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Monsieur Denis Sinor Le rapport du Dominicain Julien écrit en 1238 sur le péril mongol In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 146e année, N. 4, 2002. pp. 1153-1168. Citer ce document / Cite this document : Sinor Denis. Le rapport du Dominicain Julien écrit en 1238 sur le péril mongol. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 146e année, N. 4, 2002. pp. 1153-1168. doi : 10.3406/crai.2002.22509 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2002_num_146_4_22509

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Monsieur Denis Sinor

Le rapport du Dominicain Julien écrit en 1238 sur le péril mongolIn: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 146e année, N. 4, 2002. pp.1153-1168.

Citer ce document / Cite this document :

Sinor Denis. Le rapport du Dominicain Julien écrit en 1238 sur le péril mongol. In: Comptes-rendus des séances de l'Académiedes Inscriptions et Belles-Lettres, 146e année, N. 4, 2002. pp. 1153-1168.

doi : 10.3406/crai.2002.22509

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2002_num_146_4_22509

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COMMUNICATION

LE RAPPORT DU DOMINICAIN JULIEN ÉCRIT EN 1237 SUR LE PÉRIL MONGOL,

PAR M. DENIS SINOR, CORRESPONDANT FRANÇAIS DE L'ACADÉMIE

II y a un peu plus d'un demi-siècle que Jean Richard écrivait :

« Le missionnaire dominicain Julien de Hongrie n'a pas la notoriété d'un Plan Carpin ou d'un Rubrouck. Il ne nous en a pas moins laissé un intéressant témoignage sur les débuts de la célèbre campagne qui devait mener les armées mongoles de l'Oural à l'Adriatique ... a1.

Il y a des sujets d'étude qui vous accompagnent tout au long d'une longue vie, ou bien, je dirais, auxquels on ne se lasse pas de revenir. Le voyage de Julien est de ceux-là. Voilà très longtemps qu'il retient mon attention. J'ai abordé ce sujet pour la première fois le 24 avril 1944 dans une communication faite à la Société Asiatique. Ma découverte récente d'un manuscrit, publié en 1842 mais considéré depuis lors comme perdu, peut servir de prétexte pour ouvrir de nouveau le dossier. Cela semble d'autant plus indiqué que la lettre de Julien n'a pas reçu l'attention qu'elle mérite. Dans la littérature savante, elle a été éclipsée* par le Mémorandum du dominicain Ricardus dont je parlerai davantage plus loin.

Dans les années 70 ou au début des années 80, un ami m'a donné une photographie de qualité médiocre d'un texte latin. Un bref examen m'a clairement montré qu'elle représentait la lettre de Julien sur la vie, la religion et l'origine des Tartares. Le cliché ne comportait aucune mention de la bibliothèque où il avait été pris, aucune trace d'une marque de catalogue. Après quelques années de recherche intermittente, j'ai retrouvé l'original à la bibliothèque de l'Université d'Innsbruck, en Autriche. Selon la description donnée par Walter Neuhauser dans le catalogue des manuscrits de cette bibliothèque, la lettre de Julien apparaît p. 2r-4r d'un codex

1. Richard 1951, p. 71-75.

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bipartite qui porte le numéro 1872. Cette même première partie contient douze autres morceaux plus petits se rapportant à l'invasion mongole de 1241. C'est le manuscrit publié en 1842 par Hormayr-Hortenburg3 et subséquemment perdu. Soulignons que la lecture du texte par Hormayr-Hortenburg paraît impeccable, en sorte que la redécouverte du manuscrit, quoique heureuse, est sans effet sur l'étude de l'information qu'il contient.

Bien qu'il soit une sorte de célébrité en Hongrie — il a même une charmante statue à Budapest, - Julien a été mal servi par la recherche hongroise. Si la première publication du texte de la Lettre date de 1842, la première traduction, vers le hongrois, n'apparaît qu'en 1936. Préparée par L. Bendefy (1936), c'est un travail atrocement mauvais. Une traduction hongroise correcte, par G. Gyôrffy4, a dû attendre 1965. Entre-temps était apparue une traduction ' russe, préparée en 1940 par Anninskiy5. Une traduction allemande par Hansgerd Gôckenjan a vu le jour en 19856.

De façon assez surprenante il n'y a eu aucune tentative du côté hongrois pour fournir une édition critique des trois manuscrits dans lesquels la lettre de Julien est connue. L'important Catalogus Fontium Historiae Hungaricae rédigé par Gombos reproduit7 le texte d'un seul manuscrit initialement publié par Benedictus Dudik en 18558. Bendefy (1937) a publié le texte des trois manuscrits - avec d'utiles fac-similés - mais sans essayer de les colla- tionner. La préparation d'une édition critique a finalement été entreprise par deux non-Hongrois, d'abord en 1940 le Russe Anninskij susmentionné, puis en 1956 l'Allemand Heinrich Dôr- rie pour qui, autre contretemps, l'édition d'Anninskiy restait hors de portée.

