retard diagnostiqué dans ces nouvelles activités, comme cela aurait été le cas précédemment, l’État français semble préférer agir de manière plus incitative, en mettant en place des mesures d’aides transversales, dont les destinataires ne sont pas désignés à l’avance par la politique de l’État.

Deux séries de questions se posent désormais :

Insee Méthodes 36

a. Tout d’abord, face à la diversité d’instruments en matière d’innovation, comment faut-il agir sur les différents instruments d’intervention des pouvoirs publics ? Les instruments de la politique publique d’innovation sont-ils complémentaires ? Il s’agit par exemple de savoir si une politique incitative de subvention de la recherche industrielle est d’autant plus efficace qu’elle est accompagnée d’une politique fiscale en faveur de l’innovation.

b. Ensuite, quel est le partage des rôles entre les trois nouveaux acteurs que sont l’État, les régions et l’Europe ? En effet, si nous partons du sentiment que la nouvelle orientation prise par les pouvoirs publics a consisté à modifier l’orientation de la politique en prenant des mesures transversales, nous avons vu émerger les régions et l’Europe.

Puisque la décentralisation se substitue aux contrats de Plan, les régions sont appelées à exercer une plus forte autonomie en matière d’innovation et de soutien aux PME. Ceci se traduit notamment dans le choix de développement des pôles technologiques, dans les liens entre l’Université et l’industrie et dans les propositions fiscales pour attirer les investisseurs étrangers. Il semble que la disponibilité et la concentration géographique dans un même lieu de moyens importants en capital humain demeurent un atout considérable.

Ainsi, les technopoles, fondées autour des semi-conducteurs et microprocesseurs dans la région grenobloise, autour de l’Aérospatiale à Toulouse constituent quelques exemples d’initiatives locales ou régionales, dont l’attractivité réside essentiellement dans la concentration en moyens humains d’expertise. À cet égard, l’exemple le plus probant est constitué par un petit pays comme la Finlande qui s’est spécialisée dans le secteur des technologies de l’information et qui apparaît aujourd'hui comme le champion européen en matière de taux de croissance des dépenses de R&D financées par les entreprises. Ces dépenses pourraient être considérées comme un indice de succès possible d’un développement régional centré sur un pôle de compétences technologiques.

Au niveau européen, les programmes cadres, et notamment le sixième Plan cadre R&D (PCRD), contribuent également à définir, par le biais d’une concertation élargie aux différents acteurs de la science, de la technologie et de l’industrie, les axes de recherche les plus prometteurs, ainsi que les objectifs prioritaires. Les recherches coopératives, les réseaux d’excellence thématique et les programmes intégrés sont conduits à devenir des instruments importants de l’espace européen de la recherche. Ils constituent aux yeux de la Commission une réponse appropriée à la fragmentation des politiques de recherche des différents pays membres.

À ce jour, plus de 15 000 déclarations d’intention ont été reçues par la Commission. Cela témoigne de l’intérêt manifesté à l’égard du projet de création de l’espace européen de la recherche. Cependant, la Commission a dû proposer de nombreux regroupements, de manière à concentrer l’effort sur un plus petit nombre de réseaux et à éviter le saupoudrage des moyens.

Du point de vue budgétaire, le sixième PCRD voit son budget limité à 17,5 milliards d’euros, mais il est lié à une coopération avec la banque d’investissement européenne pour le financement des projets retenus. De plus, l’élargissement de l’UE semble déjà intégré dans le sixième PCRD, puisque la Commission s’est engagée à accorder, dès 2003, des aides à l’innovation aux pays candidats.

Cela pose la question de la compatibilité entre les objectifs : s’agit-il d’un objectif de rattrapage ou de mise à niveau ? s’agit-il d’un objectif de dépassement ou de création d’un leadership technologique ? Pour réaliser l’objectif de faire de l’Europe l’économie fondée sur la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde à l’horizon de 2010, il est nécessaire de satisfaire un certain nombre de pré-requis.

Il s’agit par exemple de l’objectif de 3 % de la part des dépenses de R&D dans le PIB, objectif qui doit être atteint à ce même horizon. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre un effort accru et conjoint des entreprises privées en matière des dépenses de R&D, mais également des pouvoirs publics en matière de financement de la recherche, afin d’atteindre cet objectif à l’horizon désiré. Cependant, cet objectif dépend lui-même des perspectives de croissance, qui sont également liées au taux d’innovation.

À présent, je souhaite poser trois questions aux intervenants de ce matin. Tout d’abord, je souhaite demander à Monsieur Hénault si, au sein d’un groupe comme PSA, il existe un calcul économique au sujet de l’innovation. Le groupe dispose-t-il de données par projet relatives au coût, à la valeur attendue de cette recherche ?

Par ailleurs, Madame Schott a parlé d’un nombre très important de projets d’innovation en cours à BioValley. Dans le domaine de l’innovation, nous savons que la distribution des performances est extrêmement

L’innovation, quelles stratégies ? 37

asymétrique : seul un très faible pourcentage de l’ensemble des projets représente un pourcentage important des performances. Disposez-vous d’informations sur cet aspect ?

Enfin, je souhaite demander à Monsieur Saulay si les innovations commerciales, ou business methods, pourraient être brevetées si nous nous trouvions aux Etats-Unis. Cela n’est pas le cas en Europe, et il me semble que c’est une bonne chose.

Pascal Hénault : Il est assez difficile de répondre de manière simple à votre question sur le coût et la rentabilité de l’innovation. Par exemple, je suis incapable de réaliser aujourd'hui un plan d’affaires sur la rentabilité des dépenses que nous assurons dans le domaine de la pile à combustible, puisqu’il m’est impossible d’identifier aujourd'hui le marché correspondant. Néanmoins, nous devons assumer cette recherche : il s’agit d’une question stratégique dont pourrait dépendre la survie de notre groupe.

Aujourd'hui, les niveaux économiques auxquels nous serions capables de fabriquer une voiture en utilisant cette technologie nécessiteraient d’être divisés par un facteur cinquante pour atteindre un prix qui conviendrait aux clients. En conséquence, nous ne sommes pas capables d’établir un calcul économique clair sur ce sujet.

Dans d’autres cas, nous travaillons sur des équipements de manière très précise, c'est-à-dire sur les coûts de développement correspondants, le ticket d’entrée, les dépenses d’outillage. Nous sommes ainsi capables de déterminer le prix que les clients sont susceptibles de payer pour un modèle, mais également d’en mesurer la rentabilité.

Sylvie Schott : En ce qui concerne la distribution des performances au sein des start-ups, il faut souligner que le marché est assez récent en Europe et qu’il s’est développé de manière anarchique. Un certain nombre d’entreprises se sont financées par le capital risque dès les phases amont, dans la mesure où il manquait des fonds de pré-amorçage et d’amorçage qui doivent normalement relever de la puissance publique.

Aujourd'hui, certaines entreprises disparaissent dans la mesure où elles étaient situées sur des marchés hypothétiques. D’autres entreprises de biotechnologie se regroupent pour atteindre une taille critique. Le capital risque est aujourd'hui dans une mauvaise passe : étant intervenu trop en amont sur des projets, il est aujourd'hui obligé de recapitaliser sur les deuxièmes tours des projets beaucoup plus importants. En outre, l’environnement économique et boursier n’est pas propice.

Aujourd'hui, le développement des entreprises est freiné par le manque de capital. Ainsi, en Allemagne, un grand nombre d’entreprises se sont créées grâce à des aides étatiques, mais elles sont aujourd'hui confrontées au manque de disponibilité de capitaux de développement. De surcroît, les jeunes pousses éprouvent des difficultés pour établir des plans d’affaire, dans la mesure où ces marchés potentiels sont extrêmement difficiles à quantifier.

Par ailleurs, si l’État intervient naturellement dans la recherche publique, nous constatons que, dans les laboratoires publics, les pourcentages de frais de fonctionnement pris en charge par les fonds publics sont de plus en plus faibles : les directeurs passent plus de temps à aller chercher des contrats industriels qu’à travailler dans le domaine de la recherche. Ceci implique que l’on privilégie plus souvent les contrats de licence sur la création d’entreprise qui ne rapporte pas d’argent avant sept ou huit ans.

Il existe donc un hiatus entre une politique nationale en faveur de la création d’entreprises et des contraintes de valorisation et de crédit de fonctionnement des organismes publics de recherche. À l’avenir, il conviendra de remédier à ce hiatus.

Pierre Saulay : L’échangeur, que j’ai évoqué lors de mon exposé, n’est pas une plate-forme interne au groupe, mais un groupement d’intérêt économique européen réunissant plusieurs distributeurs. Les technologies présentes sur cet échangeur ne sont donc pas les technologies spécifiquement utilisées ou développées par le groupe Galeries Lafayette. En définitive, chacun présente sa technologie et son utilité naît de la transversalité entre les clients de l’échangeur. L’idée des participants n’est pas de protéger un marché, mais, bien au contraire, de mutualiser les ressources : l’échangeur développe une problématique d’intégration.

Frédéric Boccara (Banque de France) : Lorsqu’un projet est lancé, il existe nécessairement un processus progressif fait de tâtonnements et de retours en arrière. Quels sont les critères et les processus de décision qui permettent d’évaluer si une solution est dans l’impasse ? L’effondrement de la bulle des nouvelles technologies correspond ainsi à des masses d’investissements qui ont été effectués sans dégager de valeur ajoutée.

Insee Méthodes 38

Jacques Astoin : La bulle Internet a connu le même processus que la bulle immobilière : des investisseurs achètent des biens déconnectés de leur valeur réelle et d’autres se précipitent par peur de manquer cette opportunité supposée.

Pascal Hénault : Il est vrai que l’on ne peut observer le résultat d’une innovation qu’a posteriori. Nous essayons de minimiser au maximum le taux d’échec, grâce à l’expérience des personnes en place, mais également grâce aux données issues de nos enquêtes auprès des clients sur les attentes et les prix qu’ils sont disposés à payer pour telle ou telle amélioration. Par exemple, nous nous sommes lancés dans le multimédia même s’il était difficile de mesurer l’attente des clients. Aujourd'hui, nous observons que l’attente en matière d’informations sur le trafic et le guidage est désormais pérenne, mais que les autres attentes de services n’existent pas. Nous avons donc redimensionné nos travaux en fonction de la partie cartographie, information trafic et guidage intelligent des véhicules.

Dominique Foray (OCDE et Université Paris-Dauphine) : Ma question porte sur le fossé de R&D qui sépare les États-Unis et l’Europe, ainsi que l’objectif de Lisbonne des 3 %. Si nous voulons atteindre cet objectif, il convient de discuter des raisons de ce fossé, qui demeurent largement ignorées. Nous manquons effectivement d’informations sur les raisons de ce fossé : selon celles qui sont avancées, les politiques à mettre en œuvre seront différentes.

Jacques Astoin : Il appartient à ceux qui produisent les chiffres de nous donner les bons indicateurs, afin de pouvoir prendre les meilleures mesures pour soutenir cet effort. Il est certain que ce fossé apparaît comme étant plus important au niveau des entreprises. Les raisons exactes sont difficiles à cerner. Il peut s’agir de la taille du marché : nous avons certes établi un marché unique, mais il demeure des problèmes de langues, de normes,…

David Encaoua : Parmi les multiples facteurs possibles, je me permets d’en suggérer un : l’existence d’une forte pression concurrentielle est un facteur important de l’innovation. Lorsque la pression concurrentielle est moindre, l’innovation s’affaiblit.

Sylvie Schott : J’ai participé l’année dernière à un groupe de travail de l’OCDE qui réfléchissait sur le problème de l’innovation au sein des entreprises. Le responsable de la R&D de Philips semblait dire que son groupe ne s’intéressait plus au développement de ses propres programmes de recherche, mais recherchait au contraire à externaliser cette fonction, comme c’est le cas dans l’industrie pharmaceutique.

Il est vrai qu’il est difficile d’imputer le coût de l’innovation sur un nouveau produit. D’une part, à force de globalisation, les coûts généraux imputés sur les groupes de R&D sont devenus trop importants et sont externalisés dès lors qu’il ne s’agit pas du core business. D’autre part, les grands groupes semblent penser que ce travail de recherche et d’innovation n’est plus de leur ressort. Ils sont ainsi plus orientés pour commercialiser leurs produits de manière globale que pour intervenir en matière de développement.

Jacques Astoin : La concurrence est aujourd'hui mondiale et les stratégies des entreprises ne sont pas fondamentalement différentes. S’il existait un modèle nettement plus performant que les autres, l’ensemble des acteurs s’engouffrerait dans cette brèche.

David Encaoua : Il ne faut pas oublier que l’innovation et la R&D ne sont pas du tout synonymes. Il existe ainsi des entreprises qui innovent sans être pour autant impliquées dans un processus formel de recherche et de développement. Ainsi, adopter une innovation technologique revient déjà à introduire au sein de son entreprise une certaine innovation.

Brigitte Rémy (Commissariat général au plan) : Je souhaite connaître l’appréciation que Monsieur Hénault porte sur le différentiel d’investissement dans le secteur automobile, secteur fortement concurrentiel et mondialisé.

Pascal Hénault : La réponse est assez simple : le jeu concurrentiel est extrêmement élevé et les différents groupes consacrent à leur R&D des pourcentages de chiffre d'affaires assez similaires, très nettement supérieurs aux 3 % qui ont été indiqués.

Les fonds publics français sont en général adressés en support à la recherche des PME, dans la mesure où les pouvoirs publics estiment que les grands groupes disposent de suffisamment de moyens pour assumer leurs propres programmes de recherche. Cette situation est regrettable, mais nous devons nous en contenter.

L’innovation, quelles stratégies ? 39

En revanche, il n’en est pas de même aux États-Unis : General Motors, Chrysler et Ford reçoivent des financements très élevés de la part de l’administration américaine, aussi bien sous la présidence Clinton que sous la présidence Bush.

Jacques Astoin : Si les PME sont plus aidées qu’auparavant, les grandes entreprises disposent encore d’aides substantielles de l’Etat. Ainsi l’industrie automobile par exemple bénéficie du programme PREDIT, et les entreprises du secteur microtechnique reçoivent des aides importantes de la part des pouvoirs publics.

Par ailleurs, je ne suis pas tout à fait convaincu par certains propos du Professeur Encaoua : nous n’assistons pas à une transformation, mais à un changement radical dans le domaine des relations de la recherche avec l’industrie depuis quelques années. Dans le cadre des réseaux de recherche et d’innovation technologique, il est demandé aux entreprises de coopérer avec la recherche fondamentale pour faire sauter des verrous technologiques et assurer des transferts. Les financements du ministère de la Recherche par le biais du Fonds de la recherche technologique (FRT) sont orientés à plus de 70 % sur la recherche partenariale entre les laboratoires et les entreprises. En outre, une partie importante du budget de la direction générale de l'Industrie, des Technologies de l'Information et des Postes (DiGITIP) est également consacrée à ce domaine.

De plus, dans le domaine de la valorisation et de la diffusion de la recherche, on a incité à la création d’entreprises innovantes. Des incubateurs ont été créés pour détecter des projets dans des laboratoires et les accompagner ; des fonds d’amorçage ont été mis en place pour financer les entreprises créées.

Malgré cet effort, le financement des jeunes entreprises innovantes n’est pas satisfaisant et beaucoup d’entre elles, avec de bonnes technologies, créatrices d’emplois, ne peuvent se développer correctement. La crise financière ne permettant pas à l’heure actuelle aux fonds de capital risque de réaliser leurs investissements, ceux-ci ne font pratiquement plus d’investissements.

Claire Genevey (Agence des PME) : L’influence de l’innovation dans les grands groupes a-t-elle un effet sur leurs sous-traitants PME ? De la même manière, l’innovation des PME remonte-t-elle dans les grands groupes ? Les grands groupes développent-ils une réflexion autour de l’innovation des PME ?

Pascal Hénault : L’innovation mise au point chez nos sous-traitants est aussi importante que celle que nous menons en interne. Le groupe PSA Peugeot Citroën a ainsi créé huit plans d’innovation spécifiques avec des équipementiers et des fournisseurs. Un cadre juridique particulier détermine les modalités de la propriété industrielle et la manière dont nous pouvons utiliser les innovations qui sont co-développées par le constructeur et les équipementiers.

Élizabeth Kremp (Sessi) : Je signale à Monsieur Hénault que la mallette contient un feuillet de quatre pages sur le financement de l’innovation technologique dans l’industrie. Si, pour chaque projet, la part du financement public est plus réduite pour les grandes entreprises que pour les plus petites sociétés, les projets des grands groupes disposent de montants plus élevés : ils bénéficient de 68 % des aides publiques.

Pascal Hénault : Je ne pense pas que le secteur automobile bénéficie d’aides aussi conséquentes que les entreprises pétrolières.

Sébastien Merceron (Insee) : Madame Schott nous a indiqué que BioValley était un révélateur d’innovations grâce à la concentration des moyens humains sur un territoire déterminé. Les entreprises participent-elles au financement de cette organisation ? Par ailleurs, ce réseau local a-t-il une action sur les partenariats existant entre les entreprises ?

Sylvie Schott : Pour le moment, BioValley a été soutenue à la fois par des fonds communautaires et des fonds régionaux. Nous sommes actuellement en train de prévoir la privatisation de BioValley. Notre association centrale, qui regroupe les trois associations allemandes, suisses et françaises, va créer un département commercial qui sera notamment chargé du licensing de la marque BioValley et qui développera un certain nombre de services qui devront générer à terme des revenus.

L’Alsace réfléchit également à la création d’une structure de bio-incubation dotée d’un fonds d’amorçage intégré pour répondre aux manques que nous avons identifiés. Au sein de cette structure semi-privée, les grands groupes pharmaceutiques et les fabricants d’équipements seront associés au capital. Dans une première phase, nous devions faire exister BioValley en tant que label et marque, pour que les grandes entreprises s’intéressent à un certain nombre de nos activités.

Insee Méthodes 40

En ce qui concerne les partenariats, notre influence s’exerce de deux manières :

• une influence directe : nous organisons un certain nombre de conférences de partenariat qui permettent aux entreprises de se rencontrer ;

• une influence indirecte : nous disposons d’outils comme un extranet et une lettre électronique sur lesquels nous diffusons des offres de partenariat.

Magali Demotes-Mainard (Insee) : Monsieur Saulay a insisté sur les innovations des services liés aux nouvelles technologies, mais il a également évoqué un autre moteur d’innovation lié au suivi des comportements de consommation. Ces deux moteurs agissent-ils de la même manière sur l’innovation quant au caractère radical des ruptures liées à l’innovation ou quant aux procédés de mise en œuvre au sein des entreprises ?

Pierre Saulay : Au sein des Galeries Lafayette, le service Mode Plus développe le même concept que le service Mannequin Virtuel. Il est né d’une initiative d’une des acheteuses du magasin qui a développé un service comparable de conseils à la personne. Ces deux services répondent par des canaux complètement différents à une même préoccupation, c'est-à-dire redéfinir le magasin, non plus comme une pré-organisation de l’offre par rapport à des impératifs marketing, mais comme une volonté transversale de proposer un magasin miroir. En conséquence, deux voies complètement différentes génèrent les mêmes approches. De même, l’échangeur n’a pas vocation à n’incuber que des innovations de services technologiques.

Éric Barchechat (Lafayette Services) : Aujourd'hui, les grands développements ne sont pas du côté industriel au sens où vous l’entendez, mais il s’agit plutôt de Manchester United, du rap, c'est-à-dire des registres qui n’ont rien à voir avec la technologie lourde. De fait, il existe un problème entre le sérieux et le frivole, l’utile et le futile : aujourd'hui, ce qui est important n’est pas ce qui est sérieux. Il s’agit bien d’un problème : il est nécessaire de mener une réflexion sur la manière dont nous vivons. Si, il y a trente ans, on disait que « l’on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance », il convient de remettre cette idée au goût du jour.

Évelyne Guffens (ANPE) : Les grands groupes mettent-ils en place un management de l’innovation dans le dessein de fidéliser le capital humain et d’éviter la fuite de nos jeunes cerveaux vers les États-Unis ? Existe-t-il des solutions pour préserver la mémoire de cette innovation ?

Pascal Hénault : PSA Peugeot Citroën a créé une direction spécifique sur le management de l’innovation, qui regroupe près de 500 personnes. Le retour d’expérience est en revanche plus difficile à mettre en œuvre : il faut savoir capitaliser sur ses succès, mais également sur ses échecs. Le mode de fonctionnement que nous avons conçu consiste à faire transiter des salariés pendant quelques années à la direction de l’innovation, avant qu’ils ne retrouvent les directions de métiers.

Nous recyclons ainsi de manière permanente les ingénieurs, qui passent un certain temps dans ce secteur innovant quelque peu protégé, avant de retrouver le dur travail du développement des véhicules. En outre, nous utilisons tous les moyens de documentation moderne, fournis par les systèmes d’information, pour garder une trace des raisons de nos succès et de nos échecs.

Vincent Thollon-Pommerol (Insee) : Les mécanismes actuels de sélection de l’innovation conduisent-ils à avoir les meilleurs produits ? Le VHS est-il meilleur que le Bétamax ? Le moteur rotatif n’avait-il vraiment aucun avenir ? De manière subsidiaire, cette question a-t-elle un sens pour les industriels que vous êtes ?

Éric Barchechat (Lafayette Services) : Bruno Latour et Michel Calland avaient développé un très joli modèle du Scrabble pour expliquer le système de la recherche et de l’innovation. Dans ce modèle, la pioche était la recherche fondamentale, et le placement des lettres sur la réglette correspondait à la recherche appliquée. Ensuite, le joueur essaie de faire un mot complet, mais, en fonction de l’état du marché, il ne peut parfois mettre qu’une seule lettre.

Pascal Hénault : Vous avez parlé à l’instant du moteur rotatif. L’idée initiale était géniale : il s’agissait de réduire le nombre de pièces en mouvement. En revanche, la lubrification de l’ensemble et la gestion de la consommation d’huile s’avèrent très délicates. L’idée n’est donc pas maîtrisable à des coûts compétitifs par rapport aux autres technologies, compte tenu des nouvelles réglementations imposées en matière de propreté des gaz d’échappement.

