La Confession d'Un Abbé by Louis Ulbach

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    Title: La confession d'un abb

    Author: Louis Ulbach

    Release Date: January 31, 2006 [EBook #17643]

    Language: French

    Character set encoding: UTF-8

    *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA CONFESSION D'UN ABB ***

    Produced by Carlo Traverso, Eric Vautier and the Online

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    LA CONFESSION D'UN ABB

    PAR

    LOUIS ULBACH

    TROISIME DITION

    CALMANN LVY, DITEUR, PARIS

    1883

    * * * * *

    PROLOGUE

    I

    M. le garde des sceaux donnait son premier dner, un dnerd'installation.

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    Il tait nomm depuis huit jours; il ne pouvait pas savoir pour combiende jours; aussi, en homme prudent, rompu aux habitudes officielles,ayant t dj cinq fois appel au ministre et cinq fois oblig d'ensortir, s'tait-il ht de lancer ses invitations.

    Il savait que le premier fonctionnaire faire fonctionner, dans uneadministration o l'inamovibilit est un principe, c'est celui qui estplus inamovible que tous les juges du monde, le cuisinier.

    Les autres grands fonctionnaires, convoqus pour rendre hommage celui-l, s'taient promis d'tre exacts.

    M. le ministre tait vieux. Son estomac, rest puritain et n'ayantjamais vari dans les hasards d'une vie politique qui comptait cinquanteans d'opposition, entrecoups de ministres, sous trois rgimesdiffrents, restait fidle l'habitude de six heures.

    La seule concession que le progrs et arrache cet estomac farouche,depuis la Rpublique, c'tait d'ajouter une demi-heure de rpit l'heure sacramentelle. Mais, jamais, chez M. le garde des sceaux, on neprolongeait l'opportunisme jusqu' sept heures. Le prsident de laChambre des dputs, les jours de dner la place Vendme qui pouvaientconcider avec des jours de grande discussion parlementaire,s'arrangeait toujours pour que les ministres fussent libres vers six

    heures, et, la plupart du temps, faisait remettre la suite de ladiscussion au lendemain.

    On comprend donc qu'avec un chef hirarchique si ponctuel, lesous-secrtaire d'tat au ministre de la justice, M. Barbier, et prisla prcaution d'tre en cravate blanche et en habit noir, ds cinqheures, et achevt, dans cette toilette qui est la livre galitaire deshommes du monde et de leurs matres d'htel, la lecture des dossiers oul'expdition des quelques affaires que M. le ministre lui avait laiss terminer.

    Il tait plus de six heures, prs de six heures un quart.

    M. Barbier qui avait pris, par superstition, pour aimanter son ambition,la place de son ministre, devant le beau bureau, incrust de boisvaris, qui a appartenu, dit-on, Louis XVI, dans le grand cabinet durez-de-chausse, mit en quilibre les paperasses reprsentant lessollicitations des magistrats, les rapports des procureurs gnraux, lessuppliques des condamns, poussa un soupir pour refouler la nue confusede toutes ces exhalaisons de consciences chauffes par le dsird'avancement ou de libration, recula son fauteuil, se frotta les mains,comme si elles avaient pris de la poussire en feuilletant cesconfidences, se leva, se regarda dans la glace, rectifia le nud de sacravate, et se dit:

    --Je crois qu'il est temps de monter!

    M. le sous-secrtaire d'tat tait jeune, presque nouveau venu Paris,o son dpartement l'avait envoy comme dput depuis moins d'un an, etl'ide de _monter_ tait, propos de toutes choses, son ide fixe.

    Il sortit, en chantonnant, du cabinet solennel, traversa le grand salond'attente o les portraits en pied de quelques chanceliers clbresintimident les solliciteurs nafs, et entra sans prcaution dans legrand vestibule ferm o se tiennent les huissiers, ne prvoyant pasqu'il dt, cette heure-l, se heurter des qumandeurs d'audience.

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    Mais, prcisment, l'huissier en chef, celui qui n'tait pas obligd'aller servir table, et qui, par formalisme, restait seul, ledernier, son poste, attendant le dpart du sous-secrtaire d'tat,paraissait en train d'conduire, difficilement un vieillard, fortconvenablement vtu, qui n'avait pas de lettre d'audience et quivoulait, disait-il, parler M. le ministre, ou son secrtaire.

    M. Barbier, avec la ptulance et l'imprudence d'un nophyte, peut-treavec la tentation orgueilleuse de jeter en passant un rayon de sa jeunegloire sur cet importun, s'arrta, se raidit et, d'un ton haut, qu'ilavait rapport d'un parquet de province:

    --Qu'est-ce? demanda-t-il.

    L'huissier, soulag de ce renfort, ou bien dpit de l'intervention deM. Barbier, quand il avait rpt lui mme satit qu'il n'y avaitpersonne au cabinet de M. le garde des sceaux, ou bien encore, enchantcomme un vieil employ, de faire pice et d'enseigner son rle undbutant fonctionnaire, sans rpondre la question de celui-ci, serecula et dit l'homme qu'il poussait vers la porte:

    --Tenez! voil M. le sous-secrtaire d'tat. Parlez-lui.

    L'homme se retourna, s'avana, et, saluant avec une humilit sansbassesse:

    --Pourrais-je, monsieur, vous entretenir quelques instants?

    --Ce n'est plus l'heure des audiences!

    --Je le sais. Mais croyez, monsieur, qu'il faut un motif bienpuissant...

    --Revenez demain!

    --Je ne reviendrai, monsieur, que si, aprs m'avoir cout pendant cinq

    minutes, vous pensez avoir besoin de m'entendre de nouveau.

    Il y avait dans la faon de parler de cet inconnu, plus que dans sesparoles, une douceur et une fermet, une politesse et une sorte dehardiesse, une supplication involontaire de mendiant et une raideurd'homme incapable de mendier, qui saisirent M. Barbier.

    Son premier zle n'tait pas encore mouss. Il pouvait donner ou perdrecinq minutes. Comme il tait en apptit, il eut celui d'un mystre dguster avant le dner.

    L'lan mme avec lequel il partait pour monter dner, le disposait auximprudences du cur et de la curiosit.

    Il fit un geste de rsignation, rouvrit la porte, peine fermederrire lui, et, d'un mouvement de la tte, invitant l'tranger lesuivre:

    --Entrez, monsieur, lui dit-il vivement.

    L'huissier maintint le battant de la porte, pendant que l'homme passait,suivant le sous-secrtaire d'tat, et revint ensuite, avec un sourire,reprendre sa place devant le bureau de l'antichambre, qui est l'ancien

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    bureau des gardes des sceaux, dtrn, depuis M. mile Ollivier, jecrois, par le bureau de Louis XVI.

    Le sourire que l'huissier laissait tomber sur sa chane semblait dire deM. Barbier.

    --S'il est encore ici dans trois mois, il ne m'exposera plus medmentir. Il ne retiendra plus les gens que je renvoie. C'est jeune! amanque d'exprience!

    Pendant que ce monologue muet s'largissait dans le sourire del'huissier expriment, le jeune sous-secrtaire d'tat introduisait, enpassant le premier, le visiteur inconnu jusque dans le cabinet duministre. L, au lieu de prendre place devant le bureau, il attiral'tranger dans l'embrasure d'une des portes-fentres donnant sur lejardin de l'htel, n'offrant pas, ni ne prenant pas de sige, pour bienfaire comprendre qu'il n'avait tout juste que cinq minutes donner,profitant du jour qui baissait pour regarder et dvisager soninterlocuteur.

    --C'est quelque juge de paix destitu ou quelque magistrat mcontent,pensait-il, aprs un regard rapide et prsomptueux.

    Il se htait de conclure, pour n'tre pas embarrass par l'examen de ce

    personnage grave et intimidant.L'homme paraissait avoir environ soixante ans. Il tait grand; sevotait par moments, par habitude de saluer ou de se recueillir; puis,se redressait avec lenteur, non par fiert, mais par indpendance. Sescheveux grisonnaient et s'espaaient, sur un front large, bien model.Ses yeux, d'un bleu profond, paraissaient endormir une flamme, biencontenue sous des arcades avances. La pleur du teint mat dnonait unesouffrance chronique, victorieuse, que tout pourtant voulait dompter,dans cette physionomie si mle dans sa douceur. Sa lvre, un peu forte,mais d'un dessin correct, tait accoutume au sourire, comme au symbolesilencieux de la douleur. Le menton soigneusement ras, un peuprominent, trahissait une volont solide; on devinait un homme

    peut-tre foudroy au dedans, mais bravant encore la foudre.

    Le costume tait svre, sans recherche. Il consistait en une redingotelongue, boutonne, devenue un peu large pour le corps qui, tout robustequ'il tait, avait certainement maigri. Une cravate noire pansretombants et retenus, dans un gilet haut, par une simple pingle, nelaissait voir, dans tout ce costume sombre, au-dessous de cetteblancheur panouie du visage, qu'un liser de linge blanc autour du cou.Les mains dgantes, mais dont l'une tenait les gants serrs etallongs, taient fort belles, sans anneau. Tout, dans cet homme, taitgrave, harmonieux, simple et peu commun. On pouvait se livrer, sur sontat ancien ou actuel, dans le monde, plusieurs hypothses; mais lecaractre profondment, absolument humain, tait celui qui s'offrait

    tout d'abord l'observateur.

    M. Barbier n'avait pas le temps d'observer. En subissant le charme, ille justifiait par la similitude des professions. Il avait une hte naved'entendre encore la voix, sonore et juste, qui lui avait mis dansl'oreille, ds les premiers mots, comme l'cho d'un prtoire.

    --Parlez, monsieur, dit-il avec dignit.

    L'inconnu hsita, eut un gonflement de la poitrine, qu'il apaisa sous sa

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    main, et rpondit enfin:

    --Excusez-moi, monsieur. J'ai tant dsir cet entretien, que je nepensais plus la difficult de le commencer. Je voudrais, avant tout,vous inspirer de la confiance.

    M. Barbier que cette diction, savante jusque dans son effusion sincre,prdisposait de mieux en mieux, eut un mouvement de la tte et fit ungeste de la main qui exprimait une intention formelle de respect ou aumoins de dfrence, en tout cas, une exhortation courtoise.

    L'inconnu s'inclina, et lentement, avec cette coquetterie que lessuppliants mettent dans une caresse qui leur est permise, en modulant laphrase:

    --Je vous remercie.

    Il se redressa, et on et dit qu'il avait puis du sang dans son curpour le faire remonter ses joues, qui se colorrent, comme du refletd'un crpuscule invisible au dehors. Le jour gris-cendr venant dujardin rendait cette rougeur plus clatante.

    Elle dura peu. L'homme voulait redevenir froid. Il passa sa main blanchesur son front, sur ses joues, et les glaa, puis la promenant sur sa

    bouche, il rendit celle-ci sa souplesse; alors, droit, regardant bienen face le sous-secrtaire d'tat:

    --Monsieur, lui dit-il, je viens vous dnoncer un crime!

    M. Barbier tressaillit, se recula, heurta de son paule la vitre de lagrande fentre, et presque effar, balbutia:

    --Un crime! Cela ne me regarde pas.

    --Comment! ne reprsentez-vous pas la justice?

    --Oui, celle qui nomme les magistrats. Vous auriez plus tt fait de vous

    adresser au parquet, la prfecture de police, ou simplement aucommissaire de votre quartier. Moi, je ne pourrais que transmettre desinstructions.

    --Cela serait bien, si le crime tait consomm...

    --Quoi! il n'est pas commis?

    --Non.

