240
1 JOURNAL INDELICAT Joseph SCIPILLITI Avocat

Journal Indélicat © Joseph Scipilliti

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Le testament de l'avocat tireur de Melun: "Je dérangeais trop d’intérêts depuis trop longtemps et l’heure était venue pour le système de sonner l’hallali."

Citation preview

  • 1

    JOURNAL

    INDELICAT

    Joseph SCIPILLITI Avocat

  • 2

    C'est une exprience ternelle, que tout homme qui a du pouvoir est

    port en abuser ; il va jusqu' ce qu'il trouve des limites.

    Montesquieu : De lesprit des lois

    Il ny a point de plus cruelle tyrannie que celle que lon exerce

    lombre des lois et avec les couleurs de la justice.

    Montesquieu : Considrations sur les causes de la grandeur des

    Romains

    Le raisonnement de lhumanit tient tout entier dans cette bassesse :

    si je ne te crains pas, je me fous de toi

    Georges COURTELINE : larticle 330

    La dmocratie cest le pouvoir pour les poux de manger les lions

    Georges CLEMENCEAU

  • 3

    SOMMAIRE

    1. ETAT DE DROIT, INSTANTANES DE LA VIE SOCIALE 14

    2. VIE QUOTIDIENNE DE LAVOCAT, DU MYTHE A LA REALITE 51

    3. CONSEIL DE LORDRE, QUEL ORDRE ? 74

    4. LE BTONNIER, MONARQUE EN SON ROYAUME 90

    5. LE JUGE, TROISIME OU PREMIER POUVOIR ? 114

    6. AIDE JURIDICTIONNELLE, ALIBI DES BONNES CONSCIENCES 130

    7. PERMANENCE PENALE. 143

    8. PROCEDURE DISCIPLINAIRE : LA DISCIPLINE, PAS LA JUSTICE 152

    9. LENTREPRISE AVOCAT 168

    ANNEXES 223

  • 4

    INTRODUCTION

    Ce journal faillit sappeler inachev , plutt que indlicat . Il est en effet constitu de

    notes prises pendant mon exercice professionnel partir de la fin de lanne 1991, et dont jai

    sans cesse diffr la mise en forme. Mon but tait den faire un livre quand le moment serait

    venu, c'est--dire quand je quitterais la profession, volontairement ou contraint. Bien sr

    jaurais d ldulcorer car les diteurs auraient recul devant son contenu iconoclaste.

    A partir de 2014 il devint clair que ce moment approchait. Je drangeais trop dintrts depuis

    trop longtemps et lheure tait venue pour le systme de sonner lhallali. Le systme sest

    incarn en loccurrence par le nouveau btonnier H. V., qui ds avant sa prise de fonction

    pour les annes 2014-2015 avait fait connatre son intention den finir avec moi.

    Jai alors dcid de renoncer ldition pour une diffusion anticipe, plus large et gratuite par

    voie dinternet. Malheureusement le temps ma manqu. Il fallait complter les matriaux

    dont je disposais, les synthtiser, les structurer, tout en continuant de travailler dans un mtier

    extrmement prenant, et en continuant de me dfendre contre les multiples turpitudes quon

    mimposait, terriblement chronophages. Une fatigue gnre depuis des annes par des

    problmes de sant non ltaux mais gnants, une neurasthnie pisodique conscutive ma

    situation, rduisaient encore mon temps disponible. Le moment vint o je dus me rsoudre

    utiliser ce dont je disposais.

    Le rsultat ne me satisfait que modrment. Je laurais voulu plus exhaustif, moins dcousu,

    mieux structur, avec de nombreuses pices illustratives. Ce sont des briques en nombre

    insuffisant, lies par un ciment lui-mme limit, mais il y a au moins un difice partiel.

    Ce journal dcrit une imposture enseigne dans nos coles et universits, claironne par nos

    responsables politiques, pratique avec navet par les uns, avec hypocrisie par les autres :

    lEtat de Droit, et plus prcisment ses effets dans la vie quotidienne des avocats.

    Nest-ce pas beau une socit o le droit prime la force, un droit soucieux de justice c'est--

    dire dquit, malgr la relativit de cette notion ?

  • 5

    Cest le monde dans lequel nous sommes censs vivre. Des gens vertueux font des lois

    inspires par leur souci de justice, qui sappliquent tous. Il en rsulte notamment que

    larbitraire nexiste pas car toute forme de pouvoir est limite par un contre pouvoir, ou la

    possibilit de poursuivre un abus pour qui le subit.

    Cette fable, jy ai cru peu ou prou jusqu mon entre au Barreau, malgr quelques

    expriences qui mavaient troubl sans que jen saisisse alors clairement le sens. En 1989, je

    quittai lenseignement secondaire pour revtir dfinitivement la robe, aprs une premire et

    brve exprience mi-temps entre fin 1981 et dbut 1983. Mes gots me poussaient vers un

    exercice lancienne , artisanal bien quavec les outils technologiques modernes. Rien ne

    me fait plus horreur que ces usines avocats que sont les gros cabinets de groupe.

    Je devais alors dcouvrir ce quest vraiment notre socit, travers le prisme dun milieu

    judiciaire lui-mme bien loign de limage quil cherche se donner dans le public.

    Avocat. Un mot qui inspire considration, respect, voire admiration chez toute personne

    extrieure ce milieu, notamment les catgories sociales modestes. Peu de professions

    souffrent dun tel dcalage entre limage et la ralit. Les avocats sont trop souvent vus

    travers le prisme dformant du cinma, de la littrature, de la tlvision, ou dune actualit

    mettant en vedette une poigne davocats pnalistes, (moins dune dizaine, sur environ

    soixante mille praticiens) qui ne se font pas prier pour alimenter les strotypes.

    Pouvoir, argent, relations, clbrit, que ne leur prte-t-on pas ? La croissance exponentielle

    du Barreau franais ces dernires dcennies tmoigne de la fascination quil exerce sur les

    jeunes diplms en droit : 20 000 avocats en 1985, plus de 60 000 en 2015. A Paris, 5000 en

    1975, plus de 27 000 aujourdhui. A Lyon, 400 en 1987, 2800 en 2015.

    Ceux qui ne sont pas issus du srail, nayant pas un parent ou une relation personnelle au

    Barreau, sont les moins informs, et y arrivent parfois avec des attentes la hauteur du mythe.

    Certes pendant leur formation ils ont t en contact avec des avocats, mais ceux-ci nont pas

    eu le mauvais got de les clairer sur certains aspects du mtier au risque de les dcourager, et

    de se dvaloriser eux-mmes. Il leur faudra dcouvrir seuls des ralits quotidiennes souvent

    bien loignes de leurs rves.

    Pourtant le mtier est en soi passionnant, abstraction faite du statut qui en dcoule. Si on aime

    le droit, la rencontre avec des situations concrtes dont la diversit est infinie, la contribution

    des solutions qui peuvent apporter aux gens un peu de bien-tre et parfois de bonheur, on

    doit en principe pleinement sy panouir. Mais voil, deux ombres ternissent cette image

    lumineuse.

  • 6

    La premire, qui ne constitue pas lessentiel de mon propos, est conomique. La lgende

    imbcile de lavocat riche, hrite dune poque rvolue, sestompe trs vite pour 95 % des

    praticiens (statistique videmment empirique, portant sur une notion - la richesse - elle-mme

    imprcise). Pour le pourcentage restant, les moyens dacquisition de cette aisance

    ncessiteraient des dveloppements qui nont pas leur place ici.

    La seconde est relationnelle : lavocat na aucun pouvoir. Limportant personnage qui a le

    bras long et balaye dun discours brillant tout obstacle, appartient limaginaire dun

    public nourri de fictions bon march. Lavocat est un technicien du droit qui rsout des

    problmes juridiques comme le mdecin traite des maladies. Il coute, fait un diagnostic, et

    sil y a lieu propose une solution. Celle-ci nexiste que dans la limite du droit en vigueur, de

    mme quun traitement ne peut tre prescrit quavec les connaissances mdicales du moment

    et les lois de la nature. Il y a des situations juridiques irrmdiables comme il y a des maladies

    incurables.

    Si solution il y a, elle sera neuf fois sur dix judiciaire. Lavocat engagera donc une procdure

    dans laquelle cest un autre qui prend les dcisions : le juge. Et cest alors quune dcouverte

    lattend : sil na aucun pouvoir, dautres en ont sur lui. Non seulement le juge, mais tous les

    acteurs de la vie judiciaire sont placs dans une situation leur donnant au quotidien un pouvoir

    de fait sur lavocat, sans rciprocit et pratiquement sans recours. Un juge, un huissier, un

    greffier, voire un simple employ du tribunal dans certains cas, et surtout le btonnier,

    peuvent le traiter comme un laquais et influer dfavorablement sur son exercice professionnel,

    ponctuellement ou durablement, voire dfinitivement. Pourtant nous sommes censs avoir une

    profession indpendante. Aucune profession librale ne lest moins, mais aucun tudiant en

    droit ne le saura avant de sinscrire au barreau et dy exercer quelques annes au moins.

    Il lui faudra donc admettre ce paradoxe : lui qui a pour mtier de dfendre les autres, ne peut

    se dfendre contre les actes darbitraire rpts dont il est victime. Face ce dni de justice

    permanent, limmense majorit des avocats fait preuve dune passivit qui ma tout de suite

    paru incomprhensible. Beaucoup en souffrent, sen plaignent (entre avocats sentend),

    dautres font partie de lternel troupeau de lindiffrence, qui fait le dos rond en soupirant

    des bof, questu veux faire . Tous ou presque saccordent pour se rsigner. Pas moi.

    Je nai jamais pu supporter linjustice. Trs tt jai rejet les prceptes tels que : la vie est

    une jungle , lhomme est un loup pour lhomme , dans la vie il faut tre bourreau ou

    victime , censs lgitimer le rapport de force comme rgle de base de la vie en socit.

  • 7

    Linjustice, ce nest pas seulement celle spectaculaire, qui intresse les journalistes ni celle

    hmiplgique, inspire par lidologie ; mais aussi celle discrte, neutre et banale, que chacun

    peut subir au quotidien avec une frquence et une intensit inversement proportionnelle au

    pouvoir de nuisance dont il dispose, et qui sappelle : mpris de lautre, got de la domination,

    amoralisme, et presque toujours btise.

    Le dcouvrir et le subir au quotidien en tant quavocat fut pour moi un choc. Il nest point

    dglise o le diable nait sa chapelle dit-on. Qui croirait que mme dans ces cathdrales du

    droit que sont les palais de justice, les dmons de larbitraire ont leur autel ?

    Jai dabord cru possible de provoquer une raction collective, et je me suis intress au

    syndicalisme. Peine perdue. Les syndicats et associations davocats sont pleinement dans le

    systme. Pour lutter contre le statut de soumission de lavocat, il faudrait dabord le

    reconnatre, au risque de le faire connatre. Or lobsession de la profession, cest limage .

