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Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
La crise de la zone euro, impacts sur les pays du
Maghreb et réformes. Hinda Fadhlaoui
1
Résumé : Dans cet article, nous mettons en évidence que la dette publique des pays de la
zone euro se présente essentiellement comme une accumulation de dettes extérieures et
nous dégageons à l’aide des faits stylisés, le carcan dans lequel se situe les Etats de la zone
euro. En second lieu, nous nous concentrons sur le lien de corrélation étroit entre la
l’expansion fulgurante de la dette publique détenue par les non résidents et la solvabilité
des banques. En troisième lieu, nous soulevons le risque de contagion de cette crise à
l’échelle mondiale. Face à cette crise, à la fois économique et bancaire, les partenaires
commerciaux subissent de plein fouet les effets de la crise. Quelles solutions peuvent
apporter les pays du Maghreb pour favoriser le développement durable ?
Mots clés: dette souveraine, crise de la dette extérieure,
charge de la dette, solvabilité des banques, monnaie
commune et zone monétaire régionale.
Abstract: In this paper, we show that the public debt in the euro area appears essentially as
an accumulation of foreign debts and we identify with the stylized facts, the straitjacket in
which is states in the euro area. Secondly, we focus on the link close correlation between
the rapid expansion of public debt held by non residents and bank solvency. Thirdly, we
raise the risk of contagion of the crisis globally. Faced with this crisis, both economic and
banking, trading partners are affected by the crisis. What solutions can provide the
Maghreb countries to promote economic and social development?
Keywords: sovereign debt, crisis of external debt, debt
burden, bank solvency, currency and regional monetary
zone.
1 Hinda Fadhlaoui
Tel : 00 33(6) 49 61 95 41
[CEMF-FARGO, LEG, UMR CNRS 5118]
Organisme de rattachement : Université de Bourgogne –
Pôle d’Economie et de Gestion –
2 boulevard Gabriel - BP 26611 - 21066 DIJON Cedex
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
1. Introduction L’intérêt de ce papier est de s’interroger sur la logique du système financier
international, qui offre aux Etats en besoin de financement, la possibilité de se procurer des
fonds sur le marché financier international. Si nous prenons l’exemple des Etats européens,
qui ont fait appel au marché financier international pour financer leurs dépenses publiques,
le corollaire de cette pratique pèse significativement sur la stabilité économique de la zone
euro et de ces partenaires commerciaux.
Si avant la crise des subprimes de 2007, le principal risque pesant sur l’économie
mondiale tenait, pensait-on, à l’ampleur des dettes extérieures des pays, aujourd’hui, le
risque additionnel de la solvabilité des grands établissements financiers détenteurs des
titres publics monopolise de plus en plus l’attention. En effet, depuis les événements de ces
deux dernières années, les premiers signent avant coureurs d’une crise systémique sont
présents notamment avec la crise de la dette souveraine des pays européens. En effet, la
récession économique mondiale aggravant la détérioration des déséquilibres financiers des
Etats européens, pourrait faire plonger l’économie mondiale dans une crise sans précédant.
Les pays du Maghreb étant liés commercialement et financièrement à la zone euro,
subissent de plein fouet les effets de la crise de la zone euro. Face à ce scénario pessimiste,
quelles solutions pourrions-nous apporter, à long terme pour réduire les contraintes
extérieures qu’ils connaissent ?
Avant de répondre à cette question, il convient d’étudier la crise de la zone euro.
Pour expliquer comment la crise financière a engendré une crise souveraine, il n’est pas
inutile de revenir sur les événements qui ont suivi la crise de 2008. En procédant ainsi, il
nous sera facile de montrer que la dynamique croissante de la dette souveraine fait peser un
risque sur la situation financière des banques, la solvabilité des Etats et le système financier
international.
2. De la récession mondiale à la crise de l’endettement extérieur des
pays européens
Comme en témoigne l’exemple de la zone euro, les études relatives aux crises
financières (Laeven et Valencia, [2008], Reinhart et Rogoff, [2009]) sont vérifiées puisque
les crises bancaires ont été suivies de crises souveraines. Pour expliquer comment la crise
financière a engendré une crise souveraine, il n’est pas inutile de revenir sur les
événements qui ont suivi la crise de 2008.
2.1. Faits stylisés
Aujourd’hui le poids écrasant de la dette publique extérieure par rapport au PIB place
les pays de la zone euro dans une position critique. En effet, les réponses, qui ont été
apportées pour atténuer les effets de la crise des subprimes sur l’économie réelle, n’ont fait
que colmater une nième brèche aux crises économiques et financières sous-jacentes.
Rappelons que la crise des subprimes a fortement fragilisé les banques du monde
entier. Les banques américaines, ayant eu recours massivement aux « dérivés de crédit,
comme d’autres innovations majeures telles que la titrisation des créances, [ces opérations]
ont été un puissant instrument de gestion et de diffusion des risques » (Boyer, R., Dehove,
M., Plihon, D, [2004], p.135). Comme en témoigne le tableau 1, aux Etats-Unis, les
opérations de titrisation ont augmenté de 62 % entre 2002 et 2007.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
Tableau 1. Le marché de la titrisation aux Etats-Unis2 (en milliards de dollars)
Années 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Titrisation 4400 4750 5350 6200 6750 6800 7350 8400 10050
En titrisant3 leur portefeuille de prêts (les crédits subprimes), les banques
américaines ont renouvelé leurs fonds en transférant le risque des crédits sur les marchés
financiers (H. Bourguinat et E. Brys, [2009], p. 23). Une fois que l’information relative à la
valeur réelle des titres s’est diffusée sur tous les marchés financiers, les conséquences ont
été désastreuses en raison des pertes considérables subies par les intermédiaires financiers.
La crise des subprimes, occasionnant des pertes estimées en janvier 2009 par le FMI à
2.200 milliards de dollars, a ainsi entraîné une chute de la capitalisation boursière de
l’ordre de 30.000 milliards de dollars (André Cartapanis, [2009], p.2).
La crise de 2008, englobant à la fois une crise bancaire et financière, a amené les
Etats européens à instaurer des plans de relance concertés pour protéger le secteur bancaire
et soutenir les secteurs clés de leurs économies. Pour les financer, les Etats ont emprunté
massivement sur le marché financier international. En effet, le traité de Lisbonne (article
123) interdisant aux administrations publiques d'emprunter directement auprès de la
Banque Centrale, les Etats ont recherché des conditions de financement très avantageuses
sur le marché financier international, comme le ferait n’importe quel agent économique. Ce
marché, offrant des taux d’intérêt très compétitifs par rapport à ceux proposés sur le
marché européen, les Etats ont profité des différentiels des taux d’intérêt en empruntant
auprès de banques non résidentes. Comme le révèle le tableau ci-dessus, en 2009, 53% de
la dette publique cumulée était financée par des non-résidents (tableau 1).