    --Alors, ce n'est qu'une supposition de votre part?

    --Dites: la certitude qu'il se commettra!

    M. Barbier abasourdi de l'tranget de cette confidence, eut, unsourire, et croyant se soustraire au charme qui le taquinait, demandad'une voix qui s'aiguisait:

    --Ce crime est-il imminent?

    --Dans trois semaines, il sera sans remde.

    --Dans trois semaines! Alors, il n'y a pas une urgence absolue...

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    Le sous-secrtaire d'tat tait maintenant moins curieux quedsappoint.

    Cette moquerie suprieure, qui entre pour beaucoup dans la vocation deshommes d'tat, s'agitait en lui. Il voulait se venger d'une motionsurprise, malavise; il commenait croire qu'il avait eu affaire unmaniaque.

    Mais la raillerie naissante s'teignit sous le rayon qui partit desgrands yeux bleus de l'inconnu. Les cheveux du vieillard, qui pencha latte et qui la mit sous le jour tombant, parurent blanchir davantage.

    Avec une douceur indulgente et souveraine, il dit:

    --Vous me prenez pour un fou, n'est-ce pas? Oh! je le comprends! C'taitma crainte, la raison de mon embarras. J'espre pourtant que, quand vousm'aurez entendu, vous ne verrez plus en moi qu'un homme trs malheureux,qui a besoin de se confier des curs honntes... J'avais, en meprsentant ici, l'ambition de parvenir directement au ministre. C'est unvieillard, comme moi, plus g que moi, un pre de famille. Si vousvoulez obtenir qu'il m'coute!...

    Ce fut au tour du sous-secrtaire d'tat rougir. Cet tranger lui

    donnait une leon. Il repartit trs poliment:--M. le ministre ne pourrait vous recevoir, ni ce soir, ni demain; jesuis prt vous couter.

    --C'est que... vous n'aviez que cinq minutes m'accorder, et en voilune ou deux...

    --De perdues? voulez-vous dire, interrompit courtoisement M. Barbier. Sivous le pouvez et si vous le voulez, monsieur, si l'affaire trs grave, ce qu'il parat, dont vous avez m'entretenir, ne doit pas s'aggraverpour un retard de quelques heures, je me tiendrai demain, pendant toutela matine, votre disposition. Ce soir, il est vrai, je suis un peu

    press... Cependant si vous voulez me dire sommairement ce dont ils'agit...

    --Sommairement!

    Ce mot avait presque bless le vieillard. Il eut un sourire qui nevoilait rien de sa tristesse.

    --Sommairement! rpta-t-il, ce serait m'exposer encore au soupon defolie. Je tiens vous persuader que j'ai toute ma raison. Mais, pour mecroire, il faut entendre des explications qui ne peuvent tre sommaires.Vous le savez, monsieur, quand on porte longtemps en soi une ide, onl'a roule si souvent qu'on l'a resserre, qu'on en a fait une balle; on

    la croit irrsistible. Mais le jour de frapper, on s'aperoit que leplomb gagne s'mietter. Il ne s'agit plus de trouer la conviction, ilfaut l'envelopper, la pntrer.

    L'inconnu s'arrta, comme scandalis de l'image dont il se servait,honteux de sa rhtorique, un reste de vieille habitude oratoire quel'motion ravivait.

    Il craignit de gter l'opinion favorable qu'il voyait natre malgrtout, et alors, simplement, avec une bonhomie d'homme suprieur, en mme

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    temps qu'avec une aisance d'homme du monde, il dit au sous-secrtaired'tat:

    --Vous l'avez trs justement remarqu, monsieur; s'il ne s'agissait qued'un crime vulgaire, banal, bien qu'il n'y ait encore que le flagrantdlit de la prmditation et que l'acte infme ne soit pas accompli, jedevrais m'adresser au parquet, la police, au commissaire, auxgendarmes; mais ce crime est d'une nature si spciale, les coupablessont d'un rang qui les met si srement au-dessus des intimidationsordinaires, que j'ai besoin d'un secours, dlicat autant quetout-puissant... que je m'adresse la justice, en dehors des juges quipunissent les crimes bien avrs, palpables, mais qui ne les empchentpas, et qui, d'ailleurs, ne punissent pas toujours.

    --Vous excitez ma curiosit! ne put s'empcher d'avouer lesous-secrtaire d'tat.

    --C'est un augure que j'emporte. Puisse-t-il me valoir votre piti!

    --Pour vous, monsieur?

    --Oh! moi, il ne faut pas me plaindre. Ce n'est pas pour moi que je suisici. Je ne peux plus tre ni sauv, ni perdu. J'ai ma croix; je laporte, et je veux la porter seul. C'est pour un tre innocent, que j'ai

    recours vous.La voix du vieillard, toujours basse, sonore, s'tait mouille d'unelarme cache.

    Il leva les yeux au plafond, et avant que M. Barbier, intimid, attirde plus en plus par le charme de ce dsespoir austre, ft intervenu denouveau, l'homme continua avec une politesse extrme:

    --Je vous suis profondment reconnaissant, monsieur, de l'audience quevous m'accordez pour demain; quelle heure?

    --Je suis mon bureau dix heures.

    --A dix heures, soit.

    L'inconnu saluait pour se retirer.

    --Vous donnerez votre nom l'huissier, dit M. Barbier, sans trop demalice, avertissant ce visiteur qu'il ne s'tait pas nomm.

    --Mon nom!

    Le vieillard s'arrta, surpris, fit un lger mouvement en arrire; maisreprenant aussitt son attitude digne et simple:

    --C'est juste!... Mon nom vous ne l'avez pas; voici ma carte.

    Dans l'obscurit croissante du cabinet, le sous-secrtaire d'tat pritla carte et la glissa dans une des poches de son gilet; puis,respectueusement, il reconduisit, comme il et reconduit un procureurgnral, ou un conseiller la cour de cassation, cet tranger qu'onn'avait pas voulu introduire.

    En traversant le grand salon d'attente, sans doute un peu confus d'treescort, l'tranger jeta un regard aux portraits des chanceliers, dont

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    l'hermine se distinguait dans le crpuscule d'une soire de mars, etparut les saluer, en les invoquant. On et dit qu'il les connaissait devue.

    La politesse de M. Barbier n'tait pas due tout entire lafascination. Instinctivement, le sous-secrtaire d'tat voulaitreprendre sur l'huissier la supriorit que celui-ci avait prtendus'attribuer en renvoyant un importun, et, dans le vestibule, saluant unedernire fois l'inconnu:

    --C'est convenu; dix heures; je vous attendrai. On vous indiquera monbureau.

    --Je le connais, dit l'homme mystrieux, en rpondant au salut et ensortant.

    L'huissier tenait ouverte la porte extrieure.

    Il se crut oblig de saluer plus bas que ne l'avait fait M. Barbier, cesolliciteur soudainement rhabilit et transfigur, qui connaissait lestres du ministre, qui tait venu souvent sans doute, autrefois, au bontemps, quand les huissiers taient considrs et habills plus souvent neuf, l'poque des belles livres, sous l'empire.

    II

    Le sous-secrtaire d'tat fit son entre dans le salon de M. le gardedes sceaux, au moment o celui-ci regardait sa pendule, les sourcilsfroncs, et o la pendule sonnait la demie.

    Le ministre salua d'un hochement de tte son jeune collaborateur; maisne lui fit, ni compliment d'arriver l'heure exacte, ni reproched'avoir failli se faire attendre. Cette ponctualit tait d'un zle

    suffisant.

    Les dners ministriels, surtout quand ils sont nombreux, paraissent lesrepas de corps des croque-morts de l'esprit. On y clbre l'enterrementdu dfunt, mais sans que rien le rappelle.

    Les dimensions de la table, la diversit et l'importance des convives,la peur d'tre pris au mot, quand on n'est pas sr d'en dire plus d'unpar quart d'heure, la prsence des domestiques, qui peuvent comparer lesministres en exercice aux ministres passs, et souvent dnoncer ceux-ci les prtentions de ceux-l, l'embarras d'une argenteried'apparat, entremle de fleurs traditionnelles et qui isole lesvis--vis, plus encore que la distance, tout paralyse la conversation

    gnrale et ne permet, tout au plus, que les dialogues entre voisins.

    Le sous-secrtaire d'tat se trouvait plac ct du prfet de police.

    Tous deux taient jeunes, tous deux nouveaux en fonction. La lune demiel des fonctionnaires leur suggre des intemprances de tendresse etdes indiscrtions de bonheur. Tous sont bavards, au dbut de leurimportance. Leur premire fatuit se dcle par la confidence de leursbonnes fortunes administratives.

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    Le prfet gaya le sous-secrtaire d'tat par quelques rvlationsmalicieuses.

    La police est un confessionnal et un dispensaire, et, comme lespnitents ou les malades n'y vont pas offrir leurs confessions, lesecret n'est pas rendu absolument obligatoire par la confiance.

    Tout coup, M. Barbier, qui n'avait opposer que des cancansadministratifs aux _racontars_ de la police secrte, fit un petit bondsur sa chaise, et, interrompant son voisin:

    --Je vais probablement empiter sur vos attributions, mon cher prfet.

    --A quel propos?

    --On s'adresse au ministre de la justice pour prvenir un crime.

    --Un complot?

    --Je ne crois pas. On m'a parl d'une victime innocente.

    --Il n'y a pas alors de politique dans l'affaire. Est-ce un meurtre?

    --Je ne sais pas.

    --Un viol? un enlvement? une squestration?

    --C'est possible!

    Le prfet vida un verre de bourgogne qu'on venait de lui verser, et,d'un ton de raillerie:

    --Comment! vous ne savez rien?

    --Non, rien encore.

    --On se moque de vous.

    --Je ne crois pas.

    Le prfet crasa sur le bord de son assiette une boulette de mie de painqu'il avait triture, pendant ses divers rcits, et avec un sourired'artiste qui va professer:

    --Vous le verrez! on se moque de vous. Quant moi, si je _gobais_ lequart des dnonciations qui m'arrivent tous les matins, je ferais, tousles soirs, arrter cent personnes dans Paris.

    Le mot _gober_ tait permis entre deux anciens camarades du mme banc,au centre gauche de la Chambre; d'ailleurs qui donc est plus porte de

    puiser dans l'argot que le prfet de police? Mais le mot n'en tait pasmoins une moquerie. M. Barbier sourit, son tour cette piqre sansvenin.

    --Mon cher, je ne suis pas plus _gobeur_ qu'un autre. Quand lednonciateur a une apparence respectable...

    Le prfet interrompit:

    --Si les coquins n'taient pas capables de surprendre le respect, il y

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    aurait moins de dupes.