Le texte a été préservé dans trois manuscrits. Deux d'entre eux, P (Vaticanus Palatinus Lat 443, Perg.) et V (Vaticanus Lat.4161) sont au Vatican ; le troisième, connu comme II, publié en 1842 par Hormayr-Hortenburg, est celui maintenant retrouvé à Innsbruck.

Rappelons, que les chapitres V et VI, qui décrivent les malheurs d'une mission précédente, manquent dans le manuscrit d'Inns- bruck (II), lequel contient toutefois un préambule absent des deux

2. Neuhauser 1991, p. 174-177. 3. Ilormayr-IIortenburg 1842, p. 07-69. 4. GyorfTy 1965, p. 45-51. 5. Anninskiy 1940, p. 85-90. 6. Gôc-kenjan 1985, p. 93-125. 7. Gombos II, p. 1363-67. 8. Dudik 1855, p. 326-335.

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LE RAPPORT DU DOMINICAIN JULIEN 1155

autres manuscrits, sans doute parce qu'il n'appartient pas au texte même du rapport de Julien. En voici le texte :

« Que tous les fidèles chrétiens sachent que le roi de Hongrie a envoyé cet écrit au patriarche d'Aquilé, que le patriarche l'a transmis à l'évêque de Brixen et au comte de Tyrol pour qu'ils le transmettent à tous les fidèles chrétiens afin de les exhorter à s'appliquer à prier Dieu pour l'Eglise. En outre, nous désirons faire savoir à tout le monde à qui le présent écrit parviendra que l'auteur de la présente est juste et véridique. »9

Dans Sinor 1952 j'ai examiné le rôle de Berthold, Patriarche d'Aquilée, dans la transmission à un public plus vaste de l'information concernant les Mongols en Europe de l'Est. Les raisons pour lesquelles Bêla IV, roi de Hongrie (1235-1270), souhaitait que l'information l'atteignît ainsi qu'un public plus vaste sont assez évidentes — il voulait avertir un cercle aussi large que possible du danger imminent auquel son pays avait à faire face.

Salvius Salvi, le destinataire de la lettre reproduite dans le manuscrit d'Innsbruck, était évêque de Pérouse entre 1231 et 1244. Pérouse est une ville bien éloignée des régions qui nous intéressent ici. Mais le 21 mai 1237, Salvius Salvi fut nommé par le pape légat plénipotentiaire pour la Bulgarie et la Hongrie, et c'est sans doute pour cela que Julien lui adressa son rapport. Julien revint en Hongrie le 27 décembre 1237 ; on peut donc supposer qu'il écrivit sa lettre-rapport vers le début de 1238. Puisque, comme nous le verrons, Julien était porteur d'un ultimatum mongol, il paraît vraisemblable que ce document au moins fut porté sans délai à l'attention du roi.

De façon fort regrettable, l'importance de la lettre de Julien a été, et est toujours, éclipsée par un mémorandum contemporain intitulé De facto Ungariae Magnae écrit par un certain Ricardus10, à coup sûr un important document, le travail d'un lettré non dépourvu de spéculation savante, mais non pas un récit de première main des activités de Julien. L'argumentation massive de Ligeti11 apportant la preuve de toutes les contradictions et asser-

9. Le texte suit 4,16 et est imprimé dans Dôrrie, p. 163. 10. Edition critique par Dôrrie 1956, p. 147-162. 11. Ligeti 1986, p. 390-396. Les faiblesses évidentes de ce texte ont conduit certains des

premiers chercheurs, tels Vâmbéry et Mészâros, à considérer le voyage de Julien comme un produit de fiction. Ces voix ont ensuite été submergées par tous ceux qu'a touchés la description romancée par Ricardus des « parents perdus de longue date » des Hongrois. Les références à Julien dans la littérature savante hongroise sont légion. Je n'ai vu aucun intérêt à alourdir ce court travail en tentant d'en donner la liste.

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tions contestables contenues dans le Mémorandum n'a pas encore fait sa percée dans la littérature savante sur la question. Dans ce qui suit je voudrais me limiter aux circonstances du voyage de Julien, à l'information de première main offerte par lui et à la nature de l'ultimatum mongol qu'il transmit au roi de Hongrie.