Tableau 2. Détention de la dette publique par les résidents et les non-résidents
Détenteurs Résidents
(secteur financier domestiques et autres)
Non-résidents
Zone euro 47 % 53%
Etats-Unis 70% 30%
Royaume Uni 71% 29%
Japon 92% 8%
Source : Statistiques des banques centrales, 2009
Bien que les plans de sauvetage des pays de la zone euro aient été massifs, ces
mesures n’ont pas stimulé la croissance économique. D’après le graphique 1, le taux de
croissance économique de la plupart des pays avancés par rapport à celui qui a précédé la
crise de 2007 est en baisse.
2 Source: Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA) Artus et al. [2008], pp.38-
39 3 La titrisation est une opération financière qui consiste à transformer des prêts bancaires
traditionnellement illiquides en titres aisément négociables sur des marchés, par l’intermédiaire
d’une entité juridique ad hoc Le plus souvent, la banque à l’origine des prêts les cède à un véhicule
spécifique (special purpose vehicule ou SPV) qui finance cette acquisition en émettant des titres sur
les marchés. Cette opération est connue sous le nom d’asset management (O. Brossard, 2001, p.
251- 257). Ce moyen de refinancement (P. Artus, 2008) est moins coûteux, à condition de disposer
des créances de bonnes qualités.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
Graphique 1. Croissance mondiale actuelle comparée à la moyenne avant la crise (Écart
en points de pourcentage des taux de variation annuelle composés entre 2011–12 et 2000–
07)
Source FMI, 2011.
Pour décrypter la persistance de la crise économique, il n’est pas inutile d’établir un
lien avec la crise du secteur bancaire. En raison de la crise économique, la baisse de la
demande globale et la hausse de l’endettement des entreprises ont réduit la confiance des
préteurs dans les cash-flows futurs. Par conséquent, pour couvrir les risques encourus dans
les prêts, les banques ont élevé les taux d’intérêt (H. P. Minsky, [1986], p. 193). Les unités
productives, étant devenues plus vulnérables à la hausse brutale des taux d'intérêt, se sont
trouvées incapables d’élever le taux d'autofinancement au dessus de 100 % pour financer
leurs investissements. Comme en témoigne le graphique 2, le niveau élevé du taux
d’intérêt, apparaissant comme l'une des caractéristiques essentielles de la baisse
significative des investissements productifs, explique la chute brutale des investissements
et le ralentissement de l'activité économique des entreprises privées.
Graphique 2. Investissement total des entreprises (volume, en % du PIB)4
4 ARTUS, P., (2011), « Le modèle américain de financement des entreprises est-il supérieur ou inférieur
au modèle européen ? » Flash Economie, № 707, 19 septembre 2011.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
Subséquemment, la baisse de la production de la zone euro a impacté négativement les
finances publiques. Faute de croissance économique, la baisse des recettes publiques
(justifiée par le ralentissement de l’activité économique et la défiscalisation croissante des
entreprises et des ménages) conjuguée à la hausse des dépenses publiques ont eu pour
conséquence d’aggraver le niveau d’endettement des Etats européens. Comme l’atteste le
tableau 2, le taux d’endettement brut des administrations publiques européennes a
augmenté de 8 points entre 2009 et 2011. En effet, les plans de sauvetage de la finance et
surtout la récession économique provoquée par la crise bancaire et financière ont fait passer
le déficit public moyen de la zone euro de 0,6% du PIB en 2007 à 7% en 2010. Le déficit
public, s’ajoutant à la dette publique, la situation financière des Etats s’est fortement
détériorée.
Tableau 3. Dette brute des administrations publiques (En pourcentage du PIB)
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Zone Euro 66,2 69,8 79,3 85 87,3 88,3 86,3
Source : FMI, Perspectives Economique, Avril 2011, appendice statistique
Si jusqu’en 2010, les Etats européens ont réussi à financer leurs dettes, la tendance
s’est inversée en raison de la persistance de la récession économique. H. Minsky, prédisant
que la persistance de la récession économique (graphique 7), augmente la probabilité d’une
crise de la dette extérieure (A. Diemer et S. Dozolme, [2011], p. 51), son modèle
d’instabilité fût confirmé avec les crises grecque et irlandaise. « La crise économique et
financière de 2008-2010 a considérablement fragilisé ces modèles de financement. Elle a
provoqué un accroissement considérable des émissions de dette publique, au risque de
remettre en cause la confiance des créanciers et de provoquer de graves tensions sur les
marchés de la dette souveraine. Les crises grecque et irlandaise ont marqué le retour du
Fonds monétaire international en soutien de pays membres de l’OCDE placés dans
l’incapacité de refinancer leurs échéances de dette. Les plus grands émetteurs de la
planète, même s’ils ont jusqu’à présent réussi à financer sans dommages leurs besoins de
financement considérables, s’interrogent tous sur leur capacité à conserver la confiance de
leur base d’investisseurs » (Guillaume Leroy, [2010], p.7). Effectivement, la crise de
confiance des investisseurs non européens a déclenché des tensions sur le marché financier.
Les Etats européens, étant dépendants des marchés financiers extérieurs, et les créanciers
étrangers étant réticents à financer les nouvelles émissions d’obligations des Etats
européens (ibidem), les réactions des agents à ces deux crises ont provoqué de graves
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
tensions sur le marché financier, qui se sont révélées par un abaissement de la qualité des
titres émis (bonds du trésor, obligations) de la plupart des Etats européens. En l’occurrence,
les taux italiens et espagnols à 10 ans ont dépassé le seuil des 7% sur le marché obligataire
européen. Bien que le cas de la Grèce ne figure pas sur le graphique, le taux grec a atteint
13 %, une première depuis l'entrée du pays dans la zone euro en 2010. S’agissant des autres
Etats devenus insolvables, les agences de notation ont réagi. Au début de l’année 2012, la
France a perdu son AAA.
Graphique 3. Taux d'intérêt à 10 ans sur les emprunts d'Etat5
La crise économique et les problèmes de la dette souveraine ajoutent une troisième
crise additionnelle, celui de l’insolvabilité des banques européennes. Comme en
témoignent les études de Laeven et Valencia, [2008], Reinhart et Rogoff, 2009, Acharya,
Drechsler et Schnabl (2011), et d’Alter et Schüler (2011), le lien de corrélation entre
instabilité bancaire et problèmes de dette souveraine est fort.
