La Banquise N°1 - Printemps 1983

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    LA

    BANQUISE

    Revue de

    critique

    sociale

    Resp

    publ . : G. Dauv

    Parait quatre fois l an

    Abonnement 1 an : 65 F

    Pour toute correspondance :

    LA BANQUISE

    B P

    n 214

    75263 Paris Cdex 13

    Crdit photos : Dazy ; Roger Viollet

    Imprimerie S.P.M.

    14, rue Charles V

    75004 Paris

    Premier trimestre 1983

    Les textes publis dans

    la

    B NQUISE

    peuvent

    l tre librement reproduits, s ns

    indication

    d origine.

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    vant

    l

    dbcle

    Sous les pavs, la

    plage>>

    disions-nous avant la grande

    g l a c i a ~ i o n

    Aujourd hui la banquise a recouvert

    tout

    cela. Dix, vingt, cent mtres de glace par-dessus les pavs. Alors, la plage ..

    Contre l nouveaut

    oyen de

    transport

    et d organisation des hommes de cette fin de sicle, l automobile

    l incarne

    merveille.

    Un

    nouvel engin

    parat

    tous

    les ans, aussi

    peu

    nouveau que

    les

    prcdents et qui

    s use

    plutt

    plus

    rapidement

    encore.

    Et

    il en.

    est de mme pour

    les

    ides, tant l

    est

    vrai que la nouveaut, le progrs, le changement, la

    modernit sont

    les mythes fon

    damentaux

    du

    capitalisme et le sont d autant plus que ce capitalisme montre chaque

    jour

    davantage

    son insatisfaisante dsutude.

    Nous vivons dans

    un

    monde qui s est

    tellement autocritiqu,

    sans _mme

    tenter

    de se

    rvolutionner, comme ce

    fut

    le cas vers 1918,

    qu il

    a plus chang d idologie

    que

    de ralit. A l obses

    sion sociale de la

    modernit est

    venue se surajouter, ces dernires annes la mode de la dsillusion.

    L chec

    du

    rformisme de ce que

    l on

    appelait aux Etats-Unis le mouvement>>,

    en

    France plus brive

    ment

    Mai>> a engendr une srie

    de modes,

    du

    hippy

    contre-culturel

    au

    jeune homme

    moderne la

    dfroque satanique. La faillite de

    68

    clate

    quand

    ses aspects les plus rformistes (donc les plus rpan

    dus)

    prennent

    enfin le

    pouvoir,

    treize ans

    jour pour jour

    aprs les barricades

    de

    la

    rue

    Gay-Lussac.

    En

    1983, la

    rforme>>

    ressemble

    tant

    la raction qui triomphe en Angleterre, aux tats-Unis, etc,

    que la tendance

    la plus gnrale, dans les

    pays

    dvelopps, est

    de

    ne croire

    en rien

    mais de

    tout

    accepter. Ailleurs, dans

    cette

    partie du

    monde

    que le capital n arrive ni rentabiliser ni pacifier sous

    les

    bombes ou

    par l argent, les rvoltes populaires successives, incapables seules de soulever le poids

    trop

    lourd

    d un

    systme

    mondial

    d exploitation

    et

    de rpression,

    aboutissent

    de nouvelles oppres

    sions. L attitude la plus novatrice dans ces rgions consiste croire

    aux

    plus incroyables vestiges du

    pass (l Islam, la vierge

    noire de

    Cracovie,

    un

    nationalisme)

    pour

    ne pas

    tout

    accepter.

    Il est vrai que la plus grande multitude, celle des

    hommes

    qui ne se rvoltent pas, se

    bricole au

    jour

    le

    jour

    une mixture de croyances incolores

    et

    d incrdulits limites. (Coquetle

    occidental : 1/3 de cynisme en face des dirigeants, 1/3 de foi en la science, ou en l horoscope, ou au

    vgtarisme, ou les trois, 1/3 de foi en

    la

    dmocratie. Coquetle tiers-monde : 1/3 de dbrouillardise

    en

    face des

    bureaucrates

    ou

    des curs,

    1/3

    de

    gris-gris,

    1/6

    d adhsion

    la

    communaut

    tribale

    ou

    villageoise, 1/6 de coca-cola rv). Les intellectuels la

    mode

    de c h ~ z nous auront russi ce

    tour

    de

    force de runir les illusions nationalistes, religieuses

    ou

    lectoralistes des affams et le renoncement

    des consommateurs la rvolte

    contre l ordre

    capitaliste. Dans

    cette

    synthse rside toute la nouveau-

    t

    de

    ce qu ils

    ont

    dire.

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    Parmi cette nouvelle vague de chiens

    de garde du capital, une race incon

    nue a prolifr : les chercheurs

    militants.

    Cette excellente description du par

    tage des pouvoirs dans la France d au

    jourd hui

    est extraite

    du Monde

    Diplomatique ... d octobre

    1979. Nous

    nous sommes contents de remplacer

    dans extrait socit librale avan-

    ce

    par

    socit socialiste. Si le

    discours de l annexe tiers-mondiste du

    journal officiel de

    tous

    les pouvoirs

    s appliquait ds

    cette

    poque ce que

    nous avons sous les yeux, c est que

    l Etat

    et

    la socit capitaliste

    n ont

    pas

    attendu

    l lection de Mitterrand

    pour

    fai:r:e

    une place aux jeunes loups de la

    contestation et leurs ides. Le 10

    mai 1981 a apport la sanction des

    lecteurs ce phnomne : le gau

    chisme s est impos

    un

    peu plus

    chaque

    jour

    comme avant-garde du

    capital.

    C est ainsi que

    le

    fminisme, loin

    de remettre en question l ordre moral,

    a

    abouti

    le renforcer. Poussant leur

    corporatisme clitoridien l extrme,

    les femmes des classes moyennes, les

    cadresses

    et

    les

    p r o f e s s e u s ~ s

    ont

    fait

    entendre raison aux proltaires qui ne

    s taient pas encore aperu que le

    capitalisme a substitu au mode tra

    ditionnel de soumission de la femme

    le

    mode

    moderne de soumission di

    recte au salariat. Confirmes dans leur

    galit

    d objet du

    capital

    par

    la con

    damnation vingt ans de tle de

    quelques misrables, elles

    ont

    clbr

    avec des chants

    et

    des danses la

    victoire de cette revendication pouja

    diste : Mon corps m appartient.

    N en dplaise l ineffable Halimi qui

    croit l exemplarit de la peine dans

    le seul cas

    du

    viol, leur action

    n aura

    nullement

    abouti

    supprimer les

    violences de la misre sexuelle. Elles

    n auront

    fait

    qu y

    surajouterlaviolence

    glace de l Etat*.

    Lip

    et

    Plogoff

    ont

    illustr les limites

    des deux projets les plus vastes dont le

    norformisme ait accouch : l auto

    gestion

    et

    l cologisme. Loin de librer

    le proltaire

    de

    1 esclavage salarial,

    l autogestion le fait participer sa

    propre exploit ation. L cologisme,

    ds

    qu il

    est efficace, quivaut

    envoyer la pollution chez le voisin.

    Quant

    la crise du systme duca

    tif

    et aux pdagogies nouvelles ..

    Au

    sicle prcdent,

    non contents

    de leur infliger la naissance, les

    hommes

    * Voir dans

    ce

    numro

    :

    Pour un monde

    sans morale.

    squestraient et martyrisaient les en

    fants dans les familles

    et

    les collges.

    C tait franc. On les savait un danger

    social, alors on les emprisonnait

    jusqu au

    complet

    abrutissement, jus

    qu

    l instant o le malheureux crtin

    dclarait de lui-mme : J ai t lev

    la dure mais j en suis trs heureux :

    cela m a permis de devenir un hom

    me. Sinistre parodie d un esclave qui

    prterait serment de fidlit. Mettre

    hors d tat de nuire un individu

    dangereux est une loi de conservation

    sociale d une logique irrfutable. La

    seule rponse possible c est l aboie

    ment de

    la

    dynamite.

    Mais qu est-ce que l hypocris ie

    actuelle de cette pseudo-libration

    que prchent les modernes ducateurs?

    Seul

    un automate

    pourrait juger

    agrables les occupations dulcorantes

    que l on inflige l enfant pour lui faire

    oublier, refouler en lui son activit

    naturelle de vols, de viols, d assassinats

    et d incendies clatants.

    Librer les enfants, mais ce serait

    plus beau que d ouvrir les cabanons h

    (Roger Gilbert-Lecomte,

    Le

    Grand

    Jeu, 1928)

    On serait

    tent

    de dire que ces li

    gnes auraient d faire taire jamais

    les rformateurs de l cole. Ce serait

    croire que ce

    qu on

    prend

    pour

    la

    vrit n (l qu tre dit haute voix

    pour

    branler le monde. Idalisme

    naf qui

    a malheureusement affect

    ces dernires annes quelques esprits

    qu on

    aurait crus plus solides. Mais il

    est vrai que ce

    texte

    de Gilbert-Lecom

    te reflte

    une bonne part

    de la ralit,

    celle qui aurait tendance nous rendre

    optimistes sur les ressources de l huma

    nit. Quiconque lit attentivement les

    journaux

    aura remarqu avec quelle

    rgularit ils

    rapportent

    des saccages

    nocturnes d coles primaires

    ou

    mater

    nelles

    par

    des enfants trs jeunes.

    L colier

    qui

    mit le feu au CES Pail

    leran

    en 1972 ne fit que raliser le

    souhait ancestral

    qui

    sera quelque

    jour

    satisfait sur une chelle bien plus

    vaste : Les cahiers au feu, les

    matres

    au milieu. Cependant Gilbert-Lecomte

    mythifiait l enfant : il en fait dans ce

    texte un

    tre

    purement

    subversif,

    alors que tout

    enfant,

    ct

    de

    pulsions dangereuses pour

    l ordre

    social, est aussi travaill

    par

    le dsir

    angoiss de conservatipn. Enfin, il

    n y

    aurait rien de beau se

    contenter

    d ouvr ir les cabanons : ceu.x

    qui

    l ont

    fait

    ont

    install la psychiatrie de sec-

    teur, c est--dire transfr l asile

    la maison.

    On n en

    finirait pas

    d numrer

    5

    LA BANQUISE

    tout

    ce que la contestation a touch

    et qu elle a contribu renforcer en

    le

    rformant

    jusqu

    l idologie de

    M Prudhomme qu elle a renouvel

    au profit des nouvelles classes moyen

    nes.

