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UNIVERSITÉ FRANÇOIS – RABELAIS DE TOURS ÉCOLE DOCTORALE « Sciences de l'Homme et de la Société » [Groupe d’Etudes et de Recherche sur la Coopération Internationale et Européenne (GERCIE)] THÈSE présentée par : [Mousa ALLAFI] soutenue le : 17 avril 2013 pour obtenir le grade de : Docteur de l’université François – Rabelais de Tours Discipline/ Spécialité : Droit public LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE CONSEIL DE SECURITE : JUSTICE VERSUS MAINTIEN DE L’ORDRE THÈSE dirigée par : [Mme HANNEQUART Isabelle] Maître de conférences à l’Université François – Rabelais de Tours RAPPORTEURS : [M LAGRANGE Philippe] Professeur à l’Université de Rouen [Mme SAINT JAMES Virginie] Maître de conférences à l’Université de Limoges JURY : [Mme HANNEQUART Isabelle] Maître de conférences à l’Université François – Rabelais de Tours [M LAGRANGE Philippe] Professeur à l’Université de Rouen [M ROSSETTO Jean] Professeur à l’Université François – Rabelais de Tours [Mme SAINT JAMES Virginie] Maître de conférences à l’Université de Limoges

LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE …Le système de la Cour pénale internationale (CPI), dont la mission est d’assurer la justice internationale, repose sur un lien étroit avec

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  • UNIVERSITÉ FRANÇOIS – RABELAIS DE TOURS

    ÉCOLE DOCTORALE « Sciences de l'Homme et de la Société » [Groupe d’Etudes et de Recherche sur la Coopération Internationale et

    Européenne (GERCIE)]

    THÈSE présentée par : [Mousa ALLAFI]

    soutenue le : 17 avril 2013

    pour obtenir le grade de : Docteur de l’université François – Rabelais de Tours Discipline/ Spécialité : Droit public

    LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE CONSEIL DE SECURITE : JUSTICE VERSUS MAINTIEN DE

    L’ORDRE

    THÈSE dirigée par : [Mme HANNEQUART Isabelle] Maître de conférences à l’Université François – Rabelais de Tours

    RAPPORTEURS :

    [M LAGRANGE Philippe] Professeur à l’Université de Rouen [Mme SAINT JAMES Virginie] Maître de conférences à l’Université de Limoges

    JURY : [Mme HANNEQUART Isabelle] Maître de conférences à l’Université François – Rabelais de Tours [M LAGRANGE Philippe] Professeur à l’Université de Rouen [M ROSSETTO Jean] Professeur à l’Université François – Rabelais de Tours [Mme SAINT JAMES Virginie] Maître de conférences à l’Université de Limoges

  • Dédicace

    A ma sainte mère, à ce paradis qui vivait et qui vit encore et pour toujours en moi malgré la

    barrière de la distance durant toutes ces années.

    A mon premier enseignant, mon père l’ombre qui m’a toujours protégée de la dureté de la

    solitude et de la distance.

    A mon idole, ma fierté, mon visage dans le miroir, mon juriste préféré, mon grand frère Faraj.

    A toute ma famille, frères et sœurs, dans cette chaleureuse maison, où je suis né, où j'ai appris

    à marcher et à écrire et surtout où j’ai appris à être un être humain.

    A mes amis en France, pour leur présence, leur amour, leur bienfaisance et leur soutien

    inconditionnel.

    Enfin et avant tout, à tous les défenseurs de la justice sous toutes ses formes partout à travers

    le monde.

  • 1

    Remerciements

    En réalité, j’étais impatient d’arriver à ce stade et de trouver les mots qu’il fallait.

    Aujourd’hui j’y suis, mais je réalise à quel point cette tâche est bien plus difficile qu’on ne le

    croit. J’ai donc décidé de l’écrire tout simplement comme je le ressens.

    Quel que soit le domaine, quel que soit le sujet, rédiger une thèse n'est pas une tache

    aisée ; notamment si cette recherche s’effectue en langue étrangère, quand bien même le

    chercheur est un amoureux de cette langue. Cette thèse n'aurait, en effet, jamais été sur le

    point de parvenir à une fin, sans les conseils, la supervision, l'aide et la patience de ma

    directrice de recherche, Madame Isabelle Hannequart, qui fut avec moi étape après étape. Je

    souhaiterais infiniment la remercier pour la confiance qu'elle m'a accordée en acceptant

    d'encadrer ce travail doctoral, pour ses multiples conseils et pour le temps qu'elle a consacré à

    diriger cette thèse. Je voudrais lui dire à quel point j’ai apprécié sa disponibilité et ses qualités

    humaines d'écoute et de compréhension toutes ces années. J’ai énormément appris à ses côtés

    et je suis très heureux de l’avoir eu pour encadrant.

    Je tiens également à exprimer mon entière gratitude aux membres du jury :

    Monsieur LAGRANGE Philippe.

    Monsieur ROSSETTO Jean.

    Madame : SAINT JAMES Virginie.

    Qui m’ont honoré d’accepter de venir juger ce travail.

    A l'issue de la rédaction de cette recherche, je suis convaincue que la thèse est loin

    d'être un travail solitaire. Pour cette raison, au terme de ce travail, j'adresse avec émotion mes

    sincères remerciements à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce

    projet : amis, correcteurs ainsi que le personnel de la faculté de droit François Rabelais.

  • 2

    Résumé

    Le système de la Cour pénale internationale (CPI), dont la mission est d’assurer la

    justice internationale, repose sur un lien étroit avec le Conseil de sécurité. Il convient donc de

    s’interroger sur le rôle du Conseil dans le fonctionnement de la justice pénale internationale.

    Cette question est fondamentale, car l'intervention d'un organe politique dans l’activité d’un

    organe judiciaire remet en cause les missions de chacune de ces institutions. L’intrusion du

    Conseil dans l’activité de la CPI, basée sur sa mission de maintien de la paix, est en fait

    établie au nom d’un ordre international voulu par le Conseil lui-même. Ce rôle affecte le

    fonctionnement, l’indépendance et même l’impartialité de la Cour. Les pouvoirs que le Statut

    de Rome confère au Conseil lui permettent en effet de saisir la CPI, d’imposer aux Etats de

    coopérer avec la Cour, de suspendre son activité ou encore de qualifier un acte de crime

    d’agression. Cependant, les rapports entre le Conseil et la CPI ne devraient pas être

    subordonnés, mais entretenus dans le respect mutuel, ainsi une véritable crainte existe

    concernant le respect du Conseil envers le Statut de Rome. L’étude met en évidence le conflit

    entre justice et politique et révèle les enjeux actuels en termes de justice pénale internationale.

    Mots-clés :

    Cour pénale internationale, Conseil de sécurité, justice pénale internationale, paix et

    sécurité internationales, Statut de Rome, Charte de l’ONU, Chapitre VII, pouvoir,

    indépendance, contribuer, sélectivité, suspension, saisine, coopération, entraver, situation,

    immunité, crime d’agression, compétence, enquêtes et poursuites.

  • 3

    Résumé en anglais (Summary)

    The international criminal Court system (ICC) whose mission is to ensure

    international justice, is based on a close relationship with the security Council. So it is proper

    to wonder about the Council’s role in the functioning of international criminal justice. Such a

    questionning is fundamental, for the intervention of a political body into the functioning of a

    judicial body calls into question the missions of both institutions. The Council’s interference

    in the activity of the ICC, based on its mission of maintaining international peace, is actually

    carried out on behalf of an international order intended by the Council itself. This role affects

    the functioning, the independence and even the impartiality of the ICC. The powers the Rome

    Statute gives to the Council allow it to refer to the ICC, to impose for the States to cooperate

    with the Court, to suspend its activity or also to qualify an act as a crime of aggression.

    However the relations between the Council and the ICC should not be subordinated, but

    maintained in mutual respect. Thus there is a real concern regarding the observance of the

    Rome Statute by the Council. The study highlights the conflict between justice and politics

    and reveals the current issues in terms of international criminal justice.

    Keywords :

    International criminal Court, security Council, international criminal justice,

    international peace and security, Rome Statute, UN Charter, Chapter VII, power,

    independence, contribute, selectivity, suspension, referral, cooperation, hinder, situation,

    immunity, crime of aggression, competence, investigations and prosecutions.

  • 4

    Sigles et abréviations

    ABI : Accords bilatéraux d’immunité.

    AEP: Association des Etats parties.

    AFDI : Annuaire français de Droit international.

    AFRI : Annuaire français de relations internationales

    ASPA : American service membres Protection Acta.

    BPI : Barreau pénal international

    C. : Contre.

    CAO : Centre d’actualités de l’ONU.

    CCDIH : Commission consultative de Droit international humanitaire.

    CDH : Commission des Droits de l’Homme.

    CDI : Commission du Droit international.

    CFCPI : Coalition française pour la Cour pénale internationale.

    CIJ : Cour internationale de Justice.

    CNG : Conseil national général libyen.

    CNT : Conseil national de transition libyen.

    CPCPI : Coalition pour la Cour pénale internationale.

    CPI : Cour pénale internationale.

    CPRCG : Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

    Doc : Document.

    FIDH : Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme.

    GTSCA : Groupe de travail spécial sur le crime d’agression.