    Cette image faussement flatteuse dcrite plus haut, et au nom de laquelle sont accepts tous

    les abaissements, toutes les humiliations, pourvu quils ne soient pas connus au dehors.

    Jai alors essay de provoquer une raction collective ponctuelle chaque fois que ctait

    ncessaire, et le rsultat fut tout aussi infructueux, mme si on reconnaissait que javais

    raison. Routine, pusillanimit, peur des consquences.

    Que faire ? Quitter un mtier que jaimais parce que je refusais de courber lchine ? Je my

    refusai. Je ne tenterais plus rien pour changer notre statut, mais je refuserais larbitraire

    chaque fois que jen serais victime moi-mme, libre aux autres de laccepter. Il me fallut peu

    de temps pour comprendre que cette dmarche me conduisait dans le mur. Sopposer seul

    larbitraire exerc par tous ceux qui dtiennent une parcelle de pouvoir, ctait attirer sur moi

    les inimitis, les reprsailles sournoises, les vengeances minables. Et surtout, chose

    inattendue, la jalousie.

    Ce fut une nouvelle surprise. Je devais dcouvrir que quand on fait preuve dans une situation

    donne de courage, de dignit, on se met dos non seulement ceux qui on rsiste (cest bien

    normal) mais aussi ceux qui placs dans la mme situation, se sont soumis. Cest ainsi que

    nombre de mes confrres se mirent men vouloir parce que ma rsistance faisait ressortir par

    contraste leur propre passivit. Je les mettais dans la pnible obligation pour se justifier, de

    nier la situation de domination quils vivaient, et dont parfois ils staient plaints auprs de

    moi. Alors, cest moi qui tais excessif, trop ractif, manquant de souplesse En langage

    barreau, cela sappelle manque de dlicatesse .

  • 8

    Rapidement je compris qu terme mon exercice professionnel pouvait tre compromis, mme

    si le temps passant, je retrouvais priodiquement espoir de poursuivre ma route jusquau bout,

    cahin caha.

    Par rflexe jentrepris la rdaction du prsent journal de faon sommaire, notant les pisodes

    marquants que je me rservais de dvelopper plus tard, ce que je faisais quand le temps me le

    permettait. Sans but prcis lorigine, il devint ensuite la trame dune ventuelle publication.

    Les annes passrent. Ceux dont je contestais les abus de pouvoir, comme ceux que je

    renvoyais involontairement leur faiblesse, se protgrent en me faisant une rputation

    dacaritre, de bas du front, de pachyderme gar dans ce magasin de porcelaine quest le

    barreau. Les premiers multiplirent les reprsailles sous toutes leurs formes, que je devais

    galement combattre pour ne pas sombrer, perdant ainsi un temps prcieux au prjudice de

    mon exercice professionnel.

    Cette rputation se transmettait auprs de tout nouveau venu au barreau. Quand un confrre se

    prsentait et qu mon tour je donnais mon nom, il ntait pas rare quil rponde un ah ...

    parfaitement significatif. Ctait dautant plus irritant que je me battais contre des gens

    souvent primaires sur le plan intellectuel. A cet gard une bonne partie du barreau usurpe sa

    rputation, comme je lexpose dans un passage de ce journal. Passer pour un idiot aux yeux

    dun imbcile est une volupt de fin gourmet disait Courteline. Je ne suis pas daccord. Cest

    au contraire particulirement nervant.

    Javais priodiquement des accs de dcouragement qui me dmobilisaient jusque dans mon

    travail. En temps normal le mtier davocat implique dj une norme pression

    psychologique. Nous sommes dpositaires de centaines de problmes personnels plus ou

    moins angoissants, parfois dramatiques. Chaque dossier est un problme existentiel dont nous

    devons grer les aspects non seulement juridiques mais galement psychologiques, humains,

    sociaux. Il y faut un grand quilibre de la personnalit. Quon imagine alors la force mentale

    ncessaire pour exercer dans le climat qui mtait impos. Jai connu des insomnies

    rptitives, des accs de lassitude, des pisodes de relle dpression.

  • 9

    Je ne pouvais me confier personne. Le caractre rcurrent des problmes qui mtaient poss

    aurait fini par lasser mes interlocuteurs qui au surplus taient gns par leur propre inaction,

    comme je lai dit.

    A deux reprises, entre 1999 et 2003, puis partir de 2011 des problmes de sant sajoutrent

    cette tension nerveuse pour entraver encore ma capacit de travail.

    La consquence en fut chaque fois une baisse dactivit, puis de revenu. Par manque de

    temps je dus ngliger (involontairement cela va de soi) la partie comptable de mon activit,

    neffectuant pas certaines dclarations fiscales ou sociales, sans cesse remises au lendemain.

    Je fis alors connaissance avec un autre domaine o lEtat de droit joie sa comdie : les

    relations avec les organismes fiscaux et sociaux (URSSAF, CNBF). Le professionnel

    indpendant en difficult est un objet dont ils peuvent faire ce quils veulent. Non seulement

    les sanctions lgales sont tellement lourdes quil est impossible dy faire face (ce dont tout le

    monde se moque) mais ceux qui les appliquent ou en grent les consquences peuvent y

    ajouter leur propre arbitraire, sans relle parade car les recours sont illusoires.

    En 2005 une rforme lgislative applicable au 1er janvier 2006 a tendu aux professions

    librales les rgles applicables aux entreprises en difficult , et notamment le redressement

    et la liquidation judiciaires. Ds le dbut 2006 des milliers de professionnels, parmi lesquels

    nombre davocats et de mdecins furent ainsi assigns devant les tribunaux cette fin. Au

    barreau de Paris on les compta par centaines puis par milliers. A Melun il y eu une premire

    fourne dont je fis partie.

    En juin 2007 je fus plac en liquidation judiciaire mais je my tais prpar. Un confrre

    accepta de me prendre comme avocat salari dans son cabinet pendant le temps de la

    procdure qui dans mon cas fut brve, notamment parce que je navais pas de bien

    immobilier. En janvier 2008 elle fut clture avec extinction du passif car ce dernier tait

    tellement exorbitant (taxations doffice + majorations + intrts de retard + frais) quil ny

    avait aucun espoir dy faire face. En application de la loi, je retrouvais donc le droit de me

    rinstaller, ce que je fis.

  • 10

    Pendant toute la procdure, ceux qui rvaient de me voir partir staient montrs

    tonnamment agrables avec moi. Cest quils taient satisfaits : dans leur esprit, soit je

    restais salari, et je rentrais ainsi dans le rang puisque mes manifestations dindpendance

    auraient mis en difficult mon employeur, soit je quittais le barreau, je me demande bien

    pourquoi. La reprise de mon activit librale aprs extinction de mon passif fut pour eux une

    dception et une frustration intolrables.

    Le btonnier H.V. qui exerait son premier mandat, sonna lattaque. B.J.D. (1), mon confrre

    ex employeur, ainsi que moi-mme, fmes convoqus devant le Conseil de lOrdre en vue

    dventuelles poursuites disciplinaires. En ralit cest moi seul qui tais vis, mais ils

    voulaient lancer un message au barreau : tout confrre qui maiderait sous une forme ou sous

    une autre subirait des reprsailles, quon se le dise.

    Laide de B.J.D. en loccurrence tait toute relative tant les contreparties taient lourdes. Il est

    tout sauf philanthrope. Pendant ces mois il me fit plaider ses dossiers les plus ingrats, assurer

    ses permanences de week-end, ntait jamais disponible pour me voir Surtout il se dispensa

    de faire toutes les dclarations ncessaires mon gard sur le plan administratif, ce qui ntait

    tout de mme pas de ma faute. Ils prtendirent pourtant quil y avait eu collusion en vue dun

    contrat de travail fictif, alors que cest lui seul qui aurait d tre inquit. Mais comme je lai

    dit, cest moi seul qui importais.

    Jignore ce que dcida ensuite le Conseil de lOrdre, mais titre prventif je fis savoir au

    btonnier Vannier que si poursuites il y avait, je me rservais de saisir le Parquet Gnral de

    certaines pratiques douteuses qui avaient eu cours au barreau. Il ny eut pas de poursuites,

    mais comme on le verra ce ntait que partie remise.

    (1) Les noms ou abrviations utiliss ici sont tantt authentiques, tantt changs. Cette

    incertitude protge les personnes sans donner au rcit un caractre fictif. Il nest cependant

    pas toujours possible de cacher les vritables identits, notamment quand des documents sont

    reproduits.

  • 11

    En 2008-2009 tout se passa bien. En 2010 le ciel me tomba sur la tte. Je me mis recevoir

    de la part de certains organismes sociaux et fiscaux des demandes de payement relatives

    aux annes davant ma liquidation (CNBF, Trsor ), ou calcules sur les revenus des ces

    annes, qui avaient t taxs doffice (URSSAF, CNBF ). Or conomiquement et

    juridiquement jtais une nouvelle entreprise, et je devais donc tre trait comme telle, la

    preuve en est quon ne mavait rien rclam pendant deux ans. Mes protestations restrent

    vaines et je compris que l encore on se vengeait. Mon passif tait effac dune manire

    parfaitement lgale, comme pour des millions dautres professionnels indpendants avant

    2006, et sans que jy sois pour rien puisque ce ntait tout de mme pas moi qui avais tendu

    cette loi aux professions librales, ni avais demand ensuite ce quon me lapplique.

    Quimporte. Dans notre prtendu Etat de droit, ceux qui ont le pouvoir sans contre pouvoir

    dcident eux-mmes sils doivent respecter la loi. Jeus beau protester, par tlphone, par

    lettre, rien ny fit, sauf avec le Trsor qui accepta de renoncer. A la CNBF et lURSSAF, on

    me dit que si je ntais pas satisfait, je navais qu engager les recours ncessaires. Encore.

    Bien sr je pouvais thoriquement le faire, mais cest un dilemme sur lequel comptent les

    racketteurs lgaux : lnorme perte de temps que cela induit (outre le discrdit pour un avocat,

    car cela se passe devant des tribunaux o on le connait) mobligerait ngliger mes dossiers,

    surtout si on envisage les recours conscutifs au jugement : appel, ventuellement pourvoi en

    cassation Sans compter les invitables reprsailles indirectes. Jen tais fatigu davance. Et

    ne pas engager de recours, cest rendre la somme rclame mme indue, exigible au bout

    dun certain dlai. Ce dilemme est constant vis vis de tous ceux qui ont un pouvoir sur

    lavocat.

    A terme cela ne pouvait conduire qu une nouvelle liquidation, ce que recherchaient

    videmment les racketteurs. Et ce jour l tous les imbciles au barreau et ailleurs, qui ne

    connaissent pas les circonstances ci-dessus (ou qui sen moquent car cela leur fait plaisir), me

    regarderaient avec un mpris satisfait. Tant defforts, despoirs, dobstacles franchis, pour

    revenir au point de dpart. Je sombrai dans le dcouragement, la dmotivation, avec des accs

    de lthargie de plusieurs heures quelques jours.