    --Je serais bien tonn d'avoir affaire un coquin. Le chef de lapolice avana son coude sur la table, comme il et fait la tribune, etrpliqua:

    --Les honntes gens ne sont pas moins sujets caution que les coquins.Leur candeur les abuse grossirement et leur vertu les rend infatigables harceler la police. Vous ne savez pas quel hrosme d'espionnagel'honntet peut pousser? On se fait, en gnral, une trs fausse idedans le public du nombre des instruments que nous mettons en uvre.Paris serait extraordinairement surpris d'apprendre avec combien peud'agents embrigads nous veillons sur lui. La plupart de nos capturesimportantes nous sont facilites par des amis, pris de scrupule, qui neveulent pas avoir sur la conscience la cachette d'un voleur ou d'unassassin, qui nous le livrent, sous la seule condition d'tre tenus l'cart de l'instruction, pour ne pas tre exposs des vengeances...Je ne vous parle pas des complices qui _mangent le morceau_, afin debnficier de cette complaisance... Voil pour les crimes accomplis etdont nous poursuivons les auteurs. Mais les soupons, faciles concevoir, aprs une audience de cour d'assises, aprs la reprsentationd'un drame! mais les billeveses des peureux! Rappelez-vous, pendant lesige de Paris, la terreur patriotique conue par de braves gardesnationaux, toutes les fois qu'ils voyaient une chandelle allume, ou une

    lampe abat-jour de couleurs, au cinquime tage d'une maison duboulevard Montmartre! Ils allaient dnoncer des espions, qu'on ne trouvajamais. Avant d'tre prfet de police, pendant la Commune, j'ai connu unpicier, estim, incapable de fausser la vrit, autrement qu'avec sesbalances, qui a dnonc et fait fusiller, le plus innocemment du monde,par l'arme de Versailles, le plus innocent de ses voisins, un chimiste,parce que celui-ci se livrait des manifestations inconnues dansl'picerie et qu'on assurait tre des fabrications de fusesincendiaires! Cela m'a rendu dfiant. Je reois des lettres de femmesmaries, me demandant de faire expulser, ou de faire enrgimenter par lebureau des murs des demoiselles qui les font jalouses; sans compter lesbelles-mres qui ne se rendent pas compte des agissements de leurgendre; les concierges et les propritaires qui veulent sauvegarder la

    rputation de leur immeuble, compromise par des locataires mystrieux!On mprise mes agents, sans se douter qu'ils ont des mules, plusfroces et plus crdules dans beaucoup d'honntes gens.

    --Et les honntes gens ne vous donnent jamais un bon avis?

    --Jamais c'est trop dire. Si; quelquefois.

    --Vous voyez donc bien!

    --Mais ils se trompent quatre-vingt-quinze fois sur cent.

    --Vous avez plus confiance dans les coquins que vous exploitez et qui

    vous exploitent?

    --Non, pas plus, mais tout autant. Les nafs se trompent; les coquinsveulent nous tromper. Il n'y a pas de catgorie pour la vrit.

    --C'est gal, reprit M. Barbier, en insinuant deux doigts dans la pochede son gilet, vous avez beau dire, j'ai bonne opinion de l'homme quej'ai reu ce soir.

    --Ah! il vous a remis un premier rapport?

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    --Non. Je l'attends demain.

    --Je suis vos ordres, si vous croyez qu'il vous indique une piste suivre.

    M. Barbier se mit rire.

    --Je tcherai de me passer de vous.

    --Je vous en dfie!

    --Vous m'en dfiez?

    --Sans doute; et si vous y tenez, je prends mme l'engagement de savoir,une heure aprs vous, ce dont il s'agit et d'aviser, deux heures avantvous, ce qu'il faudra faire.

    Le sous-secrtaire d'tat promena les yeux autour de lui:

    --Est-ce que vous auriez des agents ici?

    Le prfet s'amusa passer rapidement la revue des domestiques enlivre, qui servaient table.

    --Peut-tre! En tout cas, il ne m'est pas difficile, vous le comprenez,de mettre quelques-uns de mes gens, en observation sur la place Vendme;d'avoir les noms, les adresses, de toutes les personnes qui sortirontd'ici, aprs une audience...

    --C'est vrai, rpliqua le sous-secrtaire d'tat, qui avait pris du boutdes doigts la carte de son visiteur, et la remuait dans son gousset.Vous pouvez filer tout le monde. Faisons mieux, voulez-vous?Collaborons... Pouvez-vous, d'ici demain matin dix heures, savoir quelest le personnage qui m'a remis sa carte... que je n'ai pas encore lue?

    M. Barbier tira de sa poche le petit carton sur lequel un nom tait

    crit la plume et non imprim. Il lut:

    LOUIS HERMENT _Boulevard des Batignolles_, 20

    Il passa la carte son voisin.

    Le prfet la reut, comme un expert reoit une pice juger; ill'examina, et dit ensuite:

    --Votre visiteur ne rend gure de visites. Je gagerais que cetautographe est le seul de son espce. Votre homme a prvu qu'il seraitoblig de vous donner son nom et son adresse. Il a confectionn ceci votre seule intention. Le carton a t dcoup par un canif et une

    rgle, ce matin; l'criture est toute frache; quant au nom, il esttrac avec une application qu'on n'a pas d'ordinaire, en reproduisant sasignature. Aucun trait n'chappe la volont de bien crire.Voulez-vous mon sentiment? C'est l un faux nom.

    --Pourquoi, alors, aurait-il ajout son adresse?

    --Si le nom est faux, l'adresse est fausse. Il s'agissait uniquement devous inspirer une demi-heure de confiance. L'homme ne prvoyait pas quevous me rencontreriez et que j'enverrais un agent son prtendu

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    domicile.

    --De sorte que, demain matin, dix heures, vous pourriez me donner desrenseignements sur cet individu?

    --A dix heures, soit. Je ne vous garantis pas, pour une heure simatinale, toute la vrit, ni mme la vrit vraie; mais nous aurons desvraisemblances, des conjectures, et, pour un commencement d'enqute,cela suffit... Tenez! Je vois dj que ce M. Herment est un homme dchu.

    --A quoi voyez-vous cela?

    --A la petite prtention de la carte, et l'adresse. Nous avons biendes naufrags dans ce quartier-l!

    --Je vous affirme qu'il a l'air trs respectable, une belle figure.

    --On sauve tout cela du naufrage. Quel linge a-t-il?

    --Ah! parbleu, vous m'en demandez trop. Il faisait presque nuit. Maisvous voyez qu'il a les mains propres, puisque sa carte est immacule.

    Le dner tait fini. Le ministre se levait de table.

    La conversation en resta l. Mais elle se renoua pour une seconde,quand, d'assez bonne heure, avant tous les convives, aprs avoir priscong du garde des sceaux, d'une faon ostensible, pour tre, remarqu,le prfet de police se retira.

    C'est la coquetterie d'un fonctionnaire de cet ordre de paratre pressde partir, comme si Paris brlait, s'insurgeait ou s'gorgeait, pendantchaque minute perdue dans le monde.

    M. Barbier, qui semblait le guetter, le retint la porte du salonprincipal, et le reconduisant jusqu', l'antichambre, avec l'aisanced'un homme qui est presque chez lui:

    --J'ai oubli de vous demander un renseignement, mon cher prfet. Je nesais pas ce que M. Herment doit me raconter; mais dans le cas o cebrave homme--car je m'en tiens ma premire impression--me dnonceraitrellement un crime, une machination contre quelqu'un; bien que je soisdcid rester dans une grande rserve, je voudrais cependant savoirquels sont les moyens prventifs que possde la police.

    --Elle n'en a qu'un, l'intimidation. Cela russit auprs des malheureux,des jeunes gens, mineurs ou majeurs, qui ont l'instinct du salut, sansen avoir la force, auprs des dclasss, des gens nerveux. C'est notreplus beau rle; mais c'est le moins justifi par la loi. Nous rendons,sous ce rapport, bien des familles, des services qui nous seraientinterdits, si les gens que nous faisons venir osaient invoquer la

    lgalit. Mais ils l'ignorent, ou ils n'osent pas, et c'est tant mieuxpour la morale. On connat si peu la loi en France, et on croit lalibert individuelle si mal garantie! Le code est si souvent une armeexcellente pour les coquins et les mauvais sujets, qu'il faut bienexcuser un peu d'arbitraire, au profit des honntes gens qui sedfendent. Si vous saviez combien de pres de famille, combien de mreselles-mmes viennent nous demander navement des lettres de cachet!

    --Et vous en donnez?

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    --En gnral, nous n'arrtons personne, arbitrairement. Mais notretriomphe est de faire croire que nous pouvons arrter tout le monde.

    --Qui donc peut croire cela?

    --Qui? Les malheureux, je vous l'ai dit, les jeunes gens; mais encorefaut-il qu'ils soient d'une certaine catgorie sociale. Les gens dumonde sont difficiles intimider, autrement que par la peur duscandale. Quant aux gens du _grand, grand monde_, ils nous chappentavant le crime; c'est bien assez de les attraper quelquefois aprs...Voil, mon cher collaborateur, ce que je mets votre disposition...Comme il est probable qu'il ne s'agit pas d'une affaire du grand monde,nous pourrons toujours dire Croquemitaine de faire du bruit dans lacoulisse...

    --Je vous remercie, dit M. Barbier. Ce n'est pas grand'chose queCroquemitaine: il n'y a plus d'enfants!

    --Plus d'enfants? Mais il n'y a que cela!

    --Taisez-vous! Si le ministre vous entendait!

    --Croit-il donc avoir affaire des hommes?

    --Chut! mauvaise langue.--Mon cher, dans un gouvernement dmocratique il faut toujours semaintenir en verve d'ironie; on peut retourner si vite l'opposition!... Au revoir, demain!

    --A demain!

    III

    Le lendemain, M. Barbier arrivait au ministre de la justice avant dixheures.

    Il avait surpris le garon en train d'pousseter d'un regard lent ethabitu les lettres parses sur le bureau. Ce vieil employ fut tent decroire un coup d'tat: car depuis le 2 dcembre 1851, jamais unministre, ou son clair de lune, n'avait lui de si bon matin.

    M. Barbier lui-mme fut trs tonn, aprs coup, d'avoir t si matinal.Il sourit en remarquant que la pendule officielle n'tait pas plus enavance que sa montre; c'tait sa curiosit seule qui l'avait tromp.

    Il s'occupa de quelques affaires; mais elles furent examines en cinqminutes et il eut le loisir d'un peu d'ennui.

    A dix heures un quart, on venait le prvenir que M. Louis Herment taitl.

    Avant de le faire introduire, le sous-secrtaire d'tat s'assura qu'iln'tait venu, ni pour lui, ni adress directement au ministre, aucunmessage de la prfecture de police.

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    Le mystre n'tait pas si facile pntrer! C'tait une premire manchegagne dans la partie engage avec le prfet de police. Mais lesous-secrtaire d'tat fut moins frapp que dpit de ce succs ngatif.Il donna l'ordre de faire entrer M. Herment.

    En le revoyant, au jour clair et matinal, M. Barbier le trouva moinsvieux que la veille, mais aussi imposant, aussi attirant.

    Le visage, qui gardait la mme pleur, avait cependant une transluciditplus facile. On sentait qu'un feu intrieur pouvait, au moindre souffle,s'y rpandre et le colorer. Les yeux brillaient d'une angoisse contenueet aussi d'une esprance force. La bouche tait comme prpare l'loquence, tant elle s'ouvrit vite un sourire de courtoisie, deremerciement et de supplication, qui tait charmant dans ce masquesvre et qui, pourtant, n'avait rien de contraint.

    --Dcidment, c'est un ancien magistrat, pensa M. Barbier.

    Il montra un fauteuil, plac prs de son bureau qui lui permettait debien voir son visiteur, en ayant l'air de lui permettre seulement de lebien couter.

    M. Herment, en s'asseyant, loigna un peu le fauteuil. Il n'avait pasl'habitude de parler de si prs. Sa voix, son motion, sa conviction

    avaient assez de porte. Il plaa presque familirement son chapeau surle bord du bureau plat, justifiant cette prise de possession par unrouleau de papier qu'il dposa dans le chapeau; puis il remercia, enquelques mots, polis sans obsquiosit, le haut fonctionnaire qui luiavait rserv cette audience.

    --On ne nous drangera pas, dit obligeamment M. Barbier.