2.2. Le cercle vicieux entre crise souveraine et crise bancaire
Jusqu’à ce que la crise grecque soit révélée, les titres souverains constituaient des
actifs sûrs puisque les réglementations prudentielles imposaient aux banques, aux sociétés
d’assurance et à l’ensemble des gestionnaires d’actifs (Guillaume Leroy, [2010], p.11), de
détenir une forte proportion d’actifs sûrs et liquides.
Or, depuis la crise souveraine de la Grèce, la donne a changé puisque les titres
souverains n’offrent plus autant de garantie. En raison de la persistance de la récession
économique, les probabilités d’insolvabilité et d’illiquidité des Etats (H. P. Minsky, [1957],
p. 174) amènent les banques à élever les taux d’intérêt pour compenser le risque croissant
associé à l’expansion des actifs souverains dans leurs bilans. Le taux de croissance
économique étant décroissant et le taux d’intérêt augmentant, les États sont devenus
insolvables (Peter H. Lindert, 1986, p. 734). Cela a accentué le refus des marchés à acheter
de la dette souveraine à moyen et long terme. Comme en témoigne Caballero, « la
réalisation brutale que ces actifs quasi sûrs ne sont pas réellement sûrs donne lieu à de
violents ajustements de marché. Par exemple, lors de la récente crise financière, les
tranches notées AAA de certains produits issus de la titrisation des prêts immobiliers
américains, ou la dette de certains États comme la Grèce et l’Irlande. Ces ajustements de
5 ARTUS, P., (2011), «Pourquoi les banques et les investisseurs hésiteront à racheter des dettes
publiques des pays en difficulté de la zone euro ? » Flash Economie, № 949, 22 décembre 2011.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
marché augmentent la volatilité macroéconomique (Caballero, [2009]) » (Benassy-Quéré
Agnès et al, [2011], p. 68).
Dans ce contexte marqué par une forte volatilité macroéconomique, le risque
d’insolvabilité des Etats pèse sur la solvabilité des banques compte tenu de la taille des
différents systèmes bancaires de la zone euro et du poids des titres souverains des pays
dans le bilan des banques. Effectivement, les banques ou les hedge funds, qui se sont portés
acquéreurs de produits issus de la dette de certains Etats comme la Grèce, l’Irlande, l’Italie,
l’Espagne, le Portugal, moyennant le placement de leurs avoirs (somme de leurs avoirs ou
des dépôts des résidents nationaux) sont confrontés aux réactions du marché. Les marchés,
anticipant une propagation de la crise, ont réagi en sanctionnant les banques, dont
l’exposition au risque souverain domestique a fortement augmenté. Ces réactions se sont
traduites par des flux de capitaux et la hausse du coût de refinancement des banques. Plus
précisément, comme le révèle l’analyse de Silvia Merler et Jean Pisani-Ferry, les risques de
solvabilité perçus pour certains s’accroissant, cela produit un effet notable sur le système
bancaire, et inversement (Silvia Merler et Jean Pisani-Ferry, 2012, p. 3). Confrontées à un
bilan dégradé et un risque de réputation accru par rapport à leurs contreparties en dehors de
la zone euro, les banques européennes, détenant les titres publics des Etats stigmatisés, sont
confrontées à des retraits massifs de capitaux. En effet, les déposants délocalisent leurs
avoirs dans des banques qui offrent des garanties plus sûres (Suisse et Grande Bretagne).
Ces flux internationaux de capitaux, leur montant et leur structure ont ainsi servi de
courroie de transmission aux déstabilisations. Les banques, étant stigmatisées par le
marché, sont exposées à des coûts de refinancement croissants d’autant plus élevés surtout
pour celles qui ont eu recours aux effets de levier. Comme en témoigne J. Ferry-Pisani, les
effets de levier des systèmes bancaires de la zone euro ont atteint un niveau
impressionnant. Par exemple, les actifs bancaires totaux en Irlande s’élevaient à 45 fois le
montant des recettes fiscales en 2010, et ce ratio était également très élevé dans plusieurs
autres pays (J Silvia Merler et Jean Pisani-Ferry, 2012, p.4).
Cette présentation soulève une question majeure. L’idée que les banques importantes
seraient, en cas de besoin, renflouées par l’État, révèle de profondes inquiétudes. Le coût
de recapitalisation des banques, dont la charge incombe aux différents États, peut être très
élevé, notamment pour les pays où sont localisées les banques résidentes dont les activités
transfrontières sont importantes. Les conséquences budgétaires de ces sauvetages étant
significatives, ce scénario nous mène dans une impasse car, comme nous l’avons observé
dans la section précédant, les Etats sont eux-mêmes touchés par une crise de l’endettement.
Bien que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) ait été institué pour apporter un
soutien en contractant des emprunts en faveur des pays en difficulté, il faut remarquer qu’il
n’est pas autorisé à injecter directement des capitaux dans le système bancaire. Ainsi, en
cas de crise, les Etats ne pourraient pas apporter de solution pour contrer une nouvelle crise
bancaire majeure (Silvia Merler et Jean Pisani-Ferry, [2012]).
Les nouveaux plans de sauvetage étant incertain en raison de la situation financière
critique des Etats, l’absence de financement d’urgence apporté par les États membres
pourrait constituer un puissant canal de transmission des chocs financiers et économiques à
l’échelle internationale et provoquer une grande crise systémique.
2.3. Le risque de contagion.
Traditionnellement, on distingue la contagion induite par les interdépendances réelles
et financières entre les pays (fundamentals-based contagion, Kaminsky et Reinhart, 1999 ;
Calvo et Reinhart, 1996) et celle qui relève de la psychologique (Masson, 1998, 1999). La
première qui permet de tester la significativité de différents canaux réels de transmission
des chocs comme les liens commerciaux, les interdépendances financières ou les
similitudes macroéconomiques (Eichengreen, Rose, et Wyplosz, 1996 ; Glick et Rose,
1999; et Caramazza, Ricci et Salgado, 2000, 2004), insiste sur les externalités (spillovers)
générée par les interdépendances réelles et financières entre les pays pour expliquer la
transmission des chocs hors frontière. La globalisation financière du monde, élevant les
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
liens entre les marchés reflète l'interdépendance entre économies de marché intégrées
économiquement et financièrement.
