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120 JOINT F ESCTER/PCTR 120 JOINT 16 F Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN SOUS-COMMISSION SUR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES TRANSATLANTIQUES (ESCTER) ET SOUS-COMMISSION SUR LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES (PCTR) RAPPORT DE MISSION WASHINGTON, D.C. ET CHICAGO, ÉTATS-UNIS 0

Joint GNIC/ESC visit to Georgia · Web viewAlors que l'OTAN est confrontée à des défis importants sur ses flancs Sud et Est, l'Europe et l'Amérique du Nord doivent mettre à profit

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120 JOINT F

ESCTER/PCTR120 JOINT 16 FOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

SOUS-COMMISSIONSUR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES

TRANSATLANTIQUES (ESCTER)ET SOUS-COMMISSION

SUR LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES(PCTR)

RAPPORT DE MISSION

WASHINGTON, D.C. ET CHICAGO, ÉTATS-UNIS

9 - 13 MAI 2016

www.nato-pa.int 9 juin 2016

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Ce rapport de mission est présenté à titre d’information uniquement et ne représente pas nécessairement le point de vue officiel de l’Assemblée. Il a été rédigé par Paul Cook, directeur de commission de l’économie et de la sécurité (ESC) et Steffen Sachs, directeur de la commission politique (PC).

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I. OTAN : VERS LE SOMMET DE VARSOVIE

1. Alors que l'OTAN est confrontée à des défis importants sur ses flancs Sud et Est, l'Europe et l'Amérique du Nord doivent mettre à profit le sommet de Varsovie pour démontrer leur solidarité et la convergence de leurs objectifs, ont déclaré en substance John Heffern, premier sous-secrétaire d'État adjoint aux affaires européennes et eurasiatiques, James J. Townsend, secrétaire d'État adjoint à la défense pour l'OTAN et l'Europe, et plusieurs analystes indépendants, aux membres de la délégation de parlementaires de l'OTAN en visite du 9 au 13 mai à Washington et à Chicago. La délégation, qui comptait des membres de la sous-commission sur les relations transatlantiques et de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques, était conduite par Øyvind Halleraker (Norvège) et Menno Knip (Pays-Bas).

2. Il est essentiel que les Alliés mettent leurs capacités à niveau et renforcent leur dispositif de dissuasion pour faire pièce au travail de sape mené par la Russie contre la sécurité en Europe orientale, a déclaré M. Heffern aux parlementaires de 14 États membres de l'OTAN. L'administration américaine attache une grande importance à son partenariat avec une Union européenne forte a-t-il ajouté, et s'attend à ce qu'elle reconduise ses sanctions contre la Russie eu égard au soutien accordé par Moscou aux forces séparatistes en Ukraine. S'adressant aux membres de la délégation, M. Heffern a déclaré que le niveau de menace auquel étaient confrontés les pays alliés n'avait jamais été aussi élevé depuis les 25 dernières années. Il a ajouté que la Russie menaçait les États situés en première ligne par une série de mesures actives dont des actions de propagande et de désinformation à tous les niveaux. Il a ensuite souligné qu'au regard de la situation actuelle, il convenait d'entretenir des liens étroits de coopération et de solidarité, ajoutant que c'est l'une des raisons pour laquelle l'administration américaine appelle le Royaume-Uni à rester une nation forte, au sein d'une Union européenne forte, à son tour partenaire important des États-Unis.

3. M. Heffern et M. Townsend ont évoqué l'Initiative de réassurance européenne, qui témoigne de l'engagement des États-Unis envers l'Alliance dans le contexte sécuritaire d'aujourd'hui. L'administration Obama a ordonné que soient multipliés par quatre les fonds consacrés à cette initiative de renforcement de la paix et de la sécurité en Europe, ce qui donnera un poids supplémentaire à l’engagement des États-Unis en faveur de l'intégrité territoriale de l'ensemble de ses alliés européens par le renforcement de la présence militaire terrestre, maritime et aérienne des États-Unis en Europe centrale et orientale.

4. Michael Turner, membre du Congrès, président de l'AP-OTAN, et chef de la délégation des États-Unis, s'est fait l'écho de ce point de vue. Il a souligné qu'il restait lui aussi attaché à une politique d'ouverture, qu'il était un ferme partisan de l'adhésion de la ex-République yougoslave de Macédoine* et qu'il soutenait la perspective d'un plan d'action pour l'adhésion en Géorgie. Il a souligné que l'Ukraine bénéficiait d'un solide soutien au Congrès et que des membres de cette assemblée s'étaient mobilisés pour soutenir ses efforts de défense par des livraisons d'armes. Lors d'une intervention à la Bibliothèque du Congrès, M. Turner a indiqué que certains congressistes avaient fait part de leurs préoccupations concernant la proposition de budget de l'administration Obama, ce qui avait ralenti les travaux législatifs en vue d'une adoption. Le Congrès a toutefois autorisé l'augmentation des fonds alloués à l'Initiative de réassurance européenne mais le budget dans son ensemble n'a pas encore été approuvé a-t-il ajouté, rappelant que la politique intérieure des États-Unis devrait connaître des bouleversements cette année. Enfin, M. Turner a lui aussi fait valoir que l'Europe doit redoubler d'efforts pour atteindre les objectifs budgétaires fixés lors du sommet du pays de Galles et développer à terme la capacité de se défendre seule.

5. Des responsables de l'administration Obama et des analystes ont déclaré à plusieurs reprises aux membres de la délégation que les dirigeants et les citoyens américains étaient

* La Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel.

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mécontents du niveau limité des contributions européennes à la défense collective. S'ils reconnaissent que plusieurs Alliés ont augmenté leurs investissements de défense, certains responsables du département d'État et du département de la Défense soulignent qu'il convient d'en faire davantage pour que l'OTAN puisse faire face aux menaces grandissantes qui viennent de l'Est et du Sud. M. Townsend a rappelé que les parlements jouent un rôle essentiel dans l'adoption des budgets de défense nationale, et que leur soutien est par conséquent primordial. L'Europe a en effet besoin de ses capacités militaires pour donner forme à son périmètre de sécurité mais son niveau actuel de dépenses et de puissance militaires ne lui donne pas les moyens de résister à la pression extérieure. Le sommet de Varsovie devra se donner pour principal objectif de reconstituer les capacités perdues depuis une vingtaine d'années, a insisté M. Townsend, car l'Alliance a rarement fait face à un éventail de menaces aussi large sur des fronts aussi nombreux, et pour répondre à ces menaces, il faudra des capacités et des ressources bien plus importantes que celles qui sont actuellement disponibles. La résolution de ce problème passe non seulement par une augmentation des dépenses de défense mais aussi par une communication à l'échelle de l'ensemble de la société sur les questions de sécurité.

6. Franklin D. Kramer, membre émérite, Brent Scowcroft Center on International Security du Conseil Atlantique des États-Unis, estime que le sommet du pays de Galles n'est qu'un point de départ car il faudra des années pour que les membres de l'OTAN mettent en œuvre les ajustements requis. La nature de la menace a en effet complètement changé a-t-il déclaré, et il sera difficile de mettre en place les changements nécessaires dans le secteur de la défense. L'Alliance devra améliorer son renseignement, renforcer ses défenses avancées dans les États baltes, et développer de nouvelles capacités de renforcement. Elle devra également s'adapter à une menace hybride multiforme, complexe, et non traditionnelle. Il est par ailleurs souhaitable d'envoyer des équipes d'appui dans les pays confrontés à cette menace pour renforcer la résilience. Les télécommunications nationales et les réseaux électriques sont en outre vulnérables aux cyber-attaques et les Alliés ne devraient pas considérer la défense de ces systèmes vitaux comme relevant d'une responsabilité purement nationale car il est militairement essentiel que ces réseaux restent opérationnels en cas d'attaque classique ou hybride.

