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FABLE I. La Cigale et la Fourmi. La Cigale ayant chanté Tout l’Été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue. Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine ; La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle.

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FABLE I. La Cigale et laFourmi.

La Cigale ayant chanté Tout l’Été,Se trouva fort dépourvueQuand la bise fut venue.Pas un seul petit morceauDe mouche ou de vermisseau.Elle alla crier famineChez la Fourmi sa voisine ;La priant de lui prêterQuelque grain pour subsisterJusqu’à la saison nouvelle.

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Je vous paierai, lui dit-elle,Avant l’Août, foi d’animal,Intérêt et principal.La Fourmi n’est pas prêteuse ;C’est là son moindre défaut.Que faisiez-vous au temps chaud ?Dit-elle à cette emprunteuse.Nuit et jour à tout venantJe chantais, ne vous déplaise.Vous chantiez ? j’en suis fort aise.Eh bien, dansez maintenant.

II. Le Corbeau et le Renard.

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Maître Corbeau sur un arbreperché,Tenait en son bec un fromage.Maître Renard par l’odeur alléché Lui tint à peu près ce langage : Et bonjour, Monsieur du Corbeau.Que vous êtes joli ! que vous mesemblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage,Vous êtes le Phenix des hôtes de cesbois.À ces mots le Corbeau ne se sentpas de joie : Et pour montrer sa belle voix,Il ouvre un large bec, laisse tomber

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sa proie.Le Renard s’en saisit, et dit : Monbon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui quil’écoute.Cette leçon vaut bien un fromagesans doute. Le Corbeau honteux et confusJura, mais un peu tard, qu’on ne l’yprendrait plus.

III. La Grenouille qui seveut faire aussi grosse que le

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Bœuf.

Une Grenouille vit un Bœuf, Qui lui sembla de belle taille.Elle qui n’était pas grosse en toutcomme un œuf,Envieuse s’étend, et s’enfle et setravaille, Pour égaler l’animal engrosseur ; Disant : Regardez bien, ma sœur,Est-ce assez ? dites-moi ? n’y suis-je point encore ?Nenni. M’y voici donc ? Point dutout. M’y voilà ?Vous n’en approchez point. La

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chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva.Le monde est plein de gens qui nesont pas plus sages :Tout Bourgeois veut bâtir commeles grands Seigneurs ;Tout petit Prince a desAmbassadeurs : Tout Marquis veut avoir desPages.

IV. Les deux Mulets.

Deux Mulets cheminaient ; l’und’avoine chargé :

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L’autre portant l’argent de laGabelle.Celui-ci glorieux d’une charge sibelle,N’eût voulu pour beaucoup en êtresoulagé. Il marchait d’un pas relevé, Et faisait sonner sa sonnette : Quand l’ennemi se présentant, Comme il en voulait à l’argent,Sur le Mulet du fisc une troupe sejette, Le saisit au frein, et l’arrête. Le Mulet en se défendant,Se sent percer de coups, il gémit, ilsoupire.Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on

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m’avait promis ?Ce Mulet qui me suit, du danger seretire, Et moi j’y tombe, et je péris. Ami, lui dit son camarade,Il n’est pas toujours bon d’avoir unhaut Emploi.Si tu n’avais servi qu’un Meunier,comme moi, Tu ne serais pas si malade.

V. Le Loup et le Chien.

Un Loup n’avait que les os et lapeau,

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Tant les Chiens faisaient bonnegarde.Ce Loup rencontre un Dogue aussipuissant que beau ;Gras, poli, qui s’était fourvoyé parmégarde. L’attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l’eût fait volontiers. Mais il fallait livrer bataille ; Et le Mâtin était de taille A se défendre hardiment. Le Loup donc l’abordehumblement,Entre en propos, et lui faitcompliment Sur son embonpoint qu’iladmire :

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Il ne tiendra qu’à vous, beauSire,D’être aussi gras que moi, luirepartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres, hères, et pauvresdiables,Dont la condition est de mourir defaim.Car quoi ? Rien d’assuré ; point defranche lippée ; Tout à la pointe de l’épée.Suivez-moi ; vous aurez bien unmeilleur destin.Le Loup reprit : Que me faudra-t-ilfaire ?

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Presque rien, dit le Chien, donner lachasse aux gens Portants bâtons, et mendiants ;Flatter ceux du logis ; à son Maîtrecomplaire ; Moyennant quoi votre salaireSera force reliefs de toutes lesfaçons ; Os de poulets, os de pigeons : Sans parler de mainte caresse.Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse.Chemin faisant il vit le col du Chienpelé.Qu’est-ce là, lui dit-il ? Rien. Quoirien ? Peu de chose.Mais encor ? Le collier dont je suis

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attachéDe ce que vous voyez est peut-êtrela cause.Attaché ? dit le Loup, vous necourez donc pas Où vous voulez ? Pas toujours ;mais qu’importe ?Il importe si bien, que de tous vosrepas Je ne veux en aucune sorte ;Et ne voudrais pas même à ce prixun trésor.Cela dit, Maître Loup s’enfuit, etcourt encore.

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VI. La Génisse, la Chèvre etla Brebis en société avec leLion.

La Génisse, la Chèvre, et leursœur la Brebis,Avec un fier Lion, Seigneur duvoisinage,Firent société, dit-on, au tempsjadis,Et mirent en commun le gain et ledommage.Dans les lacs de la Chèvre un Cerfse trouva pris.Vers ses associés aussitôt elleenvoie.

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Eux venus, le Lion par ses onglescompta,Et dit : Nous sommes quatre àpartager la proie ;Puis en autant de parts le Cerf ildépeça :Prit pour lui la première en qualitéde Sire ;Elle doit être à moi, dit-il ; et laraison, C’est que je m’appelle Lion, À cela l’on n’a rien à dire.La seconde par droit me doit échoirencor :Ce droit, vous le savez, c’est ledroit du plus fort.Comme le plus vaillant je prétends

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la troisième.Si quelqu’une de vous touche à laquatrième Je l’étranglerai tout d’abord.

VII. La Besace.

Jupiter dit un jour : Que tout ce quirespireS’en vienne comparaître aux piedsde ma grandeur.Si dans son composé quelqu’untrouve à redire, Il peut le déclarer sans peur : Je mettrai remède à la chose.

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Venez Singe, parlez le premier, etpour cause.Voyez ces animaux : faitescomparaison De leurs beautés avec les vôtres.Êtes-vous satisfait ? Moi, dit-il,pourquoi non ?N’ai-je pas quatre pieds aussi-bienque les autres ?Mon portrait jusqu’ici ne m’a rienreproché.Mais pour mon frère l’Ours, on nel’a qu’ébauché.Jamais, s’il me veut croire, il ne sefera peindre.L’Ours venant là-dessus, on crutqu’il s’allait plaindre.

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Tant s’en faut ; de sa forme il seloua très fort ;Glosa sur l’Éléphant : dit qu’onpourrait encorAjouter à sa queue, ôter à sesoreilles ?Que c’était une masse informe etsans beauté. L’Éléphant étant écouté,Tout sage qu’il était, dit des chosespareilles. Il jugea qu’à son appétit Dame Baleine était trop grosse.Dame Fourmi trouva le Ciron troppetit ; Se croyant pour elle un colosse.Jupin les renvoya s’étant censurés

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tous :Du reste contents d’eux : maisparmi les plus fousNôtre espèce excella : car tout ceque nous sommes,Lynx envers nos pareils, et Taupesenvers nous,Nous nous pardonnons tout, et rienaux autres hommes.On se voit d’un autre œil qu’on nevoitson prochain. Le Fabricateur souverainNous créa Besaciers tous de mêmemanière,Tant ceux du temps passé que dutemps d’aujourd’hui.Il fit pour nos défauts la poche de

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derrière,Et celle de devant pour les défautsd’autrui.

VIII. L’Hirondelle et lespetits Oiseaux.

Une Hirondelle en ses voyagesAvait beaucoup appris. Quiconquea beaucoup vu, Peut avoir beaucoup retenu.Celle-ci prévoyait jusqu’auxmoindres orages. Et devant qu’ils fussent éclos Les annonçait aux Matelots.

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Il arriva qu’au temps que la chanvrese sèmeElle vit un Manant en couvrirmaints sillons.Ceci ne me plaît pas, dit-elle auxOisillons,Je vous plains : Car pour moi, dansce péril extrêmeJe saurai m’éloigner, ou vivre enquelque coin.Voyez-vous cette main qui par lesairs chemine ? Un jour viendra qui n’est pasloin,Que ce qu’elle répand sera votreruine.De là naîtront engins à vous

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envelopper, Et lacets pour vous attraper ; Enfin mainte et mainte machine Qui causera dans la saison Votre mort ou votre prison. Gare la cage ou le chaudron. C’est pourquoi, leur ditl’Hirondelle, Mangez ce grain, et croyez-moi. Les Oiseaux se moquèrentd’elle : Ils trouvaient aux champs trop dequoi. Quand la chènevière fut verte,L’Hirondelle leur dit : Arrachezbrin à brin Ce qu’a produit ce maudit grain ;

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Ou soyez sûrs de votre perte.Prophète de malheur, babillarde,dit-on, Le bel emploi que tu nousdonnes ! Il nous faudrait mille personnes Pour éplucher tout ce canton. La chanvre étant tout-à-fait crue,L’Hirondelle ajouta : Ceci ne vapas bien : Mauvaise graine est tôt venue.Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’acrue en rien ; Dés que vous verrez que la terre Sera couverte, et qu’à leurs blés Les gens n’étant plus occupés Feront aux Oisillons la guerre ;

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Quand reginglettes et réseaux Attraperont petits Oiseaux ; Ne volez plus de place en place :Demeurez au logis, ou changez declimat :Imitez le Canard, la Grue, et laBécasse. Mais vous n’êtes pas en étatDe passer comme nous les désertset les ondes, Ni d’aller chercher d’autresmondes.C’est pourquoi vous n’avez qu’unparti qui soit sûr :C’est de vous renfermer aux trousde quelque mur. Les Oisillons las de l’entendre,

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Se mirent à jaser aussi confusément,Que faisaient les Troyens quand lapauvre Cassandre Ouvrait la bouche seulement. Il en prit aux uns comme auxautres.Maint oisillon se vit esclave retenu.Nous n’écoutons d’instincts queceux qui sont les nôtres,Et ne croyons le mal que quand ilest venu.

IX. Le Rat de Ville, et le Ratdes Champs.

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Autrefois le Rat de villeInvita le Rat des champs,D’une façon fort civile,À des reliefs d’Ortolans.

Sur un Tapis de TurquieLe couvert se trouva mis.Je laisse à penser la vieQue firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête :Rien ne manquait au festin ;Mais quelqu’un troubla la fêtePendant qu’ils étaient en train.

À la porte de la salle

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Ils entendirent du bruit.Le Rat de ville détale,Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire,Rat en campagne aussitôt :Et le Citadin de dire,Achevons tout notre rôt.

C’est assez, dit le Rustique ;Demain vous viendrez chez moi :Ce n’est pas que je me piqueDe tous vos festins de Roi.

Mais rien ne me vient interrompre ;Je mange tout à loisir.Adieu donc, fi du plaisir

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Que la crainte peut corrompre.

X. Le Loup et l’Agneau.

LA raison du plus fort est toujoursla meilleure. Nous l’allons montrer tout àl’heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d’une onde pure.Un Loup survient à jeun quicherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.Qui te rend si hardi de troubler mon

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breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité.Sire, répond l’Agneau, que votreMajesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu’elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessousd’elle ;Et que par conséquent en aucunefaçon Je ne puis troubler sa boisson.Tu la troubles, reprit cette bêtecruelle,Et je sais que de moi tu médis l’an

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passé.Comment l’aurais-je fait si jen’étais pas né ? Reprit l’Agneau, je tète encor mamère, Si ce n’est toi, c’est donc tonfrère :Je n’en ai point. C’est doncquelqu’un des tiens : Car vous ne m’épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens.On me l’a dit : il faut que je mevenge. Là-dessus au fond des forêts Le Loup l’emporte, et puis lemange, Sans autre forme de procès.

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XI. L’homme, et son Image.

Pour M. L. D. D. L. R.

Un homme qui s’aimait sans avoirde rivaux,Passait dans son esprit pour le plusbeau du monde.Il accusait toujours les miroirsd’être faux,Vivant plus que content dans sonerreur profonde.Afin de le guérir, le sort officieux

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Présentait partout à ses yeuxLes Conseillers muets dont seservent nos Dames ;Miroirs dans les logis, miroirs chezles Marchands, Miroirs aux poches des galants, Miroirs aux ceintures desfemmes.Que fait notre Narcisse ? Il se vaconfinerAux lieux les plus cachés qu’il peuts’imaginer,N’osant plus des miroirs éprouverl’aventure :Mais un canal formé par une sourcepure Se trouve en ces lieux écartés.

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Il s’y voit, il se fâche ; et ses yeuxirritésPensent apercevoir une chimèrevaine.Il fait tout ce qu’il peut pour évitercette eau. Mais quoi, le canal est si beau, Qu’il ne le quitte qu’avec peine. On voit bien où je veux venir.Je parle à tous ; et cette erreurextrêmeEst un mal que chacun se plaîtd’entretenir.Notre âme c’est cet Hommeamoureux de lui-même.Tant de Miroirs ce sont les sottisesd’autrui ;

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Miroirs de nos défauts les Peintreslégitimes. Et quant au Canal, c’est celuiQue chacun sait, le Livre desMaximes.

XII. Le Dragon à plusieurstêtes, et le Dragon àplusieurs queues.

Un Envoyé du Grand SeigneurPréférait, dit l’Histoire, un jourchez l’EmpereurLes forces de son Maître à celles

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de l’Empire. Un Allemand se mit à dire : Notre Prince a des dépendants Qui de leur chef sont si puissants,Que chacun d’eux pourrait soudoyerune armée. Le Chiaoux homme de sens Lui dit : Je sais par renomméeCe que chaque Électeur peut demonde fournir ; Et cela me fait souvenirD’une aventure étrange, et quipourtant est vraie.J’étais en un lieu seur, lorsque jevis passerLes cent têtes d’une Hydre autravers d’une haie.

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Mon sang commence à se glacer, Et je crois qu’à moins ons’effraie.Je n’en eus toutefois que la peursans le mal. Jamais le corps de l’animalNe pût venir vers moi, ni trouverd’ouverture. Je révais à cette aventure,Quand un autre Dragon qui n’avaitqu’un seul chef,Et bien plus d’une queue à passerse présente. Me voilà saisi derechef D’étonnement et d’épouvante.Ce chef passe, et le corps, etchaque queue aussi.

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Rien ne les empêcha ; l’un fitchemin à l’autre. Je soutiens qu’il en est ainsi De votre Empereur et du notre.

XIII. Les Voleurs et l’Âne.

Pour un Âne enlevé deux voleursse battaient :L’un voulait le garder ; l’autre levoulait vendre. Tandis que coups de poingtrottaient,Et que nos champions songeaient àsedéfendre.

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Arrive un troisième larron, Qui saisit Maître Aliboron.L’Âne c’est quelquefois une pauvreProvince. Les Voleurs sont tel et tel Prince ;Comme le Transsilvain, le Turc, etle Hongrois. Au lieu de deux j’en ai rencontrétrois. Il est assez de cette marchandise,De nul d’eux n’est souvent laProvince conquise.Un quart Voleur survient qui lesaccorde net, En se saisissant du Baudet.

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XIV. Simonide préservé parles Dieux.

On ne peut trop louer trois sortesde personnes ; Les Dieux, sa Maîtresse, et sonRoi.Malherbe le disait : j’y souscrisquant à moi : Ce sont maximes toujoursbonnes.La louange chatouille, et gagne lesesprits.Les faveurs d’une belle en sontsouvent le prix.Voyons comme les Dieux l’ont

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quelquefois payée. Simonide avait entreprisL’éloge d’un Athlète ; et la choseessayée,Il trouva son sujet plein de récitstout nus.Les parents de l’Athlète étaientgens inconnus,Son père un bon Bourgeois ; luisans autre mérite ; Matière infertile et petite.Le Poète d’abord parla de sonHéros.Après en avoir dit ce qu’il enpouvait dire ;Il se jette à côté ; se met sur lepropos

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De Castor et Pollux ; ne manque pasd’écrireQue leur exemple était aux lutteursglorieux ;Élève leurs combats, spécifiant leslieuxOù ces frères s’étaient signalésdavantage. Enfin l’éloge de ces Dieux Faisait les deux tiers del’ouvrage.L’Athlète avait promis d’en payerun talent : Mais quand il le vit, le galantN’en donna que le tiers, et dit fortfranchementQue Castor et Pollux acquitassent le

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reste.Faites-vous contenter par ce couplecéleste. Je vous veux traiter cependant.Venez souper chez moi, nous feronsbonne vie. Les conviés sont gens choisis, Mes parents, mes meilleurs amis. Soyez donc de la compagnie.Simonide promit. Peut-être qu’il eutpeurDe perdre, outre son dû, le gré desa louange. Il vient, l’on festine, l’on mange. Chacun étant en belle humeur,Un domestique accourt, l’avertitqu’à la porte

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Deux hommes demandaient à levoir promptement. Il sort de table, et la cohorte N’en perd pas un seul coup dedent.Ces deux hommes étaient lesgémeaux de l’éloge.Tous deux lui rendent grâce, et pourprix de ses vers Ils l’avertissent qu’il déloge,Et que cette maison va tomber àl’envers. La prédiction fut vraie ; Un pilier manque ; et le plafond Ne trouvant plus rien qui l’étaie,Tombe sur le festin, brise plats etflacons,

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N’en fait pas moins auxÉchansons.Ce ne fut pas le pis ; car pourrendre complète La vengeance due au Poète,Une poutre cassa les jambes àl’Athlète, Et renvoya les conviés Pour la plupart estropiés.La renommée eut soin de publierl’affaire.Chacun cria miracle ; on doubla lesalaireQue méritaient les vers d’un hommeaimé des Dieux. Il n’était fils de bonne mère Qui les payant à qui mieux

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mieux, Pour ses ancêtres n’en fît faire.Je reviens à mon texte, et dispremièrementQu’on ne saurait manquer de louerlargementLes Dieux et leurs pareils : de plus,que MelpomèneSouvent, sans déroger, trafique desa peine :Enfin qu’on doit tenir notre art enquelque prix.Les Grands se font honneur dès lorsqu’ils nous font grâce. Jadis l’Olympe et le Parnasse Étaient frères et bons amis.

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XV. La Mort et leMalheureux.Un Malheureux appelait tous lesjours La Mort à son secours.Ô Mort, lui disait-il, que tu mesembles belle !Viens vite, viens finir ma fortunecruelle.La Mort crut, en venant, l’obligeren effet.Elle frappe à sa porte, elle entre,elle se montre.Que vois-je ! cria-t-il, ôtez-moi cetobjet ; Qu’il est hideux ! que sa

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rencontre Me cause d’horreur et d’effroi !N’approche pas, ô mort, ô mort,retire-toi.

Mécénas fut un galant homme :Il a dit quelque part : Qu’on merende impotent,Cul de jatte, goutteux, manchot,pourvu qu’en sommeJe vive, c’est assez, je suis plus quecontent.Ne viens jamais ô mort, on s’en dittout autant.

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XVI. La Mort et leBûcheron.Un pauvre Bûcheron tout couvertde ramée,Sous le faix du fagot aussi bien quedes ans,Gémissant et courbé marchait à paspesants,Et tâchait de gagner sa chaumineenfumée.Enfin n’en pouvant plus d’effort etde douleur,Il met bas son fagot, il songe à sonmalheur.Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’ilest au monde ?

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En est-il un plus pauvre en lamachine ronde ?Point de pain quelquefois, et jamaisde repos.Sa femme, ses enfants, les soldats,les impôts, Le créancier, et la corvée.Lui font d’un malheureux la peintureachevée.Il appelle La Mort, elle vient sanstarder ; Lui demande ce qu’il faut faire. C’est, dit-il, afin de m’aiderÀ recharger ce bois ; tu ne tarderasguère. Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d’où nous

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sommes. Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes.

XVII. L’Homme entre deuxâges, et ses deux Maîtresses.

Un homme de moyen âge, Et tirant sur le grison, Jugea qu’il était saison De songer au mariage. Il avait du contant. Et partantDe quoi choisir. Toutes voulaientlui plaire ;

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En quoi notre amoureux ne sepressait pas tant.Bien adresser n’est pas petiteaffaire.Deux veuves sur son cœur eurent leplus de part ;L’une encor verte, et l’autre un peubien mûre ; Mais qui réparait par son art Ce qu’avait détruit la nature. Ces deux Veuves en badinant, En riant, en lui faisant fête, L’allaient quelquefois testonnant, C’est-à-dire ajustant sa tête.La Vieille à tous moments de sapart emportait Un peu du poil noir qui restait,

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Afin que son amant en fût plus à saguise.La Jeune saccageait les poils blancsà son tour.Toutes deux firent tant que notre têtegriseDemeura sans cheveux, et se doutadu tour.Je vous rends, leur dit-il, millegrâces, les Belles, Qui m’avez si bien tondu ; J’ai plus gagné que perdu : Car d’Hymen, point denouvelles.Celle que je prendrais voudraitqu’à sa façon Je vécusse, et non à la mienne.

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Il n’est tête chauve qui tienne ;Je vous suis obligé, Belles, de laleçon.

XVIII. Le Renard et laCigogne.

Compère le Renard se mit un jouren frais,Et retint à dîner commère laCigogne.Le régal fut petit, et sans beaucoupd’apprêts ; Le galant pour toute besogneAvait un brouet clair (il vivait

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chichement.)Ce brouet fut par lui servi sur uneassiette :La Cigogne au long bec n’en putattraper miette ;Et le drôle eut lapé le tout en unmoment. Pour se venger de cettetromperie,À quelque temps de là la Cigognele prie :Volontiers, lui dit-il, car avec mesamis Je ne fais point cérémonie. À l’heure dite il courut au logis De la Cigogne son hôtesse, Loua très fort la politesse,

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Trouva le dîner cuit à point.Bon appétit sur tout ; Renards n’enmanquent point.Il se réjouissait à l’odeur de laviandeMise en menus morceaux, et qu’ilcroyait friande. On servit pour l’embarrasserEn un vase à long col, et d’étroiteembouchure.Le bec de la Cigogne y pouvait bienpasser,Mais le museau du Sire était d’autremesure.Il lui fallut à jeun retourner aulogis ;Honteux comme un Renard qu’une

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Poule aurait pris,Serrant la queue, et portant basl’oreille.Trompeurs, c’est pour vous quej’écris, Attendez-vous à la pareille.

XIX. L’Enfant et le Maîtred’École.

Dans ce récit je prétends faire voirD’un certain sot la remontrancevaine.Un jeune enfant dans l’eau se laissachoir,

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En badinant sur les bords de laSeine.Le Ciel permit qu’un saule setrouvaDont le branchage, après Dieu, lesauva.S’étant pris, dis-je, aux branches dece saule ;Par cet endroit passe un Maîtred’école.L’Enfant lui crie : Au secours, jepéris.Le Magister se tournant à ses cris,D’un ton fort grave à contre-tempss’aviseDe le tancer. Ah le petit babouin !Voyez, dit-il, où l’a mis sa sotise !

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Et puis prenez de tels fripons lesoin.Que les parents sont malheureux,qu’il failleToujours veiller à semblablecanaille !Qu’ils ont de maux, et que je plainsleur sort !Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord.Je blâme ici plus de gens qu’on nepense.Tout babillard, tout censeur, toutpédant,Se peut connaître au discours quej’avance :Chacun des trois fait un peuple fortgrand ;

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Le Créateur en a béni l’engeance.En toute affaire ils ne font quesonger Aux moyens d’exercer leurlangue.Hé, mon ami, tire-moi de danger : Tu feras après ta harangue.

XX. Le Coq et la Perle.

Un jour un Coq détournaUne Perle qu’il donnaAu beau premier Lapidaire.Je la crois fine, dit-il,

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Mais le moindre grain de milSerait bien mieux mon affaire.

Un ignorant héritaD’un manuscrit qu’il portaChez son voisin le Libraire.Je crois, dit-il, qu’il est bon ;Mais le moindre ducatonSerait bien mieux mon affaire.

XXI. Les Frelons, et lesMouches à miel.

À l’œuvre on connaît l’Artisan.Quelques rayons de miel sans

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maître se trouvèrent. Des Frelons les réclamèrent. Des Abeilles s’opposant,Devant certaine Guêpe on traduisitla cause.Il était malaisé de décider la chose.Les témoins déposaient qu’autourde ces rayonsDes animaux ailés bourdonnants, unpeu longs,De couleur fort tannée ; et tels queles Abeilles,Avaient longtemps paru. Mais quoi,dans les Frelons Ces enseignes étaient pareilles.La Guêpe ne sachant que dire à cesraisons,

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Fit enquête nouvelle ; et pour plusde lumière Entendit une fourmilière. Le point n’en put être éclairci. De grâce, à quoi bon tout ceci ? Dit une Abeille fort prudente.Depuis tantôt six mois que la causeest pendante, Nous voici comme aux premiersjours. Pendant cela le miel se gâte.Il est temps désormais que le Jugese hâte : N’a-t-il point assez léchél’Ours ?Sans tant de contredits, etd’interlocutoires,

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Et de fatras, et de grimoires, Travaillons, les Frelons et nous :On verra qui sait faire avec un sucsi doux Des cellules si bien bâties. Le refus des Frelons fit voir Que cet art passait leur savoir :Et la Guêpe adjugea le miel à leursparties :Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tousles procès ;Que des Turcs en cela l’on suivît laméthode :Le simple sens commun noustiendrait lieu de Code. Il ne faudrait point tant de frais. Au lieu qu’on nous mange, on

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nous gruge ; On nous mine par des longueurs :On fait tant à la fin, que l’huître estpour le Juge, Les écailles pour les plaideurs.

XXII. Le Chêne et leRoseau.

Le Chêne un jour dit auRoseau : Vous avez bien sujet d’accuser laNature. Un Roitelet pour vous est unpesant fardeau.

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Le moindre vent qui d’aventure Fait rider la face de l’eau Vous oblige à baisser la tête :Cependant que mon front auCaucase pareil,Non content d’arrêter les rayons duSoleil, Brave l’effort de la tempête.Tout vous est Aquilon ; tout mesemble Zéphyr.Encor si vous naissiez à l’abri dufeuillage Dont je couvre le voisinage ; Vous n’auriez pas tant à souffrir ; Je vous défendrais de l’orage : Mais vous naissez le plussouvent

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Sur les humides bords desRoyaumes du vent.La Nature envers vous me semblebien injuste.Votre compassion, lui réponditl’Arbuste,Part d’un bon naturel ; mais quittezce souci.Les vents me sont moins qu’à vousredoutables.Je plie, et ne romps pas. Vous avezjusqu’ici Contre leurs coupsépouvantables Résisté sans courber le dos :Mais attendons la fin. Comme ildisait ces mots,

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Du bout de l’horizon accourt avecfurie Le plus terrible des enfantsQue le Nord eût porté jusque-làdans ses flancs. L’Arbre tient bon, le Roseauplie ; Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu’il déracineCelui de qui la tête au Ciel étaitvoisine,Et dont les pieds touchaient àl’Empire des Morts.

LIVRE DEUXIÈME.

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FABLE I. Contre ceux quiont le goût difficile.

Quand j’aurais, en naissant, reçude CalliopeLes dons qu’à ses Amants cetteMuse a promis,Je les consacrerais aux mensongesd’Ésope :Le mensonge et les vers de touttemps sont amis.Mais je ne me crois pas si chéri duParnasse,

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Que de savoir orner toutes cesfictions :On peut donner du lustre à leursinventions :On le peut, je l’essaye, un plussavant le fasse.Cependant jusqu’ici d’un langagenouveauJ’ai fait parler le Loup, et répondrel’Agneau.J’ai passé plus avant ; les Arbres etles PlantesSont devenus chez moi créaturesparlantes.Qui ne prendrait ceci pour unenchantement ? Vraiment, me diront nos

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Critiques, Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d’enfant.Censeurs, en voulez-vous qui soientplus authentiques,Et d’un style plus haut ? En voici.Les Troyens,Après dix ans de guerre, autour deleurs murailles,Avaient lassé les Grecs, qui, parmille moyens, Par mille assauts, par centbatailles,N’avaient pu mettre à bout cettefière Cité :Quand un cheval de bois parMinerve inventé

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D’un rare et nouvel artifice,Dans ses énormes flancs reçut lesage Ulysse,Le vaillant Diomède, Ajaxl’impétueux, Que ce Colosse monstrueuxAvec leurs escadrons devait porterdans Troie,Livrant à leur fureur ses Dieuxmêmes en proie.Stratagème inouï, qui desfabricateurs Paya la constance et la peine.C’est assez, me dira quelqu’un denos Auteurs ;La période est longue, il fautreprendre haleine.

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Et puis votre Cheval de bois, Vos Héros avec leurs Phalanges,Ce sont des contes plus étrangesQu’un Renard qui cajole unCorbeau sur sa voix.De plus il vous sied mal d’écrire ensi haut style.Eh bien, baissons d’un ton. Lajalouse AmarilleSongeait à son Alcippe, et croyaitde ses soinsN’avoir que ses Moutons et sonChien pour témoins.Tircis qui l’aperçut, se glisse entredes Saules,Il entend la Bergère adressant cesparoles

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Au doux Zéphyre, et le priant De les porter à son Amant. Je vous arrête à cette rime, Dira mon Censeur à l’instant. Je ne la tiens pas légitime, Ni d’une assez grande vertu.Remettez, pour le mieux, ces deuxvers à la fonte. Maudit Censeur, te tairas-tu ? Ne saurais-je achever monconte ? C’est un dessein très dangereux Que d’entreprendre de te plaire. Les délicats sont malheureux ; Rien ne saurait les satisfaire.

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II. Conseil tenu par les Rats.

Un Chat nommé Rodilardus, Faisait de Rats telle déconfiture, Que l’on n’en voyait presqueplus,Tant il en avait mis dedans lasépulture.Le peu qu’il en restait n’osantquitter son trou,Ne trouvait à manger que le quartde son sou ;Et Rodilard passait chez la gentmisérable, Non pour un Chat, mais pour unDiable.

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Or un jour qu’au haut et au loin Le galant alla chercher femme ;Pendant tout le sabbat qu’il fit avecsa Dame,Le demeurant des Rats tint Chapitreen un coin Sur la nécessité présente.Dès l’abord leur Doyen, personnefort prudente,Opina qu’il fallait, et plus tôt queplus tard,Attacher un grelot au cou deRodilard ; Qu’ainsi quand il irait en guerre,De sa marche avertis ilss’enfuiraient sous terre. Qu’il n’y savait que ce moyen.

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Chacun fut de l’avis de Monsieur leDoyen,Chose ne leur parut à tous plussalutaire.La difficulté fut d’attacher le grelot.L’un dit : Je n’y vais point, je nesuis pas si sot :L’autre, Je ne saurais. Si bien quesans rien faire On se quitta. J’ai maintsChapitres vus, Qui pour néant se sont ainsitenus ;Chapitres, non de Rats, maisChapitres de Moines, Voire Chapitres de Chanoines.

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Ne faut-il que délibérer ? La Cour en Conseillers foisonne ; Est-il besoin d’exécuter ? L’on ne rencontre plus personne.

III Le Loup plaidant contrele Renard par-devant leSinge Un loup disait que l'on l'avait volé. Un renard, son voisin, d'assezmauvaise vie, Pour ce prétendu vol par lui futappelé. Devant le singe il fut plaidé,

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Non point par avocat, mais parchaque partie, Thémis n'avait point travaillé De mémoire de singe à fait plusembrouillé. Le magistrat suait en son lit dejustice. Après qu'on eut bien contesté, Répliqué, crié, tempêté, Le juge, instruit de leur malice, Leur dit: "Je vous connais delongtemps, mes amis, Et tous deux vous paierez l'amende;Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'onne t'ait rien pris Et toi, renard, as pris ce que l'on tedemande."

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Le juge prétendait qu'à tort et àtravers On ne saurait manquer, condamnantun pervers. Quelques personnes de bon sens ontcru que l'impossibilité et lacontradiction qui est dans lejugement de ce singe était une choseà censurer : mais je ne m'en suisservi qu'après Phèdre ; et c'est encela que consiste le bon mot, selonmon avis.

IV Les deux Taureaux et uneGrenouille

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Deux taureaux combattaient à quiposséderait Une génisse avec l'empire. Une grenouille en soupirait. « Qu'avez-vous?' »se mit àlui dire Quelqu'un du peuplecroassant. « - Eh ! ne voyez-vous pas,dit-elle, Que la fin de cette querelle Sera l'exil de l'un ; que l'autre, lechassant, Le fera renoncer aux campagnesfleuries ? Il ne régnera plus sur l'herbe des

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prairies, Viendra dans nos marais régner surles roseaux ; Et nous foulant aux pieds jusques aufond des eaux, Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudraqu'on pâtisse Du combat qu'a causé Madame laGénisse. » Cette crainte était de bonsens. L'un des taureaux en leurdemeure S'alla cacher, à leurs dépens: Il en écrasait vingt par

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heure. Hélas, on voit que de touttemps Les petits ont pâti des sottises degrands.

V. La Chauve-souris et lesdeux Belettes.

Une Chauve-souris donna têtebaisséeDans un nid de Belette ; et sitôtqu’elle y fut,L’autre envers les Souris delongtemps courroucée,

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Pour la dévorer accourut.Quoi ? vous osez, dit-elle, à mesyeux vous produire,Après que votre race a tâché de menuire ?N’êtes-vous pas Souris ? Parlezsans fiction.Ouï vous l’êtes, ou bien je ne suispas Belette. Pardonnez-moi, dit la pauvrette, Ce n’est pas ma profession.Moi Souris ! des méchants vous ontdit ces nouvelles. Grâce à l’Auteur de l’Univers, Je suis Oiseau ; voyez mes ailes : Vive la gent qui fend les airs. Sa raison plut et sembla bonne.

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Elle fait si bien qu’on lui donne Liberté de se retirer. Deux jours après notre étourdie Aveuglément va se fourrerChez une autre Belette aux Oiseauxennemie.La voilà derechef en danger de savie.La Dame du logis, avec son longmuseau,S’en allait la croquer en qualitéd’Oiseau,Quand elle protesta qu’on lui faisaitoutrage.Moi pour telle passer ? vous n’yregardez pas. Qui fait l’Oiseau ? c’est le

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plumage. Je suis Souris ; vivent les Rats. Jupiter confonde les Chats. Par cette adroite repartie Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés quid’écharpe changeant,Aux dangers, ainsi qu’elle, ontsouvent fait la figue. Le Sage dit, selon les gens, Vive le Roi, vive la Ligue.

VI. L’Oiseau blessé d’uneflèche.

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Mortellement atteint d’une flècheempennée,Un Oiseau déplorait sa tristedestinée.Et disait en souffrant un surcroît dedouleur,Faut-il contribuer à son propremalheur ? Cruels humains, vous tirez de nosailesDe quoi faire voler ces machinesmortelles ;Mais ne vous moquez point,engeance sans pitié :Souvent il vous arrive un sort

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comme le nôtre.Des enfants de Japet toujours unemoitié Fournira des armes à l’autre.

VII. La Lice et saCompagne.

Une Lice étant sur son terme,Et ne sachant où mettre un fardeausi pressant,Fait si bien qu’à la fin sa Compagneconsent,De lui prêter sa hutte, où la Lices’enferme.

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Au bout de quelque temps saCompagne revient.La Lice lui demande encore unequinzaine.Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu’à peine. Pour faire court, elle l’obtient.Ce second terme échu, l’autre luiredemande Sa maison, sa chambre, son lit.La Lice cette fois montre les dents,et dit :Je suis prête à sortir avec toute mabande, Si vous pouvez nous mettre hors. Ses enfants étaient dejà forts.

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Ce qu’on donne aux méchants,toujours on le regrette. Pour tirer d’eux ce qu’on leurprête, Il faut que l’on en vienne auxcoups ; Il faut plaider, il faut combattre. Laissez-leur prendre un piedchez vous, Ils en auront bientôt pris quatre.

VIII. L’Aigle et l’Escarbot.

L’Aigle donnait la chasse à MaîtreJean Lapin,

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Qui droit à son terrier s’enfuyait auplus vite.Le trou de l’Escarbot se rencontreen chemin. Je laisse à penser si ce gîteÉtait sûr ; mais où mieux ? JeanLapin s’y blottit.L’Aigle fondant sur lui nonobstantcet asile, L’Escarbot intercède et dit :Princesse des Oiseaux, il vous estfort facileD’enlever malgré moi ce pauvremalheureux :Mais ne me faites pas cet affront, jevous prie :Et puisque Jean Lapin vous

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demande la vie,Donnez-la lui de grâce, ou l’ôtez àtous deux : C’est mon voisin, c’est moncompère.L’oiseau de Jupiter, sans répondreun seul mot, Choque de l’aile l’Escarbot, L’étourdit, l’oblige à se taire ;Enlève Jean Lapin. L’EscarbotindignéVole au nid de l’Oiseau, fracasse enson absenceSes œufs, ses tendres œufs, sa plusdouce espérance : Pas un seul ne fut épargné.L’Aigle étant de retour, et voyant ce

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ménage,Remplit le Ciel de cris, et pourcomble de rage,Ne sait sur qui venger le tortqu’elle a souffert.Elle gémit en vain, sa plainte auvent se perd.Il fallut pour cet an vivre en mèreaffligée.L’an suivant elle mit son nid en lieuplus haut.L’Escarbot prend son temps, faitfaire aux œufs le saut :La mort de Jean Lapin derechef estvengée.Ce second deuil fut tel que l’échode ces bois

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N’en dormit de plus de six mois. L’Oiseau qui porte Ganymède,Du Monarque des Dieux enfinimplore l’aide ;Dépose en son giron ses œufs, etcroit qu’en paixIls seront dans ce lieu, que pour sesintérêtsJupiter se verra contraint de lesdéfendre. Hardi qui les irait là prendre. Aussi ne les y prit-on pas. Leur ennemi changea de note,Sur la robe du Dieu fit tomber unecrotte :Le Dieu la secouant jeta les œufs àbas.

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Quand l’Aigle sut l’inadvertance, Elle menaça JupiterD’abandonner sa Cour, d’allervivre au désert : Avec mainte autre extravagance. Le pauvre Jupiter se tut.Devant son Tribunal l’Escarbotcomparut, Fit sa plainte, et conta l’affaire.On fit entendre à l’Aigle enfinqu’elle avait tort.Mais les deux ennemis ne voulantpoint d’accord,Le Monarque des Dieux s’avisa,pour bien faire,De transporter le temps où l’Aiglefait l’amour,

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En une autre saison, quand la raceEscarboteEst en quartier d’hiver, et comme laMarmotte Se cache et ne voit point le jour.

IX. Le Lion et leMoucheron.

Va-t’en chétif insecte, excrémentde la terre.C’est en ces mots que le Lion Parlait un jour au Moucheron. L’autre lui déclara la guerre.

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Penses-tu, lui dit-il, que ton titre deRoi Me fasse peur, ni me soucie ? Un bœuf est plus puissant quetoi ; Je le mène à ma fantaisie. À peine il achevait ces mots, Que lui-même il sonna la charge, Fut le Trompette et le Héros. Dans l’abord il se met au large ; Puis prend son temps, fond sur lecou Du Lion qu’il rend presque fou.Le quadrupède écume, et son œilétincelle ;Il rugit, on se cache, on tremble àl’environ :

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Et cette alarme universelle Est l’ouvrage d’un Moucheron.Un avorton de Mouche en cent lieuxle harcèle,Tantôt pique l’échine, et tantôt lemuseau, Tantôt entre au fond du naseau.La rage alors se trouve à son faîtemontée.L’invisible ennemi triomphe, et ritde voirQu’il n’est griffe ni dent en la bêteirritée,Qui de la mettre en sang ne fasseson devoir.Le malheureux Lion se déchire lui-même,

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Fait résonner sa queue à l’entour deses flancs,Bat l’air qui n’en peut mais ; et safureur extrêmeLe fatigue, l’abat : le voilà sur lesdents.L’insecte du combat se retire avecgloire :Comme il sonna la charge, il sonnela victoire ;Va partout l’annoncer ; et rencontreen chemin L’embuscade d’une araignée. Il y rencontre aussi sa fin.Quelle chose par là nous peut êtreenseignée ?J’en vois deux, dont l’une est

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qu’entre nos ennemis,Les plus à craindre sont souvent lesplus petits ;L’autre, qu’aux grands périls tel apu se soustraire, Qui périt pour la moindre affaire.

X. L’Âne chargé d’éponges,et l’Âne chargé de sel.

Un Ânier, son Sceptre à la main,Menait en Empereur RomainDeux Coursiers à longues oreilles.L’un d’éponges chargé marchaitcomme un Courrier ;

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Et l’autre se faisant prier Portait, comme on dit, lesbouteilles.Sa charge était de sel. Nos gaillardspèlerins Par monts, par vaux, et parcheminsAu gué d’une rivière à la finarrivèrent, Et fort empêchés se trouvèrent.L’Ânier, qui tous les jours traversaitce gué-là, Sur l’Âne à l’éponge monta, Chassant devant lui l’autre bête, Qui voulant en faire à sa tête Dans un trou se précipita, Revint sur l’eau, puis échappa :

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Car au bout de quelques nagées Tout son sel se fondit si bien, Que le Baudet ne sentit rien Sur ses épaules soulagées.Camarade Épongier prit exemplesur lui,Comme un Mouton qui va dessus lafoi d’autrui.Voilà mon Âne à l’eau, jusqu’au colil se plonge Lui, le Conducteur, et l’Éponge.Tous trois burent d’autant ; l’Ânieret le Griffon Firent à l’éponge raison. Celle-ci devint si pesante, Et de tant d’eau s’emplitd’abord,

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Que l’Âne succombant ne putgagner le bord. L’Ânier l’embrassait dansl’attente D’une prompte et certaine mort.Quelqu’un vint au secours : qui cefut, il n’importe ;C’est assez qu’on ait vu par là qu’ilnefaut point Agir chacun de même sorte. J’en voulais venir à ce point.

XI. Le Lion et le Rat.

Il faut autant qu’on peut obliger

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tout le monde.On a souvent besoin d’un plus petitque soi.De cette vérité deux Fables ferontfoi, Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d’un Lion,Un Rat sortit de terre assez àl’étourdie.Le Roi des animaux en cetteoccasionMontra ce qu’il était, et lui donna lavie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu’un Lion d’un Rat eût affaire ?Cependant il advint qu’au sortir des

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forêts, Ce Lion fut pris dans des rets,Dont ses rugissemens ne le purentdéfaire.Sire Rat accourut ; et fit tant par sesdents,Qu’une maille rongée emporta toutl’ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage.

XII. La Colombe et laFourmi.

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L’autre exemple est tiré d’animauxplus petits.Le long d’un clair ruisseau buvaitune Colombe :Quand sur l’eau se penchant uneFourmi y tombe.Et dans cet Océan l’on eût vu laFourmiS’efforcer, mais en vain, deregagner la rive.La Colombe aussitôt usa de charité.Un brin d’herbe dans l’eau par elleétant jeté,Ce fut un promontoire où la Fourmiarrive. Elle se sauve ; et là-dessus

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Passe un certain Croquant quimarchait les pieds nus.Ce Croquant par hasard avait unearbalète. Dès qu’il voit l’Oiseau de VénusIl le croit en son pot, et déjà lui faitfête.Tandis qu’à le tuer mon Villageoiss’apprête, La Fourmi le pique au talon. Le Vilain retourne la tête.La Colombe l’entend, part, et tirede long.Le souper du Croquant avec elles’envole : Point de Pigeon pour une obole.

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XIII. L’Astrologue qui selaisse tomber dans un puits.

Un Astrologue un jour se laissachoirAu fonds d’un puits. On lui dit :Pauvre bête,Tandis qu’à peine à tes pieds tupeux voir, Penses-tu lire au dessus de tatête ?

Cette aventure en soi, sans allerplus avant,Peut servir de leçon à la plupart des

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hommes.Parmi ce que de gens sur la terrenous sommes, Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d’entendre dire,Qu’au Livre du Destin les mortelspeuvent lire.Mais ce Livre qu’Homère et lessiens ont chanté,Qu’est-ce que le hasard parmil’Antiquité ? Et parmi nous la Providence ? Or du hasard il n’est point descience. S’il en était, on aurait tortDe l’appeler hasard, ni fortune, nisort,

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Toutes choses très-incertaines. Quant aux volontés souverainesDe celui qui fait tout, et rienqu’avec dessein,Qui les sait que lui seul ? commentlire en son sein ?Aurait-il imprimé sur le front desétoilesCe que la nuit des temps enfermedans ses voiles ?À quelle utilité, pour exercerl’espritDe ceux qui de la Sphère et duGlobe ont écrit ?Pour nous faire éviter des mauxinévitables ?Nous rendre dans les biens de

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plaisirs incapables ?Et causant du dégoût pour ces biensprévenus,Les convertir en maux devant qu’ilssoient venus ?C’est erreur, ou plutôt c’est crimede le croire.Le Firmament se meut ; les Astresfont leur cours ; Le Soleil nous luit tous les jours ;Tous les jours sa clarté succède àl’ombre noire ;Sans que nous en puissions autrechose inférerQue la nécessité de luire etd’éclairer,D’amener les saisons, de mûrir les

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semences,De verser sur les corps certainesinfluences.Du reste, en quoi répond au sorttoujours diversCe train toujours égal dont marchel’Univers ? Charlatans, faiseurs d’horoscope,Quittez les Cours des Princes del’Europe.Emmenez avec vous les souffleurstout d’un temps.Vous ne méritez pas plus de foi queces gens.Je m’emporte un peu trop ;revenons à l’histoireDe ce Spéculateur, qui fut contraint

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de boire.Outre la vanité de son artmensonger,C’est l’image de ceux qui bâillentaux chimères, Cependant qu’ils sont en danger, Soit pour eux, soit pour leursaffaires.

XIV. Le Lièvre et lesGrenouilles.

Un Lièvre en son gîte songeait,(Car que faire en un gîte, à moins

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que l’on ne songe ?)Dans un profond ennui ce Lièvre seplongeait :Cet animal est triste, et la crainte leronge. Les gens de naturel peureux Sont, disait-il, bien malheureux.Ils ne sauraient manger morceau quileur profite.Jamais un plaisir pur, toujoursassauts divers.Voilà comme je vis : cette craintemauditeM’empêche de dormir, sinon lesyeux ouverts.Corrigez-vous, dira quelque sagecervelle.

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Et la peur se corrige-t-elle ? Je crois même qu’en bonne foi Les hommes ont peur commemoi. Ainsi raisonnait notre Lièvre, Et cependant faisait le guet. Il était douteux, inquiet :Un souffle, une ombre, un rien, toutlui donnait la fièvre. Le mélancolique animal En rêvant à cette matière,Entend un léger bruit : ce lui fut unsignal Pour s’enfuir devers sa tanière.Il s’en alla passer sur le bord d’unÉtang.Grenouilles aussitôt de sauter dans

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les ondes,Grenouilles de rentrer en leursgrottes profondes. Oh, dit-il, j’en fais faire autant Qu’on m’en fait faire ! maprésenceEffraie aussi les gens, je metsl’alarme au camp !Et d’où me vient cette vaillance ?Comment des animaux qui tremblentdevant moi ! Je suis donc un foudre de guerre.Il n’est, je le vois bien, si poltronsur la terre,Qui ne puisse trouver un pluspoltron que soi.

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XV. Le Coq et le Renard.

Sur la branche d’un arbre était ensentinelleUn vieux Coq adroit et matois.Frère, dit un Renard adoucissant savoix, Nous ne sommes plus enquerelle : Paix générale à cette fois.Je viens te l’annoncer ; descendsque je t’embrasse. Ne me retarde point de grâce :Je dois faire aujourd’hui vingtpostes sans manquer. Les tiens et toi pouvez vaquer

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Sans nulle crainte à vos affaires ; Nous vous y servirons en frères. Faites-en les feux dès ce soir. Et cependant viens recevoir Le baiser d’amour fraternelle.Ami, reprit le Coq, je ne pouvaisjamaisApprendre une plus douce etmeilleure nouvelle, Que celle De cette paix. Et ce m’est une double joieDe la tenir de toi. Je vois deuxLévriers, Qui, je m’assure, sont courriers, Que pour ce sujet on envoie.Ils vont vite, et seront dans un

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moment à nous.Je descends ; nous pourrons nousentrebaiser tous.Adieu, dit le Renard, ma traite estlongue à faire.Nous nous réjouirons du succès del’affaire Une autre fois. Le galant aussitôt Tire ses grègues, gagne au haut, Mal-content de son stratagème ; Et notre vieux Coq en soi-même Se mit à rire de sa peur :Car c’est double plaisir de tromperle trompeur.

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XVI Le Corbeau voulantimiter l'AigleL'Oiseau de Jupiter enlevant unMouton, Un Corbeau, témoin del'affaire, Et plus faible de reins, mais nonpas moins glouton, En voulut sur l'heure autantfaire. Il tourne à l'entour dutroupeau, Marque entre cent Moutons le plusgras, le plus beau, Un vrai Mouton de sacrifice On l'avait réservé pour la bouche

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des Dieux. Gaillard Corbeau disait, en lecouvant des yeux Je ne sais qui fut ta nourrice ; Mais ton corps me paraît enmerveilleux état Tu me serviras de pâture Sur l'animal bêlant à ces mots ils'abat. La moutonnière créature Pesait plus qu'un fromage ; outreque sa toison Etait d'une épaisseur extrême, Et mêlée à peu près de la mêmefaçon Que la barbe de Polyphème. Elle empêtra si bien les serres du

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Corbeau, Que le pauvre Animal ne put faireretraite. Le Berger vient, le prend, l'encagebien et beau Le donne à ses enfants pour servird'amusette. Il faut se mesurer; la conséquenceest nette Mal prend aux volereaux de faireles voleurs. L'exemple est un dangereuxleurre Tous les mangeurs de gens ne sontpas grands seigneurs ; Où la Guêpe a passé, le Moucherondemeure.

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XVII. Le Paon se plaignantà Junon.

Le Paon se plaignait à Junon :Déesse, disait-il, ce n’est pas sansraisonQue je me plains, que je murmure ;Le chant dont vous m’avez fait donDéplaît à toute la Nature :Au lieu qu’un Rossignol, chétivecréature, Forme des sons aussi douxqu’éclatants ; Est lui seul l’honneur du

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Printemps. Junon répondit en colère : Oiseau jaloux, et qui devrais tetaire,Est-ce à toi d’envier la voix duRossignol ?Toi que l’on voit porter à l’entourde ton colUn arc-en-ciel nué de cent sortes desoies, Qui te panades, qui déploiesUne si riche queue, et qui semble ànos yeux La Boutique d’un Lapidaire ? Est-il quelque oiseau sous lesCieux Plus que toi capable de plaire ?

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Tout animal n’a pas toutespropriétés ;Nous vous avons donné diversesqualités,Les uns ont la grandeur et la forceen partage ;Le Faucon est léger, l’Aigle pleinde courage ; Le Corbeau sert pour le présage ;La Corneille avertit des malheurs àvenir ; Tous sont contents de leur ramage.Cesse donc de te plaindre, ou bien,pour te punir, Je t’ôterai ton plumage.

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XVIII. La Chattemétamorphosée en Femme.

Un homme chérissait éperdumentsa Chatte ;Il la trouvait mignonne, et belle, etdélicate ;Qui miaulait d’un ton fort doux.Il était plus fou que les fous.Cet Homme donc par prières, parlarmes, Par sortilèges et par charmes, Fait tant qu’il obtient du destin, Que sa Chatte en un beau matin Devient femme, et le matin même Maître sot en fait sa moitié.

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Le voilà fou d’amour extrême, De fou qu’il était d’amitié. Jamais la Dame la plus belle Ne charma tant son Favori, Que fait cette épouse nouvelle Son hypocondre de mari. Il l’amadoue, elle le flatte, Il n’y trouve plus rien de Chatte : Et poussant l’erreur jusqu’aubout La croit femme en tout et par tout.lorsque quelques Souris quirongeaient de la natteTroublèrent le plaisir des nouveauxmariés. Aussitôt la femme est sur pieds : Elle manqua son aventure.

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Souris de revenir, femme d’être enposture.Pour cette fois elle accourut àpoint ; Car ayant changé de figure Les Souris ne la craignaientpoint. Ce lui fut toujours une amorce, Tant le naturel a de force,Il se moque de tout, certain âgeaccompli.Le vase est imbibé, l’étoffe a prisson pli. En vain de son train ordinaire On le veut désaccoutumer. Quelque chose qu’on puissefaire,

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On ne saurait le réformer. Coups de fourche ni d’étrivières Ne lui font changer de manières ;Et, fussiez-vous embastonnés,Jamais vous n’en serez les maîtres.Qu’on lui ferme la porte au nez,Il reviendra par les fenêtres.

XIX. Le Lion et l’Ânechassant.

Le Roi des animaux se mit un jouren têteDe giboyer. Il célébrait sa fête.Le gibier du Lion ce ne sont pas

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moineaux ;Mais beaux et bons Sangliers,Daims et Cerfs bons et beaux. Pour réüssir dans cette affaire, Il se servit du ministère De l’Âne à la voix de Stentor.L’Âne à Messer Lion fit office deCor.Le Lion le posta, le couvrit deramée,Lui commanda de braire, assuréqu’à ce sonLes moins intimidés fuiraient deleur maison.Leur troupe n’était pas encoreaccoutumée À la tempête de sa voix :

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L’air en retentissait d’un bruitépouvantable :La frayeur saisissait les hôtes deces bois.Tous fuyaient, tous tombaient aupiège inévitable Où les attendait le Lion.N’ai-je pas bien servi dans cetteoccasion ?Dit l’Âne, en se donnant toutl’honneur de la chasse ;Ouï, reprit le Lion, c’est bravementcrié.Si je ne connaissais ta personne etta race, J’en serais moi-même effrayé.

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L’Âne s’il eût osé se fût mis encolère,Encor qu’on le raillât avec justeraison :Car qui pourrait souffrir un Ânefanfaron ? Ce n’est pas là leur caractère.

XX. Testament expliqué parÉsope.

Si ce qu’on dit d’Ésope est vrai,C’était l’Oracle de la Grèce : Lui seul avait plus de sagesseQue tout l’Aréopage. En voici pour

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essai Une Histoire des plus gentilles, Et qui pourra plaire au Lecteur.

Un certain homme avait troisfilles, Toutes trois de contraire humeur. Une buveuse, une coquette, La troisième avare parfaite. Cet Homme par son Testament Selon les Lois municipales,Leur laissa tout son bien parportions égales, En donnant à leur Mère tant ; Payable quand chacune d’elles Ne posséderait plus sacontingente part.

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Le Père mort, les trois femellesCourent au Testament sans attendreplus tard. On le lit ; on tâche d’entendre La volonté du Testateur, Mais en vain : car commentcomprendre Qu’aussitôt que chacune sœurNe possédera plus sa parthéréditaire Il lui faudra payer sa Mère ? Ce n’est pas un fort bon moyen Pour payer, que d’être sans bien. Que voulait donc dire le Père ?L’affaire est consultée ; et tous lesAvocats Après avoir tourné le cas

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En cent et cent mille manièresY jettent leur bonnet, se confessentvaincus, Et conseillent aux héritièresDe partager le bien sans songer ausurplus. Quant à la somme de la veuve,Voici, leur dirent-ils, ce que leconseil treuve,Il faut que chaque sœur se chargepar traité Du tiers payable à volonté. Si mieux n’aime la Mère en créerune rente Dès le décès du mort courante.La chose ainsi réglée, on composatrois lots.

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En l’un les maisons de bouteille, Les buffets dressés sous latreille,La vaisselle d’argent, les cuvettes,les brocs, Les magasins de malvoisie,Les esclaves de bouche, et pourdire en deux mots, L’attirail de la goinfrerie :Dans un autre celui de lacoquetterie ;La maison de la Ville, et lesmeubles exquis, Les Eunuques, et les Coiffeuses, Et les Brodeuses, Les joyaux, les robes de prix.Dans le troisième lot, les fermes, le

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ménage, Les troupeaux, et le pâturage, Valets et bêtes de labeur.Ces lots faits, on jugea que le sortpourrait faire, Que peut-être pas une sœur N’aurait ce qui lui pourraitplaire.Ainsi chacune prit son inclination ; Le tout à l’estimation. Ce fut dans la ville d’Athènes, Que cette rencontre arriva. Petits et grands, tout approuvaLe partage et le choix. Ésope seultrouva Qu’après bien du temps et despeines,

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Les gens avaient pris justement Le contre-pied du Testament.Si le défunt vivait, disait-il, quel’Attique Aurait de reproches de lui ! Comment ! ce peuple qui sepiqueD’être le plus subtil des peuplesd’aujoud’hui,A si mal entendu la volontésuprême D’un testateur ! Ayant ainsi parlé Il fait le partage lui-même,Et donne à chaque sœur un lotcontre son gré. Rien qui pût être convenable, Partant rien aux sœurs

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d’agréable. À la Coquette l’attirail, Qui suit les personnes buveuses. La Biberonne eut le bétail La Ménagère eut les coiffeuses. Tel fut l’avis du Phrygien ; Alléguant qu’il n’était moyen Plus sûr pour obliger ces filles À se défaire de leur bien.Qu’elles se marieraient dans lesbonnes familles, Quand on leur verrait del’argent : Paieraient leur Mère toutcomptant ;Ne posséderaient plus les effets deleur Père ;

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Ce que disait le Testament.Le peuple s’étonna comme il sepouvait faire Qu’un homme seul eût plus desens Qu’une multitude de gens.

LIVRE TROISIÈME.

FABLE I. Le Meunier, sonFils, et l’Âne.

A. M. D. M.

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L’Invention des Arts étant un droitd’aînesse,Nous devons l’Apologue àl’ancienne Grèce.Mais ce champ ne se peut tellementmoissonner,Que les derniers venus n’y trouventà glaner.La feinte est un pays plein de terresdésertes.Tous les jours nos Auteurs y fontdes découvertes.Je t’en veux dire un trait assez bieninventé.Autrefois à Racan Malherbe l’aconté.

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Ces deux rivaux d’Horace, héritiersde sa Lyre,Disciples d’Apollon, nos Maîtrespour mieux dire,Se rencontrant un jour tout seuls etsans témoins ;(Comme ils se confiaient leurspensers et leurs soins)Racan commence ainsi : Dites-moi,jevous prie,Vous qui devez savoir les choses dela vie,Qui par tous ses degrés avez déjàpassé,Et que rien ne doit fuir en cet âgeavancé ;À quoi me résoudrai-je ? Il est

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temps que j’y pense.Vous connaissez mon bien, montalent, ma naissance.Dois-je dans la Province établirmon séjour ?Prendre emploi dans l’Armée ? oubien charge à la Cour ?Tout au monde est mêlé d’amertumeet de charmes.La guerre a ses douceurs, l’Hymena ses alarmes.Si je suivais mon goût, je sauraisoù buter ;Mais j’ai les miens, la Cour, lepeuple à contenter.Malherbe là-dessus. Contenter toutle monde !

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Écoutez ce récit avant que jeréponde.

J’ai lu dans quelque endroit, qu’unMeunier et son fils,L’un vieillard, l’autre enfant, nonpas des plus petits,Mais garçon de quinze ans, si j’aibonne mémoire,Allaient vendre leur Âne un certainjour de foire.Afin qu’il fût plus frais et demeilleur débit,On lui lia les pieds, on vous lesuspendit ;Puis cet homme et son fils le portentcomme un lustre ;

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Pauvres gens, idiots, coupleignorant et rustre.Le premier qui les vit, de rires’éclata.Quelle farce, dit-il, vont joüer cesgens-là ?Le plus âne des trois n’est pas celuiqu’on pense.Le Meunier à ces mots connaît sonignorance.Il met sur pieds sa bête, et la faitdétaler.L’Âne, qui goûtait fort l’autre façond’allerSe plaint en son patois. Le Meuniern’en a cure.Il fait monter son fils, il suit, et

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d’aventurePassent trois bons Marchands. Cetobjet leur déplut.Le plus vieux au garçon s’écria tantqu’il put :Oh là oh, descendez, que l’on nevous le dise,Jeune homme qui menez Laquais àbarbe grise.C’était à vous de suivre, auvieillard de monter.Messieurs, dit le Meunier, il vousfaut contenter.L’enfant met pied à terre, et puis levieillard monte ;Quand trois filles passant, l’unedit : C’est grand’ honte,

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Qu’il faille voir ainsi clocher cejeune fils ;Tandis que ce nigaud, comme unÉvêque assis,Fait le veau sur son Âne, et penseêtre bien sage.Il n’est, dit le Meunier, plus deVeaux à mon âge.Passez votre chemin, la fille, etm’en croyez.Après maints quolibets coup surcoup renvoyés,L’homme crut avoir tort, et mit sonfils en croupe.Au bout de trente pas une troisièmetroupeTrouve encore à gloser. L’un dit :

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Ces gens sont fous,Le Baudet n’en peut plus, il mourrasous leurs coups.Hé quoi, charger ainsi cette pauvreBourrique !N’ont-ils point de pitié de leurvieux domestique ?Sans doute qu’à la Foire ils vontvendre sa peau.Parbieu, dit le Meunier, est bien foudu cerveau,Qui prétend contenter tout le mondeet son père.Essayons toutefois, si par quelquemanièreNous en viendrons à bout. Ilsdescendent tous deux.