Qui était Julien ? Son nom n'apparaît que dans deux documents connus — la Lettre, et le Mémorandum susdit intitulé De facto Ungarie magne {Sur la Grande Hongrie), écrit par Ricardus. Tout ce que ces deux documents nous apprennent sur la personne de Julien est qu'il était un Dominicain de la Province hongroise de son ordre, et qu'il séjourna plus d'une fois à la Curie romaine. Au moment de l'invasion mongole en 1241, la Province hongroise des dominicains, fondée en 1221, comptait douze monastères12. Julien peut avoir été membre de n'importe lequel d'entre eux. Un consensus tacite le considère comme Hongrois — une supposition facile mais non pas nécessairement exacte. Parlant de la Grande Hongrie [Hungaria Magna), il écrit a quibus nostri Ungari originem habuerunt (1,34), « d'où nos Hongrois sont originaires »13. Si Julien avait été Hongrois, on s'attendrait qu'il ait écrit nos Ungari originem habuimus, « d'où nous Hongrois sommes originaires ». La phrase suggère que Julien n'était pas d'origine hongroise, une idée qui ne semble être venue à l'esprit d'aucun des auteurs qui ont écrit sur le sujet. La tournure semble indiquer que Julien et Salvius Salvi appartiennent l'un et l'autre à une nationalité autre que celle de « leurs » Hongrois14. Nonobstant ces remarques, on peut tenir pour acquis que, natif de Hongrie ou non, Julien, établi comme il l'était en Hongrie, parlait le hongrois.

Les raisons et la destination du voyage de Julien sont clairement annoncées dans le préambule de sa lettre : on lui avait donné l'ordre de partir. Je cite :

« Quand, conformément à l'obédience qui me fut imposée, avec les frères qui m'étaient adjoints j'ai dû me rendre en Grande Hongrie... » (Prooem.l).

12. Pfeiffer 1913, p. 44. 13. 1,34. Toutes mes références suivent l'édition de Dôrrie. 14. Lors d'une conversation faisant suite à la présentation orale de cette communication, M. Jean Richard a posé la question très pertinente de ce qu'était l'équivalent hongrois du nom Julianus. A ma connaissance, il n'existe aucun nom de personne hongrois qui corresponde à Julianus ou en dérive. Au cours du dernier siècle surtout, certains on faussement assimilé le nom païen Gyula à l'allemand Julius.

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LE RAPPORT DU DOMINICAIN JULIEN 1157

Nous voyons ici ce qui semble un missionnaire malgré lui envoyé prêcher l'Evangile dans ce pays « d'où » — comme nous venons de le voir — « nos Hongrois sont originaires ».

Cependant, la quasi -totalité de laLettre vise à offrir une description détaillée des Mongols. Cela ressort clairement de la phrase de clôture : « Ici se termine la lettre sur la vie, la religion et l'origine des Tartares » [Explixit epistola de vita, secta et origine Tartarorum) (4,7). L'échec de la mission initiale est seulement impliqué de façon oblique. La suggestion de Czeglédy, selon laquelle le but réel de Julien était de s'assurer des intentions des Mongols, est d'une très grande justesse15.

Une bonne partie de ce que Julien rapporte sur les Mongols est légendaire. Dans cet article, je ne traiterai pas de ces parties-là de la Lettre. Elles ont été brillamment analysées par Bezzola16.

Selon Julien, la destination de son voyage était la Grande Hongrie, Magna Hungaria. La coutume médiévale d'appliquer l'adjectif grand au territoire ancestral d'un peuple n'était pas circonscrite au cas hongrois. Le pays des Bulghars de la région de la Volga — situé au voisinage immédiat de Magna Hungaria - est appelé Magna Bulgaria par Ricardus17. On peut aussi trouver des références à une Grande Bulgarie dans des sources byzantines qui la situent dans les régions de la mer d'Azov et du Kuban18.

Le concept des deux Hongries a une longue histoire remontant au-delà du voyage de Julien. Mention d'une certaine Hungaria vêtus, la Hongrie Ancienne, se trouve déjà dans \esMemoria Secu- lorum de Godefroi de Viterbe qui datent de 1185. Celui-ci distingue deux Hongries, l'une en Pannonie (c'est-à-dire dans le Bassin Carpathien), l'autre aux frontières séparant l'Europe de l'Asie, dans la région des Marais Maéotides19. Selon Vincent de Beauvais, dans ses Memoria Seculorum :

Ungarorum régna duos esse legimus, unum antiqum aput Meotidas paludes infinibusAsie et Europe etalterum quasi novum a primo regno in Pannonia derivatum quam Pannoniam nonnulli novam Ungariam vocat.20

15. Czeglédy 1943, p. 285. Il présume que Julien a entrepris deux voyages, et pense que c'était le second, celui de 1236-37, l'objet du présent travail, qui servait ce but.

16. Bezzola 1974, p. 40-57. 17. Dorrie 3,13,14 ; le nom apparaît aussi chez Plan Carpin 7,9 et 9,20 et chez Rubrouck

2, 29 et 46. 18. Voir Gyôrfïy 1948, p. 55. 19. Gombos II, p. 1068. 20. Cité d'après Gombocz 1927, p. 1. En ce moment je n'ai pas accès à l'original.