  • 12

    Cest le moment o apparurent de nouveaux problmes de sant (pathologie de la prostate).

    Un tat semi-dpressif sinstalla.

    Bien videmment les rpercussions professionnelles de cette situation furent dsastreuses.

    Ma capacit de travail tant rduite dune bonne moiti le retard saccumulait, le

    mcontentement dune partie de la clientle aussi. A nouveau labsence de dclarations

    administratives, nouveau les taxations doffice. Je devais donner des explications dilatoires

    ce retard, dans lespoir quil serait combl ensuite.

    Bien sr les bonnes mes que javais contre moi depuis toujours sen rjouissaient. Quel nul !

    Que faisais-je encore au barreau ? Dautant que je continuais justifier ma rputation

    dinsoumis, contestant linacceptable, exigeant que lavocat soit trait avec dignit. Un

    comble. Et les reprsailles que cela me valait taient une cause supplmentaire de temps

    perdu.

    En 2014 je sus quon approchait probablement de lpilogue. En janvier le nouveau btonnier

    lu, H. V. me fit comprendre quil ferait tout pour cela. Je men doutais dj, pour avoir pu le

    connatre au cours de son premier mandat en 2008-2009 ; en outre il sen tait ouvert au sein

    du barreau et au dehors. Il incarnait lui seul tout ce que je combattais depuis le dbut de

    ma carrire. On naurait pu me donner de meilleur interlocuteur pour que je puisse exprimer

    comme jallais le faire ce que je prparais et retenais depuis longtemps avant de partir. Il tait

    le candidat idal.

    Il engagea au bout de quelques mois une procdure disciplinaire mijote de longue date et

    ficele de telle manire que javais le choix entre ne pas me dfendre, ou le faire en ngligeant

    tellement mon activit que cela quivaudrait un point final.

  • 13

    A la mme poque linluctable deuxime procdure en liquidation fut engage par

    lURSAFF dun ct, la CNBF de lautre, soit les deux organismes qui au mpris de la loi

    avaient refus de tenir compte de lissue de la premire. Comme prvu, les crtins autour de

    moi hochaient la tte sans savoir (ou sans en tenir compte) que ctait la suite du film de 2007,

    dont le clap final navait t quun entracte. H.V. lui, jubilait.

    Tout ce que je fis alors ne consistait qu gagner du temps. Il fallait travailler pour ne pas lser

    les clients et gagner ma vie, tout en prparant ma sortie car cette fois je savais que jtais au

    bout du chemin. Le tout dans un tat dpuisement aliment par des insomnies bien

    comprhensives, ou des produits dendormissement doses massives laissant leurs squelles

    la journe.

    Ce journal qui avait t tenu en pointill devait tre complt pour tre rendu public, et je nen

    eus pas le temps comme je laurais voulu.

    Quon ne se mprenne pas. On ne lira ici rien de sensationnel. Pas de cadavre (ou presque),

    dans les placards, de dtournement de fonds colossal et habituel, derreur judiciaire

    dramatique, rien qui alimente habituellement les titres des journaux. Chaque vnement

    rapport pourrait, sparment de lensemble, sembler banal. Ce qui me parait digne dintrt,

    cest laccumulation, la mise en perspective dune ralit inconnue sur la vie des avocats, qui

    nest que lun des aspects dune socit encore trop rgie par les rapports de force.

    En outre je ne prtends pas que lEtat de droit est totalement absent. Je dis quil lest dans

    bien des domaines, notamment quand on est assez fort pour lui rsister.

    Me voil donc sur le point de satisfaire ceux qui pour justifier leur domination ou leur

    soumission mont fait une rputation de cosaque. Pour une fois, je vais vraiment manquer de

    dlicatesse.

    Melun le 27 octobre 2015

  • 14

    1. ETAT DE DROIT

    Instantans de la vie sociale

    Aot 1991

    Je minstalle en rgion parisienne venant de la rgion Rhne Alpes, et je vais minscrire au barreau

    de Melun comme collaborateur dans un cabinet, avant de minstaller peu aprs mon compte. Jai

    vendu mon appartement avant mon dpart et je recherche un logement louer, ce qui en plein mois

    daot est encore plus difficile que dhabitude. Coup de chance : une annonce dans le journal local

    mamne visiter un appartement qui me convient parfaitement. Un deux pices coquet dans un

    petit immeuble neuf au calme, pas trop loin de mon futur cabinet, le loyer dans la limite de mon

    budget, dcidment il ne faut jamais dsesprer.

    Cest une agence immobilire qui gre ce bien, et en cette priode estivale le grant est semble t-il

    seul, cest lui en tout cas qui est mon interlocuteur. Comme locataire (je lavais t avant dacheter

    le bien que jai revendu) jai toujours ressenti un certain agacement dans mes rapports avec les

    agents immobiliers cause de leur insupportable condescendance. Ils ne doivent rien au locataire

    car leur client est le propritaire, lequel est en situation dominante puisque loffre locative est

    toujours trs infrieure la demande. Ds lors lagent immobilier ne prend jamais de gants avec le

    locataire, et souvent on nest pas loin du mpris. Mais cette fois la distance sera franchie, avant

    mme que jaie sign le bail.

    Demble lagent me pose des questions dune brutale indiscrtion, par exemple : qutes vous

    venu faire Melun ? . Puis, lui ayant donn les renseignements bancaires quil ma demands,

    jassiste une scne stupfiante.

    Sans me prvenir, encore moins me demander mon avis, il dcroche son tlphone et appelle ma

    banque. Il se prsente, explique que je suis aspirant locataire, et dun ton parfaitement dtach,

    demande aprs avoir donn mon numro de compte, sil ny a pas de problme . Un temps de

    silence correspondant la courte recherche de son interlocuteur, qui le rassure, et il raccroche

    aprs avoir remerci.

  • 15

    Je suis estomaqu. Devant moi sest droule une violation de secret bancaire mon dtriment, et

    dune manire naturelle indiquant que cest une pratique courante. Je ne sais ce qui est le plus

    rvoltant, de cet agent immobilier qui mprise suffisamment un futur locataire pour faire cela sous

    ses yeux, ou de ma banque qui ne se fait pas prier pour commettre un dlit pnal mon prjudice.

    Et encore je men tire bien puisque lavis donn a t positif.

    Que puis-je faire en retour ? Rien bien sr. Outre le fait que je nai aucune preuve, je subis le

    rapport de forces : si je ne suis pas content, on me priera daller voir ailleurs. Je ne ragis donc pas,

    malgr lenvie qui me dmange de lui dire son fait, et je signe mon bail.

    29 septembre 2004

    Au journal tlvis ce soir. En Corse, des nationalistes trouvent quil y a trop de Pieds Noirs,

    arrivs aprs lindpendance de lAlgrie en 1962, et qui pour certains ont acquis des terres dans

    lle. Ils ont donc dcid de pratiquer lexpropriation gratuite. Un jour, un groupe dautochtones

    arrive sur le terrain dun Pied-Noir, et linforme que dornavant ce terrain appartient lun dentre

    eux. Le propritaire est somm de dguerpir sur-le-champ.

    La plupart du temps lexpropri se tait, sous la menace de reprsailles physiques sur lui et sa

    famille. Il continue dtre le propritaire lgal et donc de payer les impts et taxes affrents un

    bien qui de fait nest plus le sien.

    Lun dentre eux a eu le courage daller en justice, et le tribunal a ordonn lexpulsion de

    loccupant. Belle victoire de la justice nest-ce pas ? Ne tenthousiasme pas trop vite, lecteur naf.

    Car ce jugement nest quun bout de papier sans valeur. Loccupant refuse videmment de partir,

    et pour ly contraindre, il faut le concours de la force publique, cest dire que la police ou la

    gendarmerie doit procder lexpulsion manu militari. Or la loi prvoit que quand lexpulsion

    risque de provoquer un trouble lordre public , le Prfet peut refuser de fournir les forces de

    lordre ncessaires, et le jugement nest donc pas appliqu.

    Dans le cas prsent, le Prfet concern, certain davance que les nationalistes vont sopposer par la

    force lexpulsion, considre quil y a risque de trouble lordre public . Il a donc ordonn la

    gendarmerie de ne pas rpondre la demande du propritaire lgal. Interrog par le journaliste,

    il dit sans la moindre gne : je ne prendrai pas le risque de faire tuer un gendarme .

    Cela est parfaitement lgal : la loi prvoit quune dcision de justice peut ne pas tre applique

    mais par lEtat seulement. Cela sappelle un Etat de Droit.

  • 16

    Oui, objecteront les juristes troits, mais le propritaire peut prsent se retourner contre lEtat

    pour demander tre indemnis de ce refus. Cela aussi est prvu par la loi.

    Belle consolation. Aprs une premire procdure probablement longue et coteuse, le propritaire

    doit maintenant en introduire une autre devant les juridictions administratives, connues pour leur

    lenteur. Il va lui falloir prouver la valeur de son bien, laquelle ne peut rsulter que dune expertise

    judiciaire. Or loccupant bien videmment va sopposer ce que lexpert dsign par le juge

    pntre sur le terrain pour lvaluer. Donc le tribunal rpondra au demandeur que lindemnit

    rclame, cense tre gale la valeur allgue du bien, ne repose sur aucun lment concret, et

    soit la refusera, soit la rduira fortement.

    Dans le meilleur des cas, notre courageux plaideur, dix ou quinze ans aprs son expropriation

    physique, percevra une indemnit le ddommageant partiellement. Il ne sera indemnis ni pour la

    valeur relle du bien, ni pour le temps consacr ces longs procs, ni pour le prjudice moral

    davoir t trait comme on ltait au Far West. En outre, loccupant aura ainsi acquis un terrain

    par la force, le prix (mme partiel) tant pay par le contribuable.

    Pendant ce temps, partout en France, on expulse sans tat dme des locataires qui ne peuvent plus

    payer leur loyer. A condition quils soient isols. Car sils sont soutenus par un comit daction

    quelconque qui menace de sopposer lexpulsion, si des lus sen mlent, si la presse couvre

    lvnement le Prfet capitule comme ci-dessus, et la force lemportera comme dhabitude.

    Bienvenue en France, Etat de Droit.

    3 avril 2005

    Cette brve information dans le Nouvel Observateur de cette semaine (N 2108 p. 48) que je

    veux transcrire telle quelle. Le Ministre de la Justice ne respecte pas la loi commune et

    emploie au noir bon nombre de collaborateurs occasionnels. Cette information na pas t

    conteste par le Ministre. En janvier 2000 Martine Aubry avait tent de mettre fin cette

    situation par un dcret que la chancellerie juge aujourdhui inapplicable .

  • 17

    Il y a quelques annes dj, javais tiqu en entendant cette information la radio : dans une

    grande ville du sud (je crois quil sagit de Montpellier) on avait appris aprs que la

    construction du nouveau Palais de Justice ft termine, quune ou plusieurs entreprises qui

    avaient t choisies pour le chantier avaient employ des travailleurs au noir. Cette fois cest

    le ministre lui-mme.