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L’Âne se prélassant marche seuldevant eux.Un quidam les rencontre, et dit :Est-ce la mode,Que Baudet aille à l’aise, etMeunier s’incommode ?Qui de l’Âne ou du Maître est faitpour se laisser ?Je conseille à ces gens de le faireenchâsser.Ils usent leurs souliers, etconservent leur Âne :Nicolas au rebours ; car quand il vavoir Jeanne,Il monte sur sa bête, et la chanson ledit.Beau trio de Baudets ! le Meunier

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repartit :Je suis Âne, il est vrai, j’enconviens, je l’avoue ;Mais que dorénavant on me blâme,on me loue ;Qu’on dise quelque chose, ou qu’onne dise rien ;J’en veux faire à ma tête. Il le fit, etfit bien.

Quant à vous, suivez Mars, oul’Amour, ou le Prince ;Allez, venez, courez, demeurez enProvince ;Prenez femme, Abbaye, Emploi,Gouvernement ;Les gens en parleront, n’en doutez

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nullement.

II. Les Membres etl’Estomac.

IJe devais par la RoyautéAvoir commencé mon Ouvrage. À la voir d’un certain côté, Messer Gaster en est l’image.S’il a quelque besoin, tout le corpss’en ressent.De travailler pour lui les membresse lassant,

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Chacun d’eux résolut de vivre engentilhomme,Sans rien faire, alléguant l’exemplede Gaster.Il faudrait, disaient-ils, sans nousqu’il vécût d’air.Nous suons, nous peinons commebêtes de somme :Et pour qui ? pour lui seul ; nousn’en profitons pas :Notre soin n’aboutit qu’à fournirses repas.Chômons, c’est un métier qu’il veutnous faire apprendre.Ainsi dit, ainsi fait. Les mainscessent de prendre ;Les bras d’agir, les jambes de

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marcher.Tous dirent à Gaster, qu’il en allâtchercher.Ce leur fut une erreur dont ils serepentirent ;Bientôt les pauvres gens tombèrenten langueur :Il ne se forma plus de nouveau sangau cœur :Chaque membre en souffrit, lesforces se perdirent. Par ce moyen les mutins virentQue celui qu’ils croyaient oisif etparesseux,À l’intérêt commun contribuait plusqu’eux.Ceci peut s’appliquer à la grandeur

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Royale.Elle reçoit et donne, et la chose estégale.Tout travaille pour elle, etréciproquement Tout tire d’elle l’aliment.Elle fait subsister l’artisan de sespeines,Enrichit le Marchand, gage leMagistrat.Maintient le Laboureur, donne payeau soldat,Distribue en cent lieux ses grâcessouveraines, Entretient seule tout l’État. Menenius le sut bien dire.La Commune s’allait séparer du

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Sénat.Les mécontents disaient qu’il avaittout l’Empire,Le pouvoir, les trésors, l’honneur,la dignité ;Au lieu que tout le mal était de leurcôté ;Les tributs, les impôts, les fatiguesde guerre.Le peuple hors des murs était déjàposté.La plupart s’en allaient chercherune autre terre, Quand Menenius leur fit voir Qu’ils étaient aux membressemblables ;Et par cet Apologue insigne entre

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les Fables, Les ramena dans leur devoir.

III. Le Loup devenu Berger.

Un Loup qui commençait d’avoirpetite partAux Brebis de son voisinage,Crut qu’il fallait s’aider de la peaudu Renard, Et faire un nouveau personnage.Il s’habille en Berger, endosse unhoqueton, Fait sa houlette d’un bâton ; Sans oublier la Cornemuse.

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Pour pousser jusqu’au bout laruse,Il aurait volontiers écrit sur sonchapeau,C’est moi qui suis Guillot Bergerde ce troupeau. Sa personne étant ainsi faite,Et ses pieds de devant posés sur sahoulette,Guillot le Sycophante approchedoucement.Guillot le vrai Guillot étendu surl’herbette, Dormait alors profondément.Son chien dormait aussi, commeaussi sa musette.La plupart des Brebis dormaient

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pareillement. L’hypocrite les laissa faire :Et pour pouvoir mener vers son fortles Brebis,Il voulut ajouter la parole auxhabits, Chose qu’il croyait nécessaire. Mais cela gâta son affaire.Il ne put du Pasteur contrefaire lavoix.Le ton dont il parla fit retentir lesbois, Et découvrit tout le mystère. Chacun se réveille à ce son, Les Brebis, le Chien, le Garçon. Le pauvre Loup dans cetesclandre,

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Empêché par son hoqueton, Ne put ni fuir ni se défendre.

Toujours par quelque endroitfourbes se laissent prendre. Quiconque est Loup, agisse enLoup ; C’est le plus certain debeaucoup.

IV. Les Grenouilles quidemandent un Roi.

Les Grenouilles se lassantDe l’état Démocratique,

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Par leurs clameurs firent tantQue Jupin les soumit au pouvoirMonarchique.Il leur tomba du Ciel un Roi toutpacifique :Ce Roi fit toutefois un tel bruit entombant, Que la gent marécageuse, Gent fort sotte et fort peureuse, S’alla cacher sous les eaux, Dans les joncs, dans les roseaux, Dans les trous du marécage,Sans oser de longtemps regarder auvisageCelui qu’elles croyaient être ungéant nouveau ; Or c’était un soliveau,

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De qui la gravité fit peur à lapremière, Qui de le voir s’aventurant Osa bien quitter sa tanière. Elle approcha, mais en tremblant.Une autre la suivit, une autre en fitautant, Il en vint une fourmilière ;Et leur troupe à la fin se renditfamilière Jusqu’à sauter sur l’épaule duRoi.Le bon Sire le souffre, et se tienttoujours coi.Jupin en a bientôt la cervellerompue.Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi

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qui se remue.Le Monarque des Dieux leur envoieune Grue, Qui les croque, qui les tue, Qui les gobe à son plaisir ; Et Grenouilles de se plaindre ;Et Jupin de leur dire : Et quoi !votre désir À ses lois croit-il nousastreindre ? Vous avez dû premièrement Garder votre Gouvernement ;Mais ne l’ayant pas fait, il vousdevait suffireQue votre premier Roi fûtdébonnaire et doux : De celui-ci contentez-vous,

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De peur d’en rencontrer un pire.

V. Le Renard et le Bouc.

CApitaine Renard allait decompagnieAvec son ami Bouc des plus hautencornés.Celui-ci ne voyait pas plus loin queson nez.L’autre était passé maître en fait detromperie.La soif les obligea de descendre enun puits. Là chacun d’eux se désaltère.

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Après qu’abondamment tous deuxen eurent pris,Le Renard dit au Bouc : Queferons-nous compère ?Ce n’est pas tout de boire ; il fautsortir d’ici.Lève tes pieds en haut, et tes cornesaussi :Mets-les contre le mur. Le long deton échine Je grimperai premièrement : Puis sur tes cornes m’élevant, À l’aide de cette machine De ce lieu-ci je sortirai, Après quoi je t’en tirerai.Par ma barbe, dit l’autre, il estbon ; et je loue

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Les gens bien sensés comme toi. Je n’aurais jamais quant à moi Trouvé ce secret, je l’avoue.Le Renard sort du puits, laisse soncompagnon, Et vous lui fait un beau sermon Pour l’exhorter à patience.Si le Ciel t’eût, dit-il, donné parexcellenceAutant de jugement que de barbe aumenton, Tu n’aurais pas à la légèreDescendu dans ce puits. Or adieu,j’en suis hors :Tâche de t’en tirer, et fais tous tesefforts ; Car pour moi, j’ai certaine

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affaire,Qui ne me permet pas d’arrêter enchemin. En tout chose il faut considérer lafin.

VI. L’Aigle, la Laie, et laChatte.

L’Aigle avait ses petits au hautd’un arbre creuxLa Laie au pied, la Chatte entre lesdeux :Et sans s’incommoder, moyennantce partage

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Mères et nourrissons faisaient leurtripotage.La Chatte détruisit par sa fourbel’accord.Elle grimpa chez l’Aigle, et lui dit :Notre mort,(Au moins de nos enfants, car c’esttout un aux mères) Ne tardera possible guère.Voyez-vous à nos pieds fouirincessamentCette maudite Laie, et creuser unemine ?C’est pour déraciner le chêneassurément,Et de nos nourrissons attirer laruine.

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L’arbre tombant ils serontdévorés : Qu’ils s’en tiennent pour assurés.S’il m’en restait un seulj’adoucirais ma plainte.Au partir de ce lieu qu’elle remplitde crainte, La perfide descend tout droit À l’endroit Où la Laie était en gésine. Ma bonne amie et ma voisine,Lui dit-elle tout bas, je vous donneun avis.L’Aigle, si vous sortez, fondra survos petits : Obligez-moi de n’en rien dire. Son courroux tomberait sur moi.

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Dans cette autre famille ayant semél’effroi, La Chatte en son trou se retire.L’Aigle n’ose sortir, ni pourvoiraux besoins De ses petits : La Laie encoremoins :Sottes de ne pas voir que le plusgrand des soinsCe doit être celui d’éviter lafamine.À demeurer chez soi l’une et l’autres’obstine ;Pour secourir les siens dedansl’occasion : L’Oiseau Royal en cas de mine, La Laie en cas d’irruption.

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La faim détruisit tout : il ne restapersonneDe la gent Marcassine et de la gentAiglonne, Qui n’allât de vie à trépas ; Grand renfort pour Messieurs lesChats.

Que ne sait point ourdir une languetraîtresse Par sa pernicieuse adresse ? Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore,Celui qu’à meilleur droit toutl’Univers abhorre, C’est la fourbe à mon avis.

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VII. L’Ivrogne et sa femme.

Chacun a son défaut où toujours ilrevient :Honte ni peur n’y remédie.Sur ce propos d’un conte il mesouvient : Je ne dis rien que je n’appuieDe quelque exemple. Un suppôt deBacchusAltérait sa santé, son esprit, et sabourse.Telles gens n’ont pas fait la moitiéde leur course, Qu’ils sont au bout de leurs écus.Un jour que celui-ci plein du jus de

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la treille,Avait laissé ses sens au fond d’unebouteille,Sa femme l’enferma dans un certaintombeau. Là les vapeurs du vin nouveauCuvèrent à loisir. A son réveil iltreuveL’attirail de la mort à l’entour deson corps, Un luminaire, un drap des morts.Oh ! dit-il, qu’est ceci ? ma femmeest-elle veuve ?Là-dessus son épouse en habitd’Alecton,Masquée, et de sa voixcontrefaisant le ton,

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Vient au prétendu mort ; approchede sa bière ;Lui présente un chaudeau proprepour Lucifer.L’Époux alors ne doute en aucunemanière Qu’il ne soit citoyen d’enfer.Quelle personne es-tu ? dit-il à cefantôme. La cellerière du RoyaumeDe Satan, reprit-elle ; et je porte àmanger À ceux qu’enclôt la tombe noire.Le Mari repart sans songer ;Tu ne leur portes point à boire ?

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VIII. La Goutte etl’Araignée.

Quand l’Enfer eut produit laGoutte et l’Araignée,Mes filles, leur dit-il, vous pouvezvous vanter, D’être pour l’humaine lignée Également à redouter.Or avisons aux lieux qu’il vous fauthabiter. Voyez-vous ces cases étretes,Et ces Palais si grands, si beaux, sibien dorés ?Je me suis proposé d’en faire vosretraites.

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Tenez donc ; voici deuxbûchettes ; Accommodez-vous, ou tirez.Il n’est rien, dit l’Aragne, aux casesqui me plaise.L’autre tout au rebours voyant lesPalais pleins De ces gens nommés Médecins,Ne crut pas y pouvoir demeurer àson aise.Elle prend l’autre lot ; y plante lepiquet ;S’étend à son plaisir sur l’orteild’un pauvre homme,Disant : Je ne crois pas qu’en ceposte je chomme,Ni que d’en déloger, et faire mon

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paquet Jamais Hippocrate me somme.L’Aragne cependant se campe en unlambris,Comme si de ces lieux elle eût faitbail à vie ;Travaille à demeurer : voilà satoile ourdie ; Voilà des moucherons de pris.Une servante vient balayer toutl’ouvrage.Autre toile tissue, autre coup debalai.Le pauvre Bestion tous les joursdéménage. Enfin après un vain essaiIl va trouver la Goutte. Elle était en

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campagne, Plus malheureuse mille fois Que la plus malheureuse Aragne.Son hôte la menait tantôt fendre dubois,Tantôt fouir, houer. Goutte bientracassée Est, dit-on, à demi pansée.OH, je ne saurais plus, dit-elle, yrésister.Changeons, ma sœur l’Aragne. Etl’autre d’écouter.Elle la prend au mot, se glisse en lacabane :Point de coup de balai qui l’obligeà changer.La Goutte d’autre part va tout droit

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se loger Chez un Prélat qu’elle condamne À jamais du lit ne bouger.Cataplasmes, Dieu sait. Les gensn’ont point de honteDe faire aller le mal toujours de pisen pis.L’une et l’autre trouva de la sorteson compte,Et fit très-sagement de changer delogis.

IX. Le Loup et la Cigogne.

Les Loups mangent gloutonnement.

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Un Loup donc étant de frairie,Se pressa, dit-on, tellement,Qu’il en pensa perdre la vie.Un os lui demeura bien avant augosier.De bonheur pour ce Loup, qui nepouvait crier, Prés de là passe une Cigogne. Il lui fait signe, elle accourt.Voilà l’Opératrice aussitôt enbesogne.Elle retira l’os ; puis pour un si bontour Elle demanda son salaire. Votre salaire ? dit le Loup, Vous riez, ma bonne commère. Quoi, ce n’est pas encor

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beaucoupD’avoir de mon gosier retiré votrecou ? Allez, vous êtes une ingrate ; Ne tombez jamais sous ma patte.

X. Le Lion abattu parl’Homme.

On exposait une peinture,Où l’Artisan avait tracéUn Lion d’immense stature

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Par un seul homme terrassé. Les regardants en tiraient gloire.Un Lion en passant rabattit leurcaquet, Je vois bien, dit-il, qu’en effet On vous donne ici la victoire : Mais l’Ouvrier vous a déçus, Il avait liberté de feindre.Avec plus de raison nous aurions ledessus, Si mes confrères savaientpeindre.

XI. Le Renard et les Raisins.

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Certain Renard Gascon, d’autresdisent Normant,Mourant presque de faim, vit auhaut d’une treille Des raisins mûrs apparemment, Et couverts d’une peauvermeille.Le galant en eût fait volontiers unrepas. Mais comme il n’y pouvaitatteindre,Ils sont trop verts, dit-il, et bonspour des goujats. Fit-il pas mieux que de seplaindre ?

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XII. Le Cygne et le Cuisinier Dans une ménagerie De volatiles remplie Vivaient le Cygne etl'Oison: Celui-là destiné pour les regards duMaître; Celui-ci, pour son goût: l'un qui sepiquait d'êtreCommensal du jardin, l'autre de lamaison. Des fossés du château faisant leursgaleries, Tantôt on les eût vus côte à côtenager, Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se

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plonger, Sans pouvoir satisfaire à leursvaines envies. Un jour le cuisinier, ayant trop bud'un coup, Prit pour oison le cygne; et le tenantau cou, Il allait l'égorger, puis le mettre enpotage. L'oiseau, prêt à mourir, se plaint enson ramage. Le cuisinier fut fort surpris, Et vit bien qu'il s'étaitmépris. « Quoi! je mettrais, dit-il, un telchanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux dieux que

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jamais ma main coupe La gorge à qui s'en sert sibien!»Ainsi dans les dangers qui noussuivent en croupe Le doux parler ne nuit derien.

XIII. Les Loups et lesBrebis.

Après mille ans et plus de guerredéclarée,Les Loups firent la paix avecque les

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Brebis.C’était apparemment le bien desdeux partis :Car si les Loups mangeaient maintebête égarée,Les Bergers de leur peau sefaisaient maints habits.Jamais de liberté, ni pour lespâturages, Ni d’autre part pour les carnages.Ils ne pouvaient jouir qu’entremblant de leurs biens.La paix se conclut donc ; on donnedes otages ;Les Loups leurs Louveteaux, et lesBrebis leurs Chiens.L’échange en étant fait aux formes

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ordinaires, Et réglé par des Commissaires,Au bout de quelque temps queMessieurs les LouvatsSe virent Loups parfaits et friandsde tuerie ;Ils vous prennent le temps que dansla Bergerie Messieurs les Bergers n’étaientpas ;Étranglent la moitié des Agneauxles plus gras ;Les emportent aux dents, dans lesbois se retirent.Ils avaient averti leurs genssecrètement.Les Chiens, qui, sur leur foi,

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reposaient sûrement, Furent étranglés en dormant.Cela fut si tôt fait, qu’à peine ils lesentirent.Tout fut mis en morceaux ; un seuln’en échappa. Nous pouvons conclure de làQu’il faut faire aux méchants guerrecontinuelle. La paix est fort bonne de soi, J’en conviens ; mais de quoi sert-elle Avec des ennemis sans foi ?

XIV. Le Lion devenu vieux.

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Le lion, terreur des forêts, Chargé d'ans et pleurant son antiqueprouesse, Fut enfin attaqué par ses propressujets, Devenus forts par safaiblesse. Le cheval s'approchant lui donne uncoup de pied; Le loup, un coup de dent; le boeuf,un coup de corne. Le malheureux lion, languissant,triste, et morne, Peut à peine rugir, par l'âgeestropié. Il attend son destin, sans faire

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aucunes plaintes, Quand voyant l'âne même à sonantre accourir: «Ah! c'est trop, lui dit-il; je voulaisbien mourir; Mais c'est mourir deux fois quesouffrir tes atteintes.»

XV. Philomèle et Progné.

Autrefois Progné l’hirondelleDe sa demeure s’écarta ; Et loin des Villes s’emportaDans un Bois où chantait la pauvrePhilomèle.

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Ma sœur, lui dit Progné, commentvous portez-vous ?Voici tantôt mille ans que l’on nevous a vue :Je ne me souviens point que voussoyez venueDepuis le temps de Thrace habiterparmi nous. Dites-moi, que pensez-vousfaire ?Ne quitterez-vous point ce séjoursolitaire ?Ah ! reprit Philomèle, en est-il deplus doux ?Progné lui repartit : Et quoi, cettemusique Pour ne chanter qu’aux animaux,

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Tout au plus à quelque rustique ?Le désert est-il fait pour des talentssi beaux ?Venez faire aux cités éclater leursmerveilles. Aussi bien en voyant les bois,Sans cesse il vous souvient queTérée autrefois Parmi des demeures pareilles,Exerça sa fureur sur vos divinsappas.Et c’est le souvenir d’un si crueloutrageQui fait, reprit sa sœur, que je nevous suis pas. En voyant les hommes, hélas ! Il m’en souvient bien davantage.

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XVI. La Femme noyée.

Ie ne suis pas de ceux qui disent, Ce n’est rien ;C’est une femme qui se noie.Je dis que c’est beaucoup ; et cesexe vaut bienQue nous le regrettions, puisqu’ilfait notre joie.Ce que j’avance ici n’est point horsde propos ; Puisqu’il s’agit dans cette Fable D’une femme qui dans les flotsAvait fini ses jours par un sort

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déplorable, Son Époux en cherchait le corps, Pour lui rendre en cette aventure Les honneurs de la sépulture. Il arriva que sur les bords Du fleuve auteur de sa disgrâceDes gens se promenaient, ignorantl’accident. Ce mari donc leur demandantS’ils n’avaient de sa femme aperçunulle trace ;Nulle, reprit l’un d’eux ; maischerchez-la plus bas ; Suivez le fil de la rivière.Un autre repartit : Non, ne le suivezpas ; Rebroussez plutôt en arrière.

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Quelle que soit la pente etl’inclination Dont l’eau par sa coursel’emporte, L’esprit de contradiction L’aura fait flotter d’autre sorte.Cet homme se raillait assez hors desaison. Quant à l’humeur contredisante, Je ne sais s’il avait raison. Mais que cette humeur soit, ounon, Le défaut du sexe et sa pente, Quiconque avec elle naîtra, Sans faute avec elle mourra, Et jusqu’au bout contredira, Et, s’il peut, encor par-delà.

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XVII. La Belette entréedans un Grenier.

Damoiselle Belette au corps longet fluet,Entra dans un Grenier par un troufort étroit. Elle sortait de maladie. Là vivant à discrétion, La galande fit chère lie, Mangea, rongea ; Dieu sait lavie,Et le lard qui périt en cetteoccasion.

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La voilà pour conclusion Grasse, mafflue, et rebondie.Au bout de la semaine ayant dînéson sou,Elle entend quelque bruit, veutsortir par le trou,Ne peut plus repasser, et croits’être méprise. Après avoir fait quelques tours,C’est, dit-elle, l’endroit, me voilàbien surprise ;J’ai passé par ici depuis cinq ou sixjours. Un Rat qui la voyait en peine,Lui dit : Vous aviez lors la panse unpeu moins pleine.Vous êtes maigre entrée, il faut

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maigre sortir.Ce que je vous dis là, l’on le dit àbien d’autres.Mais ne confondons point, par tropapprofondir, Leurs affaires avec les vôtres.

XVIII. Le Chat et un vieuxRat.

I’ai lu chez un conteur de Fables,Qu’un second Rodilard,l’Alexandre des Chats,

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L’Attila, le fléau des Rats, Rendait ces derniers misérables. J’ai lu, dis-je, en certain Auteur, Que ce Chat exterminateur,Vrai Cerbère, était craint une lieueà la ronde ;Il voulait de Souris dépeupler toutle monde.Les planches qu’on suspend sur unléger appui, La mort aux Rats, lesSouricières, N’étaient que jeux au prix de lui. Comme il voit que dans leurstanières Les Souris étaient prisonnières ;Qu’elles n’osaient sortir ; qu’il

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avait beau chercher ;Le galant fait le mort ; et du hautd’un plancherSe pend la tête en bas. La bêtescélérateÀ de certains cordons se tenait parla patte.Le peuple des Souris croit que c’estchâtiment ;Qu’il a fait un larcin de rôt ou defromage,Égratigné quelqu’un, causé quelquedommage :Enfin qu’on a pendu le mauvaisgarnement. Toutes, dis-je, unanimementSe promettent de rire à son

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enterrement ;Mettent le nez à l’air, montrent unpeu la tête ; Puis rentrent dans leurs nids àrats ; Puis ressortant font quatre pas ; Puis enfin se mettent en quête. Mais voici bien une autre fête.Le pendu ressuscite ; et sur sespieds tombant Attrape les plus paresseuses.Nous en savons plus d’un, dit-il enles gobant :C’est tour de vieille guerre ; et voscavernes creusesNe vous sauveront pas ; je vous enavertis ;

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Vous viendrez toutes au logis.Il prophétisait vrai ; notre maîtreMitisPour la seconde fois les trompe etles affine ; Blanchit sa robe, et s’enfarine ;Et de la sorte déguiséSe niche et se blottit dans une hucheouverte : Ce fut à lui bien avisé :La gent trotte-menu s’en vientchercher sa perte.Un Rat sans plus s’abstient d’allerflairer autour.C’était un vieux routier ; il savaitplus d’un tour ;Même il avait perdu sa queue à la

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bataille.Ce bloc enfariné ne me dit rien quivaille,S’écria-t-il de loin au Général desChats.Je soupçonne dessous encorquelque machine. Rien ne te sert d’être farine ;Car quand tu serais sac jen’approcherais pas.C’était bien dit à lui ; j’approuve saprudence. Il était expérimenté ; Et savait que la méfiance Est mère de la sûreté.

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LIVREQUATRIÈME.

FABLE I. Le Lionamoureux.

A Mademoiselle de Sévigné.

Sévigné, de qui les attraits

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Servent aux grâces de modèle,Et qui naquîtes toute belle,À votre indifférence près,Pourriez-vous être favorableAux jeux innocents d’une Fable ?Et voir sans vous épouvanter,Un Lion qu’amour sut dompter ?Amour est un étrange maître.Heureux qui peut ne le connaîtreQue par récit, lui ni ses coups !Quand on en parle devant vous,Si la vérité vous offense,La Fable au moins se peut souffrir.Celle-ci prend bien l’assuranceDe venir à vos pieds s’offrir,Par zèle et par reconnaissance.

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Du temps que les bêtes parlaientLes Lions entre autres voulaientÊtre admis dans notre alliance.Pourquoi non ? puisque leurengeanceValait la nôtre en ce temps-là,Ayant courage, intelligence,Et belle hure outre cela.Voici comment il en alla.Un Lion de haut parentageEn passant par un certain pré,Rencontra Bergère à son gré.Il la demande en mariage.Le père aurait fort souhaitéQuelque gendre un peu moinsterrible.La donner lui semblait bien dur ;

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La refuser n’était pas sûr.Même un refus eût fait possible,Qu’on eût vu quelque beau matinUn mariage clandestin.Car outre qu’en toute manièreLa belle était pour les gens fiers ;Fille se coiffe volontiersD’amoureux à longue crinière.Le Père donc ouvertementN’osant renvoyer notre amant,Lui dit : Ma fille est délicate ;Vos griffes la pourront blesserQuand vous voudrez la caresser.Permettez donc qu’à chaque patteOn vous les rogne ; et pour lesdents,Qu’on vous les lime en même

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temps.Vos baisers en seront moins rudesEt pour vous plus délicieux ;Car ma fille y répondra mieuxÉtant sans ces inquiétudes.Le Lion consent à celaTant son âme était aveuglée.Sans dents ni griffes le voilàComme place démantelée.On lâcha sur lui quelques chiens,Il fit fort peu de résistance.Amour, amour, quand tu nous tiens,On peut bien dire, Adieu prudence.

II. Le Berger et la Mer.

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Du rapport d’un troupeau, dont ilvivait sans soinsSe contenta longtemps un voisind’Amphitrite.Si sa fortune était petite,Elle était sûre tout au moins.À la fin les trésors déchargés sur laplage,Le tentèrent si bien qu’il vendit sontroupeau,Trafiqua de l’argent, le mit entiersur l’eau ; Cet argent périt par naufrage.Son maître fut réduit à garder lesBrebis ;

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Non plus Berger en chef comme ilétait jadis,Quand ses propres Moutonspaissaient sur le rivage ;Celui qui s’était vu Coridon ouTircis, Fut Pierrot et rien davantage.Au bout de quelque temps il fitquelques profits ; Racheta des bêtes à laine ;Et comme un jour les vents retenantleur haleine,Laissaient paisiblement aborder lesvaisseaux ;Vous voulez de l’argent, ôMesdames les Eaux,Dit-il, adressez-vous, je vous prie,

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à quelqu’autre : Ma foi vous n’aurez pas le nôtre.

Ceci n’est pas un conte à plaisirinventé. Je me sers de la vérité Pour montrer par expérience, Qu’un sou quand il est assuré, Vaut mieux que cinq enespérance :Qu’il se faut contenter de sacondition ;Qu’aux conseils de la Mer et del’Ambition Nous devons fermer les oreilles.Pour un qui s’en louera, dix milles’en plaindront.

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La Mer promet monts etmerveilles ;Fiez-vous-y, les vents et les voleursviendront.

III. La Mouche et laFourmi.

La Mouche et la Fourmicontestaient de leur prix.Ô Jupiter ! dit la première,Faut-il que l’amour propre aveugleles esprits

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D’une si terrible manière, Qu’un vil et rampant animalÀ la fille de l’air ose se dire égal ?Je hante les Palais ; je m’assieds àla table :Si l’on t’immole un bœuf, j’engoûte devant toi :Pendant que celle-ci chétive etmisérable,Vit trois jours d’un fétu qu’elle atraîné chez soi. Mais ma mignonne, dites-moi,Vous campez-vous jamais sur la têted’un Roi, D’un Empereur, ou d’une Belle ?Je le fais ; et je baise un beau seinquand je veux :

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Je me joue entre des cheveux :Je rehausse d’un teint la blancheurnaturelle :Et la dernière main que met à sabeauté Une femme allant en conquête,C’est un ajustement des Mouchesemprunté. Puis allez-moi rompre la tête De vos greniers. Avez-vous dit ? Lui répliqua la ménagère.Vous hantez les Palais : mais onvous y maudit. Et quant à goûter la première De ce qu’on sert devant lesDieux, Croyez-vous qu’il en vaille

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mieux ?Si vous entrez partout : aussi fontles profanes.Sur la tête des Rois et sur celle desÂnesVous allez vous planter ; je n’endisconviens pas ; Et je sais que d’un prompt trépasCette importunité bien souvent estpunie.Certain ajustement, dites-vous, rendjolie.J’en conviens : il est noir ainsi quevous et moi.Je veux qu’il ait nom Mouche ; est-ce un sujet pourquoi Vous fassiez sonner vos mérites ?

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Nomme-t-on pas aussi Mouches lesparasites ?Cessez donc de tenir un langage sivain : N’ayez plus ces hautes pensées :Les Mouches de Cour sontchassées :Les Mouchards sont pendus : etvous mourrez de faim, De froid, de langueur, de misère,Quand Phœbus régnera sur un autrehémisphère.Alors je jouirai du fruit de mestravaux. Je n’irai par monts ni par vaux M’exposer au vent, à la pluie. Je vivrai sans mélancolie.

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Le soin que j’aurai pris, de soinm’exemptera. Je vous enseignerai par làCe que c’est qu’une fausse ouvéritable gloire.Adieu : je perds le temps : laissez-moi travailler.Ni mon grenier ni mon armoire Ne se remplit à babiller.

IV. Le Jardinier et sonSeigneur.

Un amateur de jardinage,

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Demi Bourgeois, demi manant, Possédait en certain VillageUn jardin assez propre, et le closattenant.Il avait de plant vif semé cetteétendue,Là croissait à plaisir l’oseille et lalaitue ;De quoi faire à Margot, pour safête, un bouquet ;Peu de jasmin d’Espagne, et forceserpolet.Cette félicité par un Lièvretroublée,Fit qu’au Seigneur du Bourg notrehomme se plaignit.Ce maudit animal vient prendre sa

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gouléeSoir et matin, dit-il, et des pièges serit :Les pierres, les bâtons y perdentleur crédit.Il est Sorcier, je crois. Sorcier ? jel’en défie,Repartit le Seigneur. Fût-il diable,Miraut,En dépit de ses tours, l’attraperabientôt.Je vous en déferai, bonhomme, surma vie :Et quand ? et dès demain, sanstarder plus longtemps.La partie ainsi faite, il vient avecses gens :

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Çà déjeunons, dit-il, vos pouletssont-ils tendres ?La fille du logis, qu’on vous voie,approchez.Quand la marierons-nous ? quandaurons-nous des gendres ?bonhomme, c’est ce coup qu’il faut,vous m’entendez, Qu’il faut fouiller à l’escarcelle.Disant ces mots, il faitconnaissance avec elle ; Auprès de lui la fait asseoir ;Prend une main, un bras, lève uncoin du mouchoir ; Toutes sottises dont la Belle Se défend avec grand respect ;Tant qu’au père à la fin cela devient

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suspect.Cependant on fricasse, on se rue encuisine.De quand sont vos jambons ? Ils ontfort bonne mine.Monsieur, ils sont à vous. Vraiment,dit le Seigneur, Je les reçois, et de bon cœur.Il déjeûne très-bien, aussi fait safamille,Chiens, chevaux et valets, tous gensbien endentés :Il commande chez l’hôte, y prenddes libertés, Boit son vin, caresse sa fille.L’embarras des Chasseurs succèdeau déjeuner.

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Chacun s’anime et se prépare :Les trompes et les cors font un teltintamarre, Que le bonhomme est étonné.Le pis fut que l’on mit en piteuxéquipageLe pauvre potager ; adieu planches,carreaux ; Adieu chicorée et poireaux ; Adieu de quoi mettre au potage.Le Lièvre était gîté dessous unmaître chou.On le quête, on le lance, il s’enfuitpar un trou,Non pas trou, mais trouée, horribleet large plaie Que l’on fit à la pauvre haie

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Par ordre du Seigneur ; car il eûtété malQu’on n’eût pu du jardin sortir toutà cheval.Le bonhomme disait : Ce sont làjeux de Prince :Mais on le laissait dire ; et leschiens et les gensFirent plus de dégâts en une heurede temps, Que n’en auraient fait en cent ansTous les Lièvres de la Province.

Petits Princes, videz vos débatsentre vous :De recourir aux Rois vous seriez degrands fous.

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Il ne les faut jamais engager dansvos guerres, Ni les faire entrer sur vos terres.

V. L’Âne et le petit Chien.

Ne forçons point notre talent ;Nous ne ferions rien avec grâce.Jamais un lourdaud, quoi qu’ilfasse,Ne saurait passer pour galant.Peu de gens que le Ciel chérit etgratifie,Ont le don d’agréer infus avec lavie.

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C’est un point qu’il leur fautlaisser ;Et ne pas ressembler à l’Âne de laFable, Qui, pour se rendre plus aimableEt plus cher à son Maître, alla lecaresser. Comment, disait-il en son âme, Ce Chien, parce qu’il est mignon, Vivra de pair à compagnon Avec Monsieur, avec Madame, Et j’aurai des coups de bâton ? Que fait-il ? il donne la patte, Puis aussitôt il est baisé.S’il en faut faire autant afin que l’onme flatte, Cela n’est pas bien malaisé.

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Dans cette admirable pensée,Voyant son Maître en joie, il s’envient lourdement, Lève une corne toute usée ;La lui porte au menton fortamoureusement.Non sans accompagner, pour plusgrand ornementDe son chant gracieux cette actionhardie.Oh oh ! quelle caresse, et quellemélodie !Dit le Maître aussitôt. Holà, Martinbâton.Martin bâton accourt ; l’Âne changede ton. Ainsi finit la Comédie.

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VI. Le combat des Rats etdes Belettes.

La nation des Belettes,Non plus que celle des Chats,Ne veut aucun bien aux Rats ;Et sans les portes étretesDe leurs habitations,L’animal à longue échineEn ferait je m’imagine,De grandes destructions.Or une certaine annéeQu’il en était à foison,

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Leur Roi nommé Ratapon,Mit en campagne une armée.Les Belettes de leur partDéployèrent l’étendard.Si l’on croit la Renommée,La Victoire balança.Plus d’un Gueret s’engraissaDu sang de plus d’une bande.Mais la perte la plus grandeTomba presque en tous endroitsSur le peuple Souriquois.Sa déroute fut entière :Quoi que pût faire Artarpax,Psicarpax, Méridarpax,Qui tout couverts de poussière,Soutinrent assez longtempsLes efforts des combattants.

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Leur résistance fut vaine :Il fallut céder au sort :Chacun s’enfuit au plus fort,Tant Soldat que Capitaine.Les Princes périrent tous.La racaille dans des trousTrouvant sa retraite prête,Se sauva sans grand travail.Mais les Seigneurs sur leur têteAyant chacun un plumail,Des cornes ou des aigrettes ;Soit comme marques d’honneur :Soit afin que les BelettesEn conçussent plus de peur :Cela causa leur malheur.Trou, ni fente, ni crevasseNe fut large assez pour eux :

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Au lieu que la populaceEntrait dans les moindres creux.La principale jonchéeFut donc des principaux Rats.Une tête empanachéeN’est pas petit embarras.Le trop superbe équipagePeut souvent en un passageCauser du retardement.Les petits en toute affaireEsquivent fort aisément :Les grands ne le peuvent faire.

VII. Le Singe et le Dauphin.

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C’était chez les Grecs un usage,Que sur la mer tous voyageursMenaient avec eux en voyageSinges et Chiens de Bateleurs.Un Navire en cet équipageNon loin d’Athènes fit naufrage.Sans les Dauphins tout eût péri.Cet animal est fort amiDe notre espèce ; En son HistoirePline le dit, il le faut croire.Il sauva donc tout ce qu’il put.Même un Singe en cette occurrence,Profitant de la ressemblance,Lui pensa devoir son salut.Un Dauphin le prit pour un homme,Et sur son dos le fit asseoir,

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Si gravement qu’on eût cru voirCe chanteur que tant on renomme.Le Dauphin l’allait mettre à bord ;Quand par hasard il lui demande :Êtes-vous d’Athènes la grande ?Ouï, dit l’autre, on m’y connaît fort,S’il vous y survient quelque affaireEmployez-moi ; car mes parentsY tiennent tous les premiers rangs ;Un mien cousin est Juge-Maire.Le Dauphin dit bien-grand merci.Et le Pirée a part aussiÀ l’honneur de votre présence ?Vous le voyez souvent ? Je pense.Tous les jours ; il est mon ami,C’est une vieille connaissance.Notre Magot prit pour ce coup

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Le nom d’un port pour un nomd’homme.De telles gens il est beaucoup,Qui prendraient Vaugirard pourRome ;Et qui, caquetants au plus dru,Parlent de tout et n’ont rien vu.Le Dauphin rit, tourne la tête,Et le Magot considéréIl s’aperçoit qu’il n’a tiréDu fond des eaux rien qu’une bête.Il l’y replonge, et va trouverQuelque homme afin de le sauver.

VIII. L’Homme et l’Idole debois.

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Certain Païen chez lui gardait unDieu de bois ;De ces Dieux qui sont sourds, bienqu’ayant des oreilles.Le Païen cependant s’en promettaitmerveilles. Il lui coûtait autant que trois. Ce n’étaient que vœux etqu’offrandes,Sacrifices de bœufs couronnés deguirlandes. Jamais Idole, quel qu’il fût, N’avait eu cuisine si grasse ;Sans que pour tout ce culte à sonhôte il échût

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Succession, trésor, gain au jeu,nulle grâce.Bien plus, si pour un sou d’orage enquelque endroit S’amassait d’une ou d’autresorte,L’homme en avait sa part, et sabourse en souffrait.La pitance du Dieu n’en était pasmoins forte.À la fin se fâchant de n’en obtenirrien,Il vous prend un levier, met enpièces l’Idole,Le trouve rempli d’or. Quand je t’aifait du bien,M’as-tu valu, dit-il, seulement une

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obole ?Va, sors de mon logis : cherched’autres autels. Tu ressembles aux naturels Malheureux, grossiers, etstupides :On n’en peut rien tirer qu’avecquele bâton.Plus je te remplissais, plus mesmains étaient vides : J’ai bien fait de changer de ton.

IX. Le Geai paré des plumesdu Paon.

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Un Paon muait ; un Geai prit sonplumage ;Puis après se l’accommoda ;Puis parmi d’autres Paons tout fierse panada, Croyant être un beau personnage.Quelqu’un le reconnut ; il se vitbafoué, Berné, sifflé, moqué, joué ;Et par Messieurs les Paons pluméd’étrange sorte :Même vers ses pareils s’étantréfugié Il fut par eux mis à la porte.Il est assez de Geais à deux piedscomme lui,

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Qui se parent souvent desdépouilles d’autrui : Et que l’on nomme plagiaires.Je m’en tais ; et ne veux leur causernul ennui ;Ce ne sont pas là mes affaires.

X. Le Chameau, et lesBâtons flottants.

Le premier qui vit un ChameauS’enfuit à cet objet nouveau ;Le second approcha ; le troisièmeosa faire Un licou pour le Dromadaire.

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L’accoutumance ainsi nous rend toutfamilier.Ce qui nous paraissait terrible etsingulier, S’apprivoise avec notre vue, Quand ce vient à la continue.Et puisque nous voici tombés sur cesujet : On avait mis des gens au guet,Qui voyant sur les eaux de loincertain objet, Ne purent s’empêcher de dire, Que c’était un puissant navire.Quelques moments après, l’objetdevint brûlot, Et puis nacelle, et puis ballot ; Enfin bâtons flottants sur l’onde.

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J’en sais beaucoup de par lemonde À qui ceci conviendrait bien :De loin c’est quelque chose, et deprès ce n’est rien.

XI. La Grenouille et le Rat.

Tel, comme dit Merlin, cuideengeigner autrui,Qui souvent s’engeigne soi-même.J’ai regret que ce mot soit tropvieux aujourd’hui,Il m’a toujours semblé d’uneénergie extrême.

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Mais afin d’en venir au dessein quej’ai pris :Un Rat plein d’en-bon-point, gras,et des mieux nourris,Et qui ne connaissait l’Avent ni leCarême,Sur le bord d’un marais égayait sesesprits.Une Grenouille approche, et lui diten sa langue :Venez me voir chez moi, je vousferai festin. Messire Rat promit soudain :Il n’était pas besoin de plus longueharangue.Elle allégua pourtant les délices dubain,

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La curiosité, le plaisir du voyage,Cent raretés à voir le long dumarécage :Un jour il conterait à ses petitsenfantsLes beautés de ces lieux, les mœursdes habitants,Et le gouvernement de la chosepublique Aquatique.Un point sans plus tenait le galantempêché.Il nageait quelque peu ; mais ilfallait de l’aide.La Grenouille à cela trouve un trèsbon remède.Le Rat fut à son pied par la patte

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attaché. Un brin de jonc en fit l’affaire.Dans le marais entrés, notre bonnecommèreS’efforce de tirer son hôte au fondde l’eau,Contre le droit des gens, contre lafoi jurée,Prétend qu’elle en fera gorgechaude et curée ;(C’était, à son avis, un excellentmorceau.)Déjà dans son esprit la galande lecroque.Il atteste les Dieux ; la perfide s’enmoque.Il résiste ; elle tire. En ce combat

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nouveau.Un Milan qui dans l’air planait,faisait la ronde,Voit d’en haut le pauvret sedébattant sur l’onde.Il fond dessus, l’enlève, et parmême moyen La Grenouille et le lien. Tout en fut ; tant et si bien Que de cette double proie L’Oiseau se donne au cœur joie ; Ayant de cette façon, À souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie Peut nuire à son inventeur : Et souvent la perfidie

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Retourne sur son auteur.

XII. Tribut envoyé par lesAnimaux à Alexandre.

Une Fable avait cours parmil’Antiquité : Et la raison ne m’en est pasconnue.Que le Lecteur en tire une moralité. Voici la Fable toute nue.

La Renommée ayant dit en centlieux,Qu’un fils de Jupiter, un certain

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Alexandre,Ne voulant rien laisser de libresous les Cieux, Commandait que sans plusattendre, Tout peuple à ses pieds s’allâtrendre ;Quadrupèdes, Humains, Éléphants,Vermisseaux, La République des Oiseaux : La Déesse aux cent bouches, dis-je, Ayant mis partout la terreurEn publiant l’Édit du nouvelEmpereur ; Les Animaux, et toute espèce ligeDe son seul appétit, crurent que

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cette fois Il fallait subir d’autres lois.On s’assemble au désert ; Tousquittent leur tanière.Après divers avis, on résout, onconclut D’envoyer hommage et tribut. Pour l’hommage et pour lamanière,Le Singe en fut chargé : l’on lui mitpar écrit Ce que l’on voulait qui fût dit. Le seul tribut les tint en peine.Car que donner ? il fallait del’argent. On en prit d’un Prince obligeant, Qui possédant dans son domaine

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Des mines d’or fournit ce qu’onvoulut.Comme il fut question de porter cetribut, Le Mulet et l’Âne s’offrirent,Assistés du Cheval ainsi que duChameau. Tous quatre en chemin ils semirent Avec le Singe Ambassadeurnouveau.La Caravane enfin rencontre en unpassageMonseigneur le Lion. Cela ne leurplut point. Nous nous rencontrons tout àpoint,

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Dit-il, et nous voici compagnons devoyage. J’allais offrir mon fait à part ;Mais bien qu’il soit léger, toutfardeau m’embarrasse. Obligez-moi de me faire la grâce Que d’en porter chacun un quart.Ce ne vous sera une charge tropgrande ;Et j’en serai plus libre, et bien plusen état,En cas que les Voleurs attaquentnotre bande, Et que l’on en vienne au combat.Éconduire un Lion rarement sepratique.Le voilà donc admis, soulagé, bien

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reçu,Et malgré le Héros de Jupiter issu,Faisant chère et vivant sur la boursepublique. Ils arrivèrent dans un préTout bordé de ruisseaux, de fleurstout diapré ; Où maint Mouton cherchait savie ; Séjour du frais, véritable patrieDes Zéphyrs. Le Lion n’y fut pas,qu’à ses gens Il se plaignit d’être malade. Continuez votre Ambassade,Dit-il ; je sens un feu qui me brûleau dedans,Et veux chercher ici quelque herbe

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salutaire. Pour vous ne perdez point detemps.Rendez-moi mon argent, j’en puisavoir affaire.On déballe ; et d’abord le Lions’écria D’un ton qui témoignait sa joie :Que de filles, ô Dieux, mes piècesde monnaieOnt produites ! voyez ; La plupartsont déjà Aussi grandes que leurs mères.Le croît m’en appartient. Il prit toutlà-dessus ;Ou bien s’il ne prit tout, il n’endemeura guère.

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Le Singe et les sommiers confus,Sans oser répliquer en chemin seremirent.Au fils de Jupiter on dit qu’ils seplaignirent, Et n’en eurent point de raison.Qu’eût-il fait ? c’eût été Lioncontre Lion ;Et le Proverbe dit : Corsaires àCorsaires,L’un l’autre s’attaquant ne font pasleurs affaires.

XIII. Le Cheval s’étantvoulu venger du Cerf.

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De tout temps les Chevaux ne sontnés pour les hommes.lorsque le genre humain de gland secontentait,Âne, Cheval, et Mule aux forêtshabitait ;Et l’on ne voyait point, comme ausiècle où nous sommes, Tant de selles et tant de bâts, Tant de harnais pour les combats, Tant de chaises, tant decarrosses ; Comme aussi ne voyait-on pas Tant de festins et tant de noces. Or un Cheval eut alors différend

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Avec un Cerf plein de vitesse, Et ne pouvant l’attraper encourant,Il eut recours à l’Homme, implorason adresse.L’homme lui mit un frein, lui sautasur le dos, Ne lui donna point de reposQue le Cerf ne fût pris, et n’ylaissât la vie. Et cela fait, le Cheval remercieL’Homme son bienfaiteur, disant :Je suis à vous,Adieu. Je m’en retourne en monséjour sauvage.Non pas cela, dit l’Homme, il faitmeilleur chez nous :

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Je vois trop quel est votre usage.Demeurez donc, vous serez bientraité, Et jusqu’au ventre en la litière.

Hélas ! que sert la bonne chère Quand on n’a pas la liberté ?Le Cheval s’aperçut qu’il avait faitfolie ;Mais il n’était plus temps ; déjà sonécurie Était prête et toute bâtie. Il y mourut en traînant son lien ;Sage s’il eût remis une légèreoffense.Quel que soit le plaisir que cause lavengeance,

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C’est l’acheter trop cher, quel’acheter d’un bien, Sans qui les autres ne sont rien.

XIV. Le Renard et le Buste.

Les Grands, pour la plupart, sontmasques de théâtre.Leur apparence impose au vulgaireidolâtre.L’Âne n’en sait juger que par cequ’il en voit.Le Renard au contraire à fond lesexamine,Les tourne de tout sens ; et quand il

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s’aperçoit Que leur fait n’est que bonnemine,Il leur applique un mot qu’un Bustede Héros Lui fit dire fort à propos.C’était un Buste creux, et plus grandque nature.Le Renard en louant l’effort de laSculpture,Belle tête, dit-il, mais de cervellepoint.Combien de grands Seigneurs sontBustes en ce point ?

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XV. Le Loup, la Chèvre, et leChevreau.

La Bique allant remplir satraînante mamelle,Et paître l’herbe nouvelle, Ferma sa porte au loquet ; Non sans dire à son Biquet ; Gardez-vous sur votre vie D’ouvrir, que l’on ne vous die Pour enseigne et mot du guet, Foin du Loup et de sa race. Comme elle disait ces mots, Le Loup de fortune passe. Il les recueille à propos, Et les garde en sa mémoire.

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La Bique, comme on peut croire, N’avait pas vu le glouton.Dés qu’il la voit partie, il contrefaitson ton ; Et d’une voix papelardeIl demande qu’on ouvre, en disantFoin du Loup, Et croyant entrer tout d’un coup.Le Biquet soupçonneux par la fenteregarde.Montrez-moi patte blanche, ou jen’ouvrirai point,S’écria-t-il d’abord (patte blancheest un pointChez les Loups comme on saitrarement en usage.)Celui-ci fort surpris d’entendre ce

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langage,Comme il était venu s’en retournachez soi.Où serait le Biquet s’il eût ajoutéfoi Au mot du guet, que de fortune Notre Loup avait entendu ? Deux sûretés valent mieuxqu’une :Et le trop en cela ne fut jamaisperdu.

XVI. Le Loup, la Mère etl’Enfant.

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Le Loup me remet en mémoireUn de ses compagnons qui fut encormieux pris. Il y périt ; voici l’histoire.Un Villageois avait à l’écart sonlogis.Messer Loup attendait chape-chuteà la porte.Il avait vu sortir gibier de toutesorte ; Veaux de lait, Agneaux et Brebis,Régiments de Dindons, enfin bonneProvende.Le larron commençait pourtant à

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s’ennuyer. Il entend un enfant crier. La mère aussi-tôt le gourmande, Le menace, s’il ne se tait,De le donner au Loup. L’Animal setient prêt ;Remerciant les Dieux d’une telleaventure.Quand la mère apaisant sa chèregéniture,Lui dit : Ne criez point ; s’il vient,nous le tuerons.Qu’est ceci ? s’écria le mangeur deMoutons.Dire d’un, puis d’un autre ? Est-ceainsi que l’on traiteLes gens faits comme moi ? Me

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prend-on pour un sot ? Que quelque jour ce beau marmot Vienne au bois cueillir lanoisette.Comme il disait ces mots, on sortde la maison.Un chien de cour l’arrête. Épieux etfourches fières L’ajustent de toutes manières.Que veniez-vous chercher en celieu, lui dit-on ? Aussi-tôt il conta l’affaire. Merci de moi, lui dit la Mère,Tu mangeras mon fils ? L’ai-je fait àdessein Qu’il assouvisse un jour ta faim ? On assomma la pauvre bête.

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Un manant lui coupa le pied droit etla tête.Le Seigneur du Village à sa porteles mit ;Et ce dicton Picard à l’entour futécrit : Biaux chires leups n’écoutezmie Mère tenchent chen fieux quicrie.

XVII. Parole de Socrate.

Socrate un jour faisant bâtir,Chacun censurait son ouvrage.

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L’un trouvait les dedans, pour ne luipoint mentir, Indignes d’un tel personnage.L’autre blâmait la face ; et tousétaient d’avisQue les appartements en étaienttrop petits.Quelle maison pour lui ! L’on ytournait à peine. Plût au Ciel que de vrais amisTelle qu’elle est, dit-il, elle pût êtrepleine ! Le bon Socrate avait raisonDe trouver pour ceux-là trop grandesa maison.Chacun se dit ami ; mais fou qui s’yrepose ;

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Rien n’est plus commun que cenom, Rien n’est plus rare que la chose.

XVIII. Le Vieillard et sesenfants.

Toute puissance est faible, à moinsque d’être unie.Écoutez là-dessus l’Esclave dePhrygie.Si j’ajoute du mien à son invention,

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C’est pour peindre nos mœurs, etnon point par envie ;Je suis trop au-dessous de cetteambition.Phèdre enchérit souvent par unmotif de gloire ;Pour moi de tels pensers meseraient malséants.Mais venons à la Fable, ou plutôt àl’HistoireDe celui qui tâcha d’unir tous sesenfants.

Un Vieillard prêt d’aller où la mortl’appelait,Mes chers enfants, dit-il, (à ses filsil parlait)

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Voyez si vous romprez ces dardsliés ensemble ;Je vous expliquerai le nœud qui lesassemble.L’aîné les ayant pris, et fait tous sesefforts,Les rendit en disant : Je le donneaux plus forts.Un second lui succède, et se met enposture ;Mais en vain. Un cadet tente aussil’aventure.Tous perdirent leur temps, lefaisceau résista ;De ces dards joints ensemble unseul ne s’éclata.Faibles gens ! dit le père, il faut que

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je vous montreCe que ma force peut en semblablerencontre.On crut qu’il se moquait ; on sourit,mais à tort.Il sépare les dards, et les romptsans effort.Vous voyez, reprit-il, l’effet de laconcorde.Soyez joints, mes enfants, quel’amour vous accorde.Tant que dura son mal il n’eut autrediscours.Enfin se sentant prêt de terminer sesjours,Mes chers enfants, dit-il, je vais oùsont nos pères ;

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Adieu, promettez-moi de vivrecomme frères ;Que j’obtienne de vous cette grâceen mourant.Chacun de ses trois fils l’en assureen pleurant.Il prend à tous les mains ; il meurt ;et les trois frèresTrouvent un bien fort grand, maisfort mêlé d’affaires.Un créancier saisit, un voisin faitprocès.D’abord notre Trio s’en tire avecsuccès.Leur amitié fut courte autant qu’elleétait rare.Le sang les avait joints, l’intérêt les

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sépare.L’ambition, l’envie, avec lesconsultants,Dans la succession entrent en mêmetemps.On en vient au partage, on conteste,on chicane.Le Juge sur cent points tour à tourles condamne.Créanciers et voisins reviennentaussitôt ;Ceux-là sur une erreur, ceux-ci surun défaut.Les frères désunis sont tous d’aviscontraire :L’un veut s’accommoder, l’autren’en veut rien faire.

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Tous perdirent leur bien ; etvoulurent trop tardProfiter de ces dards unis et pris àpart.

XIX. L’Oracle & l’Impie.Vouloir tromper le ciel, c'est folie àla Terre.Le dédale des coeurs en ses détoursn'enserreRien qui ne soit d'abord éclairé parles dieux: Tout ce que l'homme fait, il le fait àleurs yeux,

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Même les actions que dans l'ombreil croit faire.Un païen qui sentait quelque peu lefagot, Et qui croyait en Dieu, pour user dece mot, Par bénéfice d'inventaire, Alla consulter Apollon. Dès qu'il fut en sonsanctuaire: «Ce que je tiens, dit-il, est-il en vieou non?» Il tenait un moineau, dit-on, Prêt d'étouffer la pauvrebête, Ou de la lâcher aussitôt, Pour mettre Apollon en

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défaut. Apollon reconnut ce qu'il avait entête : Mort ou vif, lui dit-il, montre-nouston moineau Et ne me tends plus depanneau ; Tu te trouverais mal d'un pareilstratagème. Je vois de loin, j'atteins demême

XX. L’Avare qui a perdu sontrésor.

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L’usage seulement fait lapossession.Je demande à ces gens, de qui lapassionEst d’entasser toujours, mettresomme sur somme,Quel avantage ils ont que n’ait pasun autre homme ?Diogène là-bas est aussi richequ’eux ;Et l’Avare ici haut, comme lui viten gueux.L’homme au trésor caché qu’Ésopenous propose, Servira d’exemple à la chose. Ce malheureux attendait

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Pour jouir de son bien une secondevie ;Ne possédait pas l’or, mais l’or lepossédait.Il avait dans la terre une sommeenfouie ; Son cœur avec ; n’ayant autredéduit Que d’y ruminer jour et nuit,Et rendre sa chevance à lui-mêmesacrée.Qu’il allât ou qu’il vînt, qu’il bûtou qu’il mangeât,On l’eût pris de bien court à moinsqu’il ne songeâtÀ l’endroit où gisait cette sommeenterrée.

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Il y fit tant de tours qu’un Fossoyeurle vit ;Se douta du dépôt, l’enleva sansrien dire.Notre Avare un beau jour ne trouvaque le nid.Voilà mon homme aux pleurs ; ilgémit, il soupire, Il se tourmente, il se déchire.Un passant lui demande à quel sujetses cris. C’est mon trésor que l’on m’apris.Votre trésor ? où pris ? Toutjoignant cette pierre. Eh sommes-nous en temps deguerre

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Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux faitDe le laisser chez vous en votrecabinet, Que de le changer de demeure ?Vous auriez pu sans peine y puiser àtoute heure.À toute heure ? bons Dieux ! netient-il qu’à cela ? L’argent vient-il comme il s’enva ?Je n’y touchais jamais. Dites-moidonc de grâce,Reprit l’autre, pourquoi vous vousaffligez tant,Puisque vous ne touchiez jamais àcet argent :

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Mettez une pierre à la place, Elle vous vaudra tout autant.

XXI. L’œil du Maître.

Un Cerf s’étant sauvé dans uneétable à bœufs,Fut d’abord averti par eux, Qu’il cherchât un meilleur asile.Mes frères, leur dit-il, ne medécelez pas :Je vous enseignerai les pâtis lesplus gras ;Ce service vous peut quelque jourêtre utile ;

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Et vous n’en aurez point regret.Les Bœufs à toutes fins promirent lesecret.Il se cache en un coin, respire, etprend courage.Sur le soir on apporte herbe fraîcheet fourrage, Comme l’on faisait tous lesjours.L’on va, l’on vient, les valets fontcent tours ;L’Intendant même, et pas und’aventure N’aperçut ni corps ni ramure, Ni Cerf enfin. L’habitant des forêtsRend déjà grâce aux Bœufs, attenddans cette étable

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Que chacun retournant au travail deCérès,Il trouve pour sortir un momentfavorable.L’un des Bœufs ruminant lui dit :Cela va bien :Mais quoi l’homme aux cent yeuxn’a pas fait sa revue. Je crains fort pour toi sa venue.Jusque-là pauvre Cerf, ne te vantede rien.Là-dessus le Maître entre et vientfaire sa ronde. Qu’est-ceci ? dit-il à son monde.Je trouve bien peu d’herbe en tousces râteliers.Cette litière est vieille ; allez vite

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aux greniers.Je veux voir désormais vos bêtesmieux soignées.Que coûte-t-il d’ôter toutes cesaraignées ?Ne saurait-on ranger ces jougs etces colliers ?En regardant à tout, il voit une autretêteQue celles qu’il voyait d’ordinaireen ce lieu.Le Cerf est reconnu ; chacun prendun épieu ; Chacun donne un coup à la bête.Ses larmes ne sauraient la sauverdu trépas.On l’emporte, on la sale, on en fait

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maint repas, Dont maint voisin s’éjoüit d’être.Phèdre, sur ce sujet, dit fortélégamment, Il n’est pour voir que l’œil duMaître.Quant à moi, j’y mettrais encorl’œil de l’Amant.

XXII. L’Alouette et sespetits, avec le Maître d’unchamp.

Ne t’attends qu’à toi seul, c’est un

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commun Proverbe.Voici comme Ésope le mit En crédit.

Les Aloüettes font leur nid Dans les blés quand ils sont enherbe : C’est-à-dire environ le tempsQue tout aime, et que tout pulluledans le monde ; Monstres marins au fond del’onde,Tigres dans les Forêts, Aloüettesaux champs. Une pourtant de ces dernièresAvait laissé passer la moitié d’unPrintemps

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Sans goûter le plaisir des amoursprintanières.À toute force enfin elle se résolutD’imiter la Nature, et d’être mèreencore.Elle bâtit un nid, pond, couve, etfait écloreÀ la hâte ; le tout alla du mieuxqu’il put.Les blés d’alentour mûrs, avant quela nitée Se trouvât assez forte encor Pour voler et prendre l’essor,De mille soins divers l’AlouetteagitéeS’en va chercher pâture, avertit sesenfants

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D’être toujours au guet et fairesentinelle. Si le possesseur de ces champsVient avecque son fils (comme ilviendra) dit-elle,Écoutez bien ; selon ce qu’il dira, Chacun de nous décampera.Ssitôt que l’Alouette eut quitté safamille,Le possesseur du champ vientavecque son fils.Ces blés sont mûrs, dit-il, allezchez nos amisLes prier que chacun apportant safaucille,Nous vienne aider demain dès lapointe du jour.

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Notre Alouette de retour Trouve en alarme sa couvée.L’un commence. Il a dit quel’Aurore levée,L’on fît venir demain ses amis pourl’aider.S’il n’a dit que cela, repartitl’Alouette,Rien ne nous presse encor dechanger de retraite :Mais c’est demain qu’il faut tout debon écouter.Cependant soyez gais, voilà de quoimanger.Eux repus, tout s’endort ; les petitset la mère.L’aube du jour arrive ; et d’amis

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point du tout.L’Alouette à l’essor, le Maître s’envient faire Sa ronde ainsi qu’à l’ordinaire.Ces blés ne devraient pas, dit-il,être debout.Nos amis ont grand tort, et tort quise reposeSur de tels paresseux à servir ainsilents. Mon fils, allez chez nos parents Les prier de la même chose.L’épouvante est au nid plus forteque jamais.Il a dit ses parents, mère, c’est àcette heure.... Non, mes enfants, dormez en

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paix ; Ne bougeons de notre demeure.L’Alouette eut raison, car personnene vint.Pour la troisième fois le Maître sesouvintDe visiter ses blés. Notre erreur estextrême,Dit-il, de nous attendre à d’autresgens que nous.Il n’est meilleur ami ni parent quesoi-même.Retenez bien cela, mon fils, etsavez-vousCe qu’il faut faire ? Il faut qu’avecnotre familleNous prenions dès demain chacun

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une faucille ;C’est là notre plus court ; et nousachèverons Notre moisson quand nouspourrons.Dés-lorsque ce dessein fut su del’Alouette,C’est ce coup qu’il est bon departir, mes enfants. Et les petits en même temps, Voletants, se culbutant, Délogèrent tous sans trompette.

LIVRE

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CINQUIÈME.

FABLE I. Le Bûcheron etMercure.

A.M.L.C.D.B. Votre goût a servi de règle à monOuvrage.J’ai tenté les moyens d’acquérir sonsuffrage.

