Itinéraire surdoué

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  • 7/27/2019 Itinraire surdou

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    Itinraire de l'adulte dou: une indicibledsolation intrieure

    De l'errance la rvlation

    Nous commencerons par voquer quelques aspects du chemin suivi par les adultes dous jusqu' larvlation de leur don intellectuel : leur parcours et son aboutissement.

    Il s'agit ensuite de guider l'explorateur aprs la dcouverte, peut-tre fortuite, de son don, dans descontres tout la fois inconnues et familires.

    Une indicible dsolation intrieure...

    Cet intitul qui paraissait s'imposer en la circonstance est un peu trop brutal, douloureux peut-tre

    entendre sans prcautions, mais il sera repris au cours de cet expos.

    Un tel sentiment de dsolation est impossible exprimer : il y a des moments o les mots, tous lesmots, mme les plus prcis, deviennent rducteurs. Comment raconter des interlocuteurs quiignorent absolument de quoi on leur parle cette impression d'tre ct ou mme en dehors de la vie normale que mnent les gens normaux sans se poser de questions ?

    Il est tellement tentant pour l'entourage de porter un diagnostic htif, tay par quelques notions depsychologie et de mdecine, notions largement dispenses par les medias, ce qui fait que tout lemonde pense possder au moins quelques ides sur le sujet.

    Difficult se lier ? Ce caractre un peu sauvage ferait penser des tendances schizodes...

    Difficult dialoguer, avec la sensation de se situer part ? Alors, c'est facile, il s'agit de tendancesd'allure un peu paranoaque...

    Tout cela se soigne trs bien : un bon psychiatre saura quels mdicaments prescrire pour que celuiqui souffre si bizarrement retrouve la joie de vivre, plus forte raison s'il n'a jamais connu de relle

    joie de vivre. Il serait temps qu'il gote aux plaisirs de l'existence : les copains, les joyeuses vires,les repas raffins ou les activits sportives, par exemple, qu'il est si agrable de pratiquer entre amis.

    Cette tristesse floue qui n'a pas de nom ni de visage, cette nostalgie d'un paradis qu'on n'a jamaisconnu, qu'on ne pourrait dcrire, relve simplement d'une dpression passagre, comme on dit dansla mto.

    C'est srement a, dit la jeune fille en pleurs, je dois faire une dprime... Avec ce mot passe-partout, qui semble enfin donner un nom l'impossible souhait, on imagine rsolue la plus grandepartie du problme.

    C'est cause de cette dprime qu'elle ne s'intresse pas aux mmes sujets que ses amies, queleurs distractions l'ennuient : elle est austre et trop srieuse parce qu'elle est dprime, ce sontdonc les sujets rbarbatifs qui lui plaisent, en accord avec son tat d'esprit. Elle n'a pas envie de rire.Il en va de mme pour ce jeune homme qui reste sombre en toute circonstance, sans que l'on sachetrs bien pourquoi.

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    Que dire des plaisanteries qu'ils tentent parfois et qui ne font pas rire les autres, mme s'ils seforcent charitablement ? Et que rajouter, quand cette plaisanterie qui leur a chapp, parce qu'elleleur est venue si rapidement l'esprit qu'ils n'ont pas eu le temps de la refouler, cette plaisanterie,assez drle finalement, ne fait rire personne et provoque, au contraire, un lger froid, comme uncourant d'air glacial s'insinuant brusquement dans une pice bien chauffe ?

    Faire des efforts

    Il faut faire un effort , disent les amis attentionns : il est bien difficile de faire un effort des heuresdurant pour couter des conversations ennuyeuses, pour rire poliment, pour tenter de dire quelquesmots appropris la situation. Si ces quelques mots traduisent un intrt, ils risquent aussi bien detrahir l'ignorance d'un sujet mille lieues des proccupations ordinaires. Dans ce cas, celui qui a faitun effort passe pour un imbcile, qui n'est pas au courant des dernires nouveauts, parce que tropdistrait et trop indiffrent, trop intellectuel peut-tre, ce qui est encore pire. S'il ne dit rien, il semblempriser les autres, qui parlent avec intrt d'un vnement, d'une mission de tlvision, d'unscandale financier. Se croirait-il suprieur ? Il en a l'air, en tout cas.