    Le

    petit

    bourgeois d aujourd hui,

    ce n est plus Homais, c;est le jeune

    homme moderne, troisime

    et

    lointain

    rejeton

    du

    gauchisme. L organe central

    de la pense peti te-bourgeoise d au

    jourd hui,

    c est

    Actuel.

    Les lecteurs de ce

    torchon,

    ex-tu

    diants

    et

    nouveaux cadres

    qui

    ont

    gard de l agitation contesta trice de

    Les limites de

    la

    dmocratie

    l cole.

    es lves

    onnent le nom

    de Mesrine

    leur ES

    la

    majori t des lves de Saint

    Arnoult-en-Yvelines ont choisi

    le nom de Jacques Mesrine

    pour le nouveau CES qu ils

    occuperont

    bientt,

    a-t-on

    appris

    vendredi de bonne

    source.

    les 600 lves du CES qui

    abandonneront leurs bAtiments

    prfabriqus actuels pour leurs

    nouveaux locaux la mi-janvier,

    se sont en effet prononcs

    48 pour le nom de l ancien

    ennemi public

    n

    t, les

    52

    autres pour cent ayant rparti

    leurs voix entre les noms propo

    ss par l a d m i n i s t r a t i o n ~ dans

    l ordre, Georges Brassens, John

    Lennon, Ren Goscinny et Elsa

    Triolet.

    le comit d tablissement du

    CES sera appel se prononcer

    trs prochainement sur le choix

    dfinitif du nom du nouveau

    coHge

    e t ~

    prcise-Fon

    de

    mme source, ne tiendra certai

    nement pas compte

    du

    rsultat

    du vote des lves.

    Le Quotidien de Paris,

    28-29 sep

    tembre 1981.

    l aprs-68

    un

    certain dtachement

    l gard des idologies politiques com

    me -l gard de l ordre moral tradition

    nel veulent pouvoir contempler avec

    le ricanement de ceux qui

    on

    ne la

    fait plus les horreurs

    d un monde

    qu ils

    n ont

    pas su davantage compren

    dre qu ils

    n ont

    t en mesure de le

    transformer. Un monde c est leur

    courte morale - les torturs finiraient

    toujours

    par

    devenir tortionnaires.

    Ayant peu ou

    prou

    got aux liqueurs

    fortes des stalinismes maostes

    ou

    tiers-mondistes comme aux fades

    bouillies des nouveaux curs philoso

    phes, ils ont besoin d informations

    bizarrodes qui violent leur got

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    LA

    BANQUISE

    pression, satisfera ces intrts en fonc

    tion des rapports de force entre les

    diffrents groupes. (Rapports de force

    qui apparaissent en pleine lumire ds

    que ces groupes disputent l'tat son

    monopole de la violence : la diffrence

    de

    traitement

    des contrevenants est

    trs instructive l-dessus. Si vous

    affirmez votre identit en cognant des

    flics, il vaudra mieux

    pour

    vous tre

    viticulteur

    ou

    camionneur

    que

    fils

    d'immigr).

    Ce que nous disons

    du

    processus

    de cration d un

    nouvel objet de con

    trle est illustr

    par

    une affaire rcente.

    Des gens bien intentionns ont fait

    paratre un ouvrage : Suicide,

    mo e

    d emploi, qui

    est devenu

    un

    succs

    d'dition. Des voix de spcialistes,

    psychologues

    et

    mdecins

    se

    sont

    leves

    contre,

    ce qui tait leurs

    yeux,

    une

    intervention aventuriste

    dans le champ des suicidants,

    mot

    lanc

    pour

    l'occasion. S'il est vrai

    qu une

    socit qui interdit ses mem

    bres de

    mourir

    se disqualifie, on .peut

    trouver

    douteux

    ce besoin d'offrir aux

    autres la possibilit d une

    mort

    douce.

    e

    besoin de lnifier

    qui

    fait appeler

    non-voyants les aveugles,

    qui

    fait pren

    dre des cachets contre l'angoisse

    et

    occulter

    la mort,

    ce besoin est

    l un

    des

    plus inhumains que

    notre

    monde

    inhumain ait

    produit.

    Si le suicide

    devait avoir

    un

    sens ce devrait tre

    celui

    d une

    rupture et d un scandale.

    En

    offrant

    la possibilit de mourir

    en douceur,

    on

    se

    contente

    de prolon

    ger

    jusqu

    la

    mort

    cet

    tat

    de som

    nambulisme dans lequel

    la

    socit

    moderne plonge la plupart de ses

    membres, et qui est le seul remde

    qu'elle propose aux souffrances qu'elle

    fait natre.

    A la faveur des dbats suscits

    par

    le succs

    d dition,

    les spcialistes,

    les pouvoirs publics, les militants

    et

    les

    candidats au suicide se runiront

    peut-tre quelque

    jour

    dans

    une

    structure de dialogue, afin de

    mettre

    fin aux excs des suicides sauvages.

    Dans 1 hypothse

    o

    l'Etat prendrait

    en charge la liquidation des dsesprs,

    le Parti socialiste, restreignant son

    programme un objet plus sa por

    te, pourrait se vanter, faute d'avoir

    chang la vie, d'avoir chang la mort.

    Aujourd'hui,

    Arthur

    Rimbaud qu

    terait-il son identit au MLH

    ou

    au

    Front

    de libration de Charleville

    ?

    Il y

    eut un

    brasier potique,

    un

    trafi

    quant

    d'armes,

    l amant

    de Verlaine

    et

    de l un

    l autre, point

    de solutioR

    de continuit, mais

    une

    ralit contra

    dictoire

    et

    fluide comme la vie.

    L'essentiel de ce qu'il a transmis

    jusqu

    nous

    par

    le canal de la culture n'appar

    tient pas ses papiers d'identit, ni

    mme ce corps, ou cet inconscient

    produits comme objets d'tudes ainsi

    que

    tant

    d'autres objets du pouvoir.

    L'artiste, aussi bien que le capitaine

    d'industrie

    ou

    que le

    chef

    militaire ou

    politique,

    n auront

    t que des figures

    transitoires. Avec son aura

    d homme

    de lettres, le prsident franais a

    un

    petit air vieillot bien de chez nous.

    Qu un

    individu comme Reagan, ancien

    cow-boy de cinma devenu expert en

    petite cuisine politicienne mais rest

    Un crtin notoire dans les questions

    conomiques

    et

    internationales,

    qu un

    .individu pareil se trouve plac la

    tte de la plus puissante nation du

    monde

    et

    qu'il y remplisse son rle

    sans difficult, dmontre s'il tait

    encore besoin de le dmontrer, que

    les chefs d'Etat ne sont plus depuis

    longtemps

    que

    des rouages comme

    les autres, aussi peu puissants que

    les autres,

    et dont

    la principale fonc

    tion

    est

    d offrir une

    image. Dans le

    monde moderne, il

    n y

    a plus que des

    rouages anonymes

    ou

    des vedettes

    galement interchangeables lisez

    n importe

    quelle ptition, vous

    verrez bien

    qu une

    fois accept dans

    les mdias, le parvenu du sport,

    tout

    autant

    que celui de la philosophie,

    a dsormais son

    mot

    dire sur le

    destin de ses semblables. De fait,

    quand

    on

    voit o en sont les philo

    sophes,

    q

    regrette qu'il

    n y

    ait pas

    davantage de foutebolleurs

    pour

    parler

    leur place.

    Jeune vedette connue

    pour

    avoir

    tir les cheveux de la vieille vedette

    Aragon, Daniel Cohn-Bendit est revenu

    en France pour apprendre Jos

    Artur et

    Ivan Leva, porte-coton

    des vedettes, qu'il existe en France

    un

    mouvement alternatif. Dans la

    mauvaise traduction de la langue

    de l'imprialisme dominant qui sert

    de langage

    tant

    de nos contempo

    rains, un mouvement alternatif,

    cela ne signifie pas, hlas, un

    mouve-

    .

    ment qui

    n'apparatrait que de temps

    en temps, mais bien

    un

    mouvement

    pour

    une vie diffrente. Ces jeunes

    gens diffrents habitent des logements

    diffrents avec leur famille diffrente

    qui se

    fournit

    dans des boutiques

    diffrentes. Ils

    ont,

    merveille des

    merveilles, rcemment fond une

    banque diffrente. Mais dj les

    femmes - diffrentes - de leur

    mouvement, songent fonder une

    banque - diffrente - des femmes.

    n

    se prend rver

    du jour o

    des

    7

    homosexuels diffrents viendront

    commettre

    un braquage diffrent

    dans cet tablissement. Qui les jugera,

    s'ils se font prendre ? On serait

    tent

    de suggrer ces braves gens de fonder

    une espce d institu i6n charge de

    rgler les ... diffrends qui pourra ient

    surgir entre les diffrents groupes de

    leur mouvement. Une sorte de super

    groupe, quoi. Ils pourraient appeler

    a

    un

    Etat,

    par

    exemple: Faut-il prci

    ser que

    cette

    bouillie

    pour

    les chats

    nous laisse, au mieux, indiffrents ?

    Les malheureux norformistes qui

    s'expriment dans Libration et ailleurs

    ne se sont pas encore aperus que la

    socit de leurs rves, avec ses com

    munauts dfendant leur identit, ses

    groupes de pression revendiquant une

    spcificit sexuelle

    ou

    autre,

    cette

    socit existe : c'est la nation qui s'est

    construite sur le gnocide des Peaux

    Rouges, l'esclavage des Noirs et l'ex

    ploitation forcene d une

    partie de

    son propre peuple. C'est la nation

    dont la richesse est garantie par la

    misre des deux-tiers de

    la

    plante,

    ce sont les Etats-Unis d'Amrique.

    L-bas,

    en

    effet, les Hispano

    Amricains,

    par

    exemple,

    ont

    dj

    ralis le rve des Radio-J

    et

    au tres

    Frquence-Gay. Ils

    ont

    c o n s ~ i t u

    un

    milieu socio-culturel unifi

    d abord et

    avant

    tout par

    l'change marchand

    d'objets

    et

    de signes

    :le

    rseau

    Spanish

    International

    (possd

    ~ r o i s ~

    arts

    par

    une chane

    d Etat

    m e X i c a i ~ est

    devenu une puissance tlvis'uene.

    comparable aux trois grands rseaux

    privs des Etats-Unis.