    Ibid : Ibidem, même ouvrage que celui de la note précédente.

    Infra : Voir plus loin dans le texte.

    JDI : Journal de Droit international.

    JEDI : Journal européen de Droit international.

    JICJ: Journal of International Criminal Justice.

    LEA : Ligue des Etats arabes.

    MPLS : Mouvement populaire de Libération du Soudan.

    OCI : Organisation de la coopération islamique

    ONG : Organisation non gouvernementale.

    ONU : Organisation des Nations Unies.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_pour_la_prévention_et_la_répression_du_crime_de_génocide#_blank

  • 5

    op. cit. : opere citato, ouvrage déjà cité.

    OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord.

    p. : page.

    pp. : pages.

    RBDI : Revue belge de Droit international.

    RCADI : Recueil des Cours de l’Académie de Droit international.

    RDF : Revue des Droits fondamentaux

    RDPSP : Revue du Droit public et de la science politique.

    RFDC : Revue française de Droit constitutionnel.

    RGDIP : Revue générale de Droit international public.

    RICR : Revue internationale de la Croix-Rouge.

    RIDP : Revue internationale de Droit pénal.

    RJA : Revue juridique d’Auvergne

    RRJ : Revue de la recherche juridique.

    RSCDPC : Revue de science criminelle et de Droit pénal comparé.

    RTDH : Revue trimestrielle des Droits de l'Homme.

    SDN : Société des Nations.

    SFDI : Société française pour le Droit international.

    Supra : Voir plus haut dans le texte.

    TPIR : Tribunal pénal international pour le Rwanda.

    TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

    TSSL : Tribunal spécial pour la Sierra Leone.

    UA : Union africaine.

    UE : Union européenne.

    Vol : Volume.

  • 6

    Liste des annexes

    Annexe 1 : Liste des articles du Statut de Rome de la Cour pénale internationale

    cités dans les développements (version conforme aux modifications apportées par

    l’Amendement du Statut en 2010).

    Annexe 2 : La résolution 1422 du Conseil de sécurité concernant le maintien de la

    paix par les Nations Unies.

    Annexe 3 : La résolution 1487 du Conseil de sécurité concernant le maintien de la

    paix par les Nations Unies.

    Annexe 4 : La résolution 1593 du Conseil de sécurité concernant la saisine de la

    situation au Soudan (Rapports du Secrétaire général sur le Soudan).

    Annexe 5 : La résolution 1970 du Conseil de sécurité concernant la saisine de la

    situation en Libye (la paix et la sécurité en Afrique).

    Annexe 6 : La résolution 1973 du Conseil de sécurité concernant la situation en

    Libye.

  • 8

    Sommaire Remerciements ......................................................................................................................... 1

    Résumé ...................................................................................................................................... 2

    Résumé en anglais (Summary) ................................................................................................ 3

    Sigles et abréviations ................................................................................................................ 4

    Liste des annexes ...................................................................................................................... 6

    Sommaire .................................................................................................................................. 8

    Introduction ............................................................................................................................ 11

    Première Partie : Le pouvoir du Conseil de sécurité de contribuer à l'activité de la Cour

    pénale internationale .............................................................................................................. 44

    Titre I : La faculté du Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale……..48

    Chapitre I : La saisine par le Conseil de sécurité : une voie dans la recherche de

    l’universalité de la Cour pénale internationale ................................................................... 52

    Section I. La reconnaissance au Conseil de sécurité de la faculté de saisir la Cour pénale

    internationale ............................................................................................................................ 53

    Section II. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité ............................................... 72

    Chapitre II : La saisine par le Conseil de sécurité : un risque pour l’activité de la Cour

    pénale internationale .............................................................................................................. 90

    Section I. Une éventuelle politisation de la compétence de la Cour pénale internationale ..... 91

    Section II. Les difficultés liées à l’application du principe de complémentarité .................... 97

    Titre II : L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de saisir la Cour pénale

    internationale ........................................................................................................................ 106

    Chapitre I : Les premières saisines de la Cour pénale internationale par le Conseil de

    sécurité : le Soudan et la Libye ........................................................................................... 109

    Section I. Un aperçu des situations concernées (Soudan et Libye) ....................................... 110

  • 9

    Section II. L’adoption des résolutions 1593 et 1970 du Conseil de sécurité : les enjeux

    juridiques ................................................................................................................................ 130

    Chapitre II : L’apparition des obstacles lors des saisines par le Conseil de sécurité : les

    cas du Soudan et de la Libye ............................................................................................... 156

    Section I. Les obstacles liés à la compétence et à l’indépendance de la Cour pénale

    internationale .......................................................................................................................... 157

    Section II. Les difficultés liées à la complémentarité et à la sélectivité ................................ 172

    Deuxième Partie : Le pouvoir du Conseil de sécurité d'entraver l'activité de la Cour

    pénale internationale ............................................................................................................ 194

    Titre I : Le pouvoir effectif du Conseil de sécurité de suspendre l’action de la Cour

    pénale internationale ............................................................................................................ 197

    Chapitre I : La faculté du Conseil de sécurité de surseoir à l’activité de la Cour pénale

    internationale ........................................................................................................................ 199

    Section I. La faculté de surseoir : négociations et positions lors de la Conférence de

    Rome…… .............................................................................................................................. 200

    Section II. L’article 16 du Statut de Rome ............................................................................ 210

    Chapitre II : L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de surseoir à l'activité de

    la Cour pénale internationale .............................................................................................. 230

    Section I. Les résolutions du Conseil de sécurité concernant le pouvoir de suspension : texte

    et contexte .............................................................................................................................. 231

    Section II. Les inconvénients liés à l’usage du pouvoir de sursis par le Conseil de

    sécurité…… ........................................................................................................................... 252

    Titre II : Le rôle potentiel du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression…….278

    Chapitre I : La compétence de la Cour pénale internationale conditionnée par la

    définition du crime d’agression ........................................................................................... 281

    Section I. La définition de l’agression : du Traité de Versailles à la Conférence de Rome .. 283

    Section II. Le rôle éventuel du Conseil de sécurité vis-à-vis du texte adopté à Rome ......... 294

  • 10

    Chapitre II : Le rôle donné au Conseil de sécurité par la modification du Statut de Rome

    à l’égard du crime d’agression ............................................................................................ 305

    Section I. L’Amendement du Statut de Rome ....................................................................... 307

    Section II. Le nouveau rôle du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression ............. 324

    Conclusion ............................................................................................................................. 336

    Bibliographie ......................................................................................................................... 356

    Table des matières ................................................................................................................ 403

    Annexes ................................................................................................................................. 408

    Résumé .................................................................................................................................. 472

    Résumé en anglais (Summary) ............................................................................................ 472

  • 11

    Introduction

  • 12

    « Il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi

    digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et

    légal dans des circonstances données»1.

    Tout au long du siècle dernier, l'idée de juger les responsables de crimes

    internationaux par des juridictions pénales internationales compétentes a souvent été évoquée.

    Plusieurs propositions d'institution d’une Cour pénale internationale/CPI permanente sous la

    forme d'accords internationaux ont fait l'objet de discussions. En plusieurs décennies, cent

    cinquante conflits armés internationaux, régionaux et internes ont éclaté2. Ces conflits, ainsi

    que les violations des Droits de l’Homme perpétrées par des régimes répressifs, ont causé plus

    de soixante-dix millions de morts. Les conséquences dommageables semblent dépasser

    l’entendement humain mais ces dures réalités doivent être regardées en face et traitées

    objectivement. C’est pourquoi il était nécessaire et urgent de créer une structure juridique

    internationale capable de mettre fin aux massacres qui sont fondamentalement incompatibles

    avec le concept de dignité humaine. Cette structure pourrait fournir une réponse convaincante

    au concept humanitaire qui exclut la perpétration de tels actes3. Par ailleurs, une forte relation

    préexiste entre justice et politique, dont l’influence s’est exercée tantôt dans le sens de la

    création d’une juridiction pénale internationale, tantôt dans le sens inverse en l’entravant.

    Cette relation, entre politique et développement d’un système normatif, n’est cependant pas

    propre à l’émergence de la justice pénale internationale. Si la justice peut être considérée

    comme un grand progrès dans la lutte contre l’impunité et l’affirmation des valeurs

    universelles de l’humanité, elle fait cependant l’objet de nombreuses critiques4.

    1 Ferencz (B.), Ancien Procureur au Tribunal de Nuremberg. C'est en ces termes que M. Ferencz exprimait sa

    foi en la justice. 2 Levy (D.), La Cour pénale internationale, une introduction pratique, université de Paris IX, Paris, 2003, p. 15.

    Pour plus d’informations, voir : Cassese (A.), The Tokyo Trial and beyond, Polity Press, Cambridge, 1993, pp.1-

    3. Le Statut du Tribunal de Nuremberg (articles 1 à 4).

    Del Ponte (C.), Ex-Yougoslavie, Rwanda : Les défis du Tribunal pénal international, Université de Fribourg :

    Service Presse Communication, 2000. pp. 12-50. 3 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, RIDP, 2000, N° 71, p. 2.Voir

    aussi : Atche (B.R.), Les conflits armés internes en Afrique et le droit international, Thèse présentée à

    l’Université de Cergy-Pontoise, doctorat en droit public, 2008, pp. 16-18. 4 Pour plus d’informations, voir : Ibid, pp. 15-37.