    Des efforts aussi coteux et aussi peu couronns de succs ne peuvent tre fournis trs longtemps :il est fastidieux de passer ses loisirs tenter dsesprment de ressembler des gensmanifestement si diffrents de soi, mais il est terrible de renoncer leur ressembler, parce qu'il n'y apas d'autre solution. C'est beaucoup trop angoissant de penser qu'on est seul de son espce,condamn errer sans fin dans un dsert affectif, en faisant semblant, quand on en a la force, deressembler aux autres, comme on se met un masque les jours de carnaval. Voil, c'est seulement aumoment du carnaval qu'on peut sortir, bien l'abri derrire un masque qui donne une apparenceautre, pour une fois justifie. Le dguisement est devenu licite.

    Une dsolation glace et discrte

    En fait, enfant ou adulte, l'individu dou a vite trouv parfaitement normal d'tre toujours un peu part, il sait qu'il y aura forcment des diffrences, plus ou moins apparentes, plus ou moinssupportables, mais il se retrouvera l'cart, de faon subtile, parfois mme il s'agira surtout d'uneimpression intrieure, moins vidente qu'il ne le pense. Cette dsolation glace reste discrte : lasolitude lui va bien et mme il n'existe pas d'autre tat qui lui convienne aussi bien. Les enfantsdisent avec naturel, comme si cela allait de soi J'ai des copains, mais je n'ai pas d'amis , et ilss'en contentent avec sagesse, puisque c'est leur lot. Ds la Maternelle, ils ont connu l'exprience dela solitude. Les parents racontent leur surprise quand ils s'aperoivent que leur enfant est tout seuldans la cour, au milieu des autres qui bavardent, rient et courent partout, mais il ne s'en plaint pasparticulirement, et les matresses prfrent ignorer ce problme, puisqu'il semble bien accept partous. Ces enfants rpondent par un regard sceptique quand on leur affirme que, plus tard, au seind'un groupe de semblables, ils trouveront tous les amis qu'ils voudront : ils souponnent une faon

    sournoise de les inciter aux bons rsultats scolaires sous le prtexte que, dots de bons diplmes, ilspourront choisir une profession o les dous abondent.

    Pourquoi semble-t-il si difficile de parler des adultes dous ? Il serait tentant de penser que l'galit agagn. Les enfants, dans leur innocence, ont le droit d'tre diffrents, puis tout doit rentrer dansl'ordre. Les adultes sont tous galement intelligents, avec des intelligences diverses et voil tout.Ceux qui se pensent diffrents sont de pauvres inadapts qui se cherchent des excuses.

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    Je me suis demand si les spcialistes n'avaient pas peur de parler des adultes, tout d'abord parcequ'il faut en parler aux adultes concerns, et on peut toujours craindre que ces auditeurs soient plusintelligents que l'orateur : on fantasme beaucoup au sujet de l'intelligence. La solution la plus facileconsiste se retrancher dans un jargon rserv quelques initis : les auditeurs ne comprennentrien, ils sont en infriorit, l'ordre est respect. Il est certainement plus facile de parler des enfants :les auditeurs adultes se reconnaissent parfois, mais ce sont de lointains souvenirs estomps et peut-

    tre transforms par la vie ; quant aux enfants, ils coutent ce qu'on dit leur propos, mais ils n'ontpas de grand recours, et puis ils ont tellement l'habitude d'entendre des commentaires bizarres leursujet qu'ils ne s'insurgent pas, ils rvent et laissent passer la caravane.