    La fascination de l'intelliget'itsht

    franaise pour les tats-Unis s'explique

    sans

    doute

    par

    une attirance

    qui

    refuse

    de voir

    tout

    fait

    que

    l

    est bel

    et

    bien l objet du dsir.

    e pays de l'extrme modernit

    leur

    montre

    d'ailleurs

    un

    avenir

    possible. Les vtrans de divers no

    rformismes s'y intressent

    un

    phnomne qu'ils s'efforcent d'orga

    niser sur une base populaire

    et

    librale:

    les comits de surveillnce de voisins,

    milices de quartiers qui

    combattent

    la dlinquance en liaison avec les for

    ces de l'ordre officielles. Aux derniers

    . militants franais en mal de luttes,

    nous, conseillerons vivement d'viter

    de s'aventurer dans l'autogestion de la

    police. Ils risqueraient

    un

    jour

    d entrer

    en collision avec la ralit sociale ou

    de dcouvrir, au cours

    d une

    de ces

    crises de conscience auxquelles ils nous

    ont

    habitu, qu'ils

    sont trop peu

    diffrents de ces

    SS

    qu'ils traitaient

    autrefois de CRS. S'ils divaguaient au

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

    10/68

    LA BANQUISE

    point

    de

    se

    vouloir noflics, nous les

    inviterions avec la dernire nergie

    rester franais, dfendre la catgo-

    rie la

    mode

    sur

    notre

    sol : celle des

    suicidants. Et puisqu ils cro ient

    la

    vertu de l exemple ...

    Dans un monde domin par l co

    nomie, deux tendances

    se

    confortent

    en

    se

    contredisant : la massification

    et

    la concurrence, la rduction des vies

    humaines des quivalents abstraits

    et

    la

    production

    exponentielle de

    fausses diffrences concurrentes. Con

    tre l universalisation rductrice, la

    revendication

    d une

    identit ne peut

    tre que ractionnaire

    et

    sans avenir

    ou l avant-garde du capital et pro

    ductrice d un nouveau rle dans son

    spectacle. Dans ce monde monstrueux,

    vouloir tre homme, c est

    se

    poser en

    monstre : c est refuser

    d tre

    Franais,

    mais aussi Breton, antiquaire diffrent,

    pisseur

    debout

    ou couch, intellectuel

    ou jeune

    cadre. C est refuser de s Iden

    tifier quelque rle social que ce soit,

    y compris celui d ouvrier. Car,

    si

    la

    lut-

    te de classes reste le

    moteur

    de l his

    toire, ce n est pas en revendiquant

    un meilleur

    statut

    dans la socit

    actuelle que la classe ouvrire devien

    dra la seule communaut laquelle

    nous nous identifions : une classe de

    la socit civile qui

    n est

    pas une

    classe de la socit civile ;

    qui

    ne

    revendique pas

    un

    droit particulier

    parce

    qu on n a

    pas commis envers

    elle

    une

    injustice particulire mais

    l injustice

    pure et

    simple ;

    qui

    n est pas

    en opposition particulire avec les

    consquences, mais

    ea

    opposition

    globale avec les prsuppositions de

    pouss

    jusqu

    la caricature la logique

    des Gros Cocos qui rgnent sur le

    monde. En l occurence, les intrts

    de son gouvernement ne se confondant

    point avec les intrts de

    tout

    le camp

    occidental, le

    chef d tat

    isralien

    n a

    pu

    imposer que les mdias reprennent

    sans

    murmure

    le terme de grigno-

    l tat

    prsent du monde ; une sphre

    de la socit qui ne

    peut

    s manciper

    sans s manciper de

    toutes

    les autres

    sphres et

    par

    l les manciper toutes ;

    perte totale de l homme qui ne

    peut

    se

    reconqurir

    qu

    travers la rac

    quisition complte de l homme. Cette

    communaut des hommes qui agissent

    pour

    dtruire le mode de production

    capitaliste, c est le

    proltariat.

    Mots des monstres et

    maux des hommes

    -

    Mais :

    gloz.re , ne

    szgnzfz e

    pas : un bel argument sans

    rplz.que

    -

    Quand,

    moz,

    j emploze

    un

    mot

    dclara le Gros Coco d un

    ton assez ddazgneux,

    z1 veut

    dire

    exactement ce

    qu

    z1 me

    plat

    qu

    z1

    veuille dz.re.

    nz

    plus

    ni

    mozns.

    --

    La question est de savoir si

    vous pouvez

    oblz ger

    les mots

    voulozr dire des choses diff-

    rentes.

    La question

    est

    de savoir

    qui sera le matre,

    un

    poz nt

    c est

    tout.

    (Lewis Caroll, Ce

    qu Alice trouva

    de l autre ct du miroir, traduction

    de Jacques Papy)

    E n prtendant

    interdire

    qu on

    parle

    d offensive gnralise quand ses chars

    envahissaient Beyrouth-ouest, Begin a

    tage. Il faut prendre au srieux les

    chefs

    d tat

    pittoresques

    dont

    les

    joUfilalistes

    font

    leurs choux gras :

    quand

    Kadhafi annonce grand

    fracas qu il va liquider ses opposants

    rfugis l tranger,

    l n a

    que le

    tort

    de

    donner

    de la publicit

    une

    prati

    que devant laquelle maints gouverne-

    8

    ments dmocratiques

    n ont

    pas recul.

    Quand Amin Dada tranglait de ses

    propres mains, l

    commettait

    l erreur

    de

    se

    les salir, la diffrence

    d un

    Mitterrand qui se

    c o n ~ n a i t d tre

    ministre de la Justice

    quand on

    dca

    pitait des rebelles algriens. De mme,

    le terrorisme verbal d un Begin n est-il

    que l aspect voyant

    d un

    phnomne

    universel : le sens des mots est le fruit

    d un

    rapport de force, leur sens domi

    nant

    est toujours le sens que lui

    ont

    donn

    les forces sociales dominantes.

    C est parce

    que

    nous pensons

    que

    le communisme est possible,

    et qu il

    est radicalement tranger au sens que

    les bolcheviks

    et

    les staliniens

    ont

    donn ce

    mot,

    c est parce que nous

    pensons cela

    que

    nous prenons la

    peine de parler. Une telle pense

    n a

    pas

    attendu

    nos cerveaux

    pour

    se

    former. La rupture de soixante-huit

    a permis le ressurgissement des l

    ments

    d une

    thorie proltarienne

    pilonne

    par

    cinquante ans de contre

    rvolution social-dmocrate et stali

    nienne. Notre effort critique se situe

    dans la ligne de ce

    qu on

    appelait

    vers 1840 le communisme thorique,

    qui a

    connu un

    renouveau

    un peu

    par

    tout

    dans le

    monde

    au cours des

    quinze dernires annes. Si, contre la

    prtention

    des

    tenants

    de divers capi

    talismes d tat se

    nommer

    commu

    nistes, ne s est pas impos

    un

    retour

    au sens originel, subversif, de ce mo.t,

    c est que

    toute

    la question de la ralit

    ou de la non ralit

    du

    sens

    d un mot,

    isole de la pratique,

    une

    question

    purement scholastique. Seule la vie

    relle permet un sens et la pratique le

    vrifie. Il a fallu l crasement des

    soulvements proltariens qui

    ont

    s uivi 1914-19 18, il a fallu la terreur

    des polices et le dcervelage par les

    mdias,

    pour

    que ce

    mot en

    vienne

    dsigner son contraire. Il faudra des

    luttes longues

    et

    difficiles

    pour

    que

    le communisme s affirme dans la pra

    tique, et

    qu on

    le reconnaisse

    pour

    ce

    qu il est : abolition du salariat et de

    la production marchande, et donc de

    l tat

    et

    de toute conomie.

    Aucun centre rie dtient le mono

    pole

    d une

    vision thorique subversive

    qu il lui suffira ensuite de diffuser dans

    les masses. t conscience ne

    nat

    jamais en premier, elle ne prcde pas

    l action. C est parce

    que

    le mouvement

    communiste est encore dans les limbes

    qu il ne s est manifest

    thoriquement

    qu

    travers des groupes

    dont

    le man

    que d effectifs

    n tait

    ni la seule, ni l

    principale faiblesse. Comprendre leurs

    (lpports et leurs limites sera

    un

    de nos

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

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    points de dpart (dans

    un

    prochain

    numro,

    on

    lira une critique de l Inter

    nationale situationniste).

    Parce que les crits signalent

    l avance

    et

    les limites de la pratique,

    la critique des textes est insparable de

    la critique

    du

    prsent. La citation de

    Roger Gilbert-Lecomte a au moins le

    mrite de montrer ce que d autres

    crits que nous citerons, montreront

    aussi : dans notre monde qui cultive

    l amnsie slective, maintes nouveauts

    sont en ralit en rgression par rap

    port

    des ides

    ou

    des pratiques

    anciennes. Si nous voulons parler de

    notre poque, ce ne sera pas

    pour

    nous

    perdre dans l actuali t, ce f lux de

    pseudo-vnements

    et

    d vnements

    vrais slectionns suivant

    une

    logique

    qui n'est pas la ntre. Ce que nous

    disions plus

    haut

    sur la rduction du

    temps

    un

    droulement linaire

    s applique

    tout

    particulirement au

    mode de fonctionnement des mdias.

    La

    Banquise n'est

    pas

    un

    nouvel or

    gane de presse.

    La presse politique

    ou

    d'opinion

    s puise dans l instant. Elle est bien

    fille de l'poque moderne, en ce qu elle

    se dvore elle-mme, Moloch sans

    mmoire

    et

    sans pass. La presse

    politique se nourrit de scandale.

    Quand

    France-Soir

    parle des terroristes,

    l Humanit

    des ouvrires surexploites,

    quand, propos de l crasement de

    la Fracti on de l Arme Rouge

    par

    l Etat allemand,

    Libration

    titre : La

    guerre des monstres, la dmarche est

    identique : profiter du choc cr chez

    le. lecteur pour

    passer son message, par

    ler de

    l'effet

    de faon ne pas traiter

    la cause.

    Charlie-Hebdo

    ne procdait

    pas

    autrement

    : il prenait chaque se-

    maine

    un

    fait divers ou

    une

    nouvelle

    choquante

    et

    le

    ou

    la retournait

    avec cynisme. Ce qui aurait pu tre

    clairant

    et

    subversif devenait, force

    de rptition,

    un

    procd

    dont

    l'effet

    dcapant se

    perdit

    et

    qui se transforma

    trs vite en entreprise

    d'accoutumance

    l ignoble. L'humour permet de dire

    et

    de saisir bien des choses. Cultiv

    systmatiquement, il

    tord

    tellement

    le rel,

    qu'on n'y

    comprend plus rien.