  • 13

    Concernant la nécessité de créer une structure juridique pénale internationale et ses

    rapports avec les organes politiques, il convient d’une part de mettre en évidence l’évolution

    historique de la création d’une CPI et le rôle joué par les Organisations internationales dans

    cette création et d’autre part de présenter les organes, la CPI et le Conseil de sécurité, sur

    lesquels notre recherche se concentre. Nous soulèverons à leur égard les intérêts et la

    problématisation de l’étude.

    (I) La Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité : des acteurs de la justice

    pénale internationale

    Pendant longtemps, et aujourd’hui encore, toute tentative dans le sens de la création

    d’une CPI a été considérée comme l’expression de la justice du vainqueur d’un conflit, ainsi

    lors des procès de Nuremberg, stigmatisant les dérives du vaincu pour mieux dissimuler les

    siennes. Or, un accord entre certains Etats, fussent-ils les plus puissants, ne saurait être

    considéré comme l’expression de la Communauté internationale dans son ensemble. De

    même, alors que certains ont pointé du doigt l’arbitraire des décisions du Conseil de sécurité

    dans le cas des tribunaux pénaux internationaux, d’autres les ont considérées comme un pas

    vers l’établissement d’une justice pénale internationale1. Aussi importantes que soient ces

    expériences de tribunaux, leur caractère à la fois ad hoc, c’est-à-dire d’une compétence

    limitée en termes de temps, de lieu, de crimes et de personnes, et post hoc, c’est-à-dire

    intervenant après que le pire a été commis, ne pouvait satisfaire aux exigences qu’implique

    l’instauration d’une véritable justice pénale internationale. Que la justice demeure un

    instrument de rétablissement de la paix comme ce fut le cas dans les situations mentionnées,

    nul n’en disconvient, mais son rôle doit rester limité2. Nous pouvons donc dès à présent

    conclure à l’ambiguïté et à la complexité de cette relation. En effet, la politique élabore le

    droit international et le met ensuite en œuvre. Les Etats, au gré de leurs décisions, peuvent

    ainsi modifier les règles qu’ils avaient auparavant adoptées. D’où la relation complexe entre

    1 Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, RIDP, vol. 75, p. 704. Voir aussi : Benages (T.), La convention pour

    la prévention et la répression du crime de génocide à l’épreuve du tribunal pénal internationale pour l’ex-

    Yougoslavie, Thèse présentée à l’Université d’Auvergne, doctorat en droit public, 2005, pp. 8-20. 2 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 4. Voir aussi :

    Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, op. cit., pp. 703-704. Dans cette étape, nous explorerons plusieurs

    tentatives, soit par la volonté des pays soit par des résolutions du Conseil de sécurité, d’établir une justice pénale

    internationale pour lutter contre l’impunité et punir les responsables des crimes internationaux.

  • 14

    « la volonté de lutter contre l’impunité qui a émergé et la prise en compte d’une certaine

    realpolitik »1 : les Etats marchent à reculons. L’implication de tant d’Organisations de la

    société civile résulte de leur prise de conscience que la barbarie ne devait pas rester impunie

    et qu’il fallait non seulement révéler la vérité mais aussi que justice soit faite pour espérer une

    réconciliation entre les peuples. Nonobstant les difficultés diverses et complexes faisant

    obstacle à la création d’un instrument international pour la justice, nous avons pu observer des

    efforts considérables, tant de la part de certains Etats que d’organisations non

    gouvernementales, qui ont œuvré pour obtenir une justice équilibrée et ainsi mettre un terme

    aux crimes contre l’humanité2. Pour mieux comprendre le Statut actuel de la justice pénale

    internationale, nous présenterons l’évolution historique du projet de création de la CPI (A)

    avant de présenter plus précisément la CPI et le Conseil de sécurité (B).

    (A) L’évolution historique du projet de création de la Cour pénale internationale

    L’idée d’une juridiction pénale internationale, ou encore d’une CPI, trouve ses

    origines au début du dix-neuvième siècle, la première proposition sérieuse ayant été avancée

    par Gustave Moynier, l’un des fondateurs du comité international de la Croix-Rouge. Ce

    comité a proposé de créer une CPI sur la base de la Convention de Genève de 18543. Cette

    Convention ainsi que celle de Saint-Pétersbourg de 1868 sont les premières à agir en faveur

    de l’amélioration du sort des militaires blessés sur les champs de bataille. Cependant ce

    projet, comme bien d’autres d’ailleurs, ne s’est pas concrétisé. Jusqu’à ce que Moynier

    propose d’établir un Tribunal international permanent, presque toutes les affaires de violation

    du droit de la guerre étaient jugées par des tribunaux ad hoc, constitués par des adversaires

    généralement vainqueurs, et non par des tribunaux ordinaires ou par un Tribunal pénal

    international. Ces conventions mettent en évidence l’exigence de concilier les nécessités de la

    guerre avec les lois de l’humanité en traitant essentiellement des moyens d’atténuer au mieux

    les ravages de la guerre et en interdisant l’usage de certaines armes4. Toutefois, dix ans

    1 Bukhari de Pontual (S.), Naissance difficile d’une Cour pénale internationale, Acteurs du monde, Revue

    projet 303/2008, p. 9. 2 Ibid, pp. 8-10. Voir aussi : Condé (P.Y.), Quatre témoignages sur la justice pénale internationale : entre ordre

    public international et politiques de justice, éditions juridiques associées, Droit et société 2004/3, N° 58, pp.

    567-569. 3 Huyghe (FB.), L’impureté de la guerre, RICR, Vol.91, 2009, pp. 31-33. 4 Bassiouni (C.), Le long chemin jusqu’à Rome, Nouvelle étude pénale, 1999, N° 13, p. IV.

  • 15

    devaient encore s’écouler avant que l’idée de Moynier de créer une CPI permanente ne soit à

    nouveau envisagée sérieusement1. La Guerre Froide fut un événement marquant en ce qui

    concerne les efforts menés en vue de la création d’une CPI. C’est pourquoi nous distinguerons

    dans notre étude l’évolution du projet de création de la CPI avant (1) et après la Guerre Froide

    (2).

    1. L’évolution historique de la création de la Cour pénale internationale avant la Guerre Froide

    L’émergence au niveau mondial de la responsabilité pénale internationale

    individuelle semble remonter à la déclaration de mise en garde adressée le 24 mai 1915 par la

    France, la Grande-Bretagne et la Russie à la Sublime Porte pour les crimes commis contre les

    Arméniens. Cette déclaration, sans doute inspirée par des considérations morales et même

    moralisatrices, doit néanmoins être analysée dans le contexte de son époque. En réalité, la

    première esquisse d’une juridiction internationale va résulter de la constitution d’une justice

    pénale internationale. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la Communauté

    internationale a cherché à établir une CPI permanente. En 1919 plus précisément, une

    Commission d’enquête sur la responsabilité des auteurs des crimes commis au cours de la

    Première Guerre mondiale a vu le jour. C’est une fois de plus le niveau de barbarie atteint

    pendant les conflits et les incroyables souffrances subies qui devaient faire germer une

    juridiction internationale. Cette première ébauche de juridiction internationale était le fruit

    quasi exclusif d’une logique de pays affirmant leur suprématie politique et militaire, et non

    celui d’une conscience collective de la nécessité de trouver une réponse juridictionnelle

    internationale aux crimes de même nature. Même si ce fut une tentative sérieuse, elle ne verra

    jamais le jour car d’une part les Pays-Bas avaient refusé de livrer Guillaume II2, qui avait 1 Keithall (C.), Première proposition de création d’une Cour pénale internationale permanente, RICR, N° 829,

    1998, pp. 59-60. 2 Pour plus d’informations, voir : Lavenue (J.), Histoire du Droit international pénal, cours de droit

    international pénal, faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Université de Lille 2 Droit et Santé,

    2008, pp. 2-5. IPEUT, La genèse de la cour, article disponible sur : http://www.ipeut.com/droit/la-

    constitution/164/la-genese-de-la-cour53369.php, référence de la page consultée le 4 décembre 2011.

    Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions

    pénales internationales, article disponible sur : http://www.memoireonline.com/06/09/2106/La-problematique-

    de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int.html, référence de la page

    consultée le 10 décembre 2011.

    http://droit.univ-lille2.fr/index.php?id=230http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=L'id%C3%A9e+de+constituer+une+juridiction+universelle+pour+juger+les+crimes+les+plus+attentatoires+%C3%A0+l'essence+de+l'humanit%C3%A9,+c'est-%C3%A0-dire+ceux+qui+seront+progressivement+qualifi%C3%A9s+comme+crimes+internationaux+en+droit+international&source=web&cd=1&cad=rja&ved=0CDIQFjAA&url=http%3A%2F%2Fdroit.univ-lille2.fr%2Findex.php%3Fid%3D503&ei=gi0ZUcn3B8O40QXK8IHoCw&usg=AFQjCNEULmpJmXj0_V3NeT5CFg8zr1qTrQ&bvm=bv.42080656,d.d2khttp://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=L'id%C3%A9e+de+constituer+une+juridiction+universelle+pour+juger+les+crimes+les+plus+attentatoires+%C3%A0+l'essence+de+l'humanit%C3%A9,+c'est-%C3%A0-dire+ceux+qui+seront+progressivement+qualifi%C3%A9s+comme+crimes+internationaux+en+droit+international&source=web&cd=1&cad=rja&ved=0CDIQFjAA&url=http%3A%2F%2Fdroit.univ-lille2.fr%2Findex.php%3Fid%3D503&ei=gi0ZUcn3B8O40QXK8IHoCw&usg=AFQjCNEULmpJmXj0_V3NeT5CFg8zr1qTrQ&bvm=bv.42080656,d.d2khttp://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=L'id%C3%A9e+de+constituer+une+juridiction+universelle+pour+juger+les+crimes+les+plus+attentatoires+%C3%A0+l'essence+de+l'humanit%C3%A9,+c'est-%C3%A0-dire+ceux+qui+seront+progressivement+qualifi%C3%A9s+comme+crimes+internationaux+en+droit+international&source=web&cd=1&cad=rja&ved=0CDIQFjAA&url=http%3A%2F%2Fdroit.univ-lille2.fr%2Findex.php%3Fid%3D503&ei=gi0ZUcn3B8O40QXK8IHoCw&usg=AFQjCNEULmpJmXj0_V3NeT5CFg8zr1qTrQ&bvm=bv.42080656,d.d2khttp://www.ipeut.com/droit/la-constitution/164/la-genese-de-la-cour53369.phphttp://www.ipeut.com/droit/la-constitution/164/la-genese-de-la-cour53369.phphttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int.htmlhttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int.html

  • 16

    trouvé refuge sur leur territoire et d’autre part la volonté politique des pays vainqueurs de

    contraindre l’Allemagne à livrer les huit cent quatre-vingt-neuf présumés criminels de guerre

    faisait défaut. Même si cette disposition ne faisait référence qu’aux seuls crimes de guerre,

    elle avait affirmé l’existence d’une morale internationale, c’est-à-dire d’une norme de nature

    universelle transcendant les frontières et les souverainetés1. Ainsi a-t-il fallu attendre le Traité

    de Versailles de 1919, qui devait mettre fin définitivement à la Première Guerre mondiale et

    qui prévoyait l’instauration d’une juridiction pénale internationale, pour que les Etats

    envisagent pour la première fois de confier à une juridiction internationale le soin de juger un

    individu, même s’il était le chef de cet Etat2. L’article 227 de ce Traité prévoyait en effet qu’il

    devait être jugé pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée

    des traités ». Cette disposition, bien que nullement appliquée puisque le Kaiser, réfugié aux

    Pays-Bas, n’a pas été jugé, n’en constituait pas moins la première brèche dans l’édifice d’un

    droit international aujourd’hui qualifié de classique, qui ne reconnaissait d’autres sujets de

    droit que l’Etat : pour la première fois il était envisagé de lever le voile étatique pour mettre

    en examen un individu3. Par ailleurs, au cours des années qui suivirent l’année 1919, plusieurs

    tentatives, marquées d’efforts et d’espoirs, en vue de créer une véritable juridiction pénale

    internationale ont échoué. En effet, les deux Conventions de 1937 ne sont jamais entrées en

    vigueur faute de ratification. Or, à la même époque, quatre tribunaux ad hoc et cinq

    Commissions d’investigation ont été établis suivant la volonté des Alliés pour juger les

    criminels de guerre de l’Axe. La création du Tribunal de Nuremberg puis celle du Tribunal

    1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, Inédit Essais, Paris, 2000, p. 9. Voir aussi :

    Lavenue (J.), Histoire du Droit international pénal, op. cit., pp. 2-6. Le Traité de Versailles de 1919 (articles

    227, 228 et 229). Voir aussi : Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit

    international par les juridictions pénales internationales, op. cit.,

    http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-

    international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 Farget (D.), La reconstruction juridique de l'Irak et de l'Afghanistan et l'influence des systèmes juridiques

    occidentaux, publication de l'Université de Montréal, Centre de Recherche en Droit Public, 2009, pp. 9-11. Voir

    aussi : Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les

    juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-

    de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 3 Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, op. cit., p. 700. Voir aussi : Mujanayi (J.C), Les innovations et

    insuffisances de la Cour pénale internationale par rapport au Droit pénal congolais, article disponible sur :

    http://www.memoireonline.com/10/12/6276/Les-innovations-et-insuffisances-de-la-Cour-Penale-Internationale-

    par-rapport-au-Droit-Penal-congo.html, référence de la page consultée 11 novembre 2011.

    http://droit.univ-lille2.fr/index.php?id=230http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=L'id%C3%A9e+de+constituer+une+juridiction+universelle+pour+juger+les+crimes+les+plus+attentatoires+%C3%A0+l'essence+de+l'humanit%C3%A9,+c'est-%C3%A0-dire+ceux+qui+seront+progressivement+qualifi%C3%A9s+comme+crimes+internationaux+en+droit+international&source=web&cd=1&cad=rja&ved=0CDIQFjAA&url=http%3A%2F%2Fdroit.univ-lille2.fr%2Findex.php%3Fid%3D503&ei=gi0ZUcn3B8O40QXK8IHoCw&usg=AFQjCNEULmpJmXj0_V3NeT5CFg8zr1qTrQ&bvm=bv.42080656,d.d2khttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.htmlhttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.htmlhttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.htmlhttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.htmlhttp://www.memoireonline.com/10/12/6276/Les-innovations-et-insuffisances-de-la-Cour-Penale-Internationale-par-rapport-au-Droit-Penal-congo.htmlhttp://www.memoireonline.com/10/12/6276/Les-innovations-et-insuffisances-de-la-Cour-Penale-Internationale-par-rapport-au-Droit-Penal-congo.html

  • 17

    militaire international pour l’Extrême-Orient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

    ont concrétisé pour la première fois cette idée.1

    L’Accord de Londres du 8 août 1945 mettait ainsi en place le Tribunal militaire

    international de Nuremberg chargé de juger les plus grands criminels de guerre des pays

    européens de l’Axe coupables de crime contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre

    l’humanité. Ni la qualité de dirigeant d’Etat, ni l’obligation d’obéir aux ordres de supérieurs,

    ne constituaient des circonstances excluant la responsabilité internationale pénale individuelle

    des auteurs de crimes contre l’humanité. Du reste, en ce qui concerne le Tribunal de Tokyo,

    son Statut était joint à la proclamation spéciale du Commandant en Chef suprême pour les

    Puissances Alliées faite à Tokyo le 19 janvier 1948. Mais aucune poursuite, hormis celle

    engagée par le Tribunal de Tokyo, ne fut entreprise par le Japon contre ses propres

    ressortissants2. Le Tribunal de Nuremberg, celui de Tokyo ainsi que les poursuites ultérieures

    par les Alliés constituent des précédents significatifs en vue d’établir un système efficace de

    justice pénale internationale. Ces décisions historiques ont développé de nouvelles normes

    légales et des normes de responsabilité qui ont fait évoluer le droit international. Avec le

    temps, ces précédents ont acquis une certaine légitimité qui laisse présager la naissance d’une

    justice pénale internationale. Il est ainsi incontestable que les tribunaux de Nuremberg et de

    Tokyo, dans le contexte de l’époque de leur création, furent un pas important pour la

    naissance de l'idée d’une CPI3. Le 21 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adopte

    la création d’une Commission du droit international/CDI ayant pour mandat l’élaboration des

    principes reconnus par la Charte de Nuremberg. Un projet de Statut d’une CPI est alors

    proposé en 1951 puis révisé en 1953. L’Assemblée générale de l’ONU a invité la CDI à

    formuler les principes du droit international reconnus dans la Charte du Tribunal de

    1 Donnadieu (V.), Le procès de Nuremberg, RCADI, 1947, vol. 70, p. 482. 2 Bassiouni (C.), L’expérience des premières juridictions pénales internationales, in Ascensio (H.), Decaux

    (E.), Pellet (A.), Droit international pénal, Pédone, Paris, 2000, pp. 653-654. Voir aussi : Costes (E.),

    Harnequaux (A.), Tripoteau (C.), Le Tribunal militaire international de Tokyo, IEP 4ème année, Séminaire

    justice internationale M. Raimbault, pp. 3-4. Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op.

    cit., pp. 15-19. 3 Bassiouni (C.), Une étude historique de la Cour pénale internationale : 1919-1998, Nouvelles études pénales,

    13 quater, Toulouse, Erès, p. 13. Voir aussi : Néron (J.), La justice et l’histoire dace aux procès pour crimes

    contre l’humanité : entre la mémoire collective et la procédure, Mémoire de fin d’étude de DEA, présenté à

    l’Université de Montréal, 2010, pp. 1-15.