Dominique Foray (OCDE et Université Paris-Dauphine) : J’apprécie pour ma part l’idée d’inflexion des financements de l’État. Certes, il existe un changement radical en matière de gestion du FRT, mais le système

L’innovation, quelles stratégies ? 41

national d’innovation évolue peu. Il demeure encore quelques gros dinosaures dans le paysage de la recherche publique. En outre, la recherche militaire est inerte et le système de brevets français demeure très peu performant.

Jacques Astoin : Tout dépend de l’angle d’inclinaison de l’inflexion que l’on retient.... Travaillant dans le domaine de l’innovation, du transfert de technologies et des relations entre la recherche et l’industrie depuis une quinzaine d’années, je peux vous assurer qu’un changement radical est intervenu ces dernières années. La situation actuelle est complètement différente de celle qui avait cours en 1990, en particulier dans la mentalité des chercheurs pour ce qui concerne les retombées économiques de leurs recherches. Il est vrai que la recherche militaire ne se porte pas très bien et se plaint de coupes budgétaires.

David Encaoua : À partir du moment où, en 2000 et en 2002, le chiffre représentant la participation et le financement de la recherche par les entreprises est nettement insuffisant en termes de PIB, cela signifie que cette politique n’a pas encore produit ses effets. Pouvez-vous me dire quels sont les travaux auxquels vous vous référez qui peuvent montrer que l’inflexion de la politique technologique a conduit à des effets mesurables différents de ce que nous observions auparavant ?

Jacques Astoin : Je vous accorde que les résultats ne sont pas encore spectaculaires mais l’état d’esprit des chercheurs change sous l’impulsion des politiques d’innovation des pouvoirs publics. Je pense que les années qui viennent confirmeront ce sentiment et apporteront les résultats escomptés.

L’innovation, comment la mesurer ? 45

L’INNOVATION, COMMENT LA MESURER ?

Louis de Gimel Chargé de la sous-direction Études, Service des études et des statistiques industrielles (Sessi),

Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

Les deux premiers exposés qui vont suivre traiteront des expériences française et allemande. Ces dernières sont très distinctes :

�� l’expérience allemande se fonde sur des enquêtes annuelles sur les innovations ;

�� l’expérience française se fonde sur des enquêtes transversales avec des éclairages thématiques particuliers.

Ces deux expériences répondent cependant au même souci d’une grande information sur l’innovation, afin de répondre aux besoins de compréhension économique et politique.

J’ai ainsi le plaisir d’accueillir le Docteur Georg Licht, chef du département Économie industrielle et gestion internationale du Centre de recherche économique européenne de Mannheim, mais également Elizabeth Kremp du Sessi.

Au préalable, il revient à Dominique Guellec, administrateur principal à la division des analyses économiques et des statistiques de l’OCDE, de cadrer le débat en donnant un point de vue international sur les informations recueillies et la manière dont elles se positionnent, avec le nécessaire recul d’un praticien averti.

L’innovation, comment la mesurer ? 47

Mesurer l’innovation : quelques leçons de l’expérience de l’OCDE

La mesure des activités scientifiques et techniques (S&T) s’est constituée autour de deux types d’indicateurs : en premier lieu sur les ressources allouées à la recherche-développement (R&D), en second lieu sur les comptages de brevets. Les dépenses de R&D (et le personnel employé) nous renseignent sur les ressources allouées par les entreprises et les États aux activités visant à accroître le stock de connaissance en matière de S&T. Elles ne disent rien sur les résultats (output) de ces activités, ni sur les activités d’innovation n’ayant pas de contenu S&T explicite. Les comptages de brevets à l’inverse traduisent les résultats de l’activité d’invention. Cependant toutes les inventions ne sont pas brevetées, ni brevetables.

Les enquêtes innovation ont été conçues pour apporter l’information non fournie par les indicateurs de R&D et de brevet. Elles doivent donc nous renseigner sur l’ampleur de l’innovation dans l’économie, les résultats des activités innovantes des entreprises (avec un champ plus large que les brevets), sur les activités innovantes autres que la R&D (particulièrement importantes dans les services), sur les comportements des entreprises innovantes et sur les mécanismes de l’innovation (par exemple : les sources d’information mobilisées, la coopération entre les acteurs privés et/ou publics).

Ces enquêtes ont démarré dans les pays nordiques à la fin des années 80, puis ont été reprises dans un nombre plus grand de pays de l’OCDE au cours des années 90. Eurostat a conduit trois enquêtes communautaires sur l’innovation (ECI), la plus récente en 2001. Le Japon réalise en 2002 sa première enquête. Les États-Unis sont restés en dehors de l’exercice, mais ils travaillent actuellement sur un projet d’introduction de questions « innovation » dans leur enquête R&D. Nombre de pays en développement mettent en place de telles enquêtes, mieux adaptées à leur situation que les enquêtes R&D. La tendance dans tous les pays est à étendre les enquêtes innovation au secteur des services. L’expérience internationale est rassemblée dans le manuel d’Oslo (Eurostat - OCDE), qui présente des « lignes directrices pour la collection et l’interprétation des données d’innovation technologique » (dernière édition : 1997).

Qu’avons-nous appris grâce aux enquêtes innovation ? On présente ici seulement quelques résultats issus des nombreuses études exploitant les enquêtes innovation (ces résultats peuvent différer entre pays : ce qui suit est plutôt une « moyenne » sur les pays de l’OCDE concernés).

1 - Beaucoup d’entreprises innovent (au-delà de la population restreinte qui réalise de la R&D) : petites entreprises, entreprises de services.

2 - Les entreprises innovantes ont en général de meilleures performances que les autres en termes de productivité, de profitabilité, de création d’emploi.

3 - L’innovation est un facteur essentiel de réallocation des emplois entre les secteurs industriels.

4 - Les clients et fournisseurs sont une source d’information majeure pour les entreprises innovantes.

5 - La coopération avec les universités et laboratoires publics de recherche compte beaucoup pour les entreprises les plus innovantes.

6 - Le brevet est une source d’information importante pour les entreprises les plus innovantes.

7 - Les politiques publiques d’innovation sont utiles essentiellement aux grandes entreprises, mais elles le sont peu aux PME.

La moisson de résultats est donc loin d’être négligeable. Cela ne doit pas cependant cacher les limites de l’exercice dans sa forme actuelle :

- L’innovation reste un concept flou. Des progrès ont été réalisés depuis l’époque où on la restreignait aux « avancées significatives d’ordre technologique », mais l’on a toujours des difficultés à la cerner : l’on ne veut être ni trop restrictif (seules les entreprises réalisant de la R&D passeraient alors le test), ni trop large (toute entreprise innove chaque jour, en un certain sens…). On a le sentiment que les définitions actuelles ne sont pas encore suffisamment précises, notamment dans le cas des services et des innovations non technologiques.

- Les informations actuellement collectées sont essentiellement qualitatives. Elles sont certes utiles, mais peuvent être parfois difficiles à interpréter. Lorsqu’une entreprise se déclare innovante, l’on aimerait savoir « combien » elle a innové, « combien » de ressources elle a alloué à ces activités etc. Les questions quantitatives inclues dans les enquêtes innovation ne permettent pas (encore) de répondre à de telles questions.

L’exercice maintenant lancé de révision du manuel d’Oslo vise à avancer notamment sur ces problèmes, en se nourrissant pour l’essentiel d’expériences de terrain (bilan des enquêtes réalisées, enquêtes pilotes ad-hoc, entretiens avec les répondants) : c’est finalement en se tournant vers les entreprises que les statisticiens pourront déterminer les questions qui permettent de produire l’information pertinente…

Insee Méthodes 48

Some lessons from the OECD experience

The measurement of scientific and technical (S&T) activity has developed around two types of indicators: (1) resources allocated to research and development (R&D) and (2) patent counting. R&D expenditures—and the R&D workforce—tell us about the resources allocated by business and government to activities aimed at increasing the stock of S&T knowledge. They tell us nothing about the results (output) of these activities, nor about innovation activities without explicit S&T content. By contrast, patent counts measure the results of innovation activity. However, not all inventions are patented, or patentable.

Innovation surveys are designed to obtain information not supplied by R&D and patent indicators. They must therefore tell us about the scope of innovation in the economy, the results of firms’ innovative activities (in a broader field than patents alone), non-R&D innovative activities (of particular importance in services), the behavior of innovative enterprises, and the mechanisms of innovation (for example: information sources used, and cooperation between private-sector and/or public-sector players).

These surveys began in the Scandinavian countries in the late 1980s, and were then taken up by a growing number of OECD countries in the 1990s. Eurostat has conducted three Community Innovation Surveys (CISs), most recently in 2001. Japan performed its first survey in 2002. The United States has not taken part in the exercise, but is currently working on a plan to introduce “innovation” questions in its R&D survey. In fact, a number of developing countries are launching innovation surveys, which are more relevant to their situation than R&D surveys. The trend in all countries is to extend innovation surveys to the service sector. International experience in the field is documented in the Oslo Manual (Eurostat–OECD), which presents “guidelines for the collection and interpretation of data on technological innovation” (latest edition: 1997).

What have we learned from innovation surveys? In this paper, we discuss only a few of the results of the many studies based on innovation surveys. The findings may differ from one country to another; the following points are an “average” profile for the OECD countries concerned:

1) Outside the small circle of firms engaged in R&D, many enterprises innovate: they include small businesses and service companies.

2) Innovative enterprises generally outperform the rest in productivity, profitability, and job creation.

3) Innovation is a key factor in inter-industry reallocation of jobs.

4) Customers and suppliers are a major information source for innovative enterprises.

5) Cooperation with universities and public research laboratories is very important for the most innovative enterprises.

6) Patents are a major information source for the most innovative enterprises.

7) Public innovation policies are chiefly useful for large corporations, but have little impact on small and medium-sized businesses.

The harvest of results is thus far from negligible. This should not, however, make us blind to the limits of the exercise in its present form.

- Innovation remains a blurred concept. Progress has been made since the days when it was restricted to “significant advances in technology,” but it remains elusive. We do not want it to be either too restrictive (only companies engaged in R&D would pass the test), or too broad (every enterprise innovates daily, in a manner of speaking). There is a feeling that current definitions are not yet precise enough, most notably when it comes to services and non-technological innovations.

- Most of the information gathered today is qualitative. While admittedly useful, it can sometimes be hard to interpret. When an enterprise describes itself as innovative, we would like to know “how much” it has innovated, “how many” resources it has allocated to innovation, and so on. The quantitative questions included in the innovation surveys do not (yet) provide the answers to such queries.

The Oslo Manual revision now under way seeks to make progress, in particular, on the issues set out above by drawing heavily on field experience: assessments of surveys performed, ad hoc pilot surveys, and interviews with respondents. Ultimately, it is by talking to businesses that statisticians will be able to determine the questions that will yield the relevant information.

L’innovation, comment la mesurer ? 49

MESURER L’INNOVATION : QUELQUES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE DE L’OCDE

Dominique Guellec Administrateur principal,

Division des analyses économiques et des statistiques, OCDE

Les deux principaux types de mesures statistiques des activités scientifiques et technologiques

La mesure des activités scientifiques et technologiques (S&T) repose sur deux indicateurs principaux, les dépenses de R&D et les brevets. Les enquêtes innovation sont une nouveauté plus récente.

Les dépenses de R&D engagées par les entreprises et les gouvernements

Ces statistiques sont maintenant bien établies : le manuel de Frascati, qui codifie l’expérience dans ce domaine, a été publié pour la première fois en 1962. La dernière révision vient juste d’être achevée. Les chiffres qui sont fondés sur cette approche sont généralement reconnus comme fiables. Néanmoins, ils peuvent apparaître insuffisants.

Tout d’abord, la R&D mesure un effort, une ressource allouée à une certaine activité, mais elle ne mesure pas les résultats de cette activité. Elle ne permet donc pas de connaître directement les effets de l’innovation sur la croissance économique. De surcroît, un grand nombre d’innovations ne proviennent pas de la R&D, aussi bien dans les services que dans l’industrie manufacturière. Ainsi, l’Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), qui finance un grand nombre d’innovations à l’aide d’avances remboursables en France, voit une faible part de ses aides allouées pour la R&D en entreprises.

Les brevets

Les comptages des brevets (ou parfois de citations de brevets ou de « revendications » contenues dans les brevets) capturent un résultat, dans la mesure où le brevet montre que la recherche a abouti à une invention. En outre, les brevets, tels qu’ils sont publiés par les offices nationaux de brevets, contiennent une information extrêmement riche concernant la démarche qui a conduit à l’invention, les déposants, les inventeurs, les citations d’antériorité technologique. Il est également possible de disposer d’informations sur le type de technologie réalisée, ce qui n’est pas le cas pour les dépenses de recherche.

Les brevets comme indicateurs ont aussi leurs limites. En premier lieu, la couverture n’est pas totale : un grand nombre d’inventions ne sont pas brevetées. En second lieu, nombre de brevets couvrent des inventions qui ne sont pas mises en application par la suite. Ainsi, le brevet n’offre qu’une mesure imparfaite d’output.

Il est donc nécessaire de disposer d’un autre indicateur, qui couvrirait une notion plus englobante et capterait les transformations, les nouveautés telles qu’elles apparaissent dans l’utilisation et la mise en œuvre sur les marchés ou dans les entreprises.

Le concept d’innovation

De manière très générale, les innovations sont définies comme étant des produits et des procédés nouveaux ou significativement améliorés, du point de vue technologique ou du point de vue de l’utilisation.

Insee Méthodes 50

Les besoins politiques pour des statistiques de l’innovation

La R&D constitue une composante importante des politiques d’innovation. Néanmoins, les décideurs politiques ont une vision plus large que la R&D. D’une certaine manière, les 3 % consacrés par le sommet de Barcelone ont été établis dans la mesure où les représentants des États de l’UE ne disposaient pas de données quantifiables correspondant à leurs véritables intentions, c'est-à-dire une économie fondée sur le savoir, créant des emplois.

Le concept d’innovation n’a pas été retenu comme objectif quantitatif par les décideurs : en effet, nous ne maîtrisons pas suffisamment la mesure de l’innovation pour pouvoir en faire un indicateur suffisamment fiable.

Les statisticiens souhaiteraient connaître l’ampleur de l’innovation : à combien de produits nouveaux correspondent ces 3 % de R&D ? Nous voudrions également connaître l’impact de l’innovation sur la croissance des entreprises et des pays, mais également l’impact sur le marché du travail.

De surcroît, nous sommes désireux de connaître les caractéristiques des entreprises innovantes. En effet, partant du postulat que l’innovation est une bonne chose, nous souhaiterions savoir ce qui différencie les entreprises qui innovent de celles qui n’innovent pas, pour pouvoir éventuellement créer les conditions d’un transfert de ces facteurs des entreprises innovantes vers les entreprises non innovantes.

Ces obstacles sont de différentes natures : ils peuvent être issus des politiques ou du fonctionnement du marché. Ils concernent principalement certaines catégories d’entreprises, notamment les PME.

Ce type de questions adressées aux statisticiens a ainsi justifié le développement d’un nouvel instrument statistique : la mise en place des enquêtes innovation.

Les enquêtes innovation

Ces enquêtes sont apparues dans les pays du nord de l’Europe au cours des années 80. D’autres pays membres de l’OCDE, dont la France, ont suivi. Ces pays ont ensuite mis en commun leurs expériences, dont l’aboutissement a été le manuel d’Oslo. La première édition date de 1992, la seconde a été publiée en 1997 par l’OCDE et Eurostat.

L’enquête communautaire sur l’innovation (CIS) a été mise en place par Eurostat au milieu des années 90, la troisième version de CIS étant réalisée dans tous les pays de l’Union, et dans les pays candidats. Au-delà de l’Europe, qui est moteur dans ce domaine, d’autres pays comme l’Australie et le Canada ont également eu un rôle important.

Le Japon conduit actuellement sa première enquête innovation, et les Etats-Unis envisagent d’introduire quelques questions sur l’innovation dans leurs enquêtes R&D. Enfin, ce type d’enquêtes rencontre un grand succès dans les pays moins développés, partant de l’hypothèse que l’innovation est encore moins fondée sur la recherche dans ces pays que dans les nôtres, et que les statistiques de R&D sont donc inadéquates pour y mesurer les progrès en matière technologique.

Quelques enseignements des enquêtes innovation

La liste qui suit n’est pas exhaustive, et certains des points qu’elle contient sont encore soumis à discussion :

�� la part d’entreprises innovantes est très élevée : 43 % dans l’industrie manufacturière en France. En outre, les entreprises des secteurs de services constituent également des sources importantes d’innovation ;

�� les entreprises innovantes réussissent généralement mieux que les autres en termes de progression des ventes, de productivité et de rentabilité ;

�� l’innovation est un vecteur fondamental de réaffectation des emplois entre les entreprises et entre les industries (la « destruction créatrice ») ;

L’innovation, comment la mesurer ? 51

�� les clients et les fournisseurs des entreprises constituent des sources d’information importantes pour les entreprises innovantes ;

�� les entreprises les plus innovantes tirent profit de la recherche publique et universitaire ;

�� les entreprises les plus innovantes utilisent l’information divulguée par les brevets, qui remplissent ainsi le rôle qui leur a été assigné par le législateur ;

�� les politiques d’innovation touchent essentiellement les grandes entreprises, les PME se sentant relativement moins concernées. Néanmoins, ces données ont pu changer entre-temps, puisque ces données datent de CIS2, en 1997.

Les principales limites des enquêtes innovation

a. Un problème de définitions

Les définitions de base du manuel d’Oslo semblent ne pas être satisfaisantes, notamment pour les services. Nous sommes ici confrontés à un risque statistique de type I ou II. En effet, il est possible d’adopter une définition restrictive de l’innovation, en se concentrant essentiellement sur la technologie et en considérant les innovations non technologiques comme accessoires. L’on confinerait alors les enquêtes innovation à la population des entreprises de R&D, qui est déjà connue par d’autres enquêtes, et l’on sacrifierait la richesse des enquêtes innovation qui est de capter plus largement les activités innovantes dans l’économie

Cependant, jusqu’où pouvons-nous aller sans affecter la pertinence des résultats ? Si l’on accepte que toute nouveauté constitue une innovation, il existe un risque de surestimation de l’activité innovante. Ainsi, certaines enquêtes vont jusqu’à attribuer le titre d’innovation lorsqu’un restaurant est repeint. Nous sommes donc confrontés au risque d’adopter une définition trop large… La difficulté est de placer le curseur au bon endroit.

b. Un problème de subjectivité

De trop nombreuses informations demeurent relativement subjectives dans les enquêtes innovation. Par exemple, les questionnaires demandent en quelque sorte aux entreprises si elles sont innovantes, en leur demandant de répondre par oui ou par non. Cependant, cela ne nous informe pas sur la qualité et la pertinence de cette innovation. Nous souhaiterions donc disposer d’indicateurs plus quantitatifs.

c. Un problème de compréhension

La question des enquêtes concernant les dépenses en innovation est faiblement comprise par les entreprises. En conséquence, le taux de réponse et la fiabilité des réponses obtenues sont alors faibles.

d. Un problème de comparabilité internationale

Des progrès très importants ont été effectués dans les pays européens grâce à la coordination opérée par Eurostat. Cependant, cette comparabilité demeure encore imparfaite, et il n’est pas possible de dresser des corrélations significatives entre les taux de réponse et les proportions d’entreprises innovantes selon les pays.

Des progrès méthodologiques en cours

Ces questions seront cependant abordées lors de la révision du manuel d’Oslo, qui débute actuellement sous l’impulsion d’Eurostat et de l’OCDE, ainsi qu’avec une participation des pays membres. Cette révision intégrera une réflexion sur les fondements mêmes de ces enquêtes, s’appuyant notamment sur des expériences concrètes telles des enquêtes pilotes.

Les enquêtes innovation sont encore jeunes, comparées notamment aux enquêtes R&D, elles se situent au début de la courbe d’apprentissage. Ainsi, si le manuel de Frascati a été publié en 1962, les chiffres de R&D n’ont été considérés comme étant de bonne qualité dans la plupart des pays qu’à partir du début des années 80. C’est dans une telle dynamique que se situent maintenant les enquêtes innovation.

L’innovation, comment la mesurer ? 53

Enquêtes annuelles sur l'innovation : l'expérience allemande

Depuis une dizaine d'années, des enquêtes sont régulièrement menées sur le thème de l'innovation dans la plupart des pays européens. Leurs enseignements ont été riches en termes de méthodologie et d'approche conceptuelle de la mesure de l'innovation. Ces enquêtes se sont également peu à peu imposées comme une source utile d'informations pour définir les politiques d'innovation, et mener des recherches universitaires sur le sujet.

A la différence de la plupart des pays européens, les enquêtes innovation sont organisées en Allemagne selon un rythme annuel. La présente étude rend compte des expériences menées en Allemagne sur cette base. Elle présente quelques-uns des avantages d'une conduite annuelle des enquêtes innovation en s'intéressant aux variations à court terme observées dans les indicateurs-clés de l'innovation au niveau de l'entreprise. Les enquêtes innovation en Allemagne se fondent sur les approches définies dans le manuel d’Oslo et mises en application dans les enquêtes communautaires sur l'innovation CIS1, CIS2 et CIS3. Ces enquêtes CIS sont conçues comme des enquêtes transversales qui ont lieu tous les quatre ou cinq ans. C’est pourquoi l'analyse des variations dans le temps des indicateurs-clés est malaisée, notamment du fait que certains concepts utilisés dans les questionnaires ont évolué au cours des dix dernières années. L'enquête allemande fait partie des enquêtes CIS et fait appel au questionnaire de base harmonisé. Mais son questionnaire est aussi enrichi de manière significative, en particulier pour les années qui ne correspondent pas aux enquêtes communautaires. Les principaux enrichissements et les questions politiques qui les sous-tendent sont abordés

dans cette étude qui présente quelques résultats clés. Elle examine également les problèmes que pose l'application d'une méthodologie exclusivement transversale à une enquête longitudinale.