    Il

    n'en

    reste

    qu'un moyen

    de

    supporter

    l'horreur du monde dans une drision

    de

    tout et

    de tous, y compris de soi.

    Cela dit, nous

    n'en

    sommes que plus

    l aise

    pour

    faire remarquer l extraor

    dinaire hypocrisie de la

    condamnation

    de

    Hara-Kiri pour

    ses plaisanteries sur

    la catastrophe a:utoroutire de Beaune:

    l insulte la douleur

    tait du ct

    des

    photographes qui se battaient

    pour

    mettre dans la

    bote

    les larmes des

    parents,

    plutt

    que

    du

    ct

    d'un

    jour

    nal qui se contente de rire de tout.

    Nous pensons nous aussi qu'on a le

    droit de rite de

    tout, que

    c est mme

    une des forces des humains de plai

    santer des pires malheurs. Mais nous

    n avons pas envie de rire sans cesse :

    ce monde n'est vraiment pas assez

    marrant. Une des conditions de com

    prhension du monde qui nous entou

    re est de ne pas cultiver avec lui une

    relation de scandale, ou

    .de

    ricanement

    (si nous .

    i ~ n o n s

    de lui, il

    se

    moque

    de nous).

    A quoi servent les effets spciaux

    du spectacle ? A ne pas voir ce qui

    crve les yeux. Un monde libre qui

    ne l est pas plus que les Commu

    nistes ne sont communistes. Des

    rformateurs (PS

    et UDF)

    et

    des

    conservateurs (PC

    et

    RPR} galement

    capitalistes, mais tous incapables de

    rformer ou de conserver autre chose

    que ce qu'autorisent les mcanismes

    capitalistes. Des progressistes qui

    ont

    tout

    soutenu, surtout des chefs d'Etat,

    et

    dnonc comme allis objectifs du

    Pentagone ceux qui comme nous ne

    se

    reconnaissaient pas

    (et

    ne se recon

    naissent toujours pas) dans les mouve

    ments de libration nationale. Des

    ex-staliniens comme les Daix, les

    Desanti, les Garaudy, les Sollers, qui

    se font

    un

    plaisir,

    un honneur

    et une

    nouvelle carrire de raconter en dtail

    jusqu' quels bas-fonds ils sont descen

    dus. Des figures emblmatiques de

    l intelligence franaise comme Sartre

    qui

    n'a pour

    ainsi diro jamais rat une

    nerie ds

    qu'il

    a prononc

    un

    juge

    ment

    sur son temps. Une presse

    et

    des

    consciences qui prsentent rgulire

    ment

    les terroristes comme une

    menac mortelle

    pour

    l'humanit,

    alors que le

    monde

    repose depuis

    Photos tmoignages

    Dans le cadre du mois de la photographie, le

    grand Prix Paris-Match du reportage pho

    tographique a t attribu Gilles Ouaki

    trente-six ans, reporter au Parisien Libr.

    Juif pied-noir, comme il se dfinit lui-mme,

    il a tmoign d une belle conscience protes

    sionnelle et d un sens aigu de l histoire

    en

    photographiant les scnes atroces de

    l at

    tentat de la rue des Rosiers, prfrant

    aux

    larmes et aux cris le tmoignage silencieux

    de l image, qui survi t

    la douleur et

    la

    colre. Ces photos, dans leur brutalit, sont

    actuellement exposes au 56 tage de la

    .Tour Maine Montparnasse avec celles

    de

    nombreux autres photographes, slection

    nes-pour ce prix du reportage. Jusqu au 16

    janvier. Tlj de 10h

    22h. Entre: 15

    F

    tarif

    rduit: 9

    F.

    Pariscope

    du mercredi 24 au mardi 3 )

    novembre.

    9

    LA BANQUISE

    trente

    ans sur

    l

    quilibre de la ter

    reur nuclaire ..

    Si

    l'on

    veut

    voirl'horreur du

    monde,

    il

    suffit de

    se tourner

    vers les mdias :

    ils ne la montrent pas, ils en sont cons

    titutifs. La vraie

    horreur.n'est

    pas que

    des Noirs btonnent d'autres Noirs

    quelque part en Afrique mais qu'on

    en fasse

    une

    affiche publicitaire

    avec cette lgende : Lisez

    Actuel

    vous serez tonn.

    La vraie horreur de notre monde, la

    vraie dgradation n'est pas

    qu'on

    meurt

    de faim : on ne

    peut

    pas exclure

    absolument la possibilit de famines

    locales, mme aprs la disparition

    du

    capitalisme(

    L inhumain de

    notre

    vie

    se.

    manifeste 'en ceci qu'une partie

    de \

    l espce humaine

    regarde

    l'autre

    mou-

    rir de faim sur

    un

    cran. L'horreur

    profonde est

    notre

    dpossession de

    nous-mmes. Les proltaires modernes

    en arrivent au point o mme leurs

    sentiments, leurs motions, sont pro

    duits extrieurement leur vie, puis

    leur sont transmis par des relais sur

    lesquels ils

    n'ont

    aucun pouvoir. Qui

    contrle la tlvision ? Politiquement,

    le pouvoir en place. Mais, dans sa

    nature profonde de mdiation entre

    la vie

    et

    le spectacle, personne. Qui a

    tu

    les enfants de la catastrophe de

    Beaune

    ?

    Personne. Le capitalisme est

    le systme qui a rendu les activits

    productives et ducatives

    Si

    pnibles,

    qui les a ce

    point

    spares des autres

    sphres de la vie, que,

    pour

    la premire

    fois dans l histoire humaine, est apparu

    ce besoin trange

    et

    vide : le besoin de

    vacances. Le capitalisme est le systme

    qui a surdvelopp la circulation 2Uto

    mobile

    jusqu'

    ses consquences les

    plus absurdes

    et

    les plus meurtrires ;

    le systme qui produit les photographes

    de

    Paris-Match

    survolant en hlicop

    tre le cimetire o l'on enterre les

    enfants victimes de l industrie auto

    mobile

    et

    des vacances. Le capitalisme

    est le systme

    qui produit

    les

    yeux

    qui

    ont

    besoin

    du choc

    des

    photos et qui

    fait plier les esprits sous le poids des

    mots.

    Le capital est

    un

    rapport social qui

    se nourrit

    de la

    mort

    de millions

    d'hommes

    et

    organise sa mise en image

    pour

    des millions d autres. Aux uns

    comme aux autres, il vole leur tre.

    C est ce qui a t quelque peu perdu

    de vue, et qui tait

    pourtant

    l essentiel,

    lorsque,

    il

    y

    a

    deux

    ans,

    cette

    question

    fut

    agite dans les mdias : des cham

    bres gaz ont-elles fonctionn dans les

    cmps de concentration nazis ?

    Face tous ceux qui l ~ s s u r e ~ t

    et

    aux quelques uns qui rclamaient

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

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    LA

    BANQUISE

    qu on les laisse expliquer le contraire,

    nous affirmons que ce qui nous proc

    cupe davantage, c'est qu'il en existe

    aujourd'hui dans la plus grande dmo

    cratie du monde, les tats-Unis. e

    qui importe, bien plus encore, c'est

    que les chambres gaz existent dans

    la

    tte

    de nos contemporains comme

    image d une

    horreur

    radicalement

    plus horrible que toutes celles

    que

    produisent le monde moderne et le

    cur mme de ce

    monde,

    la dmocra

    tie capitaliste. Le monde moderne met

    en scne la misre et l'l1orreur qu'il

    produit

    pour

    se dfendre contre la

    critique relle de cette misre et de

    cette

    horreur. Cette mise en scne

    entretient

    et

    conforte

    le besoin d'ex

    clure

    et

    d'liminer

    une

    partie des

    membres du corps social, besoin qui

    est lui-mme la matrice de

    toutes

    les

    horreurs. Les camps de concentration

    sont l enfer d un mon e ont le

    paradis est le supermarch.

    On dit avec raison

    que

    les pays du

    tiers-monde

    sont

    forcs de vivre

    l tat

    d'assists. Que penser des pays

    dvelopps ? La majorit de la popula

    tion (pas plus :ne

    sont

    pas du

    nombre,

    par

    exemple,

    une

    grande partie des

    vieillards, aux tats-Unis, comme en

    France), est peu prs assure d tre

    correctement loge, nourrie, vtue,

    soigne. Mais

    cette population

    a rom

    pu pour de

    bon

    avec toute possibilit

    de production de sa propre vie. A

    commencer

    par

    des ralits fort sim

    ples : quel ouvrier ou employ pourrait

    aujourd hui produire, seul ou en grou

    pe,

    sa nourriture, son habitat, quitter

    son lieu de vie pour un autre ? Le

    capitalisme

    moderne

    a

    triomph l

    o

    les bourgeois, les partis ouvriers, les

    militants, les curs, les enseignants

    nous rptent

    que

    nous l'avons huma-

    nis, amlior par

    rapport

    au XIXme

    sicle : il s'est rendu indispensable, il

    a cr

    un monde o l on

    ne

    peut

    vivre

    sans argent et

    donc

    sans salaire (direct

    ou social), il a fait de nous des assists,

    l a

    coup

    toutes racines, l a difi

    un

    monde son image o les marchandi

    ses se contemplent indfiniment dans

    ces interM.DIAires obligs que sont la

    politique, la tlvision, la presse, l art,

    la philosophie, etc ..

    Jamais l'espce humaine

    n a

    t

    aussi dpendante. Tous les lments de

    notre vie

    nous sont

    dsormais apports

    par

    le capital et son tat. L est le

    totalitarisme le plus implacable, celui

    auquel nul n'chappe, parce qu'il est

    tendu

    toute

    la plante - hors du

    mode

    de production

    capitaliste,

    point

    de salut. Les m i s r e u ~ des bidonvilles

    du

    tiers-monde en savent quelque

    chose. Quand le capital ne peut int

    grer - salarier - des populations, l les

    clochardise.

    Le handicap, nouvelle

    catgorie, nouveau statut dans le mon

    de

    moderne,

    en passe de devenir en

    France la premire minorit (avant les

    Algriens), est le

    citoyen

    idal de

    l'tat moderne.

    Il

    a toujours besoin

    d'assistance, de

    protection,

    d'aide

    sociale, et peut tout de mme travil

    ler : le travail est mme

    sa

    faon de

    prouver son humanit.

