la controverse de Lausanne

Embed Size (px)

Citation preview

A l'Universit de Lausanne, le conflit en thologie arrive un point de nonretour VAUD. Avec un projet de fusion des facults l'horizon, les tensions entre thologiens et spcialistes des sciences des religions s'enveniment. Les premiers en appellent au rectorat, les seconds aux autres disciplines. Nicolas Dufour Jeudi 20 mars 2008 Rubrique: Rgions L'image relve peu du Nouveau Testament. Pour illustrer les difficults de la fusion des Facults de thologie protestante romandes, le doyen lausannois Pierre-Yves Brandt voque CFF Cargo, car toute volont de changement provoque des rsistances, et certains opportunistes en profitent pour dfendre leurs intentions. Voulu par les rectorats de Genve, Lausanne et Neuchtel (LT du 29.03.2008), le projet consiste former une facult unique sur trois sites, avec une plus forte rpartition des comptences. A Lausanne, il attise les crispations entre deux familles d'experts, elles-mmes peu homognes: les thologiens et les chercheurs en sciences des religions. Ces derniers s'insurgent contre la dilution programme de leur matire dans une grande facult juge trop proche des Eglises. Mardi soir, un conseil de facult extraordinaire a donn la mesure des tensions entre enseignants, jusqu'au dpart fracassant d'un vice-doyen. Le climat a t envenim par une opinion de Denis Mller, professeur en thologie, qui dans Le Temps, appelait rompre dfinitivement avec les canons du scientisme et du lacisme configurs selon les normes positivistes du XIXe sicle hexagonal et anticlrical - attaque directe de ses collgues des sciences des religions. Parmi eux, certains rtorquent en dnonant des arguments nonationalistes qui font peur, les thologiens se parant de l'hritage culturel chrtien pour promouvoir une thologie dogmatique. Dans la facult, les noms d'oiseaux - bibliques, il va de soi - fusent. Objection de conscience Le dbat est pourtant fondamental. Il s'agit de savoir dans quel registre acadmique se situe l'tude des religions. Lausanne met notamment l'accent sur l'hindouisme, le judasme, l'islam et les traditions religieuses marginales. La polmique actuelle n'est pas due au modle de facult unique, relve le recteur, Dominique Arlettaz. Mais elle est avive par ce projet. D'autant que les spcialistes des religions redoutent le poids de la facult genevoise, et celui de sa fondation, dans le futur ensemble. Pour Silvia Mancini, professeure invite en science des religions, l'appartenance une facult confessionnelle pose problme dans n'importe quel pays normal en Europe. Pour nos tudiants qui voudraient faire de la recherche, postuler en Italie ou en France avec un diplme de thologie est clairement rdhibitoire. A l'entendre, des enseignants du champ lac mettent donc les pieds au mur. Ils veulent invoquer une objection de conscience participer au futur ensemble, et demandent l'asile dans une autre facult, lettres ou sciences sociales et politiques. Entre les deux camps, Pierre Gisel se dsole. Thologien, il dfend pourtant l'ide qu'il faut dconfessionnaliser la facult. A l'inverse d'une fusion, sa

proposition repose sur une accentuation des diffrences entre Genve et Lausanne, l'une tant centre sur l'tude du christianisme, l'autre s'articulant sur la scne religieuse, incluant le christianisme parmi d'autres. L'autre piste voque pour pacifier le paysage, placer les sciences des religions ailleurs et fonder la future facult sur les trois filires de thologie, ne le convainc pas: Cela aurait pour rsultat une thologie plus confessionnalisante, et des sciences des religions amputes. Dans cette discipline, comment traiterait-on alors du christianisme? Avec une chaire ad hoc? Pierre-Yves Brandt fait remarquer que les autres facults n'ont pas cr de poste pour ces disciplines, il aurait fallu rorienter des moyens. C'est bien en thologie que nous avons pu le faire. Dominique Arlettaz n'en dmord pas. Comme recteurs, notre fonction est de donner la direction. Nous coutons les facults lorsqu'elles nous prsentent les avantages et les dsavantages d'un modle, mais l'analyse doit tre institutionnelle, pas sur la base de situations personnelles. Et l'association des sciences des religions avec la thologie rpond une demande de la socit. Elle permet d'accrotre les interdpendances, les interfcondations entre les disciplines. Pour l'heure, on va dans le mur, tranche Pierre Gisel. Pierre-Yves Brandt n'est gure plus optimiste, dpeignant un tat gnral d'incapacit rflchir aux enjeux d'un tel projet. Et d'en appeler la dcision finale des rectorats.

Un insidieux mlange des genres Commentaire. Nicolas Dufour Evoquons, si l'on ose dire, une faute originelle. En apparence, il y avait une certaine logique augmenter la place des sciences des religions au sein de la Facult de thologie de Lausanne. Face des effectifs en baisse, la dmarche ajoutait une dimension aux tudes bibliques. Et le rectorat de l'poque encourageait une dmarche qui donnait un peu de brillance contemporaine ces disciplines tout en permettant de capter des tudiants d'autres facults. On mesure quel point le cadeau tait empoisonn. La cohabitation des recherches laques et des savoirs religieux, du sociologue et du matre de systmatique, parat condamne l'chec. Parce qu'elle ouvre une crise permanente de lgitimit pour l'un et l'autre. On ne trouve d'ailleurs gure d'exemple d'un tel mariage forc dans les universits des pays occidentaux. Ce constat repose peut-tre sur un fatalisme, une absence de confiance en une forme d'interdisciplinarit. Mais il s'agit de thologie, d'un domaine o la science croise la foi. Avoir voulu mler l'une et l'autre a conduit la crise actuelle. S'obstiner, comme le fait le rectorat lausannois, c'est prendre le risque de dilapider des comptences lentement rassembles.