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Les termes majeur et mineur appliqués au pays des Hongrois apparaissent aussi dans les années 1230, par exemple dans le Liber de proprietatibus rerum du franciscain Barthélémy l'Anglais (Bar- tholomaeus Anglisus), qui attribue à Orose la distinction entre les deux Hongries21. Lui aussi situe la Hongrie Majeure en Scythie dans la région de la mer d'Azov, bien loin de la Russie centrale visitée par Julien.

Après l'invasion de la Hongrie par les Mongols, l'usage de l'expression Magna Hungaria se généralise. Elle apparaît dans les récits de voyage de Plan Garpin, (V.29, IX.20), Rubrouck, (XIV,2, XX,7), YHistoria Tartarorum de C. de Bridia qui comporte à la fois Hungaria maior (21, Painter p. 75) et Magna Hungaria (34, Painter p. 85). Puisque aucun de ces voyageurs n'a traversé cette région, l'information qu'ils nous donnent est de seconde main. Dôrrie (p. 144) estime à bon droit que Rubrouck a dû lire le Mémorandum de Ricardus. Surtout à partir des écrits des voyageurs franciscains, l'expression s'est frayé un chemin jusqu'aux grandes compilations historiques des documents papaux des XIIIe et XIVe siècles22.

Sur Magna Hungaria, la source principale et la plus prolixe, mais à laquelle il convient de ne pas faire totalement confiance, est De facto Ungarie magne de Ricardus. Son commencement même suggère que le nom est apparu dans des textes plus anciens connus de lui : « II fut découvert dans les histoires des Hongrois chrétiens qu'il existait une autre Hongrie majeure »23. Toutefois, aucune des chroniques hongroises que nous connaissons ne mentionne Magna Hungaria et, exception faite de celle d'Anonymus que je mentionnerai plus bas, elles placent les Hongrois dans la région de la mer d'Azov au départ de la migration qui les conduisit dans leur nouveau pays en Pannonie. Ceci est également l'opinion reflétée par les chroniques occidentales. Ainsi, par exemple, la chronique de Regino, rédigée avant 915, parle des « peuples hongrois très féroces qui ont surgi de Scythie et des marais du Don »24.

Passons maintenant en revue les tentatives dominicaines pour atteindre l'ancien pays des Hongrois. Tout bien compté, nos sources mentionnent quatre groupes de quatre missionnaires chacun qui partirent en quête de la Grande Hongrie.

21. Gombos I, p. 390. 22. Gombocz 1923, p. 23-33. 23. Quod esset alla Hungaria maior (Dôrrie 1,1, p. 152). 24. « Gens Ilungarium ferocissima ... a Scythicus regnis et a paludibus quas Tanais sue

refusione in immensum porrogit, egressa est » (Gombos III, p. 2038).

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LE RAPPORT DU DOMINICAIN JULIEN 1159

Le Mémorandum de Ricardus mentionne deux expéditions dominicaines, toutes deux empruntant la voie maritime, de Cons- tantinople à Matrica/Tamatarkha.

1. Le premier groupe de quatre avait cherché Magna Hungaria en vain pendant trois ans lorsque l'un de ses membres, un certain Otto, rencontra, on ne sait pas où, des hongarophones qui lui donnèrent des directives sur la manière de regagner leur pays. Il ne tenta pas le voyage mais retourna en Hongrie, où, avant de mourir d'épuisement, il communiqua ces informations aux autres moines (1,7-11, Dôrrie, p. 152).

2. Le deuxième groupe de quatre mentionné par Ricardus, suivant l'itinéraire du premier, prit lui aussi la mer à Constanti- nople, et au terme d'un voyage de trente jours débarqua en Zichie dans la ville de Matrica. Il est difficile de comprendre pourquoi ce groupe voudrait emprunter l'itinéraire de l'expédition précédente, qui s'était soldée par un échec. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'il suivit les directives de toute évidence erronées données par Otto. Ce groupe comprenait un certain Gerardus qui mourut en route et, de l'avis de Ricardus (mais non du mien), Julien, qui atteignit Magna Hungaria près du fleuve Ethyl, c'est-à-dire la Volga (4,1). Si nous devons en croire Ricardus (5,4-6), ce qui n'est pas le cas, les Hongrois de Magna Hungaria montrèrent à Julien un meilleur chemin pour retourner en Hongrie. Donc, en effet, les deux premières expéditions dominicaines cherchèrent leur patrie ancestrale, Magna Hungaria, dans une région de la Scythie historique, aux alentours de la mer d'Azov où, selon la tradition littéraire hongroise — et en réalité, ajouterais -je, - ils habitaient, avant de se mettre en route vers l'Ouest pour s'installer enfin dans ce qui allait devenir la Hongrie.

3. Le troisième groupe de Dominicains est mentionné par Julien lui-même qui les place très loin de la Scythie historique, en Russie centrale25.