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Vous voulez qu’on évite un sointrop curieux,

Et des vains ornements l’effortambitieux.Je le veux comme vous ; cet effortne peut plaire.Un Auteur gâte tout quand il veuttrop bien faire.Non qu’il faille bannir certainstraits délicats :Vous les aimez ces traits, et je neles hais pas.Quant au principal but qu’Ésope sepropose, J’y tombe au moins mal que je

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puis.Enfin si dans ces Vers je ne plais etn’instruis,Il ne tient pas à moi, c’est toujoursquelque chose. Comme la force est un point Dont je ne me pique point, Je tâche d’y tourner le vice enridicule,Ne pouvant l’attaquer avec des brasd’Hercule.C’est là tout mon talent ; je ne saiss’il suffit. Tantôt je peins en un récitLa sotte vanité jointe avecquel’envie,Deux pivots sur qui roule

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aujourd’hui notre vie. Tel est ce chétif animalQui voulut en grosseur au Bœuf serendre égal.J’oppose quelquefois, par unedouble image,Le vice à la vertu, la sottise au bonsens ; Les Agneaux aux Loupsravissants,La Mouche à la Fourmi ; faisant decet ouvrageUne ample Comédie à cent actesdivers, Et dont la scène est l’Univers. Hommes, Dieux, Animaux, tout yfait quelque rôle ;

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Jupiter comme un autre :introduisons celuiQui porte de sa part aux Belles laparole :Ce n’est pas de cela qu’il s’agitaujourd’hui.

Un Bûcheron perdit son gagne-pain ;C’est sa cognée ; et la cherchant envain,Ce fut pitié là-dessus de l’entendre.Il n’avait pas des outils à revendre.Sur celui-ci roulait tout son avoir.Ne sachant donc où mettre sonespoir,

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Sa face était de pleurs toutebaignée.Ô ma cognée, ô ma pauvre cognée !S’écriait-il, Jupiter rends-la moi :Je tiendrai l’être encore un coup detoi. Sa plainte fut de l’Olympeentendue.Mercure vient. Elle n’est pasperdue,Lui dit ce Dieu, la connaîtras-tubien ?Je crois l’avoir près d’icirencontrée.Lors une d’or à l’homme étantmontrée,Il répondit : Je n’y demande rien.

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Une d’argent succède à lapremière ;Il la refuse. Enfin une de bois.Voilà, dit-il, la mienne cette fois ;Je suis content, si j’ai cettedernière.Tu les auras, dit le Dieu, toutestrois.Ta bonne foi sera récompensée.En ce cas-là je les prendrai, dit-il.L’Histoire en est aussitôt dispersée.Et Boquillons de perdre leur outil,Et de crier pour se le faire rendre.Le Roi des Dieux ne sait auquelentendre.Son fils Mercure aux criards vientencor,

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A chacun d’eux il en montre uned’or.Chacun eût cru passer pour une bêteDe ne pas dire aussitôt, La voilà.Mercure, au lieu de donner celle-là,Leur en décharge un grand coup surla tête.

Ne point mentir, être content dusien,C’est le plus sûr : cependant ons’occupeÀ dire faux pour attraper du bien :Que sert cela ? Jupiter n’est pasdupe.

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II. Le pot de terre et le Potde fer.

Le Pot de fer proposaAu Pot de terre un voyage.Celui-ci s’en excusa ;Disant qu’il ferait que sageDe garder le coin du feu ;Car il lui fallait si peu,Si peu, que la moindre choseDe son débris serait cause.Il n’en reviendrait morceau.Pour vous, dit-il, dont la peauEst plus dure que la mienne,Je ne vois rien qui vous tienne.Nous vous mettrons à couvert,

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Repartit le Pot de fer.Si quelque matière dureVous menace d’aventure,Entre deux je passerai,Et du coup vous sauverai.Cette offre le persuade.Pot de fer son camaradeSe met droit à ses côtés.Mes gens s’en vont à trois piedsClopin clopant comme ils peuvent,L’un contre l’autre jetés,Au moindre hoquet qu’ils treuvent.

Le pot de terre en souffre : il n’eutpas fait cent pasQue par son compagnon il fut misen éclats,

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Sans qu’il eût lieu de se plaindre.Ne nous associons qu’avecque noségaux ;Ou bien il nous faudra craindreLe destin d’un de ces pots.

III. Le petit Poisson et lePêcheur Petit poisson deviendra grand,Pourvu que Dieu lui preste vie.Mais le lâcher en attendant,Je tiens pour moi que c’est folie ;Car de le rattraper il n’est pas tropcertain.

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Un Carpeau qui n’était encore quefretin,Fut pris par un Pêcheur au bordd’une rivière.Tout fait nombre, dit l’homme envoyant son butin ;Voilà commencement de chère et defestin :Mettons-le en notre gibecière.Le pauvre Carpillon lui dit en samanière :Que ferez-vous de moi ? je nesaurais fournirAu plus qu’une demi bouchée,Laissez-moi Carpe devenir :Je serai par vous repêchée.

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Quelque gros Partisan m’achèterabien cher,Au lieu qu’il vous en faut chercherPeut-être encor cent de ma taillePour faire un plat. Quel plat ?croyez-moi ; rien qui vaille.Rien qui vaille ? eh bien soit,repartit le Pêcheur ;Poisson mon bel ami, qui faites lePrêcheur,Vous irez dans la poêle ; et vousavez beau dire,Dès ce soir on vous fera frire.

Un tien vaut, ce dit-on, mieux quedeux tu l’auras :L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

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I V. Les Oreilles du Lièvre. Un animal cornu blessa de quelquescoupsLe Lion, qui plein de courroux,Pour ne plus tomber en la peine,Bannit des lieux de son domaineToute bête portant des cornes à sonfront.Chèvres, Béliers, Taureaux aussitôtdélogèrent,Daims, et Cerfs de climatchangèrent ;Chacun à s’en aller fut prompt.

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Un Lièvre apercevant l’ombre deses oreilles,Craignit que quelque InquisiteurN’allât interpréter à cornes leurlongueur :Ne les soutînt en tout à des cornespareilles.Adieu voisin Grillon, dit-il, je parsd’ici ;Mes oreilles enfin seraient cornesaussi ;Et quand je les aurais plus courtesqu’une Autruche,Je craindrais même encor. LeGrillon repartit :Cornes cela ? vous me prenez pourcruche ;

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Ce sont oreilles que Dieu fit.On les fera passer pour cornes,Dit l’animal craintif, et cornes deLicornes.J’aurai beau protester ; mon dire etmes raisonsIront aux petites Maisons.

V. Le Renard ayant la queuecoupée.Un vieux Renard, mais des plus finsGrand croqueur de Poulets, grandpreneur de Lapins ;

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Sentant son Renard d’une lieue,Fut enfin au piège attrapé.Par grand hasard en étant échappé,Non pas franc, car pour gage il ylaissa sa queue :S’étant, dis-je, sauvé sans queue, ettout honteux ;Pour avoir des pareils, (comme ilétait habile)Un jour que les Renards tenaientconseil entre eux :Que faisons-nous, dit-il, de cepoids inutile,Et qui va balayant tous les sentiersfangeux ?Que nous sert cette queue ? Il fautqu’on se la coupe.

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Si l’on me croit, chacun s’yrésoudra.Votre avis est fort bon, ditquelqu’un de la troupe ;Mais tournez-vous, de grâce, et l’onvous répondra.À ces mots il se fit une telle huée,Que le pauvre écourté ne put êtreentendu.Prétendre ôter la queue eût ététemps perdu ;La mode en fut continuée.

VI. La Vieille et les deuxServantes.

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Il était une Vieille ayant deuxChambrières.Elles filaient si bien, que les sœursfilandièresNe faisaient que brouiller au prixde celles-ci.La Vieille n’avait point de pluspressant souciQue de distribuer aux Servantesleur tâcheDès que Thétis chassait Phœbus auxcrins dorés,Tourets entraient en jeu, fuseauxétaient tirés,Deçà, delà, vous en aurez ;Point de cesse, point de relâche.

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Dès que l’Aurore, dis-je, en sonchar remontait ;Un misérable Coq à point nomméchantait.Aussitôt notre Vieille encor plusmisérableS’affublait d’un jupon crasseux etdétestable ;Allumait une lampe, et courait droitau litOù de tout leur pouvoir, de tout leurappétit,Dormaient les deux pauvresServantes.L’une entr’ouvrait un œil, l’autreétendait un bras ;Et toutes deux très-mal contentes,

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Disaient entre leurs dents, MauditCoq, tu mourras.Comme elles l’avaient dit, la bêtefut grippée ;Le Réveille-matin eut la gorgecoupée.Ce meurtre n’amenda nullement leurmarché.Notre couple au contraire à peineétait couché,Que la Vieille craignant de laisserpasser l’heure,Courait comme un Lutin par toute sademeure.C’est ainsi que le plus souvent,Quand on pense sortir d’unemauvaise affaire,

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On s’enfonce encor plus avant :Témoin ce Couple et son salaire.La Vieille, au lieu du Coq, les fittomber par làDe Charybde en Scylla.

VII. Le Satyre et le Passant.

Au fond d’un antre sauvage,Un Satyre et ses enfants,Allaient manger leur potageEt prendre l’écuelle aux dents.

On les eût vus sur la mousse

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Lui, sa femme, et maint petit ;Ils n’avaient tapis ni housse,Mais tous fort bon appétit.

Pour se sauver de la pluieEntre un Passant morfondu.Au brouet on le convie ;Il n’était pas attendu.

Son hôte n’eut pas la peineDe le semondre deux fois ;D’abord avec son haleineIl se réchauffe les doigts.

Puis sur le mets qu’on lui donneDélicat il souffle aussi ;Le Satyre s’en étonne :

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Notre hôte, à quoi bon ceci ?

L’un refroidit mon potage ;L’autre réchauffe ma main.Vous pouvez, dit le Sauvage,Reprendre votre chemin.

Ne plaise aux Dieux que je coucheAvec vous sous même toit.Arrière ceux dont la boucheSouffle le chaud et le froid.

VIII. Le Cheval et le Loup.

Un certain Loup, dans la saison

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Que les tièdes Zéphyrs ont l’herberajeunie,Et que les animaux quittent tous lamaison, Pour s’en aller chercher leur vie.Un Loup, dis-je, au sortir desrigueurs de l’Hiver,Aperçut un Cheval qu’on avait misau vert. Je laisse à penser quelle joie.Bonne chasse, dit-il, qui l’aurait àson croc.Eh ! que n’es-tu Mouton ? car tu meserais hoc :Au lieu qu’il faut ruser pour avoircette proie.Rusons donc. Ainsi dit, il vient à

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pas comptés, Se dit Écolier d’Hippocrate ;Qu’il connaît les vertus et lespropriétés De tous les Simples de ces prés : Qu’il sait guérir, sans qu’il seflatte,Toutes sortes de maux. Si DomCoursier voulait Ne point celer sa maladie, Lui Loup gratis le guérirait. Car le voir en cette prairie Paître ainsi sans être lié,Témoignait quelque mal, selon laMédecine. J’ai, dit la Bête chevaline, Une apostume sous le pied.

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Mon fils, dit le Docteur, il n’estpoint de partie Susceptible de tant de maux.J’ai l’honneur de servirNosseigneurs les Chevaux, Et fais aussi la Chirurgie.Mon galant ne songeait qu’à bienprendre son temps, Afin de happer son malade.L’autre qui s’en doutait, lui lâcheune ruade, Qui vous lui met en marmelade Les mandibules et les dents.C’est bien fait, dit le Loup en soi-même fort triste ;Chacun à son métier doit toujourss’attacher.

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Tu veux faire ici l’Arboriste, Et ne fus jamais que Boucher.

IX. Le Laboureur et sesenfants.

Travaillez, prenez de la peine.C’est le fonds qui manque le moins.Un riche Laboureur sentant sa mortprochaine,Fit venir ses enfants, leur parla sanstémoins.Gardez-vous, leur dit-il, de vendrel’héritage

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Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans.Je ne sais pas l’endroit ; mais unpeu de courageVous le fera trouver, vous enviendrez à bout.Remuez votre champ dès qu’on aurafait l’Août.Creusez, fouillez, bêchez, ne laisseznulle place Où la main ne passe et repasse.Le père mort, les fils vousretournent le champDeçà, delà, partout ; si bien qu’aubout de l’an Il en rapporta davantage.D’argent, point de caché. Mais le

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père fut sage De leur montrer avant sa mort, Que le travail est un trésor.

X. La Montagne quiaccouche.

Une Montagne en mal d’enfant, Jetait une clameur si haute,Que chacun au bruit accourant,Crut qu’elle accoucherait, sansfaute, D’une Cité plus grosse queParis : Elle accoucha d’une Souris.

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Quand je songe à cette Fable, Dont le récit est menteur, Et le sens est véritable, Je me figure un Auteur, Qui dit : Je chanterai la guerreQue firent les Titans au Maître dutonnerre.C’est promettre beaucoup ; maisqu’en sort-il souvent ? Du vent.

XI. La Fortune et le jeuneEnfant.

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Sur le bord d’un puits très-profond, Dormait étendu de son long Un Enfant alors dans ses classes.Tout est aux Écoliers couchette etmatelas.Un honnête homme en pareil casAurait fait un saut de vingt brasses.Près de là tout heureusementLa Fortune passa, l’éveilladoucement,Lui disant, Mon mignon, je voussauve la vie.Soyez une autre fois plus sage, jevous prie.Si vous fussiez tombé, l’on s’en fûtpris à moi :

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Cependant c’était votre faute. Je vous demande en bonne foi Si cette imprudence si hauteProvient de mon caprice ? Elle partà ces mots. Pour moi j’approuve son propos. Il n’arrive rien dans le monde Qu’il ne faille qu’elle en réponde. Nous la faisons de tous Échos.Elle est prise à garant de toutesaventures.Est-on sot, étourdi, prend-on malses mesures ;On pense en être quitte en accusantson sort. Bref la Fortune a toujours tort.

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XII. Les Médecins.

Le Médecin Tant-pis allait voir unmalade,Que visitait aussi son confrère Tant-mieux ;Ce dernier espérait, quoique soncamaradeSoutînt que le gisant irait voir sesaïeux.Tous deux s’étant trouvés différentspour la cure,Leur malade paya le tribut àNature ;Après qu’en ses conseils Tant-piseût été cru.Ils triomphaient encor sur cette

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maladie.L’un disait, Il est mort, je l’avaisbien prévu.S’il m’eût cru, disait l’autre, ilserait plein de vie.

XIII. La Poule aux œufsd’or.

L’Avarice perd tout en voulant toutgagner.Je ne veux, pour le témoigner,Que celui dont la Poule, à ce quedit la Fable,

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Pondait tous les jours un œuf d’or.Il crut que dans son corps elle avaitun trésor.Il la tua, l’ouvrit, et la trouvasemblableÀ celle dont les œufs ne luirapportaient rien,S’étant lui-même ôté le plus beaude son bien. Belle leçon pour les genschiches :Pendant ces derniers tempscombien en a-t-on vusQui du soir au matin sont pauvresdevenusPour vouloir trop tôt être riches ?

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XIV. L’Âne portant desReliques

Un Baudet, chargé de Reliques, S’imagina qu’on l’adorait. Dans ce penser il se carrait,Recevant comme siens l’Encens etles Cantiques. Quelqu’un vit l’erreur, et lui dit :Maître Baudet, ôtez-vous del’esprit Une vanité si folle : Ce n’est pas vous, c’est l’Idole À qui cet honneur se rend, Et que la gloire en est due. D’un Magistrat ignorant

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C’est la Robe qu’on salue.

XV. Le Cerf et la Vigne.

Un Cerf à la faveur d’une Vigne forthaute,Et telle qu’on en voit en de certainsclimats,S’étant mis à couvert, et sauvé dutrépas ;Les Veneurs pour ce coup croyaientleurs chiens en faute.Ils les rappellent donc. Le Cerf horsde danger

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Broute sa bienfaitrice, ingratitudeextrême !On l’entend, on retourne, on le faitdéloger,Il vient mourir en ce lieu même.J’ai mérité, dit-il, ce justechâtiment :Profitez-en, ingrats. Il tombe en cemoment.La Meute en fait curée. Il lui futinutileDe pleurer aux Veneurs à sa mortarrivés.Vraie image de ceux qui profanentl’asile Qui les a conservés.

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XVI. Le Serpent et la Lime.

On conte qu’un serpent voisin d’unHorloger,(C’ était pour l’Horloger unmauvais voisinage)Entra dans sa boutique, et cherchantà manger N’y rencontra pour tout potageQu’une Lime d’acier qu’il se mit àronger.Cette Lime lui dit, sans se mettre encolère,Pauvre ignorant ! et que prétends-tufaire ? Tu te prends à plus dur que toi,

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Petit Serpent à tête folle, Plutôt que d’emporter de moi Seulement le quart d’une obole, Tu te romprais toutes les dents. Je ne crains que celles dutemps.

Ceci s’adresse à vous, esprits dudernier ordre,Qui n’étant bons à rien cherchez surtout à mordre, Vous vous tourmentezvainement.Croyez-vous que vos dentsimpriment leurs outrages Sur tant de beaux ouvrages ?Ils sont pour vous d’airain, d’acier,

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de diamant.

XVII. Le Lièvre et laPerdrix.Il ne se faut jamais moquer desmisérables :Car qui peut s’assurer d’êtretoujours heureux ?Le sage Ésope dans ses FablesNous en donne un exemple ou deux.Celui qu’en ces Vers je propose,Et les siens, ce sont même chose.Le Lièvre et la Perdrix concitoyensd’un champ,Vivaient dans un état ce semble

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assez tranquille :Quand une Meute s’approchantOblige le premier à chercher unasile.Il s’enfuit dans son fort, met leschiens en défaut ;Sans même en excepter Briffaut.Enfin il se trahit lui-mêmePar les esprits sortants de son corpséchauffé.Miraut sur leur odeur ayantphilosophé,Conclut que c’est son Lièvre ; etd’une ardeur extrêmeIl le pousse ; et Rustaut qui n’ajamais menti,Dit que le Lièvre est reparti.

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Le pauvre malheureux vient mourirà son gîte.La Perdrix le raille, et lui dit :Tu te vantais d’être si vite :Qu’as-tu fait de tes pieds ? Aumoment qu’elle rit,Son tour vient, on la trouve. Ellecroit que ses ailesLa sauront garantir à touteextrémité :Mais la pauvrette avait comptéSans l’Autour aux serres cruelles.

XVIII. L’Aigle et le Hibou.

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L’Aigle et le Chat-huant leursquerelles cessèrent ;Et firent tant qu’ils s’embrassèrent.L’un jura foi de Roi, l’autre foi deHibou,Qu’ils ne se goberaient leurs petitspeu ni prou.Connaissez-vous les miens ? ditl’Oiseau de Minerve. Non, dit l’Aigle. Tant pis, reprit letriste Oiseau.Je crains en ce cas pour leur peau :C’est hasard si je les conserve.Comme vous êtes Roi, vous neconsidérez

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Qui ni quoi : Rois et Dieux mettent,quoi qu’on leur die,Tout en même catégorie.Adieu mes nourrissons si vous lesrencontrez. Peignez-les moi, dit l’Aigle, oubien me les montrez.Je n’y toucherai de ma vie.Le Hibou repartit : Mes petits sontmignons,Beaux, bien faits, et jolis sur tousleurs compagnons.Vous les reconnaîtrez sans peine àcette marque.N’allez pas l’oublier ; retenez-la sibienQue chez moi la maudite Parque

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N’entre point par votre moyen.Il advint qu’au Hibou Dieu donnagéniture,De façon qu’un beau soir qu’il étaiten pâture,Notre Aigle aperçut d’aventure,Dans les coins d’une roche dure,Ou dans les trous d’une masure(Je ne sais pas lequel des deux),De petits monstres fort hideux,Rechignés, un air triste, une voix deMégère.Ces enfants ne sont pas, dit l’Aigle,à notre ami :Croquons-les. Le galant n’en fit pasà demi.Ses repas ne sont point repas à la

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légère.Le Hibou de retour ne trouve queles piedsDe ses chers nourrissons, hélas !pour toute chose.Il se plaint, et les Dieux sont par luisuppliésDe punir le brigand qui de son deuilest cause.Quelqu’un lui dit alors : N’enaccuse que toi,Ou plutôt la commune loi,Qui veut qu’on trouve sonsemblableBeau, bien fait, et sur tous aimable.Tu fis de tes enfants à l’Aigle ceportrait,

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En avaient-ils le moindre trait ?

XIX. Le Lion s’en allant enguerre.Le Lion dans sa tête avait uneentreprise.Il tint conseil de guerre, envoya sesPrévôts,Fit avertir les animaux :Tous furent du dessein ; chacunselon sa guise.L’Éléphant devait sur son dosPorter l’attirail nécessaire,Et combattre à son ordinaire :L’Ours s’apprêter pour les assauts :

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Le Renard ménager de secrètespratiques :Et le Singe amuser l’ennemi par sestours.Renvoyez, dit quelqu’un, les Ânesqui sont lourds ;Et les Lièvres sujets à des terreurspaniques.Point du tout, dit le Roi, je les veuxemployer.Notre troupe sans eux ne serait pascomplète.L’Âne effraiera les gens nousservant de trompette ;Et le Lièvre pourra nous servir decourrier.

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Le Monarque prudent et sageDe ses moindres sujets sait tirerquelque usage,Et connaît les divers talents :Il n’est rien d’inutile aux personnesde sens.

XX. L’Ours et les deuxCompagnons

Deux compagnons, pressésd’argent, À leur voisin Fourreur vendirent

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La peau d’un Ours encor vivant ; Mais qu’ils tueraient bien-tôt ; dumoins à ce qu’ils dirent. C’était le Roi des Ours au comptede ces gens. Le Marchand à sa peau devaitfaire fortune. Elle garantirait des froids les pluscuisants. On en pourrait fourrer plutôt deuxrobes qu’une. Dindenaut prisait moins sesMoutons qu’eux leur Ours. Leur, à leur compte, et non à celuide la Bête. S’offrant de la livrer au plus tarddans deux jours,

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Ils conviennent de prix, et semettent en quête, Trouvent l’Ours qui s’avance, etvient vers eux au trot. Voilà mes gens frappés commed’un coup de foudre.Le marché ne tint pas ; il fallut lerésoudre : D’intérêts contre l’Ours, on n’endit pas un mot. L’un des deux Compagnons grimpeau faîte d’un arbre ; L’autre, plus froid que n’est unmarbre, Se couche sur le nez, fait le mort,tient son vent ; Ayant quelque part ouï dire

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Que l’Ours s’acharne peusouvent Sur un corps qui ne vit, ne meut nine respire. Seigneur Ours, comme un sot,donna dans ce panneau. Il voit ce corps gisant, le croitprivé de vie, Et, de peur de supercherieLe tourne, le retourne, approche sonmuseau, Flaire aux passages de l’haleine. C’est, dit-il, un cadavre ; Ôtons-nous, car il sent. À ces mots, l’Ours s’en va dans laforêt prochaine. L’un de nos deux Marchands de

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son arbre descend, Court à son compagnon ; lui ditque c’est merveille, Qu’il n’ait eu seulement que lapeur pour tout mal. Et bien, ajouta-t-il, la peau del’animal ? Mais que t’a-t-il dit à l’oreille ? Car il s’approchait de bien prés, Te retournant avec sa serre. Il m’a dit qu’il ne faut jamais Vendre la peau de l’Ours qu’on nel’ait mis par terre.

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XXI. L’Âne vêtu de la peaudu Lion.

De la peau du Lion l’Âne s’étantvêtu,Était craint par tout à la ronde ;Et bien qu’animal sans vertu,Il faisait trembler tout le monde.Un petit bout d’oreille échappé parmalheur,Découvrit la fourbe et l’erreur.Martin fit alors son office.Ceux qui ne savaient pas la ruse etla malice,S’étonnaient de voir que MartinChassât les Lions au moulin.

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Force gens font du bruit en France,Par qui cet Apologue est rendufamilier.Un équipage cavalierFait les trois quarts de leurvaillance.

LIVRE SIXIÈME.

FABLE I. Le Pâtre et leLion.

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Les Fables ne sont pas ce qu’ellessemblent être ;Le plus simple animal nous y tientlieu de Maître.Une Morale nue apporte del’ennui :Le conte fait passer le précepteavec lui.En ces sortes de feinte il fautinstruire et plaire ;Et conter pour conter me semblepeu d’affaire.C’est par cette raison qu’égayantleur esprit,Nombre de gens fameux en ce genreont écrit.

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Tous ont fui l’ornement et le tropd’étendue ;On ne voit point chez eux de paroleperdue.Phèdre était si succint, qu’aucunsl’en ont blâmé.Ésope en moins de mots s’estencore exprimé.Mais sur tous certain Grec rencheritet se piqueD’une élegance Laconique.Il renferme toujours son conte enquatre Vers ;Bien ou mal, je le laisse à juger auxExperts.Voyons-le avec Ésope en un sujetsemblable.

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L’un amène un Chasseur, l’autre unPâtre, en sa Fable.J’ai suivi leur projet quant àl’événement,Y cousant en chemin quelque traitseulement.Voici comme, à peu près Ésope leraconte.

II. Le Lion et le Chasseur.

Un Pâtre, à ses Brebis trouvantquelque méconte,Voulut à toute force attraper le

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Larron.Il s’en va près d’un antre, et tend àl’environDes lacs à prendre Loups,soupçonnant cette engeance.Avant que partir de ces lieux,Si tu fais, disait-il, ô Monarque desDieux,Que le drôle à ces lacs se prenne enma présence,Et que je goûte ce plaisir,Parmi vingt Veaux je veux choisirLe plus gras, et t’en faire offrande.À ces mots sort de l’antre un Liongrand et fort.Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort,Que l’homme ne sait guère, hélas !

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ce qu’il demande !Pour trouver le Larron qui détruitmon troupeau,Et le voir en ces lacs pris avant queje parte,Ô Monarque des Dieux, je t’aipromis un Veau ;Je te promets un Bœuf si tu faisqu’il s’écarte.C’est ainsi que l’a dit le principalAuteur :Passons à son imitateur.

Un Fanfaron, amateur de la chasse,Venant de perdre un Chien de bonnerace,Qu’il soupçonnait dans le corps

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d’un Lion,Vit un Berger : Enseigne-moi, degrâce,De mon voleur, lui dit-il, la maison,Que de ce pas, je me fasse raison.Le Berger dit : C’est vers cettemontagne.En lui payant de tribut un MoutonPar chaque mois, j’erre dans lacampagneComme il me plaît, et je suis enrepos.Dans le moment qu’ils tenaient cespropos,Le Lion sort, et vient d’un pas agile.Le Fanfaron aussitôt d’esquiver :Ô Jupiter ! montre-moi quelque

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asile,S’écria-t-il, qui me puisse sauver.

La vraie épreuve de courageN’est que dans le danger que l’ontouche du doigt.Tel le cherchait, dit-il, qui,changeant de langage,S’enfuit aussitôt qu’il le voit.

III. Phœbus et Borée.

Borée et le Soleil virent unVoyageur

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Qui s’était muni par bonheurContre le mauvais temps. (Onentrait dans l’Automne,Quand la précaution aux Voyageursest bonne :Il pleut ; le Soleil luit ; et l’écharped’IrisRend ceux qui sortent avertisQu’en ces mois le manteau leur estfort nécessaire.Les Latins les nommaient douteuxpour cette affaire.Notre homme s’était donc à la pluieattendu.Bon manteau bien doublé ; bonneétoffe bien forte.Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir

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pourvuÀ tous les accidents ; mais il n’apas prévuQue je saurai souffler de sorte,Qu’il n’est bouton qui tienne : ilfaudra, si je veux,Que le manteau s’en aille auDiable.L’ébatement pourrait nous en êtreagréable :Vous plaît-il de l’avoir ? Et biengageons nous deux(Dit Phœbus) sans tant de paroles,À qui plus tôt aura dégarni lesépaulesDu Cavalier que nous voyons.Commencez : Je vous laisse

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obscurcir mes rayons.Il n’en fallut pas plus. Notresouffleur à gageSe gorge de vapeurs, s’enfle commeun ballon ;Fait un vacarme de démon ;Siffle, souffle, tempête, et brise enson passageMaint toit qui n’en peut mais, faitpérir maint bateau ;Le tout au sujet du manteau.Le Cavalier eut soin d’empêcherque l’orageNe se pût engouffrer dedans.Cela le préserva : le vent perdit sontemps :Plus il se tourmentait, plus l’autre

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tenait ferme :Il eut beau faire agir le collet et lesplis.Si tôt qu’il fut au bout du termeQu’à la gageure on avait mis ;Le Soleil dissipe la nue :Recrée, et puis pénètre enfin leCavalier ;Sous son balandras fait qu’il sue ;Le contraint de s’en dépouiller.Encor n’usa-t-il pas de toute sapuissance.Plus fait douceur que violence.

IV. Jupiter et le Métayer.

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Jupiter eut jadis une ferme à donner,Mercure en fit l’annonce ; et gens seprésentèrent,Firent des offres, écoutèrent :Ce ne fut pas sans bien tourner.L’un alléguait que l’héritageÉtait frayant et rude, et l’autre unautre si.Pendant qu’ils marchandaient ainsi,Un d’eux le plus hardi, mais nonpas le plus sage,Promit d’en rendre tant, pourvu queJupiterLe laissât disposer de l’air,Lui donnât saison à sa guise,Qu’il eût du chaud, du froid, dubeau temps, de la bise,

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Enfin du sec et du mouillé,Aussitôt qu’il aurait bâillé.Jupiter y consent. Contrat passé ;notre hommeTranche du Roi des airs, pleut,vente et fait en sommeUn climat pour lui seul : ses plusproches voisinsNe s’en sentaient non plus que lesAméricains.Ce fut leur avantage ; ils eurentbonne année,Pleine moisson, pleine vinée.Monsieur le Receveur fut très-malpartagé.L’an suivant voilà tout changé,Il ajuste d’une autre sorte

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La température des Cieux.Son champ ne s’en trouve pasmieux,Celui de ses voisins fructifie etrapporte.Que fait-il ? Il recourt au Monarquedes Dieux :Il confesse son imprudence.Jupiter en usa comme un Maître fortdoux.Concluons que la ProvidenceSait ce qu’il nous faut, mieux quenous.

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V. Le Cochet, le Chat et leSouriceau.

Un Souriceau tout jeune, et quin’avait rien vu,Fut presque pris au dépourvu.Voici comme il conta l’aventure àsa mère.J’avais franchi les Monts quibornent cet État ;Et trottais comme un jeune RatQui cherche à se donner carrière.Lorsque deux animaux m’ont arrêtéles yeux :L’un doux, bénin et gracieux ;Et l’autre turbulent, et plein

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d’inquiétude.Il a la voix perçante et rude ;Sur la tête un morceau de chair ;Une sorte de bras dont il s’élève enl’air,Comme pour prendre sa volée ;La queue en panache étalée.Or c’était un Cochet dont notreSouriceauFit à sa mère le tableau,Comme d’un animal venu del’Amérique.Il se battait, dit-il, les flancs avecses bras,Faisant tel bruit et tel fracas,Que moi, qui grâce aux Dieux decourage me pique,

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En ai pris la fuite de peur,Le maudissant de très-bon cœur.Sans lui j’aurais fait connaissanceAvec cet animal qui m’a semblé sidoux.Il est velouté comme nous,Marqueté, longue queue, unehumble contenance ;Un modeste regard, et pourtantl’œil luisant :Je le crois fort sympathisantAvec Messieurs les Rats ; car il ades oreillesEn figure aux nôtres pareilles.Je l’allais aborder ; quand d’un sonplein d’éclatL’autre m’a fait prendre la fuite.

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Mon fils, dit la Souris, ce doucetest un Chat,Qui sous son minois hypocriteContre toute ta parentéD’un malin vouloir est porté.L’autre animal tout au contraire,Bien éloigné de nous mal faire,Servira quelque jour peut-être à nosrepas.Quant au Chat ; c’est sur nous qu’ilfonde sa cuisine.Garde-toi tant que tu vivrasDe juger des gens sur la mine.

VI. Le Renard, le Singe, et

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les Animaux.

Les Animaux, au décès d’un Lion,En son vivant Prince de la contrée,Pour faire un Roi s’assemblèrent,dit-on.De son étui la couronne est tirée.Dans une chartre un Dragon lagardait.Il se trouva que sur tous essayée,À pas un d’eux elle ne convenait.Plusieurs avaient la tête trop menue,Aucuns trop grosse, aucuns mêmecornue.Le Singe aussi fit l’épreuve enriant,Et par plaisir la Tiare essayant,

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Il fit autour force grimaceries,Tours de souplesse, et millesingeries :Passa dedans ainsi qu’en uncerceau.Aux Animaux cela sembla si beau,Qu’il fut élu : chacun lui fithommage.Le Renard seul regretta sonsuffrage ;Sans toutefois montrer sonsentiment.Quand il eut fait son petitcompliment :Il dit au Roi : Je sais, Sire, unecache ;Et ne crois pas qu’autre que moi la

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sache.Or tout trésor par droit de RoyautéAppartient, Sire, à votre Majesté.Le nouveau Roi bâille après laFinance,Lui-même y court pour n’être pastrompé.C’était un piège : il y fut attrapé.Le Renard dit, au nom del’assistance :Prétendrais-tu nous gouvernerencor ;Ne sachant pas te conduire toi-même ?Il fut démis : et l’on tomba d’accordQu’à peu de gens convient leDiadème.

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VII. Le Mulet se vantant desa Genealogie

Le Mulet d’un Prélat se piquait denoblesse,Et ne parlait incessammentQue de sa mère la Jument,Dont il contait mainte prouesse :Elle avait fait ceci, puis avait étélà.Son fils prétendait, pour cela,Qu’on le dût mettre dans l’Histoire.Il eût cru s’abaisser servant un

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Médecin.Étant devenu vieux, on le mit aumoulin.Son père l’Âne alors lui revint enmémoire.

Quand le malheur ne serait bonQu’à mettre un sot à la raison,Toujours serait-ce à juste causeQu’on le dit bon à quelque chose.

VIII. Le Vieillard et l’Âne.

Un Vieillard sur son Âne aperçut enpassant

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Un Pré plein d’herbe et fleurissant.Il y lâche sa bête, et le Grison serueAu travers de l’herbe menue,Se vautrant, grattant et frottant,Gambadant, chantant et broutant,Et faisant mainte place nette.L’ennemi vient sur l’entrefaite.Fuyons, dit alors le Vieillard.Pourquoi ? répondit le paillard ;Me fera-t-on porter double bât,double charge ?Non pas, dit le Vieillard, qui pritd’abord le large.Et que m’importe donc, dit l’Âne, àqui je sois ?Sauvez-vous, et me laissez paître :

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Notre ennemi c’est notre maître,Je vous le dis en bon François.

IX. Le Cerf se voyant dansl’eau

Dans le cristal d’une fontaineUn Cerf se mirant autrefois,Louait la beauté de son bois,Et ne pouvait qu’avecque peineSouffrir ses jambes de fuseaux,Dont il voyait l’objet se perdredans les eaux.Quelle proportion de mes pieds àma tête !

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Disait-il en voyant leur ombre avecdouleur :Des taillis les plus hauts mon frontatteint le faîte ;Mes pieds ne me font pointd’honneur.Tout en parlant de la sorte,Un Limier le fait partir ;Il tâche à se garantir ;Dans les forêts il s’emporte.Son bois, dommageable ornement,L’arrêtant à chaque moment,Nuit à l’Office que lui rendentSes pieds, de qui ses joursdépendent.Il se dédit alors, et maudit lesprésents

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Que le Ciel lui fait tous les ans. Nous faisons cas du beau, nousméprisons l’utile ;Et le beau souvent nous détruit.Ce Cerf blâme ses pieds qui lerendent agile :Il estime un bois qui lui nuit.

X. Le Lièvre et la Tortue.

Rien ne sert de courir ; il faut partirà point.Le Lièvre et la Tortue en sont un

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témoignage.Gageons, dit celle-ci, que vousn’atteindrez pointSi tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?Repartit l’animal léger.Ma commère il vous faut purgerAvec quatre grains d’ellébore.Sage ou non, je parie encore.Ainsi fut fait : et de tous deuxOn mit près du but les enjeux :Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,Ni de quel juge l’on convint.Notre Lièvre n’avait que quatre pasà faire ;J’entends de ceux qu’il fait lorsqueprêt d’être atteint,

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Il s’éloigne des chiens, les renvoieaux Calendes,Et leur fait arpenter les Landes.Ayant, dis-je, du temps de restepour brouter,Pour dormir, et pour écouterD’où vient le vent ; il laisse laTortueAller son train de Sénateur.Elle part, elle s’évertue ;Elle se hâte avec lenteur.Lui cependant méprise une tellevictoire,Tient la gageure à peu de gloire ;Croit qu’il y va de son honneurDe partir tard. Il broute, il serepose,

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Il s’amuse à toute autre choseQu’à la gageure. A la fin quand ilvitQue l’autre touchait presque au boutde la carrière ;Il partit comme un trait ; mais lesélans qu’il fitFurent vains : la Tortue arriva lapremière.Hé bien, lui cria-t-elle, avais-je pasraison ?De quoi vous sert votre vitesse ?Moi, l’emporter ! et que serait-ceSi vous portiez une maison ?

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XI. L’Âne et ses Maîtres

L’Âne d’un Jardinier se plaignait audestinDe ce qu’on le faisait lever devantl’Aurore.Les Coqs, lui disait-il, ont beauchanter matin ;Je suis plus matineux encore.Et pourquoi ? pour porter desherbes au marché.Belle nécessité d’interrompre monsomme !Le sort de sa plainte touchéLui donne un autre Maître ; etl’Animal de sommePasse du Jardinier aux mains d’un

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Corroyeur.La pesanteur des peaux, et leurmauvaise odeurEurent bien-tôt choquél’impertinente Bête.J’ai regret, disait-il, à mon premierseigneur.Encor quand il tournait la tête,J’attrapais, s’il m’en souvient bien,Quelque morceau de chou quy neme coûtait rien.Mais ici point d’aubaine ; ou, sij’en ai quelqu’une,C’est de coups. Il obtint changementde fortune,Et sur l’état d’un CharbonnierIl fut couché tout le dernier.

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Autre plainte. Quoi donc, dit le Sorten colère,Ce Baudet-ci m’occupe autantQue cent Monarques pourraientfaire.Croit-il être le seul qui ne soit pascontent ?N’ai-je en l’esprit que son affaire ?

Le Sort avait raison ; tous gens sontainsi faits :Notre condition jamais ne nouscontente :La pire est toujours la présente.Nous fatiguons le Ciel à force deplacets.Qu’à chacun Jupiter accorde sa

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requête,Nous lui romprons encor la tête.

XII. Le Soleil et lesGrenouilles.

Aux noces d'un Tyran tout le Peupleen liesseNoyait son souci dans les pots.Ésope seul trouvait que les gensétaient sotsDe témoigner tant d’allégresse.Le Soleil, disait-il, eut desseinautrefois

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De songer à l’Hyménée.Aussi-tôt on ouït d’une communevoixSe plaindre de leur destinéeLes Citoyennes des Étangs.Que ferons-nous, s’il lui vient desenfants ?Dirent-elles au Sort, un seul Soleilà peineSe peut souffrir. Une demi-douzaineMettra la Mer à sec, et tous seshabitants.Adieu joncs et marais : notre raceest détruite.Bientôt on la verra réduiteÀ l’eau du Styx. Pour un pauvreAnimal,

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Grenouilles, à mon sens, neraisonnaient pas mal.

XIII. Le Villageois et leSerpent

Ésope conte qu’un ManantCharitable autant que peu sage,Un jour d’Hiver se promenantA l’entour de son héritage,Aperçut un Serpent sur la neigeétendu,Transi, gelé, perclus, immobilerendu,

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N’ayant pas à vivre un quartd’heure.Le Villageois le prend, l’emporteen sa demeure ;Et sans considérer quel sera leloyerD’une action de ce mérite,Il l’étend le long du foyer,Le réchauffe, le ressuscite.L’Animal engourdi sent à peine lechaud,Que l’âme lui revient avecque lacolère.Il lève un peu la tête, et puis siffleaussi-tôt,Puis fait un long repli, puis tâche àfaire un saut

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Contre son bienfaiteur, son sauveuret son père.Ingrat, dit le Manant, voilà doncmon salaire ?Tu mourras. A ces mots, plein d’unjuste courrouxIl vous prend sa cognée, il voustranche la Bête,Il fait trois Serpents de deux coups,Un tronçon, la queue, et la tête.L’insecte sautillant, cherche à seréunir,Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d’être charitable :Mais envers qui, c’est là le point.Quant aux ingrats, il n’en est point

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Qui ne meure enfin misérable.

XIV. Le Lion malade, et leRenard.

De par le Roi des AnimauxQui dans son antre était malade,Fut fait savoir à ses vassauxQue chaque espèce en ambassadeEnvoyât gens le visiter :Sous promesse de bien traiterLes Députés, eux et leur suite ;Foi de Lion très-bien écrite.Bon passeport contre la dent ;

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Contre la griffe tout autant.L’Édit du Prince s’exécute.De chaque espèce on lui députe.Les Renards gardant la maison,Un d’eux en dit cette raison.Les pas empreints sur la poussière,Par ceux qui s’en vont faire aumalade leur cour,Tous, sans exception, regardent satanière,Pas un ne marque de retour.Cela nous met en méfiance.Que sa Majesté nous dispense.Grand merci de son passeport.Je le crois bon ; mais dans cet antreJe vois fort bien comme l’on entre,Et ne vois pas comme on en sort.

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XV. L’Oiseleur, l’Autour etl’Alouette

Les injustices des perversServent souvent d’excuse auxnôtres.Telle est la loi de l’Univers :Si tu veux qu’on t’épargne,épargne aussi les autres.Un Manant au miroir prenait desOisillons.Le fantôme brillant attire uneAlouette.

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Aussitôt un Autour planant sur lessillons,Descend des airs, fond, et se jetteSur celle qui chantait, quoi que prèsdu tombeau.Elle avait évité la perfide machine,lorsque se rencontrant sous la mainde l’oiseau,Elle sent son ongle maligne.Pendant qu’à la plumer l’Autour estoccupé,Lui-même sous les rets demeureenveloppé.Oiseleur, laisse-moi, dit-il en sonlangage ;Je ne t’ai jamais fait de mal.L’oiseleur repartit : Ce petit animal

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T’en avait-il fait davantage ?

XVI. Le Cheval et l'Âne

En ce monde il se faut l'un l'autresecourir.Si ton voisin vient à mourir,C'est sur toi que le fardeau tombe.Un Âne accompagnait un Chevalpeu courtois,Celui-ci ne portant que son simpleharnais,Et le pauvre Baudet si chargé qu’ilsuccombe.

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Il pria le Cheval de l’aider quelquepeu :Autrement il mourrait devantqu’être à la ville.La prière, dit-il, n’en est pasincivile :Moitié de ce fardeau ne vous seraque jeu.Le Cheval refusa, fit une pétarade :Tant qu’il vit sous le faix mourirson camarade,Et reconnut qu’il avait tort.Du Baudet en cette aventure,On lui fit porter la voiture,Et la peau par-dessus encor.

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XVII. Le Chien qui lâche saproie pour l’ombre

Chacun se trompe ici-bas.On voit courir après l’ombreTant de fous, qu’on n’en sait pasLa plupart du temps le nombre.Au Chien dont parle Ésope il fautles renvoyer.Ce Chien, voyant sa proie en l’eaureprésentée,La quitta pour l’image, et pensa senoyer ;La rivière devint tout d’un coupagitée.À toute peine il regagna les bords,

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Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

XVIII. Le Chartierembourbé.

Le Phaëton d'une voiture à foinVit son Char embourbé. Le pauvrehomme était loinDe tout humain secours. C'était à lacampagnePrès d’un certain canton de la basseBretagneAppelé Quimpercorentin.On sait assez que le destin

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Adresse là les gens quand il veutqu’on enrage.Dieu nous préserve du voyage.Pour venir au Chartier embourbédans ces lieux ;Le voilà qui déteste et jure de sonmieux.Pestant en sa fureur extrêmeTantôt contre les trous, puis contreses chevaux,Contre son char, contre lui-même.Il invoque à la fin le Dieu dont lestravauxSont si célèbres dans le monde.Hercule, lui dit-il, aide-moi ; si tondosA porté la machine ronde,

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Ton bras peut me tirer d’ici.Sa prière étant faite, il entend dansla nueUne voix qui lui parle ainsi :Hercule veut qu’on se remue,Puis il aide les gens. Regarde d’oùprovientL’achoppement qui te retient.Ôte d’autour de chaque roueCe malheureux mortier, cettemaudite boue,Qui jusqu’à l’essieu les enduit.Prends ton pic, et me romps cecaillou qui te nuit.Comble-moi cette ornière. As-tufait ? Oui, dit l’homme.Or bien je vas t’aider, dit la voix ;

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prends ton fouet.Je l’ai pris. Qu’est ceci ? mon charmarche à souhait.Hercule en soit loué. Lors la voix :Tu vois commeTes chevaux aisément se sont tirésde là.Aide-toi, le Ciel t’aidera.

XIX. Le Charlatan.

Le monde n’a jamais manqué deCharlatans.Cette science de tout temps

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Fut en Professeurs très fertile.Tantôt l’un en Théâtre affrontel’Achéron :Et l’autre affiche par la VilleQu’il est un Passe-Cicéron.Un des derniers se vantait d’êtreEn Éloquence si grand Maître,Qu’il rendrait disert un badaud,Un manant, un rustre, un lourdaud,Oui, Messieurs, un lourdaud, unAnimal, un Âne :Que l’on amène un Âne, un Ânerenforcé,Je le rendrai Maître passé ;Et veux qu’il porte la soutane.Le Prince sut la chose, il manda leRhéteur.

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J’ai, dit-il, dans mon écurieUn fort beau Roussin d’Arcadie :J’en voudrais faire un Orateur.Sire, vous pouvez tout, repritd’abord notre homme.On lui donna certaine somme.Il devait au bout de dix ansMettre son Âne sur les bancs :Sinon, il consentait d’être en placepubliqueGuindé, la hart au col, étranglécourt et net,Ayant au dos sa Rhétorique,Et les oreilles d’un Baudet.Quelqu’un des Courtisans lui ditqu’à la potenceIl voulait l’aller voir ; et que pour

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un penduIl aurait bonne grâce, et beaucoupde prestance :Surtout qu’il se souvînt de faire àl’assistanceUn discours où son art fût au longétendu ;Un discours pathétique, et dont leformulaireServît à certains CicéronsVulgairement nommés larrons.L’autre reprit : Avant l’affaireLe Roi, l’Âne ou moi nousmourrons.

Il avait raison. C’est folieDe compter sur dix ans de vie.

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Soyons bien buvants, bienmangeants,Nous devons à la mort de trois l’unen dix ans.

XX. La Discorde.

La Déesse Discorde ayant brouilléles Dieux,Et fait un grand procès là-haut pourune pomme ;On la fit déloger des Cieux.Chez l’Animal qu’on appelleHommeOn la reçut à bras ouverts,

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Elle et Que-si-que-non, son frère,Avecque Tien-et-mien son père.Elle nous fit l’honneur en ce basUniversDe préférer notre HémisphèreÀ celui des mortels qui nous sontopposés ;Gens grossiers, peu civilisés,Et qui, se mariant sans Prêtre etsans Notaire,De la Discorde n’ont que faire.Pour la faire trouver aux lieux où lebesoinDemandait qu’elle fût présente,La Renommée avait le soinDe l’avertir ; et l’autre diligenteCourait vite aux débats, et prévenait

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la paix ;Faisait d’une étincelle un feu long às’éteindre.La Renommée enfin commença dese plaindreQue l’on ne lui trouvait jamaisDe demeure fixe et certaine.Bien souvent l’on perdait à lachercher sa peine.Il fallait donc qu’elle eût un séjouraffecté,Un séjour d’où l’on pût en toutesles famillesL’envoyer à jour arrêté.Comme il n’était alors aucunCouvent de Filles,On y trouva difficulté.

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L’Auberge enfin de l’HyménéeLui fut pour maison assignée.

XXI. La jeune Veuve.

La perte d’un époux ne va pointsans soupirs.On fait beaucoup de bruit, et puison se console.Sur les ailes du Temps la tristesses’envole ;Le temps ramène les plaisirs.Entre la Veuve d’une année,Et la Veuve d’une journée,La différence est grande. On ne

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croirait jamaisQue ce fût la même personne.L’une fait fuir les gens, et l’autre amille attraits.Aux soupirs vrais ou faux celle-làs’abandonne ;C’est toujours même note, et pareilentretien :On dit qu’on est inconsolable ;On le dit, mais il n’en est rien ;Comme on verra par cette Fable,Ou plutôt par la vérité.L’Époux d’une jeune beautéPartait pour l’autre monde. À sescôtés sa femmeLui criait : Attends-moi, je te suis ;et mon âme,

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Aussi-bien que la tienne, est prête às’envoler.Le Mari fait seul le voyage.La Belle avait un père hommeprudent et sage :Il laissa le torrent couler.À la fin, pour la consoler,Ma fille, lui dit-il, c’est trop verserde larmes :Qu’a besoin le défunt que vousnoyiez vos charmes ?Puisqu’il est des vivants, ne songezplus aux morts.Je ne dis pas que tout à l’heureUne condition meilleureChange en des noces cestransports ;

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Mais, après certain temps souffrezqu’on vous proposeUn époux beau, bien fait, jeune, ettout autre choseQue le défunt. Ah ! dit-elle aussitôt,Un Cloître est l’époux qu’il me faut.Le père lui laissa digérer sadisgrâce.Un mois de la sorte se passe.L’autre mois on l’emploie à changertous les joursQuelque chose à l’habit, au linge, àla coiffure.Le deuil enfin sert de parure,En attendant d’autres atours.Toute la bande des AmoursRevient au colombier, les jeux, les

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ris, la danse,Ont aussi leur tour à la fin.On se plonge soir et matinDans la fontaine de Jouvence.Le Père ne craint plus ce défunt tantchéri.Mais comme il ne parlait de rien ànotre Belle,Où donc est le jeune mariQue vous m’avez promis, dit-elle ?

ÉpilogueBornons ici cette carrière.Les longs Ouvrages me font peur.Loin d'épuiser une matière,

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On n'en doit prendre que la fleur.Il s'en va temps que je reprenneUn peu de forces et d'haleinePour fournir à d'autres projets.Amour ce tyran de ma vieVeut que je change de sujets ;Il faut contenter son envie.Retournons à Psyché : Damon vousm'exhortezÀ peindre ses malheurs et sesfelicitez.J'y consens : peut-être ma veineEn sa faveur s'échauffera.Heureux si ce travail est la dernièrepeineQue son époux me causera !

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DEUXIÈME RECUEIL : 1678•1679

LIVRE SEPTIÈME

FABLE I. Les Animauxmalades de la peste.

Un mal qui répand la terreur,Mal que le Ciel en sa fureurInventa pour punir les crimes de laterre,La Peste (puis qu’il faut l’appelerpar son nom)Capable d’enrichir en un jour

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l’Achéron,Faisait aux animaux la guerre.Ils ne mouraient pas tous, mais tousétaient frappés.On n’en voyait point d’occupésÀ chercher le soutien d’unemourante vie ;Nul mets n’excitait leur envie.Ni Loups ni Renards n’épiaientLa douce et l’innocente proie.Les Tourterelles se fuyaient :Plus d’amour, partant plus de joie.Le Lion tint conseil, et dit ; Meschers amis,Je crois que le Ciel a permisPour nos péchés cette infortune ;Que le plus coupable de nous

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Se sacrifie aux traits du célestecourroux,Peut-être il obtiendra la guérisoncommune.L’histoire nous apprend qu’en detels accidentsOn fait de pareils dévouements :Ne nous flattons donc point, voyonssans indulgenceL’état de notre conscience.Pour moi, satisfaisant mes appétitsgloutonsJ’ai dévoré force moutons ;Que m’avaient-ils fait ? Nulleoffense :Même il m’est arrivé quelquefoisde manger

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Le Berger.Je me dévouerai donc, s’il le faut ;mais je penseQu’il est bon que chacun s’accuseainsi que moi :Car on doit souhaiter selon toutejusticeQue le plus coupable périsse.Sire, dit le Renard, vous êtes tropbon Roi ;Vos scrupules font voir trop dedélicatesse ;Eh bien, manger moutons, canaille,sotte espèce,Est-ce un péché ? Non non : vousleur fîtes SeigneurEn les croquant beaucoup

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d’honneur.Et quant au Berger l’on peut direQu’il était digne de tous maux,Étant de ces gens-là qui sur lesanimauxSe font un chimérique empire.Ainsi dit le Renard, et flatteursd’applaudir.On n’osa trop approfondir.Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autrespuissances,Les moins pardonnables offenses.Tous les gens querelleurs, jusqu’auxsimples mâtins,Au dire de chacun étaient de petitssaints.L’Âne vint à son tour et dit : J’ai

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souvenanceQu’en un pré de Moines passant,La faim, l’occasion, l’herbe tendre,et je penseQuelque diable aussi me poussant,Je tondis de ce pré la largeur de malangue.Je n’en avais nul droit, puis qu’ilfaut parler net.À ces mots on cria haro sur lebaudet.Un Loup quelque peu clerc prouvapar sa harangueQu’il fallait dévouer ce mauditanimal,Ce pelé, ce galeux, d’où venait toutleur mal.

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Sa peccadille fut jugée un caspendable.Manger l’herbe d’autrui ! quelcrime abominable !Rien que la mort n’était capableD’expier son forfait : on le lui fitbien voir.Selon que vous serez puissant oumisérable,Les jugements de Cour vousrendront blanc ou noir.

II. Le mal marié

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Que le bon soit toujours camaradedu beau,Dès demain je chercherai femme ;Mais comme le divorce entre euxn’est pas nouveau,Et que peu de beaux corps hôtesd’une belle âmeAssemblent l’un et l’autre point,Ne trouvez pas mauvais que je necherche point.J’ai vu beaucoup d’Hymens, aucunsd’eux ne me tentent :Cependant des humains presque lesquatre partsS’exposent hardiment au plus granddes hasards,Les quatre parts aussi des humains

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se repentent.J’en vais alléguer un qui, s’étantrepenti,Ne put trouver d’autre parti,Que de renvoyer son épouseQuerelleuse, avare, et jalouse.Rien ne la contentait, rien n’étaitcomme il faut,On se levait trop tard, on secouchait trop tôt,Puis du blanc, puis du noir, puisencore autre chose ;Les valets enrageaient, l’époux étaità bout ;Monsieur ne songe à rien, Monsieurdépense tout,Monsieur court, Monsieur se

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repose.Elle en dit tant, que Monsieur à lafinLassé d’entendre un tel lutin,Vous la renvoie à la campagneChez ses parents. La voilà donccompagneDe certaines Philis qui gardent lesdindonsAvec les gardeurs de cochons.Au bout de quelque temps qu’on lacrut adoucie,Le mari la reprend. Eh bienqu’avez-vous fait ?Comment passiez-vous votre vie ?L’innocence des champs est-ellevotre fait ?

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Assez, dit-elle ; mais ma peineÉtait de voir les gens plusparesseux qu’ici :Ils n’ont des troupeaux nul souci.Je leur savais bien dire, etm’attirais la haineDe tous ces gens si peu soigneux.Eh, Madame, reprit son époux tout àl’heure,Si votre esprit est si hargneuxQue le monde qui ne demeureQu’un moment avec vous, et nerevient qu’au soir,Est déjà lassé de vous voir,Que feront des valets qui toute lajournéeVous verront contre eux déchaînée ?

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Et que pourra faire un épouxQue vous voulez qui soit jour et nuitavec vous ?Retournez au village : adieu : si dema vieJe vous rappelle, et qu’il m’enprenne envie,Puissé-je chez les morts avoir pourmes péchés,Deux femmes comme vous sanscesse à mes côtés.

III. Le Rat qui s’est retirédu monde

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Les Levantins en leur légendeDisent qu’un certain Rat las dessoins d’ici-bas,Dans un fromage de HollandeSe retira loin du tracas.La solitude était profonde,S’étendant partout à la ronde.Notre ermite nouveau subsistait là-dedans.Il fit tant de pieds et de dentsQu’en peu de jours il eut au fond del’ermitageLe vivre et le couvert ; que faut-ildavantage ?Il devint gros et gras ; Dieuprodigue ses biensÀ ceux qui font vœu d’être siens.

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Un jour, au dévot personnageDes députés du peuple RatS’en vinrent demander quelqueaumône légère :Ils allaient en terre étrangèreChercher quelque secours contre lepeuple chat ;Ratopolis était bloquée :On les avait contraints de partirsans argent,Attendu l’état indigentDe la République attaquée.Ils demandaient fort peu, certainsque le secoursSerait prêt dans quatre ou cinqjours.Mes amis, dit le Solitaire,

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Les choses d’ici-bas ne meregardent plus :En quoi peut un pauvre ReclusVous assister ? que peut-il faire,Que de prier le ciel qu’il vous aideen ceci ?J’espère qu’il aura de vous quelquesouci.Ayant parlé de cette sorte.Le nouveau Saint ferma sa porte.Qui désignai-je, à votre avis,Par ce Rat si peu secourable ?Un Moine ? Non, mais un Dervis ;Je suppose qu’un Moine esttoujours charitable.

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IV. Le Héron, La Fille

Un jour sur ses longs pieds allait jene sais où,Le Héron au long bec emmanchéd'un long cou.Il côtoyait une rivière.L’onde était transparente ainsiqu’aux plus beaux jours ;Ma commère la carpe y faisaitmille toursAvec le brochet son compère.Le Héron en eût fait aisément sonprofit :Tous approchaient du bord, l’oiseaun’avait qu’à prendre ;Mais il crut mieux faire d’attendre

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Qu’il eût un peu plus d’appétit.Il vivait de régime, et mangeait àses heures.Après quelques moments l’appétitvint ; l’oiseauS’approchant du bord vit sur l’eauDes Tanches qui sortaient du fondde ces demeures.Le mets ne lui plut pas ; ils’attendait à mieux ;Et montrait un goût dédaigneuxComme le rat du bon Horace.Moi des Tanches ? dit-il, moiHéron que je fasseUne si pauvre chère ? et pour quime prend-on ?La Tanche rebutée il trouva du

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goujon.Du goujon ! c’est bien-là le dînerd’un Héron !J’ouvrirais pour si peu le bec ! auxDieux ne plaise.Il l’ouvrit pour bien moins : toutalla de façonQu’il ne vit plus aucun poisson.La faim le prit ; il fut tout heureux ettout aiseDe rencontrer un Limaçon.Ne soyons pas si difficiles :Les plus accommodants ce sont lesplus habiles :On hasarde de perdre en voulanttrop gagner.Gardez-vous de rien dédaigner ;

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Surtout quand vous avez à peu prèsvotre compte.Bien des gens y sont pris ; ce n’estpas aux HéronsQue je parle ; écoutez, humains, unautre conte ;Vous verrez que chez vous j’aipuisé ces leçons.Certaine fille un peu trop fièrePrétendait trouver un mariJeune, bien fait, et beau, d’agréablemanière.Point froid et point jaloux ; notezces deux points-ci.Cette fille voulait aussiQu’il eût du bien, de la naissance,De l’esprit, enfin tout : mais qui

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peut tout avoir ?Le destin se montra soigneux de lapourvoir :Il vint des partis d’importance.La belle les trouva trop chétifs demoitié.Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l’onradote, je pense.À moi les proposer ! hélas ils fontpitié.Voyez un peu la belle espèce !L’un n’avait en l’esprit nulledélicatesse ;L’autre avait le nez fait de cettefaçon-là ;C’était ceci, c’était cela,C’était tout ; car les précieuses

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Font dessus tous les dédaigneuses.Après les bons partis, lesmédiocres gensVinrent se mettre sur les rangs.Elle de se moquer. Ah vraiment jesuis bonneDe leur ouvrir la porte : Ils pensentque je suisFort en peine de ma personne.Grâce à Dieu je passe les nuitsSans chagrin, quoiqu’en solitude.La belle se sut gré de tous cessentiments.L’âge la fit déchoir : adieu tous lesamants.Un an se passe et deux avecinquiétude.

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Le chagrin vient ensuite : elle sentchaque jourDéloger quelques Ris, quelquesjeux, puis l’amour ;Puis ses traits choquer et déplaire ;Puis cent sortes de fards. Ses soinsne purent faireQu’elle échappât au temps cetinsigne larron :Les ruines d’une maisonSe peuvent réparer ; que n’est cetavantagePour les ruines du visage !Sa préciosité changea lors delangage.Son miroir lui disait, prenez vite unmari :

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Je ne sais quel désir le lui disaitaussi ;Le désir peut loger chez uneprécieuse ;Celle-ci fit un choix qu’on n’auraitjamais cru,Se trouvant à la fin tout aise et toutheureuseDe rencontrer un malotru.

V. Les Souhaits

Il est au Mogol des folletsQui font office de valets,Tiennent la maison propre, ont soin

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de l’équipage,Et quelquefois du jardinage.Si vous touchez à leur ouvrage,Vous gâtez tout. Un d’eux près duGange autrefoisCultivait le jardin d’un assez bonBourgeois.Il travaillait sans bruit, avaitbeaucoup d’adresse,Aimait le maître et la maîtresse,Et le jardin surtout. Dieu sait si leszéphyrsPeuple ami du Démon l’assistaientdans sa tâche :Le follet de sa part travaillant sansrelâcheComblait ses hôtes de plaisirs.