    --Je vous ai prvenu, monsieur, reprit d'une voix grave M. Herment, quej'avais vous dnoncer un crime. Je ne crois pas qu'il puisse s'encommettre un plus grand...

    Il s'arrta, respira; son inquitude l'oppressait. Aprs deux secondes

    de repos, il continua:

    --Vous savez sans doute, monsieur, tous les journaux en parlent, qu'ondoit clbrer dans trois semaines, l'glise de la Madeleine, lemariage de mademoiselle Marie-Louise de Thorvilliers avec le prince deLvigny.

    M. Barbier ignorait absolument l'annonce de ce mariage. Ce n'tait passur les faits-divers de cette nature, qu'il recevait tous les jours, unrapport du bureau charg de lire, de contrler et d'analyser lesjournaux; mais il n'ignorait pas que le duc de Thorvilliers portait undes plus grands noms du faubourg Saint-Germain, et que le prince deLvigny tait, par sa fortune, par ses alliances, un des partis les plus

    considrables du mme quartier.

    Le sous-secrtaire d'tat fit un signe de tte, comme s'il tait trsinform de cet vnement mondain, et demanda avec un tonnementlgrement ironique:

    --C'est propos de ce mariage que vous avez une communication mefaire?

    --Oui, monsieur.

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    --Je vous coute.

    --Ce mariage serait un crime. Il faut, tout prix, l'empcher.

    M. Barbier eut un petit bondissement de surprise sur son sige.

    --Un crime! Un si beau mariage! L'empcher tout prix, dites-vous? Jene comprends pas.

    Il regardait M. Herment, repris du doute qu'il avait eu la veille, sedemandant si son visiteur n'tait pas fou.

    Celui-ci devinait bien la surprise qu'il provoquait. D'une voixvibrante, fermant demi les yeux pour ne pas voir les paroles quiallaient effleurer ses lvres, il continua:

    --J'espre que vous comprendrez bientt. Est-ce qu'il y a un plus grandcrime, par exemple, que de sacrifier une enfant la plus effroyableambition, la plus basse vengeance?... que de marier une jeune fillechaste, d'une admirable candeur, un dbauch, perdu d'honneur, perdude vices, perdu de sant?

    M. Herment avait parl avec vhmence; il laissa cependant tomber les

    derniers mots, hsitant les prononcer.M. Barbier craignait d'tre du. Le crime ne lui apparaissait pasnettement; il n'en mesurait pas la profondeur. Sa dception secompliquait d'un prodigieux effarement. Qu'est-ce que M. Herment, cethabitant du boulevard des Batignolles, pouvait avoir dmler avec ceprojet de mariage aristocratique? Une jeune fille marie par ambition;n'tait-ce pas le drame vulgaire?

    Il se taisait et rflchissait; M. Herment reprit vivement, en seredressant sur son fauteuil:

    --Oui, le prince de Lvigny n'est pas seulement un niais, incapable de

    comprendre l'me de celle qu'on prtend lui donner; ce n'est passeulement un joueur hont, qui serait ruin, s'il n'tait pas tropriche pour tre jamais au bout de sa fortune et des hritages qu'iln'attendra pas; car avant six mois il sera mort; c'est encore, je vousle rpte, monsieur, le rebut des boudoirs de la prostitution... Il aune matresse qu'il gardera aprs son mariage, car elle a le secret detoutes ses infamies, mais qui n'est que l'infirmire de ce gangren.Je le sais... J'ai achet cette femme la preuve, les prescriptions desspcialistes, et c'est ce cadavre que le duc de Thorvilliers,mchamment, sclratement, dans un but que vous saurez, veut lier cettejeune fille charmante, pure. Il sait la vrit sur ce gendre honteux;mais il en a besoin pour son orgueil et pour sa vengeance. Voyez-vous lecrime, monsieur? Fltrir, empoisonner sciemment une enfant sans

    dfense... Voil ce qu'il faut empcher, au nom de la morale, au nom dela piti... Voil ce que je ne veux pas... Ce que je viens vousdnoncer.

    M. Herment frappait de sa main large et blanche le bras de son fauteuil;il ne baissait plus les yeux. Il regardait le sous-secrtaire d'tat enface, essayant de le magntiser de la flamme de ses prunelles, de leconvaincre par le frissonnement de sa bouche.

    M. Barbier soutint le choc de cette loquence lectrique. Il comprenait

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    un peu, mais pas assez.

    --Dcidment, se disait-il, pour s'excuser d'tre mu et pour s'envenger, c'est un ancien avocat gnral ou un prsident. Mais de quoi semle-t-il?

    --Avant tout, monsieur, reprit-il d'un ton de condescendance, je vousdemanderai quel titre vous voulez intervenir dans ce drame de famille.

    --A quel titre?

    M. Herment se troubla, rougit; mais sa pleur reprit le dessus, et aussison courage:

    --Ne vous suffit-il pas de savoir que le fait est vrai? Ne voussuffit-il pas que je vous en donne la preuve? que vous puissiezl'acqurir vous-mme? Qu'importe qui je suis! Un vieillard qui connat,depuis sa naissance, cette jeune fille, cette orpheline, car sa mre estmorte, et M. le duc de Thorvilliers ne compte pas pour l'amourpaternel... Je suis le premier venu, mis au courant d'une atrocit... Jeviens vous la dnoncer, crier au meurtre!

    --Mais il n'y a pas de meurtre, rpliqua M. Barbier.

    --Il y a pis que cela; il y a le supplice de l'innocence.--En tout cas, ce cri de dtresse ne vous est pas permis, si vous n'tesni le tuteur, ni le parent, un degr quelconque.

    --C'est vrai! dit tristement le vieillard. Voil pourquoi, au lieu dem'adresser la police, je m'adresse vous. Non, je le sais, on mefermerait la bouche, si je dnonais publiquement cet attentat; on metraiterait de calomniateur; on me condamnerait; on m'enfermerait. Jen'ai aucun droit, que celui de l'intrt que je porte depuis vingt ans cette enfant. Cela ne suffit pas pour une action publique; mais celadoit suffire pour une action... discrte; car enfin, il y a la loimorale au-dessus de la loi troite... Ah! si vous pouviez pntrer toute

    l'horreur de ce crime!

    M. Herment leva les bras, par un geste, si solennellement tragique,qu'il tonna plus qu'il n'mut M. Barbier.

    On et dit un acteur, jouant avec gnie une scne, mais la jouant aunaturel, ou un procureur fulminant un rquisitoire, en tout cas, unorateur que l'art transfigurait dans son explosion la plus leve, laplus sincre.

    M. Barbier, intrigu par ce mlange de passion et de suprme habilet,ne fut que plus curieux de connatre son visiteur.

    --Vous ne m'avez pas rpondu, monsieur, reprit-il d'un ton presquecaressant. Je ne doute pas de votre parole, mais encore faut-il que jesache...

    --J'ai t le premier matre... plus que cela, le premier ami, de cettejeune fille, rpondit M. Herment avec une prcipitation singulire, encoupant la parole M. Barbier.

    --Son professeur? demanda le sous-secrtaire d'tat, de plus en surpris.

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    --Oui, monsieur.

    En disant cela, M. Herment rougissait.

    --Est-ce M. le duc de Thorvilliers qui vous avait donn cette fonctionauprs de sa fille?

    M. Barbier faisait cette question, faute d'en trouver une autre.

    Ce singulier professeur confondait toutes ses ides.

    Sa question cingla le cur de M. Herment qui se souleva de son fauteuil,en s'appuyant sur les bras, et, avec un tincellement des yeux, presquefarouche:

    --Non, balbutia-t-il, ce n'est pas le duc qui m'avait charg de cedevoir.

    --Alors, veuillez m'expliquer...

    M. Herment retomba dans son fauteuil, baissa la tte, et, la relevantpresque aussitt, avec dcision:

    --Il faut bien que vous sachiez tout... je suis rsolu tout dire: je

    ne suis pas seulement le premier matre de cette jeune fille... je suisson pre.

    La confidence devenait fort intressante.

    M. Barbier, accoud sur son bureau, caressait lentement sa bouche de sondoigt, pour y attirer des paroles sages; il rflchissait.

    A ce moment, on frappa lgrement la porte, et un huissier apporta unelettre qu'il tendit silencieusement au sous-secrtaire d'tat.

    C'tait le rapport attendu. Le prfet de police s'excusait d'tre un peuen retard; mais les renseignements avaient t difficiles prendre,

    tant M. Herment vivait entour de prcautions et envelopp de silence.

    On avait pu faire causer une femme qui s'occupait de son mnage, etvoici ce qu'on avait recueilli.

    Herment n'est pas son nom. Il cache son nom vritable. Il reoit peu devisites. Il sort souvent, surtout depuis un mois. Il lui est arriv derentrer fort tard, et quelquefois de ne rentrer que le matin. Lesvoisines prtendent qu'il assiste des conciliabules lgitimistes. Iloccupe une petite chambre, au troisime, dans une maison meuble.Quelques bijoux de famille font supposer qu'il avait autrefois unegrande fortune. Il a sur un cachet et sur une bague des armoiries. Lapropritaire est persuade que c'est un grand seigneur qui se cache. Sa

    femme de mnage a dcouvert, pendant la visite qu'un chanoine deNotre-Dame a rendu un jour au prtendu M. Herment, qu'il est un prtreinterdit; ce qui alarme sa conscience de dvote... On le saura tantt.

    M. Barbier laissa tomber le rapport devant lui.

    Pendant qu'il lisait, M. Herment, les mains jointes et presses sur sapoitrine pour y faire rentrer le secret de tendresse qui s'en taitchapp, avait une attitude ecclsiastique, dans une sorte decontemplation paternelle, qui achevait la rvlation.

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    Le sous-secrtaire d'tat sentait dans son front des piqresd'aiguilles. Le mystre devenait dramatique. S'il n'apprciait pasencore toute sa valeur le crime dnonc, il entrevoyait dans lednonciateur du crime, lui-mme, sinon un criminel, au sens juridique dumot, du moins un grand coupable selon le morale. Le personnage, toujoursmystrieux, ne perdait pas de son intrt pour cela.

    Quel drame ou quel roman sous ces trois rvlations? Un grand nom cach,une grande fortune perdue, un prtre qui tait pre, dans ce pauvrehomme log en garni, aux Batignolles!

    --Monsieur, dit brusquement M. Barbier, en posant devant lui la note dela police, vous ne portez pas votre nom!

    M. Herment s'veilla en sursaut de son rve, darda ses yeux qui sereculrent dans leurs orbites profondes, vit et devina sur le bureau lepapier de la police, que l'enveloppe, billant encore aprsl'effraction, dnonait.

    Il eut un plissement du front; son sourire s'aiguisa. Il rpondit avecune intention de fiert:

    --Il serait plus exact de dire que je ne porte pas mon nom tout entier

    et que j'en ai traduit une partie en franais.--Vous tes tranger?

    --Non, monsieur, mon nom de famille est alsacien. Je suis le comte LouisHermann d'Altenbourg. J'ai bien le droit, sous la Rpublique, de ne pasme targuer d'un titre, et depuis que mon pays est allemand, de traduireHermann par Herment... Est-ce l, monsieur, tout ce que la police adcouvert sur mon compte?

    --Non.

    --Ah!

    M. Barbier hsita continuer. Cette femme de mnage, aprs tout,s'tait peut-tre trompe! Sans tre ni dvot, ni catholique, nipeut-tre chrtien, le sous-secrtaire d'tat au ministre de la justicel'tait galement au ministre des cultes. Cela suffisait pour qu'il luirpugnt de trouver un prtre rfractaire et adultre dans cet homme sigrave, si digne, si mouvant.