Cette étude présente de manière plus approfondie les principaux indicateurs portant sur l’importance de l’innovation et son impact, tels que le poids des entreprises innovantes, la part de marché des produits nouveaux (pour l’entreprise ou pour le marché), ou encore la proportion des entreprises qui lancent des produits nouveaux pour le marché. Elle propose également un nouvel indicateur de la performance de l'innovation de procédé. Par ailleurs, l’étude rend compte des résultats obtenus en ce qui concerne certains aspects structurels du système allemand en matière d'innovation (comme, par exemple, les transferts de connaissance entre la science et le secteur privé) et de la manière dont les résultats des enquêtes sont utilisés dans le cadre de la politique de l‘innovation..

Pour terminer, sera succinctement présentée une utilisation possible des enquêtes innovation visant à mettre en lumière l'efficacité des politiques gouvernementales dans ce domaine. A cet effet, nous avons fusionné les données des enquêtes innovation avec des données administratives portant sur les subventions accordées par le gouvernement aux activités de R&D des entreprises allemandes. La base de données ainsi obtenue nous a permis de conclure que les projets de R&D qui font l’objet d’un financement public et ceux qui sont financés par les entreprises sont complémentaires par nature. Les subventions gouvernementales ne se substituent pas à la dépense privée en R&D

Insee Méthodes 54

Annual innovation surveys: the German example

For the past decade, most European countries have conducted innovation surveys on a regular basis. Much has been learned about survey methodology and the conceptual approach to innovation measurement. Innovation surveys have also developed into a useful information source for innovation policy-making and academic research on innovation.

Unlike most European countries, Germany conducts innovation surveys annually. This paper reports the German experience with the annual approach. We discuss the merits of annual innovation surveys by looking at some short-term changes in key indicators for firm-level innovation. German innovation surveys incorporate the basic approaches set out in the Oslo Manual and applied in European Community Innovation Surveys: CIS1, CIS2, and CIS3. CISs are designed as cross-sectional surveys to be conducted every four or five years. Hence, analyzing changes in key indicators over time is difficult not only because some concepts applied in the questionnaires have changed over the past decade. The German innovation survey was part of all CIS surveys and implemented the harmonized core questionnaire, but with significant extensions, particularly in the non-CIS years.

We describe the key extensions, underlying policy issues, and selected results. We also address the problems encountered when applying a purely cross-sectional methodology to a longitudinal survey.

The paper examines in greater detail the development of core indicators on innovation input and innovation performance, such as the share of innovative firms, the share of sales of new products or market novelties, and the share of firms introducing market novelties. The paper suggests a new indicator of process-innovation performance. It lists some results concerning structural features of the German innovation system such as knowledge flows between science and the private sector, and the use of innovation-survey results in policy-making.

Lastly, we suggest ways in which innovation surveys can shed light on the effectiveness of government innovation policy. To do this we merge innovation-survey data and government data on R&D subsidies to German firms. On the basis of this merged database, we conclude that government subsidies for R&D projects and projects financed by firms themselves are complementary. Government R&D subsidies thus do not crowd out private R&D spending.

L’innovation, comment la mesurer ? 55

ENQUÊTES ANNUELLES SUR L’INNOVATION : L’EXPÉRIENCE ALLEMANDE

Georg Licht Chef du département Économie industrielle et gestion internationale,

Centre de recherche économique européenne (Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung: ZEW), Mannheim, Allemagne

Cette présentation traite des leçons positives à tirer de développements récents dans les techniques d’enquêtes sur l’innovation en Allemagne. Mon point de vue est plus celui d’un utilisateur final que celui d’un fournisseur de données attentif au problème des comparaisons et des comparabilités internationales au fil du temps. Avec l’enquête CIS3 nous nous dirigeons maintenant vers une approche de politique consultative, qui donne le ton de mon intervention d’aujourd’hui.

Vue d’ensemble

Des progrès importants ont été faits en ce qui concerne la méthodologie employée dans le cadre des enquêtes CIS. Je reste optimiste quant à notre capacité à progresser encore davantage dans ce domaine. Je présenterai plusieurs résultats provenant du panel innovation de Mannheim, un groupe de marketing établi par notre institution afin de relier les enquêtes sur l’innovation au groupe de recherche lui-même. Je décrirai les différences entre l’approche allemande et celles utilisées ailleurs. Je tenterai d’éclaircir les points de développements chronologiques et la manière dont les indices allemands d’innovation ont évolué. Ce qui amène alors la question de la comparabilité.

Le but premier des enquêtes sur l’innovation, il faut le rappeler, est d’intervenir au niveau des prises de décisions. Je discuterai donc une étude menée sur l’influence des dépenses gouvernementales de R&D sur les dépenses privées de R&D, d’après les enquêtes innovation.

Modifications de l’approche CIS

La caractéristique de notre étude est qu’elle regroupe environ 4 500 répondants provenant de l’industrie manufacturière et d’une sélection de services et que l’enquête est administrée sur la base du volontariat. Notre groupe n’appartient pas au système statistique allemand - une position qui offre des avantages mais aussi des inconvénients. Nos questions fondamentales, dérivées du manuel d’Oslo, couvrent les facteurs, les dépenses, le rendement, les ventes, et l’emploi en matière d’innovation L’étape suivante est d’ajouter les questions CIS, qui ont pour but d’examiner les sources d’innovation, les obstacles à l’innovation, etc. Une série supplémentaire de questions, conçue en collaboration étroite avec le gouvernement, traite des besoins politiques. Ce sont typiquement des questions relatives à l’aide de l’État, aux subventions gouvernementales, et au rôle de la coopération entre les entreprises et les instituts de recherche.

Observations et résultats de l’enquête

Les résultats révèlent une baisse sensible des dépenses d’investissement liées à l’innovation dans les entreprises entre 1992 et 1994, une période pendant laquelle l’Allemagne faisait face à sa crise économique la plus aiguë de l’après-guerre. Comparées aux dépenses de R&D, les dépenses en matière d’innovation se révèlent donc beaucoup plus sensibles aux variations du cycle économique. C’est l’un des avantages d’un suivi étroit des dépenses de R&D et d’innovation. Après la crise, notre étude démontre une croissance graduelle des dépenses en innovation. L’intensité en matière d’innovation reste cependant plus ou moins constante à travers le temps.

Insee Méthodes 56

Une analyse comparative des dépenses en matière d’innovation entre l’industrie manufacturière et les services indique qu’une grande part des dépenses d’innovation provient de l’industrie manufacturière. Bien que cette part ne soit pas aussi importante que celle de l’industrie manufacturière en matière de R&D, elle révèle néanmoins l’importance du rôle des entreprises manufacturières dans l’augmentation des dépenses d’innovation.

Les dépenses d’entreprises en matière d’UMTS - qui, par définition, sont qualifiées de dépenses d’innovation - étaient exclues du champ de l’enquête. Cependant, en tenir compte augmenterait les dépenses allemandes en matière d’innovation en 2000 de 30 milliards d’euros. Les chercheurs sont d’accord sur le fait que la prise en compte de ce type particulier de dépenses fausserait les conclusions générales sur les dépenses d’innovation.

Trois types d’entreprises innovantes révélés

a. Innovation de produit

Des entreprises introduisent de nouveaux produits, c’est à dire qu’elles s’engagent dans l’innovation de produits. La part de ces innovateurs a augmenté de 52 % à 62 % du total des entreprises allemandes au cours des années 90.

b. Innovation de procédé

Les entreprises s’engagent également dans l’innovation de procédé, ce qui n’est pas toujours directement lié aux réductions de coûts. Notre enquête révèle que les deux-tiers des innovations de procédé se traduisent par des réductions de coûts tangibles, le reste étant motivé par exemple par des réglementations toujours plus strictes en matière de sécurité et d’environnement.

c. Nouveautés de marché

Un nombre beaucoup plus faible d’entreprises est impliqué dans l’introduction de nouveautés sur le marché - une définition beaucoup plus serrée de l’innovation. Alors que l’innovation de produit exige que le produit soit nouveau pour l’entreprise, les nouveautés de marché doivent être nouvelles pour tout le marché afin d’être qualifiées d’innovations.

Leçons à tirer de l’enquête de 2000

L’année 2000 a produit des résultats d’enquêtes frappants pour deux raisons que nous ne pouvons pas dissocier:

1. La mise en application de l’enquête CIS3 a conduit à un changement dans la séquence de questions. Les résultats ont révélé une chute brutale du nombre d’innovateurs de produits. C’est pourquoi un des aspects dont il faut tenir compte lors de la conception d’enquêtes basées sur CIS est que la simple réorganisation de questions peut engendrer des résultats dramatiquement différents.

2. Il a été également suggéré que, pour certaines industries, l’année 2000 a été une année de boom. Le manque de personnel qualifié a forcé beaucoup d’entreprises à transférer leurs compétences de la fonction d’innovation à la fonction de production, ce qui a entraîné une baisse des activités d’innovation.

Base et efficacité de l’aide gouvernementale à l’innovation

Tout comme en France, la question de l’efficacité de l’aide gouvernementale à l’innovation a été posée récemment en Allemagne. Typiquement, on entend parler d’un objectif gouvernemental de 3 % pour l’intensité de R&D. D’où le débat qui s’ensuit pour savoir si oui ou non nous devons changer d’instruments afin d’obtenir davantage d’effet de levier des subventions gouvernementales accordées aux investissements privés. Nous sommes tous conscients des problèmes budgétaires de l’Allemagne, et l’expérience de ces 20 dernières années montre comme il est facile de réduire les subventions de R&D aux entreprises - par rapport à d’autres types de subventions - dans un contexte de réductions budgétaires. D’où la nécessité d’arguments positifs sur l’impact des

L’innovation, comment la mesurer ? 57

dépenses gouvernementales de R&D sur les dépenses privées de R&D et sur l’effet additionnel induit par l’investissement gouvernemental vis-à-vis de l’investissement privé.

L’année dernière, le gouvernement a demandé au ZEW de recueillir des données sur l’utilisation des subventions gouvernementales dans le domaine de l’innovation. Nous avons ajouté plusieurs questions à l’enquête initiale pour obtenir des informations sur :

�� la disponibilité des subventions gouvernementales ;

�� les différences entre les projets subventionnés par le gouvernement et les projets financés par le secteur privé ;

�� les types de problèmes rencontrés par les entreprises dans la gestion des subventions publiques de R&D.

Nous avons ensuite fusionné les données de l’enquête sur l’innovation avec des données administratives portant particulièrement sur les subventions gouvernementales afin de mettre en application des outils économétriques et d’analyser les effets supposés bénéfiques des subventions gouvernementales dans ce domaine.

a. L’exemple de deux programmes subventionnés par le gouvernement en Allemagne

Le gouvernement accorde des subventions directes pour le financement d’un projet particulier à une entreprise une fois que le projet a été approuvé conjointement avec le gouvernement. Ces subventions directes de projet constituent la majorité des subventions gouvernementales. Un autre type de subvention, moins répandu celui-ci, se présente sous la forme de programmes de soutien interactifs se concentrant sur certaines activités d’innovation en collaboration avec des universités et des institutions de recherche.

Cependant, l’Allemagne manque d’incitation fiscale dans le domaine de l’innovation. Les discussions se poursuivent sur l’efficacité de telles incitations et leur application en Allemagne sur le modèle de pays tels que le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas. En octobre 2002, l’industrie allemande a avancé une proposition pressant le gouvernement d’introduire des incitations fiscales pour stimuler la R&D.

b. Barème des subventions gouvernementales

Entre 1980 et 1999, le gouvernement a graduellement réduit son soutien aux projets de R&D dans l’industrie de l’énergie, y compris nucléaire, et les entreprises ayant recours au charbon comme source d’énergie. Les autres industries ont reçu dans le même temps des subventions gouvernementales relativement stables. Au début des années 1990, environ 1 000 entreprises ont reçu des subventions gouvernementales, sur un total de 25 000 entreprises concernées par la R&D en Allemagne. Au terme des années 1990, le nombre d’entreprises recevant une assistance gouvernementale avait atteint 3 000. Par conséquent, nous avons noté une croissance massive des charges administratives gouvernementales.

Utilisation pratique des enquêtes innovation et leur formulation politique

En analysant les bénéficiaires des aides en faveur de l’innovation, nous observons que les grandes entreprises sont bien plus susceptibles de recevoir des subventions que les petites entreprises. Ce schéma semble se retrouver dans tous les pays. Le gouvernement a besoin d’appliquer des programmes spéciaux pour les entreprises d’Allemagne orientale, lesquelles sont également plus susceptibles de recevoir une aide du gouvernement. L’industrie manufacturière reçoit une part plus importante des subventions gouvernementales que les autres industries : cette disparité est une conséquence de la structure et des objectifs de l’aide gouvernementale.

Dans ce but, les institutions publiques de recherche jouent un rôle crucial de relais d’information de l’aide gouvernementale. Les groupes de travail mis en place pour lancer les subventions gouvernementales devront donc se concentrer sur une mission : disséminer l’information. Les chambres de commerce peuvent, elles aussi, jouer un rôle important dans ce domaine.

Insee Méthodes 58

Nous avons également mené une étude économétrique où nous avons postulé un modèle théorique simple qui se composait de produits hétérogènes, de retombées, de subventions gouvernementales et de concurrence entre les entreprises pour obtenir l’aide gouvernementale. Sur ces bases, nous avons établi une équation d’intensité comprenant des variantes provenant de l’enquête CIS - retombées de R&D, nombre d’entreprises, demande du marché, opportunités écologiques et hétérogénéité du produit. Nous avons estimé plusieurs modèles afin d’arriver au résultat final et avons sondé un échantillon de 900 entreprises ayant reçu de l’aide gouvernementale à la fin des années 1990 afin de comparer l’intensité de R&D avec les subventions reçues. Nous avons regroupé des entreprises possédant des caractéristiques identiques et des chances similaires de recevoir des subventions de l’État. Les résultats révèlent que les entreprises recevant de l’aide de l’Etat présentent également une croissance de R&D financée par leurs propres moyens. Ainsi, l’impact des subventions gouvernementales est complémentaire. Dans un cadre plus large, des études existantes montrent qu’une entreprise investira un maximum de 1€ si elle est éligible à un abattement fiscal de 1€. Cependant, si cette même entreprise reçoit 1€ d’aide gouvernementale, elle accroîtra ses dépenses en matière d’innovation d’un montant supérieur à 1€. Le problème est que la charge administrative est substantiellement plus importante avec un système de subvention gouvernementale qu’elle ne l’est avec un système d’aide fiscale.

Conclusion

La conclusion que nous tirons de nos analyses statistiques est que les enquêtes sur l’innovation sont un outil utile qui peut être incorporé efficacement dans la politique gouvernementale. Pour réussir, nous devons d’emblée impliquer les décideurs dans le processus d’enquête. Les agences gouvernementales doivent être activement impliquées dans la conception des questionnaires afin de s’assurer que leurs exigences sont satisfaites. En travaillant ainsi périodiquement, nous pourrons alors obtenir une évaluation complète et détaillée de la portée des enquêtes innovation. Je continue à penser qu’il existe au sein de la structure CIS des possibilités pour les décideurs de jouer un rôle plus important dans la formulation de lignes directrices, et pour les instituts de statistique d’aider à valoriser les enquêtes innovation pour l’utilisateur final.

L’innovation, comment la mesurer ? 59

Un retour sur quatre enquêtes françaises

La première enquête Innovation en France date de plus de 10 ans. Réalisée en 1991 et associée à l’enquête annuelle d’entreprise de l’année de constat 1990, elle couvrait l’ensemble des 25 000 entreprises industrielles de 20 salariés et plus. Le questionnaire portait sur les cinq dernières années et était centré sur cinq thèmes :

�� l’introduction d’innovation de produits et de procédés ;

�� le rôle respectif du marché et de la dynamique propre de la technologie ;

�� les sources de l’innovation ;

�� l’appréciation par l’entreprise de la position innovante de son secteur et de sa propre activité, précisant si une innovation est radicale ou incrémentale ;

�� la part dans son chiffre d’affaires et dans ses exportations des produits innovants de moins de 5 ans d’âge.

Elle est antérieure à la sortie de la première version du manuel d’Oslo élaboré à l’initiative de l’OCDE, et publié en 1992. Depuis cette enquête pionnière, le Sessi a réalisé trois autres enquêtes sur l’innovation : une tous les quatre ans, et portant sur une période d’analyse de trois ans. Ces enquêtes ont toutes les trois été réalisées dans le cadre de la Communauté européenne, permettant des comparaisons internationales. La dernière concerne la période 1998-2000.

Résultats persistants de ces quatre enquêtes focalisées sur l’innovation : environ quatre entreprises industrielles sur dix innovent et le taux d’innovantes en produits est toujours plus élevé que le taux d’innovantes en procédés. Mais l’écart s’est creusé, et les innovations de procédés diminuent. Autre conclusion : l’innovation se fait souvent en collaboration avec d’autres entreprises ou d’autres organismes et nécessite de faire appel à des sources d’informations externes. L’innovation a comme objectif prioritaire de conquérir de nouveaux marchés. L’amélioration de la qualité des produits et l’élargissement de la gamme de produits sont des préoccupations essentielles des entreprises innovantes.

L’innovation résulte d’un processus complexe fait à la fois d’interactions internes à l’entreprise elle-même et de l’entreprise avec son environnement, notamment dans le domaine de la gestion des savoirs. Elle nécessite des moyens humains et financiers. Autour de ce thème central de l’innovation, des investigations ont donc été menées pour éclairer des thèmes proches, influençant fortement les capacités des firmes à innover. Ils concernent les compétences pour innover, le financement de l’innovation, ou encore la gestion des connaissances dans le cadre de la dernière enquête sur l’innovation. Ces investigations se sont faites de trois manières : soit à travers d’autres enquêtes, soit en appariant une enquête innovation avec une autre enquête, soit en complétant le questionnaire principal.

�� Les compétences pour innover

En 1996, l’entreprise mobilise plus aisément les compétences qui lui permettent de gérer le processus innovant lorsque celui-ci est en interne que lorsqu’il implique l’environnement extérieur. L’organisation en groupes de sociétés procure un avantage décisif, tout particulièrement dans les filiales de groupes étrangers. L’entreprise se montre attachée à détenir et à exercer elle-même ces compétences et se tourne rarement vers la sous-traitance. Enfin, l’innovation en produits requiert plus de compétences. Les entreprises non innovantes sont rarement pourvues des quatre compétences les plus rares qui ont trait à la gestion des interactions externes en terme de savoir, « s’approprier les technologies extérieures » et « gérer et défendre la propriété intellectuelle » et en terme de marché « financer » et « vendre l’innovation ».

�� Innovation et contraintes financières

Des obstacles financiers sont rencontrés par près d’un tiers des entreprises industrielles de 20 salariés et plus ayant eu un projet technologiquement innovant entre 1994 et 1996. En cas de contraintes financières, le risque de défaillance dans la période qui suit l’innovation est nettement plus élevé. Par contre, à taille, taux d’investissement et secteur d’activité donnés, le fait d’innover n’influe pas sur le risque de défaillance dans les trois années qui suivent l’innovation.

�� Financement de l’innovation

Si l’innovation technologique est au cœur de la stratégie des entreprises, la création de nouveaux produits entraîne une incertitude accrue et dépend étroitement de l’existence de financements appropriés. Sur la période 1997-1999, l’autofinancement assure les trois-quarts du financement de l’innovation. Les financements publics représentent la seconde source de financement, en réduisant l’incertitude dans la phase de lancement des projets et permettent de passer le cap de la recherche développement, où les probabilités d’abandon sont plus fortes.

�� Gestion des connaissances

En 2000, un tiers des firmes industrielles ont adopté une culture pour promouvoir le partage des connaissances. Elles sont un peu moins nombreuses à avoir mis en place une politique d’incitation à rester dans l’entreprise pour éviter la fuite des savoirs ou des partenariats pour acquérir des connaissances. Elles sont nettement moins concernées par la pratique écrite de la gestion des connaissances. Ces pratiques sont plus développées dans les grandes entreprises et aussi plus fréquentes dans les entreprises innovantes. Ainsi, dans les industries des équipements électriques et électroniques, parmi les entreprises innovantes, plus d’une sur deux ont une culture de promotion du partage des connaissances ou une politique d’incitation à rester dans l’entreprise.

Insee Méthodes 60

A review of four French surveys

The first “Innovation in France” survey dates from more than a decade ago. Performed in 1991 in conjunction with the Annual Enterprise Survey for the observation year 1990, it encompassed all 25,000 French manufacturing firms with 20+ employees. The questionnaire covered the five years preceding the survey and focused on five areas:

�� introduction of product and process innovation;

�� respective roles of the market and of technology-specific dynamics;

�� sources of innovation;

�� enterprise’s self-assessment of innovativeness of its industry and of its own business, with an indication of whether a given innovation is radical or incremental;

�� portion of sales and exports made up of innovative products under five years old.

The first survey preceded the 1992 release of the first version of the Oslo Manual, prepared at the behest of the OECD. Since that pioneering survey, SESSI has conducted three other surveys on innovation—one every four years, each covering a three-year period. All three surveys were carried out in a European Community framework, allowing international comparisons. The latest deals with the period 1998-2000.

The four innovation-focused surveys have consistently yielded two findings: about four in ten industrial firms innovate, and the percentage of product-innovating firms is always higher than that of process-innovating ones. But the gap has widened, and process innovations are trending down. Another finding is that innovation is often achieved in cooperation with other enterprises or organizations, and requires tapping external information sources. The chief goal of innovation is to capture new markets. Improving product quality and broadening the product lineup are vital concerns for innovative businesses.