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Pour plus de marques de son zèle,Chez ces gens pour toujours il se fûtarrêté,Nonobstant la légèretéÀ ses pareils si naturelle ;Mais ses confrères les espritsFirent tant que le chef de cetterépublique,Par caprice ou par politique,Le changea bientôt de logis.Ordre lui vient d’aller au fond de laNorvègePrendre le soin d’une maisonEn tout temps couverte de neige ;Et d’Indou qu’il était on vous le faitlapon.Avant que de partir l’esprit dit à ses

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hôtes :On m’oblige de vous quitter :Je ne sais pas pour quelles fautes ;Mais enfin il le faut, je ne puisarrêterQu’un temps fort court, un mois,peut-être une semaine.Employez-la ; formez trois souhaits,car je puisRendre trois souhaits accomplis ;Trois sans plus. Souhaiter, ce n’estpas une peineÉtrange et nouvelle aux humains.Ceux-ci pour premier vœudemandent l’abondance ;Et l’abondance à pleines mains,Verse en leurs coffres la finance,

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En leurs greniers le blé, dans leurscaves les vins ;Tout en crève. Comment rangercette chevance ?Quels registres, quels soins, queltemps il leur fallut !Tous deux sont empêchés si jamaison le fut.Les voleurs contre euxcomplotèrent ;Les grands Seigneurs leurempruntèrent ;Le Prince les taxa. Voilà lespauvres gensMalheureux par trop de fortune.Ôtez-nous de ces biens l’affluenceimportune,

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Dirent-ils l’un et l’autre ; heureuxles indigents !La pauvreté vaut mieux qu’une tellerichesse.Retirez-vous, trésors, fuyez ; et toiDéesse,Mère du bon esprit, compagne durepos,Ô médiocrité, reviens vite. À cesmotsLa médiocrité revient ; on lui faitplace ;Avec elle ils rentrent en grâce,Au bout de deux souhaits étant aussichanceuxQu’ils étaient, et que sont tous ceuxQui souhaitent toujours, et perdent

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en chimèresLe temps qu’ils feraient mieux demettre à leurs affaires.Le follet en rit avec eux.Pour profiter de sa largesse,Quand il voulut partir, et qu’il futsur le point,Ils demandèrent la sagesse ;C’est un trésor qui n’embarrassepoint.

VI. La Cour du Lion

Sa Majesté Lionne un jour voulutconnaître

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De quelles nations le Ciel l'avaitfait maître.Il manda donc par députésSes vassaux de toute nature,Envoyant de tous les côtésUne circulaire écriture,Avec son sceau. L’écrit portaitQu’un mois durant le Roi tiendraitCour plénière, dont l’ouvertureDevait être un fort grand festin,Suivi des tours de Fagotin.Par ce trait de magnificenceLe Prince à ses sujets étalait sapuissance.En son Louvre il les invita.Quel Louvre ! un vrai charnier, dontl’odeur se porta

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D’abord au nez des gens. L’Oursboucha sa narine :Il se fût bien passé de faire cettemine,Sa grimace déplut. Le MonarqueirritéL’envoya chez Pluton faire ledégoûté.Le Singe approuva fort cettesévérité ;Et flatteur excessif il loua la colèreEt la griffe du Prince, et l’antre, etcette odeur :Il n’était ambre, il n’était fleur,Qui ne fût ail au prix. Sa sotteflatterieEut un mauvais succès, et fut encor

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punie.Ce Monseigneur du Lion là,Fut parent de Caligula.Le Renard étant proche : Or çà, luidit le Sire,Que sens-tu ? dis-le-moi : Parlesans déguiser.L’autre aussi-tôt de s’excuser,Alléguant un grand rhume : il nepouvait que direSans odorat ; bref il s’en tire.Ceci vous sert d’enseignement.Ne soyez à la Cour, si vous voulezy plaire,Ni fade adulateur, ni parleur tropsincère ;Et tâchez quelquefois de répondre

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en Normand.

VII. Les Vautours et lesPigeons

Mars autrefois mit tout l’air enémeute.Certain sujet fit naître la disputeChez les oiseaux ; non ceux que lePrintempsMène à sa Cour, et qui, sous lafeuillée,Par leur exemple et leurs sonséclatantsFont que Vénus est en nous

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réveillée ;Ni ceux encor que la Mèred’AmourMet à son char : mais le peupleVautour,Au bec retors, à la tranchante serre,Pour un chien mort se fit, dit-on, laguerre.Il plut du sang ; je n’exagère point.Si je voulais conter de point enpointTout le détail, je manqueraisd’haleine.Maint chef périt, maint hérosexpira ;Et sur son roc Prométhée espéraDe voir bientôt une fin à sa peine.

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C’était plaisir d’observer leursefforts ;C’était pitié de voir tomber lesmorts.Valeur, adresse, et ruses, etsurprises,Tout s’employa : Les deux troupeséprisesD’ardent courroux n’épargnaientnuls moyensDe peupler l’air que respirent lesombres :Tout élément remplit de citoyensLe vaste enclos qu’ont les royaumessombres.Cette fureur mit la compassionDans les esprits d’une autre nation

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Au col changeant, au cœur tendre etfidèle.Elle employa sa médiationPour accorder une telle querelle.Ambassadeurs par le peuple PigeonFurent choisis, et si bientravaillèrent,Que les Vautours plus ne sechamaillèrent.Ils firent trêve, et la paixs’ensuivit :Hélas ! ce fut aux dépens de la raceÀ qui la leur aurait dû rendre grâce.La gent maudite aussi-tôt poursuivitTous les pigeons, en fit amplecarnage,En dépeupla les bourgades, les

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champs.Peu de prudence eurent les pauvresgens,D’accommoder un peuple sisauvage.Tenez toujours divisés lesméchants ;La sûreté du reste de la terreDépend de là : Semez entre eux laguerre,Ou vous n’aurez avec eux nullepaix.Ceci soit dit en passant ; Je me tais.

VIII. Le Coche et la

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Mouche.

Dans un chemin montant,sablonneux, malaisé,Et de tous les côtés au Soleilexposé,Six forts chevaux tiraient un Coche.Femmes, Moine, vieillards, toutétait descendu.L’attelage suait , soufflait , étaitrendu.Une Mouche survient, et deschevaux s’approche ;Prétend les animer par sonbourdonnement ;Pique l’un, pique l’autre, et pense àtout moment

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Qu’elle fait aller la machine,S’assied sur le timon, sur le nez duCocher ;Aussi-tôt que le char chemine,Et qu’elle voit les gens marcher,Elle s’en attribue uniquement lagloire ;Va, vient, fait l’empressée ; ilsemble que ce soitUn Sergent de bataille allant enchaque endroitFaire avancer ses gens, et hâter lavictoire.La Mouche en ce commun besoinSe plaint qu’elle agit seule, etqu’elle a tout le soin ;Qu’aucun n’aide aux chevaux à se

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tirer d’affaire.Le Moine disait son Bréviaire ;Il prenait bien son temps ! unefemme chantait ;C’était bien de chansons qu’alors ils’agissait !Dame Mouche s’en va chanter àleurs oreilles,Et fait cent sottises pareilles.Après bien du travail le Cochearrive au haut.Respirons maintenant, dit laMouche aussi-tôt :J’ai tant fait que nos gens sont enfindans la plaine.Çà, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine.

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Ainsi certaines gens, faisant lesempressés,S’introduisent dans les affaires.Ils font partout les nécessaires ;Et, partout importuns devraient êtrechassés.

IX. La Laitière et le Pot aulait.

Perrette sur sa tête ayant un Pot aulaitBien posé sur un coussinet,Prétendait arriver sans encombre à

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la ville.Légère et court vêtue elle allait àgrands pas ;Ayant mis ce jour-là pour être plusagileCotillon simple, et souliers plats.Notre Laitière ainsi trousséeComptait déjà dans sa penséeTout le prix de son lait, enemployait l’argent,Achetait un cent d’œufs, faisaittriple couvée ;La chose allait à bien par son soindiligent.Il m’est, disait-elle, facile,D’élever des poulets autour de mamaison :

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Le Renard sera bien habile,S’il ne m’en laisse assez pour avoirun cochon.Le porc à s’engraisser coûtera peude son ;Il était quand je l’eus de grosseurraisonnable :J’aurai le revendant de l’argent belet bon ;Et qui m’empêchera de mettre ennotre étable,Vu le prix dont il est, une vache etson veau,Que je verrai sauter au milieu dutroupeau ?Perrette là dessus saute aussi,transportée.

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Le lait tombe ; adieu veau, vache,cochon, couvée ;La Dame de ces biens, quittant d’unœil marriSa fortune ainsi répandue,Va s’excuser à son mariEn grand danger d’être battue.Le récit en farce en fut faitOn l’appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne ?Qui ne fait châteaux en Espagne ?Picrochole, Pyrrhus, la Laitière,enfin tous,Autant les sages que les fous ?Chacun songe en veillant, il n’estrien de plus doux :

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Une flatteuse erreur emporte alorsnos âmes :Tout le bien du monde est à nous,Tous les honneurs, toutes lesfemmes.Quand je suis seul, je fais au plusbrave un défi ;Je m’écarte, je vais détrôner leSophi ;On m’élit Roi, mon peuple m’aime ;Les diadèmes vont sur ma têtepleuvant :Quelque accident fait-il que jerentre en moi-même ;Je suis gros Jean comme devant.

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X. Le Curé et le Mort

Un mort s’en allait tristementS’emparer de son dernier gîte ;Un Curé s’en allait gaîmentEnterrer ce mort au plus vite.Notre défunt était en carrosse porté,Bien et dûment empaqueté,Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’onnomme bière,Robe d’hiver, robe d’été,Que les morts ne dépoüillent guère.Le Pasteur était à côté,Et récitait à l’ordinaireMaintes dévotes oraisons,Et des psaumes, et des leçons,Et des versets, et des réponds :

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Monsieur le Mort laissez-nousfaire,On vous en donnera de toutes lesfaçons ;Il ne s’agit que du salaire.Messire Jean Chouart couvait desyeux son mort,Comme si l’on eût dû lui ravir cetrésor,Et des regards semblait lui dire :Monsieur le mort j’aurai de vousTant en argent, et tant en cire,Et tant en autres menus coûts.Il fondait là dessus l’achat d’unefeuilletteDu meilleur vin des environs ;Certaine nièce assez propette,

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Et sa chambrière PâquetteDevaient avoir des cotillons.Sur cette agréable penséeUn heurt survient, adieu le char.Voilà Messire Jean ChouartQui du choc de son mort a la têtecassée :Le Paroissien en plomb entraîneson Pasteur ;Notre Curé suit son Seigneur ;Tous deux s’en vont de compagnie.Proprement toute notre vie ;Est le Curé Chouart qui sur sonmort comptait,Et la fable du Pot au lait.

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XI. L’homme qui courtaprès la Fortune, etl’homme qui l’attend dansson lit.

Qui ne court après la Fortune ?Je voudrais être en lieu d’où jepusse aisémentContempler la foule importuneDe ceux qui cherchent vainementCette fille du sort de Royaume enRoyaume,Fidèles courtisans d’un volagefantôme.Quand ils sont près du bon moment,L’inconstante aussitôt à leurs désirs

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échappe :Pauvres gens, je les plains, car on apour les fousPlus de pitié que de courroux.Cet homme, disent-ils, était planteurde choux,Et le voilà devenu Pape :Ne le valons-nous pas ? Vous valezcent fois mieux ;Mais que vous sert votre mérite ?La Fortune a-t-elle des yeux ?Et puis la papauté vaut-elle cequ’on quitte,Le repos, le repos, trésor siprécieux,Qu’on en faisait jadis le partage desDieux ?

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Rarement la Fortune à ses hôtes lelaisse.Ne cherchez point cette Déesse,Elle vous cherchera ; son sexe enuse ainsi.Certain couple d’amis en un bourgétabli,Possédait quelque bien : l’unsoupirait sans cessePour la Fortune ; il dit à l’autre unjour :Si nous quittions notre séjour ?Vous savez que nul n’est prophèteEn son pays : Cherchons notreaventure ailleurs.— Cherchez, dit l’autre ami, pourmoi je ne souhaite

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Ni climats ni destins meilleurs.Contentez-vous ; suivez votrehumeur inquiète ;Vous reviendrez bientôt. Je fais vœucependantDe dormir en vous attendant.L’ambitieux, ou, si l’on veut,l’avare,S’en va par voie et par chemin.Il arriva le lendemainEn un lieu que devait la DéessebizarreFréquenter sur tout autre ; et ce lieuc’est la cour.Là donc pour quelque temps il fixeson séjour,Se trouvant au coucher, au lever, à

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ces heuresQue l’on sait être les meilleures ;Bref se trouvant à tout, et n’arrivantà rien.Qu’est ceci ? ce dit-il ; Cherchonsailleurs du bien.La Fortune pourtant habite cesdemeures.Je la vois tous les jours entrer chezcelui-ci,Chez celui-là ; D’où vient qu’aussiJe ne puis héberger cettecapricieuse ?On me l’avait bien dit, que des gensde ce lieuL’on n’aime pas toujours l’humeurambitieuse.

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Adieu Messieurs de cour ;Messieurs de cour adieu :Suivez jusque au bout une ombrequi vous flatte.La Fortune a, dit-on, des temples àSurate ;Allons là. Ce fut un de dire ets’embarquer.Âmes de bronze, humains, celui-làfut sans douteArmé de diamant, qui tenta cetteroute,Et le premier osa l’abîme défier.Celui-ci pendant son voyageTourna les yeux vers son villagePlus d’une fois, essuyant lesdangers

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Des Pirates, des vents, du calme etdes rochers,Ministres de la mort. Avecbeaucoup de peinesOn s’en va la chercher en des riveslointaines,La trouvant assez tôt sans quitter lamaison.L’homme arrive au Mogol ; on luidit qu’au JaponLa Fortune pour lors distribuait sesgrâces.Il y court ; les mers étaient lassesDe le porter ; et tout le fruitQu’il tira de ses longs voyages,Ce fut cette leçon que donnent lessauvages :

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Demeure en ton pays, par la natureinstruit.Le Japon ne fut pas plus heureux àcet hommeQue le Mogol l’avait été ;Ce qui lui fit conclure en somme,Qu’il avait à grand tort son villagequitté.Il renonce aux courses ingrates,Revient en son pays, voit de loinses pénates,Pleure de joie, et dit : Heureux, quivit chez soi ;De régler ses désirs faisant tout sonemploi.Il ne sait que par ouïr direCe que c’est que la cour, la mer, et

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ton empire,Fortune, qui nous fais passer devantles yeuxDes dignités, des biens, quejusqu’au bout du mondeOn suit, sans que l’effet auxpromesses réponde.Désormais je ne bouge, et ferai centfois mieux.En raisonnant de cette sorte,Et contre la Fortune ayant pris ceconseil,Il la trouve assise à la porteDe son ami plongé dans un profondsommeil.

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XII. Les deux Coqs.

Deux Coqs vivaient en paix ; unePoule survint,Et voilà la guerre allumée.Amour, tu perdis Troie ; et c’est detoi que vintCette querelle envenimée,Où du sang des Dieux même on vitle Xanthe teint.longtemps entre nos Coqs le combatse maintint.Le bruit s’en répandit par tout levoisinage.La gent qui porte crête au spectacleaccourut.Plus d’une Hélène au beau plumage

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Fut le prix du vainqueur ; le vaincudisparut.Il alla se cacher au fond de saretraite,Pleura sa gloire et ses amours,Ses amours qu’un rival tout fier desa défaitePossédait à ses yeux. Il voyait tousles joursCet objet rallumer sa haine et soncourage.Il aiguisait son bec, battait l’air etses flancs,Et s’exerçant contre les ventsS’armait d’une jalouse rage.Il n’en eut pas besoin. Sonvainqueur sur les toits

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S’alla percher, et chanter savictoire.Un Vautour entendit sa voix :Adieu les amours et la gloire.Tout cet orgueil périt sous l’ongledu Vautour.Enfin par un fatal retourSon rival autour de la PouleS’en revint faire le coquet :Je laisse à penser quel caquet,Car il eut des femmes en foule.La Fortune se plaît à faire de cescoups ;Tout vainqueur insolent à sa pertetravaille.Défions-nous du sort, et prenonsgarde à nous

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Après le gain d’une bataille.

XIII. L’ingratitude etl’injustice des hommesenvers la Fortune

Un trafiquant sur mer par bonheurs’enrichit.Il triompha des vents pendant plusd’un voyage,Gouffre, banc, ni rocher, n’exigeade péageD’aucun de ses ballots ; le sort l’enaffranchit.Sur tous ses compagnons Atropos et

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NeptuneRecueillirent leur droit, tandis quela FortunePrenait soin d’amener sonmarchand à bon port.Facteurs, associés, chacun lui futfidèle.Il vendit son tabac, son sucre, sacannelle.Ce qu’il voulut, sa porcelaineencor.Le luxe et la folie enflèrent sontrésor ;Bref il plut dans son escarcelle.On ne parlait chez lui que pardoubles ducats,Et mon homme d’avoir chiens,

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chevaux et carrosses.Ses jours de jeûne étaient desnoces.Un sien ami voyant ces somptueuxrepas,Lui dit : Et d’où vient donc un sibon ordinaire ?Et d’où me viendrait-il que de monsavoir-faire ?Je n’en dois rien qu’à moi, qu’àmes soins, qu’au talentDe risquer à propos, et bien placerl’argent.Le profit lui semblant une fortdouce chose,Il risqua de nouveau le gain qu’ilavait fait :

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Mais rien pour cette fois ne lui vintà souhait.Son imprudence en fut la cause.Un vaisseau mal frété périt aupremier vent.Un autre mal pourvu des armesnécessairesFut enlevé par les Corsaires.Un troisième au port arrivant,Rien n’eut cours ni débit. Le luxe etla folieN’étaient plus tels qu’auparavant.Enfin ses facteurs le trompant,Et lui-même ayant fait grand fracas,chère lie,Mis beaucoup en plaisirs, enbâtiments beaucoup,

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Il devint pauvre tout d’un coup.Son ami le voyant en mauvaiséquipage,Lui dit ; d’où vient cela ? de lafortune, hélas !Consolez-vous, dit l’autre, et s’il nelui plaît pasQue vous soyez heureux ; tout aumoins soyez sage.Je ne sais s’il crut ce conseil ;Mais je sais que chacun impute encas pareilSon bonheur à son industrie,Et si de quelque échec notre fauteest suivie,Nous disons injures au sort.Chose n’est ici plus commune :

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Le bien nous le faisons, le mal c’estla fortune,On a toujours raison, le destintoujours tort.

XIV. Les Devineresses.

C’est souvent du hasard que naîtl’opinion ;Et c’est l’opinion qui fait toujoursla vogue.Je pourrais fonder ce prologueSur gens de tous états ; tout estprévention,Cabale, entêtement, point ou peu de

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justice :C’est un torrent ; qu’y faire ? Il fautqu’il ait son cours,Cela fut et sera toujours.Une femme à Paris faisait laPythonisse.On l’allait consulter sur chaqueévénement :Perdait-on un chiffon, avait-on unamant,Un mari vivant trop au gré de sonépouse,Une mère fâcheuse, une femmejalouse ;Chez la Devineuse on courait,Pour se faire annoncer ce que l’ondésirait.

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Son fait consistait en adresse.Quelques termes de l’art, beaucoupde hardiesse,Du hasard quelquefois, tout celaconcourait :Tout cela bien souvent faisait criermiracle.Enfin, quoi qu’ ignorante à vingt ettrois carats,Elle passait pour un oracle.L’oracle était logé dedans ungaletas.Là cette femme emplit sa bourse,Et sans avoir d’autre ressource,Gagne de quoi donner un rang à sonmari :Elle achète un office, une maison

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aussi.Voilà le galetas rempliD’une nouvelle hôtesse, à qui toutela ville,Femmes, filles, valets, grosMessieurs, tout enfin,Allait comme autrefois demanderson destin :Le galetas devint l’antre de laSibylle.L’autre femelle avait achalandé celieu.Cette dernière femme eut beaufaire, eut beau dire,Moi Devine ! on se moque ; EhMessieurs, sais-je lire ?Je n’ai jamais appris que ma croix

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de par-dieu.Point de raison ; fallut deviner etprédire,Mettre à part force bons ducats,Et gagner malgré soi plus que deuxAvocats.Le meuble, et l’équipage aidaientfort à la chose :Quatre sièges boiteux, un manchede balai,Tout sentait son sabbat, et samétamorphose :Quand cette femme aurait dit vraiDans une chambre tapissée,On s’en serait moqué ; la vogueétait passéeAu galetas ; il avait le crédit :

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L’autre femme se morfondit.L’enseigne fait la chalandise.

J’ai vu dans le Palais une robe malmiseGagner gros : les gens l’avaientprisePour maître tel, qui traînait aprèssoiForce écoutants ; Demandez-moipourquoi.

XV. Le Chat, la Belette, et lepetit Lapin

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Du palais d’un jeune LapinDame Belette un beau matinS’empara ; c’est une rusée.Le Maître étant absent, ce lui futchose aisée.Elle porta chez lui ses pénates unjourQu’il était allé faire à l’Aurore sacour,Parmi le thym et la rosée.Après qu’il eut brouté, trotté, faittous ses tours,Janot Lapin retourne aux souterrainsséjours.La Belette avait mis le nez à lafenêtre.Ô Dieux hospitaliers, que vois-je

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ici paraître ?Dit l’animal chassé du paternellogis :Ô là, Madame la Belette,Que l’on déloge sans trompette,Ou je vais avertir tous les rats dupays.La Dame au nez pointu répondit quela terreÉtait au premier occupant.C’était un beau sujet de guerreQu’un logis où lui-même il n’entraitqu’en rampant.Et quand ce serait un Royaume,Je voudrais bien savoir, dit-elle,quelle loiEn a pour toujours fait l’octroi

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À Jean fils ou neveu de Pierre oude Guillaume,Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.Jean lapin allégua la coutume etl’usage.Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ontde ce logisRendu maître et seigneur, et qui depère en fils,L’ont de Pierre à Simon, puis à moiJean transmis.Le premier occupant est-ce une loiplus sage ?Or bien sans crier davantage,Rapportons nous, dit-elle, àRaminagrobis.C’était un chat vivant comme un

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dévot ermite,Un chat faisant la chattemite,Un saint homme de chat, bienfourré, gros et gras,Arbitre expert sur tous les cas.Jean Lapin pour juge l’agrée.Les voilà tous deux arrivésDevant sa majesté fourrée.Grippeminaud leur dit, mes enfantsapprochez,Approchez ; je suis sourd ; les ansen sont la cause.L’un et l’autre approcha necraignant nulle chose.Aussitôt qu’à portée il vit lescontestants,Grippeminaud le bon apôtre

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Jetant des deux côtés la griffe enmême temps,Mit les plaideurs d’accord encroquant l’un et l’autre.Ceci ressemble fort aux débatsqu’ont parfoisLes petits souverains se rapportantsaux Rois.

XVI. La tête et la queue duSerpent.

Le Serpent a deux partiesDu genre humain ennemies,Tête et queue ; et toutes deux

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Ont acquis un nom fameuxAuprès des Parques cruelles ;Si bien qu’autrefois entre ellesIl survint de grands débatsPour le pas.La tête avait toujours marché devantla queue.La queue au Ciel se plaignit,Et lui dit :Je fais mainte et mainte lieue,Comme il plaît à celle-ci.Croit-elle que toujours j’en veuilleuser ainsi ?Je suis son humble servante.On m’a faite Dieu merciSa sœur, et non sa suivante.Toutes deux de même sang

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Traitez-nous de même sorte :Aussi bien qu’elle je porteUn poison prompt et puissant.Enfin voilà ma requête :C’est à vous de commander,Qu’on me laisse précéderÀ mon tour ma sœur la tête.Je la conduira si bien,Qu’on ne se plaindra de rien.Le Ciel eut pour ces vœux unebonté cruelle.Souvent sa complaisance a deméchants effets.Il devrait être sourd aux aveuglessouhaits.Il ne le fut pas lors : et la guidenouvelle,

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Qui ne voyait au grand jour,Pas plus clair que dans un four,Donnait tantôt contre un marbre,Contre un passant, contre un arbre.Droit aux ondes du Styx elle menasa sœur.Malheureux les États tombés dansson erreur.

XVII. Un Animal dans laLune.

Pendant qu’un Philosophe assure,Que toujours par leurs sens leshommes sont dupés,

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Un autre Philosophe jure,Qu’ils ne nous ont jamais trompés.Tous les deux ont raison ; et laPhilosophieDit vrai, quand elle dit, que les senstromperontTant que sur leur rapport leshommes jugeront ;Mais aussi si l’on rectifieL’image de l’objet sur sonéloignement,Sur le milieu qui l’environne,Sur l’organe, et sur l’instrument,Les sens ne tromperont personne.La nature ordonna ces chosessagement :J’en dirai quelque jour les raisons

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amplement.J’aperçois le Soleil ; quelle en estla figure ?ici-bas ce grand corps n’a que troispieds de tour :Mais si je le voyais là-haut dansson séjour,Que serait-ce à mes yeux que l’œilde la nature ?Sa distance me fait juger de sagrandeur ;Sur l’angle et les côtés ma main ladétermine :L’ignorant le croit plat, j’épaississa rondeur :Je le rends immobile, et la terrechemine.

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Bref je déments mes yeux en toutesa machine.Ce sens ne me nuit point par sonillusion.Mon âme en toute occasionDéveloppe le vrai caché sousl’apparence.Je ne suis point d’intelligenceAvecque mes regards peut-être unpeu trop prompts,Ni mon oreille lente à m’apporterles sons.Quand l’eau courbe un bâton maraison le redresse,La raison décide en maîtresse.Mes yeux, moyennant ce secours,Ne me trompent jamais en me

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mentant toujours.Si je crois leur rapport, erreurassez commune,Une tête de femme est au corps dela Lune.Y peut-elle être ? Non. D’où vientdonc cet objet ?Quelques lieux inégaux font de loincet effet.La Lune nulle part n’a sa surfaceunie :Montueuse en des lieux, en d’autresapplanie,L’ombre avec la lumière y peuttracer souventUn Homme, un Bœuf, un Éléphant.N’aguere l’Angleterre y vit chose

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pareille.La lunette placée, un animalnouveauParut dans cet astre si beau ;Et chacun de crier merveille.II était arrivé là haut un changement,Qui présageoit sans doute un grandévénement.Savait-on si la guerre entre tant depuissancesN’en était point l’effet ? LeMonarque accourut :Il favorise en Roi ces hautesconnaissances.Le Monstre dans la Lune à son tourlui parut.C’était une Souris cachée entre les

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verres :Dans la lunette était la source deces guerres.On en rit : Peuple heureux, quandpourront les FrançoisSe donner comme vous entiers à cesemplois ?Mars nous fait recueillir d’amplesmoissons de gloire :C’est à nos ennemis de craindre lescombats,À nous de les chercher, certains quela victoireAmante de Louis suivra par tout sespas.Ses lauriers nous rendront célèbresdans l’histoire.

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Même les filles de mémoireNe nous ont point quitez : nousgoûtons des plaisirs :La paix fait nos souhaits, et nonpoint nos soupirs.Charles en sait jouir : Il sauraitdans la guerreSignaler sa valeur, et menerl’AngleterreÀ ces jeux qu’en repos elle voitaujourd’hui.Cependant s’il pouvait apaiser laquerelle,Que d’encens ! Est-il rien de plusdigne de lui ?La carrière d’Auguste a-t-elle étémoins belle

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Que les fameux exploits du premierdes Césars ?Ô peuple trop heureux, quand lapaix viendra-t-elleNous rendre comme vous toutentiers aux beaux arts ?

LIVRE HUITIÈME

FABLE I. La mort et lemourant.La mort ne surprend point le sage ;Il est toujours prêt à partir,

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S’étant su lui-même avertirDu temps où l’on se doit résoudre àce passage.Ce temps, hélas ! embrasse tous lestemps :Qu’on le partage en jours, enheures, en moments,Il n’en est point qu’il ne comprenneDans le fatal tribut ; tous sont deson domaine ;Et le premier instant où les enfantsdes RoisOuvrent les yeux à la lumière,Est celui qui vient quelquefoisFermer pour toujours leur paupière.Défendez-vous par la grandeur,Alléguez la beauté, la vertu, la

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jeunesse,La mort ravit tout sans pudeur.Un jour le monde entier accroîtra sarichesse.Il n’est rien de moins ignoré,Et puis qu’il faut que je le die,Rien où l’on soit moins préparé.Un mourant qui comptait plus decent ans de vie,Se plaignait à la mort queprécipitammentElle le contraignait de partir tout àl’heure,Sans qu’il eût fait son testament,Sans l’avertir au moins. Est-il justequ’on meureAu pied levé ? dit-il : attendez

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quelque peu.Ma femme ne veut pas que je partesans elle ;Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ;Souffrez qu’à mon logis j’ajouteencore une aile.Que vous êtes pressante, ô Déessecruelle !Vieillard, lui dit la mort, je ne t’aipoint surpris.Tu te plains sans raison de monimpatience.Eh n’as-tu pas cent ans ? trouve-moi dans ParisDeux mortels aussi vieux, trouve-m’en dix en France.

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Je devais, ce dis-tu, te donnerquelque avisQui te disposât à la chose :J’aurais trouvé ton testament toutfait,Ton petit fils pourvu, ton bâtimentparfait ;Ne te donna-t-on pas des avisquand la causeDu marcher et du mouvement,Quand les esprits, le sentiment,Quand tout faillit en toi ? Plus degoût, plus d’ouïe :Toute chose pour toi semble êtreévanouie :Pour toi l’astre du jour prend dessoins superflus :

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Tu regrettes des biens qui ne tetouchent plus.Je t’ai fait voir tes camarades,Ou morts, ou mourants, ou malades.Qu’est-ce que tout cela, qu’unavertissement ?Allons vieillard, et sans réplique ;Il n’importe à la républiqueQue tu fasses ton testament.La mort avait raison : Je voudraisqu’à cet âgeOn sortît de la vie ainsi que d’unbanquet,Remerciant son hôte, et qu’on fîtson paquet ;Car de combien peut-on retarder levoyage ?

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Tu murmures vieillard ; vois cesjeunes mourir,Vois les marcher, vois les courirÀ des morts, il est vrai, glorieuseset belles,Mais sûres cependant, etquelquefois cruelles.J’ai beau te le crier ; mon zèle estindiscret :Le plus semblable aux morts meurtle plus à regret.

II. Le Savetier et leFinancier.

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Un Savetier chantait du matinjusqu’au soir :C’était merveilles de le voir,Merveilles de l’ouïr : il faisait despassages,Plus content qu’aucun des septsages.Son voisin au contraire, étant toutcousu d’or,Chantait peu, dormait moins encor.C’était un homme de finance.Si sur le point du jour parfois ilsommeillait,Le Savetier alors en chantantl’éveillait,Et le Financier se plaignait,

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Que les soins de la ProvidenceN’eussent pas au marché fait vendrele dormir,Comme le manger et le boire.En son hôtel il fait venirLe chanteur, et lui dit : Or çà, sireGrégoire,Que gagnez-vous par an ? par an ?ma foi Monsieur,Dit avec un ton de rieurLe gaillard Savetier, ce n’est pointma manièreDe compter de la sorte ; et jen’entasse guèreUn jour sur l’autre : il suffit qu’à lafinJ’attrape le bout de l’année :

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Chaque jour amène son pain.Eh bien que gagnez-vous, dites-moi,par journée ?Tantôt plus, tantôt moins : le mal estque toujours ;(Et sans cela nos gains seraientassez honnêtes,)Le mal est que dans l’ans’entremêlent des joursQu’il faut chômer ; on nous ruine enFêtes.L’une fait tort à l’autre ; etMonsieur le Curé,De quelque nouveau Saint chargetoujours son prône.Le Financier riant de sa naïveté,Lui dit : Je vous veux mettre

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aujourd’hui sur le trône.Prenez ces cent écus : gardez lesavec soin,Pour vous en servir au besoin.Le Savetier crut voir tout l’argentque la terreAvait depuis plus de cent ansProduit pour l’usage des gens.Il retourne chez lui : dans sa cave ilenserreL’argent et sa joie à la fois.Plus de chant ; il perdit la voixDu moment qu’il gagna ce qui causenos peines.Le sommeil quitta son logis,Il eut pour hôtes les soucis,Les soupçons, les alarmes vaines.

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Tout le jour il avait l’œil au guet ;Et la nuit,Si quelque chat faisait du bruit,Le chat prenait l’argent : À la fin lepauvre hommeS’en courut chez celui qu’il neréveillait plus.Rendez-moi, lui dit-il , meschansons et mon somme,Et reprenez vos cent écus.

III. Le Lion, le Loup et leRenard.Un Lion décrépit, goutteux, n’enpouvant plus,

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Voulait que l’on trouvât remède à lavieillesse :Alléguer l’impossible aux Rois,c’est un abus.Celui-ci parmi chaque espèceManda des Médecins ; il en est detous arts :Médecins au Lion viennent detoutes parts ;De tous côtés lui vient des donneursde recettes.Dans les visites qui sont faitesLe Renard se dispense, et se tientclos et coi.Le Loup en fait sa cour, daube aucoucher du RoiSon camarade absent ; le Prince

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tout à l’heureVeut qu’on aille enfumer Renarddans sa demeure,Qu’on le fasse venir. Il vient, estprésenté ;Et sachant que le Loup lui faisaitcette affaire :Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapportpeu sincère,Ne m’ait à mépris imputéD’avoir différé cet hommage ;Mais j’étais en pèlerinage ;Et m’acquittais d’un vœu fait pourvotre santé.Même j’ai vu dans mon voyageGens experts et savants ; leur ai ditla langueur

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Dont votre Majesté craint à bondroit la suite :Vous ne manquez que de chaleur :Le long âge en vous l’a détruite :D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peauToute chaude et toute fumante ;Le secret sans doute en est beauPour la nature défaillante.Messire Loup vous servira,S’il vous plaît, de robe de chambre.Le Roi goûte cet avis-là :On écorche, on taille, on démembreMessire Loup. Le Monarque ensoupa ;Et de sa peau s’enveloppa ;

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Messieurs les courtisans, cessez devous détruire :Faites si vous pouvez votre coursans vous nuire.Le mal se rend chez vous auquadruple du bien.Les daubeurs ont leur tour, d’une oud’autre manière :Vous êtes dans une carrièreOù l’on ne se pardonne rien.

IV. Le pouvoir des Fables.A MONSIEUR DE BARILLON

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La qualité d’AmbassadeurPeut-elle s’abaisser à des contesvulgaires ?Vous puis je offrir mes vers et leursgrâces légères ?S’ils osent quelquefois prendre unair de grandeur,Seront-ils point traités par vous detéméraires ?Vous avez bien d’autres affairesÀ démêler que les débatsDu Lapin et de la Belette :Lisez les, ne les lisez pas ;Mais empêchez qu’on ne nous metteToute l’Europe sur les bras.Que de mille endroits de la terreIl nous vienne des ennemis,

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J’y consens ; mais que l’AngleterreVeuille que nos deux Rois selassent d’être amis,J’ai peine à digérer la chose.N’est-il point encor temps queLouis se repose ?Quel autre Hercule enfin ne setrouverait lasDe combattre cette Hydre ? et faut-il qu’elle opposeUne nouvelle tête aux efforts de sonbras ?Si votre esprit plein de souplesse,Par éloquence, et par adresse,Peut adoucir les cœurs, et détournerce coup,Je vous sacrifierai cent moutons ;

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c’est beaucoupPour un habitant du Parnasse.Cependant faites moi la grâceDe prendre en don ce peu d’encens.Prenez en gré mes vœux ardents,Et le récit en vers, qu’ici je vousdédie.Son sujet vous convient ; je n’endirai pas plus :Sur les Éloges que l’envieDoit avouer qui vous sont dus,Vous ne voulez pas qu’on appuie. Dans Athènes autrefois peuple vainet léger,Un Orateur voyant sa patrie endanger,

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Courut à la Tribune ; et d’un arttyrannique,Voulant forcer les cœurs dans unerépublique,Il parla fortement sur le communsalut.On ne l’écoutait pas : l’OrateurrecourutÀ ces figures violentes,Qui savent exciter les âmes les pluslentes.Il fit parler les morts, tonna, dit cequ’il put.Le vent emporta tout ; personne nes’émut.L’animal aux têtes frivolesÉtant fait à ces traits, ne daignait

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l’écouter.Tous regardaient ailleurs : il en vits’arrêterÀ des combats d’enfants, et point àses paroles.Que fit le harangueur ? Il prit unautre tour.Cérès, commença-t-il, faisaitvoyage un jourAvec l’Anguille et l’Hirondelle :Un fleuve les arrête ; et l’Anguilleen nageant,Comme l’Hirondelle en volant,Le traversa bien-tôt. L’assemblée àl’instantCria tout d’une voix : Et Cérès, quefit-elle ?

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Ce qu’elle fit ? un prompt courrouxL’anima d’abord contre vous.Quoi, de contes d’enfants sonpeuple s’embarrasse !Et du péril qui le menaceLui seul entre les Grecs il négligel’effet !Que ne demandez-vous ce quePhilippe fait ?À ce reproche l’assembléePar l’Apologue réveilléeSe donne entière à l’Orateur :Un trait de Fable en eut l’honneur.Nous sommes tous d’Athènes en cepoint ; et moi-même,Au moment que je fais cettemoralité,

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Si peau d’âne m’était conté,J’y prendrais un plaisir extrême,Le monde est vieux, dit-on, je lecrois, cependantIl le faut amuser encor comme unenfant.

V. L’Homme et la Puce.Par des vœux importuns nousfatiguons les Dieux :Souvent pour des sujets mêmeindignes des hommes.Il semble que le Ciel sur tous tantque nous sommesSoit obligé d’avoir incessamment

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les yeux,Et que le plus petit de la racemortelle,À chaque pas qu’il fait, à chaquebagatelle,Doive intriguer l’Olympe et tousses citoyens,Comme s’il s’agissait des Grecs etdes Troyens.Un sot par une puce eut l’épaulemordue.Dans les plis de ses draps elle allase loger.Hercule, ce dit-il, tu devais bienpurgerLa terre de cette Hydre auPrintemps revenue.

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Que fais-tu Jupiter, que du haut dela nueTu n’en perdes la race afin de mevenger ?Pour tuer une puce il voulait obligerCes Dieux à lui prêter leur foudre etleur massue.

VI. Les Femmes et le Secret. Rien ne pèse tant qu’un secret :Le porter loin est difficile auxDames :Et je sais même sur ce faitBon nombre d’hommes qui sont

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femmes.Pour éprouver la sienne un maris’écriaLa nuit étant prés d’elle : ô dieux !qu’est-ce cela ?Je n’en puis plus ; on me déchire ;Quoi j’accouche d’un œuf ! d’unœuf ? ouï, le voilàFrais et nouveau pondu : gardezbien de le dire :On m’appellerait poule. Enfin n’enparlez pas.La femme neuve sur ce cas,Ainsi que sur mainte autre affaire,Crut la chose, et promit ses grandsdieux de se taire.Mais ce serment s’évanouit

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Avec les ombres de la nuit.L’épouse indiscrète et peu fine,Sort du lit quand le jour fut à peinelevé :Et de courir chez sa voisine.Ma commère, dit-elle, un cas estarrivé :N’en dites rien surtout, car vous meferiez battre.Mon mari vient de pondre un œufgros comme quatre.Au nom de Dieu gardez vous bienD’aller publier ce mystère.Vous moquez-vous ? dit l’autre :Ah, vous ne savez guèreQuelle je suis. Allez, ne craignezrien.

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La femme du pondeur s’en retournechez elle.L’autre grille déjà de conter lanouvelle :Elle va la répandre en plus de dixendroits.Au lieu d’un œuf elle en dit trois.Ce n’est pas encor tout, car uneautre commèreEn dit quatre, et raconte à l’oreillele fait,Précaution peu nécessaire,Car ce n’était plus un secret.Comme le nombre d’œufs, grâce àla renommée,De bouche en bouche allaitcroissant,

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Avant la fin de la journéeIls se montaient à plus d’un cent.

VII. Le Chien qui porte àson cou le dîné de sonMaître.Nous n’avons pas les yeux àl’épreuve des belles,Ni les mains à celle de l’or :Peu de gens gardent un trésorAvec des soins assez fidèles.Certain Chien qui portait la pitanceau logis,S’était fait un collier du dîné de sonmaître.

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Il était tempérant plus qu’il n’eûtvoulu l’être,Quand il voyait un mets exquis :Mais enfin il l’était et tous tant quenous sommesNous nous laissons tenter àl’approche des biens.Chose étrange ! on apprend latempérance aux chiens,Et l’on ne peut l’apprendre auxhommes.Ce Chien-ci donc étant de la sorteatourné,Un mâtin passe, et veut lui prendrele dîné.Il n’en eut pas toute la joieQu’il espérait d’abord : Le Chien

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mit bas la proie,Pour la défendre mieux, n’en étantplus chargé.Grand combat : D’autres Chiensarrivent.Ils étaient de ceux-là qui viventSur le public, en craignant peu lescoups.Notre Chien se voyant trop faiblecontre eux tous,Et que la chair courait un dangermanifeste,Voulut avoir sa part ; Et lui sage : illeur dit :Point de courroux, Messieurs, monlopin me suffit :Faites votre profit du reste.

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À ces mots le premier il vous happeun morceau.Et chacun de tirer, le mâtin, lacanaille ;À qui mieux mieux ; ils firent tousripaille ;Chacun d’eux eut part du gâteau.Je crois voir en ceci l’image d’uneVille,Où l’on met les deniers à la mercides gens.Échevins, Prevost des Marchands,Tout fait sa main : le plus habileDonne aux autres l’exemple ; Etc’est un passe-tempsDe leur voir nettoyer un monceaude pistoles.

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Si quelque scrupuleux par desraisons frivolesVeut défendre l’argent, et dit lemoindre mot ;On lui fait voir qu’il est un sot.Il n’a pas de peine à se rendre :C’est bien-tôt le premier à prendre.

VIII. Le Rieur et lesPoissons.On cherche les Rieurs ; et moi jeles évite.Cet art veut sur tout autre unsuprême mérite.Dieu ne créa que pour les sots,

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Les méchants diseurs de bons mots.J’en vais peut-être en une FableIntroduire un ; peut-être aussiQue quelqu’un trouvera que j’aurairéussi.Un rieur était à la tableD’un Financier ; et n’avait en soncoinQue de petits poissons ; tous lesgros étaient loin.Il prend donc les menus, puis leurparle à l’oreille,Et puis il feint à la pareille,D’écouter leur réponse. Ondemeura surpris :Cela suspendit les esprits.Le Rieur alors d’un ton sage

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Dit qu’il craignait qu’un sien amiPour les grandes Indes parti,N’eût depuis un an fait naufrage.Il s’en informait donc à ce menufretin ;Mais tous lui répondaient qu’ilsn’étaient pas d’un âgeÀ savoir au vrai son destin ;Les gros en sauraient davantage.N’en puis-je donc, Messieurs, ungros interroger ?De dire si la compagniePrit goût à sa plaisanterie,J’en doute ; mais enfin, il les sutengagerÀ lui servir d’un monstre assezvieux pour lui dire

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Tous les noms des chercheurs demondes inconnusQui n’en étaient pas revenus,Et que depuis cent ans sous l’abîmeavaient veusLes anciens du vaste empire.

IX. Le Rat et l’Huître.Un Rat hôte d’un champ, Rat de peude cervelle,Des Lares paternels un jour setrouva saoul.Il laisse là le champ, le grain, et lajavelle,Va courir le pays, abandonne son

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trou.Sitôt qu’il fut hors de la case,Que le monde, dit-il, est grand etspacieux !Voilà les Apennins, et voici leCaucase :La moindre Taupinée était mont àses yeux.Au bout de quelques jours levoyageur arriveEn un certain canton où Thétis surla riveAvait laissé mainte Huître ; et notreRat d’abordCrut voir en les voyant desvaisseaux de haut bord.Certes, dit-il, mon père était un

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pauvre sire :Il n’osait voyager, craintif audernier point :Pour moi, j’ai déjà vu le maritimeempire :J’ai passé les déserts, mais nousn’y bûmes point.D’un certain magister le Rat tenaitces choses,Et les disait à travers champs ;N’étant pas de ces Rats qui leslivres rongeantsSe font savants jusque aux dents.Parmi tant d’Huîtres toutes closes,Une s’était ouverte, et bâillant auSoleil,Par un doux Zéphyr réjouie,

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Humait l’air, respirait, étaitépanouie,Blanche, grasse, et d’un goût à lavoir non pareil.D’aussi loin que le Rat voit cetteHuître qui bâille,Qu’aperçois-je ? dit-il, c’estquelque victuaille ;Et si je ne me trompe à la couleurdu mets,Je dois faire aujourd’hui bonnechère, ou jamais.Là-dessus maître Rat plein de belleespérance,Approche de l’écaille, allonge unpeu le cou,Se sent pris comme aux lacs ; car

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l’Huître tout d’un coupSe referme, et voilà ce que faitl’ignorance.Cette Fable contient plus d’unenseignement.Nous y voyons premièrement ;Que ceux qui n’ont du mondeaucune expérienceSont aux moindres objets frappésd’étonnement :Et puis nous y pouvons apprendre,Que tel est pris qui croyait prendre.

X. L’Ours et l’Amateur desIardins.

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Certain Ours montagnard, Ours àdemi léché,Confiné par le sort dans un boissolitaire,Nouveau Bellerophon vivait seul etcaché ;Il fût devenu fou : la raisond’ordinaireN’habite pas toujours chez les gensséquestrés :Il est bon de parler, et meilleur dese taire,Mais tous deux sont mauvais alorsqu’ils sont outrés.Nul animal n’avait affaireDans les lieux que l’Ours habitait ;Si bien que tout Ours qu’il était

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Il vint à s’ennuyer de cette tristevie.Pendant qu’il se livrait à lamélancolie,Non loin de là certain vieillardS’ennuyait aussi de sa part.Il aimait les jardins, était Prêtre deFlore,Il était de Pomone encore :Ces deux emplois sont beaux ; Maisje voudrais parmiQuelque doux et discret ami.Les jardins parlent peu ; si ce n’estdans mon livre ;De façon que lassé de vivreAvec des gens muets notre hommeun beau matin

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Va chercher compagnie, et se met encampagne.L’Ours porté d’un même desseinVenait de quitter sa montagne :Tous deux par un cas surprenantSe rencontrent en un tournant.L’homme eut peur : mais commentesquiver ; et que faire ?Se tirer en Gascon d’une semblableaffaireEst le mieux : Il sut donc dissimulersa peur.L’Ours très-mauvais complimenteurLui dit ; Viens-t’en me voir. L’autrereprit, Seigneur,Vous voyez mon logis ; si vous mevouliez faire

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Tant d’honneur que d’y prendre unchampêtre repas,J’ai des fruits, j’ai du lait : Ce n’estpeut-être pasDe Nosseigneurs les Ours lemanger ordinaire ;Mais j’offre ce que j’ai. L’Oursl’accepte ; et d’aller.Les voilà bons amis avant qued’arriver.Arrivés, les voilà, se trouvant bienensemble ;Et bien qu’on soit à ce qu’il sembleBeaucoup mieux seul qu’avec dessots,Comme l’Ours en un jour ne disaitpas deux mots

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L’homme pouvait sans bruit vaquerà son ouvrage.L’Ours allait à la chasse, apportaitdu gibier,Faisait son principal métierD’être bon émoucheur, écartait duvisageDe son ami dormant, ce parasiteailé,Que nous avons mouche appelé.Un jour que le vieillard dormaitd’un profond somme,Sur le bout de son nez une allant seplacerMit l’Ours au désespoir, il eut beaula chasser.Je t’attraperai bien, dit-il. Et voici

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comme.Aussitôt fait que dit ; le fidèleémoucheurVous empoigne un pavé, le lanceavec roideur,Casse la tête à l’homme en écrasantla mouche,Et non moins bon archer quemauvais raisonneur :Roide mort étendu sur la place il lecouche.Rien n'est si dangereux qu'unignorant ami ;Mieux vaudrait un sage ennemi.

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XI. Les deux Amis.

Deux vrais amis vivaient auMonomotapa :L’un ne possédait rien quin’appartînt à l’autre :Les amis de ce pays-làValent bien dit-on ceux du nôtre.Une nuit que chacun s’occupait ausommeil,Et mettait à profit l’absence duSoleil,Un de nos deux amis sort du lit enalarme :Il court chez son intime, éveille lesvalets :Morphée avait touché le seuil de ce

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palais.L’ami couché s’étonne, il prend sabourse, il s’arme ;Vient trouver l’autre, et dit ; Il vousarrive peuDe courir quand on dort ; vous meparaissiez hommeÀ mieux user du temps destiné pourle somme :N’auriez-vous point perdu toutvotre argent au jeu ?En voici : s’il vous est venuquelque querelle,J’ai mon épée, allons : Vousennuyez-vous pointDe coucher toujours seul ? uneesclave assez belle

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Était à mes côtés, voulez-vousqu’on l’appelle ?Non, dit l’ami, ce n’est ni l’un nil’autre point :Je vous rends grâce de ce zèle.Vous m’êtes en dormant un peutriste apparu ;J’ai craint qu’il ne fût vrai, je suisvite accouru.Ce maudit songe en est la cause.Qui d’eux aimait le mieux, que t’ensemble, Lecteur ?Cette difficulté vaut bien qu’on lapropose.Qu’un ami véritable est une doucechose.Il cherche vos besoins au fond de

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votre cœur ;Il vous épargne la pudeurDe les lui découvrir vous-même.Un songe, un rien, tout lui fait peurQuand il s’agit de ce qu’il aime.

XII. Le Cochon, la Chèvreet le Mouton.Une Chèvre, un Mouton, avec unCochon gras,Montés sur même char s’en allaientà la foire :Leur divertissement ne les y portaitpas ;On s’en allait les vendre, à ce que

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dit l’histoire :Le Charton n’avait pas desseinDe les mener voir Tabarin.Dom pourceau criait en chemin,Comme s’il avait eu cent Bouchersà ses trousses.C’était une clameur à rendre lesgens sourds :Les autres animaux, créatures plusdouces,Bonnes gens, s’étonnaient qu’ilcriât au secours ;Ils ne voyaient nul mal à craindre.Le Charton dit au Porc, qu’as-tu tantà te plaindre ?Tu nous étourdis tous, que ne tetiens-tu coi ?

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Ces deux personnes-ci plushonnêtes que toi,Devraient t’apprendre à vivre, oudu moins à te taire.Regarde ce Mouton ; A-t-il dit unseul mot ?Il est sage. Il est un sot,Repartit le Cochon : s’il savait sonaffaire,Il crierait comme moi du haut deson gosier,Et cette autre personne honnêteCrierait tout du haut de sa tête.Ils pensent qu’on les veut seulementdécharger,La Chèvre de son lait, le Mouton desa laine.

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Je ne sais pas s’ils ont raison ;Mais quant à moi qui ne suis bonQu’à manger, ma mort est certaine.Adieu mon toit et ma maison.Dom Pourceau raisonnait en subtilpersonnage :Mais que lui servait-il ? quand lemal est certain,La plainte ni la peur ne changent ledestin ;Et le moins prévoyant est toujoursle plus sage.

XIII. Tircis et Amarante.

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Pour Mademoiselle de Sillery.J’avais Ésope quittéPour être tout à Bocace :Mais une divinitéVeut revoir sur le ParnasseDes Fables de ma façon ;Or d’aller lui dire, Non,Sans quelque valable excuse,Ce n’est pas comme on en useAvec des Divinités,Sur tout quand ce sont de cellesQue la qualité de bellesFait Reines des volontés.Car afin que l’on le sacheC’est Sillery qui s’attacheÀ vouloir que de nouveauSire Loup, Sire Corbeau

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Chez moi se parlent en rime.Qui dit Sillery, dit tout ;Peu de gens en leur estimeLui refusent le haut bout ;Comment le pourrait-on faire ?Pour venir à notre affaire,Mes contes à son avisSont obscurs ; Les beaux espritsN'entendent pas toute chose :Faisons donc quelques récitsQu'elle déchifre sans glose.Amenons des Bergers et puis nousrimeronsCe que disent entre eux les Loups etles Moutons.Tircis disait un jour à la jeuneAmaranthe ;

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Ah ! si vous connaissiez commemoi certain malQui nous plaît et qui nous enchante !Il n'est bien sous le Ciel qui vousparust égal :Souffrez qu'on vous lecommunique ;Croyez-moi ; n'ayez point de peur ;Voudrais-je vous tromper, vouspour qui je me piqueDes plus doux sentiments quepuisse avoir un cœur ?Amaranthe Aussitôt réplique ;Comment l’appelez-vous ce mal ?quel est son nom ?L’amour. Ce mot est beau : Dites-moi quelques marques

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A quoi-je le pourrai connaître : quesent-on ?Des peines prés de qui le plaisirdes MonarquesEst ennuyeux et fade : on s’oublie,on se plaîtToute seule en une forêt.Se mire-t-on prés un rivage ?Ce n’est pas soi qu'on voit, on nevoit qu'une imageQui sans cesse revient et qui suit entous lieux :Pour tout le reste on est sans yeux.Il est un Berger de villageDont l’abord, dont la voix, dont lenom fait rougir :On soupire à son souvenir :

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On ne sait pas pourquoi ; cependanton soupire ;On a peur de le voir encor qu’on ledésire.Amaranthe dit à l’instantOh ! oh ! c’est là ce mal que vousme prêchez tant ?Il ne m’est pas nouveau : je pensele connaître.Tircis à son but croyait être,Quand la belle ajouta, Voilà toutjustementCe que je sens pour Clidamant.L’autre pensa mourir de dépit et dehonte.Il est force gens comme luiQui pretendent n'agir que pour leur

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propre compte,Et qui font le marché d’autrui.

XIV. Les Obsèques de laLionne.

LA femme du Lion mourut :Aussitôt chacun accourutPour s’acquitter envers le PrinceDe certains compliments deconsolation,Qui sont surcroît d’affliction.Il fit avertir sa Province,Que les obsèques se feraientUn tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts

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y seraientPour régler la cérémonie,Et pour placer la compagnie.Jugez si chacun s’y trouva.Le Prince aux cris s’abandonna,Et tout son antre en résonna.Les Lions n’ont point d’autretemple.On entendit à son exempleRugir en leurs patois Messieurs lesCourtisans.Je définis la cour un pays où lesgensTristes, gais, prêts à tout, à toutindifférents,Sont ce qu’il plaît au Prince, ous’ils ne peuvent l’être,

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Tâchent au moins de le paraître,Peuple caméléon, peuple singe dumaître ;On dirait qu’un esprit anime millecorps ;C’est bien là que les gens sont desimples ressorts.Pour revenir à notre affaireLe Cerf ne pleura point, commenteût-il pu faire ?Cette mort le vengeait ; la Reineavait jadisÉtranglé sa femme et son fils.Bref il ne pleura point. Un flatteurl’alla dire,Et soutint qu’il l’avait vu rire.La colère du Roi, comme dit

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Salomon,Est terrible, et sur tout celle du RoiLion :Mais ce Cerf n’avait pas accoutuméde lire.Le Monarque lui dit, Chétif hôte desboisTu ris, tu ne suis pas cesgémissantes voix.Nous n’appliquerons point sur tesmembres profanesNos sacrés ongles ; venez Loups,Vengez la Reine, immolez tousCe traître à ses augustes mânes.Le Cerf reprit alors : Sire, le tempsde pleursEst passé ; la douleur est ici

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superflue.Votre digne moitié couchée entredes fleurs,Tout près d’ici m’est apparue ;Et je l’ai d’abord reconnue.Ami, m’a-t-elle dit, garde que ceconvoi,Quand je vais chez les Dieux, net’oblige à des larmes.Aux champs Élyséens j’ai goûtémille charmes,Conversant avec ceux qui sontsaints comme moi.Laisse agir quelque temps ledésespoir du Roi.J’y prends plaisir. À peine on eutouï la chose,

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Qu’on se mit à crier, Miracle,apothéose.Le Cerf eut un présent, bien loind’être puni.Amusez les Rois par des songes,Flattez-les, payez-les d’agréablesmensonges,Quelque indignation dont leur cœursoit rempli,Ils goberont l’appât, vous serez leurami.

XV. Le Rat et l’Éléphant.

Se croire un personnage, est fort

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commun en France.On y fait l’homme d’importance,Et l’on n’est souvent qu’unBourgeois :C’est proprement le mal François.La sotte vanité nous est particulière.Les Espagnols sont vains, maisd’une autre manière.Leur orgueil me semble en un motBeaucoup plus fou, mais pas si sot.Donnons quelque image du nôtreQui sans doute en vaut bien unautre.Un Rat des plus petits voyait unÉléphantDes plus gros, et raillait le marcherun peu lent

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De la bête de haut parage,Qui marchait à gros équipage.Sur l’animal à triple étageUne Sultane de renom,Son Chien, son Chat, et sa Guenon,Son Perroquet, sa vieille, et toute samaison,S’en allait en pèlerinage.Le Rat s’étonnait que les gensFussent touchés de voir cettepesante masse :Comme si d’occuper ou plus oumoins de place,Nous rendait, disait-il, plus oumoins importants.Mais qu’admirez-vous tant en luivous autres hommes ?

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Serait-ce ce grand corps, qui faitpeur aux enfants ?Nous ne nous prisons pas, toutpetits que nous sommes,D’un grain moins que les Éléphants.Il en aurait dit davantage ;Mais le Chat sortant de sa cage,Lui fit voir en moins d’un instantQu’un Rat n’est pas un Éléphant.

XVI. L’Horoscope.

On rencontre sa destinéeSouvent par des chemins qu’on

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prend pour l’éviter.Un père eut pour toute lignéeUn fils qu’il aima trop, jusque àconsulterSur le sort de sa géniture,Les diseurs de bonne aventure.Un de ces gens lui dit, que desLions sur toutIl éloignât l’enfant jusque à certainâge ;Jusqu’à vingt ans, point davantage.Le père pour venir à boutD’une précaution sur qui roulait lavieDe celui qu’il aimait, défendit quejamaisOn lui laissât passer le seuil de son

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Palais.Il pouvait sans sortir contenter sonenvie,Avec ses compagnons tout le jourbadiner,Sauter, courir, se promener.Quand il fut en l’âge où la chassePlaît le plus aux jeunes esprits,Cet exercice avec méprisLui fut dépeint : mais quoi qu’onfasse,Propos, conseil, enseignement,Rien ne change un tempérament.Le jeune homme inquiet, ardent,plein de courage,À peine se sentit des bouillons d’untel âge,

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Qu’il soupira pour ce plaisir.Plus l’obstacle était grand, plus fortfut le désir.Il savait le sujet des fatalesdéfenses ;Et comme ce logis plein demagnificences,Abondait partout en tableaux,Et que la laine et les pinceauxTraçaient de tous côtés chasses etpaysages,En cet endroit des animaux,En cet autre des personnages,Le jeune homme s’émut voyantpeint un Lion.Ah ! monstre, cria-t-il, c’est toi quime fais vivre

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Dans l’ombre et dans les fers. Àces mots il se livreAux transports violents del’indignation,Porte le poing sur l’innocente bête.Sous la tapisserie un clou serencontra.Ce clou le blesse ; il pénétraJusqu’aux ressorts de l’âme ; etcette chère têtePour qui l’art d’Esculape en vain fitce qu’il put,Dut sa perte à ces soins qu’on pritpour son salut.Même précaution nuisit au PoèteEschyle.Quelque Devin le menaça, dit-on,

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De la chute d’une maison.Aussitôt il quitta la ville,Mit son lit en plein champ, loin destoits, sous les Cieux.Un Aigle qui portait en l’air uneTortue,Passa par là, vit l’homme, et sur satête nue,Qui parut un morceau de rocher àses yeux,Étant de cheveux dépourvue,Laissa tomber sa proie, afin de lacasser :Le pauvre Eschyle ainsi sut sesjours avancer.De ces exemples il résulte,Que cet art, s’il est vrai, fait tomber

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dans les maux,Que craint celui qui le consulte ;Mais je l’en justifie, et maintiensqu’il est faux.Je ne crois point que la natureSe soit lié les mains, et nous les lieencor,Jusqu’au point de marquer dans lesCieux notre sort.Il dépend d’une conjonctureDe lieux, de personnes, de temps ;Non des conjonctions de tous cescharlatans.Ce Berger et ce Roi sont sous mêmePlanète ;L’un d’eux porte le sceptre etl’autre la houlette :

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Jupiter le voulait ainsi.Qu’est-ce que Jupiter ? un corpssans connaissance.D’où vient donc que son influenceAgit différemment sur ces deuxhommes-ci ?Puis comment pénétrer jusque ànotre monde ?Comment percer des airs lacampagne profonde ?Percer Mars, le Soleil, et des videssans fin ?Un atome la peut détourner enchemin :Où l’iront retrouver les faiseursd’Horoscope ?L’état où nous voyons l’Europe,

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Mérite que du moins quelqu’und’eux l’ait prévu ;Que ne l’a-t-il donc dit ? Mais nuld’eux ne l’a su.L’immense éloignement, le point, etsa vitesse,Celle aussi de nos passions,Permettent-ils à leur faiblesseDe suivre pas à pas toutes nosactions ?Notre sort en dépend : sa courseentresuivie,Ne va non plus que nous jamaisd’un même pas ;Et ces gens veulent au compas,Tracer les cours de notre vie !Il ne se faut point arrêter

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Aux deux faits ambigus que je viensde conter.Ce fils par trop chéri, ni lebonhomme EschyleN’y font rien. Tout aveugle etmenteur qu’est cet art,Il peut frapper au but une fois entremille ;Ce sont des effets du hasard.