    Pendant sa courte hsitation, et tout en remuant le papier accusateur,M. Barbier se souvint que M. Herment connaissait trs bien le ministreet ses tres. Il y tait venu sans doute, comme ecclsiastique,solliciter de l'avancement, ou essayer de s'y faire dfendre.

    Le sous-secrtaire d'tat voulut durcir sa voix, lui donner la tonalitd'un fonctionnaire qui fonctionne; mais sa gne persistait. Il dit:

    --La note que j'ai l me donne un renseignement que vous avez omis etqui vous embarrassait sans doute... Vous tes un prtre interdit?

    M. Herment s'attendait cette question. Il resta impassible:

    --Oui, monsieur.

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    Il se fit un petit silence.

    M. Barbier regardait un peu en dessous le prtre, et celui-ci leregardait fixement, de ses yeux qui n'taient plus tents de pleurer.

    M. Herment ajouta simplement, gravement, lentement:

    --C'est parce que je suis frapp d'indignit, que j'ai besoin de vous,monsieur.

    --Vous ne me facilitez pas la besogne!

    --Serait-elle plus facile, si j'tais un homme mari, doublementadultre?

    La remarque tait audacieuse, trange. Elle pouvait paratre cynique, dela part de ce prtre, en apparence si respectable; mais il avait unefaon si ordinaire de dire les choses extraordinaires, qu'il fallaitcroire une aberration, plutt qu' une mancipation brutale de saconscience, une illusion candide de sa tendresse paternelle, pluttqu' l'enttement d'un rvolt.

    --De toute faon, en effet, rpliqua M. Barbier, en admettant la ralitde ce... danger pour votre enfant, nous sommes sans armes pour agir

    contre celui que la loi reconnat comme pre. M. le duc de Thorvilliersn'a pas, videmment, dsavou sa...fille?

    --Non, monsieur.

    --Je crains que vous ne m'ayez fait une confidence inutile.

    M. Herment secoua la tte.

    --Vous ne savez rien encore!

    M. Barbier eut un mouvement. Le rcit promettait d'tre intressant,mais le tte--tte pouvait tre long.

    M. Herment se hta d'ajouter:

    --Ne craignez rien, monsieur, je n'abuserai pas de la faveur que vousm'avez faite ce matin. J'ai prpar, pour le jour o je rencontrerais unhomme de cur, de bonne volont, qui pt m'aider, une confession crite,que je me permets de vous laisser. Ce sera, si je meurs dsespr, montestament moral. En tout cas, monsieur, je le jure devant Dieu, en quije crois encore, c'est l'exacte vrit. J'ai voulu de trs bonne foi mejuger... Vous ne pourrez pas tre plus svre pour moi que je ne l'ait moi-mme, et cette svrit-l m'a fait supporter le mpris de messuprieurs... En me faisant descendre de la chaire o j'ai prch, il ya vingt ans, avec succs, on m'a affranchi de l'obligation d'un mensonge

    qui m'et accabl... C'tait, bien assez du deuil effroyable que jeportais... Vous verrez pourquoi je traite de deuil ce que d'autresappelleraient le remords; mais le repentir est-il autre chose que leregret d'une vertu fltrie, d'une illusion morte dans l'me?... Voici,monsieur, ce manuscrit... Je voudrais qu'il ft plus court; mais j'aitenu expliquer tout... Je l'ai crit sans vanit littraire; lisez-lesans mfiance. Laissez-moi vous dire, en toute franchise, que je nedoute pas de vous; je veux que vous ne doutiez pas de moi. Cetteconfiance rciproque nous donnera une force et une inspiration quin'auraient pu se dgager de relations vagues. Remarquez, monsieur, que

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    je ne prtends pas usurper sur votre conscience. Ce n'est pas moi qui aifranchi le premier les limites d'une audience officielle. En demandantsi vite la prfecture de police ces renseignements sur moi, enmanifestant une curiosit, dont je vous remercie, vous avez engag unpeu de votre cur. Vous aviez la volont de ne pas me traiter comme unimportun et vous ne comprenez pas encore quel crime je vous dnonce.Vous ne me considrez plus comme un fou, de vous l'avoir dnonc. C'estquelque chose. Ma dmarche vous surprend; mais ma figure ne vous a pasdonn l'indice d'un malhonnte homme. Je comprends la surprise; je suistouch de la prsomption favorable. Ma situation de dclass vous acaus un certain effroi. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une protectionpublique, ni d'une protestation contre la sentence qui m'a frapp, vousvous demandez s'il n'y a pas une antithse trop forte, trop brutale,entre le sous-secrtaire d'tat au ministre des cultes et le prtreinterdit. J'espre, monsieur, que ces hsitations de votre partdisparatront la lecture de ces pages. J'en attends, non pas plusd'estime pour moi, mais plus de piti pour mon malheur... Je suis bienmalheureux! Nul homme ne peut l'tre autant que moi!... Il y a un motqui m'est interdit; car en quittant par force le costume de prtre, jen'ai pas abjur toute ma foi, c'est le mot de fatalit... Si je croyaisque mon malheur ft fatal, je flchirais sous le fardeau; mais je lesubis comme une preuve. Je me crois le droit de lutter, comme unecrature punie, mais soumise au chtiment, en ne voulant pas que lamchancet des hommes s'tende une crature innocente. Sauvez ma

    fille; je vous en conjure, puisqu'elle va payer pour un coupable... Jereviendrai, monsieur, quand votre conviction sera faite, et elle sefera... Je vous renouvelle mes remerciements, de votre accueil, de votreenqute. J'en aurai d'autres vous offrir, j'en suis sr.

    M. Herment laissa tomber sa voix, alourdie par des larmes retenues, surces derniers mots.

    Peu peu, en parlant, il s'tait soulev, il s'tait lev. Ce futdebout et en tendant le manuscrit au sous-secrtaire d'tat qu'il achevace petit discours.

    M. Barbier l'avait cout avec motion, avec ce battement de cur, tout

    la fois goste et gnreux, qui tient la recherche d'un secretdramatique et au dsir de se mler d'une grande infortune corriger.

    M. Herment grandissait, au lieu de se diminuer, par ses fautes mmes; ilse redressait sans audace, mais noblement, pour laisser voir toutes lesbrlures de la foudre, et, maintenant que le secret de son tat setrouvait divulgu, il n'avait plus prendre ces prcautions qui luidonnaient des faons indcises.

    Tout s'expliquait dans son aspect extrieur, son attitude, son geste, saparole, par ses antcdents, par ses habitudes de prdication. Sapaternit tragique donnait sa tristesse une majest invincible; ilrestait fier par ce ct divin, sous les humiliations mrites par le

    prtre.

    M. Barbier ne refusa pas la confession qui lui tait offerte; il promitde la lire, fixa un rendez-vous nouveau quelques jours de l, et, selevant de son fauteuil en mme temps que son visiteur, non avant lui, ille reconduisit avec respect jusqu' l'antichambre.

    Seul, revenu sa place, M. Barbier souleva, soupesa, plusieursreprises, le manuscrit dpos, sans oser l'ouvrir, de crainte de selaisser prendre immdiatement au pige de cette lecture. Il se

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    promettait la volupt de ce travail pour le soir, la solitude. Car, debonne foi, il s'engageait tudier ce drame.

    En attendant, il enferma le rouleau de papier dans un tiroir; mais ilouvrit plusieurs fois le tiroir dans la journe, et travers sesaudiences, ses conversations avec le ministre, auquel il cacha cettevisite, il ne cessa de penser cet homme ple, triste, doux etsolennel, qui devait avoir beaucoup souffert.

    Il se rendait compte du charme multiple et spontan de ce visiteur, quitait de grande race, de grande ducation, qui avait travers les oragesde la passion et en gardait l'lectricit dompte, qui, aprs despreuves, encore inconnues, mais vraisemblablement bien douloureuses,s'tait rfugi, comme sur un cap suprme au-dessus d'un abme, dansl'amour qui contient et rsume tous les autres, dans le plus pur, mmequand son origine est impure.

    M. Barbier se croyait toujours aussi convaincu de ne pouvoir venir enaide ce solliciteur intressant; mais il se disait ensoupirant:--C'est dommage!

    Ce regret, uni la curiosit de connatre le secret; de l'abb Hermannd'Altenbourg l'agita toute la journe d'une petite fivre, dont ils'enorgueillit, pour la gloire de sa fonction.

    Louis Hermann d'Altenbourg! M. Barbier se rpta si souvent ce nom qu'ilfinit par croire qu'il se le rappelait, pour l'avoir entendu rpterautrefois.

    Il fit faire des recherches dans les collections de journauxecclsiastiques, notamment dans la _Semaine religieuse_, et il trouvaque vingt ans auparavant, en effet, monseigneur Hermann d'Altenbourg,prlat romain, chanoine primicier de Saint-Denis, avait prch, pendanttout un carme, Notre-Dame de Paris. Son auditoire tait toujoursillustre et nombreux. Le prdicateur la mode, au moins pendant ceprintemps-l, avait t appel aux Tuileries pour y prcher; mais il nesemblait pas qu'il et russi devant ce parterre mondain. La vhmence

    de ses anathmes contre les frivolits du sicle et la malencontreuseide qu'il eut un jour de tonner contre le parjure paraissaient avoirdplu la cour.

    Le journal des confrries le laissait entendre pour l'en blmer.

    Qui donc aurait pu savoir, cette poque et dans ce monde-l, que lacolre mprisante du grand orateur chrtien n'tait que le cri d'unamour crucifi?

    Le soir, chez lui, la porte rigoureusement close, M. Barbier commena lalecture de cette confession d'un prtre faite un laque, confessiondont il a gard le manuscrit, et dont il a permis de prendre une copie

    exacte, en changeant quelque chose aux noms.

    La voici:

    MA CONFESSION

    IV

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    Je suis le fils unique du comte Franois Hermann d'Altenbourg. Mafamille est originaire du Danemark. Un de mes anctres, ambassadeur Vienne, et devenu prince du Saint-Empire, hrita de grands biens enAlsace, par la mort d'un oncle, vque-lecteur de Strasbourg.Toutefois, ma famille ne quitta Copenhague, qu' l'poque du procs faitau grand chancelier Greffenfield. Depuis, elle rsida en Autriche.

    Mon grand-pre fut un de ceux qui protestrent, comme princes trangers,dans un mmoire adress l'Assemble nationale de 1789, contre ledcret qui abolissait les droits fodaux en Alsace, et qui prtendait,malgr les stipulations faites avec Louis XVI, astreindre cespropritaires, d'une espce particulire, aux impts et auxcontributions dont taient frapps les Alsaciens possesseurs debiens-fonds.

    La rclamation fut carte. Mon pre, qui tait imbu des idesnouvelles, et qui ne partageait pas les ides, c'est--dire les prjugsde mon aeul, protesta contre la protestation, se rallia violemment laRvolution, se fit naturaliser Franais, perdit cette rvolte uneassez grosse portion de la fortune des d'Altenbourg, acheta un chteauaux environs de Saverne, s'y installa, et mena, ds lors, une existencefort agite; il s'y maria, la Restauration, pour rentrer en grce

    auprs des princes.On se souvient encore, dans le pays, de ses grandes chasses, de sesgrands dmls avec ses voisins, de ses grandes dmonstrations libralessous la Rpublique, gales seulement par ses grands enthousiasmes sousl'Empire...

    Ce n'est pas pour juger mon pre que j'expose les griefs de laconscience publique son gard; c'est pour me faire juger moi-mme.