7. Au cours du séjour de la délégation aux États-Unis, plusieurs intervenants ont souligné la nécessité d'améliorer la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne. Magnus Nordenman, du Conseil Atlantique des États-Unis, a ainsi fait valoir que les deux organisations devaient s'accorder sur une division des tâches aux termes de laquelle l'OTAN assumerait des missions militaires de haut niveau tandis que l'UE serait chargée de traiter les questions de moindre importance liées à la sécurité. Il est essentiel d'approfondir radicalement la consultation entre les deux organisations afin de rationaliser la répartition des tâches a-t-il déclaré, et cela est d'autant plus crucial que les ressources communes de l'OTAN et de l'UE sont limitées.

8. Pour M. Nordenman, le volet maritime du dispositif de sécurité de l'OTAN a souvent été sous-estimé. Ces 15 dernières années, l'Alliance a privilégié les forces de paix au sol, mais les choses sont en train de changer. Les frictions se sont multipliées en haute mer, des appareils russes ayant survolé par provocation les forces navales occidentales. La haute mer est devenue une zone où s'expriment les rivalités, de l'Arctique à la mer Noire, et il est important que l'OTAN dispose des forces et de la doctrine appropriées pour faire face à ces enjeux d'importance. M. Nordenman a déclaré qu'il serait utile à cet égard d'élaborer des cadres maritimes régionaux, ce qui permettrait de renouveler les méthodes de travail avec les principaux pays partenaires qui partagent les préoccupations de l'OTAN. Ces cadres sont très utiles pour les exercices d'entraînement, les patrouilles conjointes et les opérations de recherche et de sauvetage. M. Nordenman a également recommandé d'établir des regroupements en matière de développement des capacités maritimes afin d'améliorer l'efficacité budgétaire.

9. Ivo Daalder, président du Conseil de Chicago sur les affaires mondiales et ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l'OTAN, a fait écho à ces préoccupations dans l'exposé présenté à la délégation à Chicago. Il a notamment évoqué la nécessité pour l'OTAN de conclure

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un accord sur les actions engagées vis-à-vis de la Russie ainsi que sur la manière de relever les défis majeurs qui se posent au Moyen-Orient tout en veillant à ce que le consensus politique des Alliés ne soit pas ébranlé par les tensions entre les pays plus axés sur la situation en Russie et ceux préoccupés davantage par la situation dans le Sud. Il s'est par ailleurs dit profondément préoccupé par le fait que certains considèrent l'OTAN comme impuissante à améliorer les perspectives de sécurité dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MOAN), sentiment qui affaiblit de fait la solidarité allié. Il a suggéré que l'ordre du jour du sommet de Varsovie place l'adoption d'une stratégie plus ambitieuse face aux défis de la région au centre des débats. Il a également invité les parlementaires à communiquer activement sur cette question et sur d'autres, liées à la sécurité, avec leurs électeurs afin de sensibiliser le public et l'aider à mieux appréhender les enjeux.

10. M. Daalder a recommandé que l'OTAN joue un rôle central pour faire face au retour d'une Russie revancharde, notamment par l'instauration d'un dispositif de déclenchement dans l'Est. Il estime par ailleurs que, compte tenu de la nature de la menace russe, l'OTAN devra peut-être revenir sur son engagement unilatéral de ne pas stationner de forces permanentes dans certaines régions d'Europe orientale. Priorité doit désormais être accordée à la dissuasion et à la réassurance. La décision d'acheminer l'équipement de déploiement nécessaire à une division de combat représente une bonne première étape. Il faudra aussi relever le défi d'un Moyen-Orient de plus en plus chaotique et surmonter les divisions qui séparent les nations occidentales. Pour M. Daalder, ce défi est peut-être le plus difficile à relever car c'est le plus grave auquel les pays de l'OTAN sont confrontés. Une dissuasion efficace suppose l'unité de tous les Alliés et la détermination d'établir une présence réelle dans les régions les plus vulnérables à l'influence russe. M. Daalder pense que le sommet de Varsovie servira cet objectif dans les régions de l'Est de l'Alliance mais il est se dit préoccupé par les régions du Sud, où il y a une moins grande unité de vues face aux buts à atteindre. C'est là que réside le plus grand défi que les chefs de gouvernement devront relever à Varsovie.

11. M. Daalder a rappelé que la mission de l'OTAN était axée sur la réassurance et la dissuasion et que les Alliés devaient prendre les mesures nécessaires pour renforcer la capacité alliée de dissuasion. À cet égard, il a invité les parlementaires à débattre activement avec leurs électeurs de la nature de la menace et de la nécessité de mobiliser les ressources nécessaires pour y faire face. Il estime également que la situation de sécurité s'est tellement dégradée, que l'UE et l'OTAN ne peuvent plus rester dans la demi-mesure et qu'elles doivent coopérer pleinement. Il considère qu'il est absurde que les ambassadeurs nationaux auprès de l'UE et de l'OTAN communiquent à peine les uns avec les autres alors qu'ils habitent tous à Bruxelles mais vivent dans des mondes différents, et a regretté que les ministres des affaires étrangères abordent des thèmes différents selon qu'ils s'adressent à l'UE ou à l'OTAN. Il a enfin déclaré qu'il était nécessaire que les deux organisations se répartissent les tâches de façon appropriée et ce, tout en reconnaissant que l’engagement des États-Unis conférera à toute opération plus de moyens et plus de crédibilité.

II. FAIRE FACE À LA FRAGMENTATION DE LA RÉGION MOAN

12. La situation sur le flanc Sud de l'OTAN est particulièrement complexe et on voit mal quel rôle pourrait jouer l'Alliance, et si elle devrait même intervenir. Plusieurs intervenants, dont Christopher Chivvis, professeur adjoint d'études européennes à l'École Paul H. Nitze des hautes études internationales (SAIS) et directeur associé du Centre pour la sécurité internationale et la politique de défense de la Rand Corporation, estiment qu'il est très difficile de définir une stratégie de l'OTAN pour le Sud. Les partenariats noués par l'OTAN avec les pays de la région ont eu un impact limité, et ce alors même que les menaces à la sécurité se multipliaient. Le défi est maintenant de trouver un moyen de renforcer ces partenariats. Et comme la sécurité régionale se détériore, l'OTAN peut difficilement se permettre de rester sur la touche, a souligné M Chivvis. Lors d'une intervention au département d'État, M. Heffern a par ailleurs souligné que l'administration américaine ne prévoyait pas de solution militaire au conflit syrien, mais qu'il faudra

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peut-être se résoudre à exercer une pression militaire pour parvenir à une solution politique.

13. M. Chivvis a déclaré devant les membres de la délégation que la détérioration de la sécurité dans certaines zones de la Méditerranée et du Moyen-Orient représentait pour les Alliés un risque bien plus alarmant que le problème russe. La nature de la menace russe est en effet relativement bien identifiée, de même que la réponse qu'elle appelle, ce qui n'est pas le cas pour les problèmes de sécurité multiformes auxquels la Communauté internationale est confrontée dans la région MOAN. Les citoyens occidentaux sont quant à eux de plus en plus préoccupés par la situation dans cette région, les problèmes posés par la Russie passant même au second plan. L'OTAN a cependant un rôle moins bien défini dans cette région, qui représente pourtant une menace multiple et très complexe. Si les Alliés reconnaissent généralement la nature de la menace en Europe orientale et savent précisément ce qu'il convient de mettre en œuvre pour y faire face, il n'existe pas de prescriptions politiques claires pour la région MOAN, ce qui devrait en soi être une source de préoccupation, a déclaré M.  Chivvis.

14. M. Townsend a convenu que l'OTAN devait se consacrer davantage à la situation dans le Sud, mais il faut reconnaître a-t-il dit, que les habitants de la région devront à terme mener eux-mêmes les opérations au sol nécessaires. C'est leur territoire, leur pays, et ce sont leurs maisons, et l'OTAN serait probablement bien avisée de se concentrer sur les activités de formation, sur le soutien aérien et sur le soutien au renseignement. M. Townsend a également averti que l'Alliance ne pouvait tolérer de divisions entre les Alliés selon qu'ils sont plus axés sur les problèmes émanant de l'Est ou du Sud. L'OTAN doit préserver une sécurité avec une vision à 360 degrés et la solidarité est essentielle à son bon fonctionnement. Comme d'autres, M. Townsend a insisté sur le fait que l'UE doit collaborer de façon plus étroite avec l'Alliance sur ces questions essentielles de sécurité et a déclaré que deux institutions n'avaient aucun intérêt à entretenir des relations de concurrence ou à opérer sans coordination appropriée.