XVII. L’Âne et le Chien

Il se faut entr’aider, c’est la loi denature :

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L’Âne un jour pourtant s’en moqua :Et ne sais comme il y manqua ;Car il est bonne créature.Il allait par pays accompagné duChien,Gravement, sans songer à rien,Tous deux suivis d’un communmaître.Ce maître s’endormit : l’Âne se mità paître :Il était alors dans un pré,Dont l’herbe était fort à son gré.Point de chardons pourtant ; il s’enpassa pour l’heure :Il ne faut pas toujours être sidélicat ;Et faute de servir ce plat

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Rarement un festin demeure.Notre Baudet s’en sut enfinPasser pour cette fois. Le Chienmourant de faimLui dit : Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ;Je prendrai mon dîner dans lepanier au pain.Point de réponse, mot ; le Roussind’ArcadieCraignit qu’en perdant un moment,Il ne perdît un coup de dent.Il fit longtemps la sourde oreille :Enfin il répondit : Ami, je teconseilleD’attendre que ton maître ait finison sommeil ;

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Car il te donnera sans faute à sonréveilTa portion accoutumée.Il ne saurait tarder beaucoup.Sur ces entrefaites un LoupSort du bois, et s’en vient ; autrebête affamée.L’Âne appelle aussitôt le Chien àson secours.Le Chien ne bouge, et dit : ami, je teconseilleDe fuir en attendant que ton maîtres’éveille ;Il ne saurait tarder ; détale vite, etcours.Que si ce Loup t’atteint, casse-lui lamâchoire.

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On t’a ferré de neuf ; et si tu meveux croire,Tu l’étendras tout plat. Pendant cebeau discoursSeigneur Loup étrangla le Baudetsans remède.Je conclus qu’il faut qu’ons’entraide.

XVIII. Le Bassa et leMarchand.

Un Marchand Grec en certainecontréeFaisait trafic. Un Bassa l’appuyait ;

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De quoi le Grec en Bassa le payait,Non en Marchand : tant c’est chèredenréeQu’un protecteur. Celui-ci coûtaittant,Que notre Grec s’allait partoutplaignant.Trois autres Turcs d’un rangmoindre en puissanceLui vont offrir leur support encommun.Eux trois voulaient moins dereconnaissanceQu’à ce Marchand il n’en coûtaitpour un.Le Grec écoute : avec eux ils’engage ;

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Et le Bassa du tout est averti :Même on lui dit qu’il jouera s’il estsage,À ces gens-là quelque méchantparti,Les prévenant, les chargeant d’unmessagePour Mahomet, droit en sonparadis,Et sans tarder : Sinon ces gens unisLe préviendront, bien certains qu’àla ronde,Il a des gens tout prêts pour levenger.Quelque poison l’enverra protéger,Les trafiquants qui sont en l’autremonde.

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Sur cet avis le Turc se comportaComme Alexandre ; et plein deconfianceChez le Marchand tout droit il s’enalla ;Se mit à table : on vit tantd’assuranceEn ses discours et dans tout sonmaintien,Qu’on ne crut point qu’il se doutâtde rien.Ami, dit-il, je sais que tu mequittes :Même l’on veut que j’en craigne lessuites ;Mais je te crois un trop homme debien :

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Tu n’as point l’air d’un donneur debreuvage.Je n’en dis pas là-dessus davantage.Quant à ces gens qui pensentt’appuyer,Écoute-moi. Sans tant de Dialogue,Et de raisons qui pourraientt’ennuyer,Je ne te veux conter qu’unApologue.

Il était un Berger, son Chien, et sontroupeau.Quelqu’un lui demanda ce qu’ilprétendait faireD’un Dogue de qui l’ordinaireÉtait un pain entier. Il fallait bien et

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beauDonner cet animal au Seigneur duvillage.Lui Berger pour plus de ménageAurait deux ou trois mâtinaux,Qui lui dépensant moinsveilleraient aux troupeaux,Bien mieux que cette bête seule.Il mangeait plus que trois : mais onne disait pasQu’il avait aussi triple gueuleQuand les Loups livraient descombats.Le Berger s’en défait : Il prendtrois chiens de tailleA lui dépenser moins, mais à fuir labataille.

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Le troupeau s’en sentit, et tu tesentirasDu choix de semblable canaille.Si tu fais bien, tu reviendras à moi.Le Grec le crut. Ceci montre auxProvincesQue tout compté mieux vaut enbonne foiS’abandonner à quelque puissantRoi,Que s’appuyer de plusieurs petitsPrinces.

XIX. L’Avantage de laScience

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Entre deux Bourgeois d’une VilleS’émut jadis un differend.L’un était pauvre, mais habile ;L’autre riche, mais ignorant.Celui-ci sur son concurrentVoulait emporter l’avantage :Prétendait que tout homme sageÉtait tenu de l’honorer.C’était tout homme sot ; carpourquoi révérerDes biens dépourvus de mérite ?La raison m’en semble petite.Mon ami, disait-il souventAu savant,Vous vous croyez considérable ;Mais, dites-moi, tenez-vous table ?

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Que sert à vos pareils de lireincessamment ?Ils sont toujours logés à latroisième chambre,Vêtus au mois de Juin comme aumois de Décembre,Ayant pour tout Laquais leur ombreseulement.La République a bien affaireDe gens qui ne dépensent rien :Je ne sais d’homme nécessaireQue celui dont le luxe épandbeaucoup de bien.Nous en usons, Dieu sait : notreplaisir occupeL’Artisan, le vendeur, celui qui faitla jupe,

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Et celle qui la porte, et vous quidédiezÀ Messieurs les gens de FinanceDe méchants livres bien payés.Ces mots remplis d’impertinenceEurent le sort qu’ils méritaient.L’homme lettré se tut, il avait trop àdire.La guerre le vengea, bien mieuxqu’une satire.Mars détruisit le lieu que nos genshabitaient.L’un et l’autre quitta sa Ville.L’ignorant resta sans asile ;Il reçut partout des mépris :L’autre reçut partout quelque faveurnouvelle.

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Cela décida leur querelle.Laissez dire les sots ; le savoir ason prix.

XX. Jupiter et les Tonnerres.

Jupiter voyant nos fautes,Dit un jour du haut des airs :Remplissons de nouveaux hôtesLes cantons de l’UniversHabités par cette raceQui m’importune et me lasse.Va-t’en, Mercure, aux Enfers :Amène-moi la furieLa plus cruelle des trois.

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Race que j’ai trop chérie,Tu périras cette fois.Jupiter ne tarda guèreÀ modérer son transport.Ô vous Rois qu’il voulut faireArbitres de notre sort,Laissez entre la colèreEt l’orage qui la suitL’intervalle d’une nuit.Le Dieu dont l’aile est légère,Et la langue a des douceurs,Alla voir les noires Sœurs.À Tisyphone et MégèreIl préféra, ce dit-on,L’impitoyable Alecton.Ce choix la rendit si fière,Qu’elle jura par Pluton

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Que toute l’engeance humaineSerait bientôt du domaineDes Déités de là-bas.Jupiter n’approuva pasLe serment de l’Euménide.Il la renvoie, et pourtantIl lance un foudre à l’instantSur certain peuple perfide.Le tonnerre ayant pour guideLe père même de ceuxQu’il menaçait de ses feux,Se contenta de leur crainte ;Il n’embrasa que l’enceinteD’un désert inhabité.Tout père frappe à côté.Qu’arriva-t-il ? Notre engeancePrit pied sur cette indulgence.

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Tout l’Olympe s’en plaignit :Et l’assembleur de nuagesJura le Styx, et promitDe former d’autres orages ;Ils seraient sûrs. On sourit :On lui dit qu’il était père,Et qu’il laissât pour le mieuxÀ quelqu’un des autres DieuxD’autres tonnerres à faire.Vulcan entreprit l’affaire.Ce Dieu remplit ses fourneauxDe deux sortes de carreaux.L’un jamais ne se fourvoie,Et c’est celui que toujoursL’Olympe en corps nous envoie.L’autre s’écarte en son cours ;Ce n’est qu’aux monts qu’il en

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coûte :Bien souvent même il se perd,Et ce dernier en sa routeNous vient du seul Jupiter.

XXI. Le Faucon et leChapon

Une traîtresse voix bien souventvous appelle ;Ne vous pressez donc nullement :Ce n’était pas un sot, non, non, etcroyez-m’en,Que le Chien de Jean de Nivelle.Un citoyen du Mans Chapon de son

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métierÉtait sommé de comparaîtrePar devant les lares du maître,Au pied d’un tribunal que nousnommons foyer.Tous les gens lui criaient pourdéguiser la chose,Petit, petit, petit : mais loin de s’yfier,Le Normand et demi laissait lesgens crier :Serviteur, disait-il, votre appât estgrossier ;On ne m’y tient pas ; et pour cause.Cependant un Faucon sur sa perchevoyaitNotre Manceau qui s’enfuyait.

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Les Chapons ont en nous fort peu deconfiance,Soit instinct, soit expérience.Celui-ci qui ne fut qu’avec peineattrapé,Devait le lendemain être d’un grandsoupé,Fort à l’aise, en un plat, honneurdont la volailleSe serait passée aisément.L’Oiseau chasseur lui dit : Ton peud’entendementMe rend tout étonné. Vous n’êtesque racaille,Gens grossiers, sans esprit, à quil’on n’apprend rien.Pour moi, je sais chasser, et revenir

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au maître.Le vois-tu pas à la fenêtre ?Il t’attend, es-tu sourd ? Jen’entends que trop bien,Repartit le Chapon : Mais que meveut-il dire,Et ce beau Cuisinier armé d’ungrand couteau ?Reviendrais-tu pour cet appeau :Laisse-moi fuir, cesse de rireDe l’indocilité qui me fait envoler,Lorsque d’un ton si doux on s’envient m’appeler.Si tu voyais mettre à la brocheTous les jours autant de FauconsQue j’y vois mettre de Chapons,Tu ne me ferais pas un semblable

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reproche.

XXII. Le Chat et le Rat.

Quatre animaux divers, le Chatgrippe-fromage,Triste-oiseau le Hibou,Rongemaille le Rat,Dame Belette au long corsage,Toutes gens d’esprit scélérat,Hantaient le tronc pourri d’un pinvieux et sauvage.Tant y furent, qu’un soir à l’entourde ce pin

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L’homme tendit ses rets. Le Chat degrand matinSort pour aller chercher sa proie.Les derniers traits de l’ombreempêchent qu’il ne voieLe filet ; il y tombe, en danger demourir :Et mon Chat de crier, et le Ratd’accourir,L’un plein de désespoir, et l’autreplein de joie.Il voyait dans les lacs son mortelennemi.Le pauvre Chat dit : Cher ami,Les marques de ta bienveillanceSont communes en mon endroit :Viens m’aider à sortir du piège où

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l’ignoranceM’a fait tomber : C’est à bon droitQue seul entre les tiens par amoursingulièreJe t’ai toujours choyé, t’aimantcomme mes yeux.Je n’en ai point regret, et j’en rendsgrâce aux Dieux.J’allais leur faire ma prière ;Comme tout dévot Chat en use lesmatins.Ce réseau me retient ; ma vie est entes mains :Viens dissoudre ces nœuds. Etquelle récompenseEn aurai-je ? reprit le Rat.Je jure éternelle alliance

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Avec toi, repartit le Chat.Dispose de ma griffe, et sois enassurance :Envers et contre tous je teprotégerai,Et la Belette mangeraiAvec l’époux de la Choüette.Ils t’en veulent tous deux. Le Ratdit : Idiot !Moi ton libérateur ? Je ne suis passi sot.Puis il s’en va vers sa retraite.La Belette était près du trou.Le Rat grimpe plus haut ; il y voit leHibou :Dangers de toutes parts ; le pluspressant l’emporte.

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Ronge-maille retourne au Chat, etfait en sorteQu’il détache un chaînon, puis unautre, et puis tantQu’il dégage enfin l’hypocrite.L’homme paraît en cet instant.Les nouveaux alliés prennent tousdeux la fuite.À quelque temps de là, notre Chatvit de loinSon Rat qui se tenait à l’erte et surses gardes.Ah ! mon frère, dit-il, viensm’embrasser ; ton soinMe fait injure ; Tu regardesComme ennemi ton allié.Penses-tu que j’aie oublié

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Qu’après Dieu je te dois la vie ?Et moi, reprit le Rat, penses-tu quej’oublieTon naturel ? aucun traitéPeut-il forcer un Chat à lareconnaissance ?S’assure-t-on sur l’allianceQu’a faite la nécessité ?

XXIII. Le Torrent et laRivière.

Avec grand bruit et grand fracasUn Torrent tombait des montagnes :Tout fuyait devant lui ; l’horreur

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suivait ses pas ;Il faisait trembler les campagnes.Nul voyageur n’osait passerUne barrière si puissante :Un seul vit des voleurs, et sesentant presser,Il mit entre eux et lui cette ondemenaçante.Ce n’était que menace, et bruit, sansprofondeur ;Notre homme enfin n’eut que lapeur.Ce succès lui donnant courage,Et les mêmes voleurs le poursuivanttoujours,Il rencontra sur son passageUne Rivière dont le cours

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Image d’un sommeil doux, paisibleet tranquilleLui fit croire d’abord ce trajet fortfacile.Point de bords escarpés, un sablepur et net.Il entre, et son cheval le metÀ couvert des voleurs, mais non del’onde noire :Tous deux au Styx allèrent boire ;Tous deux, à nager malheureuxAllèrent traverser au séjourténébreux,Bien d’autres fleuves que lesnôtres.Les gens sans bruit sont dangereux ;Il n’en est pas ainsi des autres.

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XXIV. L’Éducation

Laridon et César, frères dontl’origineVenait de chiens fameux, beaux,bien faits et hardis,À deux maîtres divers échus autemps jadis,Hantaient, l’un les forêts, et l’autrela cuisine.Ils avaient eu d’abord chacun unautre nom :Mais la diverse nourriture

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Fortifiant en l’un cette heureusenature,En l’autre l’altérant, un certainmarmitonNomma celui-ci Laridon :Son frère ayant couru mainte hauteaventure,Mis maint Cerf aux abois, maintSanglier abattu,Fut le premier César que la gentchienne ait eu.On eut soin d’empêcher qu’uneindigne maîtresseNe fît en ses enfants dégénérer sonsang :Laridon négligé témoignait satendresse

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À l’objet le premier passant.Il peupla tout de son engeance :Tourne-broches par lui renduscommuns en FranceY font un corps à part, gens fuyansles hasards,Peuple antipode des Césars.On ne suit pas toujours ses aïeux nison père :Le peu de soin, le temps, tout faitqu’on dégénère :Faute de cultiver la nature et sesdons,Ô combien de Césars deviendrontLaridons !

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XXV. Les deux Chiens etl’Âne mort.

Les vertus devraient être sœurs,Ainsi que les vices sont frères :Dès que l’un de ceux-ci s’emparede nos cœurs,Tous viennent à la file, il ne s’enmanque guère ;J’entends de ceux qui n’étant pascontrairesPeuvent loger sous même toit.À l’égard des vertus, rarement onles voitToutes en un sujet éminemmentplacées

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Se tenir par la main sans êtredispersées.L’un est vaillant, mais prompt ;l’autre est prudent, mais froid.Parmi les animaux le Chien sepique d’êtreSoigneux et fidèle à son maître ;Mais il est sot, il est gourmand :Témoin ces deux mâtins qui dansl’éloignementVirent un Âne mort qui flottait surles ondes.Le vent de plus en plus l’éloignaitde nos Chiens.Ami, dit l’un, tes yeux sontmeilleurs que les miens.Porte un peu tes regards sur ces

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plaines profondes.J’y crois voir quelque chose : Est-ce un Bœuf, un Cheval ?Hé qu’importe quel animal ?Dit l’un de ces mâtins ; voilàtoujours curée.Le point est de l’avoir ; car le trajetest grand ;Et de plus il nous faut nager contrele vent.Buvons toute cette eau ; notre gorgealtéréeEn viendra bien à bout : ce corpsdemeureraBientôt à sec, et ce seraProvision pour la semaine.Voilà mes Chiens à boire ; ils

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perdirent l’haleine,Et puis la vie ; ils firent tantQu’on les vit crever à l’instant.L’homme est ainsi bâti : Quand unsujet l’enflammeL’impossibilité disparaît à son âme.Combien fait-il de vœux, combienperd-il de pas ?S’outrant pour acquérir des biensou de la gloire ?Si j’arrondissais mes états !Si je pouvais remplir mes coffresde ducats !Si j’apprenais l’hébreu, lessciences, l’histoire !Tout cela, c’est la mer à boire ;Mais rien à l’homme ne suffit :

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Pour fournir aux projets que formeun seul espritIl faudrait quatre corps ; encor loind’y suffireÀ mi-chemin je crois que tousdemeureraient :Quatre Mathusalems bout à bout nepourraientMettre à fin ce qu’un seul désire.

XXVI. Démocrite et lesAbdéritains

Que j’ai toujours haï les pensers duvulgaire !

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Qu’il me semble profane, injuste, ettéméraire ;Mettant de faux milieux entre lachose et lui,Et mesurant par soi ce qu’il voit enautrui !Le maître d’Épicure en fitl’apprentissage.Son pays le crut fou : Petits esprits !mais quoi ?Aucun n’est prophète chez soi.Ces gens étaient les fous,Démocrite le sage.L’erreur alla si loin, qu’AbdèredéputaVers Hippocrate, et l’invita,Par lettres et par ambassade,

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À venir rétablir la raison dumalade.Notre concitoyen, disaient-ils enpleurant,Perd l’esprit : la lecture a gâtéDémocrite.Nous l’estimerions plus s’il étaitignorant.Aucun nombre, dit-il, les mondes nelimite :Peut-être même ils sont remplisDe Démocrites infinis.Non content de ce songe il y jointles atomes,Enfants d’un cerveau creux,invisibles fantômes ;Et mesurant les Cieux sans bouger

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d’ici-basIl connaît l’Univers et ne se connaîtpas.Un temps fut qu’il savait accorderles débats ;Maintenant il parle à lui-même.Venez divin mortel ; sa folie estextrême.Hippocrate n’eut pas trop de foipour ces gens :Cependant il partit : Et voyez, jevous prie,Quelles rencontres dans la vieLe sort cause ; Hippocrate arrivadans le tempsQue celui qu’on disait n’avoirraison ni sens

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Cherchait dans l’homme et dans labêteQuel siège a la raison, soit le cœur,soit la tête.Sous un ombrage épais, assis prèsd’un ruisseau,Les labyrinthes d’un cerveauL’occupaient. Il avait à ses piedsmaint volume,Et ne vit presque pas son amis’avancer,Attaché selon sa coutume.Leur compliment fut court, ainsiqu’on peut penser.Le sage est ménager du temps et desparoles.Ayant donc mis à part les entretiens

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frivoles,Et beaucoup raisonné sur l’hommeet sur l’esprit,Ils tombèrent sur la morale.Il n’est pas besoin que j’étaleTout ce que l’un et l’autre dit.Le récit précédent suffitPour montrer que le peuple est jugerécusable.En quel sens est donc véritableCe que j’ai lu dans certain lieu,Que sa voix est la voix de Dieu ?

XXVII. Le Loup et le

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Chasseur.

Fureur d’accumuler, monstre de quiles yeuxRegardent comme un point tous lesbienfaits des Dieux,Te combattrai-je en vain sans cesseen cet ouvrage ?Quel temps demandes-tu poursuivre mes leçons ?L’homme sourd à ma voix, comme àcelle du sage,Ne dira-t-il jamais, C’est assez,jouissons ?Hâte-toi, mon ami ; Tu n’as pas tantà vivre.Je te rebats ce mot ; car il vaut tout

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un livre.Jouis : Je le ferai. Mais quanddonc ? dès demain.Eh mon ami, la mort te peut prendreen chemin.Jouis dès aujourd’hui : redoute unsort semblableÀ celui du Chasseur et du Loup dema fable.Le premier de son arc avait mis basun Daim.Un Faon de Biche passe, et le voilàsoudainCompagnon du défunt ; Tous deuxgisent sur l’herbe.La proie était honnête ; un Daimavec un Faon,

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Tout modeste Chasseur en eût étécontent :Cependant un Sanglier, monstreénorme et superbe,Tente encor notre archer friand detels morceaux.Autre habitant du Styx : la Parque etses ciseauxAvec peine y mordaient ; la DéesseinfernaleReprit à plusieurs fois l’heure aumonstre fatale.De la force du coup pourtant ils’abattit.C’était assez de biens ; mais quoi,rien ne remplitLes vastes appétits d’un faiseur de

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conquêtes.Dans le temps que le Porc revient àsoi, l’archerVoit le long d’un sillon une perdrixmarcher,Surcroît chétif aux autres têtes.De son arc toutefois il bande lesressorts.Le sanglier rappelant les restes desa vie,Vient à lui, le découd, meurt vengésur son corps :Et la perdrix le remercie.Cette part du récit s’adresse auconvoiteuxL’avare aura pour lui le reste del’exemple.

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Un Loup vit en passant ce spectaclepiteux.Ô fortune, dit-il, je te promets untemple.Quatre corps étendus ! que debiens ! mais pourtantIl faut les ménager, ces rencontressont rares.(Ainsi s’excusent les avares,)J’en aurai, dit le Loup, pour unmois, pour autant.Un, deux, trois, quatre corps, cesont quatre semaines,Si je sais compter, toutes pleines.Commençons dans deux jours ; etmangeons cependantLa corde de cet arc ; il faut que l’on

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l’ait faiteDe vrai boyau ; l’odeur me letémoigne assez.En disant ces mots il se jetteSur l’arc qui se détend, et fait de lasagetteUn nouveau mort, mon Loup a lesboyaux percés.Je reviens à mon texte : il faut quel’on jouisse ;Témoin ces deux gloutons punisd’un sort commun ;La convoitise perdit l’un ;L’autre périt par l’avarice.

LIVRE NEUVIÈME

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I. Le Dépositaire infidèle.

Grâce aux Filles de mémoire,J’ai chanté des animaux :Peut-être d’autres HérosM’auraient acquis moins de gloire.Le Loup en langue des DieuxParle au Chien dans mes ouvrages.Les Bêtes à qui mieux mieuxY font divers personnages ;Les uns fous, les autres sages ;De telle sorte pourtantQue les fous vont l’emportant ;La mesure en est plus pleine.

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Je mets aussi sur la ScèneDes Trompeurs, des Scélérats,Des Tyrans, et des Ingrats,Mainte imprudente pécore,Force Sots, force Flatteurs ;Je pourrais y joindre encoreDes légions de menteurs.Tout homme ment, dit le Sage.S’il n’y mettait seulementQue les gens du bas étage,On pourrait aucunementSouffrir ce défaut aux hommes ;Mais que tous tant que nous sommesNous mentions, grand et petit,Si quelque autre l’avait dit,Je soutiendrais le contraire.Et même qui mentirait

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Comme Ésope, et comme Homère,Un vrai menteur ne serait.Le doux charme de maint songePar leur bel art inventé,Sous les habits du mensongeNous offre la vérité.L’un et l’autre a fait un livreQue je tiens digne de vivreSans fin, et plus s’il se peut :Comme eux ne ment pas qui veut.Mais mentir comme sut faireUn certain DépositairePayé par son propre mot,Est d’un méchant, et d’un sot.Voici le fait. Un trafiquant de Perse,Chez son voisin, s’en allant encommerce,

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Mit en dépôt un cent de fer un jour.Mon fer, dit-il, quand il fut deretour.Votre fer ? Il n’est plus : J’ai regretde vous dire,Qu’un Rat l’a mangé tout entier.J’en ai grondé mes gens : mais qu’yfaire ? un GrenierA toujours quelque trou. Letrafiquant admireUn tel prodige, et feint de le croirepourtant.Au bout de quelques jours ildétourne l’enfantDu perfide voisin ; puis à souperconvieLe père qui s’excuse, et lui dit en

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pleurant ;Dispensez-moi, je vous supplie :Tous plaisirs pour moi sont perdus.J’aimais un fils plus que ma vie ;Je n’ai que lui ; que dis-je ? hélas !je ne l’ai plus.On me l’a dérobé. Plaignez moninfortune.Le Marchand repartit : Hier au soirsur la bruneUn Chat-huant s’en vint votre filsenlever.Vers un vieux bâtiment je le lui visporter.Le père dit : Comment voulez-vousque je croieQu’un Hibou pût jamais emporter

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cette proie ?Mon fils en un besoin eût pris leChat-huant.Je ne vous dirai point, repritl’autre, comment,Mais enfin je l’ai vu, vu de mesyeux, vous dis-je,Et ne vois rien qui vous obligeD’en douter un moment après ceque je dis.Faut-il que vous trouviez étrangeQue les Chats-huants d’un paysOù le quintal de fer par un seul Ratse mange,Enlèvent un garçon pesant un demicent ?L’autre vit où tendait cette feinte

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aventure.Il rendit le fer au Marchand,Qui lui rendit sa géniture.Même dispute advint entre deuxvoyageurs.L’un d’eux était de ces conteursQui n’ont jamais rien vu qu’avec unmicroscope.Tout est Géant chez eux : Écoutez-les, l’EuropeComme l’Afrique aura des monstresà foison.Celui-ci se croyait l’hyperbolepermise.J’ai vu, dit-il, un chou plus grandqu’une maison.Et moi, dit l’autre, un pot aussi

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grand qu’une Église.Le premier se moquant, l’autrereprit : tout doux ;On le fit pour cuire vos choux.L’homme au pot fut plaisant ;l’homme au fer fut habile.Quand l’absurde est outré, l’on luifait trop d’honneurDe vouloir par raison combattreson erreur ;Enchérir est plus court, sanss’échauffer la bile.

II. Les deux Pigeons.

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Deux Pigeons s’aimaient d’amourtendre :L’un d’eux s’ennuyant au logisFut assez fou pour entreprendreUn voyage en lointain pays.L’autre lui dit : Qu’allez-vousfaire ?Voulez-vous quitter votre frère ?L’absence est le plus grand desmaux :Non pas pour vous, cruel : Aumoins que les travaux,Les dangers, les soins du voyage,Changent un peu votre courage.Encor si la saison s’avançaitdavantage !

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Attendez les zéphyrs : Qui vouspresse ? Un CorbeauTout à l’heure annonçait malheur àquelque oiseau.Je ne songerai plus que rencontrefuneste,Que Faucons, que réseaux. Hélas,dirai-je, il pleut :Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,Bon soupé, bon gîte, et le reste ?Ce discours ébranla le cœurDe notre imprudent voyageur :Mais le désir de voir et l’humeurinquièteL’emportèrent enfin. Il dit : Nepleurez point :Trois jours au plus rendront mon

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âme satisfaite :Je reviendrai dans peu conter depoint en pointMes aventures à mon frère.Je le désennuierai : quiconque nevoit guèreN’a guère à dire aussi. Mon voyagedépeintVous sera d’un plaisir extrême.Je dirai : J’étais-là ; telle chosem’advint,Vous y croirez être vous-même.À ces mots en pleurant ils se direntadieu.Le voyageur s’éloigne ; et voilàqu’un nuageL’oblige de chercher retraite en

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quelque lieu.Un seul arbre s’offrit, tel encor quel’orageMaltraita le Pigeon en dépit dufeuillage.L’air devenu serein il part toutmorfondu,Sèche du mieux qu’il peut son corpschargé de pluie,Dans un champ à l’écart voit du blérépandu,Voit un Pigeon auprès, cela luidonne envie :Il y vole, il est pris : ce blé couvraitd’un lasLes menteurs et traîtres appas.Le las était usé ; si bien que de son

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aile,De ses pieds, de son bec, l’oiseaule rompt enfin :Quelque plume y périt ; et le pis dudestinFut qu’un certain Vautour à la serrecruelleVit notre malheureux qui traînant laficelle,Et les morceaux du las qui l’avaitattrapéSemblait un forçat échappé.Le Vautour s’en allait le lier, quanddes nuësFond à son tour un Aigle aux ailesétendues.Le Pigeon profita du conflit des

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voleurs,S’envola, s’abattit auprès d’unemasure,Crut pour ce coup que ses malheursFiniraient par cette aventure :Mais un fripon d’enfant, cet âge estsans pitié,Prit sa fronde, et du coup tua plusd’à moitiéLa volatile malheureuse,Qui maudissant sa curiosité,Traînant l’aile, et tirant le pied,Demi-morte, et demi-boiteuse,Droit au logis s’en retourna :Que bien que mal elle arriva,Sans autre aventure fâcheuse.Voilà nos gens rejoints ; et je laisse

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à jugerDe combien de plaisirs ils payèrentleurs peines.Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?Que ce soit aux rives prochaines.Soyez-vous l’un à l’autre un mondetoujours beau,Toujours divers, toujours nouveau ;Tenez-vous lieu de tout, comptezpour rien le reste ;J’ai quelquefois aimé ; je n’auraispas alors,Contre le Louvre et ses trésors,Contre le firmament et sa voûtecéleste,Changé les bois, changé les lieux,

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Honorés par les pas, éclairés parles yeuxDe l’aimable et jeune bergère,Pour qui sous le fils de CythèreJe servis engagé par mes premiersserments.Hélas ! quand reviendront desemblables moments ?Faut-il que tant d’objets si doux etsi charmantsMe laissent vivre au gré de monâme inquiète ?Ah si mon cœur osait encor serenflammer !Ne sentirai-je plus de charme quim’arrête ?Ai-je passé le temps d’aimer ?

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III. Le Singe et le Léopard.

Le Singe avec le LéopardGagnaient de l’argent à la foire :Ils affichaient chacun à part.L’un d’eux disait : Messieurs, monmérite et ma gloireSont connus en bon lieu ; le Roi m’avoulu voir ;Et si je meurs il veut avoirUn manchon de ma peau ; tant elleest bigarrée,Pleine de taches, marquetée,Et vergetée, et mouchetée.

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La bigarrure plaît ; partant chacunle vit.Mais ce fut bientôt fait, bientôtchacun sortit.Le Singe de sa part disait : Venezde grâce,Venez Messieurs ; Je fais cent toursde passe-passe.Cette diversité dont on vous parletant,Mon voisin Léopard l’a sur soiseulement ;Moi je l’ai dans l’esprit : votreserviteur Gille,Cousin et gendre de Bertrand,Singe du Pape en son vivant ;Tout fraîchement en cette ville

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Arrive en trois bateaux exprès pourvous parler ;Car il parle, on l’entend, il saitdanser, baller,Faire des tours de toute sorte,Passer en des cerceaux ; et le toutpour six blancs :Non, Messieurs, pour un sou ; sivous n’êtes contents,Nous rendrons à chacun son argentà la porte.Le Singe avait raison ; ce n’est passur l’habitQue la diversité me plaît, c’est dansl’esprit :L’une fournit toujours des chosesagréables ;

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L’autre en moins d’un moment lasseles regardants.Oh ! que de grands Seigneurs auLéopard semblables,Bigarrés en dehors, ne sont rien endedans !

IV. Le Gland et la Citrouille.

Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans enchercher la preuveEn tout cet Univers, et l’allerparcourant,Dans les Citrouilles je la treuve.

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Un villageois considérant,Combien ce fruit est gros et sa tigemenue,À quoi songeait, dit-il, l’Auteur detout cela ?Il a bien mal placé cette Citrouille-là :Hé parbleu, je l’aurais pendueÀ l’un des chênes que voilà.C’eût été justement l’affaire ;Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.C’est dommage, Garo, que tu n’espoint entréAu conseil de celui que prêche tonCuré ;Tout en eût été mieux ; car pourquoipar exemple

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Le Gland, qui n’est pas gros commemon petit doigt,Ne pend-il pas en cet endroit ?Dieu s’est mépris : plus jecontempleCes fruits ainsi placés, plus ilsemble à GaroQue l’on a fait un quiproquo.Cette réflexion embarrassant notrehomme ;On ne dort point, dit-il, quand on atant d’esprit.Sous un chêne aussitôt il va prendreson somme.Un gland tombe ; le nez du dormeuren pâtit.Il s’éveille ; et portant la main sur

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son visage,Il trouve encor le Gland pris au poildu menton.Son nez meurtri le force à changerde langage ;Oh, oh, dit-il, je saigne ! et queserait-ce doncS’il fût tombé de l’arbre une masseplus lourde,Et que ce Gland eût été gourde ?Dieu ne l’a pas voulu : sans doute ileut raison ;J’en vois bien à présent la cause.En louant Dieu de toute choseGaro retourne à la maison.

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V. L'Écolier, le Pédant, et leMaître d'un Jardin

Certain enfant qui sentait sonCollège,Doublement sot, et doublementfripon,Par le jeune âge, et par le privilègeQu’ont les Pédants de gâter laraison,Chez un voisin dérobait, ce dit-on,Et fleurs et fruits. Ce voisin enAutomneDes plus beaux dons que nous offrePomoneAvait la fleur, les autres le rebut.

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Chaque saison apportait son tribut :Car au Printemps il jouissait encoreDes plus beaux dons que nousprésente Flore.Un jour dans son jardin il vit notreÉcolier,Qui grimpant sans égard sur unarbre fruitier,Gâtait jusqu’aux boutons ; douce etfrêle espérance,Avant-coureurs des biens quepromet l’abondance.Même il ébranchait l’arbre, et fittant à la finQue le possesseur du jardinEnvoya faire plainte au maître de laClasse.

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Celui-ci vint suivi d’un cortèged’enfants.Voilà le verger plein de gensPires que le premier. Le Pédant desa grâce,Accrut le mal en amenantCette jeunesse mal instruiteLe tout, à ce qu’il dit, pour faire unchâtimentQui pût servir d’exemple ; et donttoute sa suiteSe souvînt à jamais comme d’uneleçon.Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,Avec force traits de science.Son discours dura tant que lamaudite engeance

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Eut le temps de gâter en cent lieuxle jardin.Je hais les pièces d’éloquenceHors de leur place, et qui n’ontpoint de fin ;Et ne sais bête au monde pireQue l’Écolier, si ce n’est le Pédant.Le meilleur de ces deux pourvoisin, à vrai dire,Ne me plairait aucunement.

VI. Le Statuaire et la Statuede Jupiter.

Un bloc de marbre était si beau

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Qu’un Statuaire en fit l’emplette.Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ?Sera-t-il Dieu, table, ou cuvette ?

Il sera Dieu : même je veuxQu’il ait en sa main un tonnerre.Tremblez humains ; Faites desvœux ;Voilà le maître de la terre.

L’artisan exprima si bienLe caractère de l’Idole,Qu’on trouva qu’il ne manquait rienÀ Jupiter que la parole.

Même l’on dit que l’ouvrierEut à peine achevé l’image,

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Qu’on le vit frémir le premier,Et redouter son propre ouvrage.

À la faiblesse du SculpteurLe Poète autrefois n’en dut guère,Des Dieux dont il fut l’inventeurCraignant la haine et la colère.

Il était enfant en ceci :Les enfants n’ont l’âme occupéeQue du continuel souciQu’on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l’esprit :De cette source est descendueL’erreur païenne qui se vitChez tant de peuples répandue.

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Ils embrassaient violemmentLes intérêts de leur chimère.Pygmalion devint amantDe la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalitésAutant qu’il peut ses propressonges :L’homme est de glace aux vérités,Il est de feu pour les mensonges.

VII. La Sourismétamorphosée en fille.

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Une Souris tomba du bec d’un Chat-huant :Je ne l’eusse pas ramassée ;Mais un Bramin le fit ; je le croisaisément ;Chaque pays a sa pensée.La Souris était fort froissée :De cette sorte de prochainNous nous soucions peu : mais lepeuple BraminLe traite en frère ; ils ont en têteQue notre âme au sortir d’un RoiEntre dans un ciron, ou dans telleautre bêteQu’il plaît au sort ; C’est là l’undes points de leur loi.

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Pythagore chez eux a puisé cemystère.Sur un tel fondement le Bramin crutbien faireDe prier un Sorcier qu’il logeât laSourisDans un corps qu’elle eût eu pourhôte au temps jadis.Le Sorcier en fit une filleDe l’âge de quinze ans, et telle, etsi gentille,Que le fils de Priam pour elle auraittentéPlus encor qu’il ne fit pour lagrecque beauté.Le Bramin fut surpris de chose sinouvelle.

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Il dit à cet objet si doux :Vous n’avez qu’à choisir ; carchacun est jalouxDe l’honneur d’être votre époux.En ce cas je donne, dit-elle,Ma voix au plus puissant de tous.Soleil, s’écria lors le Bramin àgenoux ;C’est toi qui seras notre gendre.Non, dit-il, ce nuage épaisEst plus puissant que moi, puisqu’il cache mes traits ;Je vous conseille de le prendre.Et bien, dit le Bramin au nuagevolant,Es-tu né pour ma fille ? hélas non ;car le vent

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Me chasse à son plaisir de contréeen contrée ;Je n’entreprendrai point sur lesdroits de Borée.Le Bramin fâché s’écria :Ô vent, donc, puis que vent y a,Viens dans les bras de notre belle.Il accourait : un mont en cheminl’arrêta.L’éteuf passant à celui-là,Il le renvoie, et dit : J’aurais unequerelleAvec le Rat, et l’offenserCe serait être fou, lui qui peut mepercer.Au mot de Rat la DamoiselleOuvrit l’oreille ; il fut l’époux :

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Un Rat ! un Rat ; c’est de ces coupsQu’amour fait, témoin telle et telle :Mais ceci soit dit entre nous.On tient toujours du lieu dont onvient : Cette FableProuve assez bien ce point : mais àla voir de près,Quelque peu de sophisme entreparmi ses traits :Car quel époux n’est point au SoleilpréférableEn s’y prenant ainsi ? dirai-je qu’ungéantEst moins fort qu’une puce ? elle lemord pourtant.Le Rat devait aussi renvoyer pourbien faire

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La belle au chat, le chat au chien,Le chien au Loup. Par le moyenDe cet argument circulairePilpay jusqu’au Soleil eût enfinremonté ;Le Soleil eût joui de la jeunebeauté.Revenons s’il se peut à lamétempsychose :Le Sorcier du Bramin fit sans douteune choseQui loin de la prouver fait voir safausseté.Je prends droit là dessus contre leBramin même ;Car il faut selon son système,Que l’homme, la souris, le ver,

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enfin chacunAille puiser son âme en un trésorcommun :Toutes sont donc de même trempe ;Mais agissant diversementSelon l’organe seulementL’une s’élève, et l’autre rampe.D’où vient donc que ce corps sibien organiséNe pût obliger son hôtesseDe s’unir au Soleil, un Rat eut satendresse ?Tout débattu, tout bien pesé,Les âmes des souris et les âmes desbellesSont très-différentes entre elles,Il en faut revenir toujours à son

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destin,C’est-à dire à la loi par le Cielétablie.Parlez au diable, employez lamagie,Vous ne détournerez nul être de safin.

VIII. Le Fou qui vend laSagesse.

Jamais auprès des fous ne te mets àportée.Je ne te puis donner un plus sageconseil.

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Il n’est enseignement pareilÀ celui-là de fuir une tête éventée.On en voit souvent dans les cours.Le Prince y prend plaisir ; car ilsdonnent toujoursQuelque trait aux fripons, aux sots,aux ridicules.Un fol allait criant par tous lescarrefoursQu’il vendait la Sagesse ; et lesmortels crédulesDe courir à l’achat, chacun futdiligent.On essuyait force grimaces ;Puis on avait pour son argentAvec un bon soufflet un fil long dedeux brasses.

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La plupart s’en fâchaient ; mais queleur servait-il ?C’étaient les plus moqués ; le mieuxétait de rire,Ou de s’en aller, sans rien direAvec son soufflet et son fil.De chercher du sens à la chose,On se fût fait siffler ainsi qu’unignorant.La raison est-elle garantDe ce que fait un fou ? Le hasardest la causeDe tout ce qui se passe en uncerveau blessé.Du fil et du soufflet pourtantembarrasséUn des dupes un jour alla trouver un

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sage,Qui sans hésiter davantageLui dit ; Ce sont ici hiéroglyphestout purs.Les gens bien conseillés, et quivoudront bien faire,Entre eux et les gens fous mettrontpour l’ordinaireLa longueur de ce fil ; sinon je lestiens sûrsDe quelque semblable caresse.Vous n’êtes point trompé ; ce fouvend la sagesse.

IX. L’Huître, et les

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Plaideurs.

Un jour deux Pèlerins sur le sablerencontrentUne Huître que le flot y venaitd’apporter :Ils l’avalent des yeux, du doigt ilsse la montrent ;À l’égard de la dent il fallutcontester.L’un se baissait déjà pour amasserla proie ;L’autre le pousse, et dit : Il est bonde savoirQui de nous en aura la joie.Celui qui le premier a pul’apercevoir

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En sera le gobeur ; l’autre le verrafaire.Si par-là l’on juge l’affaire,Reprit son compagnon, j’ai l’œilbon, Dieu merci.Je ne l’ai pas mauvais aussi,Dit l’autre, et je l’ai vue avantvous, sur ma vie.Et bien, vous l’avez vue, et moi jel’ai sentie.Pendant tout ce bel incident,Perrin Dandin arrive : ils leprennent pour juge.Perrin fort gravement ouvrel’Huître, et la gruge,Nos deux Messieurs le regardant.Ce repas fait, il dit d’un ton de

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Président :Tenez, la Cour vous donne à chacunune écailleSans dépens, et qu’en paix chacunchez soi s’en aille.Mettez ce qu’il en coûte à plaideraujourd’hui ;Comptez ce qu’il en reste àbeaucoup de familles ;Vous verrez que Perrin tire l’argentà lui,Et ne laisse aux plaideurs que lesac et les quilles.

X. Le Loup, et le Chien

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maigre

Autrefois Carpillon fretin,Eut beau prêcher, il eut beau dire ;On le mit dans la poêle à frire.Je fis voir que lâcher ce qu’on adans la main,Sous espoir de grosse aventure,Est imprudence toute pure.Le Pêcheur eut raison ; Carpillonn’eut pas tort.Chacun dit ce qu’il peut pourdéfendre sa vie.Maintenant il faut que j’appuieCe que j’avançai lors, de quelquetrait encor.Certain Loup aussi sot que le

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pêcheur fut sage,Trouvant un Chien hors du village,S’en allait l’emporter ; le ChienreprésentaSa maigreur. Jà ne plaise à votreseigneurie,De me prendre en cet état-là,Attendez, mon maître marieSa fille unique ; Et vous jugezQu’étant de noce, il faut, malgrémoi que j’engraisse.Le Loup le croit, le Loup le laisse ;Le Loup quelques jours écoulésRevient voir si son Chien n’estpoint meilleur à prendre.Mais le drôle était au logis.Il dit au Loup par un treillis :

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Ami, je vais sortir ; Et, si tu veuxattendre,Le portier du logis et moiNous serons tout à l’heure à toi.Ce portier du logis était un Chienénorme,Expédiant les Loups en forme.Celui-ci s’en douta. Serviteur auportier,Dit-il, et de courir. Il était fortagile ;Mais il n’était pas habile :Ce Loup ne savait pas encor bienson métier.

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XI. Rien de trop

Je ne vois point de créatureSe comporter modérément.Il est certain tempéramentQue le maître de la natureVeut que l’on garde en tout. Le fait-on ? Nullement.Soit en bien, soit en mal, celan’arrive guère.Le blé riche présent de la blondeCérès

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Trop touffu bien souvent épuise lesguérets :En superfluités s’épandantd’ordinaire,Et poussant trop abondamment,Il ôte à son fruit l’aliment.L’arbre n’en fait pas moins ; tant leluxe sait plaire.Pour corriger le blé Dieu permitaux moutonsDe retrancher l’excès des prodiguesmoissons.Tout au travers ils se jetèrent,Gâtèrent tout, et tout broutèrent ;Tant que le Ciel permit aux LoupsD’en croquer quelques-uns ; ils lescroquèrent tous.

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S’ils ne le firent pas, du moins ils ytâchèrent.Puis le Ciel permit aux humainsDe punir ces derniers : les humainsabusèrentÀ leur tour des ordres divins.De tous les animaux l’homme a leplus de penteÀ se porter dedans l’excès.Il faudrait faire le procèsAux petits comme aux grands : Iln’est âme vivanteQui ne pèche en ceci. Rien de trop,est un pointDont on parle sans cesse, et qu’onn’observe point.

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XII. Le Cierge

C’est du séjour des Dieux que lesAbeilles viennent.Les premières, dit-on, s’en allèrentlogerAu mont Hymette, et se gorgerDes trésors qu’en ce lieu leszéphyrs entretiennent.Quand on eut des palais de cesfilles du CielEnlevé l’ambroisie en leurschambres enclose :Ou, pour dire en Français la chose,Après que les ruches sans mielN’eurent plus que la Cire, on fitmainte bougie :

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Maint Cierge aussi fut façonné.Un d’eux voyant la terre en briqueau feu durcieVaincre l’effort des ans, il eut lamême envie ;Et, nouvel Empédocle aux flammescondamnéPar sa propre et pure folie,Il se lança dedans. Ce fut malraisonné ;Ce Cierge ne savait grain dePhilosophie.Tout en tout est divers : ôtez-vousde l’espritQu’aucun être ait été composé surle vôtre.L’Empédocle de Cire au brasier se

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fondit :Il n’était pas plus fou que l’autre.

XIII. Jupiter et le Passager

Ô combien le péril enrichirait lesDieux,Si nous nous souvenions des vœuxqu’il nous fait faire !Mais le péril passé l’on ne sesouvient guèreDe ce qu’on a promis aux Cieux ;On compte seulement ce qu’on doità la terre.Jupiter, dit l’impie, est un bon

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créancier :Il ne se sert jamais d’Huissier.Eh qu’est-ce donc que le tonnerre ?Comment appelez-vous cesavertissements ?Un Passager pendant l’orageAvait voué cent Bœufs au vainqueurdes Titans.Il n’en avait pas un : vouer centÉléphantsN’aurait pas coûté davantage.Il brûla quelques os quand il fut aurivage.Au nez de Jupiter la fumée enmonta.Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu ;le voilà :

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C’est un parfum de Bœuf que tagrandeur respire.La fumée est ta part ; je ne te doisplus rien.Jupiter fit semblant de rire :Mais après quelques jours le Dieul’attrapa bien,Envoyant un songe lui dire,Qu’un tel trésor était en tel lieu :L’homme au vœuCourut au trésor comme au feu.Il trouva des voleurs, et n’ayantdans sa bourseQu’un écu pour toute ressource,Il leur promit cent talents d’or,Bien comptés et d’un tel trésor.On l’avait enterré dedans telle

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Bourgade.L’endroit parut suspect auxvoleurs ; de façonQu’à notre prometteur l’un dit :Mon camaradeTu te moques de nous, meurs, et vachez PlutonPorter tes cent talents en don.

XIV. Le Chat et le Renard

Le Chat et le Renard comme beauxpetits saints,S’en allaient en pèlerinage.C’étaient deux vrais Tartufs, deux

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archipatelins,Deux francs Pate-pelus qui des fraisdu voyage,Croquant mainte volaille,escroquant maint fromage,S’indemnisaient à qui mieux mieux.Le chemin étant long, et partantennuyeux,Pour l’accourcir ils disputèrent.La dispute est d’un grand secours ;Sans elle on dormirait toujours.Nos Pèlerins s’égosillèrent.Ayant bien disputé l’on parla duprochain.Le Renard au Chat dit enfin :Tu prétends être fort habile :En sais-tu tant que moi ? J’ai cent

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ruses au sac.Non, dit l’autre ; je n’ai qu’un tourdans mon bissac,Mais je soutiens qu’il en vaut mille.Eux de recommencer la dispute àl’envi.Sur le que si, que non tous deuxétant ainsi,Une meute apaisa la noise.Le Chat dit au Renard : Fouille enton sac ami :Cherche en ta cervelle matoiseUn stratagème sûr : Pour moi, voicile mien.À ces mots sur un arbre il grimpabel et bien.L’autre fit cent tours inutiles,

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Entra dans cent terriers, mit centfois en défautTous les confrères de Brifaut.Partout il tenta des asiles ;Et ce fut partout sans succès ;La fumée y pourvut ainsi que lesbassets.Au sortir d’un Terrier deux chiensaux pieds agilesL’étranglèrent du premier bond.Le trop d’expédients peut gâter uneaffaire ;On perd du temps au choix, ontente, on veut tout faire.N’en ayons qu’un, mais qu’il soitbon.

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XV. Le Mari, la Femme, et leVoleur.

Un Mari fort amoureux,Fort amoureux de sa femme,Bien qu’il fût jouissant se croioitmalheureux.Jamais œillade de la Dame,Propos flatteur et gracieux,Mot d’amitié, ni doux sourire,Déifiant le pauvre Sire,N’avaient fait soupçonner qu’il fûtvraiment chéri ;Je le crois, c’était un mari.Il ne tint point à l’hyménéeQue content de sa destinée

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Il n’en remerciât les Dieux ;Mais quoi ? Si l’amourn’assaisonneLes plaisirs que l’hymen nousdonne,Je ne vois pas qu’on en soit mieux.Notre épouse étant donc de la sortebâtie,Et n’ayant caressé son mari de savie,Il en faisait sa plainte une nuit. UnvoleurInterrompit la doléance.La pauvre femme eut si grand’peur,Qu’elle chercha quelque assuranceEntre les bras de son époux.Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien

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si douxMe serait inconnu ; Prends donc enrécompenseTout ce qui peut chez nous être à tabienséance ;Prends le logis aussi. Les voleursne sont pasGens honteux ni fort délicats :Celui-ci fit sa main. J’infère de ceconteQue la plus forte passionC’est la peur ; elle fait vaincrel’aversion ;Et l’amour quelquefois ;quelquefois il la dompte :J’en ai pour preuve cet amant,Qui brûla sa maison pour

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embrasser sa Dame,L’emportant à travers la flamme :J’aime assez cet emportement :Le conte m’en a plu toujoursinfiniment :Il est bien d’une âme Espagnole,Et plus grande encore que folle.

XVI. Le Trésor, et les deuxHommes.

Un homme n’ayant plus ni crédit, niressource,Et logeant le Diable en sa bourse,C’est-à dire, n’y logeant rien,

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S’imagina qu’il ferait bienDe se pendre, et finir lui-même samisère ;Puisque aussi bien sans lui la faimle viendrait faire,Genre de mort qui ne duit pasÀ gens peu curieux de goûter letrépas.Dans cette intention une vieillemasureFut la scène où devait se passerl’aventure.Il y porte une corde ; et veut avecun clouAu haut d’un certain mur attacher lelicou.La muraille vieille et peu forte,

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S’ébranle aux premiers coups,tombe avec un trésor.Notre désespéré le ramasse, etl’emporte ;Laisse là le licou ; s’en retourneavec l’or ;Sans compter : ronde ou non, lasomme plut au sire.Tandis que le galant à grands pas seretire,L’homme au trésor arrive et trouveson argentAbsent.Quoi, dit-il, sans mourir je perdraicette somme ?Je ne me pendrai pas ? et vraimentsi ferai,

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Ou de corde je manquerai.Le lacs était tout prêt , il n’ymanquait qu’un homme,Celui-ci se l’attache, et se pendbien et beau.Ce qui le consola peut-être,Fut qu’un autre eût pour lui fait lesfrais ducordeau,Aussi-bien que l’argent le licoutrouva maître.

L’avare rarement finit ses jours sanspleurs :Il a le moins de part au trésor qu’ilenserre,Thésaurisant pour les voleurs,

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Pour ses parents, ou pour la terre.Mais que dire du troc que la fortunefit ?Ce sont-là de ses traits ; elle s’endivertit.Plus le tour est bizarre, et plus elleest contente.Cette Déesse inconstanteSe mit alors en l’espritDe voir un homme se pendre ;Et celui qui se penditS’y devait le moins attendre.

XVII. Le Singe, et le Chat.

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Bertrand avec Raton, l’un Singe, etl’autre Chat,Commensaux d’un logis, avaient uncommun Maître.D’animaux mal-faisans c’était untrès-bon plat ;Ils n’y craignaient tous deux aucun,quel qu’il pût être.Trouvait-on quelque chose au logisde gâté ?L’on ne s’en prenait point aux gensdu voisinage.Bertrand dérobait tout ; Raton deson côtéÉtait moins attentif aux souris qu’aufromage.Un jour au coin du feu nos deux

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maîtres friponsRegardaient rôtir des marrons ;Les escroquer était une très bonneaffaire :Nos galants y voyaient doubleprofit à faire,Leur bien premièrement, et puis lemal d’autrui.Bertrand dit à Raton : Frère, il fautaujourd’huiQue tu fasses un coup de maître.Tire-moi ces marrons ; Si Dieum’avait fait naîtrePropre à tirer marrons du feu,Certes marrons verraient beau-jeu.Aussi-tôt fait, que dit : Raton avecsa patte

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D’une manière délicateÉcarte un peu la cendre, et retire lesdoigts ;Puis les reporte à plusieurs fois ;Tire un maron, puis deux, et puistrois en excroque,Et cependant Bertrand les croque.Une servante vient : adieu mesgens : RatonN’était pas content, ce dit-on.Aussi ne le sont pas la plupart deces PrincesQui flattés d’un pareil emploiVont s’échauder en des Provinces,Pour le profit de quelque Roi.

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XVIII. Le Milan et leRossignol.

Après que le Milan, manifestevoleur,Eut répandu l’alarme en tout levoisinage,Et fait crier sur lui les enfants duvillage,Un Rossignol tomba dans sesmains, par malheur.Le héraut du Printemps lui demandela vie :Aussi bien que manger en qui n’aque le son ?Écoutez plutôt ma chanson ;

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Je vous raconterai Térée et sonenvie.Qui, Térée ? est-ce un mets proprepour les Milans ?Non pas, c’était un Roi dont lesfeux violentsMe firent ressentir leur ardeurcriminelle :Je m’en vais vous en dire unechanson si belleQu’elle vous ravira : mon chantplaît à chacun.Le Milan alors lui réplique :Vraiment, nous voici bien, lorsqueje suis à jeun,Tu me viens parler de musique.J’en parle bien aux Rois. Quand un

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Roi te prendra,Tu peux lui conter ces merveilles :Pour un Milan, il s’en rira :Ventre affamé n’a point d’oreilles.

XIX. Le Berger et sontroupeau.

Quoi ? toujours il me manqueraQuelqu’un de ce peuple imbecile !Toujours le Loup m’en gobera !J’aurai beau les compter : ilsétaient plus de mille,Et m’ont laissé ravir notre pauvreRobin ;

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Robin mouton qui par la villeMe suivait pour un peu de pain,Et qui m’aurait suivi jusque au boutdu monde.Hélas ! de ma musette il entendaitle son :Il me sentait venir de cent pas à laronde.Ah le pauvre Robin mouton !Quand Guillot eut fini cette oraisonfunèbreEt rendu de Robin la mémoirecélèbre,Il harangua tout le troupeau,Les chefs, la multitude, et jusqu’aumoindre agneau,Les conjurant de tenir ferme :

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Cela seul suffirait pour écarter lesLoups.Foi de peuple d’honneur ils luipromirent tous,De ne bouger non plus qu’un terme.Nous voulons, dirent-ils, étouffer leglouton,Qui nous a pris Robin mouton.Chacun en répond sur sa tête.Guillot les crut et leur fit fête.Cependant devant qu’il fût nuit,Il arriva nouvel encombre,Un Loup parut, tout le troupeaus’enfuit.Ce n’était pas un Loup, ce n’en étaitque l’ombre.Haranguez de méchants soldats,

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Ils promettront de faire rage ;Mais au moindre danger adieu toutleur courage :Votre exemple et vos cris ne lesretiendront pas.

Discours à Madame de laSabliere

Iris, je vous louerais ; il n’est quetrop aisé ;Mais vous avez cent fois notreencens refusé ;En cela peu semblable au reste des

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mortellesQui veulent tous les jours deslouanges nouvelles.Pas une ne s’endort à ce bruit siflatteur.Je ne les blâme point, je souffrecette humeur ;Elle est commune aux Dieux, auxMonarques, aux belles.Ce breuvage vanté par le peuplerimeur,Le Nectar que l’on sert au maître duTonnerre,Et dont nous enivrons tous lesDieux de la terre,C’est la louange, Iris ; Vous ne lagoûtez point ;

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D’autres propos chez vousrecompensent ce point ;Propos, agréables commerces,Où le hasard fournit cent matièresdiverses :Jusque-là qu’en votre entretienLa bagatelle à part : le monde n’encroit rien.Laissons le monde, et sa croyance :La bagatelle, la science,Les chimères, le rien, tout est bon :Je soutiensQu’il faut de tout aux entretiens :C’est un parterre, où Flore épandses biens ;Sur différentes fleurs l’Abeille s’yrepose,

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Et fait du miel de toute chose.Ce fondement posé ne trouvez pasmauvais,Qu’en ces Fables aussi j’entremêledes traitsDe certaine PhilosophieSubtile, engageante, et hardie.On l’appelle nouvelle. En avez-vous ou nonOuï parler ? Ils disent doncQue la bête est une machine ;Qu’en elle tout se fait sans choix etpar ressorts :Nul sentiment, point d’âme, en elletout est corps.Telle est la montre qui chemine,À pas toujours égaux, aveugle et

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sans dessein.Ouvrez-la, lisez dans son sein ;Mainte roue y tient lieu de toutl’esprit du monde.La première y meut la seconde,Une troisième suit, elle sonne à lafin.Au dire de ces gens, la bête esttoute telle :L’objet la frappe en un endroit ;Ce lieu frappé s’en va tout droit,Selon nous au voisin en porter lanouvelle ;Le sens de proche en proche aussi-tôt la reçoit.L’impression se fait, mais commentse fait-elle ?

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Selon eux par nécessité,Sans passion, sans volonté.L’animal se sent agitéDe mouvements que le vulgaireappelleTristesse, joie, amour, plaisir,douleur cruelle,Ou quelque autre de ces états ;Mais ce n’est point cela ; ne vous ytrompez pas.Qu’est-ce donc ? une montre ; etnous ? c’est autre chose.Voici de la façon que Descartesl’expose ;Descartes ce mortel dont on eût faitun DieuChez les Païens, et qui tient le

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milieuEntre l’homme et l’esprit, commeentre l’huître et l’hommeLe tient tel de nos gens, franchebête de somme.Voici, dis-je, comment raisonne cetAuteur.Sur tous les animaux enfants duCréateur,J’ai le don de penser, et je sais queje pense.Or vous savez Iris de certainescience,Que quand la bête penseroit,La bête ne refléchiroitSur l’objet ni sur sa pensée.Descartes va plus loin, et soutient

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nettement,Qu’elle ne pense nullement.Vous n’êtes point embarasséeDe le croire, ni moi. Cependantquand aux boisLe bruit des cors, celui des voix,N’a donné nul relâche à la fuyanteproie,Qu’en vain elle a mis ses effortsÀ confondre, et brouiller la voie.L’animal chargé d’ans, vieux Cerf,et de dix cors,En suppose un plus jeune, etl’oblige par force,À présenter aux chiens une nouvelleamorce.Que de raisonnements pour

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conserver ses jours !Le retour sur ses pas, les malices,les tours,Et le change, et cent stratagèmesDignes des plus grands chefs,dignes d’un meilleur sort !On le déchire après sa mort ;Ce sont tous ses honneurs suprêmes.

Quand la PerdrixVoit ses petitsEn danger, et n’ayant qu’une plumenouvelle,Qui ne peut füir encor par les airsle trépas ;Elle fait la blessée, et va traînant del’aile,

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Attirant le Chasseur, et le Chien surses pas,Détourne le danger, sauve ainsi safamille,Et puis, quand le Chasseur croit queson Chien la pille ;Elle lui dit adieu, prend sa volée, etritDe l’homme, qui confus des yeux envain la suit.

Non loin du Nord il est un monde,Où l’on sait que les habitants,Vivent ainsi qu’aux premiers tempsDans une ignorance profonde :Je parle des humains ; car quant auxanimaux,

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Ils y construisent des travaux,Qui des torrents grossis arrestent leravage,Et font communiquer l’un et l’autrerivage.L’édifice résiste, et dure en sonentier ;Après un lit de bois, est un lit demortier :Chaque Castor agit ; commune enest la tâche ;Le vieux y fait marcher le jeunesans relâche.Maint maître d’œuvre y court, ettient haut le bâton.La république de Platon,Ne serait rien que l’apprentie

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De cette famille amphibie.Ils savent en hiver élever leursmaisons,Passent les estangs sur des ponts,Fruit de leur art, savant ouvrage ;Et nos pareils ont beau le voir,Jusqu’à presenttout leur savoirEst de passer l’onde à la nage.

Que ces Castors ne soient qu’uncorps vide d’esprit,Jamais on ne pourra m’obliger à lecroire :Mais voici beaucoup plus : écoutezce récit,Que je tiens d’un Roi plein degloire.

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Le défenseur du Nord vous seramon garant :Je vais citer un Prince aimé de lavictoire :Son nom seul est un mur à l’empireOttoman ;C’est le Roi Polonais, jamais unRoi ne ment.Il dit donc que sur sa frontiereDes animaux entre eux ont guerre detout temps :Le sang qui se transmet des pèresaux enfants,En renouvelle la matière.Ces animaux, dit-il, sont germainsdu Renard.Jamais la guerre avec tant d’art

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Ne s’est faite parmi les hommes,Non pas même au siècle où noussommes.Corps de garde avancé, vedettes,espions,Embuscades, partis, et milleinventionsD’une pernicieuse, et mauditescience,Fille du Styx, et mère des héros,Exercent de ces animauxLe bon sens, et l’expérience.Pour chanter leurs combats,l’Achéron nous devraitRendre Homère. Ah s’il le rendait,Et qu’il rendît aussi le rivald’Epicure !