    Donc, on aurait peur de parler des personnes qui pourraient possder un sens critiqueparticulirement aiguis ; peut-tre croit-on qu'elles dvorent ceux qui les doivent... Il estvidemment plus facile pour des spcialistes de parler de leur domaine rserv quand il s'agit demaladie : un spcialiste de la migraine peut en parler de faon intressante et scientifique parce quec'est sa spcialit, il se tient au courant de toutes les dcouvertes sur le sujet et qu'importe alors s'iln'a jamais eu de migraine, il en connat les symptmes, la souffrance qu'elle provoque, et il saitmme comment on peut la soigner. Ses auditeurs migraineux l'coutent avec attention et esprentdcouvrir enfin un remde leur cauchemar. Mais le don intellectuel ne se soigne pas, alors quel estl'intrt d'aborder un sujet dont on n'a rien dire ? Si des adultes dous souffrent, c'est leur

    problme, qui n'a pas forcment de lien direct avec leur don, et il convient alors de soigner leursouffrance comme n'importe quelle manifestation d'un dsquilibre. On entend des thrapeutesparler de patients intelligents, certes, mais bien atteints par ailleurs, sans que leur intelligence ait unrle quelconque dans leur malaise.

    Je le rpte inlassablement : on ne comprend naturellement et sans effort que ce que l'on connatpar exprience personnelle, soit parce qu'on a vcu soi-mme une situation identique, soit parcequ'on a vu dans son entourage des personnes qu'on comprenait bien et dont on pouvait saisir lasouffrance.

    Il est vrai qu'il y a un confort la fois intellectuel et affectif se trouver dans la norme . Tousensemble, bien au chaud grce la sympathie que chacun prouve pour ses semblables, on peut

    considrer la vie d'un regard indulgent et apais. L'angoisse, propre chaque tre humain, se dilueun peu au sein d'un groupe chaleureux. Celui qui prfre se tenir l'cart risque, en effet, deressentir les assauts de cette angoisse dcupls par sa solitude : il n'a personne pour l'aider supporter cette vague touffante, mais il l'a bien voulu. Ce garon ignore cette fille, l, si gentille et si

    jolie, qui ne demandait pas mieux que de venir son secours, mais il lui a prfr une orgueilleusesolitude, sous le prtexte futile qu'il ne pouvait pas lui parler de ce qui lui tenait cur; il a privilgises propres discours, fumeux et ennuyeux, et il en paye le prix. Tout comme cette fille qui ne cessede pleurer, qui envie ses amies aux multiples aventures amoureuses, qui soupire on ne sait aprsquoi et qui se dessche, seule et amre, alors qu'elle aurait pu facilement trouver un soupirant,surtout si elle consentait parler comme tout le monde, au lieu de profrer des ides un peu troporiginales, effrayantes parfois. Elle ne se rend pas compte qu'elle fait peur aux hommes ; finalement,elle doit tre un peu idiote... mais bien attirante tout de mme.

    On ne devient pas normal impunment

    Toutes ces descriptions, souvent nonces sous forme de reproche amical , ne correspondentpas ce que ressent l'individu solitaire, quand il se voit parmi les autres, la fois semblable etdiffrent, mais d'une diffrence impalpable, impossible dcrire : elle le renvoie sa solitude, quisemble bien tre le refuge et le recours ternels et invitables.

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    Les tentatives pour sortir de ce refuge-l, finalement peu hospitalier, mme s'il est sr, se soldentsouvent par des checs : on risque au mieux l'incomprhension, au pire les moqueries, et surtout onrisque gros, parce que l'image de soi va tre encore un peu plus entame, et cette imageintriorise, c'est tout ce qui reste aprs ces plonges angoissantes dans un univers qui necomprend pas.

    Cet univers est totalement imprgn par la notion de norme, cette norme dont on parle avec tant deplaisir Moi, je suis normal ! entend-on, alors que ce n'est peut-tre pas toujours si gai d'tredans la norme. On ignore les tincelles de la pense, les ides folles, mais sources de crations,plutt rares quand on se tient dans la stricte norme. On peut toujours penser que ceux qui s'affirmentavec tant de vhmence dans la norme tiennent plus que d'autres cacher le sentiment obscur quiles tourmente et qui leur suggre qu'ils ne sont justement pas tout fait dans la norme, mais la vieest plus facile ainsi ; ce serait un dguisement risquant de finir par faire partie de la personne elle-mme, qui ne pourrait plus s'en dfaire, parce que ce vtement d'emprunt lui sert non seulementd'armure, mais aussi d'armature : on le lui enlve et elle s'effondre, comme les gracieuses femmesgirafes quand on les prive de leurs colliers. La rigidit ainsi acquise est aussi une sauvegarde. Il y apeu, j'ai entendu dans une mission de radio Boris Cyrulnik citer avec jubilation Cioran : On nedevient pas normal impunment.