  • 18

    Nuremberg1. L’année suivante, le 9 décembre 1948, toujours suivant les mêmes principes

    inspirateurs, une nouvelle sollicitation est prononcée à la CDI par l’Assemblée générale, à

    savoir examiner le caractère propice de la conjoncture. La résolution dit : « souhaitable et

    possible » à la création d’un organe judiciaire pénal, notamment « une chambre pénale de la

    Cour internationale de Justice». Au même temps, les rédacteurs de la Convention pour la

    prévention et la répression du crime de génocide demandaient la mise en place d’une CPI car

    ils avaient anticipé le fait que les personnes accusées de ce crime puissent être renvoyées

    devant une telle cour2. L’idée d’instituer une juridiction internationale pour traiter des crimes

    les plus graves semblait donc pouvoir recevoir un accueil favorable après ces événements qui

    avaient heurté la conscience de la Communauté internationale. Toutefois, des raisons

    juridiques mais aussi et surtout politiques entraînèrent la suspension de ces travaux jusqu’à

    des temps plus propices. Juridiquement, l’existence des divergences juridiques sur la

    définition de l’agression a entrainé en 1954 le report sine die des travaux du comité

    préparatoire. Notons d’ailleurs que, politiquement, la Guerre Froide n’était pas une période

    favorable à un compromis global mais plutôt à un affrontement des souverainetés. L’absence

    de synchronisation entre les travaux sur le projet de Statut d’une cour pénale n’était pas

    fortuite mais résultait d’une volonté politique de retarder l’établissement d’une CPI à une

    époque où le monde était profondément divisé et au bord de la guerre. Autrement dit, après

    ces tentatives sérieuses d’établir une CPI, le monde entier a vécu une période où ce concept

    idéaliste a été oublié. Cette fois, ce n’était pas dû à un manque de volonté internationale mais

    bien au contexte de Guerre Froide qui paralysait tous les efforts internationaux conduisant à

    l’établissement d’une CPI3.

    1 Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, RIDP, vol.76/2005, Nos 3-4,

    p. 343. Voir aussi : Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale, op. cit., p. 2. Mutabaruka

    (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales

    internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-

    crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 David (E.), La Cour pénale internationale : une Cour en liberté surveillée ?, in International law forum, 1998,

    p. 20. 3 Bassiouni (C.), L’expérience des premières juridictions pénales internationales, op. cit., p. 654. Voir aussi :

    Aziz (A.), L’action de la Cour pénale internationale au Darfour, Mémoire de fin d’étude de DEA, présenté à

    l’Université de Liège, 2010, pp. 8-9.

    http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.htmlhttp://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html

  • 19

    2. L’évolution historique de la création de la Cour pénale internationale après la Guerre Froide

    Comme nous venons de le mentionner, la justice pénale internationale, pourtant

    envisagée dans les premières années de l’ONU, a connu une longue période de défaillance

    tout au long de la Guerre Froide, et ce malgré les multiples violations des Droits de l’Homme

    et la perpétration des crimes contre l’humanité. Une question se pose cependant concernant la

    Guerre Froide : pourquoi a-t-elle interrompu les progrès du projet d’une CPI ? Cela est-il

    réellement dû à l’engagement des Etats-Unis dans cette guerre ? Ce pays belligérant sur

    différents fronts craignait-il l’instauration d’une Cour devant laquelle ses ressortissants

    seraient susceptibles d’être poursuivis pour les crimes commis au cours de ces conflits ?

    Tandis que les Etats-Unis soutenaient à l’origine l’idée d’une CPI, ce refus de laisser juger

    leurs citoyens par des tribunaux impartiaux persistera-t-il après l’institution d’une telle

    Cour 1? La Guerre Froide faisant barrage à la réalisation d’une telle juridiction, il a fallu

    attendre la fin de cette période pour la reprise des travaux préparatoires d’une CPI, et pour

    parvenir à l’adoption d’un projet de Statut de cette dernière2.

    Entre temps, l’ampleur des crises humanitaires ainsi que la gravité des violations des

    droits fondamentaux de l’Homme perpétrées à l’encontre des civils dans l’ex-Yougoslavie ont

    amené l’ONU, spécialement le Conseil de sécurité, en vertu de ses pouvoirs de maintien de la

    paix et de la sécurité internationales, à prendre cette situation en main en jugeant les

    responsables de ces massacres. Une telle situation nécessiterait l’intervention et par là même

    l’existence d’une CPI mais l’ONU, représentée par le Conseil de sécurité, a choisi

    d’emprunter la voie la plus rapide. En effet, ce dernier ne souhaitait nullement la mise en

    place d’une CPI permanente, ayant pour compétence de juger tous ceux qui s’attaqueraient à

    la paix et la sécurité internationales. Il a recouru à des solutions provisoires par la création de

    juridictions internationales, fonctionnant plus ou moins sous son contrôle. Ainsi, avec la

    question de l’ex-Yougoslavie (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie/TPIY), le

    Conseil a réagi, bien que ses pouvoirs ne soient pas clairement définis3, en prenant en 1993 la

    résolution N° 827 instituant un tribunal pour juger les responsables de crimes contre

    1 Pour plus d’informations sur ce point, voir : infra, pp. 205-209. 2 Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 343. 3 Voir : infra, pp. 36-38.

  • 20

    l’humanité et les violations massives du droit international humanitaire1. Par ailleurs, l’idée

    d’un mécanisme juridictionnel international n’est pas restée lettre morte. En effet, en 1994 la

    CDI présentait enfin son projet de Statut portant création de la CPI à l’ONU, et le processus

    de création d’une Cour permanente est entré dans sa phase diplomatique. Mais cette année-là,

    d’autres événements, à savoir les massacres du Rwanda, témoignent de graves violations du

    droit international humanitaire et des droits de l’Homme et ce depuis l’année 1991 selon les

    rapports du Secrétaire général de l’ONU. Face à cette nouvelle situation, l’ONU et son

    Conseil de sécurité ont préféré suivre la même direction que pour l’ex-Yougoslavie : créer

    une nouvelle fois un tribunal pour juger les responsables de ces crimes commis au Rwanda

    (Tribunal pénale international pour Rwanda/TPIR), par la résolution N° 955 de 1994, et

    tourner le dos au projet d’une CPI permanente porté par la CDI. D’autant que les Statuts de

    ces deux tribunaux ont sans aucun doute largement bénéficié des résultats des travaux de la

    CDI2. Une nouvelle étape fut franchie en 1996, à savoir un événement laissant les mains

    libres à l'ONU et à son Conseil de sécurité pour représenter à nouveau le commanditaire

    principal de la paix et la sécurité internationales. Cette tragédie se déroulait sur le territoire de

    la Sierra Leone qui a connu une guerre civile. Des crimes épouvantables ont été commis dans

    la région, notamment des crimes contre l’Humanité, qui portaient atteinte, du point de vue du

    Conseil de sécurité, à la paix et la sécurité internationales. A la fin de ce conflit, le

    gouvernement de la Sierra Leone demande à l’ONU de l’aider à mettre en place un moyen

    pour traiter des crimes commis pendant les affrontements restés impunis. L’ONU, toujours

    représentée par le Conseil, prend cette demande en considération et y puise une nouvelle

    raison de poursuivre sa politique. Aussi, le 16 janvier 2002 est créé par un accord entre le

    gouvernement sierra léonais et l’ONU un Tribunal Spécial pour la Sierra Leone/TSSL dont le

    but est de poursuivre les personnes qui s’avèreraient porter les plus grandes responsabilités

    dans les graves violations du droit humanitaire international et de la Loi de la Sierra Leone

    qui ont eu lieu dans cette région depuis le 30 novembre 19963. La constitution de ces trois

    1 Chrestia (P.), L’influence des droits de l’Homme sur l’évolution du droit international contemporain, RTDH,

    1999, N° 40, p. 734.Voir aussi : la résolution 827 du 25 mai 1993 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/827

    (1993). 2 La résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/955(1994). 3 Lefranc (S.), La justice transitionnelle n’est pas un concept, la Découverte-Mouvements, 2008/1 - N° 53, p.

    65. Voir aussi : Adenuga (M.), Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et ses effets sur l’accord d’amnistie de

    Lomé, la Découverte-Mouvements, 2008/1 - N° 53, p. 126. La résolution 1315 du 14 août 2000 du Conseil de

    sécurité, UN.Doc.S/RES/1315 (2000).

  • 21

    tribunaux découle des bouleversements du contexte international, à savoir la fin de la Guerre

    Froide accompagnée d’un consensus politique nouveau au sein du Conseil de sécurité1.

    Nonobstant, à cette époque, la réelle possibilité de l’existence d’une CPI permanente, l’ONU,

    ou plutôt le Conseil de sécurité, a concrétisé son objectif de création de deux tribunaux, l’un

    pour l’ex-Yougoslavie et l’autre pour le Rwanda. Malgré des difficultés de fonctionnement,

    ces deux tribunaux eurent un impact considérable dans l’histoire de la justice pénale

    internationale. Mais dans le même temps, rappelons que, ayant été créés par des résolutions

    adoptées dans le cadre du chapitre VII, ils fonctionnent sans le consentement des Etats2.