    Au sein de ce totalitarisme-l,

    lutter

    pour les droits de

    l homme

    signifie

    sauver quelques vies en renforant

    1 idologie justificatrice de 1asservis

    sement de plusieurs milliards de vies.

    Par cette affirmation qui attaque de

    front l'idologie de notre temps,

    nous

    nous exposons aussitt une mise

    l cart

    totalitaire. On

    nous

    appliquera

    des qualificatifs, des mots-ftiches, qui

    visent non pas critiquer, mais faire

    taire. Pourtant, il nous faut prciser :

    nous ne sommes pas dmocrates.*

    Qu'est-ce dire ? Nous ne sommes

    certes pas partisans

    d un ordre

    muscl,

    cela n aura pas chapp au critique le

    plus malveillant ou le plus inattentif.

    Si

    nous

    voulons dtruire les prisons, ce

    ne sera pas pour les reconstruire, m

    me

    plus vastes et plus ares. Et

    c est

    cela mme que nous reprochons aux

    socits rgime dmocratique :

    tre

    des prisons plus vastes

    et

    mieux

    ares et tirer toute leur justification

    du fait

    que

    les prisons d ct

    sont

    troites

    et

    sombres. Nous ne nierons

    pas pour autant que, au moins pour

    une fraction de sa population, la

    dmocratie prsente quelqus avanta

    ges indniables :

    par

    exemple, lisser

    paratre La Banquise sans grand risque

    (pour l instant)

    pour

    ses auteurs. Mais

    l'Est, on ne peut rien dire,

    l Ouest,

    on peut tout dire mais a ne sert

    rien.

    C'est prcisment parce

    que

    nous

    voulons que

    chaque

    individu ait la plus

    grande matrise possible sur

    sa vie,

    que

    la matrise individuelle de

    chaque

    vie

    ne s'oppose pas (et suppose au con

    traire) des relations avec d autres vies,

    parce que nous voulons que l'espce

    humaine

    tout

    entire matrise son

    histoire, qu'i l

    nous

    faut bi en voir com

    bien est limite et gnratrice d'illu

    sions la

    qute

    de garanties juridiques

    la libert individuelle dans

    un

    monde

    qui n'autorise que ce q u a u t o r i s ~ n t les

    mcanismes capitalistes. Qui oserait

    nier, par exemple, que la libert d'ex-

    Le paragraphe

    se

    termine

    ici, permettant

    toutes les manipulations crapuleuses. Hros

    de la

    dmocratie, vos plumes

    10

    pression est

    un

    droit qui recouvre des

    ralits trs dissemblables, selon que

    ce

    droit

    s'applique un quelconque

    basan ou bien

    un

    journaliste ra

    ciste ? Tant que les

    moyens

    la

    porte

    de l un et de

    l autre

    seront aussi in

    gaux,

    nous

    continuerons

    de trouver

    utile

    et

    souhaitable

    toute

    entreprise du

    basan qui viserait restreindre la

    libert d'expression dudit journaliste.

    Pour faire mentir la sentence dsa

    buse

    sur

    ce qu on peut dire l Est et

    l'Ouest,

    pour

    que ce que

    nous

    disons

    serve quelque chose, il faudra

    que

    la

    ralit

    tende

    vers la thorie, c'est-

    dire que se dploie une dynamique qui

    n a rien voir avec les mouvements de

    l'lectorat. Si elle ne doit pas reculer

    devant la critique des armes, la rvolu

    tion communiste n est pas

    pour

    l'es

    sentiel

    une

    opration

    militaire. On ne

    dtruira pas l tat en l affrontant sur

    son terrain. e n est pas une loi dmo

    cratiquement vote ni non plus l'acti-

    Quelle ait votre m._.

    thode t

    n systme

    carcral

    dmocratique, bas 8ur

    l'au

    togestion.

    Ce

    qui

    permet

    . aux

    dtenus

    -d'avoir une vie

    sociale

    peu

    prS

    identique

    celle qui

    les attend

    l extrieur.

    Aprs

    tout, ce

    sont eux qui font

    tourner

    1a

    prison

    :

    nourriture,

    blan

    chissage, chauffage, comp-

    tabilit, agriculture lev

    Qu'ilS-

    se. mettent en

    grve et fout s lllTte.

    Le

    grdiens

    ne ontrlent

    que

    ls procduresde routine, et

    let

    directeur

    n

    est. qu un

    gestionnaire.

    Interview

    d un

    ancien direc

    teur de prison de l'Illinois

    par Libration, 14 janvier

    1981.

    vit de commissaires du peuple qui

    mettra fin au dlire automobile ; c est

    bel

    et

    bien

    l arrt de

    l'industrie auto

    mobile et sa reconversion ventuelle

    dans

    une

    activit productive moins

    stupide - arrt et reconversion qui ne

    peuvent

    tre

    que l'uvre des produc

    teurs eux-mmes. Ce n est pas une cen

    sure

    tatique

    qui

    mettra

    fin aux activi

    ts des vautours de Paris-Match, c est

    l'utilisation par

    d autres

    qu eux des

    moyens t e c h n i q u ~ s

    dont

    ils

    ont

    la

    proprit privativ. C'est en utilisant

    les richesses matrielles immdiatement

    disponibles que les proltaires pour

    ront

    supprimer

    la sparation

    entre

    activit productive

    et

    ducative, qu'ils

    pourront

    dtruire les clapiers

    o

    on

    les entasse

    pour

    retrouver le bonheur

    d habiter quelque part, qu'ils

    pourront

    dcouvrir

    pour

    eux

    et

    leurs enfants le

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    Les films de gu.erre nazis sont pau

    vres en dtails techniques, ils illustrent

    une nergie, une volont. Les films

    amricains

    montrent l union

    d hom

    mes et de machines. On ne fera jamais

    plus la guerre

    pour

    la seule patrie, mais

    aussi

    pour

    les conqutes sociales

    et

    la

    libert. Les thmes bellicistes subissent

    une double transformation : ils sont

    .repris par tous les partis, et enrobs de

    dmagogie sociale. En septembre 1939,

    si l on excepte la Pologne plus arrire,

    les pays belligrants (Allemagne nazie

    comprise) ne sont pas le thtre des

    scnes d enthousiasme chauvin

    qu on

    avait vues

    en

    1914.

    La socit capitaliste a commenc

    par dvelopper des structures l int

    rieur desquelles certaines valeurs et

    certaines pratiques

    taient

    prserves :

    cole, arme, domaine culturel, etc.

    Chacun de ces systmes institution

    nels

    et

    intellectuels entretenait un

    aspect distinct de la vie sociale. Cer

    tains, comme l cole,

    ont

    t longs

    s imposer. Aujourd hui, ayant

    tout

    en

    vahi

    et tout

    absorb, le capital lui

    mme remet en cause la sparation

    entre ces domaines. La socialisation

    capitaliste unifie les activits

    et

    les

    modes de vie : les fonctions de ces

    structures (ducatives, rpressives,

    etc.) se

    rpandent partout. Toujours

    l avant-garde

    du

    capital, la critique

    gauchiste dnonce

    la

    sparation de la

    structure mais pas

    sa

    fonction

    et

    exige

    sa prise en charge par tous : fusion

    cole-socit, art populaire, libert des

    murs, autogestion, autocontrle,

    droits

    et

    syndicats dans l arme.

    Le militarisme traditionnel s efface,

    mais l arme ne

    peut

    pas plus perdre sa

    spcificit militaire que l tat ne peut

    se dissoudre dans la socit. L arme

    ne

    peut

    devenir

    tout

    fait une gigan

    tesque entreprise dans laquelle

    on

    fe

    rait son boulot plus que son devoir.

    Mais il lui faut vivre en symbiose avec

    la vie civile, non

    pour

    la contrler,

    mais pour garantir la continuit

    d un

    support technique de plus en plus

    large. Incapable de vivre sur elle-mme,

    elle a besoin de la socit. Elle

    tente

    aussi de s en manciper.

    De

    mme que

    l tat tend absorber la socit entire,

    l arme tend devenir un monde en

    soi, avec ses moyens de transport, de

    ravitaillement, son

    carburant,

    etc.

    Les socialistes d autre fois s imagi

    naient avoir raison de la guerre en in

    trodui sant dans l arme le plus grand

    nombre possible de conscrits socialis

    tes, comme ils croyaient conqurir

    l tat

    en

    envoyant beaucoup de dpu

    ts

    s o c ~ l i s t e s

    sur les bancs

    du

    parle

    ment. Engels escomptait un clate-

    ment

    du militarisme

    par

    l intrieur

    grce aux appels socialistes (c est

    -dire aux lecteurs

    du

    SPD).

    Vers 1900, l arme ( ... ) sera socia

    liste dans sa majorit (. ) le gouverne

    ment de Berlin (. .. ) est impuissant.

    L arme lui chappera.

    Le nationalisme d un Jules Guesde

    (patriote jusqu en 1895, puis de nou

    veau aprs 1914) est assez fruste et

    colle au bellicisme de l poque. Jaurs

    dpasse son temps ; dsireux de rdui

    re

    l cart entre

    arme

    et

    nation, il

    annonce l volution ultrieure.

    Tout

    ce

    qui tend rapprocher l arme du peu

    ple contribue implanter mieux enco

    re le capitalisme dans la vie sociale.

    Tous les partis sont favorables la

    dfense nationale. En 1975-76, lors

    des poursuites engages

    contre

    des an

    timilitaristes, on a vu la dfense finir

    par nier leur antimilitarisme

    (

    l excep

    tion des inculps du P.C. I nternational

    qui se dclarrent partisans d un anti

    militarisme de classe). Faut-il citer les

    prises de position du PCF en faveur de

    l arme nuclaire, du .PC italien en fa

    veur de l OTAN, garant d une exp

    rience socialiste en Europe occiden

    tale?

    Les divers projets de la gauche et

    des gauchistes qui tous, sous divers

    prtextes opposs;

    tendent

    rappro

    cher

    l arme

    de la

    population,

    repr

    sentent

    un

    daiJ,ger, mais pas parce

    qu ils pourraient ventuellement tre

    raliss. On ne risque pas de voir

    l arme en autogestion. Ici encore, la

    gauche

    n a

    _pas

    pour

    fonction de pro

    poser

    un

    rel programme au capital,

    mais de faire tenir les gens tranquilles,

    d tre une force d englobement des

    contestations qui viennent s y perdre

    et y mourir.