    Tous les jours en France, les parquets sous lautorit du Ministre de la Justice engagent des

    poursuites contre des employeurs pour travail clandestin. Pendant ce temps le ministre,

    labri de son impunit, se comporte comme ceux quil fait poursuivre.

    Mise jour : Dalloz Actualits 7 octobre 2014

    La Chancellerie est-elle en rgle avec le Trsor et

    lURSSAF ?

    Les collaborateurs occasionnels du service public de la justice ne sont pas dclars par la

    Chancellerie et la plupart neffectuent pas les dmarches sociales et fiscales qui

    simposeraient.

    Madeleine (*) est retraite depuis quelques annes. Ancienne fonctionnaire travaillant dans le

    monde judiciaire, elle est appele il y a cinq ans par un vice-procureur pour devenir dlgue

    du procureur, un mtier qui consiste assister les magistrats du parquet et mettre en uvre

    les mesures dites alternatives aux poursuites pnales. Rappels la loi, rparations pnales,

    compositions pnales, etc. Bref, un nombre non ngligeable de missions qui permettent de

    dcharger les tribunaux de France.

    Loffre est tentante, elle aime ce milieu la justice et elle arrondirait bien ses fins de mois.

    Elle accepte. Jai six audiences par mois environ, sans compter le temps de prparation, qui

    se font sur rquisitions du procureur. Je partage mon temps entre le tribunal et la Maison de la

    justice et du droit (MJD). Cela quivaut un mi-temps . En tout, cela peut rapporter entre

    300 et 1 000 au gr des paiements des rgies des tribunaux, sur les frais de justice, aprs

    remise dun mmoire de frais. Mais voil, cet argent est vers sans bulletin de paie, sans

    facture, sans rien. En somme, aucune charge sociale nest paye, aucun impt non plus.

    Cest hyper pratique pour la justice. On la soulage et on gagne un peu plus la fin du mois.

    Tout le monde y gagne , sourit Madeleine. Lindemnisation des dlgus du procureur

    permet quelques-uns, si leur procureur les chouchoute, de se faire dagrables complments

    de leur retraite , souffle une magistrate.

    La situation nest pas franchement nouvelle et elle dpasse largement les mille dlgus du

    procureur tous des retraits issus de la police, de la gendarmerie, de lenseignement ou

    encore de la fonction publique - que comptent les tribunaux en France. Le Canard enchan,

  • 18

    Le Figaro, Libration avaient dj rvl ces travailleurs au noir plein les palais de justice

    . Les dputs galement, qui ont, plusieurs reprises, interpell le ministre de la justice sur

    la situation de ceux qui sont appels les collaborateurs occasionnels du service public de la

    justice (COSP). Une nbuleuse , comme le dit Madeleine, de personnes qui travaillent pour

    la justice mais dont le statut est ce point compliqu que la Chancellerie, elle-mme, avoue

    son incapacit rgulariser la situation sociale et fiscale.

    Jusquen 2000, on peut parler de no mans land concernant les bnvoles indemniss . Que

    sont-ils ? Des salaris ? Des travailleurs indpendants ? En 1994, la Cour de cassation, saisie

    du cas dune psychologue experte judiciaire, est claire : il sagit dune activit librale1. Puis,

    plus rien. Il faut attendre un dcret du 17 janvier 20002 pour que toutes ces personnes soient

    finalement rattaches au rgime gnral. Experts, enquteurs sociaux, mdiateurs civils,

    administrateurs ad hoc, mdecins experts, dlgus du procureur, etc. se retrouvent alors

    soumis aux rgles du rgime gnral. Les cotisations de scurit sociale dues au titre des

    assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, [] sont calcules

    sur les rmunrations verses mensuellement ou pour chaque acte ou mission, le cas chant,

    par patient suivi annuellement , prcise larticle 2 du dcret.

    Un texte qui est rest lettre-morte. En 2013, le ministre de la justice, dans une rponse

    ministrielle3, le reconnaissait : Ce rgime sapplique une grande diversit de situations,

    allant du concours ponctuel, voire exceptionnel, dune personne ladministration, une

    activit rgulire pour le compte du service public, pouvant mme constituer lintgralit de

    lactivit professionnelle des personnes en question . Pis, selon la Chancellerie, la situation

    est trop complexe pour la rsoudre. Au ministre de la justice, la mise en uvre de ce

    dispositif savre particulirement complexe en raison du volume des mmoires traits, du

    nombre de prestataires concerns et de la diversit de leur situation .

    Il est vrai quentre-temps, en 2012, Bercy a dcid que tous ces collaborateurs occasionnels

    devaient tre assujettis la TVA et quils navaient aucun rapport avec le statut de salari. Un

    peu plus de complication en vue. Sans compter dcidment qu aucun logiciel nest

    actuellement en capacit de traiter la fois des prlvements sociaux et lapplication de la

    TVA . Contrairement bon nombre dentreprises du secteur priv, il semblerait.

    Dans une circulaire du 8 octobre 2013 de la direction des services judiciaires et de la direction

    de la lgislation fiscale, les collaborateurs occasionnels sont donc finalement soumis la

    TVA. Reste que personne ne sait si cela est fait partiellement, en totalit ou pas du tout. Le

    trsor franais continue ne recevoir ni TVA ni impt sur le revenu. LURSSAF continue

    ne pas recevoir de cotisations sociales sur ces montants. Madeleine, elle, ne dclare toujours

    pas les revenus de son travail et le tribunal non plus, dailleurs. Une situation quelque peu

    cocasse de la part dun ministre dont lune des missions est notamment de lutter contre le

    travail illgal. Il suffit de jeter un il au Bulletin officiel du ministre de la justice pour

    retrouver les circulaires adresses notamment aux procureurs relatives la mise en uvre

    du plan national de coordination de la lutte contre la fraude pour 2011 (7 juin 2011) ou

    relative au plan national de lutte contre le travail illgal (5 fvr. 2013).

  • 19

    La Cour des comptes sest galement penche sur la question. Dans un rapport de 2012 sur les

    frais de justice, les magistrats sinterrogent sur certains facteurs de laugmentation des frais de

    justice en prix et en volume. Le dcret de 2000 prvoit ainsi en application de cette loi le

    calcul de la part employeur des cotisations sociales des COSP. Le cot de cette mesure, qui

    na encore reu aucune application, est estim 30 millions deuros dans le dernier budget

    triennal. Lapplication des prlvements sociaux apparat pourtant difficilement compatible

    avec lassujettissement la TVA cette taxe ayant vocation sappliquer une activit

    conomique exerce sans lien de subordination . La Cour ajoute quil est urgent

    dexaminer la combinaison des rgles sociales et fiscales applicables aux rmunrations des

    expertises judiciaires au risque de crer des difficults de financement budgtaire . Et

    dajouter que, selon lestimation de la Chancellerie, lapplication cumule des charges

    patronales et de la TVA aurait pour effet daugmenter la dpense en matire dexpertises

    judiciaires de plus de 40 % . Une valuation qui ne prend en compte que les experts

    judiciaires. Et sachant que, selon lestimation de la Chancellerie, seuls 53 % des mmoires

    de frais sont pays dans lanne au cours de laquelle lexpertise a t effectue 4.

    Lurgence il ny en a pas, pour linstant. Les gardes des Sceaux successifs ont t alerts.

    Rachida Dati, en 2008, dans un courrier adress Dominique Balmary, prsident de

    lUNIOPSS5, tait trs claire : Je souhaite vous assurer de ma volont de voir enfin aboutir

    sous mon ministre les ngociations permettant lapplication dune mthode simple qui amne

    les professionnels concerns cotiser effectivement aux rgimes sociaux sur les sommes

    quils peroivent . Lancienne ministre cite un dcret du 18 mars 2008 qui permet

    lemployeur de retenir une rmunration lacte ou la mission comme assiette de calcul de

    cotisations. Sauf que, quelques lignes plus tard, Rachida Dati conditionne la mise en

    application de ce texte au dveloppement de moyens techniques et budgtaires.

    Le snateur Jean-Pierre Sueur, prsident de la commission des lois, sest galement fendu

    dune lettre lactuelle garde des Sceaux. Christiane Taubira lui rpond par crit le 20 aot

    2013. Selon le ministre, la mise en uvre de ce dispositif savre particulirement complexe

    en raison du volume de mmoires traits, du nombre de prestataires concerns et de la

    diversit de leur situation . Des actions ont nanmoins t entreprises : le ministre a obtenu

    des modalits de calcul simplifies pour les cotisations verser lURSSAF, il a rationalis

    le circuit de traitement des mmoires de frais et a prvu la modification du logiciel implant

    dans les juridictions pour raliser le calcul des prlvements sociaux . Sauf que, encore une

    fois, la modification du prologiciel na pu aboutir et les volutions ont t reportes la

    ralisation du nouveau logiciel webis de gestion des frais de justice interfac avec Cur

    Chrorus . Pas simple, effectivement.

    Alors, le 21 janvier 2014, la Chancellerie, le ministre des affaires sociales et Bercy ont

    missionn lInspection gnrale des services judiciaires sur le rgime social et fiscal des

    collaborateurs occasionnels du service public et leurs modalits de gestion . La lettre de

    mission prcise bien que lapplication concrte de la rglementation en vigueur est toutefois

    partielle et trs disparate []. Cette situation est porteuse de risques juridiques : le non-

    paiement des cotisations sociales a donn lieu des condamnations de ladministration par les

  • 20

    juridictions administratives, en raison du prjudice cre par labsence de droits retraite.

    Labsence de dclarations sociales de la part des administrations a, en outre, facilit

    loccultation de ces sommes limpt sur le revenu par certains professionnels, tandis que

    labsence de facturation de la TVA pour certaines activits pourrait tre susceptible

    dentraner des procdures dinfraction de la part des instances europennes . Le rapport a

    t rendu en juillet la Chancellerie. Depuis, chut. Les conditions et difficults de mise en

    uvre des rgles du rgime social COSP sont connues et font rgulirement lobjet de

    discussions au plan interministriel []. Les recommandations du rapport sont actuellement

    ltude afin de faire voluer la situation , a rpondu la Chancellerie. Contacte galement, la

    Caisse nationale du rseau des URSSAF (ACCOS) na pu apporter les lments de rponse

    requis .