La deuxième, qui repose sur le risque de contagion psychologique (Masson [1999]),
montre que la crise déclenchée dans un pays peut coordonner les anticipations des
investisseurs faisant passer une autre économie d'un bon à un mauvais équilibre de crise.
Ce passage se faisant par l'intermédiaire d'une modification des anticipations des
investisseurs et non par l'existence de liens réels entre pays est au cœur de la polémique.
En l’occurrence, la zone euro, qui est déstabilisée par la crise de la dette souveraine
des Etats comme la Grèce6, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande, pourrait connaître une crise
systémique, qui engagerait tout le système financier européen et international à travers le
mécanisme d'équilibres multiples. La crise de la dette souveraine des Etats insolvables se
répercutant sur les banques créancières, fait ainsi passer les banques des autres pays
européens d'un bon équilibre à un mauvais équilibre. Comme le montre Guillermo Calvo
(1988), le repli de la demande de titres souverains entraînant une baisse des prix qui, à son
tour, comprimerait la valeur des obligations détenues par les banques. Les banques
préférant réduire leurs positions tant qu’elles ne subissent pas de pertes, ou essuyer des
pertes légères, pour éviter d’être exposés plus tard à des pertes potentiellement plus
importantes ou à une forte volatilité, vont chercher à se débarrasser des titres.
Consécutivement, les marchés devenant illiquides, les pressions à la baisse sur les prix des
obligations s’accentuent et le recul des prix obligataires, se traduisant par une hausse des
rendements, détériore les perspectives de soutenabilité de la dette pour les Etats qui ont des
besoins de financement significatifs, ce qui confirmerait les anticipations des investisseurs.
Les banques, ayant acheté des bons du trésor ou des obligations devenues de mauvaises
qualités, ne peuvent ni les vendre, ni récupérer les fonds qu’elles ont engagés. Ainsi, elles
enregistreraient une perte nette égale à la valeur du prix d’achat (J.F. Sevral et J.P. Tranié,
[2010], p. 191). Faute de pouvoir se refinancer sur le marché financier et en l’absence de
plans d’urgence apportés par la communauté internationale, la dépréciation brutale des
actifs provoquerait des banqueroutes en cascade en raison de l’interdépendance mondiale
des marchés des capitaux.
Les arrêts ou renversements de flux provoqueraient des crises de balances des
paiements, avec une dépréciation brutale et désordonnée de l’euro par rapport aux autres
devises, ce qui augmenterait la valeur des engagements extérieurs nets en devises des Etats
européens et les déséquilibres extérieurs des pays endettés sur l’extérieur (Kaminsky et
Reinhart, [1999] et Laeven et Valencia, [2008]).
Cet exposé nous permet de cerner les difficultés du système actuel. Si initialement, le
principal risque pesant sur l’économie mondiale tenait, pensait-on, à l’ampleur des dettes
extérieures des Etats, aujourd’hui, le risque additionnel de la solvabilité des grands
établissements financiers détenteurs de titres publics monopolise de plus en plus l’attention.
En cas de défaut de paiement des Etats, la détention de portefeuilles placés dans des titres
publics est un facteur de risque systémique pour l’ensemble du système financier.
3. Impact de la crise de la zone euro sur le Maghreb et réforme
3.1. Position du problème
6 L’exemple de la Grèce est éloquent. La crise de confiance des créanciers a l’égard de la Grèce a
tout d’abord eu un impact significatif sur les taux d’intérêt de la Grèce au point que le pays était
devenu insolvable. Si les Etats membres de la zone euro sont intervenus, de façon concertés, pour
fournir des liquidités à la Grèce, aujourd’hui, si un tel scénario venait à se présenter pour l’Espagne,
le Portugal ou la France, l’endettement excessif des Etats (Tableau 12).
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
Comme en témoigne la partie précédente, le risque d’éclatement de la zone fait peser
un risque majeur sur les économies avec lesquelles les pays de la zone euro ont établi des
relations commerciales et financières. Cette crise peut produire des répercussions sur les
pays d’Afrique, ayant des liens d’interdépendance commerciaux et financiers élevés avec la
zone euro (tableau 4). En effet, l’euro, principale devise utilisée dans les paiements
intrarégionaux, est sujet à un risque de dépréciation. La dépréciation de l’euro par rapport
aux devises concurrentes pose le problème des pertes enregistrées dans le cadre des
transactions, à chaque fois que les pays convertiront des avoirs libellés en dollar dans
d’autres monnaies telles que le dollar. De plus, les pays investisseurs, ayant accumulé des
réserves libellées en euros, sont confrontés à la baisse de la valeur des réserves en termes
réels, dès lors que l’euro se déprécierait.
Au plus fort de la tourmente financière, les pays du Maghreb ou d’Afrique, doivent
envisager des réformes. Dans un contexte où les économies sont de plus en plus
internationalisées, les réformes entreprises à l’échelle nationale n’auraient qu’un impact
limité. C’est pourquoi, nous proposons une réforme monétaire supranationale pour
endiguer les contraintes liées à l’environnement extérieur.
Tableau 4. Commerce intrarégional et interrégional des marchandises, en 2008 (en
milliard de dollars et en pourcentage)7
Au cours de cette dernière décennie, des groupes de pays ont établi ou projettent de
former des zones monétaires régionales. Ces réformes avaient entre autre pour objet de
protéger les économies des fluctuations erratiques des taux de change. Après un demi-
siècle de négociation, les pays européens ont institué une union monétaire régionale avec la
création de la zone monétaire unique en 1999. Depuis d’autres initiatives émergent. Pour
ne citer que les principaux, nous pouvons donner l’exemple des pays du Golfe. Ces
derniers (conseil de coopération du golfe) projettent de créer une union monétaire régionale
en vue de contrer la dépréciation du dollar. Quatre pays du Conseil de coopération du Golfe
(CCG), l’Arabie saoudite, Bahreïn, Koweït et le Qatar, ont signé en juin 2009 à Riyad un
accord sur le projet de création d’une union monétaire. Cet accord, qui prévoit
l’instauration d’une monnaie unique, est toujours à l’ordre du jour.
7 Source OMC, (2008) « Évolution du commerce mondial en 2008 », Genève :OMC
URL : http://www.wto.org/french/res_f/statis_f/its2009_f/its09_world_trade_dev_f.htm
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
Plus récemment, une autre initiative a été entreprise par les pays d’Amérique latine.