    Ce n'est pas, non plus, par orgueil, pour faire excuser mon insoumission mes vux d'humilit que je cite la prtention et les origines de mafamille; c'est pour faire mieux comprendre en moi les influences

    hrditaires. Je suis le dernier des d'Altenbourg; je les confesse, enme confessant.

    Ne peut-on pas dire que je dois ces anctres, venus du pays d'Hamlet,les brumes de mlancolie qui auraient fait de moi un mauvais pote, sile souvenir de quelques vques-lecteurs, de mon nom, dont j'ai vu lesportraits me regarder longtemps, dans mon enfance, n'avait peut-tredcid de ma vocation de mauvais prtre?

    Je dois aux passions paternelles le feu qui, dans ce brouillard,s'allume parfois et fait explosion; je dois ma mre, la tendresse decur, la vocation _maternelle_ qui survit toutes mes passionsteintes.

    Pauvre mre! je l'ai connue, en ralit, et il me semble, chaquedouleur plus aigu de moi, que je la connais un peu plus. J'tais unenfant, quand elle est morte.

    Mourut-elle par un accident involontaire, par un suicide? Le doute m'estvenu depuis que je rflchis. Quand j'avais quatre ans, on ne me donnaaucun dtail; quand je fus grand, je n'en demandai pas; jem'interrogeai.

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    Un soir d't, tout le chteau fut en alerte. La comtesse d'Altenbourg,sortie pour une promenade dans le parc, ne rentra pas l'heure dudner. On la chercha longtemps, quand, enfin, on s'avisa de fouiller unepice d'eau qui semblait attendre les dsesprs, sous la vote sombredes grands arbres.

    Il est possible que ma mre, trompe par l'opacit de l'alle couvertedans laquelle sa rverie l'garait, soit tombe brusquement, n'ait puappeler au secours, et n'ait pu se sauver, cause des bords droits etmaonns de la rive...

    J'ai voulu, il y a un an, visiter ce chteau, dont je n'ai pas hrit etque je n'ai pas eu la douleur de vendre. J'ai retrouv la pice d'eau,sous l'alle paisse; de grands nnufars flottent sur la tombe de cetteOphlie conjugale.

    tait-ce uniquement l'influence d'Hamlet qui me faisait voquer, danscette solitude, une ombre lgre, passant comme un souffle devant moi,pour s'engloutir dans cette eau mystrieuse qui porte des fleurs depuissa chute?

    Mon pre s'tait mari, par contrition politique, plutt que parrepentir de sa jeunesse. Il tait incapable de rendre ma mre heureuse.Il eut du chagrin de sa perte, des remords aussi; il se consola

    cependant, et ce fut alors qu'il se dbarrassa du chteau.Les pres joyeux font souvent les enfants tristes. Hrouard raconte,dans ses mmoires nafs sur l'enfance de Louis XIII, que comme ondemandait au fils de Henri IV, g de six ans peu prs, et initi dj toutes sortes de licences, s'il serait plus tard un _vert-galant_, unbon vivant comme son pre, l'enfant, visiblement choqu dans ses pudeursinstinctives par les attitudes obscnes dont le Barnais ne s'abstenaitpas devant lui, rpondit vivement:--Oh non!

    Le caractre de ce grand ennuy qui n'tait qu'un grand dgot, setrouve ainsi expliqu.

    J'ai prtendu agir autrement que mon pre; ai-je mieux agi? Le portraitque je suis oblig de tracer de moi va devenir plus facile faire etplus facile comprendre.

    Enfant songeur, silencieux, vou au deuil par une vision vague,lointaine, mais persistante, d'une mre si vite disparue, qui revientaujourd'hui et qui se prcise, depuis que j'ai une fille; enfant violentet brusque, quand on me contraignait un effort, je paraissais unsournois, cause de ces chappes hors de mon tat naturel, et mon prefut le premier qui me traita d'hypocrite.

    Mon ducation n'aida pas ma franchise s'manciper.

    Le comte d'Altenbourg, qui se croyait athe, mais qui allait la messedu roi Charles X, quand il faisait un voyage Paris, me confia toutenfant un bon prtre, l'abb Cabirand, excellent homme, merveill desvques que l'on comptait dans ma famille et ne rvant pas pour moi dedestine plus belle. C'tait un homme pur, qui n'ignorait pas le malchez les autres, mais qui le traitait comme un adversaire, dont ilcroyait triompher par des duels mystiques.

    Il me trouvait l'innocence ncessaire. Quand je laissais voir un peu defougue dans cette douceur de surface, il pensait que la prire et la

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    mditation achveraient de parfumer pour le ciel ce cur o le feutait prdestin consumer l'encens.

    Comme j'avais douze ans, mon pre, dont la fortune mal administre setrouvait rduite, vendit ses terres et vint se fixer Paris. L'abbCabirand fut congdi. Il me quitta avec douleur, me fit promettre delui crire, me fit jurer de rester Paris un bon chrtien, et fut nommdeux mois aprs notre dpart d'Alsace, professeur de rhtorique ausminaire de Strasbourg.

    Je fus mis dans une grande institution du faubourg Saint-Germain.

    Ma candeur y fut scandalise; ma dvotion persista d'autant plus. J'eusdes succs, et, comme dans ce temps-l les lves taient trs fiers dela gloire de leurs camarades, mes couronnes du grand concours medonnaient une considration qui compensait l'estime insuffisante quel'on avait pour mon caractre.

    Je souffrais beaucoup d'tre, non pas mconnu, mais inconnu de mesjeunes contemporains. Je faisais de mon mieux pour tre leur niveau;mais, ne m'ayant jamais tout fait comme complice, et m'ayant souventcomme censeur, ils se faisaient de ma connivence passagre une arme pourattaquer mon rigorisme de bat.

    A mesure que je montai en ge, en grade, en succs, je souffris de cemalentendu. Je m'enttais, par probit de croyant, protester contredes exemples qui suscitaient en moi des colres trs sincres, etpourtant qui remuaient aussi d'effroyables tentations...

    J'abrge autant que je le peux ces prliminaires. Ce n'est pas pour meraconter, c'est pour me confesser mieux, que je dis tout cela.

    La sve montait et m'tourdissait. A dix-huit ans, j'avais une chastetrelative qui ne me faisait grce d'aucun mauvais rve. Peut-tren'tais-je que timide!

    A l'ge des premires escapades viriles et des dbauches qui mancipent

    firement les coliers, j'coutais, avec un demi-sourire, lesconfidences, les vanteries de mes camarades. Je me repaissais de cesconfessions; mais quand je voulais mon tour me dbaucher; quandj'avais promis ma part de ce que je croyais une orgie; la premiresortie, j'hsitais, j'avais peur. J'essayais de pactiser avec ma honte.Je voulais parfois me hasarder tout seul, mystrieusement, dans uneaventure que je potisais d'avance; mais un dgot subit, invincible,m'assaillait et me faisait reculer ds les premiers pas. Je fuyais, jeme sentais souill par mes dsirs; je courais dans une glise; je meprosternais, et, dans des invocations plores un amour surhumain, jedpensais, je fatiguais une nergie, haletante sous une pudeur relle,qui voulait tre surprise et ne voulait pas se rendre.

    On pouse son me, comme on pouse une femme. Je ne voulais pas violerla mienne; je dsirais un hymen impossible de ma chair et de mon esprit.

    J'tais grand, fort, de bonne sant. La lutte n'en tait que plus rude,et l'nigme ne paraissait que plus invraisemblable. On m'appelaitTartufe; je haussais les paules, et me consolais par des vers.

    Ces vers, que je faisais avec sincrit, me paraissaient trs bons; mescamarades s'en moquaient, et fortifiaient ainsi, avec ma prtenduevocation, un got hroque pour supporter l'injustice. N'osant me

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    proclamer martyr de mes tentations, je me posais en martyr de la posie.

    Je n'en veux pas ces chers tyrans de ma jeunesse. Commentm'eussent-ils compris, moi qui me perdais me chercher? Je les trouvaislogiques dans leurs injustices, et me voyant sans rancune sous leurssarcasmes, comme j'tais sans orgueil sous mes couronnes universitaires,ils avaient des trves d'indulgence et de piti, qui me rconfortaientet me donnaient des rayonnements d'esprit et de gaiet.

    Mon pre s'occupait fort peu de moi, et, quand il mourut, je pus porterau dehors le deuil que je portais au dedans. Ce fut le seul changementsrieux de mon existence.

    V

    J'avais dix-neuf ans; je venais d'tre reu bachelier. J'tais hsitantau seuil du monde. Rien ne m'y appelait; rien ne m'en dtournait. Lasocit que mon pre frquentait, sans s'purer, avait vieilli, etj'avais ainsi deux raisons, au lieu d'une, pour ne point la rechercher.

    Mes camarades allaient leur ambition, leurs affaires, leursplaisirs. Moi, je n'avais pas de but, et je n'osais prendre pour unappel de la vie ecclsiastique cet ennui qui m'enchanait devant la viegrande ouverte, et m'effrayait, quand je voulais la contempler.

    J'tais rest en correspondance avec mon matre, l'abb Cabirand. Il medonnait d'excellents conseils; mais il tait plutt guid par l'instinctdroit de son cur que par l'exprience. Loin de m'encourager embrasserla mme carrire que lui, il me rptait que mon nom, ma fortunem'obligeaient un rle actif. Je servirais mieux l'glise, en restantchrtien dans le monde. Ces raisons-l ne rpondaient aucune desinquitudes de mon esprit; mais je les acceptais, par le besoin quej'avais de me soumettre un avis.

    Il me restait assez de fortune pour tre indpendant et pour choisirlibrement un tat. Lequel prendre? Je me fis inscrire l'cole dedroit; mais je suivis les cours du collge de France. Parler, instruire,du haut d'une tribune, rpandre sur une foule ce que je sentaisbouillonner en moi, c'tait la seule chose qui me part tentante...

    Je griffonnais toujours des vers; j'essayais de la prose; je neredoutais plus les indiscrtions de mes camarades; mais cette scuritne supplait pas mon peu de talent.

    Je me disposais voyager, quand, soudainement, dans cette brume, jecrus voir une toile. Je rencontrai ma muse.

    M. le duc de Thorvilliers, le pre du duc actuel, un peu parent de mamre, m'avait t donn comme tuteur.

    Il ne prit gure au srieux une tutelle qui s'exerait, si tard pour luiqui tait vieux et goutteux, si tard pour moi, qui tais en ge d'tremancip.

    J'aurais pu rclamer cette mancipation. Je la mritais. A quoi bon?J'avais plutt peur qu'envie de cette nouvelle indpendance, succdant

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    celle que l'insouciance paternelle m'avait laisse.

    Par politesse, pour aider l'effusion de cette paternit passagre,gracieusement accepte, je devins un convive rgulier du duc, et l'amide son fils.

    Gaston de Thorvilliers avait t lev chez son pre. Je ne l'avaisrencontr que rarement. C'tait alors un beau jeune homme, au regardrayonnant, aux joues pleines et roses, aux cheveux noirs, pais, faciles boucler, la prestance fire, un de ceux qui naissent et viventcambrs, busqus.

    N'ayant jamais eu besoin de se soumettre un rglement, unediscipline, un pauvre devenu un matre, de compter avec descondisciples plus forts ou plus habiles que lui; n'ayant subi aucuncontact qui et mouss son caractre; n'ayant pas eu de rivaux quistimulassent son got capricieux pour l'tude, il tait rest, et avaitfleuri dans toute la candeur de sa force, de son orgueil d'tre beau etd'tre riche, dans toute l'ingnuit d'une ignorance vernie.