« Mais ceci, je ne dois pas passer sous silence. Alors qu'une fois de plus je séjournais à la Curie Romaine, quatre de mes frères me précédèrent en Grande Hongrie. Comme ils traversaient le territoire de Suzdal, sur la frontière de ce royaume ils rencontrèrent, fuyant les Tartares, des Hongrois païens qui auraient volontiers reçu la foi catholique s'ils étaient venus en Hongrie. »

25. 5,1, Dôrrie, p. 180.

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Ce groupe, donc, se trouve à une distance de quelque 1400 kilomètres à vol d'oiseau de la région où les deux groupes précédents espéraient trouver la Grande Hongrie.

4. La quatrième expédition est celle entreprise par Julien lui- même. Le temps qu'il arrive enfin dans la même région, les événements ont pris une tournure désastreuse26 :

« En arrivant aux limites extrêmes de la Russie, nous constatâmes la vérité de ce qui suit - chose déplorable et stupéfiante - que les Hongrois païens, et les Bulgares et de nombreux royaumes ont été complètement dévastés par les Tartares. »

Les Bulghars mentionnés par Julien ne sont pas les Bulgares des Balkans (auprès de qui, par exemple, Salvius Salvi avait été envoyé), mais ceux de la région de la Volga-Kama. Les Bulghars s'étaient déplacés vers le nord depuis la steppe, sans doute vers la fin du VIIe siècle, et y avaient créé un État en grande partie sédentaire dont le centre de gravité était la région au confluent des fleuves Volga et Kama. On sait par d'autres sources que les Mongols conquirent Bulghar à l'automne de 1237 ; Julien dut donc arriver aux confins occidentaux de la Russie peu après le désastre mais avant que les Mongols eussent occupé le reste du pays des Russes. Et plus loin27 :

« Maintenant ces Tartares attendent, comme nous l'ont dit eux- mêmes de vive voix les Ruthéniens, les Hongrois et les Bulghares qui se sont enfuis devant eux, que la terre et les rivières et les marais gèlent complètement l'hiver prochain, permettant à une si vaste multitude de piller sans effort toute la Russie ainsi que tout le pays des Ruthéniens (2,5-6). »

De fait, le 21 décembre 1237, Riazan succomba à l'offensive des Mongols ; et le 8 février 1238, la ville de Vladimir fut prise au cours d'un assaut qui coûta la vie au grand-duc Youri II Vsevolodovitch.

Aubry de Trois Fontaines28 mentionne qu'en 1237 la rumeur courait que les Mongols se proposaient d'attaquer la Cumanie et la Hongrie. Pourvoir si cela était vrai quatre Frères prêcheurs furent envoyés de Hongrie, lesquels en cent jours allèrent jusqu'à la Hongrie Ancienne [Hungaria Vêtus). A leur retour ils annoncèrent que les Tatars avaient maintenant occupé et soumis la Hongrie

26. Prooem 1-2, Dôme, p. 166. 27. 2,5-6, Dorrie p. 174. 28. MGH. SS. XXIII, p. 942.

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LE RAPPORT DU DOMINICAIN JULIEN 1161

Ancienne. Cette mention fait très probablement référence au voyage de Julien29.

Dans Sinor 1952, j'ai démontré que, contrairement à l'idée reçue, Julien n'entreprit qu'un seul voyage vers Magna Hungaria et non pas deux. En raison de l'inertie de la recherche et de la réticence de la plupart des chercheurs hongrois à reconnaître De facto Ungarie Magne, de Ricardus, pour ce que c'est, à savoir une fabrication savante romancisée, mon opinion ne reçut que peu de considération et fut en général incomprise. Je trouvai cependant un réconfort dans l'approbation de cette opinion par Jean Richard30 et, plus récemment par Louis Ligeti31, qui apporta des preuves supplémentaires et convaincantes à l'appui du point de vue que je défends. La tentation d'ajouter foi à la description fleurie, sous la plume de Ricardus, de la rencontre entre les Dominicains et leurs frères hongrois perdus de longue date dans la région de la Volga-Kama, a été tout simplement trop forte pour que la plupart des chercheurs hongrois y résistassent.

Julien tient pour acquise l'existence de Magna Hungaria et y fait référence trois fois. La suite du texte montre d'une façon parfaitement claire qu'aucun des quatre prédécesseurs de Julien, ni Julien lui-même, n'atteignirent ce pays, leur lieu de destination projeté. En fait, il semble qu'ils se perdirent :

« [Les quatre moines]32 ne souhaitant pas faire demi-tour et abandonner si facilement le chemin qu'ils avaient pris bifurquèrent vers la ville de Riazan pour voir s'ils pouvaient trouver un chemin \je souligne] par lequel ils pourraient atteindre La Grande Hongrie, ou les Mordvines ou les Tartares eux-mêmes.