Sur le modèle du plan Keynes, les pays d’Amérique du Sud ont ratifiée le 16 octobre 2009,
le traité qui institue la création d’une monnaie commune régionale le Sucre. Cette initiative
qui se rapproche des idées keynésiennes est qualifiée par J. Sapir (2009), comme une
avancée d’envergure. «Par son ampleur potentielle, et par la complémentarité de ses
organismes, ce traité constitue très certainement l’une des plus grandes avancées de ces
vingt dernières années. Il constitue une réponse à la fois pertinente et radicale à la crise
telle qu’elle est vécue par les pays du tiers-monde, et de ce point de vue pourrait à
l’évidence servir d’exemple dans d’autres régions du monde» (J. Sapir, 2009, p. 11).
L’acte fondateur de l’union monétaire régionale est signé le 7 décembre 2007. Ce plan a
institué une monnaie commune régionale appelée le sucre, se substituant aux devises
(dollar, euro) dans les paiements intrarégionaux. De plus, ce plan stipule la création d’une
banque régionale appelée el banco del sur chargée de monétiser les paiements
internationaux, financer les paiements à besoin de financement et à garantir la
compensation des paiements internationaux.
Cette configuration entreprise par les pays d’Amérique Latine présenterait deux
avantages, si elle venait à être établie à l’échelle du Maghreb ou de l’Afrique. D’une part,
la création d’une zone monétaire régionale présenterait l’avantage d’endiguer les
contraintes de l’environnement extérieur. La monnaie commune se substituant aux devises
clés dans les paiements intrarégionaux, le problème des pertes subies en raison des
fluctuations des taux de change serait corrigé pour le montant des transactions effectuées
au sein de la zone régionale. D’autre part, la création d’une monnaie commune à l’échelle
du Maghreb pourrait impulser les échanges intrarégionaux. Comme en témoigne les
travaux de Rose, l’institution d’une monnaie régionale a un pouvoir explicatif élevé pour
expliquer l’intensification des liens économiques entre les pays membres d’une zone
monétaire régionale. En effet, sur la base de modèles gravitationnels du commerce
international, il délivre que les échanges intrarégionaux sont plus importants entre les pays
partageant la même monnaie qu’entre les pays qui sont liés entre eux par leur proximité
géographique, leurs tailles et leurs richesses respectives. Comme l’attestent les données du
tableau 4, la création d’une zone régionale intensifie les liens économiques entre les pays
membres d’une zone monétaire régionale.
En somme, l’intensification des échanges commerciaux et financiers entre les pays
membres de la zone régionale concourrait à développer les transactions intrarégionales et
limiter les contraintes émanant des fluctuations erratiques des taux de change. Ainsi, la
création d’une zone monétaire régionale pourrait endiguer les contraintes de
l’environnement extérieur. Si la monnaie commune se substitue aux devises clés dans les
paiements intrarégionaux, le problème des pertes subies en raison des fluctuations des taux
de change serait corrigé pour le montant des transactions effectuées au sein de la zone
régionale.
3.2. Cadres institutionnels d’un nouveau système des paiements régionaux
John Maynard Keynes est le précurseur de cette organisation monétaire
supranationale. Les objectifs de son plan éponyme, au-delà de l’ambition qu’il affichait,
reflétaient la véritable nature du système des paiements internationaux. Avant de nous
consacrer à l’étude du plan Keynes, qui fixe l’ensemble des règles, des conventions et des
institutions internationales, nous établirons au préalable une étude minutieuse des
spécificités de la monnaie régionale. Ensuite, nous esquisserons les mécanismes de
paiement internationaux et du financement de la dette extérieure. Enfin, nous verrons que
ce cadre institutionnel constitue un puissant levier pour favoriser le développement
économique et social des pays membres de la région.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
3.2.1. La nature de la monnaie régionale
Cette institution, qui représente le principal pivot de l’organisation économique,
politique et sociale, nous amène à prendre en compte les spécificités de la monnaie
régionale. Pour définir le cadre conceptuel de la monnaie régionale, nous prendrons pour
point de départ le plan Keynes. La monnaie supranationale, connue sous le nom de bancor,
n'est pas un concept nouveau, puisque J. M. Keynes en établit la définition dès 1930 dans A
Treatise on Money. Cette inflexion remarquable introduite par J.M. Keynes en 1944 avait
pour ambition d’instaurer une union monétaire supranationale fondée sur une monnaie
commune supranationale qui aurait été émise par une banque supranationale. Au premier
abord, le nom bancor nous incite à percevoir que la monnaie supranationale aurait été à la
fois bancaire et matérielle. En effet, l’émission de la monnaie régionale aurait trouvé son
origine dans une intervention bancaire, comme dans tous les cas de création monétaire,
mais, en même temps, il est possible d’apercevoir un lien avec le métal précieux le plus
connu. Cette dénomination, portant à confusion, nous conduit à préciser la nature de la
monnaie régionale.
3.2.1.1. La monnaie régionale, une monnaie bancaire
Pour instaurer une nouvelle monnaie régionale qui se substituerait totalement aux
devises dans les paiements intrarégionaux, J.M Keynes propose de créer une monnaie
bancaire. C’est ce qu’il semble confirmer, lorsqu’il estime que :“The idea underlying such
a currency Union is simple, namely, to generalize the essential principle of banking, as it
exhibited within any closed system. This principle is the necessary equality of credits and
debits of assets and liabilities” (Keynes J.M. 1980, p 171).
En généralisant les principes bancaires du système des paiements nationaux à l’échelle
régionale, nous observons qu’au moment du paiement intrarégional, la monnaie régionale
serait simultanément une créance-dette. D’une part, la monnaie régionale exprimerait
simultanément une dette du pays acheteur sur la banque régionale et d’autre part, une
créance du pays exportateur sur la banque régionale.
En définitive, si nous transposons le plan Keynes à l’échelle régionale, on peut noter
que la monnaie régionale serait une monnaie bancaire et elle serait émise dans une
dynamique comparable à la monnaie centrale. A ce titre, elle serait une créance-dette.
Toutefois, il faut préciser que la monnaie régionale présenterait des particularités qui la
distingueraient de la monnaie nationale.