    D'ailleurs, bien y rflchir, cette norme reste une ide abstraite, comme la moyenne , qui neveut rien dire et ne correspond aucune ralit. L'ennui de cette notion, c'est qu'elle entrane sasuite celle d'anormal, et on a tt fait de mettre dans cette catgorie tout ce qui semble un peucurieux, tonnant, singulier dans le sens d'opposition pluriel : soit on est seul de sa catgorie,soit il y a beaucoup de monde.

    Don pathologique ou symptme ?

    De faux sens en faux sens et d'altration du sens en glissement, on en arrive ainsi suggrer auxparents d'un enfant prsentant de graves troubles du comportement qu'il doit tre surdou ,

    puisqu'on sait bien que les enfants surdous manifestent toutes sortes d'anomalies dans leurcomportement. Les parents qui prfrent retarder le plus longtemps possible un diagnosticangoissant s'accrochent dsesprment cette ide, cherchant le spcialiste qui va les rassurer etleur indiquer la voie suivre.

    Croyez bien qu'il est trs pnible de leur rvler la vrit, dtruisant les illusions apaisantes qu'ilsentretenaient de plus en plus difficilement, volontairement aveugles la blessante vrit.

    On se plat d'ailleurs dire que les enfants dous sont, plus que les autres, sujets des troublesmentaux, affirmation qui trouve un regain de succs en troite relation avec la mdiatisation plusgrande de la notion d'enfants surdous ou prcoces, ou bien on affirme que les enfants dousn'existent pas Je n'y crois pas ! ; ils seraient seulement le reflet du dsir ou de la pathologiede leurs parents. Pour certains de ces enfants, peut-on parler de symptme et, si tel est le cas,

    quelle en est l'adresse ? entend-on dire propos d'une population dite de surdous . Onimagine alors comment seraient considrs des adultes qui persisteraient se croire dots decapacits intellectuelles un peu plus leves que cette fameuse moyenne.

    Ambigut

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    L encore, on en arrive une ambigut dlicate cerner. D'une part, les personnesintellectuellement doues ont plutt tendance discerner leurs faiblesses avec une implacablelucidit qui leur interdit de se croire plus doues que d'autres, je ne cesse de le rpter, mais cesparoles s'effacent au premier accroc : on ne sait pas qu'on est intelligent, et on trouve toujours detrs bonnes raisons pour expliquer la vlocit de l'esprit et l 'originalit de la pense. D'autre part, cesmmes personnes doues semblent se placer dlibrment l'cart des autres, elles recherchent

    des interlocuteurs particuliers, elles disent des choses incomprhensibles, peut-tre ont-elles toutsimplement prfr prolonger l'esprit de leur enfance quand toutes les fantaisies imaginatives taientconsidres avec indulgence. Cette diffrence ne serait alors qu'un tat infantile indmentreconduit l'ge adulte. On sait que le prtexte le plus souvent allgu par les matresses pourrefuser un saut de classe est ce fameux manque de maturit ; alors, pourquoi une telleprdisposition l'infantilisme ne se poursuivrait-elle pas l'ge adulte ?

    Le terme de prcoce, si souvent employ, comporte un effet pervers, que je dnonce chaque foisque je le peux, puisqu'il laisse entendre qu'un enfant, certes un peu en avance par rapport sescamarades, va rentrer dans le rang ds qu'il aura grandi, et l'ordre rgnera. L'adulte qui s'entte seconsidrer comme dou serait peut-tre mme plutt retard.

    Combien d'adultes viennent expliquer cette sensation d'inadaptation, vcue comme un handicaplourd et non comme un atout d'une richesse incomparable ? Ils donnent trs souvent l'impression dene pas habiter entirement en eux-mmes, comme s'il y avait une terre inconnue , terra incognitamarque en pointills sur une carte, parce qu'on se doute qu'il existe quelque chose par l, mais onne sait pas trs bien quoi.