15. La situation sur le flanc Sud, notamment avec la difficile situation des réfugiés, risque d'avoir plus de répercussions sur la vie quotidienne de nombreux citoyens des pays alliés. La crise migratoire en Europe est en effet devenue si grave qu'elle entraîne une refonte politique dans de nombreux pays alliés, ce qui pourrait également influer sur la façon dont l'OTAN elle-même élabore et formule sa politique de sécurité.

16. La démarche adoptée par l'OTAN dans la région, a déclaré M. Townsend, se fonde sur le Dialogue méditerranéen et l'Initiative de coopération d'Istanbul. Mais au-delà de l'appui de l'OTAN aux opérations en Libye, et d'un important programme conjoint de formation et d'exercices, les partenariats n'ont eu que peu de retombées concrètes. Les relations politiques avec les pays de la zone restent souvent problématiques, et la région dans son ensemble est traversée de tensions politiques internes et déchirée par des conflits ouverts. Et comme si la situation n'était pas encore assez difficile, l'OTAN n'est pas parvenue à s'accorder sur la façon de gérer la situation dans la région ou ne serait-ce que sur la pertinence d'y jouer un rôle majeur.

17. La Russie est un dénominateur commun qui influence la situation aussi bien à l'Est qu'au Sud. En Syrie, la Russie est préoccupée par Daech mais son objectif principal est de soutenir le régime d'Assad et de protéger ses intérêts dans la région. Elle cherche également à compliquer l'action de l'OTAN pour démontrer que l'Alliance atlantique est faible et divisée. Quoi qu'il en soit, c'est un acteur incontournable de toute résolution en Syrie et plus largement dans la région. L'Égypte, qui partage les préoccupations des pays occidentaux concernant l'évolution de la situation en Libye, où Daech est de plus en plus fortement implanté, devra sans doute être, elle aussi, associée à la résolution du problème.

18. M. Chivvis et M. Daalder estiment que les membres de l'OTAN doivent absolument se persuader qu'ils peuvent contribuer de façon positive à la sécurité dans la région MOAN. M. Chivvis estime que l'OTAN doit collaborer de façon plus étroite avec l'Union africaine et le Conseil de coopération du Golfe afin de les faire profiter de son expérience concernant la gestion

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de coalitions et opérations complexes de maintien de la sécurité, dans la perspective d'une future coopération opérationnelle. M. Daalder et M. Chivvis pensent que l'OTAN pourrait servir de pôle d'échange de renseignement contre Daech et que la collaboration sera bien plus étroite avec l'Union européenne sur ce front particulier. Il conviendrait également que l'OTAN renforce le soutien qu'elle accorde à la Tunisie tant au regard des progrès réalisés dans la construction d'une société démocratique que des vulnérabilités persistantes qui menacent cette réussite. Enfin, les gouvernements alliés ne devraient pas exclure l'idée que l'OTAN puisse jouer un rôle beaucoup plus actif pour affronter Daech. M. Chivvis a souligné qu'il serait très utile à cet égard d'approfondir la coopération entre l'OTAN et l'UE. Chacune des deux organisations disposant d'atouts importants mais différents pour garantir la stabilité dans le Sud, il serait malvenu que le dialogue entre les deux organisations soit limité du fait de questions diplomatiques en suspens.

19. Les membres de la délégation se sont également entretenus avec Michele Dunne, directrice et associée principale du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Elle a évoqué le choc que représente la crise des migrants/réfugiés pour l'ensemble de la région. Elle a rappelé que le Moyen-Orient a un long passé de troubles et de guerres civiles mais que jamais autant de pays ne s'étaient retrouvés ensemble dans la tourmente. Le nombre de réfugiés témoigne d'ailleurs des souffrances engendrées par la situation : 9 millions de Syriens, 2,5 millions de Yéménites et 0,5 million de Libyens ont dû quitter leur maison. L'année dernière en Égypte, pays pourtant relativement paisible, 3 000 personnes ont été tuées. Et à Gaza, 2 000 personnes ont été tuées pendant la guerre avec Israël, dont deux tiers de civils.

20. Tout cela se produit à un moment où les États-Unis manifestent une baisse d'intérêt pour la région, notamment en raison de leurs déboires en Iraq et en Afghanistan, et bien qu'ils aient à subir, ainsi que l'Europe, les conséquences de cette instabilité. L'autre source de frustration est que les États avec lesquels la communauté internationale doit établir des partenariats portent eux-mêmes une part de responsabilité dans le déclenchement de l'instabilité. La Tunisie est l'un des rares pays qui semble n'avoir rien à se reprocher et la Fondation Carnegie a mis en place un important projet de collaboration avec ce pays intitulé Entre péril et promesse – un nouveau cadre de partenariat. La Tunisie a beaucoup progressé sur la voie des réformes institutionnelles tout en respectant la démocratie, mais elle est confrontée à des menaces tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières, et a besoin du soutien international pour pérenniser son expérience démocratique.

21. Mme Dunne a souligné que les conflits avaient changé de nature, les belligérants sont désormais souvent des acteurs sub-étatiques fondamentalistes comme Daech. Il y a des raisons sous-jacentes à cette évolution. Le Moyen-Orient se caractérise par sa population très jeune, souvent plus turbulente. Pour canaliser cette énergie, il faudrait des perspectives d'emploi, lesquelles sont inexistantes, en grande partie pour des raisons de mauvaise gouvernance, ce qui entraîne frustration et aliénation politique. Daech a par ailleurs su tirer parti du fait que l'invasion américaine en Irak a entraîné une modification profonde de l'équilibre des forces dans la région, qui continue de se répercuter dans le Golfe. La rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite est par ailleurs entrée dans une nouvelle phase. L'Iran a profité d'un moment de distraction de l'Arabie saoudite pour s'engager dans le conflit au Yémen. Les Saoudiens gagnent maintenant du terrain, ce qui a encore envenimé les conflits confessionnels dans toute la région. Ce serait pourtant une erreur de réduire les événements dans la région à une rivalité confessionnelle car les variations des prix de l'énergie sont également un facteur de trouble. Depuis des décennies, l'Arabie saoudite est en effet dépendante de ses exportations de pétrole et a négligé de grands pans de son économie, ce qui la place dans une situation de relative faiblesse.

22. Vali R. Nasr, doyen de l'École des hautes études internationales de l'Université Johns Hopkins, a déclaré aux membres de la délégation qu'il faudra se résoudre à coopérer avec l'Iran pour défaire Daech. Il a relevé que la décision de l'Iran d'engager des négociations diplomatiques sur la question du nucléaire constituait un pari très important de ce gouvernement. Alors que Téhéran a mis en œuvre sa partie de l'accord nucléaire assez rapidement, les États-Unis ont

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traîné les pieds, ce qui pourrait mettre l'accord en péril, et selon M. Nasr, si l'accord n'est pas mis en œuvre très vite, l'occasion pourrait en être définitivement perdue.

23. M. Nasr a par ailleurs relevé l'existence d'une certaine tension entre ceux qui estiment que l'accord avec l'Iran sur le nucléaire n'est rien de plus qu'un simple contrat, et ceux qui le considèrent comme le premier pas vers des relations diplomatiques différentes. Cette tension est perceptible jusque dans l'administration américaine. Le secrétaire d'État, John Kerry, est convaincu que l'accord marque le début d'une évolution stratégique plus large qui pourrait permettre à l'Iran de redevenir un acteur classique, et non plus révolutionnaire, de l'ordre mondial. En signant cet accord, le gouvernement iranien a pris un risque réel mais il semble avoir réussi à dégager un large consensus en sa faveur. Les dirigeants iraniens sont eux aussi partagés entre ceux qui pensent que l'accord marque uniquement un changement technique et ceux qui le considèrent comme le signe avant-coureur d'un changement politique et diplomatique plus large. Dans tous les cas, la signature de l'accord représente un grand risque pour le régime car cela va à l'encontre de décennies de rhétorique gouvernementale sur les dangers des États-Unis. Et il est vrai que la coopération actuelle avec les États-Unis constitue un choc massif pour la classe politique iranienne.