3.2.1.2. Monnaie régionale versus monnaie nationale
Alors que les monnaies nationales sont créées dans la monétisation des activités
productives des entreprises, la monnaie régionale ne monétiserait ni la production des
entreprises résidentes, ni la production des firmes multinationales dont les filiales sont
implantées dans le reste du monde. Bien que, depuis quelques décennies, on assiste à une
décomposition internationale du processus de production en fonction des avantages
comparatifs qu’offrent les pays, la production des unités productives et ce, quelle que soit
la nationalité de la firme, est toujours le résultat d’une activité entreprise dans une
économie nationale8. Par économie nationale ou « géographie économique », il faut
entendre la localisation de la production et plus précisément, « le lieu où les choses se
produisent et leurs relations entre elles s’établissent » (P. Krugman, 1992, p. 1.). Pour
8 En échange des services productifs, les salariés de la FMN perçoivent un revenu qui est libellé
dans la monnaie du pays dans lequel la FMN ou la filiale est implantée.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
l’exprimer autrement, l’économie nationale est un espace monétaire de production dans
lequel est établie la relation entre le produit national et le revenu national.9.
Sur la base de cette approche, nous comprenons que l’espace monétaire régional
n’étant pas une économie monétaire de production, est un espace où les pays réalisent des
échanges intrarégionaux. Par conséquent, elle ne génère pas de richesses supplémentaires
autres que celles produites dans les pays membres de l’union monétaire régionale.
Autrement dit, les échanges internationaux ne font que déplacer des biens et les services
produits au sein des pays de la zone monétaire régionale.
Cette précision, qui en soi s’avère être logique, a une incidence capitale puisque cela
signifierait que l’émission de la monnaie régionale ne générerait pas de nouveaux revenus
qui viendraient s’ajouter à la somme des revenus nationaux des pays membres de la zone
euro. A l’image de la célèbre citation d’Adam Smith (1776, p.86), la monnaie régionale
serait comparable à une « grande roue de la circulation [qui serait] chargée de déplacer
les biens réelles ». En effet, si les produits nationaux, qui sont soient importés, soient
exportés, sont exprimés numériquement par la somme d’unités de monnaie nationale émise
dans les paiements nationaux, nous saisissons que la monnaie régionale ne serait qu’une
simple transposition des monnaies nationales hors frontière au sens où elle se substituerait
aux monnaies nationales dans les paiements intrarégionaux.
En somme, en considérant les spécificités des espaces monétaires nationaux et de
l’espace monétaire régional, nous avons saisissons que la monnaie régionale serait
cantonnée aux règlements des transactions intrarégionaux. Contrairement à la monnaie
nationale qui est uniquement valide dans sa zone d’émission, la monnaie régionale serait
exclusivement réservée aux échanges intrarégionaux. D’autre part, la monnaie régionale
incarnerait une fonction véhiculaire au sens où elle ne ferait que déplacer le pouvoir
d’achat des monnaies nationales au sein de a zone monétaire régionale. En se substituant
aux monnaies nationales dans les règlements intrarégionaux, la monnaie régionale
véhiculerait la charge réelle des unités de monnaies nationales au sein de la zone monétaire
régionale.
3.2.1.3. La monnaie régionale, une monnaie non matérielle
Bien qu’il soit possible de percevoir un lien « étroit avec l’or, le cadre conceptuel de
la monnaie supranationale présenté par Keynes était radicalement opposé à celui d’Harry
White. Contrairement à son homologue qui défendait dans le régime de l’étalon dollar-or,
la convertibilité de la devise-dollar en or, J.M. Keynes (1943) considérait déjà que ni
l’émission de la monnaie supranationale, ni l’étalon dollar-or, « ne pouvait pas être ralliée
à la quantité d’or présente dans les caveaux des Banques Centrales » (J.M. Keynes, 1980,
p. 420). Pour expliquer sa position, il avançait que l’étalon dollar-or ne pouvait pas réguler
les relations monétaires transfrontalières, sans que cela ne provoque une crise monétaire. Il
avait vu juste puisque son analyse fut confirmée par l’effondrement du système de Bretton
Woods. Sans revenir sur le détail de l’histoire, la période qui a succédée la seconde guerre
mondiale a été marquée par l’accroissement exponentiel des échanges internationaux et
concurremment les besoins de détention des devises des pays échangistes ont connu une
croissance aussi forte. Les restrictions prescrites par le principe de convertibilité du dollar
ont provoqué un désajustement entre le stock d’or et la demande de monnaie. Comme le
soulèvent M. Agglietta et A. Orléan, « la famine monétaire, conséquence mécanique d’une
déconnexion entre le stock de monnaie disponible, fixé par les aléas de l’extraction
minière, et les besoins monétaires tels que le développement économique les impose,
montre que la monnaie ne peut être matérielle» (Aglietta et Orléan, 2002, p. 183).
9 Cf. chapitre 5
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
Anticipée par Keynes, le régime de l’étalon dollar-or était incompatible avec
l’expansion des transactions régionales. Bien que ces remarques aient été reléguées au
second plan, l’histoire lui a donné raison. En effet, le régime de l’étalon dollar-or a poussé
le système de Bretton Woods à sa faillite, et ce pour des raisons intrinsèques au cadre
institutionnel.
Si Keynes ne voulait pas restaurer la convertibilité de la monnaie supranationale à
l’or, nous n’avons toujours pas expliqué les raisons pour lesquelles il avait établi un lien
entre l’or et la monnaie supranationale. La réponse à cette question est davantage rattachée
à des facteurs psychologiques qu’économiques. En effet, à l’époque, lors de l’élaboration
des accords de Bretton Woods, Keynes connaissait l’importance10
qu’accordaient ses
contemporains à l’or. En vue de répondre à « l’hypnotisme irrationnel » (Keynes, 1971-
1989, p. 159)11
qu'exerçait l’or sur les agents, il proposait d’établir une monnaie bancaire
régionale qui aurait été gagée sur l’or. En proposant d’établir un lien entre la monnaie
supranationale et l’or, Keynes, constatant que la monnaie n’était pas matérielle, proposait
d’attribuer à l'or, un statut de « monarque constitutionnel » avec un cabinet de banques.
Régnant sans gouverner comme le souverain d'Angleterre, l’économiste préconisait un
système gagé sur l'or. Basé sur les traités signés entre les banques centrales et la banque
régionale, une autorité monétaire supranationale émettrait une monnaie de crédit sur un
support or12
.
