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INVOLONTAIRE VOULOIR Aucun piédestal pour m’installer. Comme artiste, je ne peux me positionner. L’invisibilité est mon repaire, tandis que le visible est mon repère. Ni œuvre, ni non-œuvre, je ne veux faire. Posture, imposture : je ne prends ni parti, ni parole. Car au fond de moi, sous-homme, je sais, intouchable, je sens. A la recherche d’une expérience de recherche, je plonge dans la sensible pensée. Simple technicien des Surfaces sans idée préétablie de la Technique, je fais se succéder, et s’entretisser, opérations imageantes et opérations raisonnantes. R A P H A Ë L P E T I T P R E Z 1 / 14

Involontaire Vouloir - Raphael Petitprez - 2014

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INVOLONTAIRE VOULOIRPLASTIQUE SÉMANTIQUETEXTOLÂTRIE ET IDOLÂTRIECORPS MOURANTTRANSMETTRE LE POUVOIRDES DÉCLINAISONS AURATIQUES OU DE LA DOUBLE INCARNATION HUMAINE

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INVOLONTAIRE VOULOIR

Aucun piédestal pour m’installer. Comme artiste, je ne peux me positionner. L’invisibilité est mon repaire, tandis que le visible est mon repère. Ni œuvre, ni non-œuvre, je ne veux faire. Posture, imposture : je ne prends ni parti, ni parole. Car au fond de moi, sous-homme, je sais, intouchable, je sens. A la recherche d’une expérience de recherche, je plonge dans la sensible pensée.Simple technicien des Surfaces — sans idée préétablie de la Technique, je fais se succéder, et s’entretisser, opérations imageantes et opérations raisonnantes.

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Méprise, incohérence, destruction sont, alors, ce à quoi j’aboutis consciemment.Ce n’est que dans un involontaire vouloir que j’assiste ce qui se crée.

PLASTIQUE SÉMANTIQUE

Quoiqu’il n’y paraît, mes sculptures sont le fruit d’opérations de langage, finalement (combinaisons, interpolation, élision de mots, d’idées, de projets). Toute opérations plastique est un opération sémantique qui se dédit ou larvée. Au commencement était la fatigue du verbe — déjà.

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À un certain stade, pour pouvoir produire une forme quelconque, il faut savoir se châtrer phallogocentriquement.

De langage positif, il n’existe pas. Par le langage seul le négatif passe. Par le langage le bonheur se vit comme total aliénation, totale soumission.Dans le langage la liberté ne s’expérimente que comme fracture.Opération sémantique (ou de langage, ou raisonnante) : opération fait au sein d’un ensemble fini (langue, médium, système). L’intention de communication n’est pas vécu par l’opérateur sous le prisme de la nécessité mais du devoir (je dis ce qui doit être dit, mécaniquement et/ou mimétiquement). La nécessité est le

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privilège de l’ensemble fini lui-même (on pourrait aussi dire de ceux qui le contrôlent ou qui ont avantage à sa conservation, mais en réalité c’est grâce à un mystérieux consensus, plus qu’à la volonté de certaines personnes, qu’un système reste efficient).Opération plastique (ou imageante) : opération primo-sémantique, opération sémantique paradoxale. Apparaît comme trou noir au sein d’un système déterminé ou comme cristallisation, en l’absence de toute référence.

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TEXTOLÂTRIE ET IDOLÂTRIE

À l’ère du numérique (mais déjà depuis l’imprimerie ou même l’invention de l’alphabet ou encore de la première pierre gravée) l’image est de surface, tout est contrôlé par le texte.La disparition de l’analogique a pour effet la disparition d’image sans prétexte ni contexte, autonome, indéterminé, potentiellement dangereuse, nouvelle. Au sein même d’activités textuelles se trouvent des opérations imageantes et inversement. Ce qui importe ce n’est pas de distinguer texte, image, mais de ce départir d’un point de vue dogmatique

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(texto-centré ou imago-centré) et convoquer des dynamiques exploratoires où l’un fait sortir l’autre de ses gonds. Ce qui compte alors ce sont les formes décrites par divers déplacements, remédiations plus que l’identité de l’un ou de l’autre.