24. À certains égards, le régime iranien se trouve dans une position difficile, car il peut difficilement faire machine arrière. Il a déjà démantelé des installations importantes qui seraient très coûteuses à remettre en service. Revenir sur l'accord pourrait en outre avoir des répercussions sur la politique intérieure. Le peuple iranien aspire clairement à revenir dans le concert des nations et table sur de nouvelles ouvertures économiques. C'est le sens que de nombreux Iraniens donnent à l'accord et les récentes élections législatives semblent avoir renforcé l'influence des réformateurs dans le pays. Ces élections sont cruciales, a déclaré M. Nasr, car certains responsables politiques importants, partisans de la ligne dure, ont perdu leur siège à l'issue des élections, ce qui est rarement le cas dans cette région du monde. La totalité des 30 sièges remis en jeu dans les différentes circonscriptions de Téhéran sont maintenant occupés par des réformateurs. Les résultats semblent clairement indiquer que le président Rohani sera réélu en 2017. Grâce à leurs nouveaux mandats, les réformateurs ont largement renforcé leur influence.

25. Mais là encore, le problème est que les États-Unis ont été très lents à assurer leur part du marché conclu et un certain nombre d'accords commerciaux ont été suspendus de crainte que le département du Trésor impose de nouvelles sanctions aux entreprises qui commencent avec l'Iran. C'est ce qui, selon tout vraisemblance, bloque la conclusion de la vente d'Airbus à la compagnie aérienne nationale iranienne ; il s’agirait d’un problème d'ordre administratif. L'accord nucléaire a été signé avec le département d'État, mais une grande partie de la mise en œuvre revient désormais au département du Trésor, et celle-ci a évolué très lentement et de façon incertaine.

26. M. Nasr considère également que si de nombreux pays du Golfe s'expriment avec éloquence à propos du nucléaire, ils sont bien plus préoccupés par le fait que l'Iran ait réussi à rentrer dans les bonnes grâces de l'Occident, ce qui perturbe tout un ensemble de schémas qui ont donné forme au modèle stratégique en vigueur dans la région depuis des décennies. Cet évènement intervient au moment où le monde arabe est en plein désarroi et alors que les relations américano-saoudiennes se sont considérablement dégradées. Les préoccupations qui traversent le monde arabe ne sont en fait pas infondées. Si l'Iran prend conscience que la diplomatie est un mode de fonctionnement efficace, nous sommes effectivement entrés dans une nouvelle ère, d'autant plus que l'Irak et la Syrie sont enlisés dans une crise profonde, que l'Arabie saoudite voit se réduire l'influence qu'elle exerçait jusqu'à présent grâce au pétrole, et que tout un ensemble d'acteurs infra-étatiques entendent établir leur emprise sur une partie de la région. M. Nasr a relevé que l'Iran était désormais un partenaire implicite du monde occidental en Syrie et en Irak car il avait décidé de se charger directement ou indirectement de Daech. Cela pourrait bouleverser la diplomatie régionale, a ajouté M. Nasr, qui estime que les intérêts occidentaux à conclure un

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accord avec l'Iran vont bien au-delà de ce qu'on croit, et qu'ils dépassent le cadre strict de la prolifération nucléaire. En effet, si l'Iran devait abandonner la lutte contre Daech, la communauté internationale pourrait se retrouver confrontée à des problèmes bien plus graves, a averti M. Nasr.

III. POLITIQUE INTÉRIEURE ET POLITIQUE ÉTRANGÈRE

27. La délégation s'est rendue aux États-Unis à un moment important des primaires pour l’élection présidentielle et a pu constater que l'avenir de l'OTAN était un thème important de la campagne. Selon certains analystes, Donald Trump s'est fait le porte-parole des Américains qui considèrent que le leadership assuré par les États-Unis est devenu une tâche ingrate et stérile. M. Daalder a cependant souligné que pour les membres de l'administration et de nombreux Républicains, l'Alliance reste essentielle à la défense des intérêts vitaux de sécurité américains. Il a également déclaré que le plus grand risque pour les Alliés serait de revenir à une gestion strictement nationale de leurs politiques de défense et de sécurité.

28. Heather Conley, vice-présidente principale pour l'Europe, l'Eurasie et l'Arctique et directrice du programme Europe du Centre d'études stratégiques et internationales, considère que les relations de l'OTAN ne sont pas au beau fixe, même si les gouvernements cherchent à embellir la réalité. L'Alliance est certes confrontée à de sérieux défis à l'Est et au Sud, mais le plus grand risque est intérieur, pense-t-elle, les mauvaises performances économiques et l'accentuation de la polarisation politique constituent en effet de sérieux sujets de préoccupation. Elle relève que l'ordre international, longtemps considéré par les États-Unis comme fondamentalement favorable à leurs intérêts fait maintenant débat parmi les responsables américains. Elle a souligné que nous sommes en train d'assister à un "effondrement de la confiance en nos institutions", que l'optimisme disparaît peu à peu et que "nos valeurs sont de plus en ébranlées". Dans de nombreux pays alliés, le sentiment va croissant que leurs gouvernements sont dépassés par la complexité des problèmes sociaux, économiques et sécuritaires, a-t-elle ajouté, et les élites politiques sont de plus en plus déconnectées des citoyens. Les gouvernements ont perdu le contrôle de leur communication et quelques tweets négatifs et trompeurs peuvent détruire des années de travail consciencieux. M. Daalder pense que le problème pourrait entre autres découler du fait que de nombreux citoyens occidentaux, qui aspiraient à l'élévation sociale, voient leurs perspectives économiques décliner. Il estime également que le problème n'est pas spécifiquement américain, et que de nombreux pays alliés y sont également confrontés.

29. Les gouvernements et les experts en sécurité doivent trouver les moyens de répondre aux préoccupations des jeunes, notamment par une meilleure utilisation des nouveaux médias. Mais il est surtout nécessaire de communiquer afin de réaffirmer pourquoi des institutions comme l'OTAN sont essentielles au bien-être des citoyens. Mme Conley est d'avis qu'à défaut d'ouvrir le débat, il sera très difficile de convaincre les citoyens de soutenir et de financer ces institutions. De nombreux citoyens se focalisent sur ce que coûte l'OTAN tout en considérant que cette institution n'est d'aucune utilité. Cet argument fallacieux est d'autant plus convaincant que les économies occidentales semblent engluées dans un modèle de croissance lente à faible création d'emplois. Le public américain s'alarme du fait que les sociétés européennes semblent réticentes à affecter les fonds suffisants à leur propre défense. Cette préoccupation s'exprime maintenant politiquement tant au niveau de l'exécutif que du pouvoir législatif. Et les réticences européennes sont d'autant plus difficiles à faire admettre aux États-Unis que la situation dans des pays comme l'Iraq et l'Afghanistan semblent inextricables et sans fin. C'est pourquoi il est essentiel que les pays européens progressent sur la voie des engagements pris lors du sommet du pays de Galles, en portant leurs investissements annuels en matière de défense à 2 % du PIB dont 20 % consacrés à l'acquisition de nouveaux équipements et aux activités de recherche et développement.

30. Mme Conley a également abordé le fait que de nombreux responsables spécialistes de la politique étrangère, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernement, craignent que la

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Grande-Bretagne quitte l'Union européenne. Elle a qualifié le Brexit de risque pour les fondations institutionnelles qui ont permis d'instaurer la paix sur le continent européen. Ce point de vue a d'ailleurs été partagé à plusieurs reprises au cours de la visite.