    Martigues, Christiane Taubira tacle les associations socio-judiciaires

    Ce sont dabord les associations socio-judiciaires qui se sont plaintes de la situation

    ingalitaire entre collaborateurs occasionnels, personnes physiques, et collaborateurs

    travaillant au sein dassociation. Les 19 et 20 juin dernier, lors du congrs national des

    fdrations Citoyens et Justice et INAVEM, Thierry Lebhot, prsident de Citoyens et Justice,

    est revenu la charge sur ce sujet, devant le garde des Sceaux. Nos associations demeurent

    une variable dajustement tandis que prosprent des personnes physiques, il faut que je vous

    le dise aussi, dlgu du mdiateur du procureur que je continue de qualifier de travailleur au

    noir au ministre de la justice, ce qui est quand mme une situation dlicate pour un ministre

    charg de poursuivre les dlinquants . Christiane Taubira rpond dun seul trait. Nous

    veillerons ce que de telles situations, en tous les cas quil y ait des raisons il peut y avoir

    des raisons objectives, hein, nayons pas un prjug de fantaisie de la part du parquet qui

    dcide dinterrompre le travail avec une association. Ceci tant, il peut y avoir une difficult

    ponctuelle, il faut la regarder, faire en sorte quon y apporte des correctifs, que ces difficults

    ponctuelles naient pas pour consquence un sort fatal lassociation [] Je me suis permise

    de regarder vos rsultats financiers [sadressant Thierry Lebhot, ndlr], je me suis rendue

    compte que vous avez une trs bonne gestion [rires dans la salle, ndlr] et que nous avons

    quand mme maintenu le niveau dintervention du ministre auprs de votre association et

    vous avez de beaux rsultats. Donc, je vous fais mes compliments et a nuance le sentiment

    de catastrophe que jai eu un peu un certain moment en vous coutant . Le prsident de

    Citoyens et justice tente dintervenir. Christiane Taubira cingle, en souriant. Vous navez

    pas la parole .

  • 21

    15 Aot 2014

    Un fabricant de trompettes cribl de dettes,

    faute d'tre pay par l'arme

    Par France tv info 15 aot 2014

    https://fr.news.yahoo.com/fabricant-trompettes-cribl%C3%A9-dettes-faute-d%C3%AAtre-

    pay%C3%A9-larm%C3%A9e-141234638.html

    En quatre ans, il a fourni 400 instruments de musique l'arme. Mais depuis la dernire

    livraison, en juin, la Grande Muette fait silence radio. Un commerant de Lille (Nord) est

    cribl de dettes cause des retards de paiement de l'arme, rvle Mediapart, jeudi 14 aot.

    Alors que l'Etat lui devrait plus de 240 000 euros, l'entreprise Cuivre et bois est dsormais

    dans une situation critique, puisque ses cranciers l'ont assign au tribunal. "Si l'arme ne

    paye pas, clairement, on sera KO", rsume Pierre Vicogne, interrog par France Inter.

    D'autres PME souffrent de retards de paiement de l'arme

    L'arme s'est refuse tout commentaire. Mais selon Mediapart, des sources auraient voqu

    des livraisons incompltes ou en mauvais tat pour justifier des non-paiements.

    Au total, quelque 3600 PME sous contrat avec le ministre de la Dfense souffrent de retards

    de paiement, selon la dpute de Moselle Anne Grommerch. Pierre Vicogne n'est, semble-t-il,

    pas le seul se plaindre.

    Des trois choses lune. Soit lEtat a des difficults et ne peut rgler ses fournisseurs. On voit alors que lEtat, qui dtruit les vies de ceux qui ont une dette envers lui (mme quand cette dette est le rsultat de son racket) se comporte ensuite comme eux quand il est dans le mme cas, car comment

    faire autrement ? Pas plus que nous, il ne fait pousser de largent dans des pots de fleur. Soit il sagit de ngligences, et l encore il y a une diffrence de traitement injustifiable entre lEtat et nous. Lui nest pas sanctionn, mme sil accule la faillite des centaines dentreprises. Par contre le particulier ou lentreprise ngligent le paie dune vie gche, et parfois perdue. Soit le retard est volontaire, justifi par des choix de gestion. On est alors dans le mpris absolu des

    citoyens, qui eux ne peuvent se permettre une telle facilit.

  • 22

    6 avril 2005

    En rangeant quelques affaires au grenier, japerois au fond dun carton deux billets de thtre

    jaunis et dchirs. Et je me souviens. Ctait au printemps 1990, jhabitais Lyon. Le Thtre

    des Clestins, gr par la commune, donnait la pice Romo et Juliette . Jy invite une

    amie, et je prends lavance deux billets. Le soir du spectacle, nous nous y rendons avec mon

    vhicule. Arrivs sur place, impossible de se garer : un kilomtre la ronde, la moindre

    place de stationnement est occupe (probablement par les spectateurs puisque dans ce secteur,

    il ny a rien dautre que le thtre).

    Aprs avoir tourn un long moment, je finis par dnicher une place assez loigne. Je me

    gare, et nous filons au pas de course vers le thtre. Nous sommes en retard, alors que nous

    tions partis largement lavance.

    Qui pouvait prvoir un tel encombrement ? Arrivs la caisse, nous donnons nos billets

    quon nous rend poinonns. Nous pouvons aller nous installer.

    Il sagit dun amphithtre en plein air. Nous devons parcourir quelques dizaines de mtres

    partir de la caisse pour y arriver. La pice est dj commence et nous entendons les acteurs

    dclamer. Vite, essayons de ne pas manquer tout le dbut.

    Nous voil au sommet de lamphithtre. En face de nous l bas, la scne et les acteurs qui

    nous font face. A nos pieds, nous tournant le dos, les spectateurs sur leurs gradins. Est-ce

    possible ? Il ny a pas une place libre. Pas une. Impossible de sy tromper : cette fin de

    journe est encore ensoleille et on y voit parfaitement. Les spectateurs sont serrs comme des

    sardines dans leur bote et on ne pourrait mme pas poser une fesse sur le bout dun banc.

    Nous voyons sur les cts dautres attards qui semblent aussi dsempars que nous.

    Il faut nous rendre lvidence : la direction du thtre a fait du surbooking . Elle a vendu

    plus de billets quil ny a de places disponibles. Je sens la colre me gagner. Tout ce temps

    perdu, pour aller chercher les billets au centre de Lyon en plein aprs-midi plusieurs jours

    lavance, prendre mon amie en voiture ce soir de lautre ct de la ville, chercher une place,

    remonter pied la longue distance nous sparant du thtre. Le projet de passer une bonne

    soire. Tout a pour a.

    Il y a non loin de nous deux employs municipaux chargs de canaliser les spectateurs,

    auxquels un couple est all demander des explications, mi-voix pour ne pas perturber le

    spectacle. Nous nous approchons, et entendons le mpris des deux grouillots : il fallait arriver

    lheure disent-ils en substance. Une telle btise nous met hors de nous. Ds lors quil ny a

    pas assez de places, il devait ncessairement y avoir des gens debout. Le ton monte. En ce

    lieu conu selon les lois de lacoustique, les clats de voix arrivent jusque sur la scne o les

    acteurs sinterrompent et lvent leurs regards vers nous, imits par les spectateurs qui se

  • 23

    retournent. Gns, les deux sots nous disent voix basse et lair soudain radouci : venez, on

    va vous rembourser , et nous ramnent vers le guichet.

    A une dizaine de mtres de celui-ci ils sarrtent, le visage nouveau ferm, et nous font

    signe de nous adresser la guichetire. Laquelle, visiblement habitue ce stratagme, refuse

    tout remboursement avec la mme arrogance que ses deux collgues. Nous avons t jous :

    le but des deux larrons tait de nous loigner des gradins et nous empcher dy retourner.

    Cen est trop. Il y a devant le guichet un groupe dune dizaine de personnes furieuses, tandis

    que dautres reviennent du haut de lamphithtre dans les mmes dispositions. Lambiance

    devient lectrique, ce que voyant, le personnel va chercher les policiers de faction

    lextrieur. Nous leur exposons la situation, qui ne semble gure les intresser. Eux, leur seul

    problme cest lordre. Jessaye de calmer les esprits et propose celui qui semble leur chef

    de bien vouloir monter jusquau sommet de lamphi, afin de constater quil nexiste pas une

    seule place libre. Il refuse : ce nest pas une infraction pnale dit-il, ce qui est (en principe)

    vrai. Jessaye dargumenter : si les choses dgnrent il y aura bien dlit de notre part et cest

    dailleurs pour cela que la police vient dtre sollicite. Ds lors elle peut constater ltat de

    fait susceptible de provoquer ce dlit, dautant quelle est sur place. Peine perdue, cest un

    raisonnement trop compliqu pour ce gardien de la paix, qui nous propose, afin de se

    dbarrasser de nous, de dposer une main courante au commissariat le lendemain, formalit

    parfaitement inutile en lespce.

    Constatant que la tension a baiss dun cran, les policiers scartent mais restent non loin du

    guichet, lil sur nous. Je tente alors de convaincre les autres pigeons dchanger nos

    coordonnes afin de dposer une rclamation collective auprs du thtre ou de la mairie,

    voire une action en justice, leur prcisant que je suis avocat. Une action en justice ? Cest

    comme si je leur avais propos de jouer dans un film porno. Un seul accepte de me donner ses

    nom et adresse. Lternelle lchet, le fatalisme, les bof, ils sont plus forts que nous .

    Nous partons. Dans la voiture, La qui ne dcolre pas, me dit : ils ne savent pas sur qui ils

    sont tombs faisant allusion mes mystrieux pouvoirs davocat. Je mabstiens de la

    dtromper, ntant que trop conscient de mon impuissance. Ds lors que nous ne sommes que

    trois, sans preuve, aucune action judiciaire na de chance daboutir.

    Le lendemain je massois mon clavier et cris une belle lettre la direction du thtre avec

    copie la mairie, dans laquelle je relate les faits, et demande le remboursement des trois

    billets. Je suis aussi aimable que possible, soulignant notre intrt pour les activits culturelles

    de la Ville, notre certitude (inexistante cela va de soi) quil y a l une bvue ponctuelle dans la

    gestion des places. Bien entendu jcris comme particulier, et ne fais aucune allusion une

    action en justice que je sais voue lchec.

    Je ne recevrai jamais la moindre rponse.

  • 24

    Combien de centaines, de milliers de personnes ont-elles t ainsi gruges sans recours

    possible par une personne publique, sous la protection de la police ?

    23 avril 2005

    Un journaliste du Parisien relate brivement dans ldition de ce jour la scne anodine dont il

    a t tmoin sur la route. Alors quil roulait la vitesse limite autorise sur cet axe, soit 110

    km/h, lil riv au compteur pour ne pas la dpasser, il se fait doubler par une voiture de

    gendarmerie.

    Ni gyrophare ni sirne, donc pas durgence. Du coup le conducteur derrire le journaliste,

    enhardi par cet exemple en fait autant. Un peu plus loin notre journaliste voit la voiture de

    gendarmerie arrte et leurs occupants discuter tranquillement devant le vhicule : cest la

    confirmation quils ntaient pas presss.

    Et le rdacteur de faire un commentaire amer : ainsi ceux qui reprsentent la loi

    Je nai pu mempcher de sourire avec attendrissement devant cette indignation pure et saine.

    Cest exactement ce que je ressentais autrefois, avant dtre dniais par tout ce que je raconte

    ici, et le reste.

    20 septembre 2005

    Le Tribunal Correctionnel de BOBIGNY devait juger un Camerounais de 19 ans en situation

    irrgulire qui avait refus de sembarquer dans lavion devant le ramener chez lui aprs un

    arrt dexpulsion.