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Que dirait ce dernier sur cesexemples-ci ?Ce que j’ai déjà dit, qu’aux bêtes lanaturePeut par les seuls ressorts opérertout ceci ;Que la mémoire est corporelle,Et que pour en venir aux exemplesdivers,Que j’ai mis en jour dans ces vers,L’animal n’a besoin que d’elle.L’objet lors qu’il revient, va dansson magasinChercher par le même cheminL’image auparavant tracée,Qui sur les mêmes pas revientpareillement,

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Sans le secours de la pensée,Causer un même événement.Nous agissons tout autrement.La volonté nous détermine,Non l’objet, ni l’instinct. Je parle,je chemine ;Je sens en moi certain agent ;Tout obéit dans ma machineÀ ce principe intelligent.Il est distinct du corps, se conçoitnettement,Se conçoit mieux que le corpsmême :De tous nos mouvements c’estl’arbitre suprême.Mais comment le corps l’entend-il ?

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C’est-là le point : je vois l’outilObéir à la main : mais la main quila guide ?Eh ! qui guide les Cieux, et leurcourse rapide ?Quelque Ange est attaché peut-êtreà ces grands corps.Un esprit vit en nous, et meut tousnos ressorts :L’impression se fait ; Le moyen, jel’ignore.On ne l’apprend qu’au sein de laDivinité ;Et, s’il faut en parler avec sincérité,Descartes l’ignorait encore.Nous et lui là-dessus nous sommestous égaux.

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Ce que je sais Iris, c’est qu’en cesanimauxDont je viens de citer l’exemple,Cet esprit n’agit pas, l’homme seulest son temple.Aussi faut-il donner à l’animal unpoint,Que la plante après tout n’a point.Cependant la plante respire :Mais que répondra-t-on à ce que jevais dire ?

———

Les deux Rats, le Renard, etl’Œuf.

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Deux Rats cherchaient leur vie, ilstrouvèrent un Œuf.Le dîné suffisait à gens de cetteespèce ;Il n’était pas besoin qu’ilstrouvassent un Bœuf.Pleins d’appétit, et d’allégresse,Ils allaient de leur œuf mangerchacun sa part ;Quand un Quidam parut. C’étaitmaître Renard ;Rencontre incommode et fâcheuse.Car comment sauver l’œuf ? Lebien empaqueter,Puis des pieds de devant ensemble

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le porter,Ou le rouler, ou le traîner,C’était chose impossible autant quehasardeuse.Nécessité l’ingénieuseLeur fournit une invention.Comme ils pouvaient gagner leurhabitation,L’écornifleur étant à demi quart delieue ;L’un se mit sur le dos, prit l’œufentre ses bras,Puis malgré quelques heurts, etquelques mauvais pas,L’autre le traîna par la queue.Qu’on m’aille soutenir après un telrécit,

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Que les bêtes n’ont point d’esprit.Pour moi, si j’en étais le maître,Je leur en donnerais aussi bienqu’aux enfants.Ceux-ci pensent-ils pas dès leursplus jeunes ans ?Quelqu’un peut donc penser ne sepouvant connaître.Par un exemple tout égal,J’attribuerais à l’animal,Non point une raison selon notremanière :Mais beaucoup plus aussi qu’unaveugle ressort :Je subtiliserois un morceau dematière,Que l’on ne pourrait plus concevoir

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sans effort,Quintessence d’atome, extrait de lalumière,Je ne sais quoi plus vif, et plusmobile encorQue le feu : car enfin, si le bois faitla flamme,La flamme en s’épurant peut-ellepas de l’âmeNous donner quelque idée, et sort-ilpas de l’orDes entrailles du plomb ? Jerendrais mon ouvrageCapable de sentir, juger, riendavantage,Et juger imparfaitement,Sans qu’un Singe jamais fît le

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moindre argument.À l’égard de nous autres hommes,Je ferais notre lot infiniment plusfort :Nous aurions un double trésor ;L’un cette âme pareille en tout —tant que nous sommes,Sages, fous, enfants, idiots,Hôtes de l’univers sous le nomd’animaux ;L’autre encore une autre âme, entrenous et les AngesCommune en un certain degré ;Et ce trésor à part crééSuivrait parmi les airs les célestesphalanges,Entrerait dans un point sans en être

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pressé,Ne finirait jamais quoi qu’ayantcommencé,Choses réelles quoi qu’étranges.Tant que l’enfance durerait,Cette fille du Ciel en nous neparaîtraitQu’une tendre et faible lumière ;L’organe étant plus fort, la raisonperceraitLes ténèbres de la matière,Qui toujours envelopperaitL’autre âme imparfaite et grossière.

LIVRE DIXIÈME

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Fable I. L’Homme et laCouleuvre.

Un homme vit une Couleuvre.Ah ! méchante, dit-il, je m’en vaisfaire une œuvreAgréable à tout l’univers.À ces mots l’animal pervers(C’est le serpent que je veux dire,Et non l’homme, on pourraitaisément s’y tromper.)À ces mots le serpent se laissantattraperEst pris, mis en un sac , et ce qui futle pire,On résolut sa mort, fût-il coupable

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ou non.Afin de le payer toutefois de raison,L’autre lui fit cette harangueSymbole des ingrats, être bon auxméchants,C’est être sot, meurs donc : tacolère et tes dentsNe me nuiront jamais. Le Serpenten sa langue,Reprit du mieux qu’il put : S’ilfallait condamnerTous les ingrats qui sont au monde,À qui pourrait-on pardonner ?Toi-même tu te fais ton procès. Jeme fondeSur tes propres leçons ; jette lesyeux sur toi.

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Mes jours sont en tes mains,tranche-les : ta justiceC’est ton utilité, ton plaisir, toncaprice ;Selon ces lois, condamne-moi :Mais trouve bon qu’avec franchiseEn mourant au moins je te dise,Que le symbole des ingratsCe n’est point le serpent, c’estl’homme. Ces parolesFirent arrêter l’autre ; il recula d’unpas.Enfin il repartit. Tes raisons sontfrivoles :Je pourrais décider ; car ce droitm’appartient :Mais rapportons nous en. Soit fait,

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dit le reptile.Une vache était là, l’on l’appelle,elle vient,Le cas est proposé, c’était chosefacile.Fallait-il pour cela, dit-elle,m’appeler ?La Couleuvre a raison, pourquoidissimuler ?Je nourris celui-ci depuis longuesannées ;Il n’a sans mes bienfaits passénulles journées ;Tout n’est que pour lui seul ; monlait et mes enfants,Le font à la maison revenir lesmains pleines ;

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Même j’ai rétabli sa santé que lesansAvaient altérée, et mes peinesOnt pour but son plaisir ainsi queson besoin.Enfin me voilà vieille ; il me laisseen un coinSans herbe ; s’il voulait encor melaisser paître !Mais je suis attachée ; et si j’eusseeu pour maîtreUn serpent, eût-il su jamais poussersi loinL’ingratitude ? Adieu. J’ai dit ceque je pense.L’homme tout étonné d’une tellesentence

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Dit au serpent : Faut-il croire cequ’elle dit ?C’est une radoteuse, elle a perdul’esprit.Croyons ce Bœuf. Croyons, dit larampante bête.Ainsi dit, ainsi fait. Le Bœuf vient àpas lents.Quand il eut ruminé tout le cas en satête,Il dit que du labeur des ansPour nous seuls il portait les soinsles plus pesants,Parcourant sans cesser ce longcercle de peinesQui revenant sur soi ramenait dansnos plaines

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Ce que Cérès nous donne, et vendaux animaux.Que cette suite de travauxPour récompense avait de tous tantque nous sommes,Force coups, peu de gré ; puisquand il était vieux,On croyait l’honorer chaque foisque les hommesAchetaient de son sang l’indulgencedes Dieux.Ainsi parla le Bœuf. L’homme dit :Faisons taireCet ennuyeux déclamateur.Il cherche de grands mots, et vientici se faire,Au lieu d’arbitre, accusateur.

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Je le récuse aussi. L’arbre étant prispour juge,Ce fut bien pis encor. Il servait derefugeContre le chaud, la pluie, et lafureur des vents :Pour nous seuls il ornait les jardinset les champs.L’ombrage n’était pas le seul bienqu’il sût faire ;Il courbait sous les fruits ;cependant pour salaireUn rustre l’abattait, c’était là sonloyer ;Quoi que pendant tout l’an libéral ilnous donneOu des fleurs au Printemps ; ou du

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fruit en Automne ;L’ombre, l’Été ; l’Hiver, lesplaisirs du foyer.Que ne l’émondait-on sans prendrela cognée ?De son tempérament il eût encorvécu.L’homme trouvant mauvais que l’onl’eût convaincu,Voulut à toute force avoir causegagnée.Je suis bien bon, dit-il, d’écouterces gens-là.Du sac et du serpent aussi-tôt ildonnaContre les murs, tant qu’il tua labête.

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On en use ainsi chez les grands.La raison les offense : ils se mettenten têteQue tout est né pour eux,quadrupèdes, et gens,Et serpents.Si quelqu’un desserre les dents,C’est un sot. J’en conviens. Maisque faut-il donc faire ?Parler de loin ; ou bien se taire.

II. La Tortue et les deuxCanards.

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Une Tortue était, à la tête légère,Qui lasse de son trou voulut voir lepays.Volontiers on fait cas d’une terreétrangère :Volontiers gens boiteux haïssent lelogis.Deux Canards à qui la CommèreCommuniqua ce beau dessein,Lui dirent qu’ils avaient de quoi lasatisfaire :Voyez-vous ce large chemin ?Nous vous voiturerons par l’air enAmérique.Vous verrez mainte République,Maint Royaume, maint peuple ; et

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vous profiterezDes différentes mœurs que vousremarquerez.Ulysse en fit autant. On nes’attendait guèreDe voir Ulysse en cette affaire.La Tortue écouta la proposition.Marché fait, les oiseaux forgent unemachinePour transporter la pèlerine.Dans la gueule en travers on luipasse un bâton.Serrez bien, dirent-ils ; gardez delâcher prise :Puis chaque Canard prend ce bâtonpar un bout.La Tortue enlevée on s’étonne

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partoutDe voir aller en cette guiseL’animal lent et sa maison,Justement au milieu de l’un etl’autre Oison.Miracle, criait-on ; Venez voir dansles nuësPasser la Reine des Tortues.La Reine : Vraiment oui ; Je la suisen effet ;Ne vous en moquez point. Elle eûtbeaucoup mieux faitDe passer son chemin sans direaucune chose ;Car lâchant le bâton en desserrantles dents,Elle tombe, elle crève aux pieds

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des regardans.Son indiscrétion de sa perte futcause.Imprudence, babil, et sotte vanité,Et vaine curiositéOnt ensemble étroit parentage ;Ce sont enfants tous d’un lignage.

III. Les Poissons et leCormoran.

Il n’était point d’étang dans tout levoisinageQu’un Cormoran n’eût mis àcontribution.

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Viviers et réservoirs lui payaientpension :Sa cuisine allait bien ; mais lorsquele long âgeEut glacé le pauvre animal,La même cuisine alla mal.Tout Cormoran se sert depourvoyeur lui-même.Le nôtre un peu trop vieux pour voirau fond des eaux,N’ayant ni filets ni réseaux,Souffrait une disette extrême.Que fit-il ? Le besoin, docteur enstratagème,Lui fournit celui-ci. Sur le bordd’un ÉtangCormoran vit une Écrevisse.

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Ma commère, dit-il, allez tout àl’instantPorter un avis importantÀ ce peuple ; Il faut qu’il périsse :Le maître de ce lieu dans huit jourspêchera :L’Écrevisse en hâte s’en vaConter le cas : grande est l’émute.On court, on s’assemble, on députeÀ l’oiseau, Seigneur Cormoran,D’où vous vient cet avis ? quel estvotre garant ?Êtes-vous sûr de cette affaire ?N’y savez-vous remède ? et qu’est-il bon de faire ?Changer de lieu, dit-il. Comment leferons-nous ?

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N’en soyez point en soin : je vousporterai tousL’un après l’autre en ma retraite.Nul que Dieu seul et moi n’enconnaît les chemins,Il n’est demeure plus secrète.Un Vivier que nature y creusa deses mains,Inconnu des traîtres humains,Sauvera votre république.On le crut. Le peuple aquatiqueL’un après l’autre fut portéSous ce rocher peu fréquenté.Là Cormoran le bon apôtreLes ayant mis en un endroitTransparent, peu creux, fort étroit,Vous les prenait sans peine, un jour

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l’un, un jour l’autre.Il leur apprit à leurs dépens,Que l’on ne doit jamais avoir deconfianceEn ceux qui sont mangeurs de gens.Ils y perdirent peu ; puisquel’humaine engeanceEn aurait aussi bien croqué sabonne part ;Qu’importe qui vous mange ?homme ou loup ; toute panseMe paraît une à cet égard ;Un jour plus tôt, un jour plus tard,Ce n’est pas grande différence.

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IV. L’Enfouisseur et sonCompère.

Un Pinsemaille avait tant amassé,Qu’il ne savait où loger sa finance.L’avarice compagne et sœur del’ignorance,Le rendait fort embarrasséDans le choix d’un dépositaire ;Car il en voulait un : Et voici saraison.L’objet tente ; il faudra que cemonceau s’altère,Si je le laisse à la maison :Moi-même de mon bien je serai lelarron.

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Le larron, quoi jolly, c’est se volersoi-même !Mon ami, j’ai pitié de ton erreurextrême ;Apprends de moi cette leçon :Le bien n’est bien qu’en tant quel’on s’en peut défaire.Sans cela c’est un mal. Veux-tu leréserverPour un âge et des temps qui n’enont plus que faire ?La peine d’acquérir, le soin deconserver,Ôtent le prix à l’or qu’on croit sinécessaire.Pour se décharger d’un tel soinNotre homme eût pu trouver des

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gens sûrs au besoin ;Il aima mieux la terre, et prenantson compère,Celui-ci l’aide ; Ils vont enfouir letrésor.Au bout de quelque temps l’hommeva voir son or.Il ne retrouva que le gîte.Soupçonnant à bon droit lecompère, il va viteLui dire : Apprêtez-vous ; car il mereste encorQuelques deniers ; je veux lesjoindre à l’autre masse.Le Compère aussi-tôt va remettreen sa placeL’argent volé, prétendant bien

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Tout reprendre à la fois sans qu’il ymanquât rien.Mais pour ce coup l’autre fut sage :Il retint tout chez lui, résolu dejouir,Plus n’entasser, plus n’enfouir.Et le pauvre voleur ne trouvant plusson gage,Pensa tomber de sa hauteur.Il n’est pas malaisé de tromper untrompeur.

V. Le Loup et les Bergers.

Un Loup rempli d’humanité

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(S’il en est de tels dans le monde)Fit un jour sur sa cruauté,Quoi qu’il ne l’exerçât que parnécessité,Une réflexion profonde.Je suis haï, dit-il, et de qui ? dechacun.Le Loup est l’ennemi commun :Chiens, Chasseurs, Villageoiss’assemblent pour sa perte :Jupiter est là haut étourdi de leurscris :C’est par là que de Loupsl’Angleterre est déserte :On y mit notre tête à prix.Il n’est hobereau qui ne fasseContre nous tels bans publier :

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Il n’est marmot osant crierQue du Loup aussi-tôt sa mère nemenace.Le tout pour un Âne rogneux,Pour un Mouton pourri, pourquelque Chien hargneuxDont j’aurai passé mon envie.Eh bien ne mangeons plus de choseayant eu vie :Paissons l’herbe, broutons,mourons de faim plutôt :Est-ce une chose si cruelle ?Vaut-il mieux s’attirer la haineuniverselle ?Disant ces mots il vit des Bergerspour leur rôtMangeans un agneau cuit en broche.

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Oh, oh, dit-il, je me reprocheLe sang de cette gent ; Voilà sesgardiensS’en repaissans, eux et leurschiens ;Et moi, Loup, j’en ferai scrupule ?Non, par tous les Dieux non ; Jeserais ridicule.Thibaut l’agnelet passera,Sans qu’à la broche je le mette ;Et non seulement lui, mais la mèrequ’il tette,Et le père qui l’engendra.Ce Loup avait raison : Est-il ditqu’on nous voieFaire festin de toute proie,Manger les animaux, et nous les

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réduironsAux mets de l’âge d’or autant quenous pourrons ?Ils n’auront ni croc ni marmite ?Bergers, bergers, le loup n’a tortQue quand il n’est pas le plus fort :Voulez-vous qu’il vive en ermite ?

VI. L’Araignée etl’Hirondelle.

Ô Jupiter, qui sus de ton cerveau,Par un secret d’accouchementnouveau,Tirer Pallas, jadis mon ennemie,

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Entends ma plainte une fois en tavie.Progné me vient enlever lesmorceaux :Caracolant, frisant l’air et les eaux,Elle me prend mes mouches à maporte :Miennes je puis les dire ; et monréseauEn serait plein sans ce mauditoiseau ;Je l’ai tissu de matière assez forte.Ainsi d’un discours insolent,Se plaignait l’Araignée autrefoistapissière,Et qui lors étant filandière,Prétendait enlacer tout insecte

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volant.La sœur de Philomèle, attentive àsa proie,Malgré le bestion happait mouchesdans l’air,Pour ses petits, pour elle,impitoyable joie,Que ses enfants gloutons, d’un bectoujours ouvert,D’un ton demi formé, bégayantecouvée,Demandaient par des cris encor malentendus.La pauvre Aragne n’ayant plusQue la tête et les pieds, artisanssuperflus,Se vit elle-même enlevée.

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L’hirondelle en passant emportatoile, et tout,Et l’animal pendant au bout.Jupin pour chaque état mit deuxtables au monde.L’adroit, le vigilant, et le fort sontassisÀ la première : et les petitsMangent leur reste à la seconde.

VII. La Perdrix et les Coqs.

Parmi de certains Coqs incivils,peu galants,Toujours en noise et turbulents,

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Une Perdrix était nourrie.Son sexe et l’hospitalité,De la part de ces Coqs peuple àl’amour porté :Lui faisaient espérer beaucoupd’honnêteté :Ils feraient les honneurs de laménagerie.Ce peuple cependant fort souvent enfurie,Pour la Dame étrangère ayant peude respec,Lui donnait fort souvent d’horriblescoups de bec.D’abord elle en fut affligée ;Mais si-tôt qu’elle eut vu cettetroupe enragée

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S’entrebattre elle-même, et sepercer les flancs,Elle se consola. Ce sont leursmœurs, dit-elle,Ne les accusons point ; plaignonsplutôt ces gens.Jupiter sur un seul modèleN’a pas formé tous les esprits :Il est des naturels de Coqs et dePerdrix.S’il dépendait de moi, je passeraisma vieEn plus honnête compagnie.Le maître de ces lieux en ordonneautrement.Il nous prend avec des tonnelles,Nous loge avec des Coqs, et nous

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coupe les ailes :C’est de l’homme qu’il faut seplaindre seulement.

VIII. Le Chien à qui on acoupé les oreilles.

Qu’ai-je fait pour me voir ainsiMutilé par mon propre maître ?Le bel état où me voici !Devant les autres Chiens oserai-jeparaître ?Ô Rois des animaux, ou plutôt leurstyrans,

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Qui vous ferait choses pareilles ?Ainsi criait Mouflar jeune dogue ;et les gensPeu touchés de ses cris douloureuxet perçants,Venaient de lui couper sans pitié lesoreilles.Mouflar y croyait perdre : il vitavec le tempsQu’il y gagnait beaucoup ; car étantde natureÀ piller ses pareils, maintemésaventureL’aurait fait retourner chez luiAvec cette partie en cent lieuxaltérée ;Chien hargneux a toujours l’oreille

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déchirée.Le moins qu’on peut laisser deprise aux dents d’autruiC’est le mieux. Quand on n’a qu’unendroit à défendre,On le munit de peur d’esclandre :Témoin maître Mouflar armé d’ungorgerin ;Du reste ayant d’oreille autant quesur ma main,Un loup n’eût su par où le prendre.

IX. Le Berger et le Roi.Deux démons à leur gré partagentnotre vie,

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Et de son patrimoine ont chassé laraison.Je ne vois point de cœur qui ne leursacrifie.Si vous me demandez leur état etleur nom,J’appelle l’un, Amour ; et l’autre,Ambition.Cette dernière étend le plus loin sonempire ;Car même elle entre dans l’amour.Je le ferais bien voir : mais mon butest de direComme un Roi fit venir un Berger àsa Cour.Le conte est du bon temps, non dusiècle où nous sommes.

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Ce Roi vit un troupeau qui couvraittous les champs,Bien broutant, en bon corps,rapportant tous les ans,Grâce aux soins du Berger, de trés-notables sommes.Le Berger plut au Roi par ces soinsdiligens.Tu mérites, dit-il, d’être Pasteur degens ;Laisse-là tes moutons, viensconduire des hommes.Je te fais Juge Souverain.Voilà notre Berger la balance à lamain.Quoi qu’il n’eût guère vu d’autresgens qu’un Ermite,

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Son troupeau, ses mâtins, le loup, etpuis c’est tout,Il avait du bon sens ; le reste vienten suite.Bref il en vint fort bien about.L’Ermite son voisin accourut pourlui dire :Veillé-je, et n’est-ce point un songeque je vois ?Vous favori ! vous grand ! défiez-vous des Rois :Leur faveur est glissante, on s’ytrompe ; et le pire,C’est qu’il en coûte cher ; depareilles erreursNe produisent jamais qued’illustres malheurs.

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Vous ne connaissez pas l’attrait quivous engage.Je vous parle en ami. Craignez tout.L’autre rit,Et notre Ermite poursuivit :Voyez combien déjà la cour vousrend peu sage.Je crois voir cet aveugle, à qui dansun voyageUn serpent engourdi de froidVint s’offrir sous la main ; il le pritpour un fouet.Le sien s’était perdu tombant de saceinture.Il rendait grâce au Ciel del’heureuse aventure,Quand un passant cria : Que tenez-

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vous ? ô Dieux !Jetez cet animal traître etpernicieux,Ce serpent. C’est un fouet. C’est unserpent, vous dis-je :À me tant tourmenter quel intérêtm’oblige ?Prétendez-vous garder ce trésor ?Pourquoi non ?Mon fouet était usé ; j’en retrouveun fort bon ;Vous n’en parlez que par envie.L’aveugle enfin ne le crut pas,Il en perdit bien-tôt la vie :L’animal dégourdi piqua sonhomme au bras.Quant à vous, j’ose vous prédire

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Qu’il vous arrivera quelque chosede pire.Eh, que me saurait-il arriver que lamort ?Mille dégoûts viendront, dit leProphète Ermite.Il en vint en effet ; l’Ermite n’eutpas tort.Mainte peste de Cour, fit tant parmaint ressort,Que la candeur du Juge, ainsi queson mérite,Furent suspects au Prince. Oncabale, on susciteAccusateurs et gens grevés par sesarrêts.De nos biens, dirent-ils, il s’est fait

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un Palais.Le Prince voulut voir ces richessesimmenses,Il ne trouva partout que médiocrité,Louanges du désert et de lapauvreté ;C’étaient là ses magnificences.Son fait, dit-on, consiste en despierres de prix.Un grand coffre en est plein, ferméde dix serrures.Lui-même ouvrit ce coffre, et renditbien surprisTous les machineurs d’impostures.Le coffre étant ouvert, on y vit deslambeaux,L’habit d’un gardeur de troupeaux,

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Petit chapeau, jupon, panetière,houlette,Et je pense aussi sa musette.Doux trésors, ce dit-il, chers gagesqui jamaisN’attirâtes sur vous l’envie et lemensonge,Je vous reprends : sortons de cesriches PalaisComme l’on sortirait d’un songe.Sire, pardonnez-moi cetteexclamation.J’avais prévu ma chute en montantsur le faîte.Je m’y suis trop complu ; mais quin’a dans la têteUn petit grain d’ambition ?

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XI. Les deux Perroquets, leRoi et son fils.

Deux Perroquets, l’un père etl’autre fils,Du rôt d’un Roi faisaient leurordinaire.Deux demi-dieux, l’un fils et l’autrepère,De ces oiseaux faisaient leursfavoris.L’âge liait une amitié sincèreEntre ces gens : les deux pèress’aimaient ;

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Les deux enfants, malgré leur cœurfrivole,L’un avec l’autre aussis’accoutumaient,Nourris ensemble, et compagnonsd’école.C’était beaucoup d’honneur aujeune Perroquet ;Car l’enfant était Prince et son pèreMonarque.Par le tempérament que lui donna laparque,Il aimait les oiseaux. Un Moineaufort coquet,Et le plus amoureux de toute laProvince,Faisait aussi sa part des délices du

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Prince.Ces deux rivaux un jour ensemblese jouant,Comme il arrive aux jeunes gens,Le jeu devint une querelle.Le Passereau peu circonspec,S’attira de tels coups de bec,Que, demi mort et traînant l’aile,On crut qu’il n’en pourrait guérirLe Prince indigné fit mourirSon Perroquet. Le bruit en vint aupère.L’infortuné vieillard crie et sedésespère.Le tout en vain ; ses cris sontsuperflus :L’oiseau parleur est déjà dans la

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barque :Pour dire mieux, l’oiseau ne parlantplusFait qu’en fureur sur le fils duMonarqueSon père s’en va fondre, et luicrève les yeux.Il se sauve aussi-tôt, et choisit pourasileLe haut d’un Pin. Là dans le seindes DieuxIl goûte sa vengeance en lieu sûr ettranquille.Le Roi lui-même y court, et dit pourl’attirer ;Ami, reviens chez moi : que noussert de pleurer ?

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Haine, vengeance et deuil, laissonstout à la porte.Je suis contraint de déclarer,Encor que ma douleur soit forte,Que le tort vient de nous : mon filsfut l’agresseur :Mon fils ! non ; C’est le sort qui ducoup est l’auteur.La Parque avait écrit de tout tempsen son livreQue l’un de nos enfants devaitcesser de vivre,L’autre de voir, par ce malheur.Consolons-nous tous deux, etreviens dans ta cage.Le Perroquet dit : Sire Roi,Crois-tu qu’après un tel outrage

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Je me doive fier à toi ?Tu m’allègues le sort ; prétends-tupar ta foiMe leurrer de l’appât d’un profanelangage ?Mais que la providence ou bien quele destinRègle les affaires du monde,Il est écrit là-haut qu’au faîte de cepinOu dans quelque Forêt profonde,J’achèverai mes jours loin du fatalobjetQui doit t’être un juste sujetDe haine et de fureur. Je sais que lavengeanceEst un morceau de Roi, car vous

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vivez en Dieux.Tu veux oublier cette offense :Je le crois : cependant il me fautpour le mieuxÉviter ta main et tes yeux.Sire Roi mon ami, va-t’en, tu perdsta peine,Ne me parle point de retour :L’absence est aussi bien un remèdeà la haineQu’un appareil contre l’amour.

XII. La Lionne et l’OurseMère Lionne avait perdu son fan.Un Chasseur l’avait pris. La pauvre

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infortunéePoussait un tel rugissementQue toute la Forêt était importunée.La nuit ni son obscurité,Son silence et ses autres charmes,De la Reine des bois n’arrêtait lesvacarmesNul animal n’était du sommeilvisité.L’Ourse enfin lui dit : Ma commère,Un mot sans plus ; tous les enfantsQui sont passés entre vos dents,N’avaient-ils ni père ni mère ?Ils en avaient. S’il est ainsi,Et qu’aucun de leur mort n’ait nostêtes rompues,Si tant de mères se sont tues,

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Que ne vous taisez-vous aussi ?Moi me taire ? moi malheureuse !Ah j’ai perdu mon fils ! Il mefaudra traînerUne vieillesse douloureuse.Dites-moi, qui vous force à vous ycondamner ?Hélas ! c’est le destin qui me hait.Ces parolesOnt été de tout temps en la bouchede tous.Misérables humains, ceci s’adresseà vous :Je n’entends résonner que desplaintes frivoles.Quiconque en pareil cas se croit haïdes Cieux,

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Qu’il considère Hécube, il rendragrâce aux Dieux.

XIII. Les deux Aventurierset le Talisman

Aucun chemin de fleurs ne conduit àla gloire.Je n’en veux pour témoin,qu’Hercule et ses travaux.Ce Dieu n’a guère de rivaux :J’en vois peu dans la Fable, encormoins dans l’Histoire.En voici pourtant un que de vieux

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TalismansFirent chercher fortune au pays desRomans.Il voyageait de compagnie.Son camarade et lui trouvèrent unpoteauAyant au haut cet écriteau :Seigneur Aventurier, s’il te prendquelque envieDe voir ce que n’a vu nul Chevaliererrant,Tu n’as qu’à passer ce torrent,Puis prenant dans tes bras unÉléphant de pierre,Que tu verras couché par terre,Le porter d’une haleine au sommetde ce mont

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Qui menace les Cieux de sonsuperbe front.L’un des deux Chevaliers saigna dunez. Si l’ondeEst rapide autant que profonde,Dit-il, et supposé qu’on la puissepasser,Pourquoi de l’Éléphant s’allerembarrasser ?Quelle ridicule entreprise !Le sage l’aura fait par tel art et deguise,Qu’on le pourra porter peut-êtrequatre pas :Mais jusqu’au haut du mont, d’unehaleine ? il n’est pasAu pouvoir d’un mortel, à moins

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que la figureNe soit d’un Éléphant nain, pygmée,avorton,Propre à mettre au bout d’un bâton :Auquel cas, où l’honneur d’unetelle aventure ?On nous veut attraper dedans cetteécriture :Ce sera quelque énigme à tromperun enfant.C’est pourquoi je vous laisse avecvotre Éléphant.Le raisonneur parti, l’aventureux selance,Les yeux clos à travers cette eau.Ni profondeur ni violenceNe purent l’arrêter, et selon

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l’écriteauIl vit son Éléphant couché surl’autre rive.Il le prend, il l’emporte, au haut dumont arrive,Rencontre une esplanade, et puisune cité.Un cri par l’Éléphant est aussitôtjeté.Le peuple aussitôt sort en armes.Tout autre Aventurier au bruit deces alarmesAurait fui. Celui-ci loin de tournerle dosVeut vendre au moins sa vie, etmourir en Héros.Il fut tout étonné d’ouïr cette

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cohorteLe proclamer Monarque au lieu deson Roi mort.Il ne se fit prier que de la bonnesorte,Encor que le fardeau fût, dit-il, unpeu fort.Sixte en disait autant quand on le fitsaint Père.(Serait-ce bien une misèreQue d’être Pape ou d’être Roi ? )On reconnut bientôt son peu debonne foi.Fortune aveugle suit aveuglehardiesse.Le sage quelquefois fait biend’exécuter,

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Avant que de donner le temps à lasagesseD’envisager le fait, et sans laconsulter.

XIV. Discours à Monsieur leDuc de la Rochefoucault.

Je me suis souvent dit, voyant dequelle sorteL’homme agit et qu’il se comporteEn mille occasions comme lesanimaux :Le Roi de ces gens-là n’a pas moinsde défauts

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Que ses sujets, et la natureA mis dans chaque créatureQuelque grain d’une masse oùpuisent les esprits :J’entends les esprits corps, et pétrisde matière.Je vais prouver ce que je dis.À l’heure de l’affût, soit lorsque lalumièrePrécipite ses traits dans l’humideséjour ;Soit lorsque le Soleil rentre dans sacarrière,Et que n’étant plus nuit, il n’est pasencor jour,Au bord de quelque bois sur unarbre je grimpe ;

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Et nouveau Jupiter du haut de cetolympe,Je foudroie à discrétionUn lapin qui n’y pensait guère.Je vois fuir aussitôt toute la nationDes lapins qui sur la Bruyère,L’œil éveillé, l’oreille au guet,S’égayaient et de thym parfumaientleur banquet.Le bruit du coup fait que la bandeS’en va chercher sa sûretéDans la souterraine cité :Mais le danger s’oublie, et cettepeur si grandeS’évanouit bientôt. Je revois leslapinsPlus gais qu’auparavant revenir

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sous mes mains.Ne reconnaît-on pas en cela leshumains ?Dispersés par quelque orageÀ peine ils touchent le port,Qu’ils vont hasarder encorMême vent, même naufrage.Vrais lapins on les revoitSous les mains de la fortune.Joignons à cet exemple une chosecommune.Quand des chiens étrangers passentpar quelque endroit,Qui n’est pas de leur détroit,Je laisse à penser quelle fête.Les chiens du lieu n’ayant en têteQu’un intérêt de gueule, à cris, à

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coups de dentsVous accompagnent ces passantsJusqu’aux confins du territoire.Un intérêt de biens, de grandeur, etde gloire,Aux Gouverneurs d’États, à certainscourtisans,À gens de tous métiers en fait toutautant faire.On nous voit tous pour l’ordinairePiller le survenant, nous jeter sur sapeau.La coquette et l’auteur sont de cecaractère ;Malheur à l’écrivain nouveau.Le moins de gens qu’on peut àl’entour du gâteau,

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C’est le droit du jeu, c’est l’affaire.Cent exemples pourraient appuyermon discours ;Mais les ouvrages les plus courtsSont toujours les meilleurs. En celaj’ai pour guidesTous les maîtres de l’art, et tiensqu’il faut laisserDans les plus beaux sujets quelquechose à penser :Ainsi ce discours doit cesser.Vous qui m’avez donné ce qu’il a desolide,Et dont la modestie égale lagrandeur,Qui ne pûtes jamais écouter sanspudeur

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La louange la plus permise,La plus juste et la mieux acquise,Vous enfin dont à peine ai-je encoreobtenuQue votre nom reçût ici quelqueshommages,Du temps et des censeurs défendantmes ouvrages,Comme un nom qui des ans et despeuples connu,Fait honneur à la France en grandsnoms plus fécondeQu’aucun climat de l’Univers,Permettez-moi du moinsd’apprendre à tout le mondeQue vous m’avez donné le sujet deces Vers.

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XV. Le Marchand, leGentilhomme, le Pâtre et leFils de Roi.

Quatre chercheurs de nouveauxmondes,Presque nus échappés à la fureurdes ondes,Un Trafiquant, un Noble, un Pâtre,un Fils de Roi,Réduits au sort de Bélisaire,Demandaient aux passants de quoiPouvoir soulager leur misère.De raconter quel sort les avait

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assemblés,quoique sous divers points tousquatre ils fussent nés,C’est un récit de longue haleine.Ils s’assirent enfin au bord d’unefontaine.Là le conseil se tint entre lespauvres gens.Le prince s’étendit sur le malheurdes grands.Le Pâtre fut d’avis qu’éloignant lapenséeDe leur aventure passée,Chacun fît de son mieux, ets’appliquât au soinDe pourvoir au commun besoin.La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle

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son homme ?Travaillons ; c’est de quoi nousmener jusqu’à Rome.Un Pâtre ainsi parler ! ainsi parler ;croit-onQue le Ciel n’ait donné qu’aux têtescouronnéesDe l’esprit et de la raison,Et que de tout Berger comme detout mouton,Les connaissances soient bornées ?L’avis de celui-ci fut d’abordtrouvé bonPar les trois échoués aux bords del’Amérique.L’un (c’était le Marchand) savaitl’Arithmétique ;

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À tant par mois, dit-il, j’endonnerai leçon.J’enseignerai la politique,Reprit le Fils de Roi. Le Noblepoursuivit :Moi je sais le blason ; j’en veuxtenir école :Comme si devers l’Inde, on eût eudans l’espritLa sotte vanité de ce jargon frivole.Le Pâtre dit : Amis, vous parlezbien ; mais quoi,Le mois a trente jours, jusqu’à cetteéchéanceJeûnerons-nous par votre foi ?Vous me donnez une espéranceBelle, mais éloignée ; et cependant

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j’ai faim.Qui pourvoira de nous au dîner dedemain ?Ou plutôt sur quelle assuranceFondez-vous, dites-moi, le souperd’aujourd’hui ?Avant tout autre c’est celuiDont il s’agit : votre scienceEst courte là-dessus ; ma main ysuppléera.À ces mots le Pâtre s’en vaDans un bois : il y fit des fagotsdont la vente,Pendant cette journée et pendant lasuivante,Empêcha qu’un long jeûne à la finne fît tant

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Qu’ils allassent là-bas exercer leurtalent.Je conclus de cette aventure,Qu’il ne faut pas tant d’art pourconserver ses jours ;Et grâce aux dons de la nature,La main est le plus sûr et le plusprompt secours.

LIVRE ONZIÈME

FABLE I. Le Lion.

Sultan Léopard autrefoisEut, ce dit-on, par mainte aubaine,Force bœufs dans ses prés, force

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Cerfs dans ses bois,Force moutons parmi la plaine.Il naquit un Lion dans la forêtprochaine.Après les compliments et d’une etd’autre part,Comme entre grands il se pratique,Le Sultan fit venir son Vizir leRenard,Vieux routier et bon politique.Tu crains, ce lui dit-il, Lionceaumon voisin :Son père est mort, que peut-ilfaire ?Plains plutôt le pauvre orphelin.Il a chez lui plus d’une affaire ;Et devra beaucoup au destin

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S’il garde ce qu’il a sans tenter deconquête.Le Renard dit branlant la tête :Tels orphelins, Seigneur, ne me fontpoint pitié :Il faut de celui-ci conserverl’amitié,Ou s’efforcer de le détruire,Avant que la griffe et la dentLui soit crue, et qu’il soit en état denous nuire :N’y perdez pas un seul moment.J’ai fait son horoscope : il croîtrapar la guerre.Ce sera le meilleur LionPour ses amis qui soit sur terre,Tâchez donc d’en être, sinon

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Tâchez de l’affaiblir. La haranguefut vaine.Le Sultan dormait lors ; et dedansson domaineChacun dormait aussi, bêtes, gens ;tant qu’enfinLe Lionceau devient vrai Lion. LetocsinSonne aussi-tôt sur lui ; l’alarme sepromèneDe toutes parts ; et le Vizir,Consulté là-dessus dit avec unsoupir :Pourquoi l’irritez-vous ? La choseest sans remède.En vain nous appelons mille gens ànotre aide.

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Plus ils sont, plus il coûte ; et je neles tiens bonsQu’à manger leur part des moutons.Apaisez le Lion : seul il passe enpuissanceCe monde d’alliés vivants sur notrebien :Le Lion en a trois qui ne lui coûtentrien,Son courage, sa force, avec savigilance.Jetez-lui promptement sous la griffeun mouton :S’il n’en est pas content jetez-endavantage.Joignez-y quelque bœuf : choisissezpour ce don

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Tout le plus gras du pâturage.Sauvez le reste ainsi. Ce conseil neplut pas,Il en prit mal, et force étatsVoisins du Sultan en pâtirent :Nul n’y gagna ; tous y perdirent.Quoi que fît ce monde ennemi,Celui qu’ils craignaient fut lemaître.Proposez-vous d’avoir le Lion pouramiSi vous voulez le laisser craistre.

II. Pour Monseigneur leDuc du Mayne

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Jupiter eut un fils qui ſe ſentant dulieuDont il tiroit ſon origineAvoit l’ame toute divine.L’enfance n’aime rien : celle dujeune DieuFaiſoit ſa principale affaireDes doux ſoins d’aimer & deplaire.En luy l’amour & la raiſonDevancerent le temps, dont les aîleslegeresN’amenent que trop-toſt, helas !chaque ſaiſon.Flore aux regards riants, auxcharmantes manieres,

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Toucha d’abord le cœur du jeuneOlimpien.Ce que la paſſion peut inſpirerd’adreſſe,Sentimens délicats & remplis detendreſſe,Pleurs, ſoûpirs, tout en fut : bref, iln’oublia rien.Le fils de Jupiter devoit par ſanaiſſanceAvoir un autre eſprit & d’autresdons des Cieux,Que les enfans des autres Dieux.Il ſembloit qu’il n’agiſt que parréminiſcence,Et qu’il euſt autresfois foit le métierd’amant,

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Tant il le fit parfaitement.Jupiter cependant voulut le faireinſtruire.Il aſſembla les Dieux, & dit : J’ayſceu conduireSeul & ſans compagnon juſqu’icil’Univers :Mais il eſt des emplois diversQu’aux nouveaux Dieux jediſtribuë.Sur cet enfant cheri j’ay donc jettéla veuë.C’eſt mon ſang : tout eſt plein déjade ſes Autels.Afin de mériter le rang desimmortels,Il faut qu’il ſçache tout. Le maiſtre

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du TonnerreEut a peine achevé que chacunapplaudit.Pour ſçavoir tout, l’enfant n’avoitque trop d’eſprit.Je veux, dit le Dieu de la guerre,Lui monſtrer moy-meſme cet artPar qui maints Heros ont eu partAux honneurs de l’Olimpe, & groſſicet empire.Je ſeray ſon maiſtre de lyre,Dit le blond & docte Apollon.Et moy, reprit Hercule à la peau deLion,Son maiſtre à ſurmonter les vices,À dompter les tranſports, monſtresempoiſonneurs,

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Comme Hydres renaiſſans ſansceſſe dans les cœurs.Ennemi des molles délices,Il apprendra de moy les ſentiers peubattusQui meinent aux honneurs ſur lespas des vertus.Quand ce vint au Dieu de Cythere,Il dit qu’il luy montreroit tout.L’Amour avoit raiſon : dequoy nevient à boutL’eſprit joint au deſir de plaire ?

III. Le Fermier, le Chien, etle Renard.

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Le Loup et le Renard sontd’étranges voisins :Je ne bâtirai point autour de leurdemeure.Ce dernier guettait à toute heureLes poules d’un Fermier ; etquoique des plus fins,Il n’avait pu donner d’atteinte à lavolaille.D’une part l’appétit, de l’autre ledanger,N’étaient pas au compère unembarras léger.Hé quoi, dit-il, cette canaille,Se moque impunément de moi ?Je vais, je viens, je me travaille,

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J’imagine cent tours ; le rustre, enpaix chez-soi,Vous fait argent de tout, convertit enmonnaie,Ses chapons, sa poulaille ; il en amême au croc :Et moi maître passé, quand j’attrapeun vieux coq,Je suis au comble de la joie !Pourquoi sire Jupin m’a-t-il doncappeléAu métier de Renard ? Je jure lespuissancesDe l’Olympe et du Styx, il en seraparlé.Roulant en son cœur cesvengeances,

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Il choisit une nuit libérale enpavots :Chacun était plongé dans unprofond repos ;Le Maître du logis, les valets, lechien même,Poules, poulets, chapons, toutdormait. Le Fermier,Laissant ouvert son poulailler,Commit une sottise extrême.Le voleur tourne tant qu’il entre aulieu guetté ;Le dépeuple, remplit de meurtres lacité :Les marques de sa cruauté,Parurent avec l’Aube : on vit unétalage

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De corps sanglants, et de carnage.Peu s’en fallut que le SoleilNe rebroussât d’horreur vers lemanoir liquide.Tel, et d’un spectacle pareil,Apollon irrité contre le fier AtrideJoncha son camp de morts : on vitpresque détruitL’ost des Grecs, et ce fut l’ouvraged’une nuit.Tel encore autour de sa tenteAjax à l’âme impatiente,De moutons, et de boucs fit un vastedébris,Croyant tuer en eux son concurrentUlysse,Et les auteurs de l’injustice

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Par qui l’autre emporta le prix.Le Renard autre Ajax aux volaillesfuneste,Emporte ce qu’il peut, laisse étendule reste.Le Maître ne trouva de recours qu’àcrierContre ses gens, son chien, c’estl’ordinaire usage.Ah maudit animal qui n’es bon qu’ànoyer,Que n’avertissais-tu dès l’abord ducarnage ?Que ne l’évitiez-vous ? c’eût étéplus tôt fait.Si vous Maître et Fermier à quitouche le fait,

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Dormez sans avoir soin que la portesoit close,Voulez-vous que moi chien qui n’airien à la chose,Sans aucun intérêt je perde lerepos ?Ce Chien parlait très-à propos :Son raisonnement pouvait êtreFort bon dans la bouche d’unMaître ;Mais n’étant que d’un simple chien,On trouva qu’il ne valait rien.On vous sangla le pauvre drille.Toi donc, qui que tu sois, ô père defamille,(Et je ne t’ai jamais envié cethonneur,)

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T’attendre aux yeux d’autrui, quandtu dors, c’est erreur.Couche-toi le dernier, et voisfermer ta porte.Que si quelque affaire t’importe,Ne la fais point par procureur.

IV. Le songe d’un habitantdu Mogol.

Jadis certain Mogol vit en songe unVizir,Aux champs Élyséens possesseurd’un plaisir,Aussi pur qu’infini, tant en prix

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qu’en durée ;Le même songeur vit en une autrecontréeUn Ermite entouré de feux,Qui touchait de pitié même lesmalheureux.Le cas parut étrange, et contrel’ordinaire,Minos en ces deux morts semblaits’être mépris.Le dormeur s’éveilla tant il en futsurpris.Dans ce songe pourtant soupçonnantdu mystère,Il se fit expliquer l’affaire.L’interprète lui dit : Ne vousétonnez point,

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Votre songe a du sens, et si j’ai surce pointAcquis tant soit peu d’habitude,C’est un avis des Dieux. Pendantl’humain séjour,Ce Vizir quelquefois cherchait lasolitude ;Cet Ermite aux Vizirs allait faire sacour.

Si j’osais ajouter au mot del’interprète,J’inspirerais ici l’amour de laretraite ;Elle offre à ses amants des bienssans embarras,Biens purs, présents du Ciel, qui

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naissent sous les pas.Solitude où je trouve une douceursecrète,Lieux que j’aimai toujours, nepourrai-je jamais,Loin du monde et du bruit goûterl’ombre et le frais ?Ô qui m’arrêtera sous vos sombresasiles !Quand pourront les neuf Sœurs, loindes cours et des Villes,M’occuper tout entier, etm’apprendre des CieuxLes divers mouvements inconnus ànos yeux,Les noms et les vertus de cesclartés errantes,

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Par qui sont nos destins et nosmœurs différentes ?Que si je ne suis né pour de sigrands projets,Du moins que les ruisseauxm’offrent de doux objets !Que je peigne en mes Vers quelquerive fleurie !La Parque à filets d’or n’ourdirapoint ma vie ;Je ne dormirai point sous de richeslambris.Mais voit-on que le somme enperde de son prix ?En est-il moins profond, et moinsplein de délices ?Je lui voue au désert de nouveaux

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sacrifices.Quand le moment viendra d’allertrouver les morts,J’aurai vécu sans soins, et mourraisans remords.

V. Le Lion, le Singe, et lesdeux Ânes.

Le Lion, pour bien gouverner,Voulant apprendre la morale,Se fit un beau jour amenerLe Singe maître es arts chez la gentanimale.La première Ieçon que donna le

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Régent,Fut celle-ci : Grand Roi, pourrégner sagement,Il faut que tout Prince préfèreLe zèle del’État à certainmouvement,Qu’on appelle communémentAmour propre ; car c’est le père,C’est l’auteur de tous les défauts,Que l’on remarque aux animaux.Vouloir que de tout point cesentiment vous quitte,Ce n’est pas chose si petiteQu’on en vienne à bout en un jour :C’est beaucoup de pouvoir modérercet amour.Par là votre personne auguste

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N’admettra jamais rien en soiDe ridicule ni d’injuste.Donne-moi, repartit le Roi,Des exemples del’un et l’autre.Toute espèce, dit le Doctcur,(Et je commence par la nôtre)Toute profession s’estime dans soncœur,Traite les autres d’ignorantes,Les qualifie impertinentes,Et semblables discours qui ne nouscoûtent rien.L’amour propre au rebours, faitqu’au degré suprêmeOn porte ses pareils ; car c’est unbon moyenDe s’élever aussi soi-même.

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De tout ce que dessus j’argumentetrès-bien,Qu’ici-bas maint talent n’est quepure grimace,Cabale, et certain art de se fairevaloir,Mieux su des ignorants, que desgens de savoir.L’autre jour suivant à la traceDeux Ânes qui prenant tour à tourl’encensoirSe louaient tour à tour, comme c’estla manière ;J’ouïs que l’un des deux disait àson confrère :Seigneur, trouvez-vous pas bieninjuste et bien sot

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L’homme cet animal si parfait ? ilprofaneNotre auguste nom, traitant d’ÂneQuiconque est ignorant, d’espritlourd, idiot ;Il abuse encore d’un mot,Et traite notre rire, et nos discoursde braire.Les humains sont plaisans deprétendre excellerPar dessus nous ; non, non ; c’est àvous de parler,À leurs Orateurs de se taire.Voilà les vrais braillards ; maislaissons-là ces gens ;Vous m’entendez, je vous entends :Il suffit : et quant aux merveilles,

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Dont votre divin chant vient frapperles oreilles,Philomèle est au prix novice danscet Art :Vous surpassez Lambert. L’autrebaudet repart :Seigneur, j’admire en vous desqualités pareilles.Ces Ânes non contents de s’êtreainsi grattés,S’en allèrent dans les CitésL’un l’autre se prôner. Chacund’eux croyait faireEn prisant ses pareils une fortbonne affaire,Prétendant que l’honneur enreviendrait sur lui.

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J’en connais beaucoup aujourd’hui,Non parmi les baudets, mais parmiles puissancesQue le Ciel voulut mettre en de plushauts degrés,Qui changeraient entre eux lessimples excellences,S’ils osaient en des majestés.J’en dis peut-être plus qu’il ne faut,et suppose.Que votre majesté gardera le secret.Elle avait souhaité d’apprendrequelque traitQui lui fît voir entre autre choseL’amour propre, donnant du ridiculeaux gens.L’injuste aura son tour : il y faut

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plus de temps.Ainsi parla ce Singe. On ne m’a passu direS’il traita l’autre point ; car il estdélicat ;Et notre maître es Arts qui n’étaitpas un fatRegardait ce Lion comme unterrible sire.

VI. Le Loup, et le Renard.Mais d’où vient qu’au RenardÉsope accorde un point ?C’est d’exceller en tours pleins dematoiserie.

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J’en cherche la raison, et ne latrouve point.Quand le Loup a besoin de défendresa vie,Ou d’attaquer celle d’autrui,N’en sait-il pas autant que lui ?Je crois qu’il en sait plus, etj’oserais peut-êtreAvec qnelque raison contredire monmaître.Voici pourtant un cas où toutl’honneur échutÀ l’hôte des terriers. Un soir ilaperçutLa Lune au fond d’un puits :l’orbicilaire imageLui parut un ample fromage.

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Deux seaux alternativementPuisaient le liquide élément.Notre Renard pressé par une faimcanine,S’accommode en celui qu’au hautde la machineL’autre seau tenait suspendu.Voilà l’animal descendu,Tiré d’erreur ; mais fort en peine,Et voyant sa perte prochaine.Car comment remonter si quelqueautre affaméDe la même image charmé,Et succédant à sa misèrePar le même chemin ne le tiraitd’affaire ?Deux jours s’étaient passés sans

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qu’aucun vînt au puits ;Le temps qui toujours marche avaitpendant deux nuitsEchancré selon l’ordinaireDe l’astre au front d’argent la facecirculaire.Sire Renard était désespéré,Compère Loup, le gosier altéré,Passe par là : l’autre dit ;Camarade,Je vous veux régaler ; voyez-vouscet objet ?C’est an fromage exquis. Le DieuFaune l’a fait,La vache Io donna le lait.Jupiter, s’il était malade ,Reprendrait l’appétit en tâtant d’un

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tel mets.J’en ai mangé cette échancrure,Le reste vous sera suffisante pâture.Descendez dans un seau que j’ai làmis exprès.Bien qu’au moins mal qu’il pût ilajustât l’histoire,Le Loup fut un sot de le croire :Il descend, et son poids emportantl’autre part,Reguinde en haut maître Renard.Ne nous en moquons point : nousnous laissons séduireSur aussi peu de fondement ;Et chacun croit fort aisémentCe qu’il craint, et cc qu’il désire.

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VII. Le Paysan du Danube.

Il ne faut point juger des gens surl’apparence.Le conseil en est bon ; mais il n’estpas nouveau :Jadis l’erreur du SouriceauMe servit à prouver le discours quej’avance.J’ai pour le fonder à présentLe bon Socrate, Ésope, et certainPaysanDes rives du Danube, homme dontmarc aurèleNous fait un portrait fort fidèle.On connaît les premiers ; quant àl’autre, voici

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Le personnage en racourci.Son menton nourrissait une barbetouffue,Toute sa personne velueReprésentait un Ours, mais un Oursmal léché.Sous un sourcil épais il avait l’œiIcaché,Le regard de travers, nez tortu,grosse lèvre,Portait sayon de poil de chèvre,Et ceinture de joncs marins.Cet homme ainsi bâti fut député desVillesQue lave le Danube : il n’était pointd’asiles,Où l’avarice des Romains

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Ne pénétrât alors, et ne portât lesmains.Le député vint donc, et fit cetteharangue,Romains, et vous Sénat assis pourm’écouter,Je supplie avant tout les Dieux dem’assister :Veuillent les immortels conducteursde ma langueQue je ne dise rien qui doive êtrerepris.Sans leur aide il ne peut entrer dansles esprits,Que tout mal et toute injustice :Faute d’y recourir on viole leurslois.

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Témoin nous que punit la Romaineavarice :Rome est par nos forfaits, plus quepar ses exploits,L’instrument de notre supplice.Craignez Romains, craignez, que leCiel quelque jourNe transporte chez vous les pleurset la misère,Et mettant en nos mains par un justeretourLes armes dont se sert sa vengeancesévère,Il ne vous fasse en sa colèreNos esclaves à votre tour.Et pourquoi sommes-nous lesvôtres ? qu’on me die

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En quoi vous valez mieux que centpeuples divers ?Quel droit vous a rendus maîtres del’Univers ?Pourquoi venir troubler uneinnocente vie ?Nous cultivions en paix d’heureuxchamps, et nos mainsÉtaient propres aux Arts, ainsiqu’au labourage :Qu’avez-vous appris auxGermains ?Ils ont l’adresse et le courage :S’ils avaient eu l’avidité,Comme vous, et la violence,Peut-être en votre place ils auraientla puissance,

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Et sauraient en user sansinhumanité.Celle que vos Prêteurs ont sur nousexercéeN’entre qu’à peine en la pensée.La majesté de vos Autelselle-même en est offensée :Car sachez que les immortelsOnt les regards sur nous. Grâces àvos exemples ;Ils n’ont devant les yeux que desobjets d’horreur,De mépris d’eux, et de leursTemples,D’avarice qui va jusque à la fureur.Rien ne suffit aux gens qui nousviennent de Rome ;

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La terre, et le travail de l’hommeFont pour les assouvir des effortssuperflus.Retirez-les ; on ne veut plusCultiver pour eux les campagnes ;Nous quittons les Citez, nous fuyonsaux montagnesNous laissons nos cherescampagnes.Nous ne conversons plus qu’avecdes Ours affreux,Découragez de mettre au jour desmalheureux ;Et de peupler pour Rome un paysqu’elle opprime.Quant à nos enfants déjà nezNous soûhaitons de voir leurs jours

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bientost bornez :Vos Prêteurs au mal-heur nous fontjoindre le crime.Retirez-les, ils ne nous apprendrontQuw la mollesse, et que le vice.Les Germains comme euxdeviendrontGens de rapine et d’avarice.C’est tout ce que j’ai vu dans Romeà mon abord :N’a-t’on point de présent à faire ?Point de pourpre à donner ? c’est envain qu’on espèreQuelque refuge aux lois : encor leurministèreA-t-il mille longueurs. Ce discoursun peu fort

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Doit commencer à vous déplaire.Je finis. Punissez de mortUne plainte un peu trop sincère.À ces mots il se couche, et chacunétonnéAdmire le grand cœur, le bon sens,l’éloquenceDu sauvage ainsi prosterné.On le créa Patrice ; et ce fut lavengeance,Qu’on crut qu’un tel discoursméritait. On choisitD’autres Prêteurs, et par écritLe Sénat demanda ce qu’avait ditcet homme,Pour servir de modèle aux parleursà venir.

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On ne sut pas longtemps à RomeCette éloquence entretenir.

VIII. Le vieillard, et les troisjeunes hommes.

Un octogénaire plantait.Passe encor de bâtir ; mais planterà cet âge !Disaient trois jouvenceaux enfantsdu voisinage,Assurément il radotait.Car au nom des Dieux, je vous prie,Quel fruit de ce labeur pouvez-vous

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recueillir ?Autant qu’un Patriarche il vousfaudrait vieillir.À quoi bon charger votre vieDes soins d’un avenir qui n’est pasfait pour vous ?Ne songez désormais qu’à voserreurs passées :Quittez le long espoir, et les vastespensées ;Tout cela ne convient qu’à nous.Il ne convient pas à vous mêmes,Repartit le Vieillard. ToutétablissementVient tard et dure peu. La main desParques blêmesDe vos jours, et des miens se joue

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également.Nos termes sont pareils par leurcourte durée.Qui de nous des clartés de la voûteazurécDoit jouir le dernier ? Est-il aucunmomentQui vous puisse assurer d’unsecond seulement ?Mes arrière-neveux me devront cetombrage :Hé bien défendez vous au SageDe se donner des soins pour leplaisir d’autrui ?Cela même est un fruit que je goûteaujourd’hui :J’en puis jouir demain, et quelques

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jours encore :Je puis enfin compter l’AurorePlus d’une fois sur vos tombeaux.Le Vieillard eut raison ; l’un destrois jouvenceauxSe noya dès le port allant àl’Amérique.L’autre afin de monter aux grandesdignités,Dans les emplois de Mars servantla République,Par un coup imprévu vit ses joursemportés.Le troisième tomba d’un arbreQue lui-même il voulut enter :Et pleurés du Vieillard, il grava surleur marbre

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Ce que je viens de raconter.

IX. Les Souris, et le Chat-huant.

Il ne faut jamais dire aux gens,Écoutez un bon mot, oyez unemerveille.Savez-vous si les écoutantsEn feront une estime à la vôtrepareille ?Voici pourtant un cas qui peut êtreexcepté.Je le maintiens prodige, et tel qued’une Fable,

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Il a l’air et les traits, encor quevéritable.On abattit un pin pour son antiquité,Vieux Palais d’un hibou, triste etsombre retraiteDe l’oiseau qu’Atropos prend pourson interprète.Dans son tronc caverneux, et minépar le temps.Logeaient entre autres habitantsForce souris sans pieds, toutesrondes de graisse.L’oiseau les nourrissait parmi destas de blé,Et de son bec avait leur troupeaumutilé ;Cet Oiseau raisonnait. Il faut qu’on

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le confesse.En son temps aux Souris lecompagnon chassaLes premières qu’il prit du logiséchappées.Pour y remédier, le drôle estropiaTout ce qu’il prit ensuite. Et leursjambes coupéesFirent qu’il les mangeait à sacommodité,Aujourd’hui l’une, et demainl’autre.Tout manger à la fois,l’impossibilitéS’y trouvait, joint aussi le soin desa santé.Sa prévoyance allait aussi loin que

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la nôtre ;Elle allait jusqu’à leur porterVivres et grains pour subsister.Puisqu’un Cartésien s’obstineÀ traiter ce hibou de montre, et demachine,Quel ressort lui pouvait donnerLe conseil de tronquer un peuplemis en mue ?Si ce n’est pas là raisonner,La raison m’est chose inconnue.Voyez que d’arguments il fit.Quand ce peuple est pris ils’enfuit :Donc il faut le croquer aussitôtqu’on le happe.Tout ; il est impossible. Et puis

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pour le besoinN’en dois-je pas garder ? donc ilfaut avoir soinDe le nourrir sans qu’il échappe.Mais comment ? ôtons-lui les pieds.Or trouvez-moiChose par les humains à sa finmieux conduite.Quel autre art de penser Aristote etsa suiteEnseignent-ils par votre foi ?

ÉPILOGUE.

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C’est ainsi que ma Muse, aux bordsd’une onde pure,Traduisait en langue des Dieux,Tout ce que disent sous les CieuxTant d’estres empruntans la voix dela nature.Truchement de peuples diversJe les faisais servir d’Acteurs enmon Ouvrage :Car tout parle dans l’Univers ;Il n’est rien qui n’ait son langage.Plus éloquens chez-eux qu’ils nesont dans mes Vers.Si ceux que j’introduis me trouventpeu fidèle,Si mon œuvre n’est pas un assezbon modèle,

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]’ai du moins ouvert le chemin :D’autres pourront y mcttre unedernière main.Favoris des neuf Sœurs achevezl’entreprise :Donnez mainte leçon que j’ai sansdoute omise :Sous ces inventions il fautl’envelopper :Mais vous n’avez que trop de quoivous occuper :Pendant le doux emploi de ma Museinnocente,Louis dompte l’Europe, et d’unemain puissanteIl conduit à leur fin les plus noblesprojets

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Qu’ait jamais formés un Monarque.Favoris des neuf Sœurs, ce sont-làdes sujetsVainqueurs du temps et de laParque.

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TROISIÈME RECUEIL : 1694

LIVRE DOUZIÈME

À MONSEIGNEUR LEDUC DEBOURGOGNE

MONSEIGNEUR,Je ne puis employer pour mesFables de Protection qui me soitplus glorieuse que la vôtre. Ce goût

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exquis, et ce jugement si solide quevous faites paraître dans touteschoses au delà d’un âge où à peineles autres Princes sont-ils touchésde ce qui les environne avec le plusd’éclat ; tout cela joint au devoir devous obéir et à la passion de vousplaire, m’a obligé de vousprésenter un Ouvrage dontl’Original a été l’admiration de tousles siècles, aussi bien que celle detous les Sages. Vous m’avez mêmeordonné de continuer ; et si vous mepermettez de le dire, il y a dessujets dont je vous suis redevable,et où vous avez jeté des grâces quiont été admirées de tout le monde.