31. Elle a indiqué que le Centre d'études stratégiques et internationales menait actuellement un projet de recherches sur l'Arctique et a déclaré que si cette région s'est longtemps définie comme une zone de coopération internationale, elle se transforme peu à peu en pomme de discorde. La Russie a massé des troupes le long du littoral, amélioré ses capacités anti-accès et d'interdiction de zone et renforcé les effectifs des forces aériennes, navales et spéciales dans la région. L'OTAN, a-t-elle suggéré, doit ouvrir un débat sur ce qui se passe dans cette zone reculée et reconnaître que la situation n'y est pas aussi inoffensive qu'on le pensait jusqu'à récemment.

32. Damon Wilson, vice-président exécutif du Conseil Atlantique, a lui aussi exprimé des inquiétudes au sujet des défis internes qui agitent la communauté atlantique. La tumultueuse campagne électorale aux États-Unis, le flux croissant de réfugiés en Europe, et le débat sur le Brexit au Royaume-Uni, tous ces évènements se produisent alors que le continent européen est confronté à de graves défis sécuritaires, mais aussi au moment où certains, dont l'un des candidats à la présidentielle américaine, remettent en question la raison d'être de l'Alliance. Les responsables de la politique étrangère sont confrontés à un grave problème car l'idée qu'ils se font globalement de l'OTAN est celle d'un démultiplicateur de forces qui représente un atout formidable pour la sécurité des États-Unis. Mais il paraît difficile de faire passer cette idée dans un espace médiatique fragmenté qui semble avoir un rôle de prescripteur politique. L'une des principales préoccupations du Conseil de l'Atlantique est de renouveler les moyens permettant d'obtenir une adhésion massive des citoyens des pays alliés. Jorge Benitez, rédacteur en chef de NATOSource, a évoqué la façon dont ce site internet du Conseil de l'Atlantique et d'autres médias en ligne et réseaux sociaux tentent de tisser des liens entre tous ceux pour qui la relation transatlantique présente un intérêt.

IV. DISSUASION NUCLÉAIRE

33. Leo Michel, maître de recherches au Centre Brent Scowcroft pour la sécurité internationale s'est exprimé sur le dispositif de dissuasion de l'OTAN et sur le défi lancé par la Russie. Il a noté que la Russie s'était de nouveau remise, après de longues années, à moderniser son arsenal nucléaire, dont les missiles intercontinentaux basés à terre et les missiles lancés par sous-marins, et ses bombardiers stratégiques. Elle a lancé des simulations d'attaque sur les forces de l'OTAN, a déployé des missiles de croisière à lanceur terrestre interdits et tenu un discours extrêmement martial sur les armes nucléaires. Ces rodomontades sont irresponsables et enfreignent les règles, tacitement observées jusqu'à présent, qui ont longtemps permis de préserver une certaine stabilité.

34. L'administration Obama s'est fermement engagée à moderniser les forces nucléaires américaines et a prévu de maintenir, voire de moderniser, la triade nucléaire. Elle a accepté d'engager de lourdes dépenses pour remplacer une partie de la flotte de sous-marins et de bombardiers. Cet effort pourrait coûter quelque 18 milliards de dollars par an. Washington reconnaît également l'importance des forces de dissuasion nucléaire française et britannique, a poursuivi M. Michel, qui considère que les Alliés doivent continuer de se consulter pour dégager un large consensus sur l'objectif et la doctrine qui font de ces forces un élément clé du dispositif de dissuasion allié. M. Michel pense que l'OTAN devrait réorganiser le Groupe des plans nucléaires, malgré les réticences de certains gouvernements. À ces réticences, M. Michel oppose le fait que le dispositif nucléaire de l'OTAN est l'expression de la solidarité transatlantique et que tous ses membres ont signé un engagement par lequel ils reconnaissent faire partie de l'OTAN en tant qu'alliance nucléaire. La dissuasion est une mission essentielle de l'Alliance et il convient de débattre ouvertement de ce que cela implique et de ce que recouvre exactement le volet nucléaire

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de la dissuasion. Les pays alliés contributeurs de la mission nucléaire sont au nombre de 16, a-t-il ajouté, même si seuls trois d'entre eux possèdent cette arme.

V. LA QUESTION RUSSE

35. La Russie a, elle aussi, largement mobilisé les débats lors de la visite de la délégation. John Herbst, directeur du Dinu Patriciu Eurasia Center, a déclaré que la politique de la Russie consistant à provoquer des conflits ou à empêcher leur résolution était apparue très vite après la chute du mur de Berlin et bien avant que l'élargissement de l'OTAN ait été ne serait-ce qu'envisagé. Cette politique a été suivie dans le Haut-Karabakh, en Transnistrie, en Ossétie du Sud, en Géorgie et, dans une certaine mesure, en Crimée. L'Occident n'a réagi que pour la Crimée et Boris Eltsine a fini par renoncer à soutenir les éléments séparatistes dans la péninsule.

36. La Russie donne au concept de souveraineté un sens très différent de ce qu'il est pour les pays occidentaux, et le président Poutine continue de clamer le droit du Kremlin d'intervenir dans d'autres pays pour, dit-il, défendre les intérêts des russophones et des personnes d'origine ethnique russe. La Russie revendique ainsi une sphère d'influence où elle peut intervenir à loisir. Ce qui pose un réel problème aux pays occidentaux, c'est que cette zone recouvre les territoires de plusieurs pays de l'OTAN, et il est clair que, pour la Russie, la guerre froide a repris il y a neuf ans. Il est donc grand temps que les pays occidentaux reconnaissent la menace que les revendications russes font peser sur la paix et la sécurité en Europe et s'assurent que leur politique de dissuasion reste solide et crédible. L'invasion de la Crimée était planifiée depuis plusieurs années par exemple, et il est faux de croire que la Russie s'est saisie de l'occasion que lui offrait la fuite du président Ianoukovitch. La Russie continue de violer la souveraineté de la Géorgie et de l'Ukraine, elle s'est engagée dans une guerre hybride dans les États baltes, et a cherché à contester le droit des navires de l'OTAN de croiser dans les eaux internationales de la mer Noire et de la Baltique. À cet égard, l'OTAN doit considérer le renforcement des États baltes comme une priorité. L’attitude belliqueuse de la Russie a conduit la Suède et la Finlande à coopérer de façon plus étroite avec l'OTAN.

37. Il est également très important de maintenir les sanctions contre la Russie. Elles sont la contrepartie de ses actions et permettent de la pénaliser lourdement pour son mauvais comportement. Le président Poutine a bâti son pouvoir sur les bonnes performances de l'économie russe. Mais il a aussi structuré un État qui ne peut être financé que si le prix du baril est d'au moins 100 dollars et les analystes prévoient un prix à moyen terme qui tourne autour de 50 dollars. Ce cours est insuffisant pour continuer d'alimenter comme par le passé l'ensemble du système de connivences et de prébendes qui sous-tend l'ordre politique au Kremlin. Poutine ne pouvant plus se prévaloir de la réussite économique russe pour s'attirer les faveurs des électeurs en appelle maintenant aux réflexes chauvinistes les plus primaires. Mais cette tactique pourrait ne pas résister à long terme car le chauvinisme ne paie pas les factures, et la possibilité d'un certain degré de changement politique ne peut être écartée.

VI. CHANGEMENT STRUCTUREL ET POLITIQUE ÉTRANGÈRE DES ÉTATS-UNIS

38. John Mearsheimer, professeur émérite de sciences politiques à l'Université de Chicago, s'est livré à une analyse assez différente sur l'avenir des relations transatlantiques. Il est, pour sa part, quasiment certain, qu'au cours des prochaines décennies, les États-Unis orienteront leurs choix stratégiques vers l'Asie de l'Est et se détourneront inexorablement de l'Europe. Les États-Unis se tourneront par nécessité vers la Chine, plus grande puissance émergente du monde, et n'auront ni l'intérêt, ni les ressources, pour s'engager sur le continent européen comme à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. M. Mearsheimer estime également que l'Occident est en partie responsable de la détérioration des relations avec la Russie car l'OTAN l'a inutilement provoquée. Il relève que "les superpuissances ont une tendance à la paranoïa pour tout ce qui relève de leur

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sécurité", et se dit convaincu que Moscou préférerait "détruire l'Ukraine" plutôt que lui permettre d'évoluer dans la sphère d'influence occidentale. Il ajoute que l'Ukraine est un territoire vital pour la Russie mais pas pour les États-Unis, et que c'est en partie cette asymétrie qui nourrit les tensions. L'Allemagne et la France ont pris conscience de cela lors du sommet de Bucarest, alors que d'autres pays, dont les États-Unis, s'obstinaient à vouloir faire entrer l'Ukraine et la Géorgie dans l'OTAN, ce que M. Mearsheimer considère comme une erreur stratégique majeure.