    Chaque semaine ce tribunal juge des fournes dtrangers dans cette situation. Ils sont

    condamns une peine de prison et aprs lavoir purge, sont nouveau conduits dans

    lavion o en principe tout peut recommencer ; cependant en pratique les forces de lordre,

    lors de ce deuxime embarquement, utilisent la contrainte physique adquate. Et personne

    nen entend parler.

  • 25

    Mais cette fois, lhomme bnficiait dun comit de soutien constitu par lextrme gauche et

    les organisations de dfense des immigrs.

    Lavant-veille, soit dimanche 18 septembre, plusieurs dizaines de ses sympathisants lavaient

    attendu laroport et soutenu physiquement, provoquant des chauffoures avec les forces

    de lordre. Celles-ci ont donc renonc lembarquer et lont prsent au Parquet, qui la

    renvoy en correctionnelle laudience daujourdhui.

    Quatre cents immigrs et militants manifestaient avant laudience dans la cour du tribunal.

    Entre-temps la presse avait largement couvert lvnement : ce jeune homme avait un enfant,

    il prparait son bac

    Alors lEtat a capitul. Le Ministre Public a renonc aux poursuites et lhomme ne sera pas

    jug. En outre le ministre de lintrieur lui dlivre un titre de sjour provisoire dun an, dont

    le caractre dfinitif na chapp personne.

    Le ministre de lintrieur Sarkozy, qui se prsente comme le champion de la fermet face la

    dlinquance sous toutes ses formes, et donc limmigration clandestine, a fait comme les autres

    avant lui et aprs lui : il a montr que lEtat de Droit est le cache-sexe de lEtat de Force.

    Si cet homme avait t seul, on lui aurait appliqu la loi dans toute sa rigueur, comme on le

    fait rgulirement pour ses coreligionnaires. On aurait mme viol la loi pour tre plus svre

    si tel avait t le bon plaisir des dcideurs. Lhomme isol a toujours tort, le nombre lemporte

    toujours.

    Si laudience du Tribunal stait tenue, les magistrats, qui jugent souvent en faveur de ceux

    qui font le plus de bruit, auraient probablement rendu une dcision indulgente.

    Jai assist il y a une douzaine dannes ma premire audience devant le Tribunal

    Correctionnel de BOBIGNY. Une salle bonde o sentasse une faune forte proportion de

    jeunes immigrs venus soutenir leurs copains qui comparaissent pour des larcins, des

    violences, des outrages. Et plusieurs trangers expulss ayant refus dembarquer.

    Lambiance est celle dune classe indiscipline face un professeur dpass. Une prsidente

    blase qui ne cherche mme plus faire cesser le brouhaha. Des quolibets qui fusent a et l.

    Un seul policier de faction avec un air de brave pre de famille qui se demande ce quil fait l.

    Et la peur. Tacite. Latente. Pas celle des prvenus qui doivent tre jugs : ils la cachent. Pas

    celle de leurs proches qui sont dans le public et qui font de mme. Non, la peur des victimes,

    de leurs proches qui sont l aussi, des tmoins. Et des juges, qui sefforcent de donner une

    image impassible, mais qui nosent faire taire les perturbateurs, encore moins les faire

    expulser.

  • 26

    Certes des condamnations sont prononces. Mais qui peut jurer que dans cette ambiance, les

    juges ont tranch comme ils lont voulu ? Mme si cest le cas, la suspicion planera toujours.

    Le rapport de force, encore et toujours.

    10 octobre 2005

    La presse rapporte que le nouveau Ministre de la Justice, Pascal Clment, issu du Barreau, a

    prsent devant les dputs un projet de loi portant aggravation des peines de la rcidive. Il sagit

    donc de faire en sorte quun dlinquant rcidiviste soit puni plus svrement quil ne lest

    actuellement : pourtant depuis toujours la rcidive est sanctionne plus durement que le dlit

    initial, mais le gouvernement ne sait comment faire pour montrer lopinion quil se proccupe de

    la dlinquance, alors il sagite comme une mouche dans un bocal.

    Et voil la proposition du ministre-avocat. En ce qui concerne les dlinquants sexuels rcidivistes,

    le projet prvoit quaprs leur sortie de prison, ils seront placs sous surveillance lectronique

    permanente grce un bracelet lectronique quon leur imposera de porter.

    Quoi quon pense de la mesure, lessentiel nest pas l mais dans la suite. Car le ministre veut que

    la mesure sapplique aux dlinquants qui ont t condamns avant ladoption de la loi. Autrement

    dit celle-ci serait rtroactive. Or la non rtroactivit des lois est inscrite dans la Dclaration des

    Droits de lHomme (art.8) dont la France est si fire, et laquelle le prambule de notre

    constitution fait explicitement rfrence.

    Notre ancien protecteur des droits de lhomme devenu ministre veut donc violer ouvertement ces

    deux textes fondamentaux de la Rpublique. Sachant que le Conseil constitutionnel annulerait la

    loi coup sr, que fait-il ? Il demande aux dputs, aprs avoir reconnu que son projet nest pas

    conforme la Constitution, de ne pas saisir le Conseil Constitutionnel.

    Un vnement aussi inou a d rarement se prsenter dans la vie parlementaire, en tout cas sous la

    V Rpublique.

    Le toll est tel, dans la presse notamment, que lavocat-ministre doit retirer son projet pour le

    transformer en lui donnant un air plus convenable.

    Dans un vritable Etat de Droit, ce ministre, supposer quil puisse avoir une ide aussi

    choquante, devrait dmissionner. Mais non. Le gouvernement peroit cela comme une gaffe, quil

    demande limprudent de rparer.

  • 27

    Nous avons l une partie visible de liceberg. Ce Garde de Sceaux, comment se comporte t-il dans

    lexercice de son ministre ? Cet avocat-gardien-des-liberts , qui aurait t scandalis si un

    autre avait fait une telle proposition, combien dindlicatesses a-t-il commis lorsquil tait au

    barreau, sans consquences ds lors quil tait docile avec les dtenteurs du pouvoir ? Et combien

    y a-t-il de comportements attentatoires au droit, la morale, chez ceux qui sont censs les incarner,

    sans que lopinion en soit informe car ce nest pas assez spectaculaire ?

    2 novembre 2005

    La banlieue parisienne est en feu. Il y a quelques jours trois adolescents de CLICHY SOUS BOIS

    (93), poursuivis ou non par la police (le fait nest pas clairement tabli mais na aucune

    importance) staient rfugis dans un transformateur E.D.F. malgr lavertissement bien visible

    qui sy trouvait plac. Deux sont morts lectrocuts, lautre a survcu avec de srieuses blessures.

    Aussitt un scnario bien rd depuis des annes a t rejou. Un jeune dun quartier

    difficile ne doit pas mourir de mort violente quelle quen soit la cause (bagarre entre deux bandes

    rivales, poursuite avec la police) sans que la collectivit en fasse les frais. Voitures brles,

    abris-bus dtruits, pompiers recevant des jets de pierre alors quils ne font que porter secours aux

    blesss, et teindre les incendies, sont la rponse automatique tout dcs brutal.

    A chaque fois, les sociologues en chaise longue, les hommes politiques dmagogues et

    irresponsables, certains journalistes, aucun nayant jamais approch un seul de ces jeunes , se

    penchent gravement sur le phnomne et donnent leur diagnostic. Il faut comprendre ces

    jeunes . Ils mnent une vie difficile. Sont victimes de racisme. Nont pas davenir. Et on ne leur

    propose que la rpression, qui ne rsout rien. Alors quand au surplus lun deux meurt

    violemment, cest trop, cest lexplosion. Il faut soccuper deux , les prendre en charge, leur

    fournir du travail, des loisirs

    Les pouvoirs publics, interpells par lopposition ou certains groupes de pression, cherchent

    calmer le jeu . Pas question de punir svrement les auteurs de toutes ces dgradations, souvent

    ruineuses, qui seront payes par le contribuable. On en arrte quelques uns, on les relche presque

    tous sans poursuites, et les deux ou trois qui sont trop compromis passent tout de mme en

    jugement (il faut bien garder la fiction dun Etat de droit). Les magistrats, qui comprennent ce

    quon attend deux, leur infligent une peine lgre, afin de ne pas attiser les braises.

    Les parents des victimes deviennent pour quelques jours les vedettes des mdias. Ils lancent un

    appel au calme, disent quil faut avoir confiance en la justice (et les juges comprennent

    parfaitement le message). Demandent tre reus par les autorits, qui bien entendu sexcutent :

    prfet, ministre, voire premier ministre, promettent que toute la lumire sera faite sur ce drame .

    A la sortie de lentretien, les journalistes les assaillent comme des personnalits de premier plan.

  • 28

    Dans les jours qui suivent, les journaux et magazines font leurs choux gras de lvnement, avec

    interview du sociologue de service, reportage dans le quartier chaud concern ou dans un autre

    identique. Et toujours le mme esprit : il faut traiter la dsesprance de ces quartiers, sinon cela va

    recommencer.

    Pendant ce temps, dans la modeste chambre dun foyer ou dans un appartement do il est menac

    dexpulsion, un chmeur honnte et anonyme rumine sa rancur. Lui, personne ne lui demandera

    rien et ne fera rien pour lui, car il ne fait pas de bruit.

    Pendant ce temps, des millions de franais qui connaissent ces jeunes mieux que ceux qui en

    parlent, enragent. Ils savent que ce sont pour lessentiel des tres dcervels, avec qui aucun

    dialogue nest possible. Que leur dsesprance nest pas pire que celle dautres catgories de la

    population, qui ont le tort de ne rien brler. Que la casse est pour eux un jeu excitant, comme on le

    voit chaque anne Strasbourg, o les voitures incendies Nol sont une tradition locale au

    mme titre que la Feria de Nmes ou la braderie de Lille

    Faut-il tre stupide pour sen prendre des pompiers ou leur caserne parce que dans le cerveau

    atrophi de ces demeurs, ceux qui portent un uniforme, ont un vhicule avec gyrophare et sirne,

    reprsentent lAutorit, comme la police ?

    Je suis avocat et jai souvent approch ces individus en tant que commis doffice. Je les connais

    mieux que nimporte quel universitaire perch sur son nuage. Je nai presque jamais pu avoir un

    change cohrent avec eux.

    Quel que soit leur ge, ils ont dix ans. Comme pour un gosse, il est inutile dessayer de leur faire

    prendre conscience de ce quils ont fait. Il faut seulement quils sachent que leur acte a un prix, et

    le leur faire payer. Alors la peur de le payer nouveau les retiendra dans lavenir.

    Cela nempche videmment pas une politique intelligente de prvention, et de rinsertion aprs la

    prison, quand cela est possible. Mais les intellectuels brumeux pour qui la rpression ne rsout

    rien sont aussi dangereux que ceux quils dfendent.