    D'ailleurs, il suffit parfois de quelques entretiens pour que les relations s'amliorent entre celui qui seconnat pourtant encore si mal et son entourage proche. Mme adulte, on reste toujours l'enfant deses parents, le petit frre ou la grande sur de la famille, mais, ds qu'on commence se voir soi -mme diffremment, les autres peroivent ce changement et ragissent aussitt, d'autant plusrapidement que cette transformation a t profonde, chappant mme la matrise de celui qui secherche depuis si longtemps.

    Quand, la faveur d'un article, d'une mission, d'une conversation, ces adultes dont l'image estbrouille leurs propres yeux pensent trouver un indice qui les clairerait sur leur identit, ilsentrevoient une lueur lointaine, presque trop lointaine pour qu'ils la croient relle. Elle pourrait n'trequ'une illusion de plus, l'image des amitis qu'ils avaient crues sincres, sans parler des amours,trop souvent dcevantes. Leurs lans passionns leur ont laiss un souvenir cuisant qui les blesseencore des annes plus tard. Alors, cette lueur jetant une lumire nouvelle sur leur me doit treconsidre avec prudence, circonspection, sans emballement, les dconvenues sont trop amres etlaissent un got cre qui persiste longtemps.

    La reconnaissance ?

    Il leur est difficile de croire que le portrait d'un adulte brillant, souvent vainqueur grce son habilet, son nergie, son rayonnement puisse leur convenir ; pourtant, quand ils dcouvrent l'histoire deces adultes, qui ont t des enfants dous reconnus ou non, ils se retrouvent comme cela ne leurtait jamais arriv auparavant. C'est une rvlation qui dclenche une motion profonde,bouleversante, les obligeant revenir sur eux-mmes, cette fois sans trop d'apprhension, pour bienvrifier si tout concorde. Jusque-l, il tait plus prudent d'viter ces retours sur soi : la peur de sedcouvrir une maladie mentale incurable, dgnrative peut-tre, pensaient-ils dans les momentsd'accablement, cette peur tait trop forte, elle bloquait toute vellit d'introspection. Cette fois, la

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    piste qui s'ouvre paratrait plus prometteuse, elle laisse entrevoir l'ventualit d'une explication qui,pour une fois, ne sera pas dvalorisante ni trop affligeante.

    Combien d'adultes ai-je vus qui racontaient des histoires d'orientation scolaire trop rapide dans desvoies sans issues, des verdicts sans appel qui les laissaient dmunis, privs de toute dfense,puisqu'ils taient considrs pratiquement comme irrcuprables cause de leur esprit bizarre,

    impossible discipliner, si peu scolaire ?

    Dans ce dsert infini reste parfois l'image d'un professeur, un seul professeur, qui semblaitmanifester une tendresse particulire pour cet lve diffrent, qui le comprenait si bien, un peucomme si lui aussi avait travers les mmes contres arides. C'est un souvenir fugitif, enfoui, dont latrace persiste bien longtemps, avec un enttement surprenant, comme un signal qu'on ne doit pasoublier, mme si on le nglige quelque temps, la manire d'un signet marquant le passageimportant d'un livre. On ne relit pas ce livre, mais on sait qu'il y a l une page essentielle. Lareconnaissance de ce professeur a t vitale : rconfortante sur le moment, apaisante dans lammoire les jours de grande dtresse.

    Il n'y a pas toujours eu ce professeur miraculeux, mais il y a souvent eu quelqu'un qui a su

    reconnatre le don intellectuel. C'tait une fentre qui s'ouvrait sur des chappes rconfortantes.Puis cette fentre s'est referme, le rideau a t tir et on a oubli cet oxygne, mais il a accomplison rle rparateur.

    Oxygne

    Dans les lettres que je reois, cette ide d'touffement revient trs souvent : on me parle de bouffesd'oxygne, de soulagement aprs qu'un carcan s'est desserr la lecture de quelques phrases, derespiration devenue plus ample, plus assure.