Innovation results from a complex process involving interactions (1) within the enterprise and (2) between the enterprise and its environment, particularly in knowledge management. It requires human and financial resources. Around this central theme of innovation, we have therefore conducted investigations to shed light on closely related factors that strongly influence firms’ innovation capabilities: innovation competencies, innovation financing, and—in the most recent innovation survey—knowledge management. These explorations have been conducted in three ways: via other surveys, by linking an innovation survey to

another survey, or by adding questions to the main questionnaire.

�� Innovation competencies

The 1996 survey found that the enterprise finds it easier to assemble the competencies with which to manage the innovation process when the process is internal than when it involves the external environment. Enterprise-group structures offer a decisive advantage, particularly for subsidiaries of foreign-owned groups. The enterprise is keen to possess and apply these competencies in its own right, and seldom relies on subcontractors. Lastly, product innovation requires more competencies. Non-innovative businesses rarely have the four scarcest competencies concerning external-interaction management: in the knowledge sphere, “appropriating external technologies” and “managing and defending intellectual property” and, in the market sphere, “financing innovation” and “selling innovation.”

�� Innovation and financial constraints

Financial obstacles are reported by nearly one-third of industrial firms with 20+ employees having developed a technologically innovative project between 1994 and 1996. Financial constraints sharply increase the risk of failure in the post-innovation period. By contrast, for a given size, investment rate, and industry, innovations do not influence the failure rate in the three years after their introduction.

�� Funding for innovation

While technological innovation is a core component of business strategy, the creation of new products increases uncertainty and depends heavily on the availability of adequate funds. In 1997-99, three-quarters of innovation financing came from cash flow. The second source of funds is public-sector financing, which lessens uncertainty in the project-launch phase and allows companies to complete the research-and-development phase, when the chances of abandoning the project are highest.

�� Knowledge management

By 2000, one-third of industrial companies had adopted a culture to promote knowledge-sharing. A slightly smaller proportion had introduced employee-loyalty incentives to prevent a brain drain or had set up partnerships to acquire knowledge. Firms are distinctly less concerned about adopting written knowledge-management practices. These are more widespread in large corporations and also more common in innovative enterprises. In the electrical- and electronic-equipment industries, more than half of innovative firms have a culture that promotes knowledge-sharing or implement a loyalty incentive program.

L’innovation, comment la mesurer ? 61

UN RETOUR SUR QUATRE ENQUÊTES FRANÇAISES

Elisabeth Kremp Chef du département des études structurelles, Sessi

L’objet de cette intervention est de revenir sur ce que nous avons appris sur les modalités de l’innovation en France dans l’industrie manufacturière depuis dix ans, à partir de quatre enquêtes régulières centrées sur l’innovation. Il peut également s’agir d’enquêtes plus spécifiques sur un aspect certes particulier, mais toujours lié à l’innovation, comme l’enquête sur le financement de l’innovation.

Qui a innové en France entre 1998 et 2000 ?

Je souhaite tout d’abord vous présenter quelques résultats sur l’innovation en France entre 1998 et 2000. Selon la définition du manuel d’Oslo, le taux d’entreprises innovantes dans l’ensemble de l’industrie est de l’ordre de 40 % ; les prestataires de services, sont tout aussi innovants : 38 %. Toujours dans le domaine des services, les banques et les assurances sont nettement plus innovantes, avec un taux de 55 %. L’innovation est moins fréquente dans les entreprises de commerce de gros. Enfin, sans surprise, les entreprises de R&D sont nettement plus impliquées dans le processus d’innovation, puisque leur taux est de 78 %.

Figure 1 -Taux d’entreprises innovantes selon la définition internationale du manuel d’Oslo.

Le taux d’entreprises innovantes est assez stable en France par rapport aux enquêtes précédentes. Les grandes entreprises innovent plus que les petites ; ainsi le chiffre d'affaires des entreprises innovantes représente 80 % du chiffre d'affaires de l’industrie manufacturière. L’innovation s’effectue surtout en produits : le taux est de 34 %, et plus de la moitié des entreprises innovantes introduisent des produits nouveaux sur le marché. Les produits nouveaux représentent 9 % du chiffre d’affaires des entreprises qui en introduisent sur le marché.

Les entreprises innovantes en procédés sont nettement moins nombreuses : elles représentent 23 % des entreprises de l’industrie manufacturière en dehors du secteur de l’agroalimentaire. En réalité, l’écart s’est creusé entre le taux d’innovantes en produits et le taux d’innovantes en procédés entre les enquêtes CIS2 et CIS3. Il est maintenant de 11 points, alors qu’il n’était que de 5 points en 1996. Par conséquent, la complémentarité est moindre entre ces deux types d’innovation.

Le Service des études et des statistiques industrielles (Sessi) a effectué quatre enquêtes sur l’innovation depuis dix ans, dont trois dans le cadre de la communauté européenne. En plus des enquêtes CIS régulières, nous

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20

40

60

80

100

entreprisesindustrielles

services auxentreprises

entreprises degros

banques etassurances

entreprises deR&D

Source : CIS3, 2001 (Insee, Sessi, ministère de la recherche)

Insee Méthodes 62

menons également des enquêtes ponctuelles, qui nous permettent de poser des questions plus spécifiques sur l’innovation comme les enquêtes Compétences pour innover ou Le financement de l’innovation.

Plusieurs grands thèmes reviennent de façon récurrente même si ils n’ont pas toujours été tous présents à chaque enquête :

1. distinguer les innovations de produits des innovations de procédés ; 2. savoir si le produit est nouveau pour le marché ou seulement pour l’entreprise ; 3. connaître le chiffre d’affaires en produits innovants et les effets des innovations ; 4. savoir si l’innovation se fait grâce à l’impulsion du marché ou du fait d’une dynamique propre à

l’entreprise ; connaître les sources de l’innovation et les partenariats.En s’appuyant sur les différentes enquêtes régulières

ou spécifiques et sur les études publiées par le Sessi, nous apportons des éclairages particuliers, permettant de cerner la manière dont les entreprises innovent.

Liens entre R&D et innovation

a. R&D et innovation

La R&D est située au cœur de l’innovation, mais elle ne constitue qu’une partie de l’investissement des entreprises dans l’innovation, étant donné qu’il s’agit d’un concept moins large que ne l’est l’innovation. La R&D intervient dans le processus d’innovation de deux tiers des entreprises industrielles : les dépenses de R&D de ces entreprises représentent 13 % de la valeur ajoutée des entreprises industrielles innovantes. Enfin, l’ensemble de l’industrie sous-traite environ le tiers de sa R&D.

b. R&D et partenariats

Afin d’effectuer leur R&D, certaines entreprises nouent des partenariats : 18 % des firmes innovantes recourent à des collaborations actives avec des laboratoires publics ou privés. Il s’agit là d’un changement notable par rapport à l’enquête précédente : entre 1994 et 1996, seulement 8 % des entreprises nouaient de telles collaborations pour faire de la R&D. Il s’avère également que l’essentiel de ces collaborations s’effectue avec des laboratoires et des universités. Enfin, les collaborations transfrontalières se développent, grâce au soutien financier de l’Union européenne : ainsi, 6 % des entreprises françaises ont reçu des fonds européens via le cinquième PCRD (plan cadre pour la recherche et le développement).

c. Innovation et partenariats

Les entreprises innovantes nouent des partenariats pas seulement pour faire de la R&D. Le tiers des entreprises industrielles innovantes développent des collaborations externes en ce sens entre 1998 et 2000, cette proportion étant identique à celle qui avait été mesurée entre 1994 et 1996. En outre, ces collaborations se nouent en premier lieu avec les partenaires habituels de l’entreprise, c'est-à-dire leurs fournisseurs, les autres entreprises du groupe et leurs clients.

Innovation et obstacles financiers

Après avoir éclairé le contexte dans lequel se faisait l’innovation, nous abordons maintenant les obstacles que les entreprises rencontrent : quel est leur impact ? quels sont les remèdes ? Entre 1998 et 2000, plus de la moitié des entreprises industrielles innovantes déclarent rencontrer des obstacles.

L’innovation, comment la mesurer ? 63

a. Le coût trop élevé de l’innovation pour 40 % des entreprises

L’enquête sur le financement de l’innovation nous avait ainsi appris que, entre 1997 et 1999, 50 % des entreprises innovantes déclaraient rencontrer des obstacles économiques. Parmi ces derniers, 40 % des entreprises soulevaient le coût de l’innovation trop élevé. Enfin, 26 % des entreprises innovantes se plaignaient d’obstacles financiers, comme l’absence de source de financement, la lenteur de la mise en place du financement, la méconnaissance des circuits financiers et des taux d’intérêt trop élevés.

Une étude de la Banque de France a croisé les données de CIS2 avec des données sur le risque de défaillance. Lorsque les entreprises ont déclaré des contraintes pour lancer un projet innovant, c'est-à-dire lorsqu’elles ont manqué de source de financement approprié, leur risque de défaillance est plus élevé. Il est possible de distinguer quatre sous-populations, selon que les entreprises disposent ou non d’un projet innovant, ou selon qu’elles ont déclaré ou non subir des contraintes financières. Pour chacune de ses sous-populations on étudie le score des entreprises, c’est à dire un indicateur synthétique du risque encouru par une entreprise.

Figure 2 -Indicateur synthétique de risque de défaillance : innovation entre 1994 et 1996 et contraintes financières.

Source : CIS2 et Banque de France.

Il y a corrélation entre le risque de défaillance et et la présence de contraintes fianncières. Le score est meilleur, donc le risque moins grand, pour les entreprises non contraintes financièrement. Par contre, les entreprises non soumises à des contraintes financières ont le même risque, quel que soit leur degré d’innovation, aussi bien pendant la période 1994-1996 que pendant la période 1996-1999. Ainsi, la distinction n’intervient pas sur le caractère innovant des entreprises, mais sur le caractère plus ou moins prégnant des contraintes financières.

b. Le financement public

En contribuant au financement public des entreprises innovantes, l’État desserre en quelque sorte ces contraintes financières : entre 1998 et 2000, 30 % des entreprises innovantes ont bénéficié de financements publics. Ces entreprises aidées réalisent un peu plus de la moitié du chiffre d'affaires de l’industrie manufacturière.

L’enquête sur le financement de l’innovation (1997-1999) permet de cerner les différentes sources de financement d’un projet innovant. Trois messages s’en dégagent.

�� En premier lieu les entreprises industrielles de vingt salariés et plus utilisent majoritairement des ressources internes pour financer les projets innovants. L’autofinancement assure les trois quarts du financement de l’innovation.

0,0

0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

1,2

1994 1995 1996 1997 1998 1999

* contraintes financières

Innovantes non contraintes* Non innovantes non contraintes* Innovantes contraintes* Non innovantes contraintes*

Insee Méthodes 64

�� En second lieu, les financements publics représentent la seconde source de financement, avec 11,2 % du total des apports.

�� Enfin, pour les bénéficiaires de financements publics, 15 % en moyenne du projet innovant est financé par des fonds publics.

Figure 3 -Innovation et financement public entre 1997 et 1999.

Source : enquête financement de l’innovation 2000.

Le fort recours à l’autofinancement correspond à un souhait évident des chefs d’entreprises. Ainsi, entre 1997 et 1999, ils ont été interrogés sur les sources de financement qui auraient leur préférence, en l’absence de toute contrainte, en distinguant l’état d’avancement des projets innovants.

Figure 4 -Les financements préférés à chaque étape du projet innovant.

Nous retrouvons les étapes qui ont été évoquées par Monsieur Hénault de PSA Peugeot Citroën :

�� la recherche exploratoire ;

7,4

1,111,2

73,8

6,4

Autofinancement Dettes auprès du groupeEndettement (hors groupe) Financements publicsApports de capitaux propres

15

25

35

45

55

65

75

85

Recherche exploratoire R&D Préparation lancementindustriel et commercial

Industrialisation,fabrication

Commercialisation

Source : enquête financement de l'innovation 2000

Autofinancement

Financements publics Dettes

Capitaux propres

En %

L’innovation, comment la mesurer ? 65

�� la R&D ;

�� la préparation du lancement industriel et commercial ;

�� l’industrialisation et la fabrication ;

�� la commercialisation

Il apparaît que les financements publics sont surtout appréciés au stade de la recherche exploratoire et de la R&D.

Innovation et moyens humains

a. Le manque de personnel qualifié

Le manque de personnel qualifié est le second obstacle cité par les entreprises innovantes après les coûts de l’innovation trop élevés. Entre 1997 et 1999, 34 % des entreprises industrielles innovantes considèrent avoir été gênées par un manque de personnel qualifié pour mener leur projet innovant. .

L’enquête Compétences pour innover (1997) avait proposé une grille de 73 compétences élémentaires, regroupées ensuite en neuf grandes compétences, qualifiées de complexes. Selon cette typologie, l’entreprise industrielle française est dotée à plus de 50 % des trois grandes compétences qui renvoient toutes aux interactions internes de l’entreprise :

�� apprécier les capacités de l’entreprise à se transformer ;

�� organiser et diriger la production de connaissances ;

�� développer les innovations.

En revanche, les compétences les moins utilisées concernent la gestion des interactions externes, c'est-à-dire le financement de l’innovation, la vente de l’innovation et l’appropriation des technologies extérieures.

De surcroît, les compétences pour innover étaient peu gérées à l’aide de procédures spécifiques et codifiées.

b. La gestion des connaissances

À la demande de l’OCDE, nous avons intégré à l’enquête CIS3 un bloc sur la gestion des connaissances et nous avons identifié quatre pratiques :

�� votre entreprise a-t-elle une culture du partage des connaissances ?

�� votre entreprise a-t-elle une politique d’incitation à rester dans l’entreprise ?

�� votre entreprise a-t-elle mis en place des partenariats ou des alliances pour acquérir des connaissances ?

�� votre entreprise a-t-elle une politique écrite de gestion des connaissances ?

Nous avons constaté que les procédures codifiées correspondent aux pratiques les moins développées dans les entreprises. Par ailleurs, l’enquête 2000 a révélé qu’au moins une de ces quatre pratiques a été mise en place par une entreprise sur deux.

Insee Méthodes 66

Figure 5 -Performance et intensité de gestion des connaissances.

Source : enquête CIS3, 2001.

A l’aide de ces quatre pratiques, nous avons construit un indicateur, que nous avons appelé intensité de la gestion des connaissances, gradué de 0 à 4. Nous avons ensuite observé les performances à l’innovation en fonction de l’intensité de l’utilisation de ces pratiques. Dans ce dessein, nous avons utilisé quatre indicateurs de performance :

�� la propension à innover ;

�� la propension à breveter ;

�� la part du chiffre d'affaires couvert par des brevets ;

�� la part du chiffre d'affaires due à des produits innovants.

Toutes choses égales par ailleurs, les entreprises auront tendance à plus innover et breveter en proportion et en intensité si elles mettent en place des pratiques de gestion des connaissances.

Conclusion

A côté de la mesure même du nombre d’entreprises innovantes et du type d’innovation mis en œuvre, les différentes enquêtes ont permis de mieux connaître les modalités de l’innovation et les conditions pour réussir. Néanmoins, des obstacles demeurent et nécessitent de disposer de moyens financiers. L’État y contribue. Enfin, il faut savoir conserver un personnel qualifié et favoriser les interactions entre les mondes interne et externe à l’entreprise.

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63

48

17

36

54

5860

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60

0 1 2 3 4

Intensité de gestion des connaissances

propension à innover

propension à breveter

intensité à breveter

intensité à innover

L’innovation, comment la mesurer ? 67

L’INNOVATION, COMMENT LA MESURER ? DÉBAT AVEC LA SALLE

Dominique Francoz (Bureau des statistiques sur la recherche, Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche) : Mon intervention s’adresse à Georg Licht. Dans le cadre de la préparation de CIS3 en France, nous avons longuement discuté de l’innovation dans les services. D’une part, je souhaiterais savoir quelle définition de l’innovation vous utilisez dans vos enquêtes. Utilisez-vous une définition restreinte à l’innovation technologique ou une définition élargie ? D’autre part, formulez-vous une réflexion sur l’introduction dans votre échantillon de secteurs de services ? Ainsi, pensez-vous interroger les assurances et les banques, qui sont fortement innovantes ?

Georg Licht: L’enquête porte sur les services financiers qui, avec le commerce de gros et de détail, constituent les services de distribution. Nous avons décidé de les rassembler dans notre étude puisque leurs activités en matière d’innovation présentent plus de similarités que les innovations des services ICT, dont la nature se rapproche plus de l’industrie manufacturière. Nous avons inclus les services financiers depuis le début de l’enquête dans les services. La définition de l’innovation que nous utilisons est celle de CIS. Historiquement, il existe des différences de définition de l’innovation entre le secteur de l’industrie manufacturière et celui des services. Pour le premier : de 1993 à 1996, nous avons utilisé la définition CIS1 ; de 1997 à 2000, celle de CIS2 ; après cette date, notre source a été CIS3. En ce qui concerne les services, nous avons commencé en 1995 avec une définition large de l’innovation comprenant l’innovation organisationnelle en plus de l’innovation de produit et de procédé. Cependant, les répondants ont eu des difficultés à faire la distinction entre l’innovation de procédé et l’innovation organisationnelle. Par ailleurs, les nouvelles pratiques organisationnelles n’étaient pas corrélées aux inputs et outputs en matière d’innovation. D’où la nécessité d’une définition plus restrictive de l’innovation et c’est pour cela que nous avons retiré une modalité sur l’innovation organisationnelle dans les enquêtes suivantes. Nous avons ensuite implémenté dans nos questionnaires CIS2 sur les services la définition CIS3 correspondante.

Dominique Francoz : Le dispositif CIS3 ne se réduisait pas à l’innovation technologique.

Georg Licht : D’après la définition de CIS3, l’entreprise interrogée avait tendance à répondre sur la base de l’innovation technologique. Dans ce sens, je pense que la définition de CIS3 est une définition restrictive. Une grande majorité de pays désire inclure le mot « technologie » dans la description de ce qu’est une innovation. Cela suggère au répondant l’idée que la définition se réfère à la technologie et affecte donc les résultats de l’enquête.

Louis de Gimel : Je crois que votre intervention éclaire notre débat sur les comparabilités internationales et la sensibilité aux définitions. En effet, l’interprétation française est différente de la vôtre, mais cela fait partie du débat de la révision du manuel d’Oslo.

Georg Licht : En ce qui concerne le concept d’innovation technologique, le manuel d’Oslo décrit trois types différents d’innovation. Il commence par une définition large qui ne se réfère qu’à des produits et procédés nouveaux et améliorés. Plus loin dans le manuel, la définition est plus restrictive et l’innovation est liée aux changements du contenu technologique des produits et procédés.

Vincent Thollon-Pommerol (Insee, direction des statistiques d’entreprises) : Dans le secteur du commerce, certaines innovations majeures sont apparues à travers la création des hypermarchés, des supermarchés, et aujourd'hui des grandes surfaces spécialisées. Ce type d’innovation est-il en dehors des limites de l’épure ? Selon moi, il s’agit quand même d’innovations majeures. Comment, vingt ans après, pouvons-nous parvenir à prendre en compte ce type de phénomène ? En outre, j’ai parfois l’impression que l’on place sur le même plan l’invention du DVD et le changement du packaging d’un baladeur, ce qui me gêne.

Louis de Gimel : Ceci pose la question des innovations de concept, qui n’est pas forcément liée à la technologie, mais à un changement radical dans la manière de penser le service. Néanmoins, je rappelle que les enquêtes innovation portent sur les trois dernières années, ce qui a limité le champ d’interrogation.

Dominique Guellec (OCDE) : Le manuel d’Oslo accorde le rang d’innovation à toute nouveauté introduite par l’entreprise, et n’exige donc pas qu’il s’agisse d’une invention radicale. Dès lors, une entreprise de commerce de détail qui ouvrirait un nouveau concept de magasins, pourrait être considérée comme une entreprise innovante.

Insee Méthodes 68

Par ailleurs, peut-on distinguer l’invention du DVD du changement de couleur de la jaquette d’un DVD portatif ? A priori, la réponse est affirmative : il est possible d’opérer une distinction entre les produits nouveaux comme le DVD et des produits significativement améliorés. Une hiérarchie existe donc, même si elle est insuffisante. À cet égard, le processus de révision du manuel d’Oslo devra sans doute réfléchir à une échelle plus précise pour mieux hiérarchiser les innovations.

Georg Licht : Le manuel d’Oslo inclut tous les types d’innovation. Cependant, le problème se pose de l’implémentation de la mesure de l’innovation. Le groupe de recherche de ZEW a donc décidé d’employer une définition plus restrictive afin de faciliter cette mesure. Une des motivations principales des enquêtes est que l’innovation forme une part importante de la politique publique de technologie, qui devrait être guidée par l’importance de ses retombées. Nous observons que les retombées provenant des domaines plus restreints d’innovation - à savoir, du domaine de R&D - sont plus importantes que les retombées provenant de domaines autres que R&D. C’est là une facette d’utilisation des enquêtes innovation, piloter les décisions de politique publique.

Gabriel Clairet (Observatoire des sciences et des techniques) : Ma première question concerne les développements nouveaux d’enquête par l’OCDE. L’OCDE envisage-t-elle à moyen terme d’effectuer des enquêtes sur la gestion des connaissances pour améliorer votre mesure de l’innovation ? Comment percevez-vous les perspectives d’utilisation des tableaux de bord par rapport aux enquêtes sur l’innovation ?

Par ailleurs, peut-on dire que les enquêtes sur l’innovation constituent des lignes directrices pour déterminer les orientations des plans pour l’innovation ? Personnellement, je pense que les résultats des enquêtes sur l’innovation sont sous-estimés en France dans l’élaboration des politiques publiques.

Elizabeth Kremp : Il s’agit d’un projet OCDE, auquel plusieurs pays ont participé, dont le Canada, l’Allemagne, le Danemark et la France. Les autres pays ont effectué des enquêtes pilotes sur de plus petits échantillons. Dominique Foray en parlera peut-être lors de son intervention.

Par ailleurs, nous avons été mis à contribution par les pouvoirs publics pour opérer des évaluations : nous avons beaucoup utilisé les enquêtes R&D et les fichiers administratifs. Dans ce cadre, nous avons évalueé l’impact de différentes mesures sur le crédit d’impôt recherche ou sur les jeunes entreprises innovantes.