    Jai entendu un jour la tlvision un avocat pnaliste tenir un discours hallucinant. Un pnaliste

    ne pratique que le droit pnal, et a donc essentiellement pour clientle des dlinquants, petits et

    grands (il prfre bien sr les grands, cest plus valorisant).

    A un certain moment il a dit : il faut fermer toutes les prisons. Elles ne servent rien . Question

    (logique) du journaliste : par quoi les remplacer ? . Rponse (consternante) : ce nest pas mon

    problme. Je ne suis pas un constructeur, je suis un dnonciateur. .

    Je suis rest bouche be. Quajouter cela sinon que sous la mme robe, nous ne faisons pas tous

    le mme mtier ? Quil peut y avoir autant de diffrence entre deux avocats quentre deux citoyens

    lambda ? Contrairement ce que pense lopinion, tous les avocats nont pas dempathie avec les

    voyous.

  • 29

    Alors aujourdhui, une nouvelle fois, lEtat de Droit cde devant ltat de force. Le premier

    ministre annule son voyage au Canada et promet quon va rsoudre les problmes sociaux qui se

    posent ces jeunes . Car bien sr ce sont les problmes sociaux qui ont tout cass, non les

    jeunes .

    Et ceux qui comme moi sont seuls, anonymes, impuissants face larbitraire de lEtat et de tous les

    dtenteurs du pouvoir, saigrissent un peu plus. Car cest un exemple supplmentaire de ce que la

    loi masque les rapports de force.. Les jeunes et leurs groupes de pression sont plus forts que

    lEtat.

    5 dcembre 2005

    Le Monde dat daujourdhui publie un article sur lapplication des lois en France. Daprs un

    rapport alarmiste du Snat, depuis 1981 une loi sur cinq vote par le Parlement na jamais t

    applique parce que le dcret ncessaire son application na pas t pris par le gouvernement.

    Nest ce pas beau lEtat de Droit ? On lit des dputs et des snateurs qui conformment la

    Constitution, votent des lois. Quand lune delle ne plait pas au gouvernement et quun dcret

    dapplication est ncessaire (ce qui nest pas toujours le cas), il suffit au gouvernement de ne rien

    faire : enterrement de premire classe.

    Ainsi lAdministration ne viole pas seulement le droit, mais aussi la dmocratie. Vive lEtat de

    Force.

    16 janvier 2006

  • 30

    LExpress du 12 au 18 janvier enqute sur linscurit dans les trains, aprs deux pisodes

    rcents qui ont particulirement choqu lopinion. En rgion parisienne sur la ligne allant de

    Mantes-la-Jolie Conflans-Sainte-Honorine, les loubards ne paient plus le transport, avec

    lassentiment tacite des pouvoirs publics. Voil ce que dit un conducteur (P. 52) : pour ces

    jeunes, la gare et le train sont le prolongement de leur territoire. Certains trains sont les leurs, ils

    ont leur voiture, - souvent la dernire. Il y a un semblant de compromis : sils ne font pas le bazar,

    on les laisse tranquilles, on ne vient pas les chercher . On ne leur demande mme pas davoir

    un billet, mais juste davoir un comportement qui ne soit pas trop drangeant. Sinon tous les

    samedi aprs-midi ce serait la bagarre.

    Un autre : je me rappelle quun jour les contrleurs avaient bloqu des jeunes sans billet. Le

    maire de Mantes-la-Jolie lui-mme est descendu en gare pour demander quon les laisse prendre

    le train : il ne voulait pas les garder parce quils cassaient tout en ville .

    Cest beau lEtat de Droit, nest ce pas ? Un individu isol na pas de billet. Il reprsente une force

    de nuisance nulle, on lui appliquera la loi dans toute sa rigueur. Vingt voyous nont pas de billet et

    menacent de tout casser si on leur en demande un : ne vous fchez pas, ce nest pas si grave.

    La farce de lEtat de Droit, lomniprsence de lEtat de Force, linexistence de lindividu face aux

    pouvoirs et aux groupes de pression. Voil ce quest notre belle socit.

    20 janvier 2006

    Lexpress de cette semaine en page 20. Sous le titre petits arrangements sont relats les

    passe-droits dont bnficient quelques clbrits, sur le dos de lEtat de Droit.

    Il y a le cinaste Luc Besson qui obtient de la Prfecture de Police de Paris que lon bloque une

    rue pour une soire entre amis ou des travaux son domicile .

    Il y a Catherine Deneuve qui exige que lon vide de ses convives la salle de certains restaurants

    quelle frquente, afin que soit prserve sa tranquillit (encore que l les pouvoirs publics ne

    soient pas en cause ).

  • 31

    Il y a Nathalie Baye, dont la voiture, stationne depuis plusieurs semaines au mme endroit

    Paris, na pas eu le moindre P.V., les pervenches de son quartier ayant appliqu la consigne : pas

    de prune pour lactrice.

    Dans un numro prcdent, le mme journal (semaine du 1er

    au 7 dcembre 2005) voquait (P. 24)

    lincarcration de lacteur Samy Nacery aprs quil ait sauvagement agress et dfigur un pauvre

    bougre qui venait lui livrer des tee-shirts avec un peu de retard. Lacteur, ancien dtenu, bagarreur

    impnitent et dangereux, avait lui aussi bnfici jusqu ce moment de la comprhension slective

    et slecte de la haute administration. Le cabinet de M. Sarkozy a certes estim cette fois que le

    personnage tait trop gravement impliqu. Mais larticle rapporte avec beaucoup de

    circonlocutions que mme ses plus proches amis tel Jean Reno- ont renonc solliciter le

    ministre de lintrieur comme ils ont parfois t tents de le faire, par le pass .

    Vous qui avez lu ce journal jusque-l, cela vous tonne encore ?

    Mise jour du 20/3/2014 : article ci-desssous

    La femme de Manuel Valls prise en flagrant dlit de passe-droit Le Point.fr- Publi le 19/03/2014 10:31

    Anne Gravoin a us de ses relations pour faire sauter le P-V de stationnement d'une amie mal gare dans la rue du 11e arrondissement o vit le couple.

    Les passe-droits dans la police sont une tradition... rpublicaine. Ce n'est pas Anne Gravoin,

    l'pouse violoniste du ministre de l'Intrieur, qui dira le contraire. Le 28 janvier dernier, 10 h

    30, un agent de surveillance de la voie publique (ASVP) verbalisait les vhicules dmunis de

    ticket de stationnement ou gnant la circulation dans la rue o rsident les poux Valls,

    situe dans le 11e arrondissement de Paris. La pervenche s'en tient au rglement et aligne

    ses amendes dans la plus stricte galit des conditions. Lorsqu'elle appose sa contravention

    sur une voiture de marque Toyota gare sur un bateau pav, un gardien de la paix lui

    ordonne de ne pas la verbaliser. "Trop tard, c'est dj fait !" lui lance-t-elle. Le policier n'tait

    pas l par hasard. Le matin mme, il avait reu un appel d'Anne Gravoin "via le tlphone de

    service" pour le prvenir qu'une amie venait lui rendre "une visite strictement prive" en

    Toyota, comme il est crit dans son rapport "pour verbalisation intempestive" destin sa

    hirarchie que Le Point.fr a pu consulter. Dans ce cadre, elle rclamait l'indulgence des

    forces de l'ordre pour son amie ventuellement mal gare.

    SDF dplacs

    Lorsque l'pouse du ministre de l'Intrieur sort de chez elle vers 12 h 30, le gardien de la

    paix lui narre sa msaventure, insistant sur le fait qu'il a "tout fait pour empcher cela", c'est-

    -dire la verbalisation de l'automobile de son amie. "J'appelle immdiatement Manuel",

    s'nerve la musicienne prfre de Manuel Valls. Deux heures plus tard, un commandant du

  • 32

    groupe de scurit du ministre de l'Intrieur (GSMI), qui dpend de l'ex-Service de protection

    des hautes personnalits (SPHP devenu Service de la protection), prend contact avec le

    gardien de la paix pour lui dire "qu'il s'occupait de faire le ncessaire".

    Ce n'est pas la premire fois que l'pouse de l'ex-ministre le plus populaire du gouvernement

    Ayrault use de ses relations pour obtenir des faveurs de la part de la police. Agace par le

    nombre de SDF qui frquentent son quartier, elle avait demand aux lotiers de les dplacer.

    Le ministre de l'Intrieur avait dmenti l'intervention de sa femme.

    Mais parfois, ce sont les policiers qui font preuve d'un zle certain auprs des proches du

    titulaire actuel de la Place Beauvau. Ainsi, lorsque son ex-femme, mre de ses quatre

    enfants, s'est fait voler son sac main en fvrier 2013 vry (Essonne), la hirarchie a

    mobilis la police technique et scientifique pour retrouver les auteurs du larcin. Dlest de

    son argent et de ses cartes bancaires, l'objet avait t retrouv Corbeil-Essonnes dans le

    quartier sensible des Tarterts. C'est le commissaire en personne qui tait venu rapporter le

    sac main au domicile de sa propritaire. Les prlvements ADN pour confondre les

    coupables ont fait moins de bruit que ceux effectus pour arrter les voleurs du scooter du

    fils de Nicolas Sarkozy en janvier 2007.

    2 novembre 2006

    En prenant mon caf ce matin jcoute France-Infos. LEtat de Force vient une nouvelle fois de se

    montrer avec une lumineuse clart. A Roubaix les gendarmes ont voulu perquisitionner chez un

    gros trafiquant de stupfiants, habitant dans un quartier sensible . Comprenez un endroit o les

    voyous font la loi, interdisant lentre tous ceux qui ne leur plaisent pas, commencer par les

    reprsentants de lordre.

    Le Prfet, afin dviter un trouble lordre public a interdit aux gendarmes de faire leur

    perquisition. Bien videmment le trafiquant alert, a eu tout le loisir de prendre ses dispositions,

    voire de disparatre. Le Prfet est satisfait : lordre rgne. Cest celui des voyous ? Peu importe.

    LEtat vient de se comporter exactement comme un Etat mafieux, la motivation en moins : il ne

    sagit certes pas de partager largent de la drogue, mais dans les deux cas le banditisme dicte sa loi,

    et celle de lEtat sefface de faon officielle, assume, dans un partage implicite du pouvoir.

    Si les bandes qui mettent ce quartier en coupe rgle navaient pas t assez fortes pour faire

    planer une menace dmeute, si le trafiquant avait habit un quartier tranquille, si lindividu

    impliqu navait eu aucun pouvoir de nuisance, la justice et suivi son cours.

  • 33

    Selon que vous serez puissant ou misrable . Toutes les formes de pouvoir permettent de

    pitiner la loi, y compris la puissance primitive que confre la force physique. Le misrable, cest

    celui qui na aucun pouvoir, quel que soit son statut social.

    11 septembre 2007

    France info ce matin. Un des fils Sarkozy est poursuivi en correctionnelle pour dlit de fuite aprs

    quil ait accroch avec son scooter un automobiliste. Ce dernier ayant relev le numro du deux-

    roues avait port plainte.