    Il est en

    effet

    ncessaire d accrotre

    la confusion de manire ce

    que

    tous

    ceux -

    et

    ils sont nombreux - qui

    refusent la guerre, n y comprennent

    plus rien, voire

    entreprennent de

    la

    combattre sous la houlette

    d un

    quel

    conque groupe politique qui, en fait,

    accepte la guerre. La guerre serait

    donc

    ventuellement accepte alors que tant

    d idologies sont compltement dva

    lues ? La question ne se pose pas

    tout

    fait en ces termes. Le capitalisme

    moderne ne se passe pas d idologie,

    mais

    l

    ne justifie plus sa nature

    et

    ses

    actes comme le faisait celui de 1914. Il

    se

    contente

    d tre

    et

    voil

    tout.

    La

    guerre arrivera ;

    on

    la fera

    d autant

    mieux que seule une minorit combat

    tra

    ; le reste aura affaire la police

    et

    la gendarmerie.

    Au front, au combat, l enthousias

    me patriotique cde la place .comme

    19

    LA

    BANQUISE

    moteur de l action la ncessit

    pragmatique de survivre en faisant ce

    qu il y a faire (cf. le rcit des deux

    mutineries dans u connatras des

    jours meilleurs de W Groom, sur la

    gJlerre

    du

    Vietnam), voire n envoyant

    d autres

    faire

    sa

    place le boulot le

    plus dangereux (cf. la scne

    du

    dbar

    quement

    dans The Big ed One de

    Fuller). Le chauvinisme contribue

    faire partir les gens au front ;

    l, une

    autre logique les prend. L idologie ne

    mne pas le monde.

    Certains films de propagande de

    l entre-deux-guerres annonaient l vo

    lution : on

    n y

    glorifiait plus la guerre,

    on

    n y

    accablait plus l ennemi,

    c tait

    la guerre elle-mme qu on justifiait,

    et non plus ses justifications. Quand la

    guerre vient, sa meilleure justification,

    celle

    qui emporte

    la dcision, c est son

    existence mme. Il

    n en

    demeure pas

    moins que l une des difficults du capi

    tal est de faire surgir devant nos

    yeux

    le monstre qui

    permet

    de dlimiter les

    camps. Toute activit qui contribue

    gripper ce mcanisme est subversive -

    quand bien mme elle n empche pas

    la guerre, elle prpare un sursaut ult

    rieur.

    Le dfaitisme rvolutionnaire

    En

    1868, le congrs

    de

    Bruxelles de

    l AIT prconise de faire cesser le tra

    vail au cas o une guerre viendrait

    clater dans les pays respectifs

    de

    ses

    membres. Marx critique la

    sottise(.

    )

    de vouloir faire la grve contre la

    guerre. Comment,

    en

    effet, empcher

    la consquence d un mouvement social

    capitaliste sans dtruire ce mouvement

    lui-mme?

    Quant croire que la survenue

    d une ralit aussi affreuse que la guer

    re provoquerait enfin

    une

    raction

    de rejet que

    n aurait

    pas provoque

    l exploitation normale de la priode

    antrieure (parce que pas suffisamment

    affreuse

    justement),

    c est de l ida

    lisme pur, du pacifisme. La rsolution

    de 1868 ne fut pas applique

    et

    ne

    pouvait videmment pas l tre. Devant

    la propagande de guerre prsente

    et

    surtout

    venir, on ne

    peut

    raisonner

    ni agir comme si

    la

    guerre devait tre

    une catastrophe sans prcdent

    pour

    l humanit. Elle le sera peut-tre (en

    core que les guerres puniques

    pour

    Carthage, la guerre de Trente Ans qui

    liquida

    un

    tiers environ de la popula

    tion allemande constituent probable

    ment des prcdents). Mais on ne peut

    raisonner ni agir partir de l ide que

    la guerre serait une catastrophe. Car

    c est l image mme de cette horreur

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

    22/68

    LA BANQUISE

    qu il

    s apprte

    dclencher que le

    capital utilise comme pivot de la pro

    pagande de guerre. Le choc cr

    par

    sa

    seule

    vocation

    est

    la condition

    premire de la domestication mentale ;

    en tat

    de

    choc, on acceptera

    n impor

    te

    quoi

    et,

    prcisment, la ralit

    dont

    la seule image avait suffi

    crer le

    choc.

    On

    serait presque

    tent de

    rpondre

    la

    propagande

    sur le dan

    ger de guerre : Mais allez-y, faites

    la Vous avez peut-tre plus y

    perdre que nous.

    Car c est aprs le dclenchement de

    la guerre que quelque chose peut se

    jouer -

    pendant

    le conflit

    ou

    aprs le

    retour de

    la paix.

    Et

    la guerre

    n est

    pas

    uniqu m nt synonyme de souffrance

    pour

    les proltaires.

    Pendant

    la Deu

    xime Guerre mondiale, si des soldats

    amricains

    mouraient

    au

    front,

    les

    salaires rels des ouvriers amricains

    augmentaient

    nettement et

    le chmage

    diminuait.

    En

    1914-18, au contraire,

    la hausse des salaires aux tats-Unis

    compensait peine celle des prix.

    Dans l tat gnral d essoufflement

    du

    apital,

    l

    est probable

    qu un

    conflit

    entranerait une

    baisse gnrale

    du

    niveau de vie. Mais la guerre

    n est

    pas

    l arme suprme

    du

    capital, elle rveille

    les contradictions sociales tout autant

    qu elle les touffe.

    e

    qui empche de

    prvoir les for

    mes concrtes

    du

    dfaitisme rvolu

    tionnaire dans

    une

    guerre gnralise

    de l avenir,

    c est

    qu on

    ignore les for

    mes que revtira cette guerre elle-m

    me. Personne

    ne sait comment s imbri

    queront les stratgies des camps en

    prsence, sous la pression des circons

    tances,.

    pour aboutir

    tel

    ou

    tel degr

    de nuclarisation,

    d extension

    gogra

    phique, et ainsi de suite. Il est vident

    que c est le degr

    atteint qui

    dtermine

    ce

    qu il

    est possible de faire

    contre

    l effort

    de guerre de

    son

    pays.

    Ce

    qui

    est sr,

    c est que

    cette

    guerre

    faite

    surtout par

    des professionnels,

    offrira moins d occasions de fraterni

    sation

    et

    subira moins l influence de

    l arr ire . Mais

    l

    ne faut pas

    non

    plus

    surestimer le professionnalisme des

    militaires. L URSS est

    apparemment

    intervenue

    en

    Afghanistan avec des

    appels,

    et

    les fusiliers-commandos

    franais susceptibles d agir partir

    de Djibouti

    sont eux

    aussi des appels.

    De

    toute

    manire, force est de consta

    ter

    que

    les armes de citoyens

    ont

    tou

    jours

    fait preuve

    d une

    remarquable

    endurance

    et

    d une vive rpugnance

    fraterniser avec ceux

    d en

    face. Les

    armes

    qui

    se

    sont

    dcomposes taient

    celles d tats faibles (Italie aprs Ca

    poretto) ou rduits en miettes

    (Russie

    de 1917),

    dots

    d une conomie ex

    sangue

    et

    d une

    structure

    politique

    malade

    ou

    agonisante.

    Comme tout

    et

    tout le

    monde,

    l arme est ce qu elle fait.

    Elle

    produit

    une

    communaut spcifique

    dont

    le

    propre

    est

    prcisment

    de ne pas voler

    en

    clats au

    premier

    massacre - sinon,

    l n y

    aurait jamais

    eu

    de guerre. Ce

    n est

    pas

    quand

    ses

    conditions de

    vie

    ou de

    mort sont

    trop affreuses que

    l arme

    commence

    s effriter, mais

    quand cette

    vie

    et cette

    mort

    perdent

    leur

    sens. Les mutineries franaises de

    1917

    n ont

    pas t le fait de citoyens

    rvolts par des combats meurtriers,

    20

    mais de soldats rvolts par des com

    bats meurtriers

    qui

    ne menaient rien.

    Elles n allrent pas plus loin. C tait

    un

    mouvement

    militaire,

    interne

    la com

    munaut

    arme (les grves l influenc

    rent peut-tre

    mais

    ne

    le

    conduisirent

    pas

    dborder

    ce cadre). De

    mme

    qu il est frquent de voir les ouvriers

    se

    battre

    en

    tant

    que tels

    pour

    une

    amlioration de leurs conditions de

    travail,

    de

    mme les soldats

    obtinrent

    ils en

    l occurence,

    aprs la rpression,

    une autre manire de faire la guerre,

    une amlioration matrielle.

    On parle d antimilitarisme de clas

    se. S il s agit de la classe ouvrire

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

    23/68

    alors seule une minorit de soldats

    pourrait

    s y

    reconnatre. Mais aux

    yeux de tous ceux qui le prennent au

    srieux, ce thme quivaut

    un

    anti

    militarisme radical, liant la

    lutte contre

    l'arme la perspective rvolutionnai

    re.

    Le

    fait militaire dpasse l'analyse

    sociologique ; on peut difficilement

    assimiler les simples soldats des

    proltaires exploits

    par

    l'arme-pa

    tron. On ne saurait attendre des ou

    vriers mobiliss qu'ils pratiquent

    un

    antimilitarisme ouvrier, ni largir la

    notion d'ouvrier celle de travailleur

    (comme font les gauchistes) de manire

    s'adresser

    tout

    le monde et per

    sonne.

    La formule : Travailleur Sous

    l'uniforme, tu restes un travailleur

    n'est

    qu un

    vu pieux qui ne recouvre

    aucune ralit. C'est mme l'inverse

    qui est vrai

    :sous

    l'uniforme, le travail

    leur cesse d'tre le mme. L'arme,

    comme toute

    activit

    transforme ceux

    qui l'exercent.

    Entre fvrier et octobre 1917,

    si

    les

    conseils de soldats russes

    jouent un

    r

    le rvolutionnaire, c'est qu'il existe

    une si tuation de double pouvoir

    et

    que

    tout le contexte social les fait sortir de

    leur problme strictement militaire. En

    Allemagne, aprs novembre 1918, les

    conseils de soldats sont le produit de la

    dcomposition de l'arme, puis de sa

    re-composition sur d'autres bases.

    Mais

    ils agissent en syndicats de soldats et

    ne s'intressent qu au problme des

    soldats. S'ils s'intgrent l'arme,

    ce

    n'est pas pousss par l'idologie, mais

    parce qu'ils participent une

    tche mi-

    litaire

    :

    le

    rapatriement. des troupes en

    Allemagne.