Louis de Gimel : En ce qui concerne les tableaux de bord européens, je souhaite qu’Ibrahim Laafia nous fournisse quelques éclairages.

Ibrahim Laafia (responsable des statistiques de la science et technologie de l’innovation, Eurostat) : En premier lieu, je tiens à féliciter l’Insee et le Sessi d’avoir organisé ce séminaire particulièrement intéressant.

En second lieu, le tableau de bord européen de l’innovation comprend quatre indicateurs spécifiquement liés aux enquêtes innovations, ce qui explique l’importance de ces enquêtes innovation pour la mise à jour de ce tableau de bord. À cet égard, la Commission a encouragé les États membres à mettre en œuvre des Enquêtes innovation de manière plus rapprochée. En effet, les enquêtes de type CIS sont effectuées tous les quatre ans, alors que nous en avons besoin d’en disposer tous les deux ans.

Il y a quelques années, nous avions proposé un modèle de style allemand, c'est-à-dire un panel, mais les États membres l’ont refusé. Cela dit, la Communauté européenne est très friande de ces indicateurs d’innovation, pour le monitoring des politiques d’innovation au niveau communautaire. Par conséquent, les enquêtes innovation ne sont pas pour l’instant à un stade avancé, malgré quelques progrès : nous disposons d’éléments quantitatifs qui vont au-delà de la mesure de la R&D.

En outre, certaines nouveautés paraissent innovantes, mais ne sont pas forcément prises en compte dans l’enquête innovation. Nous avons donc essayé d’introduire progressivement des questions sur les modes d’innovation qui ne sont pas technologiques, mais d’ordre organisationnel.

Louis de Gimel : Ma question s’adresse à Georg Licht et à Elizabeth Kremp et a pour objet d’éclairer le champ de leurs exposés. Où classez-vous les start-ups dans le champ des innovations que vous avez mesurées ?

Georg Licht : En ce qui concerne la définition d’une start-up, nous avons ajouté une remarque dans le questionnaire. Tant que la définition reste une question ouverte, dans la pratique, la question ne pose pas problème. La plupart des start-ups sont de taille trop petite pour être incluses dans le cadre des enquêtes CIS. Le problème est donc d’ordre conceptuel et n’a pas d’effet sur notre travail au niveau pratique.

L’innovation, comment la mesurer ? 69

Elizabeth Kremp : En ce qui concerne la France, l’enquête du SESSI sur les industries manufacturières ne couvre que les entreprises de plus de vingt salariés. Par conséquent, peu de start-ups figurent dans notre échantillon. Cependant, nous avons publié un « quatre pages » sur le problème du capital risque et le problème de financement de ces jeunes pousses. L’enquête CIS3 et l’enquête sur le financement de l’innovation peuvent intégrer quelques jeunes pousses, mais de manière relativement anecdotique.

L’innovation, quelles performances économiques ? 73

L’INNOVATION, QUELLES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES ?

Jean-Philippe Lesne Conseiller scientifique de la direction des statistiques d’entreprises, Insee

Cette dernière session est organisée autour de l’intervention de trois chercheurs éminents dans le domaine de l’innovation.

Jacques Mairesse, inspecteur général de l’Insee et chercheur au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) présentera le lien entre l’innovation et les performances de l’entreprise

L’aspect des politiques publiques, qui a déjà suscité quelques controverses ce matin, sera éclairé par Pierre Mohnen, chercheur à l’Université de Maastricht.

Dominique Foray, administrateur principal à l’OCDE et professeur à l’Université Paris-Dauphine, interviendra sur le thème de l’innovation et du droit de la propriété intellectuelle.

À l’issue de ces exposés, la salle pourra poser quelques questions. Enfin, Jean-Paul François, directeur régional de l’Insee en Picardie, et Michel Hébert, directeur des statistiques d’entreprises de l’Insee, auront la lourde charge de conclure cette journée.

L’innovation, quelles performances économiques ? 75

Innovation, recherche et productivité des entreprises

Il n’est sans doute pas besoin de statistiques ni d’analyses économétriques pour être convaincu de l’importance des contributions de la recherche et de l’innovation aux performances économiques des entreprises, et au-delà, au plan national, de leur importance en matière de productivité et d’offre de biens et services améliorés et nouveaux, et donc aussi de compétitivité, de croissance et d’emploi. Elles sont néanmoins nécessaires pour évaluer l’importance véritable de ces contributions, et pouvoir apprécier si les investissements publics et privés en recherche de base et appliquée et en développement (R&D) et les autres efforts en faveur de l’innovation sont suffisants et leurs niveaux de rentabilité privée et sociale satisfaisants. En raison de grands progrès en nombre et qualité des statistiques et des études, nos connaissances sur ces questions se sont fortement accrues au cours des

vingt dernières années ; elles n’en restent pas moins relativement modestes, car les difficultés de la mesure et de l’inférence économétrique sont considérables. Dans cet exposé, on propose d’abord un survol des principaux thèmes et types d’approches considérés dans les études ; on présente ensuite une synthèse des résultats de quelques investigations sur données d’entreprises visant à estimer la productivité et les externalités de la R&D ; on donne aussi un aperçu d’un modèle cherchant à quantifier les liens entre R&D, innovation, et productivité des entreprises, et s’appuyant notamment sur les informations apportées par les enquêtes sur l’innovation ; on illustre enfin un cadre d’analyse des différences d’intensité d’innovation et d’innovativité entre pays.

Insee Méthodes 76

Corporate Innovation, Research and Productivity

There is no need for statistics and econometric analyses to be convinced that research and innovation make an important contribution to corporate performance, and, at the national macroeconomic level, to productivity and the supply of new and improved goods and services, and hence competitivity, growth and employment. Statistics and econometrics are necessary, however, to measure these contributions quantitatively and to assess whether public and private investments in basic and applied research and development (R&D) and in innovation are adequate or not, and whether their private and social returns are high. Rapid progress in the number and quality of statistics and studies has greatly increased our knowledge of these issues in the last twenty years;

nonetheless, it remains rather modest because of the considerable difficulties of statistical measurement and inference. In this talk, we begin with an overview of the main topics and approaches in the econometric literature. We then present the results of selected investigations—based on business data—that seek to assess R&D’s own (internal) productivity and its spillovers. We also outline a model that aims at quantifying the relationships between R&D, innovation, and productivity at the firm level, using information provided by innovation surveys. We close by an illustration of a framework accounting for differences in the intensity of innovation and innovativity across countries..

L’innovation, quelles performances économiques ? 77

INNOVATION, RECHERCHE ET PRODUCTIVITÉ DES ENTREPRISES

Jacques Mairesse Inspecteur général, INSEE-CREST

ll n’est sans doute pas besoin de statistiques ni d’analyses économétriques pour être convaincu de l’importance des contributions de la recherche et de l’innovation aux performances économiques des entreprises, et au-delà, au plan national, de leur importance en matière d’offre de biens et services améliorés et nouveaux et de productivité, et donc aussi de compétitivité, de croissance et d’emploi. Elles sont néanmoins nécessaires pour évaluer l’importance véritable de ces contributions, et pouvoir apprécier si les investissements publics et privés en recherche de base et appliquée et en développement (R&D) et les autres efforts en faveur de l’innovation sont suffisants et leurs niveaux de rentabilité privée et sociale satisfaisants. En raison de grands progrès en nombre et qualité des statistiques et des études, nos connaissances sur ces questions se sont fortement accrues au cours des vingt dernières années ; elles n’en restent pas moins relativement modestes, car les difficultés de la mesure et de l’inférence économétrique sont considérables. Dans ce bref exposé, on propose d’abord un survol des principaux thèmes et types d’approches considérés dans les études ; on présente ensuite une synthèse des résultats de quelques investigations sur données d’entreprises visant à estimer la productivité et les externalités de la R&D ; on donne aussi un aperçu d’un modèle cherchant à quantifier les liens entre R&D, innovation et productivité des entreprises, et s’appuyant notamment sur les informations apportées par les enquêtes sur l’innovation ; on illustre enfin un cadre d’analyse des différences d’intensité d’innovation et d’innovativité entre pays1.

Les grands axes de la littérature économétrique

La figure 1 donne un aperçu très rapide du champ de l’économétrie de l’innovation et de la recherche dans son ensemble, qui permet de distinguer trois grands domaines d’investigations économétriques. Un premier ensemble d’études concerne l’analyse des déterminants de l’innovation des entreprises, en termes de R&D ou de brevets, ou encore d’autres indicateurs. Un autre est celui des études de la fonction d’innovation, c’est-à-dire des liens entre les inputs de l’innovation, notamment les dépenses de R&D, et ses outputs, notamment les nombres de brevets, ou encore les nombres de citations reçues par les brevets, et, depuis une dizaine d’années, le pourcentage des ventes (ou chiffre d’affaires) en produits innovants, telles qu’elles sont appréhendées dans les enquêtes spécialisées sur l’innovation des entreprises. Le dernier grand ensemble est celui des travaux d’évaluation des effets de l’innovation - quels que soient les indicateurs retenus : R&D, brevets, ventes innovantes - sur les performances des entreprises, à savoir la productivité, la profitabilité, la compétitivité, la croissance ou encore la valeur boursière ou les exportations, mais aussi sur les structures de marché et la croissance macroéconomique.

Toutes les études s’articulent implicitement, sinon explicitement, autour de la notion de connaissance et de stock, ou capital de connaissance. La connaissance, qui en soi est intangible, peut être imparfaitement mesurée à partir de ses inputs, qui sont en premier lieu la recherche-développement (R&D), telle que définie de façon restrictive dans le manuel de Frascati (OCDE, 1980), c’est-à-dire limitée aux dépenses spécifiques relatives à des efforts délibérés pour aboutir, à moyen ou à long terme, à de nouveaux produits ou procédés de fabrication, ou, de façon extensive dans le manuel d’Oslo (OCDE, 1997), en comprenant aussi les autres dépenses d’innovation liées à la conception et à la mise sur le marché de nouveaux produits, ou à la mise en oeuvre de nouvelles façons de produire, tels les achats de brevets, les frais de licences, et autres coûts d’acquisition de savoirs extérieurs. La connaissance peut être aussi imparfaitement appréhendée sur la base de ses outputs directs, tels qu’ils peuvent se manifester concrètement par les dépôts de brevet, les apparitions de nouveaux produits ou procédés sur le

1 Pour plus de détails sur la première et la seconde partie de l’exposé, voir Mairesse et Mohnen (2003), et aussi pour la seconde Mairesse et Sassenou (1991) ; pour la troisième, voir Crépon, Duguet et Mairesse (1998 ; 2000) ; pour la quatrième Mairesse et Mohnen (2002).

Insee Méthodes 78

marché, les publications et les citations, et au-delà à travers ses effets indirects en matière de performances économiques, au niveau de l’entreprise, sectoriel ou national.

Figure 1 : Le champ de l’économétrie de l’innovation et de la recherche

Taux de rendement propre et externe de la recherche

La productivité et la rentabilité de la recherche pour une entreprise (ou un secteur ou un pays) peuvent être estimées par le taux de « rendement propre » et le taux de « rendement social » de la recherche, ou encore les élasticités correspondantes. Le taux de rendement propre mesure les effets d’un accroissement unitaire du capital de recherche propre de l’entreprise en termes d’augmentation de son chiffre d’affaires ou de sa valeur ajoutée, ou d’une diminution de ses coûts de production. Si le capital de recherche propre de l’entreprise est à un niveau optimal dans une perspective dynamique, ce taux de rendement devrait tout juste compenser le taux de dépréciation de la recherche et le taux d’intérêt anticipé à long terme (majoré éventuellement d’un taux d’aversion au risque). Á côté du taux de rendement propre ou privé de la recherche d’une entreprise, il convient de distinguer un taux de rendement social de la recherche, qui tient compte de ses éventuelles externalités (ses retombées) pour les autres entreprises du même secteur et des secteurs voisins, dans son pays et d’autres pays. Le taux de rendement social est le plus souvent calculé indirectement sur la base d’une estimation du taux de rendement propre et d’une estimation de l’écart entre ces deux taux de rendement, c’est-à-dire le taux de rendement externe, ou « pour autrui » (autres entreprises, autres secteurs ou autres pays), de la recherche d’une

INPUTS : R&D interne R&D externe dépenses d’innovation achats de brevets licences

EXTERNALITÉS

CONNAISSANCE

OUTPUTS : brevets publications citations nouveaux produits nouveaux procédés

PERFORMANCES : productivité profitabilité compétitivité valeur boursière

L’innovation, quelles performances économiques ? 79

entreprise (ou d’un secteur ou d’un pays). Le taux de rendement externe peut être estimé lui-même à partir des estimations du taux de rendement pour l’entreprise (ou pour le secteur ou le pays) de la recherche externe, ou recherche « d’autrui ».

Les tableaux 1 et 2 présentent de façon concise les estimations de la productivité de la recherche obtenues dans un petit nombre d’études économétriques, qui ont paru assez représentatives des travaux récents. Le tableau 1 présente ainsi pour six études les estimations de l’élasticité et du taux de rendement de la R&D faites sur données individuelles d’entreprises. On constate que ces estimations sont pour la plupart statistiquement significatives (au seuil de confiance conventionnel de 5 %). Elles sont néanmoins fortement dispersées : les élasticités se situant dans une plage allant de 5 % à 30 % et les taux de rendement dans une plage allant de 10 % à 80 %. Les ordres de grandeur des élasticités et des taux de rendement estimés concordent globalement, comme le montrent les valeurs calculées des uns à partir des autres dans les études de Hall et Mairesse (1995) et de Harhoff (1998). Le type d’estimation est en fait le principal facteur de différence entre les résultats. Les estimations de type coupe (transversal) sont plus élevées (et statistiquement significatives) que celles de type temporel. Ce point apparaît très clairement dans les études faites sur des panels d’entreprises, où les deux types d’estimation peuvent être faits dans des conditions strictement comparables (mêmes données, même modèle,…).

Tableau 1 - Élasticités et taux de rendement de la R&D propre, estimés sur données individuelles d’entreprises

Études

Échantillon

Type d’estimation

Élasticité de la

R&D*

Taux de rendement de la R&D*

Griliches-Mairesse (1990)

Lichtenberg-Siegel (1991)

Hall-Mairesse (1995)

Harhoff (1998)

Crépon-Duguet-Mairesse (1990)

Capron-Cincera (1998)

États-Unis 525 entreprises-1973-80

Japon 406 entreprises-1973-80

États-Unis 5 240 entreprises-1972-85

France

197 entreprises-1980-87

Allemagne 443 entreprises-1979-89

(panel non cylindré)

France 6 145 entreprises-1990

Différents pays

625 entreprises manufacturières

Temporelle (taux de croissance)

Temporelle (taux de croissance)

Temporelle (taux de croissance)

Transversale (total) Temporelle (intra)

Temporelle (taux de croissance)

Transversale (total) Temporelle (intra)

Temporelle (taux de croissance)

Transversale (coupe)

Temporelle (intra) Temporelle

(taux de croissance) Temporelle (GMM,

taux de croissance)

0,25 (0,01) 0,06 (0,04)

0,14 (0,01) 0,09 (0,02)

0,12 (0,02)

0,24 (0,02) 0,32 (0,04)

0,13 (0,05)

0,25 (0,10)

0,20 (0,21)

0,13 (0,02)

0,78** 0,22**

0,23 (0,05)

0,66**

0,86 (0,17)

* Écarts-types des estimations indiquès entre parenthèses ** Taux de rendement calculé à partir des estimations des élasticités et des moyennes ou des médianes des variables. Source : Mairesse et Mohnen (2003).

Le tableau 2 compare pour cinq études les estimations des élasticités et taux de rendement de la recherche propre et de la recherche de la recherche externe à différents niveaux d’agrégation des données. Comme on peut le constater à la lecture de ce tableau les élasticités et taux de rendement propres ne varient pas systématiquement avec le niveau d’agrégation des données. Que ce soit des données d’établissements, d’entreprises, d’industries ou de pays, les estimations sont du même ordre de grandeur. On aurait pu s’attendre cependant à trouver des estimations plus élevées à des niveaux d’agrégation plus grands, puisqu’en principe elles devraient prendre en compte (internaliser) une part grandissante des externalités de recherche. On peut remarquer aussi que les

Insee Méthodes 80

estimations des taux de rendements de recherche externe sont encore plus variables d’une étude à l’autre que celles relatives à la recherche propre. Il apparaît notamment, avec les résultats de Van Meijl (1997), que les estimations des taux de rendement de la recherche externe varient fortement avec le choix de la matrice de pondération, qui sous-tend la construction du capital externe. Les études confirment ainsi que la pertinence et la qualité des évaluations du capital de recherche externe (et du capital propre) sont particulièrement importantes. À cet égard plusieurs d’entre elles suggèrent que ces évaluations devraient concerner de préférence la recherche effectivement utilisée par l’entreprise (ou le secteur, ou le pays) qui peut ne correspondre qu’à une part très variable de celle faite par autrui. Il n’en reste pas moins que les estimations relatives au rendement de la recherche externe sont souvent significatives et élevées, même si elles restent très peu robustes à ce stade des investigations économétriques.

Tableau 2 - Élasticités et/ou taux de rendement de la R&D propre et externe, estimés sur données d’établissements, d’entreprises, d’industries ou de pays

R&D propre* R&D des autres* Études et échantillon

Matrice de pondération

Taux de rendement

Élasticité Taux de rendement

Élasticité

Adams-Jaffe (1996) 19 561 établissements États-Unis - 1974-78

Jaffe (1986) 573 entreprises États-Unis

Griliches-Lichtenberg (1984) 193 ind. manufacturières États-Unis - 1959-78

Van Meijl (1995) 30 industries France - 1978-92

Coe-Helpman (1995) 22 pays - 1971-90

Park (1995) 10 pays OECD 1973-87

Sommation sans pondération (de la R&D des autres

entreprises. du secteur)

Localisation dans l’espace des brevets

Flux de brevets

Flux entrée-sortie Flux d’investissement

Flux de brevets

Flux d’importation G7 Flux d’importation autres pays

Flux d’importation

27 % (4 %)

n.s. à 76 %

(27 %)

12 à 23 %

123% 85%

44%

8 % (0,4 %)

24 % 8 %

7%

(4%)

n.s. à 90 %

(36 %)

90--149% 754--980%

16--30%

4,7%

8 % (0,8 %)

10 % (4 %)

17 % (6%)

*Écarts-types des estimations indiqués entre parenthèses ** Moyenne pondérée par les parts de PNB en 1990. Source : Mairesse et Mohnen (2003).

À partir des estimations des taux de rendements (privés) de la recherche propre et de la recherche, on peut aussi, sur la base de la matrice de pondération ayant servi à construire le capital externe, calculer le taux de rendement social de la recherche. Le calcul est en principe d’autant plus complet que les études, qui en l’occurrence ont été le plus souvent faites sur données agrégées, couvrent un large champ de secteurs ou de pays. Les estimations ainsi obtenues des taux de rendements sociaux sont en général beaucoup plus élevées que celles des seuls taux de rendements privés. La sensibilité des estimations aux choix des matrices de pondération est telle néanmoins qu’il n’est guère possible de se prononcer, de façon assurée, sur l’importance des divergences entre taux de rendement privés et sociaux, d’un pays ou d’un secteur à l’autre. Notre connaissance des modes de diffusion et d’appropriation des externalités de recherche, entre pays comme entre secteurs, est en effet encore trop rudimentaire pour fonder véritablement ces choix.

L’innovation, quelles performances économiques ? 81

Une étude de synthèse sur R&D, innovation et productivité

L’étude se place dans la continuité des trois grands axes d’investigations de l’économétrie de la recherche et de l’innovation (cf. supra). De très nombreux travaux, dont nous venons de donner un aperçu, cherchent à estimer la productivité ou la rentabilité de la recherche, en reliant directement les efforts de recherche des entreprises à leurs performances générales, très souvent leur productivité du travail ou globale des facteurs (fonction de production élargie), mais aussi leur rentabilité comptable ou leur valeur boursière. Des études, également nombreuses, cherchent à rendre compte des performances en termes d’innovation, et non directement en termes de performances globales, en reliant les efforts de recherche des entreprises à des indicateurs d’innovation (fonction d’innovation). Pendant longtemps, l’indicateur principal d’innovation a été le nombre de brevets, mais, depuis quelques années, grâce aux enquêtes « Innovation », d’autres indicateurs qualitatifs peuvent également être utilisés, notamment le pourcentage des ventes innovantes (correspondant aux produits nouveaux ou substantiellement améliorés au cours des trois ou cinq dernières années, dont l’année courante). Finalement des investigations se développent aussi en amont qui visent à expliquer le comportement d’investissement en recherche des entreprises, c'est-à-dire leur décision de faire ou ne pas faire de recherche, et si oui, avec quelle intensité.

L’étude a l’originalité de vouloir réunir ces trois types de travaux dans le cadre d’un modèle dont la figure 2 donne à voir la structure générale. Le modèle comporte ainsi trois équations qui sont spécifiées et estimées simultanément : la fonction d’investissement en recherche, la fonction d’innovation et la fonction de production.