    Revenons en 1995, alors que l’Assemblée générale décide dès lors de mettre en place

    un comité préparatoire pour examiner les modalités d’établissement de la CPI3. En 1996, elle

    confirme le mandat octroyé à la Commission préparatoire. Entre 1996 et 1998, se tiennent à

    New York six comités préparatoires qui deviennent alors le lieu d’une intense activité des

    ONG, ces dernières ayant gagné en maturité politique et technique. En mars 1998, le Comité

    préparatoire adopte finalement un projet de Statut consolidé ainsi qu’un projet d’acte final

    renforcé. Lors d’une ultime réunion, il soumet un texte synthétique reflétant cependant de très

    larges divergences de vues entre Etats. Ce texte est proposé lors d’une conférence

    diplomatique qui se déroule à Rome du 15 juin au 17 juillet 1998 en vue de négocier ce projet

    de Statut d’une CPI : 160 Etats ainsi que des centaines d’ONG participent à ces cinq semaines

    d’intenses discussions4.

    Pendant la phase préparatoire qui se déroule dans la même ville, le projet de base de

    la CDI est porté par une coalition de pays appartenant aux différents groupes régionaux. Un

    groupe auto-baptisé d’Etats pilotes se ferme progressivement aux autres groupes, s’octroyant

    pour objectif commun l’aboutissement rapide des travaux au détriment parfois du contenu du

    Statut, de sa cohérence et de sa précision. Tous les membres de l’Union Européenne ainsi que

    la Suisse, le Canada, l’Australie, l’Argentine, l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Corée du Sud et

    Singapour se rassemblent dans cette coalition. En revanche, les Etats les plus réticents que 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 23. 2 Chrestia (P.), L’influence des droits de l’Homme sur l’évolution du droit international contemporain, op. cit.,

    pp. 735-736. 3 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 22-23. 4 Dobelle (JF.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, AFDI, 1998, pp. 356-

    375.

  • 22

    sont la Chine, les Etats-Unis et l’Inde s’expriment peu jusqu’à une date avancée du processus.

    Ainsi, les Etats-Unis n’ont jamais dévoilé leur carte maîtresse lors du commentaire de certains

    articles, même dans les dernières heures précédant l’adoption du Statut. Ce n’est qu’à partir

    de 1997 qu’ils commencent à faire part de leurs réserves à l’égard de ce Statut. En effet,

    Washington semblait n’avoir jamais accepté la remise éventuelle de citoyens américains à une

    juridiction pénale internationale1. Pendant toutes les discussions, « les Etats-Unis ont donc

    tenté d’introduire des dispositions permettant de faire une distinction entre les méchants

    Etats obligés de coopérer avec la Cour et les gentils Etats dont les ressortissants seraient par

    principe renvoyés devant leur justice nationale »2. Jusqu’au 8 juillet, des efforts importants

    ont été déployés pour obtenir l’adhésion des Etats-Unis. Le 9 juillet, une longue liste

    d’exigences, contenant encore le principe de non-remise des nationaux, est présentée mais les

    Etats-Unis ont clairement exprimé leur refus de se joindre aux signataires3. Quoi qu’il en soit,

    l’impossibilité d’un échec a contraint à une logique de compromis délicats, et ce jusqu’au

    bout. Une série de textes de compromis a en effet été élaborée par le bureau de la commission

    plénière et des propositions ont été présentées à la conférence, rendant alors possible un

    accord sur les tenants et les aboutissants de cette Cour4.

    Le texte proposé par le Bureau le 17 juillet, dernier jour de la conférence, constitue la

    base de l’accord. Ce jour-là, le Statut est voté et approuvé par une majorité de plus des deux

    tiers : 120 Etats favorables, 7 contre et 21 abstentions. Le Statut de Rome de la CPI était ainsi

    adopté. Ce Statut et l’acte final étaient ouverts aux signatures. Lors d’une cérémonie présidée

    par le Secrétaire Général de l’ONU, le 18 juillet en fin d’après-midi, 26 Etats avaient signé.

    Sur le plan politique, la légitimité de la CPI ne peut être remise en question, car elle a été

    créée sous l’impulsion de l’Assemblée générale de l’ONU et non à la seule initiative du

    Conseil de sécurité, comme ce fut le cas pour les deux tribunaux ad hoc pour l’ancienne

    Yougoslavie et le Rwanda. Le Statut de Rome a dès lors acquis valeur de Traité soumis à

    1 Ibid, pp. 357-358. Pour plus d’informations, Voir : Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-

    Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, AFDI, 2003, pp. 27-32. 2 Dobelle (JF.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 357. 3 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale, op. cit., p. 32. Voir aussi : Dobelle (JF.), La

    Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 356-357. 4 Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, Nouvelle

    étude pénale, 1999, N° 13, pp. 52-53. Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale

    internationale, op. cit., p. 24.

  • 23

    signature et à ratification. Il faut donc souligner que, du point de vue des pays favorables à la

    création de cette Cour et à son entrée en fonction rapide, l’adoption de ce Statut représente en

    soi un résultat extrêmement positif1. La CPI est devenue une réalité, son Statut étant entré en

    vigueur, adopté par un Traité qui établit cette Cour. Puisque les tribunaux de Nuremberg et de

    Tokyo représentent la justice du vainqueur, une question reste néanmoins à élucider : quel

    sera donc, en la matière, l’avenir de la CPI ?

    (B) Présentation de la Cour pénale internationale et du Conseil de sécurité

    La mise en place de la CPI est l’aboutissement d’un long cheminement débuté en

    1872 à Genève et achevé en 1998 à Rome2. Ce parcours rend évidente la vocation d’une

    justice pénale internationale ainsi que l’obligation des responsables de crimes contre

    l’humanité d’en rendre compte à la justice. Les institutions juridiques mais aussi sociales,

    politiques, économiques, sont indispensables à la réalisation d’une justice internationale.

    Cette idée doit bien évidemment subsister et s’appliquer dans les sociétés nationales et

    internationales afin de mener à bien les objectifs de cette justice orientés vers ces valeurs3.

    Malgré la faiblesse de certains compromis, la Conférence a marqué un recul de la culture de

    l’impunité4. Le succès de la conférence de Rome est notable. Mais mener à bien ce projet ne

    dépend pas uniquement de l’activité et de l’instrument juridique, que ce soit au niveau

    national ou international, mais également d’autres instruments, en particulier des institutions

    politiques comme le Conseil de sécurité. C’est pourquoi nous aborderons les relations que la

    CPI entretient avec le Conseil de sécurité de l’ONU. Ce que nous développerons dans cette

    introduction n’est en rien inédit, mais le fait de présenter le fondement, la structure et les

    fonctions de la CPI et du Conseil de sécurité s’avère nécessaire puisque notre recherche

    s'appuie de façon incontournable sur ces deux organes. Il conviendra par conséquent de

    présenter dans un premier temps ces deux organes mais aussi leurs pouvoirs, leurs missions et

    les objectifs qui leur sont confiés, pour pouvoir préciser par la suite dans quelle mesure ces

    1 Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, JDI, 129/2002, N° 2, p. 431.Voir

    aussi : Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit.,

    p. 53. 2 Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, op. cit., p. 699. 3 Bassiouni (C.), Une étude historique de la Cour pénale, op. cit., p. 1. 4 Politi (M.), Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale : le point de vue d’un négociateur, RGDIP,

    113/1999, N° 4, p. 823.

  • 24

    entités se sont écartées de leurs objectifs premiers et ont bafoué leurs missions en abusant de

    leurs pouvoirs. Nous procèderons à une présentation générale tout d’abord de la CPI (1) puis

    du Conseil de sécurité (2).

    1. Présentation générale de la Cour pénale internationale

    En 1998, la Commission des Affaires Etrangères de la Défense et des Forces Armées

    du Sénat français avait déclaré : « Le siècle prochain s'ouvrira peut-être sur une innovation

    majeure : avec la création de la Cour pénale internationale, les auteurs et les instigateurs des

    crimes les plus graves contre le droit international humanitaire sauront qu'ils auront à rendre

    compte de leurs actes. Quelle rupture plus éloquente avec ce siècle qui s'achève et qui fut

    celui de l'impunité pour tant de responsables d'actions inqualifiables ? »1. Désormais,

    l’existence de cette institution est acquise et son rôle est une réalité sur la scène internationale.

    Mais la question est celle de sa capacité à rendre la justice, à faire cesser les massacres et à

    mettre fin à l’impunité des responsables. Sans s’arrêter sur les détails des négociations qui ont

    caractérisé les cinq semaines des travaux de la conférence, indiquons qu’étaient présentes les

    délégations de plus de cent soixante Etats, auxquelles il faut ajouter plusieurs organisations

    internationales et quelques centaines d’ONG.

    • L’organisation de la Cour pénale internationale

    L’entrée en vigueur du Statut de la CPI est subordonnée à soixante ratifications.

    Cette clause est difficile à satisfaire2. Cette Cour est une institution internationale permanente

    créée en vertu du Traité de Rome après avoir été négociée entre les Etats présents à la

    conférence diplomatique de Rome3. La CPI est une innovation hardie et sa création convient

    1 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des

    forces armées, rapport du sénat, Paris, 27 avril 1999. 2 Daillier (P.), Nguyen (D.), Pellet (A.), Le droit international public, 7e édition, LGDJ, Paris, 2002, p. 1455.

    Voir aussi : Keithall (C.), Première proposition de création d’une Cour criminelle internationale permanente,

    op. cit., pp. 61-62. 3 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale. RGDIP, 102-1998, N° 4, p. 983. Voir

    aussi : Zappala (S.), La justice pénale internationale, Montchrestien, Paris, 2007, p. 105. Coulée (F.), Sur un

    Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 36-

    37.