39. M. Mearsheimer a noté que les empires en déclin s'accrochent à des privilèges qui disparaissent, et qu'ils ont tendance à réagir avec violence lorsque ceux-ci sont menacés. Il estime que les pays alliés doivent prendre conscience des fluctuations du pouvoir à l'échelle du monde et tenter de mieux comprendre les implications de ces grands changements structurels. Il considère également que l'Europe est bien moins unie que sa structure institutionnelle le laisse penser et que sa perte d'influence en politique étrangère est de plus en plus manifeste. La crise migratoire a exposé ces fractures, a-t-il poursuivi, et ceux qui écartent la possibilité d'une guerre en Europe pèchent par orgueil ou par naïveté. L'Europe n'est pas aussi stable qu'on le pense, et son déclin relatif, dont témoignent les tendances démographiques et économiques, pourrait renforcer les contradictions. Pour M. Mearsheimer, les États-Unis ont un rôle pacificateur en Europe et leur départ serait néfaste pour le continent. Il a cependant concédé que les États-Unis avaient eu un rôle inverse au Moyen-Orient et que l'instabilité de la région pouvait en grande partie être imputée à leurs errements. L'Europe fait partie des territoires qui en paient le prix car son littoral est exposé au Sud à des vagues de réfugiés et à d'autres manifestations de cette instabilité.

40. M. Mearsheimer, analyste structuraliste de renom et spécialiste des affaires internationales, considère que les États-Unis, qui sont encore la superpuissance dominante la plus dynamique du monde, prêteront toujours plus d'attention à une puissance montante qu'à une puissance déclinante. La Russie fait partie de ces puissances en rapide déclin, a-t-il déclaré, et l'Europe est également sur la pente descendante du point de vue stratégique, économique, et démographique. La menace la plus redoutable à long terme pour les États-Unis réside en Asie et non en Europe. Conscients de ce risque asiatique, les États-Unis commencent déjà à mobiliser leurs forces et leurs ressources intellectuelles. Selon M. Mearsheimer, la Chine ne peut pas être considérée comme adepte du statu quo car elle cherche à bousculer l'équilibre des forces dans le Pacifique. Les actions qu'elle mène en mer de Chine méridionale sont un signe manifeste de cette ambition et donnent un avant-goût des choses à venir. Cette tendance ne fera que s'accélérer au fil du temps, a-t-il mis en garde, et lorsqu'on tourne son attention vers une région, on détourne forcément son attention de l'autre. Le discours de MM. Trump et Sanders en matière de politique étrangère donne des indications sur l'orientation que les États-Unis pourraient à terme donner à leurs relations avec l'Europe.

41. M. Mearsheimer a cependant indiqué que le Golfe resterait une zone d'attention stratégique dans la mesure où l'Inde et la Chine seront de plus en plus dépendantes de son énergie. La Chine pourrait construire une flotte de haute-mer lui permettant de se déployer dans la région du Golfe. La signature de 17 accords commerciaux entre la Chine et la Russie témoigne du renforcement des relations entre les deux puissances. La Chine ne représente cependant pas de menace directe pour l'Europe, ce qui pourrait accentuer la désunion entre l'Europe et les États-Unis. L'Europe entretiendra en effet des relations commerciales poussées avec la Chine, laquelle achètera notamment des équipements à double technologie, ce qui déplaira fortement aux responsables américains préoccupés par les implications militaires de ce commerce. M. Mearsheimer n'écarte pas la possibilité d'une future collaboration entre la Russie et les États-Unis qui trouveraient un intérêt commun à contenir une Chine en pleine expansion. Il va sans dire que ces hypothèses ont donné lieu à d'intéressantes discussions portant sur l'avenir de l'Europe, la politique occidentale vis-à-vis de la Russie et l'évolution des priorités stratégiques des États-Unis.

42. À cet égard, Frances G. Burwell, vice-présidente du Conseil Atlantique des États-Unis, a présenté aux membres de la délégation une étude élaborée par le Conseil, visant à identifier les

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facteurs clés qui détermineront l'état de l'Europe sur les plans international et interne d'ici à 2020. Ce document présente quatre scénarios différents fondés sur les grandes tendances peu fluctuantes à long terme comme la démographie et les perspectives de croissance. Il examine également dix variables clés susceptibles d'avoir une influence sur l'unité et la capacité d'adaptation européennes. L'étude se conclut par l'exploration des quatre possibilités d'évolution allant d'une Europe barricadée et désunie à une Europe plus ouverte, confiante et soudée.

VII. POLITIQUE COMMERCIALE

43. Les questions commerciales sont apparues comme un thème de débat central de la campagne électorale aux États-Unis et les négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ont été fréquemment abordées au cours du séjour. Dan Mullaney, principal négociateur américain pour le TTIP, s'est entretenu avec les membres de la délégation au Conseil Atlantique des États-Unis. Il les a informés qu'une phase de négociations venait de se conclure et leur a dressé un rapide tableau des derniers développements. Il a d'abord rappelé l'importance de la relation commerciale et d'investissement et a souligné que l'un des objectifs des négociations était d'éliminer les droits de douane en réduisant les formalités administratives, mais sans déréglementer, ni porter atteinte à la sécurité des consommateurs ou procéder à une révision à la baisse des normes environnementales. Le but est de maintenir les normes en vigueur mais d'éliminer les redondances réglementaires et bureaucratiques qui créent des frictions commerciales et sont des sources de coût. La reconnaissance mutuelle des tests est donc un objectif principal des négociations, a déclaré M. Mullaney. Ceci permettrait aux petites entreprises d'accéder plus facilement aux marchés et donc de mieux affronter la concurrence avec les grandes compagnies généralement bien mieux armées et capables d'offrir des salaires plus élevés. Il a affirmé que les États-Unis ne poussaient pas à la privatisation des services publics, ni ne cherchaient à influencer la réglementation des services de santé nationaux comme le prétendent certains détracteurs.

44. Phil Levy, maître de recherches au Conseil de Chicago sur les affaires mondiales, a tenté d'inscrire les négociations commerciales actuelles dans une perspective plus large. Il a relevé que, depuis 1992, deux camps s'affrontent aux États-Unis concernant la politique commerciale américaine. La libéralisation est longtemps restée un choix guidé par les arrière-pensées de la guerre froide, dont l'objectif était de favoriser le libre-échange entre les Alliés et d'assurer un cadre économique de paix et de prospérité dans le monde. La menace soviétique permettait de discipliner les voix discordantes, et aux États-Unis le principe du libre-échange a longtemps été soutenu par une coalition bipartite au Congrès. Cette coalition a commencé à se fissurer en 1992 et les débats autour de l'ALENA ont rendu les désaccords évidents. Cette année-là, la question commerciale est devenue la pomme de discorde de la campagne présidentielle. L'ironie est que les États-Unis entretenaient depuis longtemps déjà un régime commercial placé sous le signe du libéralisme avec le Mexique, partenaire commercial clé bien avant l'ALENA. Dès lors, le soutien aux accords commerciaux libéraux aux États-Unis s'est fracturé, de nombreux Démocrates exigeant des dérogations dans le domaine de l'environnement ou du travail qui ne pouvaient être acceptées ni par la communauté internationale ni par les Républicains.