Figure 2 : Le modèle

Depuis qu’elle a été faite, l’étude a donné lieu à un certain nombre d’investigations similaires dans différents pays. Du point de vue de l’analyse, elle a en effet l’intérêt de proposer une description qui distingue et articule simplement activités de production et activités d’innovation. Du point de vue des données, elle tire parti d’informations nombreuses qui ont pu être réunies à partir de différentes sources, notamment les enquêtes annuelles d’entreprises, les enquêtes « R&D » et « Innovation ». Dans le cas présent, elle concerne un

Part de Marché Diversification

Recherche et Développement

Capital de connaissance

Innovations Brevets

Productivité

Capital physiqueQualifications

Impulsion du marché

Dynamique de la technologie

Taille Secteur d’activité

Insee Méthodes 82

échantillon d’environ 4 100 entreprises des industries manufacturières en France, et utilise en parallèle, comme indicateur de l’innovation, le nombre de brevets européens et le pourcentage des ventes innovantes. Du point de vue des méthodes, l’étude s’attache à réaliser les estimations les plus appropriées au modèle et à la nature des données. Elle tient compte de la simultanéité des différentes équations et du problème de sélectivité des entreprises « de recherche » : seule, en effet, une fraction faible des entreprises (de grande taille en général) font de la recherche formelle et répondent aux enquêtes « Recherche et Développement », alors qu’en fait la plupart ont des activités de recherche informelle et d’innovation. Elle traite le nombre de brevets comme une donnée de comptage, et le pourcentage de ventes innovantes comme une variable uniquement connue par intervalle (ce qui était le cas dans la première enquête « Innovation » réalisée en France en 1990, qui est celle utilisée dans l’étude).

La figure 3 présente l’histogramme des ventes innovantes par intervalle (0-10 %, 10-30 %, 30-70 %, et 70-100 %). On voit ainsi que la moitié des entreprises déclaraient que leurs ventes innovantes en 1990 (pour des produits substantiellement améliorés ou nouveaux introduits sur la période 1986-1990) représentaient de 0 à 10 % de leurs ventes totales, et 30 % des entreprises déclaraient qu’elles représentaient de 10 à 30 %.

Figure 3 : Répartition des entreprises selon leur part de ventes en produits innovants introduits de 1986 à 1990

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

0-10% 10-30% 30-70% >70%Part des ventes en produits innovants

Source : Crépon, Duguet et Mairesse (1998 et 2000).

Le tableau 3-A apporte des précisions sur les principales variables autres que celle des ventes innovantes, et le tableau 3-B donne les estimations obtenues dans le cas de la spécification la plus simple. On voit par exemple sur le tableau 3-A que la moitié des entreprises déclaraient que leurs ventes innovantes en 1990 (pour des produits substantiellement améliorés ou nouveaux introduits sur la période 1986-1990) représentaient de 0 à 10 % de leurs ventes totales, et 30 % des entreprises déclaraient qu’elles représentaient de 10 à 30 %. On voit aussi que 16 % des entreprises on déposé au moins un brevet européen sur la période 1986-1990, et que parmi celles-ci un quart ont déposé au moins 6 brevets.

On voit sur le tableau 3-B que les estimations sont dans l’ensemble satisfaisantes. Il apparaît notamment que les estimations des élasticités de la productivité par rapport à l’intensité d’innovation en termes de pourcentage de ventes innovantes et de nombre de brevets par employé sont non seulement statistiquement significatives, mais d’un ordre de grandeur appréciable (respectivement 0,065 et 0,089). Sur la base de ces estimations, une entreprise dont les ventes innovantes sont de 20 % aurait une productivité supérieure de 10 %, toutes choses égales par ailleurs, à celle d’une entreprise dont les ventes innovantes sont de 5 % seulement. De même une entreprise qui a dépose deux brevets européens aurait une productivité supérieure de 6 %, toutes choses égales par ailleurs, à celle d’une entreprise qui en aurait déposé un seul.

L’innovation, quelles performances économiques ? 83

Tableau 3 : Estimation d’un modèle R&D, innovation et productivité

A) Statistiques descriptives

*en milliers de Francs 1990

B) Estimations**

Relations Recherche et Développement

Modèle avec brevets Modèle avec pourcentage des ventes innovantes

Variables explicatives

Probit décision

R&D

Tobit montant

R&D

Brevets par employé Productivité

Innovation % Productivité

Capital de R-D par employé

0,881(0,111)

0,431 (0,057)

Nombre de brevets par employé

0,130(0,017)

% de ventes innovantes

0,014(0.016)

Part de marché 0,221 (0,031)

0,365(0,054)

Diversification 0,294 (0,102)

0,300(0,134)

Emploi 0,398 (0,038)

-0,001(0,068)

-0,021(0,059)

-0,017(0,012)

-0,033 (0,029)

0,011(0,005)

Intensité capitalistique 0,206(0,007)

0,212(0,007)

**Ecarts-types des estimations indiqués entre parenthèses. Source : Crépon, Duguet et Mairesse (1998 et 2000).

Innovativité

Le but de la dernière étude présentée dans cet exposé est d’illustrer un cadre d’analyse des performances à l’innovation, qui met en avant la notion d’« innovativité ». Ce cadre d’analyse est assez étroitement comparable au cadre classique d’analyse de la croissance et de la productivité (du travail), qui met l’accent sur la notion centrale de productivité globale (ou totale) des facteurs. Il peut s’appliquer aussi bien à l’examen des différences de niveaux d’intensité d’innovation entre entreprises, industries ou pays pour une année (ou période) donnée, qu’à celui des différences d’évolution de l’intensité d’innovation sur plusieurs années. Il est illustré ici dans le cas d’une comparaison des différences d’intensité d’innovation entre sept pays européens en 1992, en termes

Variables 1er quartile Médiane 3ème quartile En % de l’échantillon

Capital de R&D par employé* (1989) 89,1 192,1 461,9 15,3

Nombres d’employés (1990) 43 85 242 100

Part de marché (1988) 0,1 0,4 1,3 100

Nombre équivalent d’activités (1988) 1,2 1,6 2,0 29,8

Nombre de brevets européens déposés (1986-1990)

1 2 6 16,1

Valeur ajoutée par employé* (1990) 196 243 314 100

Capital physique par employé* (1990) 123 208 353 100

Insee Méthodes 84

d’indicateur des ventes innovantes, et sur la base des données de la première enquête communautaire « Innovation » harmonisée (dite CIS1). Ces données qui concernent précisément l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et la Norvège, ont été fournies par Eurostat sous forme « micro agrégée » (données bruitées et anonymisées), de façon à garantir leur confidentialité.

Si un modèle « exact » de l’innovation dans ses différentes dimensions existait, et si nous le connaissions, on pourrait comprendre parfaitement pourquoi l’intensité d’innovation est différente entre entreprises, industries et pays. Bien sûr un tel modèle n’existe pas. Il n’en est pas moins utile d’essayer de rendre compte des différences d’innovation, même de façon très approchée et simplifiée. Dans ce type d’investigation, il convient d’attacher une importance particulière à ce qui n’est pas expliqué par les variables ou facteurs explicatifs pris en compte explicitement dans le modèle, car cela reflète une capacité ou encore productivité d’innovation, qu’on propose d’appeler innovativité, estimée bien sûr à facteurs explicatifs donnés dans le cadre du modèle, compte tenu de ses imperfections, en particulier des biais possibles d’observation et erreurs de mesure de ces facteurs et de l’intensité d’innovation elle même.

Dans le cadre de la présente étude, le modèle mis en œuvre est du type dit Tobit généralisé, comportant une première équation visant à expliquer si une entreprise est innovante ou non, et une seconde équation cherchant à rendre compte de son intensité d’innovation, si l’entreprise est innovante. Les facteurs qui ont pu être pris en compte concernent la structure industrielle des pays (plus ou moins tournée vers des secteurs en moyenne plus innovants), la taille des entreprises, l’importance de leurs efforts de recherche, et des caractéristiques de leur environnement économique cherchant à mesurer la pression de la concurrence et leur proximité à la recherche de base.

Tableau 4 :Analyse des différences d’intensité d’innovation entre sept pays européens dans les secteurs de haute technologie

A) Effets structurels (en %)

Pays Effets sectoriels Effets de taille R&D Autres effets Total

Allemagne 1,3 0,6 0,9 1,7 4,5

Belgique - 1,2 2,6 0,9 0,7 3,0

Danemark 1,3 - 0,7 0,4 0,4 1,4

Irlande - 0,6 - 2,2 0,1 - 0,1 - 2,6

Italie 0,4 1,1 - 0,9 - 1,6 - 1,0

Pays-Bas - 0,8 - 1,1 - 0,6 0,1 - 2,4

Norvège - 0,5 0,2 - 0,7 - 1,5 - 2,9

Moyenne 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0

B) Innovativité (en %)

Pays Intensité d’innovation européenne

Intensité d’innovation expliquée

Innovativité Intensité d’innovation mesurée

Allemagne 34,7 39,2 4,6 43,8

Belgique 34,7 37,7 0,2 37,9

Danemark 34,7 36,1 0,7 36,8

Irlande 34,7 32,1 3,1 35,2

Italie 34,7 33,7 - 8,1 25,6

Hollande 34,7 32,3 1,0 33,3

Norvège 34,7 31,8 - 1,6 30,2

Moyenne 34,7 34,7 0,0 34,7

Source : Mairesse et Mohnen (2002).

L’innovation, quelles performances économiques ? 85

Le tableau 4-A donne les estimations des effets de ces différents facteurs sur l’intensité moyenne d’innovation pour les industries de haute technologie des sept pays. Ces effets structurels sont mesurés en termes de déviation à l’intensité d’innovation moyenne d’un « pays européen moyen » de référence, défini comme moyenne simple des sept pays (non pondérée en fonction de leur taille respective). Le tableau 4-B compare l’intensité d’innovation moyenne observée des sept pays et du pays européen moyen, et présente les estimations de l’innovativité de chaque pays, obtenues comme différence entre l’intensité d’innovation observée et celle expliquée par le modèle.

Si l’on compare l’Italie et l’Allemagne, qui ont respectivement l’intensité d’innovation (en pourcentage de ventes innovantes en 1992 relatives aux produits innovants des années 1990-1992) la plus faible (25,6 %) et la plus élevée (43,8 %), le modèle peut expliquer environ un tiers (5,5 %) de la différence entre les deux pays. Sur cette différence, 3,3 %, 1,8 % et 0,9 % correspondent à des effets en faveur de l‘Allemagne relatifs à l’environnement, aux efforts de recherche et à la structure industrielle, et -0,5 % à des effets en sa défaveur liés à la taille des entreprises. Les deux tiers de la différence entre les deux pays (12,7 %) peuvent donc être attribuées à une différence d’innovativité.

En dépit du caractère encore fruste du modèle mis en œuvre, le cadre d’analyse proposé rend compte déjà d’une part appréciable des différences d’innovation entre pays. Les différences d’innovativité n’en sont pas moins prépondérantes, de même qu’en général les différences de productivité globale des facteurs dans les analyses classiques de la croissance. L’innovativité, à l’instar de la productivité des facteurs, peut ainsi être considérée à un extrême comme une mesure véritable d’une capacité à innover, et à l’autre extrême comme « une mesure de notre ignorance ». Dans les deux cas, elle est une première base de comparaison et de jugement, posant questions et appelant de nouvelles investigations.

Insee Méthodes 86

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Van Meijl, H. (1997), « Measuring intersectoral spillovers : French evidence », Economic Systems Research, 9(1), pp 25-46.

L’innovation, quelles performances économiques ? 87

Politiques publiques : les comparaisons internationales

Dans la plupart des pays, les gouvernements sont activement engagés à soutenir l’innovation de différentes manières : les aides directes par l’octroi de subventions, de bourses, de contrats de recherche ou d’achats publics ; les incitations fiscales telles que le crédit d’impôt-recherche ; des règlements concernant les droits de propriété intellectuelle, les accords de recherche coopérative et l’établissement de standards ; la recherche faite et financée par l’État dans des laboratoires publics de recherche ; et l’infrastructure encourageant l’innovation comme le capital-risque, les réseaux universités-entreprises ou le système éducatif.

Dans ce bref survol, je me limite aux incitations fiscales à l’innovation. Dans un premier temps, je compare les

politiques suivies dans les principaux pays intensifs en R&D. Certains pays soutiennent très peu la recherche de façon indirecte, d’autres utilisent des crédits d’impôt au prorata du volume de recherche, et d’autres encore des crédits d’impôt à la recherche incrémentale. Dans un deuxième temps, je survole un certain nombre de travaux économétriques qui ont examiné l’efficacité des incitations fiscales à la R&D. J’avance quelques éléments de réflexion sur l’efficacité comparative de différentes mesures de soutien. Finalement, il faut se poser la question si l’évaluation de l’efficacité des différentes mesures d’incitation fiscale telle qu’on la rencontre dans la littérature est bien faite.

Insee Méthodes 88

Public policies: international comparisons

In most countries, government actively supports innovation through a variety of policy measures: direct aid via grants, subsidies, research contracts or public procurement; indirect support for R&D via tax incentives; regulations on intellectual property rights, research joint ventures, and standards; R&D done in government labs and universities; and innovation systems based on university-industry networks, educational systems, and venture capital.

This paper focuses on fiscal incentives for innovation. First, we compare incentives in selected countries. Some

have no tax incentives at all, some use tax credits based on the volume of R&D, and others rely on incremental R&D tax credits. Second, we survey the econometric evidence on the effectiveness of tax incentives and attempt to compare the effectiveness of different policy measures. At the end, we examine to what extent the usual way of evaluating the effectiveness of R&D tax incentives is appropriate.

L’innovation, quelles performances économiques ? 89

POLITIQUES PUBLIQUES : LES COMPARAISONS INTERNATIONALES

Pierre Mohnen Professeur, Université de Maastricht,

Maastricht Economic Research Institute on Innovation and Technology (MERIT)

Dans la plupart des pays, les gouvernements sont activement engagés à soutenir l’innovation de différentes manières : les aides directes par l’octroi de subventions, de bourses, de contrats de recherche ou d’achats publics ; les incitations fiscales telles que le crédit d’impôt-recherche ; des règlements concernant les droits de propriété intellectuelle, les accords de recherche coopérative et l’établissement de standards ; la recherche faite et financée par l’État dans des laboratoires publics de recherche ; et l’infrastructure encourageant l’innovation comme le capital-risque, les réseaux universités-entreprises ou le système éducatif. Dans le présent exposé, je vais me limiter aux incitations fiscales à la R&D, comparer les mesures qui ont cours dans différents pays et présenter quelques réflexions sur l’efficacité de ces politiques.

Pourquoi l’État intervient-il dans le domaine de l’innovation ?

L’intervention étatique dans le domaine de la recherche se justifie par ce que l’on appelle des failles de marché. La principale faille de marché est due aux externalités de la recherche. En effet, les études économétriques ont montré que les retombées externes de la recherche en faveur d’entreprises du même secteur, de secteurs avoisinants, voire d’entreprises étrangères, font que le taux de rendement social de la recherche (qui incombe à toute la société ou du moins à une partie de celle-ci) dépasse d’un ordre de grandeur que l’on peut chiffrer approximativement à 50 % le taux de rendement privé de la recherche (c’est-à-dire celui qui revient à l’entrepreneur qui a financé la recherche). Il n’est pas exclu que certaines de ces externalités puissent être négatives, par exemple suite à la duplication de la recherche dans une course au brevet. Les externalités positives semblent dominer les externalités négatives. Les firmes qui cherchent à maximiser leur propre profit ne prennent pas en compte ces externalités et de ce fait n’effectuent pas le montant de recherche qui serait optimal du point de vue social.

L’autre faille de marché est due au fait que la recherche s’apparente à un bien public, la connaissance étant un bien non-exclusif et non-rival. Il faut donc mettre en place des mécanismes qui font en sorte que les entreprises puissent s’approprier les bénéfices de la recherche, sans quoi les firmes ne seront pas prêtes à investir dans des projets peu rentables. En outre, la recherche peut nécessiter des fonds importants, et est souvent marquée par une grande incertitude. De surcroît, certaines entreprises naissantes sont confrontées à un problème de financement de leur recherche, en raison de l’information asymétrique sur la valeur escomptée du projet de recherche entre la firme et le bailleur de fonds.

A côté de ces raisons économiques il se peut aussi que l’État veuille intervenir dans le domaine de l’innovation pour des raisons de prestige national ou pour des questions de concurrence stratégique.

Comment l’État peut-il intervenir ?

Pour encourager et soutenir les firmes à faire de la recherche, l’État peut intervenir de différentes façons, parmi lesquelles nous pouvons distinguer :

�� les mesures directes : il s’agit des bourses de recherche, des subventions aux entreprises innovantes, des achats publics, des contrats de recherche ;

�� les mesures indirectes : il s’agit des allègements fiscaux, des crédits d’impôt à la recherche, de prêts et garanties de prêts ;

Insee Méthodes 90

�� la réglementation : elle peut porter sur des règles de protection de la propriété intellectuelle (brevets, marques déposées, droits d’auteur), des accords de coopération entre les universités et les entreprises ou les entreprises entre elles, et l’établissement de normes et de standards ;

�� la R&D publique : la R&D publique concerne la R&D effectuée par le gouvernement dans les laboratoires de recherche publics et la recherche universitaire ;

�� l’infrastructure : il s’agit de tout ce qui entoure le capital social, c'est-à-dire le capital risque, l’éducation, l’autoroute de l’information, les centres d’information et les centres de transfert de technologies.

Comparaison des aides directes et indirectes

Les statistiques sur lesquelles je me fonde pour quantifier l’importance des aides indirectes à la recherche portent sur le coût pour le gouvernement des incitations fiscales à la R&D, exprimées d’une part en proportion de la R&D totale de l’industrie, d’autre part en proportion de la R&D totale financée par l’État. Ces statistiques permettent de constater que deux pays accordent une très grande importance à ces mécanismes, à savoir le Canada et les Pays-Bas.

L’étude du coût des aides directes par rapport au coût total de l’innovation industrielle montre que certains pays comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni accordent plus d’importance aux aides directes.

Tableau 1 - Importance des aides directes et indirectes

Pays

Coût des incitations fiscales/R&D de l’industrie *

(en %)

Coût des incitations fiscales/R&D financée par

l’État * (en %)

Coût des aides directes/aide totale à la technologie industrielle. ** (en %)

Allemagne

Canada

États-Unis

Finlande

France

Japon

Pays-Bas

Royaume-Uni

-

13,3

1,6

-

2,7

0,3

6,3

-

-

17,4

3,6

-

3,5

1,3

7,4

-

60

38

95

52

74

46

33

77

Sources : * OCDE, NSF, 2000, Sheehan J. (2002) ; ** OCDE étude pilote, 1995-1997 (subventions et contrats), Young A. (2002)

Les mesures directes ont l’avantage de pouvoir cibler des projets spécifiques où le taux de rendement social est particulièrement élevé par rapport au taux de rendement privé. En revanche, il peut y avoir plus de risque moral à soutenir la recherche par des aides directes sélectives que par des aides indirectes, qui sont a priori disponibles à quiconque fait de la recherche. Par exemple, l’argent peut être versé à des régions ou à des entreprises politiquement influentes plutôt qu’à des projets prometteurs. Par ailleurs, se pose le choix épineux de devoir choisir un vainqueur. L’État a-t-il vraiment l’information qui lui permette de faire ce choix mieux que ne pourrait le faire le marché ?

Les mesures indirectes, quant à elles, ont l’avantage de soutenir tout effort de recherche digne de ce nom et, de ce fait, de laisser le marché décider des projets de recherche. La procédure d’attribution de l’aide est plus rapide et quasi-automatique et la firme a l’assurance de se faire aider si elle fait de la R&D telle que définie dans le manuel de Frascati. Par contre, pour le gouvernement, les coûts liés à l’aide fiscale sont plus imprévisibles. Par ailleurs, il existe plus de pertes sèches liées aux aides indirectes, car le risque est toujours là de soutenir des projets qui auraient de toute manière vu le jour.

L’innovation, quelles performances économiques ? 91

Les formes d’incitation fiscale

Il existe deux grandes catégories d’incitation fiscale :

�� les crédits d’impôts ou les abattements fondés sur le volume des dépenses de recherche qui viennent s’ajouter à la déduction pour les dépenses courantes, et à l’amortissement dégressif ou linéaire pour les dépenses en capital ;

�� les crédits d’impôts ou les abattements fondés sur l’augmentation de R&D : cette augmentation est calculée par rapport à une base, qui peut être fixe ou variable.

Il peut également exister des mesures qui visent à corriger d’éventuels plafonnements dans les avantages fiscaux. Les crédits d’impôt peuvent par exemple être remboursables, c’est-à-dire que même une entreprise qui n’a pas d’impôts à payer peut se faire rembourser ses crédits d’impôt. Ou bien ils peuvent être reportés à un exercice fiscal antérieur ou postérieur, ou être transférés à d’autres bénéficiaires.

Dans une certaine mesure, il est possible, même avec les incitations indirectes, de cibler un certain nombre de dépenses, comme la recherche en faveur de la santé, la défense, l’agriculture ou l’environnement (Canada), ou certains acteurs, tels que les universités (Danemark, Japon), ou les petites et moyennes entreprises (Belgique, Italie, Japon) ou encore des régions (Allemagne, Italie, Canada). Enfin, d’autres modes indirects plus complexes de soutien fiscal peuvent être envisagés, à l’instar des exemptions de gain de capital ou des allègements fiscaux sur les dividendes issus d’investissements financés par le capital risque.

Comparaisons internationales du traitement fiscal de la R&D

Le concept d’indice B est défini comme le rapport entre le coût net d’un euro dépensé en R&D après déduction de toutes les incitations fiscales et le revenu net engendré par un euro de recette. Par exemple, si une entreprise peut déduire de son assiette fiscale l’entièreté de ses dépenses de R&D, avec un taux d’imposition de 50 %, et qu’elle bénéficie par ailleurs d’un crédit d’impôt de 20 % sur ses dépenses en R&D, cela lui coûte en net : (1 – 0,5) x (1 – 0,2), ce qui rapporté à un taux de gain après taxe de (1 – 0,5) donne un indice B de 0,8. Autrement dit, il faut faire avant taxe 80 eurocents de bénéfice pour récupérer la mise nette de 40 eurocents de R&D.

Certains pays, comme les Pays-Bas, basent leur crédit d’impôt sur le volume des dépenses de R&D, d’autres ne se fondent que sur l’accroissement de R&D (la France, les États-Unis, le Japon), d’autres utilisent les deux mesures d’incitations fiscales (le Canada), et d’autres n’en utilisent aucune (l’Allemagne et le Royaume-Uni).