Si nous développons davantage, bien que le support matériel soit matériel, le bancor
n’est pas une monnaie marchandise. Pour comprendre cette proposition, apportons une
illustration. En gageant la monnaie supranationale sur l’or, la banque supranationale
émettrice imprimerait son engagement sur de l’or (B. Schmitt, 1977, p.) et non sur du
papier. Dans ce cas, la transmission du métal de la banque supranationale à l’ensemble des
acheteurs serait une opération matérielle. Toutefois, la monnaie supranationale demeurerait
une créance – dette, puisqu’en généralisant les principes bancaires nationaux à l’échelle
supranationale, la monnaie supranationale deviendrait une créance – dette, et ce, quand
bien même elle serait gagée sur l’or. Au moment de son émission, la monnaie
supranationale serait une dette du pays importateur net envers la banque supranationale et
une créance du pays exportateur envers la banque supranationale. Pour le dire autrement,
bien que sa forme physique soit matérielle, la monnaie supranationale demeurerait non
matérielle, tant qu’elle serait injectée par voie d’émission. Cela signifie qu’aussi précieux
soit-il, le support matériel n’ajouterait strictement rien à la charge réelle de la monnaie
véhiculaire, puisqu’elle serait définie par le pouvoir d’achat des monnaies nationales13
.
Si nous transposons le plan Keynes à l’échelle du Maghreb, la monnaie régionale ne
serait pas une monnaie matérielle. Bien qu’un lien étroit avec l’or puisse être
10
“Gold still possesses great psychological value which is not being diminished by current events”.
(Keynes, 1980, p. 183)
11 Keynes, John Maynard (1971-1989). The Collected Writings of J.M. Keynes, sous la direction
Donald Moggridge et Austin Robinson, vol. VI, Londres, Macmillan et New York, Cambridge
University Press, pour la Royal Economic Society. p. 159 12
“The advocates of gold, as against a more scientific standard, base their cause on the double
contention that in practice gold has provided and will provide a reasonably stable standard of value
and that in practice, since governing authorities lack wisdom as often as not, a managed currency
will, sooner or later, come to grief. Conservatism and scepticism join arms – as they often do.
Perhaps superstition comes in too; for gold still enjoys the prestige of its smell and colour.” (J.M.
Keynes, 1931, p. 174)Keynes J.M., (1931), Essays in Persuasions, The Collected Writings of J.M.K,
Vol IX, London, Macmillan, 1972. 13
Comme le précise Keynes: “the international bank money which we have designated bancor is
defined in terms of a weight of gold. Since the national currency of the member states are given a
defined exchange value in terms of bancor, it follows that they would each have a defined gold
content which would be their official buying price for gold, above which they must not pay. The fact
that a member state is entitled to obtain a credit in terms of bancor by paying actual gold to the
credit of its clearing account, secures a steady and ascertained purchaser for the output of the gold
producing countries, and for countries holding a large reserve of gold. Thus the position of
producers and holders of gold is substantially unaffected” (J.M. Keynes, 1930, p. 183).
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
unilatéralement institué, la monnaie régionale serait intégrée par voie d’émission et de ce
fait, elle conserverait sa nature de créance - dette. Une fois que les spécificités de la
monnaie régionale sont identifiées, comment met-on en pratique la création d’une monnaie
régionale?
3.3. Fonctionnement de l’organisation monétaire régionale
Bien que le principal pilier de la réforme soient maintenant connus, il faut préciser le
cadre institutionnel de la réforme pour que celles-ci soient applicables. Le texte dans lequel
Keynes expose avec le plus de détail les contours du système des paiements supranationaux
est son plan éponyme. Sur la base des travaux de Keynes, nous proposons de créer un
système des paiements régional dont l’objectif serait de favoriser le développement
économique et social.
3.3.1. La détermination des taux de change absolus
Avant d’établir les règles qui président les mécanismes d’émission monétaire dans le
système des paiements régionaux réformé, il est nécessaire d’apporter quelques précisions
sur la notion de taux de change absolus. Dans nos écrits antérieurs, nous avons montré que
la monnaie régionale serait une monnaie commune comme l’est la monnaie centrale au sein
des espaces monétaires nationaux. Comme la monnaie centrale, la monnaie régionale serait
« une unité numéraire » (S. Rossi, 2007, p. 105) chargée d’homogénéiser les monnaies
nationales des pays membres du système des paiements régionaux. En tant qu’étalon
monétaire des monnaies nationales, les monnaies nationales seraient rattachées les unes par
rapport aux autres par un système de change absolu au sens où chaque monnaie nationale
serait exprimée par une somme d’unités de monnaie régionale. A titre d’exemple, les taux
de change du dollar et de l’euro se présenterait comme suit : 1, 3 UMA = 1UMR = 1 UMB.
Si un résident du pays A souhaite détenir 103 UMB, la banque centrale du pays A doit au
préalable obtenir 100 UMR. Une fois que les taux de change entre les monnaies nationales
et la monnaie régionale seraient établis chaque monnaie nationale serait convertie dans un
échange absolu en monnaie régionale.
En somme, par l’institution d’un système de taux de change absolu, les monnaies
nationales ne seraient pas directement interchangeables comme c’est le cas dans le régime
du système de réserves « multidevises ». La monnaie régionale se substituerait aux
monnaies nationales en dehors de leur géographique d’émission. Et les échanges
internationaux seraient absolus au sens où la monnaie régionale, en qualité de véhicule ne
ferait que déplacer la charge réelle des monnaies nationales hors frontière.
3.3.2. La gestion des opérations monétaires et financières internationales, une
exclusivité réservée aux banques centrales et à la banque régionale
Sur le modèle du plan Keynes qui laissait présager que seules les banques centrales
des pays, se conformant aux règles de l'union de compensation, disposeraient d’un compte
au sein de la Clearing Union, nous considérons que seules les banques centrales membres
de l’union monétaire régionale seraient autorisées à se procurer des unités de monnaie
régionale. En centralisant les paiements intrarégionaux au niveau des banques centrales, les
contrats établis par les résidents dans une devise d’un des pays membre de l’union
monétaire régionale, feraient l'objet d'un engagement public de la banque centrale (auprès
des acteurs bancaires privés) et par l’intermédiaire de la monnaie régionale, les banques
centrales fourniraient les devises nécessaires aux transactions privées moyennant un
engagement du pays débiteur après de la banque régionale.
L’intérêt de réserver l’exclusivité des opérations monétaires et financières
internationales aux banques centrales s’inscrit dans un objectif bien précis. En effet, ce
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
cadre institutionnel, ne permettant pas au public de se procurer de la monnaie régionale,
fait barrage aux opérations spéculatives sur les devises. Comme l’observe Keynes: “That
would get rid of the whole element of exchange speculation which caused so much trouble
after the last war” (J.M. Keynes, 1980, p. 212). Les transactions intrarégionales, étant
réglées et financées en monnaie régionale, les monnaies nationales ne seraient plus portées
hors frontière. Ce système, qui s’articulerait sur une monnaie régionale, présenterait ainsi
l’avantage d’endiguer les désastres générés par la spéculation à savoir, les fluctuations
erratiques des taux de changes.