    Il riait de tous et de toutes choses. Il se croyait bon, parce qu'iln'avait jamais t tent d'tre mchant, et parce qu'il tait gai. Il nedoutait pas de son esprit, rel, mais intermittent, parce qu'il avait lamoquerie facile; sa verve l'blouissait tout le premier.

    Je fus charm de cet apptit universel des sens, et de cette bonnehumeur de la conscience; secrtement mme j'en fus jaloux. Je mecomparais et je me sentais moins homme, moins gentilhomme. J'avais lemme ge. J'avais droit, sinon aux mmes prtentions de fortune, dumoins la mme fiert pour ma race. J'avais, de plus, le sentiment demes succs universitaires, la conscience d'une valeur morale qui pouvaits'panouir avec clat. Si j'tais froid en apparence; si l'piderme pluspais laissait moins venir fleur de peau le sang qui fleurissait lesjoues de Gaston, j'avais peut-tre un brasier plus ardent au cur.

    Pourquoi n'tais-je pas comme lui? Pourquoi, en m'habillant de mme,gardais-je avec mes vtements pareils, une sorte d'allure ecclsiastique

    dont il me raillait avec bienveillance, pour que je devinsse uncompagnon tout fait digne de lui et de mon nom?

    Gaston n'attendit pas une intimit, qui s'affirma bien vite par letutoiement chang sans rsistance, pour me demander des confidences,pour m'en faire.

    Il parut fort surpris qu' dix-neuf ans, je n'eusse pas de matresse. Ilm'offrit de m'en dsigner une, prendre dans le monde. C'tait sifacile! Il ne comprenait pas qu'une femme bien ne pt se dfendrelongtemps contre des beaux cavaliers de notre espce. Quant auxmatresses qu'on entretient et qui sont de luxe, comme l'curie, il lesprvoyait dans son budget; mais ne les admettait pas encore, par

    coquetterie de mondain, peut-tre bien par conomie; lui qui aimaittout, il aimait aussi beaucoup l'argent.

    J'aurais peut-tre t corrompu par ce mauvais sujet naf dont les vicesembaumaient, si je n'avais rencontr celle qui a dispos de toute mavie.

    C'tait une vente de charit, dans le faubourg Saint-Germain. J'ytais all par dfrence pour des invitations reues; Gastonm'accompagnait, surtout pour voir des marquises et des duchesses,

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    bourgeoisement installes devant des comptoirs. Cela lui semblait untravestissement piquant.

    Nous avions parcouru divers salons et fait quelques emplettes depolitesse, nous sortions, quand, la porte d'entre, comme un dernierpige, je vis une jeune fille, debout, ct d'un guridon sur lequels'amoncelaient des roses...

    Je ne me permettrai aucune comparaison potique; je n'aurai recours aucun agrment littraire, pour raconter mon impression souveraine,ineffaable, ternelle.

    Tout ce qui s'est pass depuis, le drame, le deuil, la honte, lesupplice de ma vie, disparaissent, quand j'voque cette vision. Mon currecommence battre, comme il a battu dans cet instant qui a embrastout mon tre. Je ressens quelque chose de foudroyant et d'ineffable quime mord la poitrine, qui me met un clair au cerveau, et qui infiltredans mes veines une langueur accablante.

    Je dus plir. Je me souviens que je m'appuyai fortement au bras deGaston de Thorvilliers.

    Elle tait grande, mince, mais admirablement faite, avec des cheveuxnoirs, en bandeaux lgrement renfls, au-dessus d'un front correct,

    blanc, uni, qui rayonnait d'innocence simple, fire, hardie. Les yeuxtaient noirs; ils cherchaient le regard, plus qu'ils ne l'attiraient;ils avaient une lumire paisible, intense, qui vivait de son foyer et nes'attisait d'aucune coquetterie, ayant le charme suprme. Le sourire desa bouche tonnait. On et dit que la vendeuse de roses avait mang unede ses fleurs, en gardant une feuille serre et retrousse entre sesdents...

    Mais voil que je la dcris et que je me complais dans cette vocation!Je la vis, je l'aimai, et ce fut tout.

    Avec une grce sans minauderie, avec une hardiesse d'ingnue qui se saitcomprise d'avance, et qui n'a pas de prcautions prendre, elle fit un

    pas vers moi, m'offrit une rose et me dit:

    --Pour les pauvres!

    Je pris la fleur, je saluai, je me prosternai en intention, et me tenanttoujours au bras de Gaston, je voulus l'entraner; je ne voulais pascontempler cette apparition.

    --Eh bien! tu ne paies pas? me dit Gaston, en riant.

    C'tait vrai. Je ne songeais pas que cette fleur dt tre paye.

    La jeune fille, peine tonne, souriait. Je tirai un louis; je le

    dposai dans la main blanche qu'on me tendait, au nom des pauvres et jebalbutiai un mot d'excuse.

    Gaston riait toujours.

    --Bonjour, Reine, dit-il familirement ma vision.

    Je fus choqu, comme je l'aurais t depuis, quand je fus prtre, si unsacrilge m'avait arrach des mains l'hostie que j'allais consacrer. Jeme retournai vers mon ami.

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    --Bonjour, Gaston, rpondit mademoiselle Reine d'une voix mlodieuse quej'entends encore, que j'entendrai toujours.

    Ils se mirent causer de choses simples, de la recette que la jeunefille avait faite comme marchande, de celle qu'elle esprait encore. Ilss'taient pris, serr, et abandonn les mains. J'coutais avidement.

    Je crois que j'aurais pouss un cri de fureur et de haine, si le moindremot, non de galanterie, mais seulement de politesse affectueuse et tprononc entre Gaston et la jeune fille. Ils se parlaient en camarades,presque en bons garons.

    --Tu ne m'achtes rien? demanda-t-elle.

    --Tu ne vends pas de cigares? rpliqua Gaston.

    --Si tu veux, j'en emprunterai la boutique de madame deVille-sur-Terre. C'est cinq louis le paquet.

    --Merci, j'aime mieux une rose.

    --Tiens! en voil deux.

    --Combien?--Cinq louis, comme le paquet de cigares.

    --Pourquoi me les fais-tu payer plus cher, moi qu' lui?

    --Parce que tu marchandes.

    --Je ne marchande pas; je proteste.

    --Gros avare!

    --Je ne suis pas avare; je ne veux pas tre dupe.

    La jeune fille n'insista pas; un mouvement de tte, lgrement hautainet ddaigneux, exprima sa pense.

    Gaston tait sensible au reproche.

    --Tu vois comme ces dames nous exploitent! me dit-il assez niaisement.

    Il s'excuta toutefois et tira de son portefeuille en cuir de Russie unbillet de cent francs qu'il agita triomphalement dans ses doigts.

    La jeune fille enleva prestement l'offrande pour empcher l'avaricieuxde se raviser, et d'une voix moqueuse, qui railla comme d'une pointe de

    diamant le cristal derrire lequel elle m'tait apparue:

    --Ah! si l'on ne t'exploite jamais autrement!...

    Je regardai alors fixement mademoiselle Reine, croyant que j'allais latrouver moins belle. Ses yeux noirs s'taient illumins de malice. Je necessai pas de la trouver adorable; mais je souffris de la souponnermaligne. Cette plaisanterie, dont je m'exagrai l'importance, meparaissait une dchance; l'ange tait une demoiselle mondaine habile la rplique. Elle n'avait ni pli, ni rougi. Elle avait dit cela, tout

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    uniment, en remettant de l'ordre dans son joli talage, en passant sesdoigts effils sur les roses qu'elle redressait et qu'elle faisaitrefleurir.

    --Je me plaindrai ta grand'mre! riposta Gaston du ton d'un colier.

    --Plains-toi tout de suite... Tu entends! bonne maman.

    Elle se haussa, se pencha par-dessus ses roses, et je vis alors quederrire le guridon une dame, trs ge, tait assise sur une chaisebasse, gardant la jolie marchande. Elle se leva, s'approcha; et savieille tte ride, mais dont chaque pli tait comme la marque d'unsourire, enveloppe de mches grises, apparut, ainsi qu'un hiver doux etbadin, au-dessus de cette jonche de printemps.

    Gaston s'inclina avec courtoisie:

    --Vous allez bien, marquise? Excusez-moi de ne pas vous avoir devine,derrire ces fleurs de vos jardins.

    --Je vais aussi bien que vous, mauvais sujet. Qu'avez-vous dire contrema petite-fille?

    --Qu'elle se moque toujours du monde.

    --C'est son droit.

    --Dans une vente de charit, ce n'est pas son devoir.

    --Avec vous? Si, vraiment!

    --Ah! marquise, elle est bien votre petite-fille! Mais nous verrons,quand elle sera ma femme!

    La grand'mre et la jeune fille partirent ensemble du mme clat derire, qui me rassura.

    La note aile, arienne, d'une moquerie innocente, palpitait sur leslvres roses; la note basse, chevrotante, frissonna gaiement sur leslvres dcolores de la douairire.

    --Toi, mon mari? s'cria mademoiselle Reine.

    --Je l'ai t!

    --Oh! il y a si longtemps de cela! Tu tais encore en robe, et l'on meportait!

    --C'est gal, c'est un titre.

    --Il est avec mes vieux joujoux.

    --Avisez-vous donc de me la demander! dit son tour la marquise.

    --Ne m'en dfiez pas.

    Malgr son ton inoffensif, ce verbiage commenait me dplaire.

    Reine, au lieu de continuer cette dispute, se tourna vers moi et meprenant tmoin, avec une moue de grande enfant.

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    --Quel fou!

    --Ah! si tu me calomnies auprs de mon ami, dit Gaston en plantant lesroses dans sa boutonnire, je me fcherai!

    Puis, se souvenant qu'il ne m'avait pas prsent, il rpara son oubli,et gracieusement, avec une sorte de solennit, joue et enjoue:

    --Madame la marquise, je vous prsente M. Louis d'Altenbourg, le pupillede mon pre. Mademoiselle Reine de Chavanges, je vous prsente monfrre, votre futur beau-frre.

    Je m'inclinai. Mademoiselle de Chavanges, tout en me faisant larvrence, dit Gaston, d'un air plus srieux et d'un ton plus net:

    --Mon cher, tu en veux trop pour ton argent. Moi, ta femme! j'aimeraismieux vendre des roses, pour deux sous, dans Paris.

    Gaston tait, aprs tout, un jeune homme du monde. Il n'tait sot quepar une sorte de dbraill de son esprit. Il comprit que la plaisanterieavait assez dur. D'un geste vague il indiqua qu'il n'insistait plus etque la taquinerie tait remise une autre rencontre.

    Pendant ce temps-l, la marquise me disait avec une nuance demlancolie, un peu banale:

    --J'ai beaucoup connu votre pre. C'tait un homme charmant! Vous luiressemblez...

    Le compliment, dans un autre moment, m'et choqu. Par quel veil defatuit honteuse et sournoise me donna-t-il de l'orgueil?

    Je crus que mademoiselle Reine, redevenant srieuse, me regardaitcependant avec indulgence.

    La marquise ajouta en continuant de me regarder:

    --Oui, oui, vous ressemblez fort votre pre. Je n'ai pas connu votremre.

    Elle prit sa petite-fille tmoin:

    --_Reinette_, voil un orphelin comme toi; mais il n'a pas, comme toi,une grand'maman qui vit par miracle, pour l'aimer, et pour ne pas lelaisser seul.