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Nous n’avons plus besoin deconsulter ni Apollon, ni les Muses,ni aucune des Divinités duParnasse. Elles se rencontrenttoutes dans les présents que vous afaits la Nature, et dans cette sciencede bien juger des Ouvrages del’esprit, à quoi vous joignez déjàcelle de connaître toutes les règlesqui y conviennent. Les Fablesd’Ésope sont une ample matièrepour ces talents. Elles embrassenttoutes sortes d’événements et decaractères. Ces mensonges sontproprement une manière d’Histoire,où on ne flatte personne. Ce ne sontpas choses de peu d’importance que

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ces sujets. Les Animaux sont lesprécepteurs des Hommes dans monOuvrage. Je ne m’étendrai pasdavantage là-dessus ; vous voyezmieux que moi le profit qu’on enpeut tirer. Si Vous vous connaissezmaintenant en Orateurs et en Poètes,Vous vous connaîtrez encore mieuxquelque jour en bons Politiques eten bons Généraux d’Armée ; etVous vous tromperez aussi peu auchoix des Personnes qu’au méritedes Actions. Je ne suis pas d’un âgeà espérer d’en être témoin. Il fautque je me contente de travaillersous vos ordres. L’envie de vousplaire me tiendra lieu d’une

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imagination que les ans ontaffaiblie. Quand vous souhaiterezquelque Fable, je la trouverai dansce fonds-là. Je voudrais bien quevous y pussiez trouver des louangesdignes du Monarque qui faitmaintenant le destin de tant dePeuples et de Nations, et qui rendtoutes les parties du Mondeattentives à ses Conquêtes, à sesVictoires, et à la Paix qui semble serapprocher, et dont il impose lesconditions avec toute la modérationque peuvent souhaiter nos Ennemis.Je me le figure comme unConquérant qui veut mettre desbornes à sa Gloire et à sa

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Puissance, et de qui on pourrait direà meilleur titre qu’on ne l’a ditd’Alexandre ; qu’il va tenir lesÉtats de l’Univers, en obligeant lesMinistres de tant de Princes des’assembler, pour terminer uneguerre qui ne peut être que ruineuseà leurs Maîtres. Ce sont des sujetsau-dessus de nos paroles : Je leslaisse à de meilleures Plumes quela mienne ; et suis, avec un profondrespect,

MONSEIGNEUR,Vôtre très-humble, très-obéïssantet très-fidèle Serviteur,

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DE LA FONTAINE.

FABLE I. Les Compagnonsd’Ulysse.

À Monseigneur le Duc deBourgogne.

PRINCE, l’unique objet du soindes Immortels,Souffrez que mon encens parfumevos Autels.

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Je vous offre un peu tard cesPrésents de ma Muse ;Les ans et les travaux me servirontd'excuse :Mon esprit diminue, au lieu qu’àchaque instantOn aperçoit le vôtre aller enaugmentant.Il ne va pas, il court, il sembleavoir des ailes.Le Héros dont il tient des qualitéssi belles,Dans le métier de Mars brûle d’enfaire autant ;Il ne tient pas à lui que forçant laVictoire Il ne marche à pas de géant

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Dans la carrière de la Gloire.Quelque Dieu le retient ; c’est notreSouverain,Lui qu’un mois a rendu maître etvainqueur du Rhin.Cette rapidité fut alors nécessaire :Peut-être elle serait aujourd’huitéméraire.Je m’en tais ; aussi bien les Ris etles AmoursNe sont pas soupçonnés d’aimer leslongs discours.De ces sortes de Dieux votre Course compose.Ils ne vous quittent point. Ce n’estpas qu’après toutD’autres Divinités n'y tiennent le

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haut bout ;Le sens et la raison y règlent toutechose.Consultez ces derniers sur un faitoù les Grecs, Imprudents et peucirconspects, S’abandonnèrent à descharmesQui métamorphosaient en bêtes leshumains.Les Compagnons d’Ulysse, aprèsdix ans d’alarmes,Erraient au gré du vent, de leur sortincertains. Ils abordèrent un rivage Où la fille du Dieu du Jour,

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Circé, tenait alors sa Cour. Elle leur fit prendre unbreuvageDélicieux, mais plein d’un funestepoison. D’abord ils perdent la raison :Quelques moments après leur corpset leur visagePrennent l’air et les traitsd’animaux différents.Les voilà devenus Ours, Lions,Éléphants ; Les uns sous une masseénorme, Les autres sous une autreforme :Il s’en vit de petits, exemplum ut

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Talpa ; Le seul Ulysse en échappa.Il sut se défier de la liqueurtraîtresse. Comme il joignait à la sagesseLa mine d’un Héros et le douxentretien, Il fit tant que l’EnchanteressePrit un autre poison peu different dusien.Une Déesse dit tout ce qu’elle adans l'âme ; Celle-ci déclara sa flamme.Ulysse était trop fin pour ne pasprofiter D’une pareille conjoncture.Il obtint qu’on rendrait à ces Grecs

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leur figure.Mais la voudront-ils bien, dit laNymphe, accepter ?Allez le proposer de ce pas à latroupe.Ulysse y court, et dit :L’Empoisonneuse coupeA son remède encore, et je viensvous l’offrir :Chers amis, voulez-vous hommesredevenir ? On vous rend déjà la parole. Le Lion dit, pensant rugir, Je n’ai pas la tête si folle.Moi renoncer aux dons que je viensd’acquérir ?J’ai griffe et dent, et mets en pièces

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qui m’attaque :Je suis Roi, deviendrai-je unCitadin d’Ithaque ?Tu me rendras peut-être encorsimple Soldat : Je ne veux point changerd’état.Ulysse du Lion court à l’Ours : Eh,mon frère,Comme te voilà fait ! Je t’ai vu sijoli. Ah vraiment nous y voici, Reprit l’Ours à sa manière ;Comme me voilà fait ! Comme doitêtre un Ours.Qui t’a dit qu’une forme est plusbelle qu’une autre ?

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Est-ce à la tienne à juger de lanôtre ?Je me rapporte aux yeux d’uneOurse mes amours.Te déplais-je ? va-t’en, suis ta routeet me laisse :Je vis libre, content, sans nul soinqui me presse ; Et te dis tout net et tout plat, Je ne veux point changerd’état.Le Prince Grec au Loup vaproposer l’affaire ;Il lui dit, au hasard d’un semblablerefus : Camarade, je suis confus Qu’une jeune et belle Bergère

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Conte aux échos les appétitsgloutons Qui t’ont fait manger sesmoutons.Autrefois on t’eût vu sauver sabergerie : Tu menais une honnête vie. Quitte ces bois, et redeviens Au lieu de Loup Homme debien.En est-il, dit le Loup ? Pour moi, jen’en vois guère.Tu t’en viens me traiter de bêtecarnassière :Toi qui parles, qu’es-tu ? N’auriez-vous pas sans moiMangé ces animaux que plaint tout

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le Village ? Si j’étais Homme, par ta foi, Aimerais-je moins lecarnage ?Pour un mot quelquefois vous vousétranglez tous ;Ne vous êtes-vous pas l’un à l’autredes Loups ?Tout bien considéré, je te soutiensen somme, Que scélérat pour scélérat, Il vaut mieux être un Loupqu’un Homme ; Je ne veux point changerd’état.Ulysse fit à tous une mêmesemonce,

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Chacun d’eux fit mêmeréponse ; Autant le grand que le petit.La liberté, les bois, suivre leurappétit, C’était leurs délicessuprêmes :Tous renonçaient au lôs des bellesactions.Ils croyaient s’affranchir, suivantsleurs passions ; Ils étaient esclaves d’eux-mêmes.Prince, j’aurais voulu vous choisirun sujetOù je pusse mêler le plaisant àl’utile :

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C’était sans doute un beauprojet, Si ce choix eût été facile.Les Compagnons d’Ulysse enfin sesont offerts ;Ils ont force pareils en ce basUnivers ; Gens à qui j’impose pourpeine Votre censure et votre haine.

FABLE II. Le Chat et lesdeux Moineaux.

À Monseigneur le Duc de

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Bourgogne. Un Chat contemporain d’un fortjeune MoineauFut logé près de lui dès l’âge duberceau.La Cage et le Panier avaient mêmesPénates.Le Chat était souvent agacé parl’Oiseau ;L’un s’escrimait du bec, l’autrejouait des pattes.Ce dernier toutefois épargnait sonami.Ne le corrigeant qu’à demiIl se fût fait un grand scrupuleD’armer de pointes sa férule.

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Le Passereau moins circonspectLui donnait force coups de bec ;En sage et discrète personneMaître Chat excusait ces jeux.Entre amis il ne faut jamais qu’ons’abandonneAux traits d’un courroux sérieux.Comme ils se connaissaient tousdeux dès leur bas âge,Une longue habitude en paix lesmaintenait ;Jamais en vrai combat le jeu ne setournait.Quand un Moineau du voisinageS’en vint les visiter, et se fitcompagnonDu pétulant Pierrot, et du sage

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Raton.Entre les deux Oiseaux il arrivaquerelle ;Et Raton de prendre parti.Cet inconnu, dit-il, nous la vientdonner belleD’insulter ainsi notre ami ;Le Moineau du voisin viendramanger le nôtre ?Non, de par tous les Chats. Entrantlors au combat,Il croque l’étranger : Vraiment, ditmaître Chat,Les Moineaux ont un goût exquis etdélicat.Cette réflexion fit aussi croquerl’autre.

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Quelle Morale puis-je inférer de cefait ?Sans cela toute Fable est un œuvreimparfait.J’en crois voir quelques traits ;mais leur ombre m’abuse,Prince, vous les aurez incontinenttrouvés :Ce sont des jeux pour vous, et nonpoint pour ma Muse ;Elle et ses Sœurs n’ont pas l’espritque vous avez.

FABLE III. DuThésauriseur et du Singe.

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Un Homme accumulait. On sait quecette erreur

Va souvent jusqu’à la fureur.Celui-ci ne songeait que Ducats etPistoles.Quand ces biens sont oisifs, je tiensqu’ils sont frivoles.

Pour sûreté de son TrésorNotre Avare habitait un lieu dontAmphitriteDéfendait aux voleurs de toutesparts l’abord.Là d’une volupté, selon moi fortpetite,Et selon lui fort grande, il entassaittoujours.

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Il passait les nuits et les joursÀ compter, calculer, supputer sansrelâche ;Calculant, supputant, comptantcomme à la tâche,Car il trouvait toujours dumécompte à son fait :Un gros Singe plus sage, à monsens, que son maître,Jetait quelque Doublon toujours parla fenêtre,

Et rendait le compteimparfait.La chambre bien cadenassée

Permettait de laisser l’argent sur lecomptoir.Un beau jour Dom-bertrand se mit

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dans la penséeD’en faire un sacrifice au liquidemanoir.

Quant à moi, lorsque jecompare

Les plaisirs de ce Singe à ceux decet Avare,Je ne sais bonnement auxquelsdonner le prix :Dom-bertrand gagnerait près decertains esprits ;Les raisons en seraient trop longuesà déduire.Un jour donc l’animal, qui nesongeait qu’à nuire,Détachait du monceau tantôtquelque Doublon,

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Un Jacobus, un Ducaton ;Et puis quelque Noble à larose

Éprouvait son adresse et sa force àjeterCes morceaux de métal qui se fontsouhaiter

Par les humains sur toutechose.

S’il n’avait entendu son Compteur àla fin

Mettre la clef dans la serrure,Les Ducats auraient tous pris lemême chemin,

Et couru la même aventure.Il les aurait fait tous voler, jusqu’au

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dernier,Dans le gouffre enrichi par maint etmaint naufrage.Dieu veuille préserver maint etmaint Financier

Qui n’en fait pas meilleurusage.

Fable IV. Les deux Chèvres

Dès que les Chèvres ont brouté,Certain esprit de libertéLeur fait chercher fortune ; ellesvont en voyageVers les endroits du pâturage

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Les moins fréquentés des humains.Là s’il est quelque lieu sans route etsans chemins,Un rocher, quelque mont pendant enprécipices,C’est où ces Dames vont promenerleurs caprices ;Rien ne peut arrêter cet animalgrimpant.Deux Chèvres donc s’émancipant,Toutes deux ayant patte blanche,Quittèrent les bas prés, chacune desa part.L’une vers l’autre allait pourquelque bon hasard.Un ruisseau se rencontre, et pourpont une planche ;

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Deux Belettes à peine auraientpassé de frontSur ce pont :D’ailleurs l’onde rapide et leruisseau profondDevaient faire trembler de peur cesAmazones.Malgré tant de dangers l’une de cespersonnesPose un pied sur la planche, etl’autre en fait autant,Je m’imagine voir avec Louis leGrandPhilippe Quatre qui s’avanceDans l’Île de la Conférence.Ainsi s’avançaient pas à pas,Nez à nez nos Aventurières,

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Qui toutes deux étant fort fières,Vers le milieu du pont ne sevoulurent pasL’une à l’autre céder. Elles avaientla gloireDe compter dans leur race (à ce quedit l’Histoire)L’une certaine Chèvre au méritesans pairDont Polyphème fit présent àGalatée ;Et l’autre la Chèvre AmalthéePar qui fut nourri Jupiter.Faute de reculer leur chute futcommune ;Toutes deux tombèrent dans l’eau.Cet accident n’est pas nouveau

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Dans le chemin de la Fortune. À Monseigneur le Duc deBourgogne, qui avait demandé àM. de la Fontaine une fable qui fûtnommée le Chat et la Souris.

Pour plaire au jeune Prince à qui laRenomméeDestine un Temple en mes Écrits,Comment composerai-je une FablenomméeLe Chat et la Souris ?

——— Dois-je représenter dans ces Vers

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une Belle,Qui douce en apparence, ettoutefois cruelle,Va se jouant des cœurs que sescharmes ont pris,Comme le Chat de la Souris.

——— Prendrai-je pour sujet les jeux de laFortune ?Rien ne lui convient mieux, et c’estchose communeQue de lui voir traiter ceux qu’oncroit ses amis,Comme le Chat fait la Souris.

———

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Introduirai-je un Roi, qu’entre sesfavorisElle respecte seul ; Roi qui fixe saroue ;Qui n’est point empêché d’unmonde d’Ennemis,Et qui des plus puissants quand illui plaît se joue,Comme le Chat de la Souris ?

———Mais insensiblement, dans le tourque j’ai pris,Mon dessein se rencontre ; et si jene m’abuse,Je pourrais tout gâter par de pluslongs récits.

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Le jeune Prince alors se jouerait dema Muse,Comme le Chat de la Souris.

Fable V. Le vieux Chat et lajeune Souris.

Une jeune Souris de peud’expérience,Crut fléchir un vieux Chat implorantsa clémence,Et payant de raisons leRaminagrobis.Laissez-moi vivre ; une SourisDe ma taille et de ma dépense

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Est-elle à charge en ce logis ?Affamerais-je, à votre avis,L’Hôte et l’Hôtesse, et tout leurmonde ?D’un grain de blé je me nourris ;Une noix me rend toute ronde.À présent je suis maigre ; attendezquelques temps.Réservez ce repas à messieurs vosEnfants.Ainsi parlait au Chat la Sourisattrapée.L’autre lui dit : Tu t’es trompée.Est-ce à moi que l’on tient desemblables discours ?Tu gagnerais autant de parler à dessourds.

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Chat et vieux pardonner ? celan’arrive guère.Selon ces lois descends là-bas,Meurs, et va-t’en tout de ce pasHaranguer les sœurs Filandières.Mes Enfants trouveront assezd’autres repas.Il tint parole ; et pour ma FableVoici le sens moral qui peut yconvenir.La jeunesse se flatte, et croit toutobtenir.La vieillesse est impitoyable.

Fable VI. Le Cerf malade.

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En pays pleins de Cerfs un Cerftomba malade.Incontinent maint CamaradeAccourt à son grabat le voir, lesecourir,Le consoler du moins ; Multitudeimportune.Eh ! Messieurs, laissez-moi mourir.Permettez qu’en forme communeLa parque m’expédie, et finissezvos pleurs.Point du tout : les ConsolateursDe ce triste devoir tout au longs’acquittèrent :Quand il plut à Dieu s’en allèrent.Ce ne fut pas sans boire un coup,

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C’est-à-dire sans prendre un droitde pâturage.Tout se mit à brouter les bois duvoisinage.La pitance du Cerf en déchut debeaucoup.Il ne trouva plus rien à frire.D’un mal il tomba dans un pire,Et se vit réduit à la finÀ jeûner et mourir de faim.Il en coûte à qui vous réclame,Médecins du corps et de l’âme.Ô temps, ô mœurs ! J’ai beau crier,Tout le monde se fait payer.

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Fable VII. La Chauve-Souris, le Buisson, et leCanard.

Le Buisson, le Canard et la Chauve-Souris,Voyant tous trois qu’en leur paysIls faisaient petite fortune,Vont trafiquer au loin, et font boursecommune.Ils avaient des Comptoirs, desFacteurs, des Agents,Non moins soigneux qu’intelligents,Des Registres exacts de mise et derecette.Tout allait bien, quand leur

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emplette,En passant par certains endroitsRemplis d’écueils, et fort étroits,Et de Trajet très-difficile,Alla tout emballée au fond desmagasins,Qui du Tartare sont voisins.Notre Trio poussa maint regretinutile,Ou plutôt il n’en poussa point.Le plus petit Marchand est savantsur ce point ;Pour sauver son crédit il faut cachersa perte.Celle que par malheur nos gensavaient soufferteNe put se réparer : le cas fut

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découvert.Les voilà sans crédit, sans argent,sans ressource,Prêts à porter le bonnet vert.Aucun ne leur ouvrit sa bourse,Et le sort principal, et les grosintérêts,Et les Sergents, et les procès,Et le créancier à la porte,Dès devant la pointe du jour,N’occupaient le Trio qu’à cherchermaint détour,Pour contenter cette cohorte.Le Buisson accrochait les passantsà tous coups ;Messieurs, leur disait-il, de grâceapprenez-nous

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En quel lieu sont les marchandisesQue certains gouffres nous ontprises :Le plongeon sous les eaux s’enallait les chercher.L’Oiseau Chauve-Souris n’osaitplus approcherPendant le jour nulle demeure ;Suivi de Sergents à toute heureEn des trous il s’allait cacher.Je connais maint detteur qui n’est niSouris-Chauve,Ni Buisson, ni Canard, ni dans telcas tombé,Mais simple grand Seigneur, quitous les jours se sauvePar un escalier dérobé.

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Fable VIII. La querelle desChiens et des Chats, et celledes Chats et des Souris.

La Discorde a toujours régné dansl’Univers ;Notre monde en fournit milleexemples divers.Chez nous cette Déesse a plus d’unTributaire.Commençons par les Éléments ;Vous serez étonnés de voir qu’àtous momentsIls seront appointés contraire.

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Outre ces quatre potentats,Combien d’êtres de tous étatsSe font une guerre éternelle ?Autrefois un logis plein de Chienset de Chats,Par cent Arrêts rendus en formesolennelle,Vit terminer tous leurs débats.Le Maître ayant réglé leursemplois, leurs Repas,Et menacé du fouet quiconque auraitquerelle,Ces animaux vivaient entre euxcomme cousins ;Cette union si douce, et presquefraternelleÉdifiait tous les voisins.

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Enfin elle cessa. Quelque plat depotage,Quelque os par préférence àquelqu’un d’eux donné,Fit que l’autre parti s’en vint toutforcenéReprésenter un tel outrage.J’ai vu des chroniqueurs attribuer lecasAux passe-droits qu’avait uneChienne en gésine ;Quoi-qu’il en soit, cet altercasMit en combustion la salle et lacuisine ;Chacun se déclara pour son Chat,pour son Chien.On fit un Règlement dont les Chats

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se plaignirent,Et tout le quartier étourdirent.Leur Avocat disait qu’il fallait belet bienRecourir aux Arrêts. En vain ils lescherchèrent.Dans un coin où d’abord leursAgents les cachèrent,Les Souris enfin les mangèrent.Autre procès nouveau : Le peupleSouriquoisEn pâtit. Maint vieux Chat, fin,subtil, et narquois,Et d’ailleurs en voulant à toute cetterace,Les guetta, les prit, fit main basse.Le Maître du logis ne s’en trouva

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que mieux.J’en reviens à mon dire. On ne voitsous les CieuxNul animal, nul être, aucuneCréatureQui n’ait son opposé ; c’est la loide Nature.D’en chercher la raison, ce sontsoins superflus.Dieu fit bien ce qu’il fit, et je n’ensais pas plus.

FABLE IX. Le Loup et leRenard.

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D’Où vient que personne en la vieN’est satisfait de son état ? Tel voudrait bien être Soldat, À qui le Soldat porte envie.

Certain Renard voulut, dit on, Se faire Loup. Hé qui peut dire Que pour le métier de Mouton Jamais aucun Loup nesoupire ?

Ce qui m’étonne est qu’à huitans Un Prince en Fable ait mis lachose,

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Pendant que sous mes cheveuxblancs Je fabrique à force de temps Des Vers moins sensés que saProse.

Les traits dans sa Fable semés, Ne sont en l’Ouvrage du Poète Ni tous, ni si bien exprimés. Sa louange en est pluscomplète.

De la chanter sur la Musette C’est mon talent ; mais jem’attends Que mon Héros dans peu detemps

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Me fera prendre la trompette.

Je ne suis pas un grandProphète, Cependant je lis dans lesCieux, Que bientôt ses faits glorieux Demanderont plusieursHomeres ; Et ce temps-ci n’en produitguère. Laissant à part tous cesmystères,Essayons de conter la Fable avecsuccès.

Le Renard dit au Loup, Notre cher,

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pour tous metsJ’ai souvent un vieux Coq, ou demaigres Poulets ; C’est une viande qui me lasse.Tu fais meilleure chère avec moinsde hasard.J’approche des maisons, tu te tiensà l’écart.Apprends-moi ton métier,Camarade, de grâce : Rends-moi le premier de maraceQui fournisse son croc de quelqueMouton gras.Tu ne me mettras point au nombredes ingrats.Je le veux, dit le Loup : Il m’est

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mort un mien frère,Allons prendre sa peau, tu t’enrevêtiras.Il vint, et le Loup dit : Voici commeil faut faireSi tu veux écarter les Mâtins duTroupeau. Le Renard ayant mis la peauRépétait les leçons que lui donnaitson maître.D’abord il s’y prit mal, puis un peumieux, puis bien, Puis enfin il n’y manqua rien.À peine il fut instruit autant qu’ilpouvait l’être,Qu’un Troupeau s’approcha. Lenouveau Loup y court,

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Et répand la terreur dans les lieuxd’alentour. Tel vêtu des armes d’AchillePatrocle mit l’alarme au Camp etdans la Ville.Mères, Brus et Vieillards auTemple couraient tous.L’ost au Peuple bêlant crut voircinquante Loups.Chien, Berger et Troupeau, tout fuitvers le Village,Et laisse seulement une Brebis pourgage.Le larron s’en saisit. À quelque pasde làIl entendit chanter un Coq duvoisinage.

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Le Disciple aussi-tôt droit au Coqs’en alla, Jetant bas sa robe de classe,Oubliant les Brebis, les leçons, leRégent, Et courant d’un pas diligent. Que sert-il qu’on secontrefasse ?Prétendre ainsi changer, est uneillusion : L’on reprend sa première trace À la première occasion.

De votre esprit que nul autren’égale,Prince, ma Muse tient tout entier ceprojet.

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Vous m’avez donné le sujet, Le dialogue et la morale.

Fable X. L’Écrevisse et saFille.

Les Sages quelquefois, ainsi quel’Écrevisse,Marchent à reculons, tournent ledos au port.C’est l’art des Matelots : C’estaussi l’artificeDe ceux qui pour couvrir quelquepuissant effort,Envisagent un point directement

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contraire,Et font vers ce lieu-là courir leuradversaire.Mon sujet est petit, cet accessoireest grand.Je pourrais l’appliquer à certainConquérantQui tout seul déconcerte une Ligueà cent têtes.Ce qu’il n’entreprend pas, et cequ’il entreprendN’est d’abord qu’un secret, puisdevient des conquêtes.En vain l’on a les yeux sur ce qu’ilveut cacher,Ce sont arrêts du sort qu’on ne peutempêcher,

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Le torrent à la fin devientinsurmontable.Cent Dieux sont impuissants contreun seul Jupiter.LOUIS et le destin me semblent deconcertEntraîner l’Univers. Venons à notreFable.Mère Écrevisse un jour à sa Filledisait :Comme tu vas, bon Dieu ! ne peux-tu marcher droit ?Et comme vous allez, vous-même !dit la Fille.Puis-je autrement marcher que nefait ma famille ?Veut-on que j’aille droit quand on y

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va tortu ?Elle avait raison ; la vertuDe tout exemple domestiqueEst universelle, et s’appliqueEn bien, en mal, en tout ; fait dessages, des sots ;Beaucoup plus de ceux-ci. Quant àtourner le dosÀ son but ; j’y reviens, la méthodeen est bonne,Sur tout au métier de Bellone :Mais il faut le faire à propos.

Fable XI. L’Aigle et la Pie.

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L’Aigle Reine des airs, avecMargot la Pie,Différentes d’humeur, de langage, etd’esprit,Et d’habit,Traversaient un bout de prairie.Le hasard les assemble en un coindétourné.L’Agasse eut peur ; mais l’Aigleayant fort bien dîné,La rassure, et lui dit : Allons decompagnie.Si le Maître des Dieux assezsouvent s’ennuie,Lui qui gouverne l’Univers,J’en puis bien faire autant, moiqu’on sait qui le sers.

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Entretenez-moi donc, et sanscérémonie.Caquet bon-bec alors de jaser auplus dru :Sur ceci, sur cela, sur tout.L’homme d’HoraceDisant le bien, le mal à traverschamps, n’eût suCe qu’en fait de babil y savait notreAgasse.Elle offre d’avertir de tout ce qui sepasse,Sautant, allant de place en place,Bon espion, Dieu sait. Son offreayant déplu,L’Aigle lui dit tout en colère ;Ne quittez point vôtre séjour,

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Caquet bon-bec ma mie : adieu, jen’ai que faireD’une babillarde à ma Cour ;C’est un fort méchant caractère.Margot ne demandait pas mieux.Ce n’est pas ce qu’on croit, qued’entrer chez les Dieux ;Cet honneur a souvent de mortellesangoisses.Rediseurs, Espions, gens à l’airgracieux,Au cœur tout different, s’y rendentodieux ;Quoi qu’ainsi que la Pie il failledans ces lieuxPorter habit de deux paroisses.

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Fable XII. Le Milan, le Roi,et le Chasseur.

À son Altesse SérénissimeMonseigneur le Prince de Conti.

Comme les Dieux sont bons, ilsveulent que les RoisLe soient aussi : c’est l’indulgenceQui fait le plus beau de leurs droits,Non les douceurs de la vengeance.Prince c’est votre avis. On sait quele courrouxS’éteint en votre cœur si tôt qu’onl’y voit naître.Achille qui du sien ne put se rendre

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maîtreFut par là moins Héros que vous.Ce titre n’appartient qu’à ceuxd’entre les hommesQui comme en l’âge d’or font centbiens ici bas.Peu de Grands sont nés tels en cetâge où nous sommes.L’Univers leur sait gré du malqu’ils ne font pas.Loin que vous suiviez cesexemples,Mille actes généreux vouspromettent des Temples.Apollon Citoyen de ces AugusteslieuxPrétend y célébrer votre nom sur sa

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Lyre.Je sais qu’on vous attend dans lePalais des Dieux :Un siècle de séjour doit ici voussuffire.Hymen veut séjourner tout un sièclechez vous.Puissent ses plaisirs les plus douxVous composer des destinéesPar ce temps à peine bornées !Et la Princesse et vous n’en méritezpas moins ;J’en prends ses charmes pourtémoins :Pour témoins j’en prends lesmerveillesPar qui le Ciel pour vous prodigue

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en ses présents,De qualités qui n’ont qu’en vousseuls leurs pareilles,Voulut orner vos jeunes ans.Bourbon de son esprit ces grâcesassaisonne.Le Ciel joignit en sa personneCe qui sait se faire estimerÀ ce qui sait se faire aimer.Il ne m’appartient pas d’étaler votrejoie.Je me tais donc, et vais rimerCe que fit un Oiseau de proie.

Un Milan de son nid antiquepossesseur,Étant pris vif par un Chasseur ;

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D’en faire au Prince un don cethomme se propose.La rareté du fait donnait prix à lachose.L’Oiseau par le Chasseurhumblement présenté,Si ce conte n’est apocryphe,Va tout droit imprimer sa griffeSur le nez de sa Majesté.Quoi sur le nez du Roi ? Du Roimême en personne.Il n’avait donc alors ni Sceptre niCouronne ?Quand il en aurait eu, ç’aurait ététout un.Le nez Royal fut pris comme un nezdu commun.

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Dire des Courtisans les clameurs etla peine,Serait se consumer en effortsimpuissants.Le Roi n’éclata point ; les cris sontindécentsÀ la Majesté Souveraine.L’Oiseau garda son poste. On ne putseulementHâter son départ d’un moment.Son Maître le rappelle, et crie, et setourmente,Lui présente le leurre, et le poing,mais en vain.On crut que jusqu’au lendemainLe maudit animal à la serreinsolente

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Nicherait là malgré le bruit,Et sur le nez sacré voudrait passerla nuit.Tâcher de l’en tirer irritait soncaprice.Il quitte enfin le Roi, qui dit,Laissez allerCe Milan, et celui qui m’a crurégaler.Ils se sont acquittés tous deux deleur office,L’un en Milan, et l’autre en Citoyendes bois.Pour moi qui sais comment doiventagir les Rois,Je les affranchis du supplice.Et la Cour d’admirer. Les

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Courtisans ravisÉlèvent de tels faits par eux si malsuivis.Bien peu, même des Rois,prendraient un tel modèle ;Et le Veneur l’échappa belle,Coupable seulement, tant lui quel’animal,D’ignorer le danger d’approchertrop du Maître.Ils n’avaient appris à connaîtreQue les hôtes des bois : était-ce unsi grand mal ?

Pilpay fait près du Gange arriverl’Aventure.Là nulle humaine Créature

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Ne touche aux animaux pour leursang épancher.Le Roi même ferait scrupule d’ytoucher.Savons-nous, disent-ils, si cetOiseau de proieN’était point au siège de Troie ?Peut-être y tint-il lieu d’un Princeou d’un HérosDes plus huppés et des plus hauts :Ce qu’il fut autrefois il pourral’être encore.Nous croyons après Pythagore,Qu’avec les Animaux de formenous changeons,Tantôt Milans, tantôt Pigeons,Tantôt Humains, puis Volatiles

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Ayant dans les airs leurs familles.

Comme l’on conte en deux façonsL’accident du Chasseur, voicil’autre manière.Un certain Fauconnier ayant pris, cedit-on,À la Chasse un Milan (ce quin’arrive guère)En voulut au Roi faire un don,Comme de chose singulière.Ce cas n’arrive pas quelquefois encent ans.C’est le Non plus ultra de laFauconnerie.Ce Chasseur perce donc un gros deCourtisans,

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Plein de zèle, échauffé, s’il le fut desa vie.

Par ce parangon des présentsIl croyait sa fortune faite,Quand l’Animal porte-sonnette,Sauvage encore et tout grossier,Avec ses ongles tout d’acierPrend le nez du Chasseur, happe lepauvre sire :Lui de crier, chacun de rire,Monarque et Courtisans. Qui n’eûtri ? Quant à moiJe n’en eusse quitté ma part pour unEmpire.Qu’un Pape rie, en bonne foiJe ne l’ose assurer ; mais je

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tiendrais un RoiBien malheureux s’il n’osait rire.C’est le plaisir des Dieux. Malgréson noir sourcilJupiter, et le Peuple Immortel ritaussi.Il en fit des éclats, à ce que ditl’Histoire,Quand Vulcain clopinant lui vintdonner à boire.Que le Peuple Immortel se montrâtsage ou non,J’ai changé mon sujet avec justeraison ;Car puisqu’il s’agit de Morale,Que nous eût du Chasseurl’aventure fatale

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Enseigné de nouveau ? L’on a vu detout tempsPlus de sots Fauconniers, que deRois indulgents.

Fable XIII. Le Renard, lesMouches, et le Hérisson.

Aux traces de son sang, un vieuxhôte des bois,Renard fin, subtil, et matois,Blessé par des Chasseurs, et tombédans la fange,Autrefois attira ce Parasite aîléQue nous avons Mouche appelé.

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Il accusait les Dieux, et trouvait fortétrangeQue le sort à tel point le voulûtaffliger,Et le fît aux Mouches manger.Quoi ! se jeter sur moi, sur moi leplus habileDe tous les Hôtes des Forêts ?Depuis quand les Renards sont-ilsun si bon mets ?Et que me sert ma queue ; est-ce unpoids inutile ?Va, le Ciel te confonde, animalimportun ;Que ne vis-tu sur le commun !Un Hérisson du voisinage,Dans mes Vers nouveau personnage,

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Voulut le délivrer de l’importunitéDu Peuple plein d’avidité.Je les vais de mes dards enfiler parcentaines,Voisin Renard, dit-il, et terminer tespeines.Garde-t’en bien, dit l’autre ; ami nele fais pas :Laisse-les, je te prie, achever leursrepas.Ces animaux sont saouls ; unetroupe nouvelleViendrait fondre sur moi, plus âpreet plus cruelle.Nous ne trouvons que trop demangeurs ici-bas :Ceux-ci sont Courtisans, ceux-là

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sont Magistrats.Aristote appliquait cet Apologueaux Hommes.Les exemples en sont communs,Surtout au pays où nous sommes.Plus telles gens sont pleins, moinsils sont importuns.

FABLE XIV. L’Amour et laFolie. TOUT est mystère dans l’Amour,Ses Flèches, son Carquois, sonFlambeau, son Enfance.

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Ce n’est pas l’ouvrage d’unjour,Que d’épuiser cette Science.

Je ne prétends donc point toutexpliquer ici.Mon but est seulement de dire à mamanière

Comment l’Aveugle que voici(C’est un Dieu) comment, dis-je, ilperdit la lumière :Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien.J’en fais juge un Amant, et nedécide rien.

La Folie et l’Amour jouaient unjour ensemble.

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Celui-ci n’était pas encor privé desyeux.Une dispute vint : l’Amour veutqu’on assemble

Là dessus le Conseil desDieux.L’autre n’eut pas la patience.Elle lui donne un coup sifurieux

Qu’il en perd la clarté des Cieux.Vénus en demandevengeance.

Femme et mère il suffit pour jugerde ses cris :

Les Dieux en furent étourdis,Et Jupiter, et Némésis,

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Et les Juges d’Enfer, enfin toute labande.Elle représenta l’énormité du cas.Son fils sans un bâton ne pouvaitfaire un pas.Nulle peine n’était pour ce crimeassez grande.Le dommage devait être aussiréparé.

Quand on eut bien considéréL’intérêt du Public, celui de laPartie,Le Résultat enfin de la suprêmeCour

Fut de condamner la FolieÀ servir de guide à l’Amour.

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Fable XV. Le Corbeau, laGazelle, la Tortue, et le Rat. À Madame de la Sabliere

Je vous gardais un Temple dans mesVers :Il n’eût fini qu’avecque l’Univers.Déjà ma main en fondait la duréeSur ce bel Art qu’ont les Dieuxinventé;Et sur le nom de la DivinitéQue dans ce Temple on auraitadorée,Sur le portail j’aurais ces mots

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écrits :PALAIS SACRÉ DE LADÉESSE IRIS ;Non celle-là qu’a Junon à sesgages ;Car Junon même, et le Maître desDieuxServiraient l’autre, et seraientglorieuxDu seul honneur de porter sesmessages.L’Apothéose à la voûte eût paru.Là, tout l’Olympe en pompe eût étévuPlaçant Iris sous un Dais delumière.Les murs auraient amplement

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contenuToute sa vie, agréable matière ;Mais peu féconde en cesévénementsQui des Etats font lesrenversements.Au fond du Temple eût été sonimage,Avec ses traits, son souris, sesappas,Son art de plaire et de n’y penserpas,Ses agréments à qui tout rendhommage.J’aurais fait voir à ses pieds desmortels,Et des Héros, des demi-Dieux

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encore,Même des Dieux ; ce que le MondeadoreVient quelquefois parfumer sesAutels.J’eusse en ses yeux fait briller deson âmeTous les trésors,Quoiqu'imparfaitement :Car ce cœur vif et tendreinfiniment,Pour ses amis et non pointautrement ;Car cet esprit qui né du FirmamentA beauté d’homme avec grâces defemmeNe se peut pas comme on veut

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exprimer.Ô vous, Iris, qui savez tout charmer,Qui savez plaire en un degrésuprême,Vous que l’on aime à l’égal de soi-même,(Ceci soit dit sans nul soupçond’amour,Car c’est un mot banni de votreCour ;Laissons-le donc) agréez que maMuseAchève un jour cette ébaucheconfuse.J’en ai placé l’idée et le projet,Pour plus de grâce, au devant d’unsujet

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Où l’amitié donne de tellesmarques,Et d’un tel prix, que leur simplerécitPeut quelques temps amuser votreesprit.Non que ceci se passe entreMonarques :Ce que chez vous nous voyonsestimerN’est pas un Roi qui ne sait pointaimer ;C’est un Mortel qui sait mettre saviePour son ami. J’en vois peu de sibons.Quatre animaux, vivants de

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compagnieVont aux humains en donner desleçons.

⁂ La Gazelle, le Rat, le Corbeau, laTortue,Vivaient ensemble unis ; doucesociété.Le choix d’une demeure auxhumains inconnueAssurait leur félicité.Mais quoi l’homme découvre enfintoutes retraites.Soyez au milieu des déserts,Au fond des eaux, au haut des airs,

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Vous n’éviterez point ses embûchessecrètes.La Gazelle s’allait ébattreinnocemment ;Quand un chien, maudit instrumentDu plaisir barbare des hommes,Vint sur l’herbe éventer les tracesde ses pas.Elle fuit, et le Rat à l’heure durepasDit aux amis restants, D’où vientque nous ne sommesAujourd’hui que trois conviés ?La Gazelle déjà nous a-t-elleoubliés ?À ces paroles, la TortueS’écrie, et dit, Ah ! si j’étais

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Comme un Corbeau d’ailespourvue,Tout de ce pas je m’en iraisApprendre au moins quelle contrée,Quel accident tient arrêtéeNotre compagne au pied léger ;Car à l’égard du cœur il en fautmieux juger.Le Corbeau part à tire d’aile.Il aperçoit de loin l’imprudenteGazellePrise au piège et se tourmentant.Il retourne avertir les autres àl’instant.Car de lui demander quand,pourquoi, ni comment,Ce malheur est tombé sur elle,

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Et perdre en vains discours cet utilemoment,Comme eût fait un Maître d’École ;Il avait trop de jugement.Le Corbeau donc vole et revole.Sur son rapport les trois amisTiennent conseil. Deux sont d’avisDe se transporter sans remiseAux lieux où la Gazelle est prise.L’autre, dit le Corbeau, gardera lelogis.Avec son marcher lent, quandarriverait-elle ?Après la mort de la Gazelle.Ces mots à peine dits, ils s’en vontsecourirLeur chère et fidèle Compagne,

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Pauvre Chevrette de montagne.La Tortue y voulut courir.La voilà comme eux en campagne,Maudissant ses pieds courts avecjuste raison,Et la nécessité de porter sa maison.Rongemaille (le Rat eut à bon droitce nom)Coupe les nœuds du lacs : on peutpenser la joie.Le Chasseur vient, et dit : Qui m’aravi ma proie ?Rongemaille à ces mots se retire enun trou,Le Corbeau sur un arbre, en un boisla Gazelle :Et le Chasseur à demi fou

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De n’en avoir nulle nouvelle,Aperçoit la Tortue, et retient soncourroux.D’où vient, dit-il, que je m’effraie ?Je veux qu’à mon souper celle-cime défraie.Il la mit dans son sac. Elle eût payépour tous,Si le Corbeau n’en eût averti laChevrette.Celle-ci quittant sa retraite,Contrefait la boiteuse et vient seprésenter.L’homme de suivre, et de jeterTout ce qui lui pesait ; si bien queRongemailleAutour des nœuds du sac tant opère

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et travailleQu’il délivre encor l’autre sœurSur qui s’était fondé le souper duChasseur.

⁂ Pilpay conte qu’ainsi la chose s’estpassée.Pour peu que je voulusse invoquerApollon,J’en ferais, pour vous plaire, unOuvrage aussi longQue l’Iliade ou l’Odyssée.Rongemaille ferait le principalHéros,Quoiqu’à vrai dire ici chacun soit

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nécessaire.Portemaison l’Infante y tient de telsproposQue Monsieur du Corbeau va faireOffice d’Espion, et puis deMessager.La Gazelle a d’ailleurs l’adressed’engagerLe Chasseur à donner du temps àRongemaille.Ainsi chacun en son endroitS’entremet, agit et travaille.À qui donner le prix ? Au cœur, sil’on m’en croit.

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Fable XVI. La Forêt et leBûcheron.

Un Bûcheron venait de rompre oud’égarerLe bois dont il avait emmanché sacognée.Cette perte ne put si-tôt se réparerQue la Forêt n’en fût quelquestemps épargnée.L’Homme enfin la prie humblementDe lui laisser tout doucementEmporter une unique brancheAfin de faire un autre manche.Il irait employer ailleurs son gagne

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pain :Il laisserait debout maint Chêne etmaint SapinDont chacun respectait la vieillesseet les charmes.L’innocente Forêt lui fournitd’autres armes.Elle en eut du regret. Il emmancheson fer.Le misérable ne s’en sertQu’à dépouiller sa bienfaitriceDe ses principaux ornements.Elle gémit à tous moments.Son propre don fait son supplice.

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Voilà le train du Monde, et de sesSectateurs.On s’y sert du bienfait contre lesbienfaiteurs.Je suis las d’en parler : mais que dedoux ombragesSoient exposés à ces outrages,Qui ne se plaindrait là-dessus !Hélas ? j’ai beau crier, et me rendreincommode ;L’ingratitude et les abusN’en seront pas moins à la mode.

XVII. Le Renard, le Loup,et le Cheval.

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Un Renard, jeune encore, quoiquedes plus madrés,Vit le premier Cheval qu’il eût vude sa vie.Il dit à certain Loup, franc novice,Accourez :Un Animal paît dans nos prés,Beau, grand ; j’en ai la vue encortoute ravie.Est-il plus fort que nous ? dit leLoup en riant :Fais-moi son Portrait, je te prie.Si j’étais quelque Peintre ouquelque Étudiant,Repartit le Renard, j’avancerais la

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joieQue vous aurez en le voyant.Mais venez : Que sait-on ? peut-être est-ce une proieQue la Fortune nous envoie.Ils vont ; et le Cheval qu’à l’herbeon avait mis,Assez peu curieux de semblablesamis,Fut presque sur le point d’enfiler lavenelle.Seigneur, dit le Renard, voshumbles serviteursApprendraient volontiers commenton vous appelle.Le Cheval qui n’était dépourvu decervelle

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Leur dit : Lisez mon nom, vous lepouvez, Messieurs ;Mon Cordonnier l’a mis autour dema semelle.Le Renard s’excusa sur son peu desavoir.Mes parents, reprit-il, ne m’ontpoint fait instruire.Ils sont pauvres, et n’ont qu’un troupour tout avoir.Ceux du Loup, gros Messieurs,l’ont fait apprendre à lire.Le Loup par ce discours flatté,S’approcha ; mais sa vanitéLui coûta quatre dents : le Chevallui desserreUn coup ; et haut le pied. Voilà mon

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Loup par terre,Mal en point, sanglant et gâté.Frère, dit le Renard, ceci nousjustifieCe que m’ont dit des gens d’esprit :Cet animal vous a sur la mâchoireécritQue de tout inconnu le Sage seméfie.

XVIII. Le Renard et lesPoulets d’Inde

Contre les assauts d’un RenardUn arbre à des Dindons servait de

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citadelle.Le perfide ayant fait tout le tour durempart,Et vu chacun en sentinelle,S’écria : Quoi ces gens semoqueront de moi !Eux seuls seront exempts de lacommune loi !Non, par tous les Dieux, non. Ilaccomplit son dire.La Lune alors luisant semblaitcontre le SireVouloir favoriser la Dindonnièregent.Lui qui n’était novice au métierd’assiégeantEut recours à son sac de ruses

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scélérates :Feignit vouloir gravir, se guinda surses pattes,Puis contrefit le mort, puis leressuscité.Arlequin n’eût exécutéTant de différents personnages.Il élevait sa queue, il la faisaitbriller,Et cent mille autres badinages.Pendant quoi nul Dindon n’eût osésommeiller.L’ennemi les lassait en leur tenantla vueSur même objet toujours tendue.Les pauvres gens étant à la longueéblouis,

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Toujours il en tombait quelqu’un ;autant de pris ;Autant de mis à part : près demoitié succombe.Le Compagnon les porte en songarde-manger.Le trop d’attention qu’on a pour ledangerFait le plus souvent qu’on y tombe.

XIX. Le Singe.

Il est un Singe dans ParisÀ qui l’on avait donné femme.Singe en effet d’aucuns maris,

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Il la battait : la pauvre DameEn a tant soupiré qu’enfin elle n’estplus.Leur fils se plaint d’étrange sorte ;Il éclate en cris superflus :Le père en rit ; sa femme est morte.Il a déjà d’autres amoursQue l’on croit qu’il battra toujours.Il hante la Taverne, et souvent ils’enivre.N’attendez rien de bon du Peupleimitateur,Qu’il soit Singe, ou qu’il fasse unLivre.La pire espèce, c’est l’Auteur.

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Fable XX. Le PhilosopheScythe.

Un Philosophe austère, et né dans laScythie,Se proposant de suivre une plusdouce vie,Voyagea chez les Grecs, et vit encertains lieuxUn Sage assez semblable auvieillard de Virgile ;Homme égalant les Rois, hommeapprochant des Dieux,Et comme ces derniers satisfait ettranquille.Son bonheur consistait aux beautés

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d’un Jardin.Le Scythe l’y trouva, qui la serpe àla main,De ses arbres à fruit retranchaitl’inutile,Ébranchait, émondait, ôtait ceci,cela,Corrigeant partout la Nature,Excessive à payer ses soins avecusure.Le Scythe alors lui demanda :Pourquoi cette ruine ? Était-ild’homme sageDe mutiler ainsi ces pauvreshabitants ?Quittez-moi votre serpe, instrumentde dommage ;

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Laissez agir la faux du temps :Ils iront aussi tôt border le noirrivage.J’ôte le superflu, dit l’autre ; etl’abattantLe reste en profite d’autant.Le Scythe retourné dans sa tristedemeure,Prend la serpe à son tour, coupe ettaille à toute heure ;Conseille à ses voisins, prescrit àses amisUn universel abattis.Il ôte de chez lui les branches lesplus belles ;Il tronque son Verger contre touteraison,

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Sans observer temps ni saison,Lunes ni vieilles ni nouvelles.Tout languit et tout meurt. Ce Scytheexprime bienUn indiscret Stoïcien.Celui-ci retranche de l’âmeDésirs et passions, le bon et lemauvais,Jusqu’aux plus innocents souhaits.Contre de telles gens, quant à moije réclame.Ils ôtent à nos cœurs le principalressort.Ils font cesser de vivre avant quel’on soit mort.

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FABLE XXI. L’Éléphant, etle Singe de Jupiter.

Autrefois l’Éléphant et leRhinocérosEn dispute du pas et des droits del’Empire,Voulurent terminer la querelle enchamp clos.Le jour en était pris, quandquelqu’un vint leur direQue le Singe de Jupiter,Portant un Caducée, avait paru dansl’air.Ce Singe avait nom Gille, à ce quedit l’Histoire.

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Aussitôt l’Éléphant de croireQu’en qualité d’AmbassadeurIl venait trouver sa Grandeur.Tout fier de ce sujet de gloire,Il attend Maître Gille, et le trouveun peu lentÀ lui présenter sa créance.Maître Gille enfin en passantVa saluer son Excellence.L’autre était préparé sur lalégation ;Mais pas un mot : l’attentionQu’il croyait que les Dieux eussentà sa querelleN’agitait pas encor chez eux cettenouvelle.Qu’importe à ceux du Firmament

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Qu’on soit Mouche ou bienÉléphant ?Il se vit donc réduit à commencerlui-même.Mon cousin Jupiter, dit-il, verradans peuUn assez beau combat de son Trônesuprême.Toute sa Cour verra beau jeu. Quel combat ? dit le Singe avec unfront sévère.L’Éléphant repartit : Quoi vous nesavez pasQue le Rhinocéros me dispute lepas ?Qu’Éléphantide a guerre avecqueRhinocère ?

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Vous connaissez ces lieux, ils ontquelque renom.Vraiment je suis ravi d’enapprendre le nom,Repartit Maître Gille, on nes’entretient guèreDe semblables sujets dans nosvastes Lambris.L’Éléphant honteux et surprisLui dit : Et parmi nous que venez-vous donc faire ?Partager un brin d’herbe entrequelques Fourmis.Nous avons soin de tout : Et quant àvotre affaire,On n’en dit rien encor dans leconseil des Dieux.

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Les petits et les grands sont égaux àleurs yeux.

FABLE XXII. Un Fou et unSage.

Certain Fou poursuivait à coups depierre un Sage.Le Sage se retourne, et lui dit : Monami,C’est fort bien fait à toi ; reçois cetécu-ci :Tu fatigues assez pour gagnerdavantage.

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Toute peine, dit-on, est digne deloyer.Vois cet homme qui passe ; il a dequoi payer :Adresse-lui tes dons, ils auront leursalaire.Amorcé par le gain notre Fou s’enva faireMême insulte à l’autre Bourgeois.On ne le paya pas en argent cettefois.Maint Estafier accourt : on voushappe notre homme,On vous l’échine, on vousl’assomme.

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Auprès des Rois il est de pareilsFous.À vos dépens ils font rire le Maître.Pour réprimer leur babil, irez-vousLes maltraiter ? Vous n’êtes paspeut-êtreAssez puissant. Il faut les engagerÀ s’adresser à qui peut se venger.

FABLE XXIII. Le RenardAnglais

À Madame Harvey

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Le bon cœur est chez vouscompagnon du bon sensAvec cent qualités trop longues àdéduire,Une noblesse d’âme, un talent pourconduireEt les affaires et les gens,Une humeur franche et libre, et ledon d’être amieMalgré Jupiter même, et les tempsorageux.Tout cela méritait un élogepompeux ;Il en eût été moins selon votregénie ;La pompe vous déplaît, l’éloge

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vous ennuie :J’ai donc fait celui-ci court etsimple. Je veuxY coudre encore un mot ou deuxEn faveur de votre patrie :Vous l’aimez. Les Anglais pensentprofondément ;Leur esprit en cela suit leurtempérament.Creusant dans les sujets, et fortsd’expériences,Ils étendent partout l’empire desSciences.Je ne dis point ceci pour vous fairema cour.Vos gens à pénétrer l’emportent surles autres :

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Même les Chiens de leur séjourOnt meilleur nez que n’ont lesnôtres.Vos Renards sont plus fins. Je m’envais le prouverPar un d’eux qui, pour se sauver,Mit en usage un stratagèmeNon encor pratiqué, des mieuximaginés.Le scélérat réduit en un périlextrême,Et presque mis à bout par cesChiens au bon nez,Passa près d’un patibulaire.Là des animaux ravissants,Blaireaux, Renards, Hiboux, raceencline à mal faire,

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Pour l’exemple pendus instruisaientles passants.Leur confrère aux abois entre cesmorts s’arrange.Je crois voir Annibal qui, pressédes Romains,Met leurs Chefs en défaut, ou leurdonne le change,Et sait en vieux Renard s’échapperde leurs mains.Les Clefs de Meute parvenuesÀ l’endroit où pour mort le traîtrese pendit,Remplirent l’air de cris : leurMaître les rompit,Bien que de leurs abois ilsperçassent les nues.

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Il ne put soupçonner ce tour assezplaisant.Quelque Terrier, dit-il, a sauvé mongalant.Mes Chiens n’appellent point au-delà des colonnesOù sont tant d’honnêtes personnes.Il y viendra, le drôle. Il y vint, à sondam,Voilà maint basset clabaudant ;Voilà notre Renard au charnier seguindant,Maître pendu croyait qu’il en iraitde mêmeQue le jour qu’il tendit desemblables panneaux ;Mais le pauvret ce coup y laissa ses

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houzeaux ;Tant il est vrai qu’il faut changer destratagème.Le Chasseur, pour trouver sa propresûreté,N’aurait pas cependant un tel tourinventé ;Non point par peu d’esprit : est-ilquelqu’un qui nieQue tout Anglais n’en ait bonneprovision ?Mais le peu d’amour pour la vieLeur nuit en mainte occasion.

Je reviens à vous, non pour direD’autres traits sur votre sujet ;Trop abondant pour ma Lyre :

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Peu de nos chants, peu de nos VersPar un encens flatteur amusentl’Univers,Et se font écouter des Nationsétranges :Votre Prince vous dit un jour,Qu’il aimait mieux un trait d’amourQue quatre Pages de louanges.Agréez seulement le don que jevous faisDes derniers efforts de ma Muse :C’est peu de chose ; elle estconfuseDe ces Ouvrages imparfaits.Cependant ne pourriez-vous faireQue le même hommage pût plaireÀ celle qui remplit vos climats

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d’habitantsTirés de l’Île de Cythère ?Vous voyez par là que j’entendsMazarin des Amours Déessetutélaire.

Fable XXIV. Daphnis etAlcimadure.

Imitation de Théocrite

À Madame de la Mésangère

Aimable fille d’une mèreÀ qui seule aujourd’hui mille cœursfont la cour,

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Sans ceux que l’amitié rendsoigneux de vous plaire,Et quelques-uns encor que vousgarde l’amour.Je ne puis qu’en cette PréfaceJe ne partage entre elle et vousUn peu de cet encens qu’onrecueille au Parnasse,Et que j’ai le secret de rendreexquis et doux.Je vous dirai donc… Mais toutdire ;Ce serait trop ; il faut choisir,Ménageant ma voix et ma Lyre,Qui bientôt vont manquer de forceet de loisir.Je louerai seulement un cœur plein

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de tendresse,Ces nobles sentiments, ces grâces,cet esprit ;Vous n’auriez en cela ni Maître niMaîtresse,Sans celle dont sur vous l’élogerejallit.Gardez d’environner ces rosesDe trop d’épines, si jamaisL’Amour vous dit les mêmeschoses,Il les dit mieux que je ne fais.Aussi sait-il punir ceux qui fermentl’oreilleÀ ses conseils : Vous l’allez voir.

Jadis une jeune merveille

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Méprisait de ce Dieu le souverainpouvoir ;On l’appelait Alcimadure,Fier et farouche objet, toujourscourant aux bois,Toujours sautant aux prés, dansantsur la verdure,Et ne connaissant autres loisQue son caprice ; au reste égalantles plus belles,Et surpassant les plus cruelles ;N’ayant trait qui ne plût, pas mêmeen ses rigueurs ;Quelle l’eût-on trouvée au fort deses faveurs ?Le jeune et beau Daphnis, Bergerde noble race,

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L’aima pour son malheur : jamais lamoindre grâce,Ni le moindre regard, le moindremot enfin,Ne lui fut accordé par ce cœurinhumain.Las de continuer une poursuitevaine,Il ne songea plus qu’à mourir ;Le désespoir le fit courirÀ la porte de l’Inhumaine.Hélas ! ce fut aux vents qu’ilraconta sa peine ;On ne daigna lui faire ouvrirCette maison fatale, où parmi sesCompagnesL’Ingrate, pour le jour de sa

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nativité,Joignait aux fleurs de sa beautéLes trésors des jardins et des vertescampagnes :J’espérais, cria-t-il, expirer à vosyeux,Mais je vous suis trop odieux,Et ne m’étonne pas qu’ainsi que toutle resteVous me refusiez même un plaisir sifuneste.Mon père après ma mort, et je l’enai chargé,Doit mettre à vos pieds l’héritageQue votre cœur a négligé.Je veux que l’on y joigne aussi lepâturage,

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Tous mes troupeaux, avec monchien,Et que du reste de mon bienMes Compagnons fondent unTemple,Où votre image se contemple,Renouvelant de fleurs l’Autel à toutmoment ;J’aurai près de ce Temple un simplemonument ;On gravera sur la bordure :Daphnis mourut d’amour ;Passant arrête-toi :Pleure, et dis : "Celui-ci succombasous la loiDe la cruelle Alcimadure.À ces mots par la Parque il se sentit

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atteint ;Il aurait poursuivi, la douleur leprévint :Son Ingrate sortit triomphante etparée.On voulut, mais en vain, l’arrêter unmoment,Pour donner quelques pleurs au sortde son Amant.Elle insulta toujours au fils deCythérée,Menant dès ce soir même, aumépris de ses Lois,Ses Compagnes danser autour de saStatue ;Le Dieu tomba sur elle, et l’accabladu poids ;

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Une voix sortit de la nue ;Écho redit ces mots dans les airsépandus :Que tout aime à présentl’Insensible n’est plus.Cependant de Daphnis l’Ombre auStyx descendueFrémit, et s’étonna la voyantaccourir.Tout l’Érèbe entendit cette BellehomicideS’excuser au Berger qui ne daignal’ouïr,Non plus qu’Ajax Ulysse, et Didonson perfide.

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FABLE XXV. Philémon etBaucis.

Sujet tiré des Métamorphosesd’Ovide.

À Monseigneur le duc de Vendôme

Ni l’or ni la grandeur ne nousrendent heureux ;Ces deux Divinités n’accordent ànos vœuxQue des biens peu certains, qu’unplaisir peu tranquille,Des soucis dévorans c’est l’éternelasile,

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Véritables Vautours que le fils deJapetReprésente enchaîné sur son tristesommet.L’humble toit est exempt d’un tributsi funeste ;Le Sage y vit en paix, et méprise lereste.Content de ces douceurs, errantparmi les bois,Il regarde à ses pieds les favorisdes Rois ;Il lit au front de ceux qu’un vainluxe environne,Que la Fortune vend ce qu’on croitqu’elle donne.Approche-t-il du but, quitte-t-il ce

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séjour,Rien ne trouble sa fin, c’est le soird’un beau jour.Philémon et Baucis nous en offrentl’exemple,Tous deux virent changer leurCabane en un Temple.Hyménée et l’Amour par des désirsconstants,Avaient uni leurs cœurs dès leurplus doux Printemps :Ni le temps, ni l’hymenn’éteignirent leur flamme ;Cloton prenait plaisir à filer cettetrame.Ils surent cultiver, sans se voirassistés,

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Leur enclos et leur champ par deuxfois vingt Étés.Eux seuls ils composaient toute leurRépublique :Heureux de ne devoir à pas undomestiqueLe plaisir ou le gré des soins qu’ilsse rendaient.Tout vieillit : sur leur front les ridess’étendaient ;L’amitié modéra leurs feux sans lesdétruire.Et par des traits d’amour sut encorse produire.Ils habitaient un Bourg, plein degens dont le cœurJoignait aux duretés un sentiment

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moqueur.Jupiter résolut d’abolir cetteengeance.Il part avec son fils le Dieu del’Éloquence ;Tous deux en Pèlerins vont visiterces lieux :Mille logis y sont, un seul nes’ouvre aux Dieux.Prêts enfin à quitter un séjour siprofane,Ils virent à l’écart une étroitecabane,Demeure hospitalière, humble etchaste maison.Mercure frappe, on ouvre ; aussi-tôtPhilémon

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Vient au-devant des Dieux, et leurtient ce langage :Vous me semblez tous deux fatiguésdu voyage ;Reposez-vous. Usez du peu quenous avons ;L’aide des Dieux a fait que nous leconservons :Usez-en ; saluez ces Pénatesd’argile :Jamais le Ciel ne fut aux humains sifacile,Que quand Jupiter même était desimple bois ;Depuis qu’on l’a fait d’or il estsourd à nos voix.Baucis, ne tardez point, faites tiédir

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cette onde ;Encor que le pouvoir au désir neréponde,Nos Hôtes agréront les soins quileur sont dus.Quelques restes de feu sous lacendre épandusD’un souffle haletant par Bauciss’allumèrent ;Des branches de bois sec aussi-tôts’enflammèrent.L’onde tiède, on lava les pieds desVoyageurs.Philémon les pria d’excuser ceslongueurs :Et pour tromper l’ennui d’uneattente importune

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Il entretint les Dieux, non point surla fortune,Sur ses jeux, sur la pompe et lagrandeur des Rois,Mais sur ce que les champs, lesvergers et les boisOnt de plus innocent, de plus doux,de plus rare ;Cependant par Baucis le festin seprépare.La table où l’on servit le champêtrerepas,Fut d’ais non façonnés à l’aide ducompas ;Encore assure-t-on, si l’histoire enest crue,Qu’en un de ses supports le temps

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l’avait rompue.Baucis en égala les appuischancelansDu débris d’un vieux vase, autreinjure des ans.Un tapis tout usé couvrit deuxescabelles :Il ne servait pourtant qu’aux fêtessolennelles.Le linge orné de fleurs fut couvertpour tous metsD’un peu de lait, de fruits, et desdons de Cérès.Les divins Voyageurs altérés de leurcourse,Mêlaient au vin grossier le cristald’une source.