45. Les négociations du Partenariat transpacifique (TPP), qui se concluront avant celles du TTIP, ont suscité de nombreuses critiques au Congrès. Les mêmes critiques s'adressent maintenant en grande partie au TTIP. Il y a toute une série de questions spécifiques au TTIP qui n'ont pas encore pu être résolues, notamment celles concernant les indications géographiques et la confidentialité des données. De nombreuses critiques visent aussi le secret qui entoure les négociations, ce qui n'a fait qu'alimenter les soupçons, souvent injustifiés, sur la nature des débats. Enfin, il est important de reconnaître que les échanges commerciaux entre les États-Unis et l'Europe ont longtemps échappé à toute régulation. Les négociations du TTIP entendent lever les obstacles les plus persistants au commerce transatlantique, le problème étant qu'ils sont persistants car insurmontables.

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46. Bien que les organisations syndicales aient soutenu la libéralisation des échanges pendant des décennies après la guerre, elles y sont désormais fermement opposées. Pourtant, elles ont tort de s'acharner sur les négociations commerciales. Les changements structurels qui touchent les économies nationales et mondiales font qu'il est très difficile de maintenir des salaires élevés dans les secteurs manufacturiers traditionnels des pays occidentaux. Les personnes qui ont le plus large éventail de compétences arrivent s'en tirent bien mais les moins éduqués souffrent. Et cela ne risque pas de changer car la plupart des mutations sont le résultat d'avancées technologiques et ne doivent rien aux choix de politique commerciale.

VIII. ASIE

47. L'ascension constante de la République populaire de Chine (RPC) et son incidence sur les pays de l'OTAN ont également été abordés lors de la visite. Michael Swaine, associé principal à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, pense que la Chine passera par des périodes difficiles du point de vue économique mais qu'elle saura les surmonter sans grand bouleversement social. Il pense également qu'en matière de pratiques commerciales et d'investissements, la RPC continuera de suivre une logique largement libérale, conforme aux normes mondiales du marché.

48. Selon M. Swaine, le développement de la Chine est entré en phase de maturité, il est donc peu probable que le pays retrouve une croissance à deux chiffres, un taux de 6 % semble plus vraisemblable. La question principale est de savoir si la Chine continuera à ouvrir ses marchés au fur et à mesure de son développement. Deviendra-t-elle une puissance économique libérale plus classique ou cherchera-t-elle continuellement à déjouer le système par des mesures néo-mercantilistes? Enfin, la Chine est susceptible de devenir un exportateur de plus en plus important de capital-investissement, elle dispose en effet d'énormes réserves de capital auxquelles elle devra trouver des débouchés productifs.

49. Les questions liées aux droits humains et à la démocratie restent cependant une source constante de tensions entre la RPC et les pays occidentaux. Les prétentions contestables de la Chine dans les mers de Chine orientale et méridionale, soulèvent non seulement des questions juridiques fondamentales, mais représentent également un défi stratégique pour la région, et par extension pour les États-Unis. La Chine pose plus de problèmes en Asie que sur l'ensemble de la scène internationale et les États-Unis doivent replacer cela dans le contexte de la zone pacifique plutôt que dans un contexte mondial. Cela dit, la Chine sera en mesure de contester l'hégémonie des États-Unis dans le Pacifique occidental. Les deux pays ont par ailleurs une conception totalement différente de la stabilité. Il y a toute une série de points névralgiques dans la région, dont la péninsule coréenne et Taiwan. On a encore du mal à comprendre quelles sont les revendications de la Chine concernant la zone délimitée par la "ligne en neuf traits", et cette ambiguïté délibérée nourrit les tensions avec le reste de la région et avec les États-Unis. Mais la Chine assure ses arrières en regardant vers l'Ouest. Son projet de nouvelle Route de la Soie (One Belt, One Road) se fonde en effet sur le développement de ces nouvelles voies de communication et de commerce.

50. Bruce Cumings, professeur émérite d'histoire à l'Université de Chicago, s'est exprimé sur la politique des États-Unis en Corée. Il a qualifié la péninsule de zone la plus militarisée du monde. La Corée du Nord reste pour beaucoup une énigme, mais il faut reconnaître qu'elle a énormément souffert pendant la guerre. Le régime est inflexible, hait les États-Unis et possède des armes nucléaires et des missiles à moyenne portée qui peuvent atteindre les forces américaines basées en Corée du Sud et jusqu'au Japon. Il aurait pourtant été possible à plusieurs occasions d'établir des relations plus positives avec ce pays, mais elles ont été manquées. L'administration Clinton par exemple, était disposée à normaliser les relations avec la Corée du Nord, mais l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle administration a mis un terme à cette tentative de détente. Plus tard, un débat s'est ouvert aux États-Unis sur l'opportunité de procéder à des frappes préventives contre les positions ennemies ce qui a conduit à une détérioration rapide des relations. La guerre en Irak

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a ensuite démontré très clairement aux Coréens du Nord à quel point les armes nucléaires pouvaient être vitales pour leur sécurité. Jusqu'à présent, le régime de Pyongyang a procédé à cinq essais nucléaires et estime que cette arme est un élément clé de la sécurité nationale. Mais il est aussi pleinement conscient que s'il devait jamais l'utiliser, le pays serait rayé de la carte.

51. M. Cumings a également déclaré que ceux qui pensent que le régime nord-coréen finira par s'effondrer se fourvoient. C'est un État militaire, programmé pour défendre son territoire jusqu'au dernier. Il n'y a aucun signe d'instabilité ou de dissidence en Corée du Nord. Chacun se surpasse pour démontrer sa loyauté envers le régime. Il est tout aussi erroné de penser que Pékin va pousser la Corée du Nord vers plus de modération car certains en Chine se félicitent de disposer d'un allié aussi imprévisible, il en est même qui admirent la "pureté" de son idéologie.

52. Kenneth Pomeranz, professeur d'histoire de la Chine moderne à l'Université de Chicago, s'est exprimé sur la Route de la Soie, projet de route qui reliera la Chine à l'Asie centrale en passant par ce que les Chinois appellent une mer intérieure. La récente série d'accords signés avec Téhéran fait partie intégrante du projet. Comme les Chinois, les pays occidentaux ont intérêt à ce que l'Asie centrale puisse exporter son énergie en contournant la Russie, ce qui est stratégiquement et économiquement essentiel pour l'Asie centrale elle-même. Mais il faudra d'importants investissements étrangers pour acheminer cette énergie jusqu'aux marchés asiatiques.

53. Le projet de nouvelle Route de la Soie s'inscrit parfaitement dans la logique de développement voulu par Pékin dans l'Ouest de la Chine, région affectée par des tensions ethniques. Les Han représentent en effet 50 % de la population de la région mais sont regroupés en enclaves ethniquement très homogènes. Le projet a également pour objectif de faciliter l'approvisionnement en eau car certaines parties de la Chine sont confrontées à des pénuries qui vont en s'aggravant. L'État à l’ intention de lancer des projets gigantesques de détournement fluvial, dont l'impact reste inconnu. Au Cambodge par exemple, le delta du Mékong représente 50 % des récoltes du pays. Si les eaux sont détournées, une crise alimentaire pourrait éclater dans la région. La construction effrénée de projets liés à l'aménagement hydro-électrique, dont la durabilité ne peut être assurée, fait peser une lourde menace sur l'environnement. La corruption est également préoccupante car elle sape la planification technique. La question de l'eau est donc un formidable déclencheur de conflits dans cette partie de l'Asie, ce qui laisse planer une incertitude sur sa stabilité et son développement économique de la région.

54. La démographie est aussi une contrainte. La Chine a su neutraliser les conséquences du vieillissement rapide de sa population par le déplacement massif des habitants des régions rurales peu productives vers les grandes villes. La population urbaine est nettement plus âgée et sa structure démographique s'apparente à celle de l'Allemagne. Il y a là un équilibre potentiel dans la mesure où les campagnes peuvent continuer à exporter la main-d'œuvre excédentaire vers les grandes villes mais il sera difficile de parvenir à une véritable synergie car les mouvements de masse génèrent souvent des tensions sociales.