  • 25

    au mouvement contemporain en faveur d’une juridiction criminelle interétatique, mouvement

    destiné à acquérir une ampleur et une force croissante de par sa conformité à l’évolution subie

    par le droit dans tous les groupements humains1. Ce n’est pas un organe supranational mais

    international semblable à d’autres existants2. En effet, la Cour ne se substitue pas à la

    compétence pénale nationale mais elle la complète car le Statut de cette Cour a adopté le

    principe de complémentarité où la priorité est donnée aux compétences nationales3. Les

    objectifs de la CPI sont multiples : établir une justice exemplaire et rétributive, fournir une

    réparation aux victimes, effectuer le devoir de mémoire, renforcer les valeurs sociales et la

    droiture individuelle, éduquer les générations présentes et à venir, et le plus important,

    décourager et prévenir de futurs actes répréhensifs. Comme pour toute institution humaine, le

    succès de la Cour dépend de ceux qui en feront partie. Néanmoins, ceux-ci nécessiteront les

    ressources et le soutien politique de nombreux Etats afin que le fonctionnement de cette

    institution au rôle considérable soit géré avec efficience. A en juger par la vague de soutien

    témoignant du bien-fondé de cette institution, les perspectives semblent lui être favorables4.

    Dès l’amorce des travaux préparatoires, remarquons, au travers des négociations, que

    l’adoption du Statut de la Cour n’a été possible que par l’affirmation du principe de

    complémentarité de la compétence de la Cour par rapport à celle des juridictions nationales.

    Ce principe est à l’inverse du TPIY et du TPIR puisque ces deux juridictions bénéficient

    d’une primauté sur les juridictions nationales5. Concernant la CPI, il est utile de remarquer

    que le préambule précise que les Etats conservent leur obligation de poursuivre les personnes

    présumées responsables de crimes internationaux et que la Cour est simplement

    complémentaire des juridictions des Etats6. De plus, l’article premier du Statut de Rome

    réaffirme aussi cette relation entre juridictions internationales et internes en prévoyant de

    1 Sottile (A.), Le terrorisme international, RCADI, 1938, vol. III, p. 175. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale

    internationale (article I). Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de

    la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 31-34. 2 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 4. 3 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. Voir aussi : Le Statut de la Cour

    pénale internationale (article 5). Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p.

    985. 4 Bassiouni (C.), Etude historique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 2. 5 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 95. 6 Le Statut de la Cour pénale internationale (le point 6 du préambule).

  • 26

    manière explicite que la Cour est complémentaire des juridictions criminelles nationales. Une

    lecture des articles 17 et 18 du Statut de Rome relatifs aux questions d’admissibilité semble

    d’ailleurs confirmer cette idée. L’examen de telles dispositions atteste que la Cour est

    compétente pour mener des enquêtes et engager des poursuites dans certains cas : lorsque le

    système juridique national s’effondre ou lorsqu’il refuse ou manque à son obligation juridique

    d’enquêter et de poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis des crimes relevant de la

    compétence de la Cour ou de punir les personnes coupables de tels crimes1.

    Par ailleurs, le Statut prévoit que la Cour est composée de dix-huit juges devant

    représenter équitablement les deux sexes et les différents systèmes juridiques du monde, élus

    pour neuf ans et non rééligibles2. Aucune limite d’âge n’est prévue. Les dix-huit juges sont

    élus par l’assemblée des Etats parties. En matière de droit international3, le Statut n’autorise

    pour chaque Etat qu’une candidature, cette dernière n’ayant pas forcément la nationalité de

    l’Etat qu’elle représente mais obligatoirement celle d’un Etat partie4. Le Statut, par les articles

    40 et 41, garantit l’indépendance et l’impartialité des juges5. La Cour est quant à elle

    composée d’une présidence, de trois sections juridictionnelles, d’une section d’appels, d’une

    section de première instance et d’une section préliminaire, mais aussi du bureau du Procureur

    et du greffe :

    - La présidence est composée de trois juges, d’un président, d’un premier et

    d’un second vice-président. Cette section est chargée de l’administration de la Cour,

    à l’exception bien sûr du bureau du Procureur6.

    - Le greffe est dirigé par un greffier et un greffier adjoint mais il n’est pas un

    organe autonome, il est placé sous l’autorité du Président de la Cour et est chargé de

    l’administration non judiciaire7.

    1 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 5. Voir aussi : Le

    Statut de la Cour pénale internationale (articles 1, 17 et 18). 2 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. 3 Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, in Colloque Droit et Démocratie, la Cour pénale

    internationale, La Documentation française, Paris, 1999, pp. 29-34-35. 4 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. 5 Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., p. 35. 6 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 29. 7 Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale internationale, les principaux points du traité adopté sous

    l’égide des Nations Unies, in La justice pénale internationale, Dossier d’actualité mondiale, p. 29. Voir aussi :

  • 27

    - Les chambres sont réparties en trois sections : la section des appels comprend

    le président et quatre autres juges. La section de première instance comprend six

    juges et peut être constituée en une ou plusieurs chambres de première instance,

    chacune de ces chambres étant composée de trois juges. La section préliminaire

    comprend également six juges et peut être formée d’une ou plusieurs chambres

    préliminaires, chacune composée normalement de trois juges ou d’un juge unique

    pour les cas qui sont précisés par le Statut ou qui le seront par le règlement de

    procédure et de preuve.

    - Le bureau du Procureur : l’article 42 détermine le Statut et la fonction du

    Procureur, tout en précisant ses pouvoirs, les modalités de son élection ou de sa

    récusation, ainsi que les conditions requises pour l’accession à ce poste. Le Procureur

    est élu par l’assemblée des Etats parties. Il en va de même pour le ou les Procureurs

    adjoints élus sur une liste de candidats proposée par le Procureur : leur mandat est de

    neuf ans non renouvelable1. Le bureau du Procureur est un organe indépendant de la

    Cour, dirigé par le Procureur, qui est assisté par un ou plusieurs Procureurs adjoints.

    Cette indépendance comme l’impartialité de ce bureau sont garanties par le Statut et

    non par le Procureur. Celui-ci est habilité à ouvrir des enquêtes de sa propre initiative

    sur la base de renseignements concernant les crimes relevant de la compétence de la

    Cour. S’il considère que des éléments suffisants justifient l’ouverture d’une enquête,

    il doit présenter à la Chambre préliminaire une demande d’autorisation en ce sens. Si

    celle-ci accède à cette demande, le Procureur le notifie à tous les Etats parties et aux

    Etats concernés2. Toutefois, il peut se voir sollicité par le Conseil de sécurité pour

    ouvrir une enquête en vertu d’une résolution prise dans le cadre du chapitre VII de la

    Charte de l’ONU3, tout comme les Etats parties et le Procureur4.

    Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., p. 29. Le Statut de la Cour pénale internationale

    (article 43). 1 Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., p. 23. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 42 et 43). 3 Pour plus d’informations sur ce point, voir : infra, pp. 58-68. 4 Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale internationale, les principaux points du traité adopté sous

    l’égide des Nations Unies, op. cit., pp. 29-35. Voir aussi : Fontanaud (D.), La justice pénale internationale,

    Problèmes politiques et sociaux, 27 août 1999, La Documentation française, N° 826, p. 58.

  • 28

    • La compétence de la Cour pénale internationale

    Le Statut de la CPI délimite, de façon précise, la compétence de cette Cour en

    déterminant les cas et les conditions dans lesquels elle peut exercer son rôle en tant

    qu'institution juridique. Cet axe a d’ailleurs constitué l'un des thèmes prépondérants

    approfondis lors des négociations à Rome mais aussi l’une des raisons pour lesquelles des

    Etats ont refusé d’adhérer à la Cour. Il était donc indispensable de déterminer la compétence

    de la Cour sans aucune ambiguïté. En réalité, une majorité des Etats partageait la perspective

    que la Cour acquerrait une compétence universelle mais subsistait conjointement une forte

    opposition américaine1. Les Etats-Unis ont en effet utilisé tous les moyens de pression afin de

    limiter la compétence de cette Cour, soutenant notamment que la juridiction de cette Cour

    violait les droits des Etats non parties au Statut en leur imposant des obligations auxquelles ils

    n’avaient pas consenti.

    Par ailleurs, l’article 12 dispose que « la Cour peut exercer sa compétence si l’un des

    Etats suivants ou les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la

    Cour conformément au paragraphe 3 : a) L’Etat sur le territoire duquel le comportement en

    cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord d’un navire ou d’un aéronef, l’Etat du

    pavillon ou l’Etat d’immatriculation. b) L’Etat dont la personne accusée du crime est un

    ressortissant ». Cet article ne limite pas la compétence de la CPI aux crimes commis sur le

    territoire d’un Etat partie puisque la cour est également compétente en cas de crimes commis

    par un citoyen d’un Etat partie2. C’est pourquoi a été menée une lutte acharnée contre

    l’élargissement de la compétence de la Cour prévu par cet article et de nombreuses tentatives

    des Etats-Unis ont vu le jour afin de subordonner toute investigation de la Cour au

    consentement préalable des Etats en question, a fortiori l’Etat de la nationalité de la personne

    accusée3. Il n’est pas surprenant que les Etats parties aient souhaité regrouper les questions

    relatives à la compétence de la Cour, et notamment aux conditions d’exercice de sa

    compétence. Rien, en effet, n’interdisait de prévoir des chapitres séparés s’agissant de cette 1 Zappala (S.), La justice pénale internationale, op. cit., p. 109. 2 Cet article appelé Conditions préalables à l’exercice de la compétence, prévoit que la Cour est compétente si le

    crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie et/ou la personne accusée du crime est un ressortissant d’un

    Etat partie. Voir : le rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 46e session, A/49/10. 3 Pour plus d’informations, voir : infra, pp. 205-209. Nous mettrons en évidence toutes les oppositions

    américaines concernant la Cour pénale internationale et sa compétence.