Quant à moi et à mes compagnons, conclut Julien, voyant la terre ravagée par les Tartares, et ne voyant aucun intérêt à semer des graines [de la foi] dans des régions fortifiées, nous retournâmes en Hongrie33. »

En somme, il apparaît qu'aucune des expéditions dominicaines n'atteignit Magna Hungaria, bien qu'on puisse sans risque tenir pour acquise l'existence de groupes séparés de Hongrois dans la région de la Volga. Il n'y a aucune raison de mettre en doute l'affirmation précitée de Julien, selon laquelle les moines qui le précédaient rencontrèrent à Suzdal des Hongrois fuyant les Tar-

29. Czeglédy 1943, p. 285. 30. Richard 1977, p. 28-29. 31. Ligeti 1986, p. 394-395. 32. 5,3. Dôrrie, p. 180. 33. 5,7, Dôrrie, p. 181.

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1162 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

tares. Julien rapporte que lui-même et ses compagnons entendirent de la bouche même des Hongrois païens34 le récit de la destruction de leur terre. Je serais même prêt à croire qu'Otto, de la première expédition, rencontra effectivement des hongaropho- nes quelque part en Russie méridionale. Mais il n'y a aucune preuve de l'existence d'une Magna Hungaria, comprise comme entité politique, dans la région de la Volga. Rien n'indique que les Hongrois païens donnèrent un nom précis au pays qu'ils fuyaient. Ils ne s'y référaient certainement pas comme h. Magna Hungaria35 !

Au XIIIe siècle les Hongrois avaient deux traditions concernant leur pays ancestral, l'une situant celui-ci dans la région de la mer d'Azov dans les Marais Maéotides, l'autre le plaçant dans la région de la Moyenne Volga. Ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, la première de ces traditions a été rapportée par Godefroi de Viterbe qui s'appuyait sans doute sur une information plus ancienne36. Selon la seconde tradition, représentée dans la Gesta Hungarorum de l'auteur dit Anonymus, le point de départ des Hongrois était la région de la Volga-Kama. L'expression Magna Hungaria est inconnue d'Anonymus. Il appelle le pays d'origine des Hongrois Dentumoger et décrit comme suit la route conduisant de Dentumoger en Hongrie : la Volga, Suzdal, Kiev, Vladimir, la Galicie. Il n'est pas question ici d'une quelconque migration vers la région du Kuban ou la mer d'Azov. Il est tout à fait clair que les expéditions 1 et 2 suivirent la route suggérée par une tradition hongroise reflétée dans le travail de Godefroy de Viterbe, tandis que la troisième expédition et Julien lui-même prirent la route décrite par Anonymus37.

Qu'il me soit permis maintenant d'entrouvrir une boîte de Pandore contenant le problème des relations entre Rachkirs et Hongrois. Il est bien connu que les grands voyageurs franciscains identifient les deux peuples. J'ai cité plus haut le passage du préambule de la Lettre indiquant que « les Hongrois païens, et les Bulgares et de nombreux royaumes ont été complètement dévastés » (Prooem.1-2). Or dans l'un des trois manuscrits (ms. P) on lit

34. « Sicut nobis ipsi pagani Ungari retullerunt viva voce » (1, 34). 35. Les spéculations intéressantes et bien documentées de Szùcs (1997, p. 122-125 et

259-262) sur les conceptions médiévales hongroises concernant des groupes détachés de Hongrois qui pourraient avoir survécu dans la région de la Volga ou ailleurs sont quelque peu entachées par la confiance injustifiée qu'il accorde à Ricardus.

36. La pénurie de chroniques hongroises anciennes est tout à fait consternante. Si nous faisons abstraction de la Gesta d'Anonymus, le texte le plus ancien à avoir survécu est la Gesta Hungarorum de Simon de Kéza, écrite entre 1282 et 1285. Sur celui-ci voir Simon de Kéza 1999.

37. La question a été analysée par Gyorffy 1948, p. 58-59, et je me suis étendu davantage sur ce point dans Sinor 1958, p. 536-538.

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LE RAPPORT DU DOMINICAIN JULIEN 1163

« omnes thartari qui etiam Hungari pagani vocantur », c'est-à-dire « tous les Tartares que l'on appelle les Hongrois païens ». Cela peut sembler étrange, mais c'est ce que le texte dit. Pourtant même Dôrrie (p. 166) l'excellent éditeur du texte, corrige, et, pour harmoniser le texte avec des idées préconçues, remplace le nom thartari par Bascardi. Il est nécessaire d'affirmer catégoriquement que, contrairement à l'opinion généralement répandue, le nom des Bachkirs n'apparaît pas dans la Lettre de Julien. C'est un fait que dans les sources tant occidentales qu'islamiques les Bachkirs et les Hongrois sont souvent identifiés. En effaçant la référence aux Bachkirs de la Lettre de Julien nous soustrayons à l'enquête l'unique présence du nom dans un texte latin qui eût été fondée sur une preuve directe38.