    Trs simplement, on me dit que la vie a chang, et on m'en remercie, sans autres commentaires...

    Cette rvlation, qui semble alors brutale et inattendue, tait toute prte apparatre pour tre aussirapidement comprise et pour que ses effets soient aussi spectaculaires. Les quelques phrases luesparfois par hasard ont seulement servi de rvlateur l'aboutissement d'une qute entame desannes auparavant, quand l'indicible dsolation semblait s'installer comme chez elle.

    Au travers de tout ce qui est dit, il apparat bien que l'lment le plus important, l'essentiel del'individu est l'image qu'il a de lui-mme, et cette image a subi bien des avatars depuis le jour o lepetit enfant a commenc prendre conscience qu'il existait comme un tout bien dfini.

    Quand les enfants lisent un compte-rendu d'examen psychologique qui les dcrit comme ils sont enralit, ils en prouvent un soulagement incommensurable : ils se croyaient fous, idiots, anormauxdans le sens le plus affreux du terme, et ils dcouvrent qu'ils possdent une finesse d'esprit rare et

    prcieuse, qu'ils savent user d'une imagination tourdissante et qu'ils peuvent se permettre de rverd'un avenir empli de promesses, puisque leurs capacits leur permettront la ralisation de toutes lesambitions. L'image effiloche qu'ils avaient d'eux-mmes se trouve comme par miracle rpare etmme, plaisir insigne, particulirement tincelante.

    Les adultes qui n'ont pas connu ce rconfort gardent tant bien que mal une image d'eux-mmes unpeu dfaite, avec des trous d'ombre, des manques, des vides, comme un puzzle dont on auraitgar quelques pices. Si ces pices occupent des emplacements clefs, l'image ne sera jamaissatisfaisante, et les manques apparatront avec vidence, mme aux yeux d'un observateur peu

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    attentif. Alors, que dire du porteur de cette image amoindrie, ampute, mais dont on ne sait de quellepartie ? Elle est incomplte, et personne ne peut dire clairement quelle est la partie manquante : cevide n'a pas de nom, pas d'existence peut-tre, puisque c'est un vide.

    Longtemps, ceux qui ont connu ce dsarroi ont cru qu'ils devaient, leur vie durant, cheminerpniblement sans jamais se dfaire de cette sensation confuse, mais douloureuse, oppressante et

    lourde, trs lourde ; ils tentaient alors de s'accommoder tant bien que mal de cet inconfort. Et puis,presque par hasard mais y a-t-il un hasard pur ? , ils ont lu quelques lignes ou parl avecquelqu'un qui semblait les comprendre car il avait, lui aussi, pein sur un chemin chaotique etcaillouteux, et une lumire tait apparue : il y avait une rponse possible ces mille questions qu'ilsauraient aim se poser clairement, mais les mots leur avaient toujours manqu pour formuler cetindicible.

    La panace si volontiers envisage, la thrapie, ne procure pas toujours le rconfort attendu. Il est sifacile de trouver une bonne raison pour justifier tous les malaises. Parfois, il est prfrable de menersa propre route. Ceux qui sont dtermins, qui ont connu des priodes de souffrance intense et desdifficults de tous ordres en conservant tout de mme une nergie vitale qui leur a permis desurvivre, ceux-l savent bnficier des minuscules prises qui leur permettent d'avancer chaque foisun peu plus. Comme ces alpinistes qui trouvent les plus petites failles pour s'y glisser et y prendreappui, ces adultes fatigus, mais anims par un espoir ttu, avancent en utilisant quelques motsentendus par hasard, un texte lu en passant, une histoire qui ressemble la leur et qui finit bien. Il ya des contes de fes qui se frayent un passage jusqu' la ralit. Il suffit parfois d'un infime lan,dont l'auteur n'a peut-tre mme pas eu conscience de l'importance, pour que celui qui est larecherche de lui-mme trouve un nouveau souffle et parte dans la direction que ces minusculesindices lui ont indique.

    Arielle ADDA. Lyon, 25 octobre 2003.Texte reproduit avec l'autorisation d'Arielle ADDA, qui en conserve tous les droit