Comment une image reconfigure un texte ? Comment un texte revisite une image ? Etc.L’humain a beau se définir comme être de langage, ou encore qui sait qui sait, il est avant tout, de par sa nature incarnée, une accommodation d’organes plus ou moins fonctionnelle. Un corps, donc, agissant comme opérateur sensori-moteur cadrant, tranchant dans le vif infini : l’image — ce fini vif— est son

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médium/produit naturel. Et c’est par acharnement qu’il en arrive au langage, c’est-à-dire un mélange de volonté et de chair, de torture et de torturé : un montage affecté.Le montage n’est pas effort de composition et pas vraiment de systématisation. En tous cas, sur le moment, a priori, il n’est pas vécue ainsi. Mais c’est plutôt une urgence et une indifférence (voire un rejet, un mépris) vis-à-vis d’un goût, d’une esthétique, d’un façon de faire, qui gouvernent tout montage.Bien sûr, a posteriori, on trouvera toujours des explications qui expliquent tout. Mais rien, en définitive, qui pourra rendre compte de l’expérience nouvelle qui a surgit, qui a vécue.

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CORPS MOURANT

Ce n’est pas que je le veuille, expressément, mourir... non... mais, tous les jours, je me sens rendre l’âme. Pas un peu plus chaque jour, comme si quelque chose s’entamait en moi, petit à petit, ça je m’en accommoderait avec plaisir ! mais, réellement, je meurs, entièrement.Et chaque matin je me rappelle que, la veille, je suis mort, alors continue, et s’épaissit, ce décalage entre moi et mon existence ; et s’ouvre cette étrange perspective où se contemple mes trépas successifs.

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On ne se sent vivre que par intermittence, c’est bien la terreur de la mort qui trace une ligne continu dans nos existences.

TRANSMETTRE LE POUVOIR

Appréhender l’Art d’un point de vue créateur c’est le devoir, bien plus le pouvoir, de chacun. Un poème ne donne pas envie de lire, un poème donne envie de faire des poèmes.Le problème de l’institution de l’art, c’est l’absence de transmission de pouvoir. Le problème c’est que l’on a s’est intériorisé le fait que l’Art (pareil pour le culturel, le social) soit

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considéré comme un élément extérieur, un condiment susceptible d’apporter un peu de sel dans la vie mais ne constituant en aucun cas le nerf de la guerre.Et c’est là que la méprise est grande. Car l’Art ne se vit que de l’intérieur (d’un point de vue créateur et cela même en tant que simple regardeur). Et le considérer comme activité plaisante, ou même sujet sérieux, ou encore enjeu de transaction, ce sera se placer en tant que consommateur et passer à côté d’une réelle expérience de l’Art.Car, à les entendre, il y a des recettes, il y a des modèles, des modes à suivre pour être artiste et savoir faire art. Le problème de l’histoire, la

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science, l’éducation c’est qu’elles ne fonctionnent qu’en généralisant là où, à propos de l’Art, il n’y a que de singulières expériences entraînant de nouvelles expérience singulières.

DES DÉCLINAISONS AURATIQUES OU DE LA DOUBLE INCARNATION HUMAINE

Il y a une incarnation seconde, artificielle, de notre propre fait.De ce textile, texte, tissu, de cette vie non-organique, de ces objets médiumniques, qui nous côtoient et qui sans cesse croissent nous pensions y déposer, y inscrire notre humaine

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expérience : transmettre l’intransmissible ou bien se figurer un semblant de salut. Mais aujourd’hui le doute domine : le texte, la technique ne sont-ce pas plutôt eux qui se repaissent de notre éphémère condition ?Revenons à la première occurrence de l’incarnation. Notion de théologie chrétienne oblige. Le Verbe se faisant chié se fait chair, dit-on. Dieu se faisant homme, on s’imagine. L’incarnation est vu comme un recul du spirituel — lumière décélérant, se faisant matière — d’où la condition damnée de l’homme ; mais aussi sa persistance (sa distribution, son économie) au sein de toutes choses terrestres d’où l’espérance humaine. Puis l’on en vient à un point de vue

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théologique inversé — et qui en cela reste une variation théologique —, qu’on qualifiera de phénoménologique. Ici la perspective change, on part du point vue d’un observateur incarné, reste le même système de distribution spirituelle qui doit, certes, être remonté à contre courant : mais pour autant s’agit-il d’une révolution (même s’il on parle d’exintentialisme, d’individuation, ou de différance) ou d’un nouvel œcuménisme ? Ainsi le problème que se soit de l’incarnation théologiquement ou phénoménologiquement interprétée est le même : elles se constituent un plan totalisant pour après-coup poser une coupe originelle. Et même, en cela, la phénoménologique semble plus simplette, ne

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sachant poser qu’une seule coupe, celle du point de vue humain, alors que la théologique pose une première coupe, celle du point de vue divin pour ensuite recouper avec celui du point de vue humain. TCHAC-TCHAC !

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