    Le

    consil du haut-com

    mandement exhorte d'ailleurs les rgi

    ments mutins maintenir l'ordre

    et la discipline et les menace de

    sanctions trs svres.

    Et

    c'est

    l'Etat-Major lui-mme qui proposera

    un

    congrs de tous les conseils de sol

    dats afin d isqler les extrmistes berli

    nois.

    En

    Pologne, fin 1918, aprs la d

    faite allemande, les conseils de soldats

    s'entendent avec Pilsudski, le chef du

    nouvel Etat, et lui remetteq.t leurs ar

    mes (qu'il utilisera bien sr contre les

    ouvriers insurgs), lui fournissant ainsi

    la fois

    un

    armement

    et

    une recon

    naissance politique. Rien de plus nor

    mal

    :leur

    objectif n'tait pas la rvolu

    tion en Pologne (ni ailleurs) mais

    tout

    simplement de rentrer chez eux. Peu

    leur importe la gloire de l'Allemagne et

    sa dfaite, peu leur importe le commu

    nisme. En

    tant

    que tel, l soldat est

    aussi peu rvolutionnaire que le salari

    qui lutte en

    tant

    que salari.

    La condition d un mouvement rvo

    lutionnaire, c'est que les diffrents

    mouvements, ns sur des terrains

    distincts, y prennent suffismment de

    force

    pour

    en sortir. Jusqu' prsent,

    cela ne s'est gure prsent. Il a fallu

    une crise sociale gnralise

    pour

    unir

    (et encore) ouvriers, paysans,

    et

    sol

    dats russes. Aujourd'hui, le front int

    rieur a peut-tre acquis une importance

    beaucoup plus grande, dans la mesure

    o l'arme est devenue

    un

    immense

    complexe technique dpendant de la

    socit. L'arrire jouera donc

    un

    rle

    plus grand. Dans ce cas, la guerre serait

    plus politique, l'action de l'Etat et des

    partis serait ncessaire. Dans

    toute

    guerre, la surveillance

    et

    la matrise

    des civils posent plus de problmes

    que celles des militaires, eux-mmes

    engags dans une action contraignante

    en soi. Il faut donc s'attendre

    un

    univers la fois plus policier et plus

    instable que

    par

    le pass; La rsistanc

    se

    dveloppera, sera rabsorbe par des

    mouvements pacifistes

    et,

    en France,

    se

    heurtera probablement l'action

    du

    PC

    qui

    se

    prsentera comme la

    seule vritable force de paix.

    Si jamais_

    il tait interdit, sa clandestinit polari

    serait

    autour

    de lui nombre des protes

    tations, grves

    et

    sabotages larvs qui

    ne manqueraient pas de surgir.

    Le

    dfaitisme objectif seulement

    ngatif est pratiqu depuis toujours.

    Dans chaque camp, il existe- des l

    ments qui ont intrt pour eux-mmes

    ou le groupe qu'ils reprsentent la

    dfaite de leur propre pays. On peut

    d'ailleurs tre nationaliste t dfai

    tiste,

    si

    l on estime par exemple que

    la guerre propose dessert les intrts

    du pays.

    Le

    fameux mourir pour

    Dantzig de 1939 a t repris en 1980

    par des groupes d'extrme-droite qui

    estimaient que mourir

    pour

    Kaboul

    ferait le jeu des Etats-Unis

    et

    de

    l'URSS mais pas de la France.

    Le

    dfaitisme rvolutionnaire,

    lui,

    n a

    de signification communiste

    que s'il est li l'effort de transformer

    la guerre en rvolution - voire la paix

    en r\'olution, quand ce sera possible.

    On voit aujourd'hui une foule de

    marxistes adopter une position dfai

    tiste comme si

    l on

    pouvait assister

    une rptition de 14-18. Ils ne parti

    ront plus en guerre contre

    l

    Allema

    gne...

    Mais

    ils ont renonc.

    tout

    internationalisme face la Chine et

    l'URSS, comme devant la ncessit de

    la destruction du mouvement ouvrier

    organis,

    pourtant

    plus patriotard que

    les patriotes

    et

    1 des meille_ l_rs s e n ~

    21

    LA

    BANQUISE

    tiens de l'arme.

    Ce

    sont tous les

    Etats existant aujourd'hui, tous les

    partis et tous les syndicats qu'il faut

    dtruire.

    Le

    dfaitisme rvolutionnaire est

    l'unique solution dans une situation

    sans issue rvolutionnaire immdiate.

    Il

    se

    fonde sur la conviction que, puis

    qu on

    n a

    pas fait la rvolution qui

    aurait interdit la guerre, il ne reste

    qu lutter contre son propre Etat. Le

    renouveau du mouvement est cette

    condition.

    La critique permanente et exclusi

    ve

    des Etats-Unis

    par

    les trotskystes

    ou

    Action Directe, aussi bien que l'atta

    que du monstre totalitaire que les d

    f e n s e u ~

    des droits de l'homme voient

    seulement l'Est,

    entrent

    dans le ca

    dre de la prparation idologique

    d une

    nouvelle guerre.

    Pour

    ceux qui

    ne s'identifient pas avec l'Etat de la

    dmocratie capitaliste, une victoire de

    l'Union sovitique serait-elle plus grave

    qu'une dfaite de cette dernire ? l

    dessus, point de certitude. Face

    l'Occident, l'URSS reprsente le capi

    tal le plus faible, celui qui aurait le

    plus de mal digrer ses conqutes

    et

    dominer les contradictions sociales

    exacerbes par la rencontre d'une

    socit plus riche.

    Mais

    on peut aussi

    considrer qu'une dfaite ou des revers

    de l'URSS branleraient une socit o

    l'arme tient une

    si

    grande place. Une

    seule chose est sre : la dnonciation

    systmatique

    d un

    des imprialismes

    l'exclusion des autres fait le jeu de

    l'imprialisme dans sa totalit, comme

    systme mondial.

    Nous devons favoriser autant que

    faire

    se

    peut les difficults occidentales

    dans ie tiers-monde,

    sans

    soutenir les

    mouvements de libration nationale,

    ni faire le jeu de l'URSS. (Pendant la

    guerre d'Algrie, c'tait une chose de

    c o m ~ t t r e

    l'effort de guerre franais,

    une autre d'appuyer le FLN en tant

    qu'appareil politico-militaire et em

    bryon de futur tat.

    Il

    en allait de

    mme

    pour

    les rvolutionnaires amri

    cains lors de la guerre du Vietnam. Il

    en va de mme de la

    lutte

    entre la

    SWAPO et

    l'Afrique

    du

    Sud aujour

    d'hui, etc.) Sinon nous nous con

    damnerions soutenir des fronts de

    libration nationale

    jusqu au jour

    o

    ils prennent le pouvoir :

    ce

    jour-l,

    nous dcouvririons en eux des op

    presseurs, des Etats,

    et

    prendrions

    contre eux le parti des masses.

    Cette logique est celle du gauchis

    me, du progressisme, justement rsu

    me

    par un

    intellectuel de gauche

    vers 1970 : Nous soutenons la venue

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

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    L B NQ

    UISE

    L

    A

    M NI

    RE DE JO

    U R

    Ail

    DIAB

    LE

    4

    l

    j

    l

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    que la projection de

    l horreur

    prsente

    sur l cran du pass, c est videmment

    qu elles ne sont

    qu une

    seule et mme

    horreur, fruit de la mme matrice.

    L imagerie des camps, la mytholo

    gie

    du

    nazisme

    se

    nourrissent d angois

    ses trs anciennes et trs modernes :

    horreur de la dpossession, du draci

    nement, de la dshumanisation,

    peur

    de la pnurie, de la folie, de la mort,

    de la dmarchandisation -

    du

    com

    munisme. Peur de la peur.

    Le discours anti-nazi -

    et

    les pen

    daisons symboliques de Nuremberg

    font partie intgrante de ce discours,

    fondant en droit l opration d exor

    cisme

    par

    lequel les dirigeants vain

    queurs

    se sont

    dchargs sur quelques

    vaincus de l ensemble des responsabili

    ts horrifiques

    qui

    leur incombaient au

    mme titre (ce

    sont

    videmment

    Churchill, Roosevelt, Staline et con

    sorts

    que

    les dirigs du monde entier

    auraient souhait voir se balancer au

    bout d une

    corde

    ct

    de Kalten

    brunner et

    Ribbentrop} - a t jus

    qu

    aujourd hui le principal discours

    sur la barbarie antidmocratique, le

    principe unificateur charg de rsorber

    l inquitude moderne. Sur la mytho

    logie nazi s est

    bti

    le discours de tou

    tes nos angoisses.

    Quand les idologues parlent

    d urbanisme concent rationnaire, ils

    ont

    recours un rituel de d n o n c i ~

    tion, de maldiction, semblable celui

    qui consiste crier au fascisme

    devant

    tout

    abus

    d autorit.

    Il se trouve

    qu en mettant

    ainsi l accent sur des

    ressemblances formelles, on vite de

    voir l ident it relle des

    prG cessus

    sociaux

    qui

    ont

    abouti

    dans le pass

    la concentration en camps, dans le

    prsent

    un

    urbanisme de ghetto.

    Quand ils contemplent, fascins,

    une

    image centre sur le sadisme des

    bourreaux

    et

    l amoncellement des

    ca.davres, les hommes

    d aujourd hui

    prouvent

    une horreur

    qu ils croient

    suscites

    par

    un objet radicalement

    tranger. En ralit, cette mise en

    spectacle des camps vite au specta

    teur

    de saisir ce

    qui donne

    au pass son

    poids de terreur

    toute

    actuelle. Car les

    hommes

    d aujourd hui

    prfrent ou

    blier

    une terreur

    ne avec l tat

    et

    amplifie avec le dveloppement capi

    taliste. Ils prfr ent oublier qu ils

    viennent de reconnatre dans les

    camps

    une horreur familire

    C est

    l horreur

    que suscitent

    toutes

    les concentrations,

    tous

    les grands

    rassemblements d hommes privs de

    pouvoir sur

    leur

    vie. Elle est ne avec

    l Etat moderne

    et

    la cration de l hpi-

    tal gnral et des

    workhouses.

    Elle a

    pris

    toute

    son ampleur avec la rvolu

    tion industrielle

    et

    la

    dportation

    de

    millions d hommes de la campagne

    vers les usines. C est l horreur de la

    caserne, de la prison, des

    hpitaux et

    des asiles modernes.