Tableau 2 - Comparaison internationale de la générosité vis-à-vis de la R&D

Type de crédit d’impôt Pays (avec indice-B pour les grandes entreprises entre parenthèses)

Volume

Accroissement

Mixte

Aucun

Pays-Bas (0,904)

États-Unis (0,934), France (0,915), Japon (0,981)

Canada (0,827)

Allemagne (1,041), Finlande (1,009), Royaume-Uni (1,000)

Source : Warda J. (2002)

Si l’indice B est supérieur à 1, les pays accordent peu d’incitations fiscales ; s’il est inférieur, les pays accordent des incitations fiscales.

L’Angleterre dans sa nouvelle politique d’aide à la R&D se dirige vers un crédit d’impôt lié au volume pour les grandes entreprises et une incitation spécifique pour les petites et moyennes entreprises. Les Pays-Bas ont adopté depuis 1994 une politique fondée sur les crédits d’impôt liés aux salaires du personnel de recherche : les entreprises faisant de la R&D peuvent les déduire mensuellement des taxes et des contributions à la sécurité sociale. Depuis 1999, l’Espagne fonde, quant à elle, ses crédits d’impôt sur les dépenses d’innovation, telles qu’elles sont définies dans le manuel d’Oslo, c’est-à-dire, en plus des dépenses de R&D, celles liées à l’achat de

Insee Méthodes 92

brevets, à la formation du personnel pour la fabrication de nouveaux produits ou la mise en marché de ces produits.

Comment évaluer l’efficacité des incitations fiscales ?

Pour bien faire, il conviendrait d’effectuer une analyse coûts-bénéfices qui tiendrait compte de la propension des entreprises à faire de la R&D avec et sans incitations fiscales, du taux de rendement social de la recherche additionnelle, du coût d’opportunité des dépenses fiscales (promotion des arts, de la santé, des sans-abri,…), du coût de mise en oeuvre (auditeurs, inspecteurs) de cette politique, et du coût de demande des crédits d’impôt pour les entreprises (comptables, avocats,…).

En pratique, nous utilisons plutôt le critère d’additionalité : nous nous demandons si un euro dépensé par le gouvernement engendre au moins un euro de recherche supplémentaire. Si tel est le cas, il s’agit d’une bonne politique. Cette méthode requiert une mesure correcte de l’indice B, c'est-à-dire de tous les paramètres fiscaux qui entrent dans la construction du prix du capital, mais également une bonne évaluation de l’élasticité-prix de la recherche. Pour bien faire, il faudrait également tenir compte des paramètres suivants : la possibilité d’un taux de rendement différent pour la R&D induite par les incitations fiscales ; les possibles relations de complémentarité entre la R&D et les autres facteurs de production ; les effets secondaires dûs aux externalités de la recherche ; les effets secondaires induits par la recherche additionnelle ; les effets stratégiques ; les retards dans la réalisation des effets d’entraînement fiscaux ; les pertes sèches dues au soutien de la recherche qui se serait faite de toute manière.

Quelques évidences empiriques de l’efficacité des incitations fiscales

Dans une étude de 1985, Mansfield et Switzer ont établi que le montant de R&D des entreprises canadiennes par dollar de dépense fiscale était de 0,4. De la même manière, le Bureau of Industry Economics australien a obtenu un chiffre entre 0,6 et 1. Une étude canadienne sur les données d’entreprises en 1986 évalue une élasticité prix de la recherche de 0,13 à court terme et de 0,32 à long terme.

Tableau 3 - Quelques résultats économétriques sur l’efficacité des incitations fiscales à la R&D

Études Données Élasticités-prix R&D R&D/dépenses fiscales (en %)

Mansfield-Switzer (1985)

Bureau of Industry Economics (1993)

Bernstein (1986)

Hall (1993)

Hines (1993)

Bloom et al. (1998)

Dagenais et al. (1997)

Brouwer et al. (2002)

Mairesse et Mulkay (2002)

Guellec et van Pottelsberghe (2003)

Canada, entreprises

Australie, entreprises

Canada, entreprises

États-Unis, entreprises

États-Unis, entreprises

G7 et Australie

Canada, entreprises

Pays-Bas, entreprises

France, entreprises

17 pays

Réponses d’enquête

Réponses d’enquête

0,13 (CT), 0,32 (LT)

1,0-1,5

1,2-1,6

0,16 (CT), 1,1 (LT)

0,4

0,11 (CT), 1,12 (LT)

1,0-2,0

0,28 (CT), 0,31 (LT)

0,4

0,6-1,0

0,8

2,0

1,3-2,0

-

0,98

1,01-1,02

Sources : Dagenais et al. (1997), Hall et van Reenen (2000).

Par ailleurs, une étude de Bronwyn Hall sur des données des États-Unis de 1993 trouve une élasticité plus grande de 1,5, soit un ratio de R&D sur dépenses fiscales de 2. Une étude de Nicholas Bloom, Rachel Griffith et John van Reenen sur les données macroéconomiques des pays du G7 et de l’Australie évalue une élasticité comprise

L’innovation, quelles performances économiques ? 93

entre 0,16 et 1,1 selon qu’il s’agit du court terme ou du long terme. Enfin, l’étude récente de Jacques Mairesse et Benoît Mulkay trouve une élasticité plus élevée, proche de celle obtenue par Bronwyn Hall.

Si nous nous servons de ces élasticités pour calculer le montant de recherche induite par euro de dépense fiscale, nous arrivons la plupart du temps à des rapports proches de un. Deux exceptions constituent les études de Hall (1993) et de Mairesse et Mulkay (2002), qui obtiennent des rapports bien supérieurs à un, qui peuvent en partie s’expliquer par le fait que dans ces deux cas le crédit d’impôt est incrémental. Des résultats différenciés suivant que le crédit d’impôt est en niveau ou incrémental ont aussi été rapportés par Dagenais et al. (1997).

Le crédit d’impôt en volume ou en accroissement ?

Le crédit est plus intéressant en volume puisqu’il est plus transparent, plus prévisible et moins sujet aux variations conjoncturelles. En revanche, le risque est de financer une R&D qui se serait faite de toute manière, et les crédits sont surtout affectés aux grandes entreprises.

Pour le crédit d’impôt en accroissement tel qu’il est pratiqué en France, l’effet de la hausse de la recherche incrémentale sera réduit du fait de l’augmentation de la base. De plus, ce crédit biaise les décisions en faveur d’un comportement en dents de scie au cours du temps (Lemaire, 1996). Or, il n’est pas sûr qu’il soit judicieux d’inciter les entreprises à modifier leur planification pour pouvoir bénéficier de ces crédits d’impôt. Enfin, les crédits d’impôt à la recherche incrémentale peuvent devenir inutilisables (l’entreprise ayant atteint un plafond) et induire un effet négatif sur la recherche (Eisner et al, 1984). En revanche, le crédit à la recherche incrémentale apparaît très efficace quand il est rapporté aux dépenses fiscales, car il ne soutient que les dépenses additionnelles.

Conclusion

Nous constatons une assez grande divergence entre les politiques suivies par différents pays pour stimuler l’innovation, même pour ce qui est des incitations fiscales à la R-D. Il est d’ailleurs fort possible que les mêmes incitations ne conviennent pas pour tous les pays. La plupart des études empiriques semblent montrer qu’un euro de dépense fiscale engendre à peu près un euro de recherche supplémentaire. Cet effet augmente si l’on tient compte des externalités, si l’on se place dans une perspective de long terme, et si les crédits d’impôt portent juste sur la recherche incrémentale. Certaines études en outre ont montré qu’il vaut mieux avoir une politique stable d’incitation fiscale à la recherche. Comme chaque mesure de politique a ses limites et contreffets, il est probablement recommandable de ne pas s’en tenir uniquement à une politique de soutien fiscal à l’innovation, mais bien de suivre un éventail de politiques : soutien à l’innovation par des mesures directes et indirectes, éducation, réglementation,…Car, pour ne citer qu’un exemple, à quoi servent les crédits d’impôt s’il y a un manque flagrant de chercheurs sur le marché du travail ?

Insee Méthodes 94

Références bibliographiques

Dagenais M., Mohnen P. et P. Therrien P. (1997), ''Do Canadian Firms Respond to Fiscal Incentives to Research and Development?'', Cahier du CIRANO 97s-34.

Eisner R., Albert S.H. and Sullivan M. (1984), ''The New Incremental Tax Credit for R&D: Incentive or Disincentive'', National Tax Journal, 37, pp 171-183.

Hall B. et van Reenen J. (2000), “How Effective Are Fiscal Incentives for R&D ? A Review of the Evidence”, Research Policy, 29, pp 449-469.

Lemaire I. (1996), “Optimal firm response to incremental tax credits”, Cahier de recherche du CREST no. 9657.

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Warda J. (2002), “Measuring the value of R&D tax treatments in OECD countries”, STI Review, 27, pp 185-211.

Young A. (2002), “Improving measures of government support to industrial technology”, STI Review, 27, pp 147-183.

L’innovation, quelles performances économiques ? 95

Innovation et propriété intellectuelle : les bouleversements récents

Cette contribution présentera tout d'abord quelques éléments d'analyse concernant le rôle du brevet et plus largement de la propriété intellectuelle dans l'économie de l'innovation. On insistera sur le fait que ce rôle est ambivalent, certains modes d'usage de la propriété intellectuelle peuvent être néfastes à la dynamique de l'innovation et que le contexte sectoriel compte par dessus tout dans l'analyse des coûts et des bénéfices de la

propriété intellectuelle. Dans une seconde partie, nous décrirons les changements récents, qui concernent l'accroissement très important du nombre de brevets demandés et octroyés et le déplacement du domaine de la brevetabilité vers les stades-amont de l'innovation. Les effets de ces évolutions et les solutions possibles seront discutés.

Insee Méthodes 96

Innovation and intellectual property: recent upheavals

We begin by discussing the role of patents—and, more broadly, intellectual property—in innovation. We emphasize the ambivalent nature of intellectual property, the fact that some modes of usage of intellectual property may be detrimental to the dynamic of innovation, and the importance of sectoral contexts in analyzing the costs and

benefits of intellectual property. Then we describe recent changes: the so-called “patent upsurge” and the extension of the patent domain toward upstream innovation activities. We conclude by discussing the effects of these changes, and possible solutions for dealing with them.

L’innovation, quelles performances économiques ? 97

INNOVATION ET PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE : LES BOULEVERSEMENTS RÉCENTS

Dominique Foray Directeur de recherche au CNRS,

Administrateur principal à l’OCDE

Lorsque l’entreprise introduit une innovation sur le marché, elle peut décider de la protéger, en effectuant une demande auprès de l’Institut national de la propriété industrielle et en revendiquant la propriété de ce dispositif en le décrivant.

Cet institut examine cette invention, pour vérifier les critères de nouveauté, de saut innovant (inventive step) et d’utilité industrielle. Lorsque le brevet est accordé, sa description technique est disponible et les concurrents peuvent la consulter et décider de faire mieux. C’est pourquoi le monopole peut être contourné. Par ailleurs, l’entreprise ne doit pas s’attendre à ce que l’Office des brevets l’avertisse des cas de contrefaçons : l’entreprise doit effectuer sa propre police. Enfin, l’entreprise paye chaque année une redevance pour entretenir son portefeuille de brevets.

Mon exposé ne va pas traiter du brevet en tant qu’indicateur d’innovation, mais vise à fournir un état de la réflexion sur les effets positifs et ceux qui le sont moins en matière d’innovation et de croissance. Un débat existe ainsi sur différents aspects :

�� les brevets et un certain type d’objets (les gènes, les logiciels) ;

�� les brevets et un certain type d’institution (les universités);

�� les brevets et le développement économique.

Ces débats interviennent dans le cadre d’un changement de tendance dans les stratégies des firmes, mais également des objectifs des pays beaucoup plus favorables à l’innovateur-breveteur.

Les avantages et inconvénients des brevets

Les avantages des brevets

Les brevets permettent de récupérer au moins une partie de la rente découlant de l’innovation. En outre, le brevet permet de révéler les caractéristiques de son innovation, condition essentielle pour la transformer en marchandise, tout en étant assuré d’une certaine protection : le brevet permet la diffusion de l’innovation.

De surcroît, le brevet crée des droits transférables, et il constitue un moyen de signaler la valeur future de l’effort technologique d’une entreprise. Enfin, les coûts du système sont fondamentalement supportés par le consommateur, et non pas par le contribuable.

Les inconvénients des brevets

Le brevet crée un monopole et donc des distorsions sur le mécanisme de prix, puisqu’il est possible de fixer un prix supérieur au coût marginal. En outre, il existe un ensemble de coûts sociaux qui peuvent être liés à un certain type d’usage du brevet dans la société actuelle.

Le brevet est souvent considéré comme une maladie nécessaire. La réflexion d’Edith Penrose, formulée au début des années 50, reste d’actualité : compte tenu de ce que nous savons aujourd'hui sur les brevets, il serait

Insee Méthodes 98

complètement absurde d’inventer le système, mais comme le système existe, il est tout aussi absurde de l’abolir aujourd'hui.

Le consensus sur les brevets est désormais remis en cause

À partir des années 60 jusqu’à récemment, les économistes s’accordaient pour dire que le brevet était un bien pour l’innovation et pour la croissance si les effets négatifs étaient réduits, en suivant quelques règles très simples, comme l’exigence de description technique du brevet ou l’exclusion de la science du domaine de la brevetabilité.

Des excès dans les modes d’usage des brevets

Aujourd'hui, les brevets croissent de manière spectaculaire : aux États-Unis, il y a désormais 300 000 demandes annuelles, dont 120 000 sont acceptées. De plus, il existe de plus en plus de demandes de brevets dans des activités de recherche scientifique, notamment dans le domaine de la biotechnologie. Enfin, brevet et innovation ne correspondent pas nécessairement : nombre de brevets recouvrent plusieurs innovations ; certaines innovations sont fractionnées dans un grand nombre de brevets.

Ces problèmes ne sont certes pas nouveaux, mais ils ont atteint aujourd'hui une nouvelle dimension : les nouveaux modes d’usage de la brevetabilité font craindre un certain nombre de litiges et d’encombrement des champs d’innovation potentielle.

L’apparition de mécanismes alternatifs

Il semble qu’il existe d’autres mécanisme d’incitation à l’innovation qui fonctionnent sans pour autant engendrer des situations de monopole. Par exemple, le secteur des logiciels libres connaît des taux d’innovation très importants, avec une qualité et une fiabilité remarquables, sans pour autant faire intervenir de brevets.

L’extension du domaine de brevetabilité

Les brevets interviennent aujourd'hui dans des domaines nouveaux, qui sensibilisent les décideurs politiques. Ainsi, l’idée d’un brevet sur un test thérapeutique pour un type de cancer ou sur des méthodes éducatives suscite de vives interrogations.

La remise en cause de la protection des idées

Les coûts de reproduction et de diffusion de la connaissance sont devenus très faibles, en raison du développement des technologies de l’information. Par conséquent, l’écart entre les possibilités d’accès à ces connaissances par les usagers potentiels et les prix de monopole deviennent de plus en plus importants. Cette tension s’exacerbe dans de nombreux cas, notamment lorsque la connaissance est totalement digitalisable, à l’instar de l’affrontement entre Napster et les grandes majors du disque.

Le changement d’échelle de la brevetabilité

Un multi-usage de la brevetabilité

Jusqu’à la fin des années 80, il existait un déclin des demandes de dépôt de brevet, mais cette tendance s’est clairement inversée. Cet accroissement peut difficilement être relié uniquement à la croissance des efforts de R&D.

L’innovation, quelles performances économiques ? 99

Il existe un paradoxe entre les études qui estiment que les firmes ne considèrent pas les brevets comme un moyen très efficace de protection et l’explosion du nombre de brevets. L’amélioration de l’environnement juridique, notamment aux États-Unis, constitue une explication de ce paradoxe. Cependant, cette explication n’est pas suffisante : alors que l’environnement juridique a faiblement évolué en Europe, nous constatons le même phénomène d’accroissement du nombre de brevets.

D’autres explications partielles peuvent être avancées : la productivité de la recherche, l’apparition de nouveaux acteurs dans le domaine des brevets (universités, start-ups, laboratoires gouvernementaux privatisés en Grande-Bretagne). Mais l’explication la plus convaincante réside dans une nouvelle méthode de management de l’innovation, où la création de propriété intellectuelle est au cœur de l’entreprise.

Ainsi, Thierry Sueur, responsable de la propriété industrielle à Air Liquide, souligne que les services de propriété intellectuelle ne regroupaient auparavant que quelques juristes qui étaient consultés en dernière analyse. Or, aujourd'hui, le triangle propriété industrielle – marketing – R&D est au cœur de la stratégie de l’entreprise. Le brevet ne sert plus uniquement à protéger l’innovation, mais bien à de nombreuses stratégies, notamment des stratégies de marché, de vente et de valorisation de la technologie.

Les coûts de ce système

D’un point de vue général, les coûts de transaction, notamment les coûts liés aux litiges, augmentent de manière considérable. De plus, il existe un certain nombre de phénomènes de blocage et d’encombrement lorsqu’il y a trop de brevets.

En conclusion, il convient de réfléchir aux mécanismes de transition et de transfert entre le domaine privé des connaissances brevetées et le domaine public d’usage de ces connaissances. Il s’agit également de discuter des problèmes de licences obligatoires, et des problèmes de rachat par l’État de certains brevets privés pour les remettre dans le domaine public. Enfin, il convient d’encourager une évolution des pratiques des Offices de brevets pour qu’ils redeviennent plus restrictifs sur les critères de brevetabilité.

L’innovation, quelles performances économiques ? 101

L’INNOVATION, QUELLES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES ?

DÉBAT AVEC LA SALLE

Dominique Deberte (INPI) : Je souhaite tempérer certaines affirmations de Dominique Foray. Ainsi, en ce qui concerne l’augmentation du nombre de brevets, l’augmentation du nombre de premiers dépôts est assez modérée. En revanche, les demandes de brevets sont exercées dans un nombre croissant de pays, en raison de la mondialisation et de la procédure PCT, laquelle permet d’effectuer des demandes de brevets dans une centaine d’États à un coût assez faible. En outre, l’accord TRIPS de 1994 a renforcé les possibilités de faire respecter les droits de propriété dans le monde entier.

Par ailleurs, plusieurs de vos remarques s’adressent plus au système américain qu’au système européen. En Europe, la protection du brevet est réservée aux créations du domaine de la technique : il n’existe pas de brevets pour les méthodes d’affaires, ni pour les méthodes éducatives. Le reproche du laxisme est adressé surtout à l’Office américain des brevets. En effet, le taux de rejet est supérieur en Europe. Enfin, le coût des litiges est très élevé aux États-Unis par rapport à la France, dans un rapport de 1 à 10.

Dominique Foray : Il est possible de s’interroger sur le fonctionnement de l’économie de la connaissance : n’y a-t-il pas un problème lorsqu’un pays brevette de manière très étendue, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays ? Néanmoins, je suis d’accord avec vous pour dire que le modèle américain nous indique un scénario particulier. Il convient de se demander si nous voulons adopter ce scénario, ou conserver une attitude plus restrictive. Il s’agit effectivement d’une véritable question de politique publique.

Yvonnick Renard (MEDEF) : Jacques Mairesse a évoqué les premières enquêtes sur l’innovation. À cette époque, des exploitations débouchaient déjà sur des paradoxes. Ainsi, dans plusieurs secteurs, il était constaté que plus une entreprise était exportatrice, plus elle avait tendance à innover, mais, en réalité, la part de produits innovants dans sa propre exportation était plus faible que sa part de produits innovants dans ce qu’elle vendait sur son marché intérieur.

Elizabeth Kremp et Dominique Guellec nous ont proposé une innovation organisationnelle majeure : la bonne gestion des connaissances, notamment en utilisant les bases de données sur les brevets, et en effectuant de la veille technologique. En un mot, ils nous encouragent à imiter, à capter, voire à contrefaire.

Ma question s’adresse à Dominique Foray. Compte tenu de la montée en puissance des difficultés juridiques, nous incitez-vous à nous protéger ou à copier sauvagement ?

Dominique Foray : Pour une entreprise, il est bien évident que le dépôt de brevets et une gestion optimale du portefeuille de brevets sont essentiels. Les économistes regardent la différence qui existe entre les comportements rationnels des entreprises et l’agrégation de ces comportements à un niveau macroéconomique, mais il s’agit là d’un autre problème, qui concerne les offices de brevets et l’OCDE.

Jean-Michel Becker (Insee, direction des statistiques d’entreprises) : Imaginons qu’une société A dépose un brevet pour s’assurer un marché. Est-il envisageable qu’une société B dépose un brevet en aval, pour bloquer partiellement ou entièrement ce marché ? Dans le cas d’un dépôt d’un brevet ayant pour objectif de bloquer un marché, il s’agit bien d’une innovation négative.

Dominique Foray : Tout est possible, dans la mesure où l’appréciation est laissée à l’Office européen des brevets. Le brevet est ainsi considéré comme un outil majeur du champ stratégique de l’innovation : il est possible de bloquer un marché en déposant des brevets. Cependant, il ne faut pas sacraliser le brevet, puisque celui-ci incite la concurrence à le contourner ou à le dépasser.

Par ailleurs, la « stratégie du commun » permet de bloquer un marché, non pas en brevetant, mais au contraire en laissant tout dans le domaine public. Quoi qu’il en soit, le brevet est une arme stratégique extrêmement importante.

Jean-Philippe Lesne : Je souhaite revenir sur la question de savoir pourquoi il y a moins d’investissements privés en Europe qu’aux États-Unis. Il a été avancé que la pression concurrentielle était différente. Je souhaite demander à Jacques Mairesse et à Pierre Mohnen de quelle manière cette dimension concurrentielle est intégrée

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dans les modèles. Pour ma part, je suis surpris des différences entre les États-Unis et l’Europe sur le ratio R&D / aide fiscale. Comment cette différence peut-elle être expliquée ?