    Elle joua l'attendrissement; c'est--dire qu'elle fit claquer ses lvrescomme pour avaler un soupir, et que sa voix avait eu un trmolo discret.

    Reine ouvrit tout grands ses yeux noirs, et m'enveloppa d'un regardprofond, curieux, sans motion apparente.

    Je me sentis brl par ce regard froid au dehors.

    Cette conversation courte, subitement tourne au grave, me paraissaitaussi trange que quand elle tait gaie. On avait plaisant avectourderie sur les fianailles enfantines de Gaston et de mademoiselleReine. Voil que tout coup, premire vue, la marquise de Chavangesavait l'air de vouloir me fiancer sa petite-fille, moi qu'elle n'avait

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    jamais vu, qui passais!

    J'avais le cur gonfl. Mademoiselle Reine me regardait toujours. Elleavait pris une rose et, machinalement, par la tige, la faisait tournerentre ses doigts. Si elle me l'avait offerte, j'aurais cru qu'ellem'acceptait pour mari.

    Je remerciai la marquise. Je promis d'aller la voir. Pendant que je lasaluais, mademoiselle Reine, elle, fermait demi les yeux, pourcontinuer m'observer, avec attention, sans baisser son regard.

    Je ne sais trop ce que dit Gaston. Je remarquai seulement qu'il ne donnapas la main mademoiselle Reine. Celle-ci, d'ailleurs, avait les deuxmains occupes par la rose qu'elle faisait tourner. Ils se dirent adieuavec un petit rire de camarades qui ne m'offensa plus, et nouspartmes...

    VI

    Dans la rue de Grenelle,--je vois encore l'endroit o commena cet

    entretien qui enchana ma vie; c'tait devant une haute porte, un liontenant dans sa gueule un serpent enroul servait de marteau,--Gaston,sans attendre une question, passa son bras sous le mien et me ditgaiement:

    --Te voil sur la liste des prtendants!

    --Quels prtendants?

    --Hypocrite! Tu n'as pas entendu la marquise?

    --Elle a t aimable, gracieuse.

    --Oui, mais elle t'a tiquet! C'est son ide fixe, la pauvre femme!Voil pourquoi je me suis amus la taquiner. Je savais bien qu'au fondje flattais sa manie. Moi, je n'ai pas assez de vocation.

    Je rpliquai assez vivement:

    --Il est assez naturel qu'elle veuille marier sa petite-fille et qu'ellesoit inquite...

    --Elle, inquite! de quoi donc? de la mort? Elle n'y croit que toutjuste pour donner, l'occasion, sa voix, toujours un peu criarde, unson plus doux. De la jeunesse de sa petite-fille? Elle la respire commeun bouquet qui ne doit jamais se faner. De ce que Reine pourrait

    demeurer seule au monde? Elle ne peut pas croire cela. Si elle songeait son dpart, ce serait pour regretter de ne pas voir, le lendemain, lesprinces de ferie qui viendront faire cortge sa petite-fille. Non,elle racole des soupirants, par tradition, pour se ddommager de n'enplus voir ses genoux et pour se venger des airs ddaigneux de Reine.Ne te laisse pas prendre cette sentimentalit ridicule... La marquiseest la plus grande _marieuse_ du faubourg Saint-Germain. Voil ce quec'est que d'avoir t la plus enrage _dmarieuse_ de son temps.

    Je regardai Gaston, sans comprendre.

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    --Ah a! tu ne connais donc rien? Ton pre, qui tait un homme aimable,ne t'a donc jamais parl, de la marquise de Chavanges?

    --Jamais.

    --Eh bien, on a respect ton innocence. Cette vnrable dame a t laplus folle, la plus tourdie des coquettes. On assure que le pauvremarquis, son mari, n'osait plus courir les cerfs, de peur de mettre tropde dpit dans la poursuite, et tant ses oreilles tintaient d'un hallaliperptuel. La marquise s'est marie dix-huit ans. Reine en a plus dedix-sept, et elle trouve que Reine est en retard. A vingt-deux ans, elles'est fait enlever par le chevalier de Mettrais. A trente-cinq ans, ellea enlev, son tour, un pianiste (c'tait la mode), mais elle l'a lchsur la route d'Italie, oh! pas bien loin, Fontainebleau; plus tard,pendant une crise de dvotion, vers cinquante ans, elle a voulu aller Rome, confesser ses pchs au pape lui-mme. Elle s'tait faitaccompagner par un jeune abb, qui n'est jamais revenu Saint-Thomasd'Aquin, et qu'elle a lanc Rome. Il parat que le pape lui avaitdonn un approvisionnement d'absolutions; car elle en a distribu toutes ses amies et elle a gaspill le reste. Elle avait un fils qui,par bonheur ou par hasard, ressemblait au marquis. Il s'est honntementmari une femme honnte. Voil ce qui explique quelque chose ducaractre de Reine. Ce couple vertueux est mort du cholra. La marquise,

    veuve dj, a eu un peu de chagrin, car elle est bonne, au fond et lasurface. Mais elle a t bientt ravie d'avoir une belle petite-fille habiller, gter, faire aimer. Elle s'tait gare de la manie despagneuls, du got des cartes; elle attendait inactive qu'on remt desailes son pauvre cur alourdi. Reine lui a ramen les zphirs. Commeil avait neig sur les roses de son teint, elle s'est barbouille desbaisers de sa petite-fille et a plant des roses vraies dans toutes sescorbeilles. La petite boutique de la vente de charit est un rve deWatteau qu'elle a tenu raliser. Le monde a pardonn cettepcheresse, poudre de grce maternelle. Rien d'ailleurs dans cettetutelle n'est de nature scandaliser le monde, notre monde. La marquisefait les choses, comme il faut les faire, et toutes celles qu'il fautfaire. Elle va la messe. Elle s'y tient, comme tu l'as vue

    l'instant. Je crois bien mme qu'elle fait de bonne foi des minauderiesau bon Dieu, et qu'elle lui brle des petites bougies roses, pour qu'ilenvoie des maris sa petite-fille. Aprs avoir tant fourrag lemariage, la bonne vieille ne voudrait pas s'en aller, sans avoirarrang, bni un joli petit mariage. Voil, mon cher, pourquoi je l'aimise si facilement sur ce chapitre-l; pourquoi du premier coup, ellet'a _reluqu_, inscrit sur sa liste, et voil pourquoi te voyant un peutnbreux, elle t'a jou un petit air de tristesse.

    Je me souviens des paroles de Gaston comme de toutes celles qui ont pourla premire fois ensemenc mon cur. Elles ptillaient en moi. Je voulusrpondre en plaisantant aussi:

    --Et toi, quel rang as-tu parmi les prtendants?

    --Moi! je suis un en-cas, mais peu srieux. J'ai t lev avec Reine;sa mre tait une amie, un peu cousine de la mienne. Elle me connat fond. Nous nous sommes firement battus dans le chteau de Chavanges!Reine a gard l'habitude de me maltraiter. Quand elle me donne unepoigne de main, c'est encore une tape sur les doigts. Nous avons t sicamarades que nous ne pouvons pas nous aimer; or, je suis sr que Reinevoudra aimer son mari.

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    Je me mordis la lvre, pour empcher un spasme qui me montait de lapoitrine. Gaston, comme s'il et devin cet espoir subit, ajouta:

    --Tu ferais bien mieux son affaire, toi... Mais je t'avertis qu'ellen'aime pas les bigots.

    --Est-ce que je le suis?

    --Peut-tre pas; mais tu t'en donnes la mine. Aprs tout, mon cher, celate regarde. Tu es prsent; on t'a invit; Reine, je m'y connais, t'aadmis dans sa collection. Nous irons demain rendre notre visite, etquand ces dames seront Chavanges, nous irons passer quelques jours auchteau.

    --Comment? Elles reoivent des jeunes gens?

    --Et aussi quelques vieux... Mais oui, la marquise est trop grande damepour ne pas recevoir qui elle veut. Cela ne semble pas plusextraordinaire et cela parat aussi innocent que le reste. Quant Reine, elle est avec les danseurs, les visiteurs, comme tu l'as vue avecles acheteurs, toujours la mme, simple, ou terriblement coquette,hardie, libre, point sentimentale, positive et tide... Entre nous, pourtre franc, je t'avouerai que je ne la comprends pas tout fait. Elle aune belle sant, un apptit de la vie qui jaillit de ses yeux, assez peu

    d'illusions, car sa grand'maman en les lui caressant les touffe sousses caresses; pourtant, par instants, on la dirait fixe, emprisonnedans une candeur marmorenne, comme ces statues qui ne sont des femmesque jusqu'au buste et qui finissent en termes de marbre. Tu vois commeelle a t leve, pas bgueule, pas fire, et pourtant il seraitimpossible de pousser avec elle la gaminerie un peu loin. C'est bien elle seule, ou une influence de race honnte qui aura pass par-dessusla grand'maman, qu'elle doit ce qu'elle vaut. Si elle a des petitesides malsaines, blotties quelque part, crois bien que c'est sagrand'mre qui les a niches ou laisses se nicher l. Te voil mis aucourant. Je rsume mon opinion sur Reine de Chavanges. Belle et bonnepersonne, pousse droit et non maintenue droite par un tuteur, charmante voir, entendre, facile frquenter, difficile sduire, plus

    difficile encore pouser, qui redoute d'tre dupe d'elle-mme et dupedes autres, qui vous regarde, qui se garde, et qui, lorsqu'on est unplatonique comme toi, il faut prendre bien garde!

    Gaston continua me donner sur la famille de Chavanges, sur sa fortune,plus de dtails que je ne lui en demandais. Sur la fortune surtout, iltait exactement inform. Si la jolie marchande de roses avait un peuexagr, en reprochant mon ami son avarice, il n'en tait pas moinsvrai que Gaston aimait l'argent, les belles proprits, les grosrevenus. Il en parlait volontiers. Il supputait sur le bout du doigt lesdots qui mritaient d'tre considres dans le faubourg Saint-Germain,et mme ailleurs. Il les numrait avec le plaisir d'un musicien qui sechante des airs de musique.

    Je l'coutais mal. Il me plaisait qu'il ft ct de moi un bruit danslequel le nom de Reine de Chavanges tintait avec sonorit. Cela mesuffisait pour rver; je ne l'interrompais plus; je n'avais plus besoinde l'interroger.

    Je suis de ceux qui croient au chemin de Damas. Je le cherchais; jel'avais rencontr.

    Je devais revoir mademoiselle de Chavanges; je pouvais concevoir

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    l'esprance d'en tre aim, d'en tre choisi. J'tais de son monde.J'ignorais au juste ce que la succession paternelle, liquide, melaisserait de fortune; mais, je ne voyais pas l d'obstacle; au surplus,je ne voulais pas en voir.

    Je sentais sourdre une volont, une vocation. Il s'y mlait, coup sr,une ivresse physique; mais, par pudeur, je n'en rvais que plus vivementla possession d'une me fire, indpendante, retenue, froisse dans unmilieu qui l'alarmait.

    Je serais pour elle un mari honnte, comme l'avait t son pre. Je luiapporterais un amour fidle qui avait manqu ma mre. Je m'imaginaisqu'en me faisant connatre, qu'en amenant la confiance entremademoiselle Reine et moi, je dgagerais sa pense hsitante quicherchait, sans doute, comme la mienne, s'affranchir de certainssouvenirs de famille.

    Ce que j'avais retenu avec un empressement jaloux, c'tait cet hommagesincre rendu par Gaston la puret de cette pupille d'une vieillefemme lgre. J'y croyais avec extase. Les antcdents mythologiques deson aeul