55. Evan Feigenbaum, vice-président de l'Institut Paulson, considère que les États-Unis doivent traiter avec la Chine à de nombreux niveaux. Il est certain que la Chine représente un défi stratégique, mais elle est également une locomotive commerciale et offre d'immenses possibilités. C'est le premier partenaire commercial de 66 pays dans le monde, dont tous les pays d'Asie à l'exception des Philippines. Les États-Unis ont établi des échanges commerciaux avec la Chine, déployé des forces autour de son territoire et conclu des alliances bilatérales dans toute la région. Pourtant, il n'existe pas de système de sécurité collective fiable dans cette zone et la stabilité demeure précaire. Les États-Unis ont longtemps promu le libéralisme commercial dans l'ensemble de l'Asie et les négociations du TPP répondent à cet objectif. Le problème est que ces négociations sont maintenant remises en question et ce, même aux États-Unis. Les pays asiatiques ont donc commencé à chercher des solutions panasiatiques aux problèmes régionaux

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et des efforts d'intégration régionale sont en cours tels que l'ASEAN+3. Le TPP aurait permis aux États-Unis de s'engager plus directement dans ce processus, mais son avenir est remis en cause.

56. Un autre problème est que l'administration américaine a partagé son action entre l'Asie du Sud, l'Asie du Nord, et les bureaucraties d'Asie centrale. Cette répartition est artificielle et de moins en moins pertinente au regard de la situation dans la région. Il faut remédier à cela, a déclaré M. Feigenbaum. Le problème se fait sentir jusque dans l'armée où l'on trouve un état-major en Asie centrale et un autre dans le Pacifique. Une nouvelle approche et de nouvelles structures s'imposent afin de mieux refléter la réalité de cette région extrêmement dynamique et potentiellement instable.

IX. ÉNERGIE ET ENVIRONNEMENT

57. Edward Chow, maître de recherches auprès du Programme pour l'énergie et la sécurité nationale du Centre d'études stratégiques et internationales, a abordé le thème de l'énergie. Il a fait un rapide récapitulatif des cours du pétrole sur les marchés mondiaux et a déclaré que la récente flambée des prix était due en partie à l'explosion de la production non conventionnelle de pétrole et de gaz aux États-Unis et à l'expansion significative de la production américaine d'énergie renouvelable, laquelle devrait se poursuivre. Il est désormais acquis qu'il s'agit d'un phénomène durable et que la production américaine va continuer d'exercer une pression à la baisse sur les cours. Le fait que la puissance américaine se soit mise à produire à plus grande échelle a par ailleurs définitivement changé son attitude face vis-à-vis des régions productrices d'énergie, ce qui pourrait se traduire par un changement de ton envers ses partenaires du Golfe. Le pétrole étant une matière première globalement fongible, la réduction de ses importations par les États-Unis aura des répercussions importantes sur l'offre et les cours au niveau mondial. Les États-Unis, qui avaient prévu d'importer du gaz naturel liquéfié (GNL), sont maintenant prêts à en exporter, ce qui a contribué à faire baisser le cours spot sur les marchés internationaux. L'essor de la production de gaz américain est susceptible d'influer sur les marchés gaziers européens, mais l'Europe devra en faire davantage pour diversifier sa base d'approvisionnement et améliorer la connectivité des gazoducs. L'exploitation par la Russie du gisement de Chtokman devait se faire dans la perspective du marché américain mais les États-Unis n'auront plus besoin de cette énergie. La Russie avait également de grands projets pour le marché asiatique mais elle doit surmonter des difficultés liées à l'acheminement. La Chine elle-même se garde bien de devenir trop dépendante du gaz et du pétrole russes, notamment en raison de la tendance de Moscou à utiliser le levier énergétique à des fins stratégiques. C'est pourquoi l'Europe demeure un marché essentiel pour la Russie qui compte sur le projet Nord Stream 2 pour accroître ses ventes.

58. La chute des cours a aussi affaibli la stabilité budgétaire de la Russie, qui tente de compenser ses pertes en poussant sa production au maximum. Elle a également ralenti la production arctique, bien que les délais de développement soient si longs que les cours actuels ne sont qu'un facteur parmi d'autres dans les choix stratégiques d'investissement. Enfin, les secteurs du nucléaire et du charbon ont eux aussi subi de plein fouet la baisse des prix du gaz.

59. Deborah Gordon, directrice du Programme énergie et climat de la Fondation Carnegie, a évoqué l'accord sur le climat signé à l'issue de la COP 21, et les tendances à long terme des marchés de l'énergie. L'accord de la COP 21 n'est pas encore entré en vigueur, il faudra avant cela que les parties représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre le ratifient. L'administration Obama s'est fortement engagée pour faire aboutir cet accord sur lequel il sera difficile de revenir.

60. Les États-Unis progressent rapidement sur plusieurs fronts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L'utilisation du charbon a chuté et, l'année dernière, les principaux apports supplémentaires à la production d'électricité étaient issus de l'énergie éolienne, de l'énergie solaire et du gaz naturel. C'est un changement radical dans la production aux États-Unis où le pétrole et

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le gaz sont maintenant les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, et le prochain défi sera de réduire ces émissions. Il faut cependant relever que de nombreuses améliorations sont dues aux initiatives prises dans le domaine des transports et des normes d'efficacité énergétique, grâce auxquelles les émissions ont considérablement diminué aux États-Unis. Mme Gordon estime par ailleurs que des taxes carbone raisonnées constituent une étape essentielle du processus, elle a aussi déclaré que cela pourrait bénéficier aux produits pétroliers qui brûlent plus proprement.

61. Les cours du pétrole devraient rester à un niveau peu élevé à moyen terme, ce qui est problématique pour les sources d'énergie alternatives. Cela pose également un problème aux pays de l'OPEP qui continuent à perdre de leur influence sur les marchés. Les améliorations technologiques contribueront à faire chuter le coût des énergies renouvelables ce qui leur permettra de gagner des parts de marché.

X. GLOBAL CITIES

62. Richard Longworth, membre émérite du Conseil de Chicago sur les affaires mondiales, et Noah Toly, maître de recherches dans la même institution, ont présenté leurs travaux sur le projet Global Cities en cours depuis presque trente ans au Conseil. Pendant des années, les experts ont cru que la diffusion de la technologie entraînerait la disparition des villes. C'est pourtant le contraire qui s'est produit. Les villes du monde entier sont en plein essor et représentent des moteurs de l'économie mondiale. Il s'avère que la concentration des entreprises et des industries se renforcent mutuellement. La densité de leur tissu urbain permet aux villes de disposer d'avantages compétitifs énormes et durables. Sur les 100 premiers pôles économiques, 46 sont des villes, et ce chiffre n'était que de 34 il y a seulement quelques années. Les villes les plus importantes au monde représentent aujourd'hui 12 % de l'économie mondiale et ces villes, dont Tokyo, New York, Séoul, Londres, Paris, Osaka, Kobe, Shanghai, Chicago et Moscou, exercent une influence durable.

63. Compte tenu de leur poids dans l'économie mondiale, les villes commencent à s'associer et à défendre des intérêts communs sur la scène internationale. Elles partagent également les mêmes problèmes, le terrorisme par exemple. Les villes doivent disposer de forces propres pour mener des actions de surveillance ou de renseignement et assurer la résilience après des attaques, tout en respectant les valeurs démocratiques, la tolérance, les libertés fondamentales et la transparence, équilibre qui n'est pas facile à atteindre. Elles doivent également faire face aux conséquences sociales, politiques et économiques, des inégalités et de la pauvreté. Nombreux sont ceux qui doutent que le pouvoir central puisse résoudre ces problèmes, c'est pourquoi ils s'efforcent d'élaborer eux-mêmes leurs solutions et stratégies d'adaptation.

64. Mais les villes-mondes sont aussi associées à des problèmes importants, l'un des principaux étant la relation avec ce qu'on a coutume d'appeler la province. Certains redoutent à juste titre que les grandes villes assèchent les campagnes et les petites villes de leurs talents et de leur activité économique. Le passage à une économie de services n'a fait qu'accélérer ce processus au fur et à mesure de la fermeture des usines. Cette dynamique restera un défi à relever pour le pouvoir central comme pour les régions périphériques, lesquelles devront trouver leur place dans une économie mondiale dominée par la technologie.

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