Jacques Mairesse : La première partie de mon exposé traitait uniquement de travaux qui portaient sur l’utilisation des données de brevets ou des données des enquêtes recherche. La deuxième partie des travaux m’a permis d’évoquer les enquêtes innovations, qui fournissent une grande richesse d’informations qualitatives. Ces dernières permettent également d’essayer d’apprécier l’intensité de la concurrence : dans les travaux que j’ai présentés, la variable d’environnement intègre la notion de pression concurrentielle.

Pierre Mohnen : Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation : d’autres études se fondant sur des données américaines trouvent à peu près le même résultat. Il existe également des différences méthodologiques : l’étude de Bronwyn Hall traite la R&D comme un flux, alors que de nombreuses études l’envisagent comme un stock. Il existe donc peut-être des différences qui sont dues à la spécification.

Conclusions 105

CONCLUSIONS

Jean-Paul François Directeur régional de l’Insee en Picardie

Je voudrais d’abord remercier Michel Hébert de m’avoir demandé de conclure avec lui cette journée et d’en tirer les enseignements. Cela me donne l’occasion de me replonger avec plaisir dans un milieu qui me fut familier par ses travaux et aussi par ses membres.

Nous avons donc entendu aujourd’hui, comme c’est de tradition dans ce séminaire, trois séries de présentations. Dans l’ordre :

�� « l’innovation, quelles stratégies ? » a fait intervenir des entreprises en tant qu’acteurs économiques ;

�� « l’innovation, comment la mesurer ? » nous a permis d’entendre des statisticiens ;

�� « l’innovation, quelles performances économiques ? » a été l’occasion d’entendre des chercheurs en économie.

Pour ma part, dans la synthèse des travaux de cette journée, je donnerai aux entreprises le dernier mot, car c’est bien elles qui nous indiquent les pratiques nouvelles qu’il convient de prendre en compte dans nos manuels méthodologiques et dans nos systèmes de mesure et de collecte.

L’apport des économistes

Je commencerai donc par les économistes. Non pas pour réintroduire la logique séquentielle qui veut que les travaux théoriques inspirent les statisticiens dans la conception et la mise en œuvre de leurs enquêtes et de leurs systèmes d’information, qui servent à construire des bases de données sur lesquelles vont s’appuyer les travaux empiriques. Mais parce que, utilisateurs aval des données des statisticiens, les économistes en désignent les manques et les imperfections, et que cela constitue un formidable stimulant pour l’imagination et l’ingéniosité des statisticiens.

C’est ainsi que Jacques Mairesse a souligné, à propos des avancées de la connaissance, le rôle joué par la recherche et l’innovation pour expliquer les performances des entreprises et des économies. Il a mentionné les progrès parallèles des statistiques et des analyses économétriques en dépit, je cite, « des difficultés de la mesure et de l’inférence économétrique qui restent considérables ».

En puisant dans la revue de la littérature empirique, qu’il a réalisée avec Pierre Mohnen, au sujet de l’estimation de la productivité et de l’importance des externalités de la R&D, il a insisté sur les apports tout particuliers qu’ont constitué les enquêtes innovation, pour renouveler la modélisation des liens entre R&D et productivité en réintroduisant, pour faire bref, le chaînon manquant qu’est l’innovation en tant qu’output de la production de savoir.

Pierre Mohnen (par delà la part qu’il a prise aux travaux précédents) a choisi de centrer son exposé sur le rôle, considérable et multiforme, de la décision publique.

Selon lui, et sans rentrer dans le débat quasi programmatique entre Jacques Astoin et David Encaoua sur la nature et l’ampleur des mutations des politiques de la recherche opérée par les pouvoirs publics, le gouvernement, au sens large, agit dans divers domaines :

�� il intervient comme opérateur de R&D dans les universités et les laboratoires publics ;

�� il finance directement ces recherches, ainsi que celles effectuées par les entreprises ;

�� il réglemente, notamment en matière de propriété industrielle ;

Insee Méthodes 106

�� il crée les conditions d’émergence de nouveaux modes de financement privés, comme le capital-risque ;

�� il crée les conditions pour la mise en place de réseaux de coopération entre l’université et les entreprises, et installe des milieux favorisant la création d’entreprises ;

�� il intervient par ses achats, ses contrats de recherche, ses subventions, et ses incitations fiscales aux entreprises et aux investisseurs.

Pierre Mohnen a choisi de développer ce dernier point, mais il a bien montré l’importance que pouvaient revêtir les études économétriques pour la décision publique, par exemple sur le choix qui, en France, est encore aujourd’hui très controversé entre crédit d’impôt en volume et crédit d’impôt en incrément.

Le rôle des bases de données cohérentes et comparables internationalement est considérable en la matière. Par le nombre et l’importance des études présentées, son exposé est une adresse aux statisticiens de construire des enquêtes sur le financement et les aides à l’innovation, mais aussi d’exploiter les données administratives, nombreuses et éclatées, et encore trop peu valorisées.

C’est le message également de l’intervention de Dominique Foray, qui a consacré son exposé au rôle du brevet, et, plus généralement, de la propriété industrielle sur l’innovation.

Il a insisté sur l’indéniable montée en puissance du brevet, qui, tout en étendant son influence dans ses domaines traditionnels, en gagne de nouveaux, dont, encore récemment, il était totalement absent. De surcroît, il semblerait que l’appropriation se déplace vers des sphères de plus en plus proches de la recherche fondamentale.

Il a souligné aussi le caractère discuté dans la littérature du rôle de la propriété industrielle sur la dynamique de l’innovation, en particulier au regard du contexte sectoriel.

On peut compléter ce constat de l’observation de l’importance que revêtent les droits de propriété intellectuelle et leur renforcement au travers des accords TRIPS (Trade-Related Intellectual Property RightS) en termes de redistribution Nord-Sud et d’effet sur les échanges et l’investissement direct à l’étranger (IDE)

Ce caractère discuté du rôle des droits de propriété intellectuelle (DPI) est ainsi mis en évidence dans des travaux récents d’économie internationale (Combes, Pfister, 2002), qui renouvellent certaines études antérieures de référence (Lee, Mansfield, 1996). Les auteurs proposent une nouvelle modélisation théorique et sa validation empirique du rôle des DPI sur l’IDE ou, plus précisément, sur l’arbitrage entre l’exportation et l’IDE. Ce modèle, contrairement aux modèles usuels qui veulent que des droits faibles génèrent une préférence pour l’exportation, introduit un impact stratégique de localisation, qui induit que l’implantation d’une filiale constitue un substitut, et non un complément, à la protection juridique. Ces conjectures nouvelles sont ensuite vérifiées sur données françaises. Les résultats sont bien conformes aux attentes d’atténuation de la probabilité de localisation par filiale lorsque les DPI sont forts.

Les enseignements des statisticiens

Le premier, administré par Dominique Guellec, concerne l’importance qu’a revêtue, et que revêtira encore, en l’espèce, la coordination internationale des statisticiens et des méthodologues. Il est vrai que l’OCDE peut revendiquer l’antériorité de l’invention des manuels à Frascati, précisément sur le domaine de la R&D. Au départ, seuls les moyens humains et matériels consacrés à la R&D étaient concernés. Cette démarche a été récemment répétée autour des enquêtes innovation avec le manuel d’Oslo, au début des années 90, mais à bien d’autres occasions dans des conférences. Certaines ont débouché sur des manuels du même nom, je pense à Canberra et je me souviens d’une conférence dite Blue Sky de l’OCDE à Paris, qui a examiné la question des compétences pour innover.

Cette coordination internationale, d’ordre principalement conceptuel, a trouvé un écho et un relais dans une autre coordination d’ordre plus opérationnel au travers des enquêtes communautaires (dites CIS) dont Eurostat a été la plaque tournante.

Conclusions 107

Si nous nous arrêtons à ces seules enquêtes, dont la pratique s’étend aujourd’hui au Japon, aux États-Unis, dans nombre de pays en voie de développement, et aux pays d’Europe centrale et orientale, force est d’admettre que leurs enseignements sont riches sur l’ensemble des axes d’observation envisagés :

�� nature de l’innovation (produit /process, radicale/incrémentale, etc…) ;

�� mesure de l’ampleur en termes de nombre de produits, de chiffre d’affaires ou d’exportation ;

�� validation de certaines conjectures relatives à la taille et à d’autres caractéristiques des entreprises ;

�� sources de savoir ;

�� obstacles sur le chemin de l’innovation ;

�� partenariat et rôle des universités et des organismes de recherche publique ;

�� place de la propriété industrielle, etc…

Ces enseignements sont encore largement à tirer et à valider par les économètres. Mais il reste encore beaucoup à faire à la fois pour affiner les concepts et pour perfectionner les instruments. Parmi les défauts que Dominique Guellec qualifie de défauts de jeunesse, je n’en retiendrai qu’un.

Si les enquêtes de R&D recourent largement à des mesures par des variables quantitatives, le passage aux enquêtes d’output, que sont les enquêtes innovation, s’est traduit par la montée des données qualitatives. Il se fait jour aujourd’hui un besoin de plus de données quantitatives sur l’innovation, qui doit être pris en compte.

La coordination internationale ne peut s’exercer, bien sûr, que s’il lui préexiste des initiatives nationales, et Dominique Guellec énumère ces initiatives, parmi lesquelles les pays nordiques ont tenu une place pionnière dès le début des années 80. Et ce n’est pas un hasard si l’on trouve Keith Smith et Mickael Akerbloom rédacteurs de la première version du manuel d’Oslo (lui-même le bien nommé). Ces initiatives précoces et imaginatives façonnent les concepts et préfigurent les normes et les systèmes de collecte qui seront ensuite adoptés par tous.

Deux expériences nationales

L’expérience allemande décrite par Georg Licht frappe par la cohérence, l’ambition et la flexibilité d’un système qui ouvre une piste qui n’est pas encore empruntée dans les enquêtes communautaires, mais dont on ressent bien la nécessité.

Il s’agit de mettre en place des indicateurs qui permettent une approche en chronique temporelle de l’innovation pour monitorer les politiques d’innovation par la puissance publique, grâce, notamment, à des questions ad hoc. Et ceci en cohérence avec les vues transversales régulières offertes par CIS, et avec les données administratives régulièrement collectées. Dans l’exemple des subventions gouvernementales à la recherche, il a été possible de répondre positivement à la question de la complémentarité des financements publics et privés. En Allemagne « les subventions gouvernementales ne se substituent pas à la dépense privée de R&D », et semblent favoriser la diffusion.

Une étude récente sur données françaises (Duguet, 2002), portant sur les subventions à la R&D, s’attaque à la même problématique, et prouve que, en moyenne, « les financements publics s’ajoutent aux financements privés de sorte qu’il n’y aurait pas d’effet d’éviction significatif ».

Pour sa part, Elisabeth Kremp a décrit précisément le rôle joué par le système statistique français dans ce concert, notamment sa capacité à anticiper et à inventer. Les nombreuses contributions françaises à la connaissance de l’innovation ont justement présenté un caractère innovant, particulièrement dans les thématiques des enquêtes qui ont porté sur les domaines suivants :

�� les compétences pour innover ;

�� le financement de l’innovation ;

Insee Méthodes 108

�� l’appropriation technologique ;

�� le partenariat avec les universités, mais aussi avec les clients, les fournisseurs et en intra groupe ;

�� l’organisation et les nouvelles technologies de l’information en lien avec l’innovation.

Un point n’a pas été soulevé mais je voudrais m’y arrêter, car il s’agit d’une réponse aux imperfections du système. En effet, la nouveauté réside également dans les méthodologies d’enquête, et je ne donnerai qu’un exemple.

L’enquête sur l’innovation organisationnelle, évoquée par allusion, a donné lieu à une interrogation parallèle d’un échantillon d’entreprises et de salariés choisis dans les entreprises selon un protocole rigoureux. Cette technique mixte d’enquête entreprise et d’enquête individu a permis de réconcilier les différentes vues sur les mêmes phénomènes, en l’occurrence en réponse à une demande explicite des économètres.

Je terminerai sur ce point en mentionnant que le processus innovant n’est pas ralenti, puisque, en ce moment même, dans le cadre d’un programme de recherche européen, Dominique Francoz, en charge de la statistique sur la recherche, met en place, avec une équipe universitaire française, une enquête sur la valeur du brevet. Cette enquête, qui évoque subsidiairement les systèmes de récompenses aux chercheurs dont a parlé Dominique Foray, prévoit une interrogation conjointe des entreprises détentrices ou déposantes de brevets. Cette sélection se fera via une sélection de brevets bien identifiés, des chercheurs inventeurs à l’origine de ces brevets, et ceci par delà la mobilité de ces chercheurs et par delà les mutations des entreprises elles-mêmes depuis la date du dépôt.

Le message des entreprises

Les entreprises nous renseignent sur les pratiques nouvelles qu’il convient de prendre en compte dans nos manuels méthodologiques et dans nos systèmes de mesure et de collecte.

Sans surprise, nous constatons une convergence très large entre nos systèmes de connaissance et les préoccupations d’un directeur de recherche d’un grand groupe comme PSA. Le modèle de la recherche et de l’innovation d’un tel groupe a inspiré nos concepts et nos méthodes. Ce qu’il dit, de manière concrète, de la création des avantages concurrentiels et de la diversification des produits par l’innovation pour la croissance et la productivité lui est commun avec les théoriciens qui se sont exprimés ici.

En revanche, Pascal Hénault nous a présenté une problématique complète des compétences pour innover :

�� la capacité à l’écoute des besoins exprimés et latents des clients ;

�� la capacité à assimiler et intégrer dans les projets les potentiels des nouvelles technologies ;

�� la capacité à proposer des nouveautés au marché ;

�� la capacité à planifier l’innovation de l’amont à l’aval par de nouvelles organisations ;

�� la capacité à évaluer et sélectionner les innovations ;

�� la capacité à gérer les projets ;

�� la capacité à conduire une mutation permanente ;

�� la capacité à vendre l’innovation ;

�� la capacité à vendre l’entreprise innovante en tant que telle par identification du client à cette entreprise ;

�� et même la capacité à anticiper le futur lointain, et donc à dégager les espaces de libertés propices à la création dans la gestion des chercheurs.

Des réponses à certaines de ces questions ont d’ailleurs déjà été fournies par l’enquête du Sessi dont à rendu compte Elisabeth Kremp. Cette enquête quantifie l’importance de 73 compétences élémentaires différentes, qui

Conclusions 109

visent tant à la gestion d’interactions internes à l’entreprise qu’à la gestion des interactions externes. Elle répond ainsi à certaines questions relatives au caractère plus ou moins codifié des processus.

Autant le message du grand groupe industriel qu’est PSA vient en terrain connu, et peut stimuler l’innovation incrémentale de notre part, autant certains des messages de Pierre Saulay tombent en terre encore largement inconnue, ou du moins dans un terrain beaucoup moins défriché. Ils solliciteraient plutôt l’innovation statistique radicale.

Ces questions, il convient de les enregistrer et j’en rappelle quelques-unes :

�� qu’est ce que la nouveauté de rupture dans le « rendre service » ? On a aussi évoqué les modèles Dell ou Wal-Mart de désintermédiation/réintermédiation ou le suivi de la pénétration de l’Internet ;

�� quid de l’irrationnel, de l’émotionnel, du frivole ?

�� quid de l’irruption dans l’intimité et la vie privée ?

�� quid de la place de l’éthique, des libertés publiques ?

�� et, finalement, quelle est la valeur de l’innovation au regard de ces critères ?

Je retiens aussi l’idée, très intéressante, de « l’échangeur », qui m’apparaît comme un incubateur d’innovation de services qui prend en compte le caractère de coproduction fournisseur/client dans les services.

Sylvie Schott nous a replongés dans un domaine, les biotechnologies, qui s’identifie complètement à l’innovation. Ce domaine a lancé un premier défi au suivi statistique, et il est lié à la nature de l’entreprise biotechnique. Ce défi a été relevé au Sessi, avec les difficultés que vous pouvez imaginer.

Les entreprises, grandes en l’occurrence, de la pharmacie ou de l’agroalimentaire, que nous identifions et que nous suivons, fusionnent, se restructurent et externalisent de plus en plus rapidement leur R&D.

Les jeunes pousses, ou start-ups, prolifèrent, à partir, ou en marge, de ces grands groupes et de la recherche publique, sur la base le plus souvent d’un titre de propriété industrielle déposé ou transféré, et ceci avec une rapidité et une volatilité qui les rendent difficilement saisissables par nos systèmes d’identification et de mesure.

Je ne mentionne que pour mémoire l’enjeu sociétal évident, qui ouvre un questionnement nouveau et qui se recoupe avec ceux mentionnés par Pierre Saulay

Je saisirai simplement, pour finir, la question de la localisation, posée de manière très concrète par Sylvie Schott, qui dirige une association de clusters, et qui ne peut que m’offrir une transition pour faire état des interrogations que je rencontre aujourd’hui en tant que régional.

Les pouvoirs locaux se posent - et nous posent – la question de savoir comment la R&D et l’innovation déterminent la localisation de l’activité et la croissance économique. C’est-à-dire des questions traitées à la fois par l’économie de l’innovation et par l’économie géographique, qui, en bref, construit une représentation du marché dans l’espace, et qui s’interroge :

�� sur les configurations d’équilibre spatial résultant d’un jeu de forces de dispersion et d’agglomération ;

�� sur le rôle de la proximité sur les fonctions de coût des entreprises ;

�� sur les effets des externalités de localisation.

Autrement dit, se pose la question de la géographie de l’influence des externalités technologiques sur l’innovation et les performances des firmes. En bref, trois types de réponses peuvent être donnés à cette question :

�� le suivi des marqueurs spillovers (externalités technologiques positives) ;

�� la concentration géographique de l’innovation comme effet des spillovers ;

Insee Méthodes 110

�� dans la performance innovatrice expliquée par les spillovers : quel est le rôle de la localisation ?

Des réponses se trouvent dans la littérature empirique :

�� pour ce qui concerne les marqueurs de spillovers, l’étude de référence (Jaffe, Trajtenberg, Henderson, 1993) sur les citations de brevets, ainsi qu’une étude du MERIT (Maurseth, Verspaten, 1998), rendent compte de la concordance entre localisation des brevets cités et des brevets qui les citent. De surcroît, l’étude conclut que le caractère localisé des spillovers provient du caractère tacite des connaissances en dépit du fait que les citations ne captent pas tous les spillovers ou même plutôt les spillovers liés à la connaissance codifiée ;

�� pour ce qui concerne l’explication de la concentration géographique de l’innovation par les spillovers, l’étude d’Audretsh et Feldman (1996b) explique la répartition spatiale des innovations par la proximité d’industries intenses en R&D et à qualifications élevées, De plus les sources de connaissance nouvelles et les spillovers poussent à la concentration spatiale ;

�� pour ce qui concerne le rôle joué par la localisation dans l’explication des performances expliquées par les spillovers, l’étude de référence (Jaffe, 1986) a intégré, dans une fonction de production de connaissance, un indice de corrélation géographique des firmes et des universités. J’ajoute que la variable expliquée par Jaffe est le nombre de brevets et qu’ensuite Acs, Audretsch et Feldman (1991) ont utilisé le nombre d’innovations commercialisées. Les auteurs valident l’importance des spillovers d’origine universitaire locale, effet redoublé par la coïncidence avec la recherche privée, auquel doit être ajouté un effet intrasectoriel fort et le rôle joué par les réseaux de firmes de services.

Tous ces travaux appuient la demande exprimée par Sylvie Schott de la nécessité de disposer de plus de données localisées sur l’innovation, demande que je relaie bien volontiers en tant que régional. En particulier dans les enquêtes innovation proprement dites, d’où mes interrogations sur des enquêtes, sinon exhaustives, du moins représentatives au niveau local (par établissement ?), mais aussi dans les données administratives portant sur les aides, le financement, etc… Ce détour me permet de montrer la convergence des messages des entreprises et des économètres à la communauté des statisticiens afin d’améliorer la collecte et l’interprétation des données sur l’innovation.

Conclusions 111

Michel Hébert Directeur des statistiques d’entreprises de l’Insee

Nous avons entendu parler aujourd'hui de statistiques d’innovation et de statistiques de R&D, qui demeurent certes jeunes et imparfaites, mais qui sont très structurées au niveau international grâce au manuel d’Oslo et au manuel de Frascati. Or il existe de nombreux autres investissements immatériels qui ont aujourd'hui besoin de disposer d’un même niveau de connaissances.

Je citerai notamment l’utilisation des nouvelles technologies (Internet, commerce électronique par exemple), les politiques commerciales (entre autres, en matière de publicité), les politiques de marques et la formation. Je sais que ces aspects demeurent difficiles à mesurer, d’autant plus que les investissements immatériels ne sont pas localisables, et qu’ils sont très difficiles à repérer dans la comptabilité des entreprises, puisqu’ils sont généralement comptabilisés comme une dépense non amortie.

Mon propos ne vise pas à déterminer la valeur des entreprises (et notamment le goodwill). Cependant, nous avons le devoir de progresser dans tous ces domaines, à la fois sur le plan microéconomique – les entreprises ont besoin de pouvoir se comparer pour gagner des parts de marché – et sur le plan macroéconomique : nous devons parvenir à ré-imputer les dépenses au moment où elles produisent leurs effets. Ainsi, j’ai été particulièrement frappé par les propos du Docteur Licht sur l’importance du cycle sur les dépenses d’innovation.

En outre, la détermination et l’évaluation des politiques publiques sont essentielles. Je lance donc un appel à l’OCDE et à Eurostat pour qu’ils favorisent cette réflexion au niveau international. Au niveau national, nous essayerons de travailler avec nos collègues des pays voisins et des pays de l’OCDE au sein d’instances comme le Conseil national de l'information statistique (CNIS).

Nous publierons les actes de ce séminaire aussi bien en français qu’en anglais. Il me reste à présent à remercier les intervenants pour la richesse de leurs interventions, ainsi que la salle, les interprètes et toutes les personnes qui m’ont aidé dans l’élaboration et l’organisation de cette journée.

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Références bibliographiques

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