Mais laissons là « nos Hongrois » et tournons notre attention vers les Mongols. Selon Julien (2,1), tandis que lui et ses compagnons séjournaient aux confins de la Russie, ils apprirent que l'armée tartare s'avançant à l'ouest était divisée en quatre parties. Malheureusement, dans ce qui suit, il n'en mentionne que trois. Le premier corps d'armée se tenait sur la Volga, à la frontière de la Russie, et marchait contre Suzdal venant de l'est. La seconde armée, située plus au sud, se tenait sur la frontière de Riazan. Je soupçonne que c'est la mention de la troisième armée qui fut par inadvertance omise de la Lettre. Elle était sans doute stationnée plus au sud sur la rive gauche du Don. La quatrième armée (troisième dans l'énumération de Julien) prit position sur la ligne du Don près d'une forteresse dénommée Orgenhusin (dans les manuscrits H et V) ou Ovcheruch (dans le manuscrit P), « qui- aux dires de Julien - est une autre principauté des Ruthéniens ».

On suppose en général qu'Orgenhusin est Voronezh, une assertion purement gratuite, puisque n'importe quelle autre ville ou village le long du Don pourrait aussi bien correspondre à ce qu'exige « logiquement » le contexte. Pour ma part, le nom m'a toujours semblé germanique avec sa terminaison en -husin f-hausen) et- à titre d'hypothèse de travail -je le rapprocherais des Goths de la Russie du Sud.

Le manuscrit P, considéré par Dôrrie comme le meilleur, comporte Ovcheruch pour Orgenhusin. Je ne connais aucune forteresse de ce nom, mais je crois qu'on peut de façon assez convaincante l'identifier avec le -nom de la rivière Ouxpoux qui, selon

38. Il existe une littérature considérable sur les relations entre Bachkirs et Hongrois. Récemment Rona-Tas I999passim et Gockenjan 2001 passim y offrent un bon accès.

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Constantin Porphyrogenète39 « sépare la Zichie de Tamatarcha ». L'orthographe Ovcheruch est aussi proche d'Ouxpou^ qu'on peut le désirer. Marquart40 a vu dans Ouxpou^ la bouche la plus méridionale du Kuban, une opinion partagée par Moravcsik41. Dans la correspondance en hébreu du khan Khazar, Joseph apparaît le nom d'une rivière Ugru^2, nom dont la proximité avec Ooxpoux mentionné par Constantin est frappante. Selon B. A. Rybakov cité par Artamonov, Ugru est le nom de la rivière Manytch qui se jette dans la mer Caspienne et non dans la mer d'Azov. Je ne vois que deux solutions possibles à cette contradiction. La première serait que Fhomophonie entre les deux rivières - nommées Ouxpo^x et Ugru - est précisément cela, et que nous devons accepter deux rivières distinctes. Selon la seconde opinion, plus radicale, l'idée de Rybakov sur l'emplacement de l'Ugru est erronée.

La Zichie mentionnée par Constantin est le pays des Circassiens de l'ouest43. Tamatarcha, connu dans les sources russes comme Tmutorokan, est une ville située près du Bosphore Cimmérien44. C'est là, on s'en souviendra, que la deuxième expédition dominicaine toucha terre et ne remarqua aucune présence mongole. La mise sur pied des forces militaires mongoles dans la région eut donc lieu sans doute peu avant que Julien ne reçût l'information en 1237.

Il reste une difficulté apparente. Ouxpou^ est le nom d'une rivière, alors que Julien parle d'une forteresse. Une solution à ce problème est offerte par la même phrase de Constantin, qui précise :

« ...de l'Ouxpoû^ à la rivière Nikopsis, où se tient une cille avec le même nom que la rivière, est le pays de Zikhia »45.

Il se pourrait donc très bien qu'Ouxpoux fût à la fois le nom d'une rivière et d'une forteresse.

Par ailleurs, Ovcheruch est appelé « une autre principauté des Ruthéniens ». Pour Julien, le terme Ruthéniens n'a pas de contenu évident. Il l'utilise aussi pour Riazan. Dôrrie (p. 174) souligne à juste titre l'interchangeabilité des noms Ruscia et Ruteni dans

39. De administrando imperio, 42, 9(5-97, éd. Moravcsik 1950, p. 18G. 40. Marquart 1903, p. 57. 41. Dans Jenkins 19f>2, p. 15G. 42. Cf. Artamonov 1962, p. 389-390. 43. Sur la Zichie, voir Pelliot 1959, 1, p. 606-607. 44. Moravcsik 1958, II, p. 297. 45. Ed. Moravcsik 1950, p. 187.