    Que l Etat planifie la dpor tation

    des populations ou se contente de la

    sanctionner, qu elle soit l aboutisse

    ment d une

    logique idologique,.

    d un

    processus conomique

    ou d un

    fait

    de guerre, elle suscite toujours la m

    me horreur, celle

    du

    dracinement

    et

    de la dpossession de l tre commu

    nautaire. Le Juif dport

    par

    les

    nazi

    et

    le proltaire dracin

    par

    l accumula tion primitive ont en com

    mun

    d prouver dans

    leur

    chair le

    dchirement des liens affectifs

    et

    sociaux, la perte des rles,

    qui

    don

    naient leur vie son contenu. Qu elle

    soit l effet

    d une

    volont mauvaise ou

    le rsultat

    d une

    froide rationalit

    conomique, la destruction du tissu

    social est

    l horreur qui contien t toutes

    les autres : extermination massive des

    Indiens

    et

    des Juifs, exploitation

    esclavagiste des noirs

    aux

    Etats-Unis,

    extrme limitation de l esprance de

    vie des dports comme des proltaires

    du

    XIXme sicle en Occident et

    du

    XXme dans le Tiers-monde.

    Parqu la priphrie des mtropo

    les (en Europe} ou l intrieur mme

    des ghettos urbains ( aux Etats-Unis), le

    proltaire occidental prouve aujour

    d hui

    dans

    tous

    les aspects de sa vie ce

    que signifie l assignation un espace

    structur et contrl

    par

    des forces

    qui

    lui chappent. Quand il ne

    se

    rvolte

    pas,

    l

    refoule la mmoire de la dpor

    tation

    de sa classe

    (et

    ce refoulement

    peut

    aller

    jusqu

    prendre la forme

    luxueuse de la nostalgie campagnarde).

    Mais que sa rvolte en vienne remet

    tre en cause la concentration de sa

    classe

    en

    clapiers et 1

    on

    vrifiera dans

    la pratique ce que nous affirmons :

    c est Sarcelles qui permet de compren

    dre les camps

    et non

    l inverse.

    Le camp nazi figure

    l enfer d un

    monde

    dont

    le paradis est

    le

    super

    march. Nous vivons dans

    une

    socit

    qui a fait de l assurance de ne pas

    crever de faim et du maximum de

    contrle social les objets

    d une

    mme

    qute forcene. Elle est donc hante

    par

    la

    terreur

    du manque. Dans le

    camp rgnent la pnurie, l arbitraire,

    l inscurit absolue, la

    lutte

    mort

    pour

    . la conservation de quelques

    pluchures

    un tat

    d angoisse

    permanent. Dans le supermarch c est

    l abondance, la libert de choisir qui

    27

    LA

    BANQUISE

    se

    prsente immdiatement comme

    illimite, la confiance (en-dea des

    caisses, le vol n exis te pas), l eupho

    rie consommatoire.

    D un

    ct, les

    barbels

    qu on

    ne

    peut

    franchir, de

    l autre, une

    seule obligation : l arrt

    aux caisses enregistreuses qui tire

    brivement de

    l hbtude

    pour rappe

    ler aux ncessits

    du

    salariat. Au camp,

    on est enferm vie, tandis

    qu au

    supermarch, on est simplement dans

    une de ces zones contrles par une

    logique sur laquelle on n a aucun

    pouvoir et

    qui occupent dsormais

    tout l espace de la vie. Que les progrs

    de l informatisation suppriment

    toute

    circulation montaire relle et l on au

    ra rduit au strict minimum le dsa

    grment

    du

    passage d un cercle d en

    fermement

    un

    autre. On

    se

    sera

    rapproch de

    cette

    utopie capitaliste :

    un

    monde dans lequel l homme ne

    sortirait plus jamais de l hypnose

    du

    consommateur de supermarch - ce

    qui

    rendrait dfinitivement caduque

    toute

    mythologie horrifique. Il cesse

    rait enfin

    d tre

    ncessaire de faire

    croire -

    et

    de croire - que l horreur

    de se

    heurter

    au pouvoir de l argent

    qu on n a

    pas est moins horrible que

    l horreur

    de se

    heurter

    au pouvoir

    d un chef

    de block.

    Mais derrire la

    peur du

    manque

    et

    de l inscurit s en cache

    une

    autre

    plus vague et plus gnrale : celle de la

    dshumanisation ou, plus concrte

    ment, de la dmarchandisation.

    La dshumanisation est

    l un

    des

    thmes centraux de la littrature

    concentrationnaire. Pour

    certains au

    teurs, elle tait mme le

    but

    sciem

    ment

    poursuivi

    par

    les nazis. Le dport

    devenait un numro. Mis en fiches et

    cartes

    par

    la scurit sociale

    et

    tous les

    organismes tatiques

    et p a r a ~ t a t i q u e s

    l homme

    moderne juge particulire

    ment

    horrible

    et

    barbare le numro

    tatou

    sur le bras des dports. Il est

    pourtant

    plus facile de s arracher

    un

    lambeau de peau que de dtruire

    un

    ordinateur.

    Projetant dans le pass leur hantise

    bien prsente de la dshumanisation,

    les hommes ne parviennent la domi

    ner qu en

    y succombant

    :pour

    dresser

    le bilan

    du

    nazisme, ils

    adoptent une

    technique

    typiquement

    capitaliste

    et

    parfaitement dshumanise, celle

    des statistiques.

    Les passions souleves

    par

    la mise

    en

    question du

    nombre

    des victimes

    juives

    du

    nazisme rvlent

    un

    mode

    de pense

    commun

    aux bourreaux et

    leurs contempteurs.

    Pour

    les chefs

    nazi, les Juifs

    n taient qu un quota

  • 7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983

    30/68

    LA

    BANQUISE

    de

    population

    qui devait subir une

    rduction considrable.

    Pour

    un

    historien comme

    L.

    Poliakov, on ne

    peut sans danger discuter du chiffre

    des morts. Le

    meurtrier dtachement

    du chef

    nazi vis--vis des ralits que

    recouvrent les statistiques engendre

    chez l'histbrien, non, comme on serait

    en droit de

    s y

    attendre, l'exigence

    d une meilleure comprhension de ces

    ralits, mais un

    attachement

    quasi

    religieux au dogm.e des statistiques.

    Pour le nazi,

    une

    montagne de six

    millions de cadavres est

    un

    rempart

    dress contre l'ennemi

    intrieur

    dix

    fois plus lev que s'il se composait

    de six cent mille morts seulement

    - et

    c est

    aussi dix fois moins de

    parasites. Pour l'historien, c'est six

    fois plus horrible

    qu un

    million -

    et

    une muraille six fois plus leve contre

    le retour de la barbarie. L un

    et

    l autre

    ont besoin de

    quantifier

    le monde

    pour s'y retrouver. Comme l arpenteur

    qui ne peroit

    que

    des

    rapports

    de

    proprit et ne voit plus

    sur

    le sol les

    arbres ni les hommes, le statisticien ne

    peroit plus que des relations abstrai

    tes entre les hommes et les choses,

    vides de leur contenu concret et

    isoles des rapports sociaux

    qui

    les

    font exister. Le capitalisme est une

    communaut de chiffres organiss en

    sries (les statistiques), sa langue est

    celle des chiffres.

    Il

    s'puise poursui

    vre la qualit travers la quantit,

    l'essence des tres et des choses tra

    vers

    leur

    quantification. Il ramne tou-

    te valuation unemesure. Pourtant,

    on voit bien que, quand

    on

    compte,

    a ne ompte pas. Dans son optique

    ractionnaire, Balzac l'avait fort bien

    peru qui crit propos du concierge

    du Pre Lachaise : .. il a vu six mil

    lions de douleurs ternelles ( ... ) les

    morts sont des chiffres

    pour

    lui. Son

    tat

    est d'organiser la

    mort.

    (Ferra-

    gus, 1833).

    Les 'statistiques mentent, non

    parce qu'elles seraient

    truques

    -

    elles les sont parfois - mais .par leur

    fonction. mme. Elles font perdre de

    vue - et les tats perdent eux-mmes

    de vue l a nature du phnomne

    dont

    elles sont censes rendre

    compte.

    Que

    sait-on de la guerre

    du

    Vietnam

    quand

    on nous dit que les tats-Unis y ont

    dvers plus de bombes qu il

    n en

    a t

    utilis pendant la Deuxime Guerre

    mondiale ? Il est permis

    de

    penser

    qu une simple grenade

    explosant

    dans

    une salle manger familiale 1heure

    du repas est concrtement plus atroce

    que cent

    tonnes

    de T 'JT ct de

    l'objectif. (Et, puisque

    nous

    parlons

    ombien

    de

    morts

    de

    faim

    par n

    par

    JOSEPH KLATZMANN (

    *)

    J

    Al

    failli commencer cet article

    en

    crivant qu'on ne dfend

    pas efficacement une cause

    juste avec des chiffres faux. Mais la

    ralit dment cette affirmation : d&

    puis des annes, on meut les foules,

    on les aide

    prendre conscience du

    problme

    en

    rptant sans cesse que

    50 millions d'hommes meurent de

    faim chaque anne il existe au moins

    une variante : 160 000 morts par

    jour, ce qui correspond

    58 millions

    par an). Est-ce une raison pour ac

    cepter

    un

    chiffre aussi manifestement

    absurde?

    Qu'on ne se mprenne pas : je

    suis de ceux qui considrent que la

    perptuation de la faim et de la sous

    nutrition dans le monde est un scan

    dale,

    une poque o ces flaux

    pourraient enfin tre pargns

    l'hu

    manit. Je n'en

    ai

    pas moins sur- .

    saut, lorsque j'ai lu pour la premire

    fois, sur le titre

    en

    gros caractres

    d'un luxueux document publi par

    une institution europenne, que

    50 millions d'hommes par an meu

    rent de faim dans le monde. J 'ignore

    qui a,

    Je

    premier, lanc . ce chiffre.

    Mais, par la seule vertu de la

    r pti-

    tion, il est devenu une vrit officielle

    qu'il ne viendrait l'ide personne

    de

    contester.

    J ai

    retrouv

    ces

    50 millions jusque sur une affiche de

    la campagne pour l'lection prsiden

    tielle.

    .

    Ce

    qui est dans cette affaire

    stu-

    pfiant

    e ~ t

    que personne apparem

    ment

    -

    J exception d Alfred

    Sauvy - ne

    s

    et

    tonn de ce chif

    fre, ne s'est demand