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Plus le vase versait, moins ils’allait vidant.Philémon reconnut ce miracleévident ;Baucis n’en fit pas moins : tousdeux s’agenouillèrent ;À ce signe d’abord leurs yeux sedessillèrent.Jupiter leur parut avec ces noirssourcilsQui font trembler les Cieux surleurs Pôles assis.Grand Dieu, dit Philémon, excuseznotre faute.Quels humains auraient cru recevoirun tel Hôte ?Ces mets, nous l’avouons, sont peu

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délicieux,Mais quand nous serions Rois, quedonner à des Dieux ?C’est le cœur qui fait tout ; que laterre et que l’ondeApprêtent un repas pour les Maîtresdu monde,Ils lui préféreront les seuls présentsdu cœur.Baucis sort à ces mots pour réparerl’erreur ;Dans le verger courait une perdrixprivée,Et par de tendres soins dèsl’enfance élevée :Elle en veut faire un mets, et lapoursuit en vain ;

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La volatile échappe à sa tremblantemain ;Entre les pieds des Dieux ellecherche un asile :Ce recours à l’oiseau ne fut pasinutile ;Jupiter intercède. Et déjà lesvallonsVoyaient l’ombre en croissanttomber du haut des monts.Les Dieux sortent enfin, et fontsortir leurs Hôtes.De ce Bourg, dit Jupin, je veuxpunir les fautes ;Suivez-nous : Toi, Mercure, appelleles vapeurs.Ô gens durs, vous n’ouvrez vos

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logis ni vos cœurs.Il dit : Et les Autans troublent déjàla plaine.Nos deux Époux suivaient, nemarchant qu’avec peine.Un appui de roseau soulageait leursvieux ans.Moitié secours des Dieux, moitiépeur se hâtant,Sur un mont assez proche enfin ilsarrivèrent.À leurs pieds aussi-tôt cent nuagescrevèrent.Des ministres du Dieu lesescadrons flottansEntraînèrent sans choix animaux,habitants,

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Arbres, maisons, vergers, toutecette demeure ;Sans vestige du Bourg, tout disparutsur l’heure.Les vieillards déploraient cessévères destins.Les animaux périr ! car encor leshumains,Tous avaient dû tomber sous lescélestes armes ;Baucis en répandit en secretquelques larmes.Cependant l’humble Toit devientTemple, et ses mursChangent leur frêle enduit auxmarbres les plus durs.De pilastres massifs les cloisons

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revêtuesEn moins de deux instants s’élèventjusqu’aux nues,Le chaume devient or ; tout brille ence pourpris ;Tous ces événements sont peints surle lambris.Loin, bien loin les tableaux deZeuxis et d’Apelle,Ceux-ci furent tracés d’une mainimmortelle.Nos deux Époux surpris, étonnés,confondus,Se crurent par miracle en l’Olymperendus.Vous comblez, dirent-ils, vosmoindres créatures ;

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Aurions-nous bien le cœur et lesmains assez puresPour présider ici sur les honneursdivins,Et Prêtres vous offrir les vœux desPèlerins ?Jupiter exauça leur prièreinnocente.Hélas ! dit Philémon, si votre mainpuissanteVoulait favoriser jusqu’au bout deuxmortels,Ensemble nous mourrions enservant vos Autels ;Cloton ferait d’un coup ce doublesacrifice,D’autres mains nous rendraient un

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vain et triste office :Je ne pleurerais point celle-ci, nises yeuxNe troubleraient non plus de leurslarmes ces lieux.Jupiter à ce vœu fut encorfavorable :Mais oserai-je dire un fait presqueincroyable ?Un jour qu’assis tous deux dans lesacré parvis,Ils contaient cette histoire auxPèlerins ravis,La troupe à l’entour d’eux deboutprêtait l’oreille.Philémon leur disait : Ce lieu pleinde merveille

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N’a pas toujours servi de Templeaux Immortels.Un Bourg était autour ennemi desAutels,Gens barbares, gens durs, habitacled’impies ;Du céleste courroux tous furent leshosties ;Il ne resta que nous d’un si tristedébris :Vous en verrez tantôt la suite en noslambris.Jupiter l’y peignit. En contant cesAnnalesPhilémon regardait Baucis parintervalles ;Elle devenait arbre, et lui tendait

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les bras ;Il veut lui tendre aussi les siens, etne peut pas.Il veut parler l’écorce a sa languepressée ;L’un et l’autre se dit adieu de lapensée ;Le corps n’est tantôt plus quefeuillage et que bois.D’étonnement la Troupe, ainsiqu’eux perd la voix ;Même instant, même sort à leur finles entraîne ;Baucis devient Tilleul, Philémondevient Chêne.On les va voir encore, afin demériter

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Les douceurs qu’en hymen Amourleur fit goûter.Ils courbent sous le poids desoffrandes sans nombre.Pour peu que des Époux séjournentsous leur ombre,Ils s’aiment jusqu’au bout, malgrél’effort des ans.Ah si !.… mais autre-part j’ai portémes présents.Célébrons seulement cetteMétamorphose.Des fidèles témoins m’ayant contéla chose,Clio me conseilla de l’étendre ences Vers,Qui pourront quelque jour

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l’apprendre à l’Univers.Quelque jour on verra chez lesRaces futures,Sous l’appui d’un grand nom passerces Aventures.Vendôme, consentez au los que j’enattends ;Faites-moi triompher de l’Envie etdu Temps.Enchaînez ces démons, que sur nousils n’attentent,Ennemis des Héros et de ceux quiles chantent.Je voudrais pouvoir dire en un styleassez hautQu’ayant mille vertus, vous n’aveznul défaut.

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Toutes les célébrer serait œuvreinfinie :L’entreprise demande un plus vastegénie ;Car quel mérite enfin ne vous faitestimer ?Sans parler de celui qui force àvous aimer ;Vous joignez à ces dons l’amour desbeaux Ouvrages,Vous y joignez un goût plus sûr quenos suffrages ;Don du Ciel, qui peut seul tenir lieudes présentsQue nous font à regret le travail etles ans.Peu de gens élevés, peu d’autres

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encor même,Font voir par ces faveurs queJupiter les aime.Si quelque enfant des Dieux lespossède, c’est vous ;Je l’ose dans ces Vers soutenirdevant tous :Clio sur son giron, à l’exempled’Homère,Vient de les retoucher attentive àvous plaire :On dit qu’elle et ses Sœurs, parl’ordre d’Apollon,Transportent dans Anet tout le sacréVallon ;Je le crois. Puissions-nous chantersous les ombrages

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Des arbres dont ce lieu va borderses rivages !Puissent-ils tout d’un coup éleverleurs sourcils !Comme on vit autrefois Philémon etBaucis.

FABLE XXVI. La Matroned’Éphèse.

S’il est un conte usé, commun, etrebattuC’est celui qu’en ces Versj’accommode à ma guise.Et pourquoi donc le choisis-tu ?

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Qui t’engage à cette entreprise ?N’a-t-elle point déjà produit assezd’écrits ?Quelle grâce aura ta MatroneAu prix de celle de Pétrone ?Comment la rendras-tu nouvelle ànos esprits ?Sans répondre aux censeurs, carc’est chose infinie,Voyons si dans mes Vers je l’aurairajeunie.

Dans Éphèse, il fut autrefoisUne Dame en sagesse et vertus sanségale,Et selon la commune voixAyant su raffiner sur l’amour

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conjugale.Il n’était bruit que d’elle et de sachasteté :On l’allait voir par rareté :C’était l’honneur du sexe : heureusesa patrie :Chaque Mère à sa Bru l’alléguaitpour patron ;Chaque Époux la prônait à saFemme chérie ;D’elle descendent ceux de laPrudoterie,Antique et célèbre maison.Son Mari l’aimait d’amour folle.Il mourut. De dire comment,Ce serait un détail frivole ;Il mourut, et son testament

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N’était plein que de legs quil’auraient consolée,Si les biens réparaient la perte d’unMariAmoureux autant que chéri.Mainte Veuve pourtant fait ladéchevelée,Qui n’abandonne pas le soin dudemeurant,Et du bien qu’elle aura fait lecompte en pleurant.Celle-ci par ses cris mettait tout enalarme ;Celle-ci faisait un vacarme,Un bruit, et des regrets à percertous les cœurs ;Bien qu’on sache qu’en ces

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malheursDe quelque désespoir qu’une âmesoit atteinte,La douleur est toujours moins forteque la plainte,Toujours un peu de faste entreparmi les pleurs.Chacun fit son devoir de dire àl’affligée,Que tout a sa mesure, et que de telsregretsPourraient pécher par leur excès :Chacun rendit par là sa douleurrengregée.Enfin ne voulant plus jouir de laclartéQue son Époux avait perdue,

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Elle entre dans sa tombe, en fermevolontéD’accompagner cette ombre auxenfers descendue.Et voyez ce que peut l’excessiveamitié ;(Ce mouvement aussi va jusqu’à lafolie)Une Esclave en ce lieu la suivit parpitié,Prête à mourir de compagnie.Prête, je m’entends bien ; c’est-à-dire en un mot,N’ayant examiné qu’à demi cecomplot,Et jusque à l’effet courageuse ethardie.

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L’Esclave avec la Dame avait éténourrie.Toutes deux s’entraimaient, et cettepassionÉtait crue avec l’âge au cœur desdeux femelles :Le Monde entier à peine eût fournideux modèlesD’une telle inclination.

Comme l’Esclave avait plus desens que la Dame,Elle laissa passer les premiersmouvements,Puis tâcha, mais en vain, deremettre cette âmeDans l’ordinaire train des communs

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sentiments.Aux consolations la Veuveinaccessible,S’appliquait seulement à tout moyenpossibleDe suivre le Défunt aux noirs ettristes lieux :Le fer aurait été le plus court et lemieux,Mais la Dame voulait paître encoreses yeuxDu trésor qu’enfermait la bière,Froide dépouille, et pourtant chère.C’était là le seul alimentQu’elle prît en ce monument.La faim donc fut celle des portesQu’entre d’autres de tant de sortes,

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Notre Veuve choisit pour sortird’ici-bas.Un jour se passe, et deux sans autrenourritureQue ses profonds soupirs, que sesfréquents hélas,Qu’un inutile et long murmure,Contre les Dieux, le sort, et toute lanature.Enfin sa douleur n’omit rien,Si la douleur doit s’exprimer sibien.

Encore un autre mort faisait sarésidenceNon loin de ce tombeau, mais biendifféremment,

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Car il n’avait pour monumentQue le dessous d’une potence.Pour exemple aux voleurs on l’avaitlà laissé.Un Soldat bien récompenséLe gardait avec vigilance.Il était dit par OrdonnanceQue si d’autres voleurs, un parent,un amiL’enlevaient, le Soldat nonchalant,endormi,Remplirait aussi-tôt sa place.C’était trop de sévérité ;Mais la publique utilitéDéfendait que l’on fît au Gardeaucune grâce.Pendant la nuit il vit aux fentes du

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tombeauBriller quelque clarté, spectacleassez nouveau.Curieux il y court, entend de loin laDameRemplissant l’air de ses clameurs.Il entre, est étonné, demande à cettefemme,Pourquoi ces cris, pourquoi cespleurs,Pourquoi cette triste musique,Pourquoi cette maison noire etmélancolique ?Occupée à ses pleurs, à peine elleentenditToutes ces demandes frivoles,Le mort pour elle y répondit ;

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Cet objet sans autres parolesDisait assez par quel malheurLa Dame s’enterrait ainsi toutevivante.Nous avons fait serment, ajouta laSuivante,De nous laisser mourir de faim etde douleur.Encore que le Soldat fût mauvaisOrateur,Il leur fit concevoir ce que c’estque la vie.La Dame cette fois eut del’attention ;Et déjà l’autre passionSe trouvait un peu ralentie.Le temps avait agi. Si la foi du

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serment,Poursuivit le Soldat, vous défendl’aliment,Voyez-moi manger seulement,Vous n’en mourrez pas moins. Untel tempéramentNe déplut pas aux deux femelles.Conclusion qu’il obtint d’ellesUne permission d’apporter sonsouper ;Ce qu’il fit ; et l’Esclave eut lecœur fort tentéDe renoncer dès lors à la cruelleenvieDe tenir au mort compagnie.Madame, ce dit-elle, un penserm’est venu :

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Qu’importe à votre Époux que vouscessiez de vivre ?Croïez-vous que lui-même il fûthomme à vous suivre,Si par votre trépas vous l’aviezprévenu ?Non Madame, il voudrait acheversa carrière.La nôtre sera longue encor si nousvoulons.Se faut-il à vingt ans enfermer dansla bière ?Nous aurons tout loisir d’habiterces maisons.On ne meurt que trop tôt ; qui nouspresse ? attendons ;Quant à moi je voudrais ne mourir

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que ridée.Voulez-vous emporter vos appaschez les morts ?Que vous servira-t-il d’en êtreregardée ?Tantôt en voyant les trésorsDont le Ciel prit plaisir d’ornervotre visage,Je disais, hélas ! c’est dommage,Nous-mêmes nous allons enterrertout cela.À ce discours flatteur la Dames’éveilla.Le Dieu qui fait aimer prit sontemps ; il tiraDeux traits de son carquois ; de l’unil entama

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Le Soldat jusqu’au vif ; l’autreeffleura la Dame :Jeune et belle elle avait sous sespleurs de l’éclat,Et des gens de goût délicatAuraient bien pu l’aimer, et mêmeétant leur femmeLe Garde en fut épris : les pleurs etla pitié,Sorte d’amour ayant ses charmes,Tout y fit : une belle alors qu’elleest en larmesEn est plus belle de moitié.Voilà donc notre Veuve écoutant lalouange,Poison qui de l’amour est lepremier degré ;

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La voilà qui trouve à son gréCelui qui le lui donne ; il fait tantqu’elle mange,Il fait tant que de plaire, et se renden effetPlus digne d’être aimé que le mortle mieux fait.Il fait tant enfin qu’elle change ;Et toujours par degrés, comme l’onpeut penser :De l’un à l’autre il fait cette femmepasser ;Je ne le trouve pas étrange :Elle écoute un Amant, elle en fait unMari ;Le tout au nez du mort qu’elle avaittant chéri.

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Pendant cet hyménée un voleur sehasardeD’enlever le dépôt commis auxsoins du Garde.Il en entend le bruit ; il y court àgrands pas ;Mais en vain, la chose était faite.Il revient au tombeau conter sonembarras,Ne sachant où trouver retraite.L’Esclave alors lui dit le voyantéperdu :L’on vous a pris votre pendu ?Les Lois ne vous feront, dites-vous,nulle grâce ?Si Madame y consent j’y remédîraibien.

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Mettons notre mort en la place,Les passants n’y connaîtront rien.La Dame y consentit. Ô volagesfemelles !La femme est toujours femme ; il enest qui sont belles,Il en est qui ne le sont pas.S’il en était d’assez fidèles,Elles auraient assez d’appas.

Prudes vous vous devez défier devos forces.Ne vous vantez de rien. Si votreintentionEst de résister aux amorces,La nôtre est bonne aussi ; maisl’exécution

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Nous trompe également ; témoincette Matrone.Et n’en déplaise au bon Pétrone,Ce n’était pas un fait tellementmerveilleux,Qu’il en dût proposer l’exemple ànos neveux.Cette Veuve n’eut tort qu’au bruitqu’on lui vit faire,Qu’au dessein de mourir mal conçû,mal formé ;Car de mettre au patibulaire,Le corps d’un mari tant aimé,Ce n’était pas peut-être une sigrande affaire.Cela lui sauvait l’autre ; et toutconsidéré,

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Mieux vaut Goujat debout,qu’Empereur enterré.

FABLE XXVII.BELPHÉGOR.

Nouvelle tirée de Machiavel.

Un jour Satan, Monarque desenfers,Faisait passer ses Sujets en revue.Là confondus tous les états divers,Princes et Rois, et la tourbe menue,Jetaient maint pleur, poussaientmaint et maint cri,Tant que Satan en était étourdi.

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Il demandait en Passant à chaqueâme ;Qui t’a jetée en l’éternelle flamme ?L’une disait, Hélas ! c’est monMari ;L’autre aussi-tôt répondait, C’estma Femme.Tant et tant fut ce discours répété,Qu’enfin Satan dit en pleinConsistoire :Si ces gens-ci disent la véritéIl est aisé d’augmenter notre gloire.Nous n’avons donc qu’à le vérifier.Pour cet effet il nous faut envoyerQuelque Démon plein d’art et deprudence ;Qui non content d’observer avec

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soinTous les Hymens dont il seratémoin,Y joigne aussi sa propreexpérience.Le Prince ayant proposé laSentence,Le noir Sénat suivit tout d’une voix.De Belphégor aussi-tôt on fit choix.Ce Diable était tout yeux et toutoreilles,Grand éplucheur, clairvoyant àmerveilles,Capable enfin de pénétrer dans tout,Et de pousser l’examen jusqu’aubout.Pour subvenir aux frais de

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l’entreprise,On lui donna mainte et mainteremise,Toutes à vue, et qu’en lieuxdifférentsIl pût toucher par descorrespondants.Quant au surplus, les fortuneshumaines,Les biens, les maux, les plaisirs etles peines,Bref ce qui suit notre condition,Fut une annexe à sa légation.Il se pouvait tirer d’affliction,Par ses bons tours, et par sonindustrie,Mais non mourir, ni revoir sa

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patrie,Qu’il n’eût ici consumé certaintemps :Sa mission devait durer dix ans.Le voilà donc qui traverse et quipasseCe que le Ciel voulut mettred’espaceEntre ce monde et l’éternelle nuit ;Il n’en mit guère, un moment yconduit.Notre Démon s’établit à Florence,Ville pour lors de luxe et dedépense.Même il la crut propre pour letrafic.Là sous le nom du Seigneur

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Roderic,Il se logea, meubla, comme un richehomme ;Grosse maison, grand train, nombrede gens ;Anticipant tous les jours sur lasommeQu’il ne devait consumer qu’en dixans.On s’étonnait d’une telle bombance.Il tenait table, avait de tous côtésGens à ses frais, soit pour sesvoluptés,Soit pour le faste et lamagnificence.L’un des plaisirs où plus il dépensaFut la louange : Apollon l’encensa ;

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Car il est maître en l’art deflatterie.Diable n’eût onc tant d’honneurs ensa vie.Son cœur devint le but de tous lestraitsQu’amour lançait : il n’était pointde belleQui n’employât ce qu’elle avaitd’attraitsPour le gagner, tant sauvage fût-elle :Car de trouver une seule rebelle,Ce n’est la mode à gens de qui lamainPar les présents s’aplanit toutchemin.

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C’est un ressort en tous desseinsutile.Je l’ai jà dit, et le redis encor ;Je ne connais d’autre premiermobileDans l’Univers, que l’argent et quel’or.Notre Envoyé cependant tenaitcompteDe chaque Hymen, en journauxdifférents ;L’un des Époux satisfaits etcontents,Si peu rempli que le Diable en euthonte.L’autre journal incontinent fut plein.À Belphégor il ne restait enfin

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Que d’éprouver la chose par lui-même.Certaine fille à Florence était lors ;Belle, et bien faite, et peu d’autrestrésors ;Noble d’ailleurs, mais d’un orgueilextrême ;Et d’autant plus que de quelquevertuUn tel orgueil paraissait revêtu.Pour Roderic on en fit la demande.Le Père dit que Madame Honnesta,C’était son nom, avait eu jusque-làForce partis ; mais que parmi labandeIl pourrait bien Roderic préférer,Et demandait temps pour délibérer.

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On en convient. Le poursuivants’appliqueÀ gagner celle où ses vœuxs’adressaient.Fêtes et bals, sérénades, musique,Cadeaux, festins, bien fortappétissaient,Altéraient fort le fond del’Ambassade.Il n’y plaint rien, en use en grandSeigneur,S’épuise en dons. L’autre sepersuadeQu’elle lui fait encor beaucoupd’honneur.Conclusion qu’après force prières,Et des façons de toutes les

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manières,Il eut un oui de Madame Honnesta.Auparavant le Notaire y passa :Dont Belphégor se moquant en sonâme ;Hé quoi, dit-il, on acquiert uneFemmeComme un Château ! Ces gens onttout gâté.Il eut raison : ôtez d’entre leshommesLa simple foi, le meilleur est ôté.Nous nous jetons, pauvres gens quenous sommes,Dans les procès en prenant lerevers.Les si, les cas, les Contrats sont la

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portePar où la noise entra dansl’Univers :N’espérons pas que jamais elle ensorte.Solennités et lois n’empêchent pasQu’avec l’Hymen Amour n’ait desdébats.C’est le cœur seul qui peut rendretranquille.Le cœur fait tout, le reste est inutile.Qu’ainsi ne soit, voyons d’autresétats.Chez les Amis tout s’excuse, toutpasse ;Chez les Amants tout plaît, tout estparfait ;

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Chez les Époux tout ennuie et toutlasse.Le devoir nuit, chacun est ainsifait :Mais, dira-t-on, n’est-il en nullesguisesD’heureux ménage ? Après mûrexamen,J’appelle un bon, voir un parfaitHymen,Quand les conjoints se souffrentleurs sottises.

Sur ce point-là c’est assez raisonné.Dès que chez lui le Diable eutamenéSon Épousée, il jugea par lui-même

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Ce qu’est l’Hymen avec un telDémon :Toujours débats, toujours quelquesermonPlein de sottise en un degrésuprême.Le bruit fut tel que MadameHonnestaPlus d’une fois les voisins éveilla :Plus d’une fois on courut à la noise.Il lui fallait quelque simpleBourgeoise,Ce disait-elle ; un petit TrafiquantTraiter ainsi les Filles de monrang !Méritait-il femme si vertueuse ?Sur mon devoir je suis trop

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scrupuleuse :J’en ai regret, et si je faisais bien...Il n’est pas sûr qu’Honnesta ne fîtrien :Ces prudes-là nous en font bienaccroire.Nos deux Époux, à ce que ditl’Histoire,Sans disputer n’étaient pas unmoment.Souvent leur guerre avait pourfondementLe jeu, la jupe ou quelqueameublementD’Été, d’Hiver, d’entre-temps, brefun mondeD’inventions propres à tout gâter.

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Le pauvre Diable eut lieu deregretterDe l’autre Enfer la demeureprofonde.Pour comble enfin Roderic épousaLa parenté de Madame Honnesta,Ayant sans cesse et le père et lamère,Et la grand’sœur avec le petit frère,De ses deniers mariant lagrand’sœur,Et du petit payant le Précepteur.Je n’ai pas dit la principale causeDe sa ruine infaillible accident ;Et j’oubliais qu’il eut un Intendant.Un Intendant ? qu’est-ce que cettechose ?

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Je définis cet être, un animalQui, comme on dit, sait pêcher eneau trouble ;Et plus le bien de son Maître vamal,Plus le sien croît, plus son profitredouble ;Tant qu’aisément lui-mêmeachèteraitCe qui de net au Seigneur resterait :Dont par raison bien et dûmentdéduiteOn pourrait voir chaque choseréduiteEn son état, s’il arrivait qu’un jourL’autre devînt l’Intendant à sontour ;

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Car regagnant ce qu’il eut étantMaître,Ils reprendraient tous deux leurpremier être.Le seul recours du pauvre Roderic,Son seul espoir, était certain traficQu’il prétendait devoir remplir sabourse,Espoir douteux, incertaineressource.Il était dit que tout serait fatalÀ notre Époux, ainsi tout alla mal.Ses Agents tels que la plupart desnôtres,En abusaient. Il perdit un vaisseau,Et vit aller le commerce à vau-l’eau,

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Trompé des uns, mal servi par lesautres.Il emprunta. Quand ce vint à payer,Et qu’à sa porte il vit le créancier,Force lui fut d’esquiver par la fuite,Gagnant les champs, où de l’âprepoursuiteIl se sauva chez un certain Fermier,En certain coin remparé de fumier.À Matheo, c’était le nom du Sire,Sans tant tourner il dit ce qu’ilétait ;Qu’un double mal chez lui letourmentait,Ses Créanciers et sa Femme encorpire :Qu’il n’y savait remède que

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d’entrerAu corps des gens, et de s’yremparer,D’y tenir bon : Irait-on là leprendre ?Dame Honnesta viendrait-elle yprônerQu’elle a regret de se biengouverner ?Chose ennuyeuse, et qu’il est lasd’entendre.Que de ces corps trois fois ilsortiraitSi-tôt que lui Matheo l’en prierait ;Trois fois sans plus, et ce pourrécompenseDe l’avoir mis à couvert des

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Sergents.Tout aussi-tôt l’AmbassadeurcommenceAvec grand bruit d’entrer au corpsdes gens.Ce que le sien, ouvrage fantastique,Devint alors, l’Histoire n’en ditrien.Son coup d’essai fut une FilleuniqueOù le Galant se trouvait assez bien ;Mais Matheo moyennant grossesommeL’en fit sortir au premier mot qu’ildit.C’était à Naples, il se transporte àRome ;

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Saisit un corps : Matheo l’enbannit,Le chasse encore ; autre sommenouvelle.Trois fois enfin, toujours d’un corpsfemelle,Remarquez bien, notre Diablesortit.Le Roi de Naples avait lors uneFille,Honneur du sexe, espoir de safamille ;Maint jeune Prince était sonpoursuivant,Là d’Honnesta Belphégor sesauvant,On ne le put tirer de cet asile.

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Il n’était bruit aux champs comme àla villeQue d’un manant qui chassait lesEsprits.Cent mille écus d’abord lui sontpromis.Bien affligé de manquer cettesomme(Car les trois fois l’empêchaientd’espérerQue Belphégor se laissât conjurer)Il la refuse : il se dit un pauvrehomme,Pauvre pêcheur, qui sans savoircomment,Sans dons du Ciel, par hasardseulement,

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De quelques corps a chassé quelqueDiable,Apparemment chétif, et misérable,Et ne connaît celui-ci nullement.Il a beau dire ; on le force onl’amène,On le menace, on lui dit que souspeineD’être pendu, d’être mis haut etcourtEn un gibet, il faut que sa puissanceSe manifeste avant la fin du jour.Dès l’heure même on vous met enprésenceNotre Démon et son Conjurateur.D’un tel combat le Prince estspectateur.

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Chacun y court, n’est fils de bonnemèreQui pour le voir ne quitte touteaffaire.D’un côté sont le gibet et la hart,Cent mille écus bien comptésd’autre part.Matheo tremble, et lorgne lafinance.L’Esprit malin voyant sa contenanceRiait sous cape, alléguait les troisfois ;Dont Matheo suait dans son harnais,Pressait, priait, conjurait aveclarmes.Le tout en vain : Plus il est enalarmes,

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Plus l’autre rit. Enfin le Manant ditQue sur ce Diable il n’avait nulcrédit.On vous le happe et mène à lapotence.Comme il allait haranguerl’assistance,Nécessité lui suggéra ce tour :Il dit tout bas qu’on battît letambour,Ce qui fut fait ; de quoi l’EspritimmondeUn peu surpris au Manantdemanda :Pourquoi ce bruit ? coquin,qu’entends-je là ?L’autre répond : C’est Madame

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HonnestaQui vous réclame, et va partout leMondeCherchant l’Époux que le Ciel luidonna.Incontinent le Diable décampa,S’enfuit au fond des Enfers, et contaTout le succès qu’avait eu sonvoyage.Sire, dit-il, le nœud du MariageDamne aussi dru qu’aucuns autresétats.Votre Grandeur voit tomber ici-bas,Non par flocons, mais menu commepluie,Ceux que l’Hymen fait de saConfrérie,

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J’ai par moi-même examiné le cas.Non que de soi la chose ne soitbonne ;Elle eut jadis un plus heureuxdestin ;Mais comme tout se corrompt à lafin,Plus beau fleuron n’est en votreCouronne.Satan le crut : il fut récompensé,Encor qu’il eût son retour avancé ;Car qu’eût-il fait ? Ce n’était pasmerveillesQu’ayant sans cesse un Diable à sesoreilles,Toujours le même, et toujours sur unton,

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Il fut contraint d’enfiler la venelle ;Dans les Enfers, encore en change-t-on ;L’autre peine est à mon sens pluscruelle.Je voudrais voir quelques gens ydurer.Elle eût à Job fait tourner lacervelle.De tout ceci que prétends-jeinférer ?Premièrement je ne sais pire choseQue de changer son logis enprison :En second lieu, si par quelqueraisonVotre ascendant à l’Hymen vous

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expose,N’épousez point d’Honnesta s’il sepeut ;N’a pas pourtant une Honnesta quiveut.

XXVIII. Les Filles de MinéeSujet tiré des Métamorphoses

d’Ovide.

Je chante dans ces Vers les Fillesde Minée,Troupe aux arts de Pallas dèsl’enfance adonnée,Et de qui le travail fit entrer en

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courrouxBacchus, à juste droit de seshonneurs jaloux.Tout Dieu veut aux humains se fairereconnaître.On ne voit point les champsrépondre aux soins du Maître,Si dans les jours sacrés autour deses guérets,Il ne marche en triomphe àl’honneur de Cérés.La Grèce était en jeux pour le filsde Séméle ;Seules on vit trois sœurscondamner ce saint zèle.Alcithoé l’aînée ayant pris sesfuseaux,

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Dit aux autres : Quoi donc toujoursdes Dieux nouveaux ?L’Olympe ne peut plus contenir tantde têtes,Ni l’an fournir de jours assez pourtant de Fêtes.Je ne dis rien des vœux dus auxtravaux diversDe ce Dieu qui purgea de monstresl’Univers ;Mais à quoi sert Bacchus, qu’àcauser des querelles ?Affaiblir les plus sains ? enlaidirles plus belles ?Souvent mener au Styx par detristes chemins ?Et nous irons chômer la peste des

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humains ?Pour moi, j’ai résolu de poursuivrema tâche.Se donne qui voudra ce jour-ci durelâche :Ces mains n’en prendront point. Jesuis encor d’avisQue nous rendions le temps moinslong par des récits.Toutes trois tour à tour racontonsquelque histoire ;Je pourrais retrouver sans peine enma mémoireDu Monarque des Dieux les diverschangements ;Mais comme chacun sait tous cesévénements,

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Disons ce que l’amour inspire à nospareilles :Non toutefois qu’il faille en contantses merveilles,Accoutumer nos cœurs à goûter sonpoison ;Car, ainsi que Bacchus, il trouble laraison.Récitons-nous les maux que sesbiens nous attirent.Alcithoé se tut, et ses sœursapplaudirent.Après quelques moments, haussantun peu la voix,Dans Thèbes, reprit-elle, on contequ’autrefoisDeux jeunes cœurs s’aimaient d’une

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égale tendresse :Pyrame, c’est l’amant, eut Thisbépour maîtresse :Jamais couple ne fut si bien assortiqu’eux ;L’un bien fait, l’autre belle,agréables tous deux,Tous deux dignes de plaire, ilss’aimèrent sans peine ;D’autant plutôt épris, qu’uneinvincible haineDivisant leurs parents, ces deuxAmants unit,Et concourut aux traits dontl’Amour se servit.Le hasard, non le choix, avait renduvoisines

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Leurs maisons où régnaient cesguerres intestines ;Ce fut un avantage à leurs désirsnaissants.Le cours en commença par des jeuxinnocents :La première étincelle eut embraséleur âmeQu’ils ignoraient encor ce quec’était que flamme.Chacun favorisait leurs transportsmutuels,Mais c’était à l’insu de leursparents cruels.La défense est un charme ; on ditqu’elle assaisonneLes plaisirs, et sur tout ceux que

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l’amour nous donne.D’un des logis à l’autre, elleinstruisit du moinsNos Amants à se dire avec signeleurs soins.Ce léger réconfort ne les putsatisfaire ;Il fallut recourir à quelque autremystère.Un vieux mur entr’ouvert séparaitleurs maisons,Le temps avait miné ses antiquescloisons.Là souvent de leurs maux ilsdéploraient la cause ;Les paroles passaient, mais c’étaitpeu de chose.

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Se plaignant d’un tel sort, Pyramedit un jour,Chère Thisbé, le Ciel veut qu’ons’aide en amour ;Nous avons à nous voir une peineinfinie ;Fuyons de nos parents l’injustetyrannie :J’en ai d’autres en Grèce ; ils setiendront heureuxQue vous daignez chercher un asilechez eux ;Leur amitié, leurs biens, leurpouvoir, tout m’inviteÀ prendre le parti dont je voussollicite.C’est votre seul repos qui me le fait

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choisir,Car je n’ose parler, hélas ! de mondésir ;Faut-il à votre gloire en faire unsacrifice ?De crainte des vains bruits faut-ilque je languisse ?Ordonnez, j’y consens, tout mesemblera doux ;Je vous aime Thisbé, moins pourmoi que pour vous.J’en pourrais dire autant, luirepartit l’Amante ;Votre amour étant pure, encor quevéhémente,Je vous suivrai partout ; notrecommun repos

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Me doit mettre au-dessus de tousles vains propos ;Tant que de ma vertu je seraisatisfaite,Je rirai des discours d’une langueindiscrète,Et m’abandonnerai sans crainte àvotre ardeur,Contente que je suis des soins dema pudeur.Jugez ce que sentit Pyrame à cesparoles ;Je n’en fais point ici de peinturesfrivoles.Suppléez au peu d’art que le Cielmit en moi :Vous-mêmes peignez-vous cet

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Amant hors de soi.Demain, dit-il, il faut sortir avantl’Aurore ;N’attendez point les traits que sonchar fait éclore ;Trouvez-vous aux degrés du termede Cérès ;Là nous nous attendrons ; le rivageest tout près :Une barque est au bord ; LesRameurs, le vent même,Tout pour notre départ montre unehâte extrême ;L’augure en est heureux, notre sortva changer ;Et les Dieux sont pour nous, si jesais bien juger.

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Thisbé consent à tout ; elle endonne pour gageDeux baisers par le mur arrêtés aupassage,Heureux mur ! tu devais servirmieux leur désir ;Ils n’obtinrent de toi qu’une ombrede plaisir.Le lendemain Thisbé sort etprévient Pyrame ;L’impatience, hélas ! maîtresse deson âme,La fait arriver seule et sans guideaux degrés ;L’ombre et le jour luttaient dans leschamps azurés.Une lionne vient, monstre

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imprimant la crainte ;D’un carnage récent sa gueule esttoute teinte.Thisbé fuit, et son voile emportépar les airs,Source d’un sort cruel, tombe dansces déserts.La lionne le voit, le souille, ledéchire,Et l’ayant teint de sang, aux forêtsse retire.Thisbé s’était cachée en un buissonépais.Pyrame arrive, et voit ces vestigestout frais.Ô Dieux ! que devient-il ? un froidcourt dans ses veines ;

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Il aperçoit le voile étendu dans cesplaines :Il le lève ; et le sang joint aux tracesdes pas,L’empêche de douter d’un funestetrépas.Thisbé, s’écria-t-il, Thisbé, je t’aiperdue,Te voilà par ma faute aux Enfersdescendue !Je l’ai voulu ; c’est moi qui suis lemonstre affreuxPar qui tu t’en vas voir le séjourténébreux :Attends-moi, je te vais rejoindreaux rives sombres ;Mais m’oserai-je à toi présenter

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chez les Ombres ?Jouis au moins du sang que je tevais offrir,Malheureux de n’avoir qu’une mortà souffrir.Il dit, et d’un poignard coupe aussi-tôt sa trame.Thisbé vient ; Thisbé voit tomberson cher Pyrame.Que devint-elle aussi ? tout luimanque à la fois,Le sens, et les esprits aussi bienque la voix.Elle revient enfin ; Cloton pourl’amour d’elleLaisse à Pyrame ouvrir sa mouranteprunelle.

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Il ne regarde point la lumière desCieux ;Sur Thisbé seulement il tourneencor les yeux.Il voudrait lui parler, sa langue estretenue ;Il témoigne mourir content del’avoir vue.Thisbé prend le poignard ; etdécouvrant son sein,Je n’accuserai point, dit-elle, tondessein ;Bien moins encor l’erreur de tonâme alarmée ;Ce serait t’accuser de m’avoir tropaimée.Je ne t’aime pas moins : tu vas voir

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que mon cœurN’a non plus que le tien mérité sonmalheur.Cher Amant, reçois donc ce tristesacrifice.Sa main et le poignard font alorsleur office :Elle tombe, et tombant range sesvétemens,Dernier trait de pudeur, même auxderniers moments.Les Nymphes d’alentour luidonnèrent des larmes ;Et du sang des Amants teignirentpar des charmesLe fruit d’un Mûrier proche, etblanc jusqu’à ce jour,

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Éternel monument d’un si parfaitamour.Cette histoire attendrit les filles deMinée :L’une accusait l’Amant, l’autre ladestinée,Et toutes d’une voix conclurent quenos cœursDe cette passion devraient êtrevainqueurs.Elle meurt quelquefois avantqu’être contente ;L’est-elle ? elle devient aussi-tôtlanguissante :Sans l’hymen on n’en doit recueilliraucun fruit,Et cependant l’hymen est ce qui la

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détruit.Il y joint, dit Climène, une âprejalousie.Poison le plus cruel dont l’âme soitsaisie.Je n’en veux pour témoin quel’erreur de Procris.Alcithoé ma sœur, attachant vosesprits,Des tragiques amours vous a contél’élite ;Celles que je vais dire ont aussileur mérite.J’acourcirai le temps ainsi qu’elle,à mon tour.Peu s’en faut que Phœbus nepartage le jour.

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À ses rayons perçants opposonsquelques voiles.Voyons combien nos mains ontavancé nos toiles.Je veux que sur la mienne, avantque d’être au soir,Un progrès tout nouveau se fasseapercevoir :Cependant donnez-moi quelqueheure de silence,Ne vous rebutez point de mon peud’éloquence ;Souffrez-en les défauts ; et songezseulementAu fruit qu’on peut tirer de cetévénement.

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Céphale aimait Procris, il étaitaimé d’elle ;Chacun se proposait leur Hymenpour modèle.Ce qu’Amour fait sentir de piquantet de douxComblait abondamment les vœuxde ces Époux.Ils ne s’aimaient que trop ; leurssoins et leur tendresseApprochaient des transportsd’Amant et de Maîtresse ;Le Ciel même envia cette félicité :Céphale eut à combattre uneDivinité.Il était jeune et beau, l’Aurore enfut charmée ;

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N’étant pas à ces biens, chez elle,accoutumée.Nos belles cacheraient un pareilsentiment :Chez les Divinités on en useautrement.Celle-ci déclara son amour àCéphale.Il eut beau lui parler de la foiconjugale ;Les jeunes Déités qui n’ont qu’unvieil Époux,Ne se soumettent point à ces loiscomme nous.La Déesse enleva ce Héros sifidèle :De modérer ses feux il pria

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l’Immortelle.Elle le fit ; l’amour devint simpleamitié :Retournez, dit l’Aurore, avec votremoitié.Je ne troublerai plus votre ardeur nila sienne ;Recevez seulement ces marques dela mienne.(C’était un javelot toujours sûr deses coups.)Un jour cette Procris qui ne vit quepour vous,Fera le désespoir de votre âmecharmée,Et vous aurez regret de l’avoir tantaimée.

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Tout Oracle est douteux, et porte undouble sens ;Celui-ci mit d’abord notre Épouxen suspens :J’aurai regret aux vœux que j’aiformés pour elle ;Et comment ? N’est-ce point qu’ellem’est infidèle ?Ah finissent mes jours plutôt que dele voir !Éprouvons toutefois ce que peut sondevoir.Des Mages aussi-tôt consultant lascience,D’un feint adolescent il prend laressemblance ;S’en va trouver Procris, élève

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jusqu’aux CieuxSes beautés qu’il soutient êtredignes des Dieux ;Joint les pleurs aux soupirs commeun Amant sait faire,Et ne peut s’éclaircir par cet artordinaire.Il fallut recourir à ce qui portecoup,Aux présents ; il offrit, donnapromit beaucoup,Promit tant que Procris lui parutincertaine.Toute chose a son prix : voilàCéphale en peine ;Il renonce aux cités, s’en va dansles forêts,

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Conte aux vents, conte aux bois sesdéplaisirs secrets :S’imagine en chassant dissiper sonmartyre.C’était pendant ces mois où lechaud qu’on respireOblige d’implorer l’haleine desZéphyrs.Doux Vents, s’écriait-il, prêtez-moides soupirs,Venez, légers Démons par qui noschamps fleurissent :Aure, fais-les venir ; je sais qu’ilst’obéissent ;Ton emploi dans ces lieux est detout ranimer.On l’entendit, on crut qu’il venait

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de nommerQuelque objet de ses vœux autreque son Épouse.Elle en est avertie, et la voilàjalouse.Maint voisin charitable entretientses ennuis :Je ne le puis plus voir, dit-elle, queles nuits.Il aime donc cette Aure, et me quittepour elle ?Nous vous plaignons ; il l’aime, etsans cesse il l’appelle ;Les échos de ces lieux n’ont plusd’autres emploisQue celui d’enseigner le nomd’Aure à nos bois.

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Dans tous les environs le nomd’Aure résonne.Profitez d’un avis qu’en Passant onvous donne.L’intérêt qu’on y prend est de vousobliger.Elle en profite, hélas ! et ne faitqu’y songer.Les Amants sont toujours de légèrecroyance.S’ils pouvaient conserver un rayonde prudence,(Je demande un grand point, laprudence en amours)Ils seraient aux rapports insensibleset sourds.Notre Épouse ne fut l’une ni l’autre

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chose :Elle se lève un jour ; et lorsque toutrepose,Que de l’aube au teint frais lacharmante douceurForce tout au sommeil, hormisquelque Chasseur,Elle cherche Céphale ; un boisl’offre à sa vue.Il invoquait déjà cette Aureprétendue.Viens me voir, disait-il, chèreDéesse accours :Je n’en puis plus, je meurs, fais quepar ton secoursLa peine que je sens se trouvesoulagée.

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L’Épouse se prétend par ces motsoutragée ;Elle croit y trouver, non le sensqu’ils cachaient,Mais celui seulement que sessoupçons cherchaient.Ô triste jalousie ! ô passion amère !Fille d’un fol amour, que l’erreur apour mère !Ce qu’on voit par tes yeux causeassez d’embarras,Sans voir encor par eux ce que l’onne voit pas.Procris s’était cachée en la mêmeretraiteQu’un Faon de Biche avait pourdemeure secrète :

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Il en sort ; et le bruit trompe aussi-tôt l’Époux.Céphale prend le dard toujours sûrde ses coups,Le lance en cet endroit, et perce sajalouse ;Malheureux assassin d’une si chèreÉpouse.Un cri lui fait d’abord soupçonnerquelque erreur ;Il accourt, voit sa faute, et tout pleinde fureur,Du même javelot il veut s’ôter lavie.L’Aurore et les Destins arrêtentcette envie.Cet office lui fut plus cruel

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qu’indulgent.L’infortuné Mari sans cesses’affligeant,Eût accru par ses pleurs le nombredes fontaines,Si la Déesse enfin, pour terminerses peines,N’eût obtenu du Sort que l’ontranchât ses jours ;Triste fin d’un Hymen bien diversen son cours.Fuyons ce nœud, mes Sœurs, je nepuis trop le dire.Jugez par le meilleur quel peut êtrele pire.S’il ne nous est permis d’aimer quesous ses lois,

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N’aimons point. Ce dessein fut prispar toutes trois.Toutes trois pour chasser de sitristes pensées,À revoir leur travail se montrentempressées.Climène en un tissu riche, pénible,et grand,Avait presque achevé le fameuxdifférendD’entre le Dieu des eaux et Pallasla savante.On voyait en lointain une villenaissante.L’honneur de la nommer entre euxdeux contesté,Dépendait du présent de chaque

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Déité.Neptune fit le sien d’un symbole deguerre.Un coup de son trident fit sortir dela terreUn animal fougueux, un Coursierplein d’ardeur.Chacun de ce présent admirait lagrandeur.Minerve l’effaça, donnant à lacontréeL’Olivier, qui de paix est la marqueassurée ;Elle emporta le prix, et nomma laCité.Athènes offrit ses vœux à cetteDéité.

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Pour les lui présenter on choisitcent pucelles,Toutes sachant broder, aussi sagesque belles.Les premières portaient forceprésents divers.Tout le reste entourait la Déesse auxyeux pers.Avec un doux sourire elle acceptaitl’hommage.Climène ayant enfin replié sonouvrage,La jeune Iris commence en ces motsson récit.

Rarement pour les pleurs mon talentréussit,

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Je suivrai toutefois la matièreimposée.Télamon pour Cloris avait l’âmeembrasée :Cloris pour Télamon brûlait de soncôté.La naissance, l’esprit, les grâces, labeauté ;Tout se trouvait en eux, hormis ceque les hommesFont marcher avant tout dans cesiècle où nous sommes.Ce sont les biens, c’est l’or, mériteuniversel.Ces Amants, Quoiqu’épris d’undésir mutuel,N’osaient au blond Hymen sacrifier

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encore ;Faute de ce métail que tout lemonde adore.Amour s’en passerait, l’autre étatne le peut :Soit raison, soit abus, le Sort ainsile veut.Cette loi qui corrompt les douceursde la vie,Fut par le jeune Amant d’une autreerreur suivie.Le Démon des Combats vinttroubler l’Univers.Un Pays contesté par des PeuplesdiversEngagea Télamon dans un durexercice.

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Il quitta pour un temps l’amoureusemilice.Cloris y consentit, mais non passans douleur.Il voulut mériter son estime et soncœur.Pendant que ses exploits terminentla querelle,Un parent de Cloris meurt, et laisseà la belleD’amples possessions etd’immenses trésors :Il habitait les lieux où Mars régnaitalors.La Belle s’y transporte ; et partoutrévérée,partout, des deux partis Cloris

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considérée,Voit de ses propres yeux les champsoù TélamonVenait de consacrer un trophée àson nom.Lui de sa part accourt, et, toutcouvert de gloireIl offre à ses amours les fruits de savictoire.Leur rencontre se fit non loin del’élémentQui doit être évité de tout heureuxAmant.dès ce jour l’âge d’or les eût jointssans mystère ;L’âge de fer en tout a coutume d’enfaire.

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Cloris ne voulut donc couronnertous ces biensQu’au sein de sa Patrie, et del’aveu des siens.Tout chemin, hors la mer, allongeantleur souffrance,Ils commettent aux flots cette douceespérance.Zephyre les suivait quand presqueen arrivant,Un Pirate survient, prend le dessusdu vent,Les attaque, les bat. En vain par savaillanceTélamon jusqu’au bout porte larésistance.Après un long combat son parti fut

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défait ;Lui pris ; et ses efforts n’eurentpour tout effetQu’un esclavage indigne. Ô Dieux,qui l’eût pu croire !Le sort sans respecter ni son sang nisa gloire,Ni son bonheur prochain, ni lesvœux de Cloris,Le fit être forçat aussi-tôt qu’il futpris.Le destin ne fut pas à Cloris sicontraire ;Un célèbre Marchand l’achète duCorsaire :Il l’emmène ; et bien-tôt la Belle,malgré soi,

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Au milieu de ses fers, range toutsous sa loi.L’Épouse du Marchand la voit avectendresse.Ils en font leur Compagne, et leurfils sa Maîtresse.Chacun veut cet Hymen : Cloris àleurs désirsRépondait seulement par deprofonds soupirs.Damon, c’était ce fils, lui tient cedoux langage :Vous soupirez toujours, toujoursvotre visageBaigné de pleurs nous marque undéplaisir secret.Qu’avez-vous ? vos beaux yeux

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verraient-ils à regretCe que peuvent leurs traits, etl’excès de ma flamme ?Rien ne vous force ici, découvrez-nous votre âme ;Cloris, c’est moi qui suis l’esclave,et non pas vous ;Ces lieux, à votre gré, n’ont-ils riend’assez doux ?Parlez ; nous sommes prêts àchanger de demeure ;Mes parents m’ont promis de partirtout-à-l’heure.Regrettez-vous les biens que vousavez perdus ?Tout le nôtre est à vous, ne ledédaignez plus.

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J’en sais qui l’agréeraient ; j’ai suplaire à plus d’une ;Pour vous, vous méritez toute uneautre fortune.Quelle que soit la nôtre, usez-en ;vous voyezCe que nous possédons, et nous-même à vos pieds.Ainsi parle Damon, et Cloris touteen larmes,Lui répond en ces motsaccompagnés de charmes.Vos moindres qualités, et cetheureux séjourMême aux Filles des Dieuxdonneraient de l’amour ;Jugez donc si Cloris esclave et

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malheureuse,Voit l’offre de ces biens d’une âmedédaigneuse.Je sais quel est leur prix ; mais deles accepter,Je ne puis ; et voudrais vouspouvoir écouter.Ce qui me le défend, ce n’est pointl’esclavage ;Si toujours la naissance éleva moncourage,Je me vois, grâce aux Dieux, en desmains où je puisGarder ces sentiments malgré tousmes ennuis.Je puis même avouer (hélas ! faut-ille dire ? )

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Qu’un autre a sur mon cœurconservé son empire.Je chéris un Amant, ou mort ou dansles fers ;Je prétends le chérir encor dans lesenfers.Pourriez-vous estimer le cœurd’une inconstante ?Je ne suis déjà plus aimable nicharmante,Cloris n’a plus ces traits que l’ontrouvait si doux,Et doublement esclave est indignede vous.Touché de ce discours, Damonprend congé d’elle :Fuyons, dit-il en soi, j’oublîrai

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cette Belle,Tout passe, et même un jour seslarmes passeront :Voyons ce que l’absence et le tempsproduiront.À ces mots il s’embarque ; et,quittant le rivage,Il court de mer en mer, aborde enlieu sauvage ;Trouve des malheureux de leursfers échappés,Et sur le bord d’un bois à chasseroccupés.Télamon, de ce nombre, avait brisésa chaîne ;Aux regards de Damon il seprésente à peine,

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Que son air, sa fierté, son esprit,tout enfinFait qu’à l’abord Damon admireson destin,Puis le plaint, puis l’emmène, etpuis lui dit sa flamme.D’une Esclave, dit-il, je n’ai putoucher l’âme :Elle chérit un mort ! Un mort ! cequi n’est plusL’emporte dans son cœur ! mesvœux sont superflus.Là-dessus de Cloris il lui fait lapeinture.Télamon dans son âme admirel’aventure,Dissimule, et se laisse emmener au

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séjourOù Cloris lui conserve un si parfaitamour.Comme il voulait cacher avec soinsa fortune,Nulle peine pour lui n’était vile etcommune.On apprend leur retour et leurdébarquement ;Cloris se présentant à l’un et l’autreAmant,Reconnaît Télamon sous un faix quil’accable ;Ses chagrins le rendaient pourtantméconnaissable ;Un œil indifferent à le voir eût erré,Tant la peine et l’amour l’avaient

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défiguré.Le fardeau qu’il portait ne fut qu’unvain obstacle ;Cloris le reconnaît, et tombe à cespectacle ;Elle perd tous ses sens et de honteet d’amour.Télamon d’autre part tombepresque à son tour ;On demande à Cloris la cause de sapeine ?Elle la dit, ce fut sans s’attirer dehaine ;Son récit ingénu redoubla la pitiéDans des cœurs prévenus d’unejuste amitié.Damon dit que son zèle avait

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changé de face.On le crut. Cependant, Quoiqu’ondise et qu’on fasse,D’un triomphe si doux l’honneur etle plaisirNe se perd qu’en laissant des restesde désir.On crut pourtant Damon. Ilrestreignit son zèleÀ sceller de l’Hymen une union sibelle ;Et par un sentiment à qui rien n’estégal,ll pria ses parents de doter sonRival.Il l’obtint, renonçant dès-lors àl’Hyménée.

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Le soir étant venu de l’heureusejournée,Les noces se faisaient à l’ombred’un ormeau :L’enfant d’un voisin vit s’y percherun corbeau :Il fait partir de l’arc une flèchemaudite,Perce les deux Époux d’une atteintesubite.Cloris mourut du coup, non sansque son AmantAttirât ses regards en ce derniermoment.Il s’écrie en voyant finir sesdestinées ;Quoi ! la parque a tranché le cours

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de ses années ?Dieux, qui l’avez voulu, nesuffisait-il pasQue la haine du Sort avançât montrépas ?En achevant ces mots il acheva devivre ;Son amour, non le coup, l’obligeade la suivre ;Blessé légèrement il passa chez lesmorts ;Le Styx vit nos Époux accourir surses bords ;Même accident finit leursprécieuses trames ;Même tombe eut leurs corps, mêmeséjour leurs âmes.

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Quelques-uns ont écrit (mais ce faitest peu sûr)Que chacun d’eux devint statue etmarbre dur.Le couple infortuné face à facerepose,Je ne garantis point cettemétamorphose ;On en doute. On le croit plus quevous ne pensez,Dit Climène ; et cherchant dans lessiècles passésQuelque exemple d’amour et devertu parfaite,Tout ceci me fut dit par le sageInterprète.J’admirai, je plaignis ces Amants

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malheureux ;On les allait unir ; tout concouraitpour eux ;Ils touchaient au moment ; l’attenteen était sûre ;Hélas ! il n’en est point de telle enla nature ;Sur le point de jouir tout s’enfuit denos mains ;Les Dieux se font un jeu de l’espoirdes humains.Laissons, reprit Iris, cette tristepensée.La Fête est vers sa fin, grâce auCiel avancée ;Et nous avons passé tout ce tempsen récits,

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Capables d’affliger les moinssombres esprits !Effaçons, s’il se peut, leur imagefuneste :Je prétends de ce jour mieuxemployer le reste ;Et dire un changement, non decorps, mais de cœur :Le miracle en est grand ; Amour enfut l’auteur :Il en fait tous les jours de diversemanière.Je changerai de style en changeantde matière.

Zoon plaisait aux yeux, mais cen’est pas assez :

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Son peu d’esprit, son humeursombre,Rendaient ces talents mal placés :Il fuyait les cités, il ne cherchaitque l’ombre,Vivait parmi les bois concitoyendes ours,Et passait sans aimer les plus beauxde ses jours.Nous avons condamné l’amour,m’allez-vous dire ;J’en blâme en nous l’excès ; mais jen’approuve pasQu’insensible aux plus doux appasJamais un homme ne soupire.hé quoi, ce long repos est-il d’un sigrand prix ?

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Les morts sont donc heureux ; cen’est pas mon avis.Je veux des passions ; et si l’état lepireEst le néant, je ne sais pointDe néant plus complet qu’un cœurfroid à ce point.Zoon n’aimant donc rien, nes’aimant pas lui-même,Vit Iole endormie, et le voilàfrappé ;Voilà son cœur développé.Amour par son savoir suprême,Ne l’eut pas fait amant qu’il en fitun hérosZoon rend grâce au Dieu quitroublait son repos :

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Il regarde en tremblant cette jeunemerveille.À la fin Iole s’éveille :Surprise et dans l’étonnement,Elle veut fuir, mais son AmantL’arrête, et lui tient ce langage :Rare et charmant objet, pourquoime fuïez-vous ?Je ne suis plus celui qu’on trouvaitsi sauvage :C’est l’effet de vos traits, aussipuissants que doux :Ils m’ont l’âme et l’esprit, et laraison donnée.Souffrez que vivant sous vos loisJ’emploie à vous servir des biensque je vous dois.

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Iole à ce discours encor plusétonnée,Rougit, et sans répondre elle courtau hameau,Et raconte à chacun ce miraclenouveau.Ses Compagnes d’abords’assemblent autour d’elle :Zoon suit en triomphe, et chacunapplaudit.Je ne vous dirai point, mes sœurs,tout ce qu’il fit,Ni ses soins pour plaire à la Belle.Leur hymen se conclut : un Satrapevoisin,Le propre jour de cette fête,Enlève à Zoon sa conquête.

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On ne soupçonnait point qu’il eût untel dessein.Zoon accourt au bruit, recouvre cecher gage,Poursuit le ravisseur, et le joint ,etl’engageEn un combat de main à main.Iole en est le prix, aussi bien que lejuge.Le Satrape vaincu trouve encor durefugeEn la bonté de son rival.Hélas ! cette bonté lui devintinutile ;Il mourut du regret de cet hymenfatal.Aux plus infortunez la tombe sert

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d’asile.Il prit pour héritière, en finissantses jours,Iole, qui moüilla de pleurs sonMausolée.Que sert-il d’être plaint quandl’âme est envolée ?Ce Satrape eût mieux fait d’oublierses amours.La jeune Iris à peine achevait cettehistoire ;Et ses sœurs avoüoient qu’unchemin à la gloireC’est l’amour : on fait tout pour sevoir estimé ;Est-il quelque chemin plus courtpour être aimé ?

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Quel charme de s’ouïr louer par uneboucheQui même sans s’ouvrir nousenchante et nous touche.Ainsi disaient ces Sœurs. Un oragesoudainJette un secret remords dans leurprofane sein.Bacchus entre, et sa cour, confus etlong cortège :Où sont, dit-il, ces Sœurs à la mainsacrilège ?Que Pallas les défende, et vienne enleur faveurOpposer son Ægide à ma justefureur :Rien ne m’empêchera de punir leur

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offence :Voyez :; et qu’on se rie après de mapuissance.Il n’eut pas dit, qu’on vit troismonstres au plancher,Ailez, noirs et velus, en un coins’attacher.On cherche les trois Sœurs ; onn’en voit nulle trace :Leurs métiers sont brisez, on élèveen leur placeUne Chapelle au Dieu, père du vraiNectar.Pallas a beau se plaindre, elle abeau prendre partAu destin de ces Sœurs par elleprotegées.

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Quand quelque Dieu voyant sesbontez negligées,Nous fait sentir son ire ; un autren’y peut rien :L’Olympe s’entretient en paix parce moyen.Profitons, s’il se peut, d’un sifameux exemple.Chômons : c’est faire assez qu’allerde Temple en TempleRendre à chaque Immortel les vœuxqui lui sont dus :Les jours donnez aux Dieux ne sontjamais perdus.

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FABLE XXIX. Le JugeArbitre, l’Hospitalier, et leSolitaire. TROIS Saints également jaloux deleur salut,Portés d’un même esprit, tendaientà même but.Ils s’y prirent tous trois par desroutes diverses.Tous chemins vont à Rome : ainsinos ConcurrentsCrurent pouvoir choisir des sentiersdifférents.L’un touché des soucis, deslongueurs, des traverses

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Qu’en apanage on voit aux Procèsattachés,S’offrit de les juger sansrécompense aucune,Peu soigneux d’établir ici-bas safortune.Depuis qu’il est des Lois, l’Hommepour ses péchésSe condamne à plaider la moitié desa vie.La moitié ? les trois quarts, et biensouvent le tout.Le Conciliateur crut qu’il viendraità boutDe guérir cette folle et détestableenvie.Le second de nos Saints choisit les

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Hôpitaux.Je le loue ; et le soin de soulagerces mauxEst une charité que je préfère auxautres.Les Malades d’alors étant tels queles nôtres,Donnaient de l’exercice au pauvreHospitalier ;Chagrins, impatients, et se plaignantsans cesse :Il a pour tels et tels un soinparticulier ;

Ce sont ses amis ; il nouslaisse.

Ces plaintes n’étaient rien au prixde l’embarras

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Où se trouva réduit l’Appointeur dedébats.Aucun n’était content ; la Sentencearbitrale

À nul des deux ne convenait :Jamais le Juge ne tenaitÀ leur gré la balance égale,

De semblables discours rebutaientl’Appointeur.Il court aux Hôpitaux, va voir leurDirecteur.Tous deux ne recueillant que plainteet que murmure,Affligés, et contraints de quitter cesemplois,Vont confier leur peine au silencedes bois.

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Là sous d’âpres rochers, prés d’unesource pure,Lieu respecté des vents, ignoré duSoleil,Ils trouvent l’autre Saint, luidemandent conseil.Il faut, dit leur ami, le prendre desoi-même.

Qui mieux que vous sait vosbesoins ?

Apprendre à se connaître est lepremier des soinsQu’impose à tous mortels laMajesté Suprême.Vous êtes-vous connus dans lemonde habité ?L’on ne le peut qu’aux lieux pleins

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de tranquillité :Chercher ailleurs ce bien, est uneerreur extrême.

Troublez l’eau ; vous yvoyez-vous ?

Agitez celle-ci. Comment nousverrions-nous ?

La vase est un épais nuageQu’aux effets du cristal nous venonsd’opposer.Mes Frères, dit le Saint, laissez lareposer ;

Vous verrez alors votreimage.

Pour vous mieux contemplerdemeurez au désert.

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Ainsi parla le Solitaire.Il fut cru, l’on suivit ce conseilsalutaire.Ce n’est pas qu’un emploi ne doiveêtre souffert.Puisqu’on plaide, et qu’on meurt, etqu’on devient malade,Il faut des Médecins, il faut desAvocats.Ces secours, grâce à Dieu, ne nousmanqueront pas ;Les honneurs et le gain, tout me lepersuade.Cependant on s’oublie en cescommuns besoins.Ô vous dont le Public emporte tousles soins,

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Magistrats, Princes, etMinistres,

Vous que doivent troubler milleaccidents sinistres,Que le malheur abat, que le bonheurcorrompt,Vous ne vous voyez point, vous nevoyez personne.Si quelque bon moment à cespensers vous donne,

Quelque flatteur vousinterrompt.

Cette leçon sera la fin de cesOuvrages :Puisse-t-elle être utile aux siècles àvenir !Je la présente aux Rois, je la

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propose aux Sages ;Par où saurais-je mieuxfinir ?