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l'usage de Julien ; il remarque également que pour Julien le territoire de ces derniers semble s'étendre à l'est des territoires russes. Je suggère que, pour Julien, la Ruthénie pourrait être située au sud-est de ce qu'il appelle la Russie. C'est seulement ainsi que l'on peut comprendre adéquatement la mention de Ruthéniens, Hongrois et Bulgares fuyant les Mongols. Cependant, aucune explication ne peut complètement clarifier notre texte quelque peu confus.

Quoi qu'il en soit, dans la description que donne Julien des positions des armées mongoles nous avons un splendide exemple de la stratégie à long terme pratiquée par les Mongols, stratégie dont l'idée-force était un calendrier très rigide, objet d'un accord de longue date, auquel tous les commandants mongols étaient tenus d'adhérer strictement46.

Finalement, je voudrais aborder un autre passage important de la Lettre de Julien. Il contient le texte d'un ultimatum mongol qui mérite notre intérêt. Cet ultimatum apparaît dans les manuscrits P et H mais est absent de V. En voici le texte47 :

« Moi, chaym, envoyé du roi céleste, à qui il a donné le pouvoir sur la terre d'élever ceux qui se soumettent à moi et d'abaisser ceux qui s'opposent. Je m'étonne à ton sujet, roi de Hongrie, que, quand je t'envoie déjà pour la trentième fois des ambassadeurs, tu ne m'aies envoyé ni tes ambassadeurs ni des lettres.

Je sais que tu es un roi riche et puissant, que tu as sous tes ordres de nombreux soldats, que tu gouvernes seul un grand royaume et, par conséquent, que tu te soumettrais difficilement à moi de ton propre gré. Ce serait tout de même mieux pour toi et plus salutaire si tu te soumettais à moi spontanément. De plus, j'ai appris que tu gardes sous ta protection les Comans, mes serviteurs. C'est pourquoi je t'ordonne de ne plus les garder désormais chez toi, afin que tu ne m'aies pas comme ennemi à cause d'eux, car il est plus facile pour eux de s'évader qu'à toi, puisque ceux-ci, sans maisons, se déplaçant avec des tentes, peuvent peut-être s'évader, mais toi, habitant des maisons, des forteresses et des cités, comment te sauveras-tu de mes mains ? »

Ce puissant ultimatum, à ajouter à la liste de documents comparables rassemblés par Eric Voegelin48, contient quatre éléments

46. J'ai étudié le principe présidant aux stratégies à long terme des Mongols dans Sinor 1975.

47. 4, 9-16, Dôme p. 179. 48. Voegelin 1940-41.

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1166 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

cruciaux dont trois ne sont exprimés nulle part ailleurs avec une égale clarté :

1. l'assertion du pouvoir de droit divin du khan de gouverner le monde ; de fermes déclarations dans le même sens se retrouvent dans d'autres lettres mongoles ;

2. l'indignation des Mongols à l'idée que leurs messagers puissent avoir été maltraités ;

3. la prétention que ceux qui fuient les attaques mongoles restent sous juridiction mongole et qu'on ne doit pas leur donner asile ;

4. une prise de position sans équivoque concernant les avantages de la mobilité sur les habitations fixes.

L'affirmation que le Khan a envoyé trente ambassadeurs est évidemment une erreur de transcription. Mais le fait même que de tels émissaires aient été envoyés ressort clairement du texte. Selon ses propres mots, des lettres précédentes contenant un ultimatum furent prises des émissaires mongols par le prince de Suzdal, bien qu'aucune indication ne soit donnée sur le sort des personnes qui les portaient. Leur mauvais traitement aurait constitué un clair casus belli pour les Mongols.

Les Comans mentionnés dans l'ultimatum doivent être ceux qui fuirent les Mongols en 1227 et reçurent asile dans la Valachie et la Moldavie alors gouvernées par le roi André II de Hongrie. En 1235, quand Bêla IV accéda au trône de Hongrie, il prit également le titre de roi des Comans. Si nous supposons, comme nous devons le faire, que le roi reçut l'ultimatum, rien n'indique qu'il prît la menace très au sérieux. En 1238, elle ne semblait pas réaliste et même trois ans plus tard, alors que l'attaque des Mongols était imminente, ni lui ni personne ne prit conscience de l'ampleur du danger.

J'espère que ces brèves remarques auront montré qu'il y a des leçons à apprendre d'une analyse plus approfondie de la lettre de Julien à Salvius Salvi. Pour cela, des préjugés bien ancrés doivent être déracinés, et le texte doit être étudié pour ce qu'il dit et non pas pour ce qu'il est censé dire.

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MM. Jean RICHARD et Louis Bazin interviennent après cette communication .

LIVRES OFFERTS

M. Denis Sinor, correspondant de l'Académie, a la parole pour un hommage :

« J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie les Essays in comparative Altaic linguistics, Bloomington, Indiana, 1990, 464 pages, qui