    Jai commenc par ragir ngativement vis--vis de cette nouvelle : quon fiche la paix aux

    familles des clbrits. Mais ce qui ma intress cest la suite. Aprs que les policiers aient

    retrouv le propritaire du scooter, et constatant qui ils avaient faire, ils nont engag aucune

    poursuite. Donc lautomobiliste comme cest son droit, va voir un avocat pour lui demander de le

    faire. Toute victime peut en effet faire dlivrer lauteur suppos de linfraction une citation

    directe comparatre devant le tribunal.. Et l nouveau, le mur. Deux avocats successivement

    contacts refusent dintervenir, pour ne pas avoir dennuis . Le troisime a accept.

    Bilan. Dun ct, le parquet qui a pour mission de poursuivre les auteurs dinfraction aurait protg

    le fils du Prsident de la Rpublique, et deux avocats ont eu peur dintervenir. Dun autre ct, un

    troisime a eu le courage de le faire, et la procdure pnale franaise permet toute victime de

    contourner linertie du Parquet.

    La bouteille de lEtat de Droit est-elle moiti vide ou moiti pleine ?

    1er

    octobre 2007

    Quand on habite certains quartiers, on vit la peur au ventre. Depuis longtemps R. me disait son

    apprhension de rentrer chez elle le soir, de passer devant des groupes dadolescents et jeunes

    adultes lair dsuvr, la provocation aux lvres et dans les yeux, semblant guetter le moindre

    prtexte de violence. Les bagarres et dprdations de toute sorte sont courantes.

    Dans lassociation o elle travaille et dont je suis lavocat, je la rassurais comme je pouvais, mais

    je savais bien que ses craintes ntaient pas excessives. Jai vu trop de cas semblables dans des

    quartiers semblables. Une femme contrainte de dmnager parce quelle avait os protester

    poliment contre lencombrement de lescalier qui lempchait de passer. Un homme menac de

    mort, dont on avait incendi nuitamment la porte dentre de lappartement parce quil avait

  • 34

    tmoign contre lun de ces loubards. Lui aussi oblig de dmnager sous la protection de la

    police. Un pre de famille battu mort pour avoir voulu reprendre un vlo vol son fils. Et tant

    dautres.

    Mais quand on a un petit salaire, on loge o lon peut, c'est--dire souvent dans un logement social

    frquent de la sorte.

    Ce soir-l elle rentre de son travail, et dans lescalier elle trouve un groupe fumant un narguil.

    Elle demande poliment le passage. Pas de rponse. Elle insiste, et reoit en pleine figure le

    narguil, accompagn dune borde dinjures. Elle senfuit en hurlant, russit se rfugier chez

    elle, o les voyous essayent de pntrer avec une barre mtallique. Terrorise elle appelle la police,

    mais son arrive ils se sont volatiliss. Ils ne sont pas de cette monte descalier et elle ne les

    connat pas, en outre ils avaient tous une capuche, taient noirs et dans le demi-jour, impossible de

    reprer un trait particulier.

    Les policiers eurent beau lui montrer des photos de personnes connues de leurs services et ayant

    les mmes caractristiques physiques, elle ne put en reconnatre aucun.

    Deux semaines darrt de travail. Dpression et angoisse crant linsomnie. Insomnie aggravant la

    dpression et langoisse. Il lui fallut recourir aux pilules du bonheur, qui furent avares de leurs

    bienfaits. Les jours suivants, les jeunes-en-difficult-dans-des-quartiers-sensibles sont revenus. Ils

    tenaient une proie, ils ne la lcheraient plus jusqu ce quelle senfuie pour toujours.

    Ils lancent des pierres contre sa fentre au deuxime tage, puis senfuient avant larrive de la

    police. Elle nose plus se montrer, la police lui dit quelle ne peut la protger en permanence. Au

    cours dune de ses rares sorties, elle a crois deux ou trois de ces vauriens qui ont profr des

    menaces dans son dos sans insister : pas assez nombreux cette fois-l.

    Elle est alle voir le maire de la commune pour demander tre reloge. On lui a fait de vagues

    promesses, et comment pourrait-on aller plus loin ? Si les services municipaux satisfaisaient toutes

    les demandes identiques, ils seraient rapidement submergs. En outre ce serait reconnatre le

    problme, que les lus locaux minimisent toujours pour prserver limage de leur commune. A-t-

    on dj vu un lu reconnatre quil y a chez lui une dlinquance galopante, des zones de non-droit,

    des gens terroriss ? Ces informations sont toujours exagres , alarmistes , voire

    provocantes . Il faut empcher la chute des prix de limmobilier.

    Un adjoint du maire a dit quelquun qu son avis certains exagraient voire inventaient

    lagression subie pour pouvoir tre relogs. Le propos est maladroit car cest reconnatre quon

    veut partir de certains quartiers

    Petit petit, partout les quartiers concerns se vident de leurs habitants socialiss, chasss par les

    populations marginalises. Cest alors que les sociologues en chaise longue sindignent : on a

    fabriqu des ghettos. Et de rclamer la mixit sociale pour viter une communautarisation de la

    socit. Bien entendu ils se gardent de donner lexemple.

  • 35

    Devant le harclement quasi-quotidien quelle subit, et dans la mesure o elle ne peut pas donner

    dlments permettant didentifier les auteurs, les policiers ne prennent mme plus ses plaintes.

    Elle ma appel pour savoir ce que je pouvais faire pour elle. Je nai pu quavouer mon

    impuissance, mais rvolt par cette situation dont je sais quelle nest pas isole, jai appel la

    rdaction rgionale du Parisien o je me suis trouv toute de suite en contact avec la rdactrice en

    chef.

    Aprs avoir relat les faits, et rappel quel point ils sont frquents, jai demand pourquoi la

    presse nen parle jamais, pourquoi une chape de plomb recouvre tant de terreur, dimpunit,

    pourquoi la loi de la jungle rgne dans tout un secteur de la socit sans que les journalistes, si

    prompts dnoncer les scandales, sen meuvent.

    Rponse : on nen parle pas parce que personne ne dit rien la presse. Il faut des informations

    pour faire des articles. Or tout le monde se tait. Je suis le premier avocat rvler ces faits. Soit

    dis-je, acceptez-vous de traiter le sujet avec mes informations et celles plus ponctuelles de ma

    cliente ? Cette dernire rclame lanonymat, quant moi cela mest gal.

    Oui me dit la journaliste, cela mintresse. Donnez-moi votre numro de tlphone et celui de la

    victime, nous vous rappellerons.

    Est-ce possible ? Un journal osera-t-il dire quil fait jour midi, quitte braver le courroux des

    voyous, des lus, des idologues ? Oui. Larticle paratra dbut 2008 sur presque une page, avec

    photo de dos de ma cliente, son prnom chang. Entre temps elle aura dmnag, tenaille par la

    peur. La force aura eu le dernier mot, et continuera de lavoir, comme le relatera larticle ci-aprs

    sept ans plus tard, dans un cas voisin.

    Mise jour du 11/5/2015 :article ci-dessous

    Lenfer de la famille de Roubaix victime de harclement

    continue : elle a dormi lhtel dimanche soir

    http://www.lavoixdunord.fr/region/l-enfer-de-la-famille-de-roubaix-victime-de-harcelement-

    ia24b58797n2818580

  • 36

    Publi le 11/05/2015

    PAR CCILE VIZIER

    Lenfer continue pour la famille Godefroy, au quartier du Pile Roubaix. Pour avoir dnonc

    les actes dont ils sont victimes au quotidien, leur vhicule a t incendi partiellement dans

    la nuit de samedi dimanche. Ils ont accept un relogement durgence.

    Leur sort a mu toute la rgion. Victimes de la dlinquance ordinaire 300 m seulement dun

    commissariat, Philippe Godefroy, Vanessa et leurs enfants navaient quune hte : quitter le

    quartier du Pile et la ville de Roubaix. Aprs un nouvel incident dans la nuit de samedi

    dimanche, la mairie a propos de les reloger lhtel dimanche soir.

    Barricads chez eux, dans leur maison de la rue Desaix, ils ont ouvert la porte, ce dimanche

    matin, Milouda Ala. Ladjointe au maire charge des quartiers est et du logement est venue

    annoncer la famille quelle pouvait bnficier dune solution de relogement, dans un htel,

    le soir mme.

    Llue, en contact rgulier avec ces habitants du Pile, se dit outre par ce qui pourrait tre

    des reprsailles. Samedi, vers 2 h 20 du matin, le vhicule familial, une Renault Clio en

    location, a t incendi partiellement. Un voisin serait intervenu, permettant de limiter les

    dgts (le feu est parti dun pneu, les flammes ont fait fondre une partie du pare-chocs

    arrire).

    Ce nest que vers 7 h 30 que Philippe Godefroy sen est aperu. Jtais descendu pour

    donner le biberon mon fils de 16 mois, indique-t-il. Un voisin a alors frapp ma porte pour

    me prvenir. bout de nerfs, lhomme sest une nouvelle fois rendu au commissariat pour

    dposer plainte. Ce dimanche midi, il a accept de fuir une situation quil avait os dnoncer

    en manifestant avec sa famille mardi dans lhtel de ville de Roubaix.

    La municipalit sest engage financer les nuites dhtel, dans lattente dune solution

    prenne. Mardi, la famille Godefroy doit rencontrer Guillaume Delbar, le maire UMP de

    Roubaix.

    4 aot 2015

  • 37

    Sur France Bleu, un reportage sur lenfer que vivent les habitants honntes des quartiers

    sensibles . Les rodos incessants des voyous en motos et squads jusquau milieu de la nuit,

    les autres sources de tapage nocturne, ne font lobjet daucune intervention policire, et ce de

    faon parfaitement revendique de la part des autorits. Le Directeur Territorial de la Scurit

    Publique estime que tout vaux mieux quun affrontement avec les jeunes . Cest ainsi que

    les habitants, bout de nerfs, ont beau appeler la police, celle-ci ne bouge pas.

    Vous habitez un quartier sans histoire, et vous ftez votre anniversaire, un peu bruyamment

    au-del de 22 h. Un voisin excd appelle la police. Celle-ci se dplacera, pourra verbaliser,

    et vous pouvez vous retrouver devant un tribunal de police pour tapage nocturne. Cest

    suffisamment grave pour quen 2007, la loi ait donn aux policiers municipaux et mmes aux

    gardes champtres, la possibilit de verbaliser. Normal : la socit na rien a craindre de

    vous.

    Vous habitez un quartier sensible, vous appelez la police parce quune dune bande de

    voyous pourrit la vie des habitants par ses rodos motocyclistes, les empche de dormir

    tandis queux dormiront paisiblement le lendemain jusqu midi : la police a reu instruction

    de ne pas bouger. Normal, elle a tout craindre des suites de son intervention : poursuites,

    possible accident, meutes, exploitation politique.

    Bien sr les responsables de lordre pour se donner une contenance prtendent que les