  • 29

    question fondamentale. Les Etats parties ont donc clairement exprimé leur souci de lier la

    question de la détermination des mécanismes de déclenchement de la compétence de la Cour

    à celle de la détermination de l’étendue de sa compétence, rappelant que la Cour devait avoir

    une vocation de nature universelle1.

    - Crimes relevant de la compétence de la Cour Le domaine de compétence matérielle déterminé par l’article 5 du Statut ne comporte

    que les quatre catégories de crimes en rapport étroit avec le maintien de la paix et de la

    sécurité internationales : les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de

    guerre et le crime d’agression. Le Statut de Rome a précisément défini ces crimes par les

    articles 6, 7,8 et 92. Toutefois, en ce qui concerne le crime d’agression, les Etats participant à

    la Conférence diplomatique n’ont pu s’entendre sur sa définition. Par conséquent, le Traité

    suspend à l’égard de ce crime la compétence de la Cour qui n’interviendra alors qu’après

    l’adoption d’un Amendement définissant l’incrimination et fixant les modalités de la saisine3.

    - La compétence ratione temporis La Cour est exclusivement compétente à partir du moment où le texte qui énonce son

    Statut entre en vigueur. En ce sens, l’article 11 du Statut affirme en effet que « La Cour n’a

    compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa compétence commis après l’entrée en

    vigueur du présent Statut». Cette question de la compétence ratione temporis est importante

    1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 34. 2 Condorelli (L.), La Cour pénale internationale : un pas de géant, RGDIP, vol. 103-1999, N° 1, p. 9. Voir

    aussi : le Statut de la Cour pénale internationale (article 6). Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale

    internationale, les principaux points du traité adopté sous l’égide des Nations Unies, op. cit., p. 58. Pour plus

    d’informations sur les définitions des crimes relevant de la compétence de la CPI, voir : le Statut de la Cour

    pénale internationale (articles 6-7-8 et 9). Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., pp. 46-47.

    Condorelli (L.), La Cour pénale internationale : un pas de géant, op. cit., p. 10. Weckel (P.), La Cour pénale

    internationale, présentation générale, op. cit., p. 985. Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des

    crimes internationaux : justice internationale, Pédone, Paris, 2007, pp. 36-37. Bassiouni (C.), Etude historique

    de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 50. Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale

    internationale, les principaux points du traité adopté sous l’égide des Nations Unies, op. cit., pp. 58-59. 3 Voir : infra, pp. 294-298 et 315-323. Voir aussi : Brana (P.), Rapport autorisant la ratification de la

    Convention portant Statut de la Cour pénale internationale, Assemblée nationale, enregistré à la Présidence de

    l'Assemblée nationale le 8 février 1999, Rapport fait au nom de la Commission des affaires étrangères sur le

    projet de Loi N° 2065, 1999, pp. 16-25.

  • 30

    s’agissant d’obligations consenties débouchant sur des sanctions pénales. Nous abordons

    également cette question sous un autre angle complémentaire : dans le cas où un Etat

    rejoindrait les signataires du Traité, la Cour ne serait compétente pour cet Etat qu’à l’égard

    des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut1. Cette disposition signifie donc que les

    crimes commis avant le premier juillet 2002, date de son entrée en vigueur, échappent à la

    juridiction de la Cour mais nullement que ces crimes demeureront impunis. Ils doivent dès

    lors être sanctionnés sur la base d’autres mécanismes de responsabilité2. Allons un peu plus

    loin : peut-on envisager que l’Etat puisse faire rétroagir la compétence de la Cour à des crimes

    commis avant son accession au Statut? En effet, l’article 11-2 du Statut dispose que « Si un

    Etat devient Partie au présent Statut après l’entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut

    exercer sa compétence qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut

    pour cet Etat, sauf si ledit Etat fait la déclaration prévue à l’article 12, paragraphe 3 ». Et le

    paragraphe 3 de l’article 12 énonce que : « Si l’acceptation de la compétence de la Cour par

    un Etat qui n’est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet

    Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa

    compétence à l’égard du crime dont il s’agit. L’Etat ayant accepté la compétence de la Cour

    coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX ». L’article

    12/3 confirme dès lors cette possibilité : un Etat pourrait donc, dans ces limites, reconnaître

    rétrospectivement la compétence de cette Cour3. La volonté stricte de cette Cour qui se

    1 Le Statut de la Cour pénale internationale, (article 11). L’article 11 appelé Compétence ratione temporis,

    stipule que : « 1. La Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après

    l'entrée en vigueur du présent Statut.

    2. Si un État devient Partie au présent Statut après l'entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa

    compétence qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du Statut pour cet État, sauf si ledit État

    fait la déclaration prévue à l'article 12, paragraphe 3 ». Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour

    pénale internationale, op. cit., p. 74. Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale

    internationale op. cit., p. 8. 2 Katansi (L.), Crimes et châtiments dans la région des Grands lacs, Cour pénale internationale, tribunaux

    internationaux, tribunaux nationaux. L’Harmattan, Paris, 2007, p. 170. 3 David (E.), La Cour pénale internationale, RCADI, 2005, N° 313, p. 345. Voir aussi : Le Statut de la Cour

    pénale internationale, (article 12). Cette modalité de la compétence de la CPI a été expérimentée dans la situation

    de la Côte d’Ivoire : des violences et des graves violations des droits de l’homme et du droit international ont été

    commises dans ce pays. La Côte d’Ivoire a signé le Statut de Rome le 30 novembre 1998 mais ne l’a jamais

    ratifié. En avril 2003, la Côte d'Ivoire a accepté la compétence de la CPI en vertu des dispositions de l'article 12-

    3 du Statut de Rome. C’est la première fois que la Cour a ouvert une enquête sur cette base. Le Procureur a

  • 31

    manifeste d’abord dans la définition de sa compétence1 présente alors le double avantage de

    faciliter l’adhésion au Traité et d’éviter certaines saisines polémiques qui risqueraient de

    politiser l’action du juge. Par ailleurs, la doctrine semble le tolérer dans le respect de la règle

    nullum crimen sine lege. Il semble pourtant difficile d’imaginer que la Cour puisse être saisie

    de crimes commis avant l’entrée en vigueur du Statut. En revanche, le Statut n’exclut pas

    nettement la compétence de la Cour à l’égard de crimes commis entre cette date et le moment

    où un Etat reconnaît la compétence de cette Cour2.

    - Les conditions préalables à l’exercice de la compétence Le Statut de Rome, dans son article 12, dispose des conditions préalables à l’exercice

    de la compétence de la CPI. Cette disposition contient deux règles3 :

    examiné la situation dans ce pays depuis 2003 afin de déterminer si une enquête était nécessaire, à la suite de la

    communication par le gouvernement ivoirien d’une déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour.

    Le 14 décembre 2010, le Président de la Côte d’Ivoire nouvellement élu, Alassane Ouattara, a envoyé une lettre

    au Bureau du Procureur réaffirmant la reconnaissance de la compétence de la Cour par le gouvernement ivoirien.

    Le 4 mai 2011, le président Ouattara a rappelé son souhait de voir la Cour ouvrir une enquête. Après un examen

    préliminaire, le Procureur a conclu qu’il existait une base raisonnable pour croire que des crimes relevant de la

    compétence de la Cour avaient été commis en Côte d'Ivoire depuis le 28 novembre 2010. Le 30 novembre 2011,

    Laurent Gbagbo a été transféré à la CPI nationale en application d'un mandat d'arrêt délivré sous scellés par la

    Chambre préliminaire III le 23 novembre 2011. Gbagbo, ancien Président de la Côte d’Ivoire, aurait engagé sa

    responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité à

    raison de meurtres, de viols et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains,

    qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre

    2010 et le 12 avril 2011. Pour plus d’informations sur ce point, voir : Communiqué de presse, Le Greffe

    confirme que la République de Côte d’Ivoire a accepté la compétence de la Cour, ICC-20050215-91-Fr, 15

    février 2005. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-

    cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 23 mai 2011. La résolution 1975 du

    Conseil de sécurité, UN.DOC.S/RES/1975 (2011). 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 11). 2 Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques.

    RGDIP, 73-2002, N° 12, pp. 33-34. Voir aussi : Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation

    générale, op. cit., p. 988. Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de

    la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 32-38. 3 L’article 12 du Statut de Rome déclare que : « la Cour peut exercer sa compétence si l’un des Etats suivants ou

    les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la Cour conformément au paragraphe 3

    : a) L’Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord d’un