3.3.3. Conditions préalablement requises pour autoriser les paiements à découvert
Pour endiguer une crise de l’endettement, nous proposons de définir des règles
strictes dans le cas où le pays importateur ne disposerait pas d’un dépôt préalablement
acquis dans une opération d’exportation ou que les dépôts qu’il détiendrait auprès de la
banque régionale seraient inférieurs au montant des importations.
Avant d’autoriser les paiements à découvert, la banque régionale pourrait imposer des
conditions préalables. Dans la pratique, l’ouverture des lignes de crédit pourrait être
déterminée par les capacités d’exportation des pays et le niveau d’importation des pays
(J.M Keynes, 1920, p. 118). Pour mettre en pratique ces critères, J. Stiglitz propose que,
« [les crédits monétaires internationaux] soient « attribués aux pays sur la base d’une
certaine formule de « quote-part » fondée sur leurs poids dans l’économie [régionale] ou
sur leur besoins » (J. Stiglitz, 2010, p. 254).
Derrière ces deux propositions, qui manifestent une volonté de prévenir les
déséquilibres excessifs, nous proposons que les pays réglant leurs transactions
intrarégionales en monnaie régionale, déposerait dans un compte spécifique, les revenus
dépensés par les résidents des pays importateurs nets. Par cette contrainte, les activités qui
consiste à acheter sans payer et vendre sans détenir, alimentant constamment la
spéculation et portant préjudices à la stabilité des systèmes bancaires seraient prohibées.
Car, chaque déficit serait couvert par une fraction du revenu national égal au montant de la
dette extérieure nette.
3.3.4. Les règles organisant les mécanismes de paiement des transactions
intrarégionales et le financement des dettes extérieures
Après avoir défini le cadre institutionnel du nouveau système des paiements
régionaux, nous nous intéressons aux fonctions monétaires et financières de la banque
régionale.
3.3.4.1. Emission de la monnaie régionale dans les paiements intrarégionaux
Avant de développer l’étude de l’activité monétaire de la banque régionale, il est
nécessaire de résumer nos propos et de présenter à grands traits, les mécanismes et les
règles des règlements intrarégionaux.
Du côté des pays acheteurs, la banque régionale exigerait que les découverts, qu’elle
aurait autorisés soient couverts à 100% par un dépôt équivalent en monnaie nationale
déposé dans les comptes des banques centrales des pays importateurs nets. Plus
précisément, le revenu national dépensé par la somme des résidents importateurs serait
stocké dans un compte spécifique de la banque centrale appelé compte extérieur. Ce dépôt
servirait de garantie aux paiements à découvert que la banque régionale aurait autorisés.
Par conséquent, les opérations de prêts à intérêt basées entre autres, sur le fait que l’on peut
acheter sans détenir une contrepartie seraient prohibées. Du côté des pays exportateurs, les
créances extérieures nettes, qu’ils détiendraient sur la banque régionale, seraient
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
instantanément transformées en actifs extérieurs. Après avoir converti sa créance sur la
banque régionale en actifs financiers, la banque centrale du pays exportateur net les
céderait aux résidents du pays exportateur net contre un dépôt qui aurait été prélevé sur le
marché financier. Ce mécanisme permettrait d’une part de régler le résident exportateur
avec une fraction du revenu national et d’autre part de financer les importations nettes avec
l’épargne nette des pays exportateurs nets.
Pour comprendre les mécanismes de règlement des transactions intrarégionales, il
n’est pas inutile d’illustrer nos propos. Imaginons qu’un pays A achète des produits à un
pays membres de la zone monétaire régionale, le pays B. Dans ce cas de figure, la banque
centrale du pays A demanderait à la banque régionale de lui ouvrir une ligne de crédit pour
payer le pays B. En supposant que le pays importateur remplisse les conditions préalables
évoquées plus haut, la banque régionale lui ouvrirait une ligne de crédit pour le montant de
ses importations. Par cet accord, le pays importateur paierait son homologue, le pays B en
monnaie régionale. Traduit en termes bancaires, nous obtiendrions les écritures suivantes :
Table 1 . Opération de paiement international à découvert
Banque régionale
Ouverture d'une ligne de crédit international.
Actif
Ouverture d’une ligne de crédit +100 UMR
Ouverture d’une ligne de crédit - 100 UMR
Passif
Dépôt virtuel du pays A + 100 UMR
Dépôt virtuel du pays A - 100 UMR
Bilan de la Banque régionale
Formation d'une dette et d’une créance dans une opération de paiement
international
Actif
Dette du pays A + 100 UMR
Passif
Créance du pays B + 100 UMR
La table 1 révèle, qu’une fois que la banque centrale du pays A a obtenu l’ouverture
de la ligne de crédit, elle donnerait l’ordre à la banque régionale de payer le pays B. Au
moment du paiement, le pays A enregistrerait une dette auprès de la Banque régionale d’un
montant égal à ses importations et le pays B serait créancier de la Banque régionale.
Ce système présente un avantage considérable. Les paiements intrarégionaux étant
libellés en monnaie régionale, les pays ne subiraient les pertes à chaque fois qu’ils
convertiraient leurs devises dans celles des autres pays membres. Ainsi, la substitution des
devises (euro, dollar) par une monnaie commune régionale corrigerait le problème des
pertes subies en raison des fluctuations des taux de change. Car, contrairement au système
de change flottant, les dettes et les créances formées seraient libellées dans la même unité
de compte.
3.3.4.2. Financement de la dette extérieure des pays importateurs nets par les excédants
des pays exportateurs nets.
La réflexion relative à l’émission de la monnaie régionale a établi qu’au moment du
paiement, la monnaie régionale émise exprimerait à la fois la dette extérieure du pays
importateur sur la banque régionale et la créance extérieure du pays exportateur sur la
banque régionale. Pour le dire autrement, à chaque dette extérieure correspondrait une
créance extérieure. Si nous agrégeons les dettes extérieures des pays importateurs nets et
les créances extérieures des pays exportateurs nets, nous constatons que le montant total de
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
créance en monnaie régionale serait très exactement égal à la somme des déficits des pays
importateurs nets que la banque régionale aurait accepté de financer.
Le système des paiements régionaux, étant centralisé, garantirait une symétrie
fonctionnelle entre les créances des pays excédentaires nets et les dettes des pays
déficitaires nets. En qualité d’intermédiaire financier, la banque régionale rapprocherait les
pays à besoin de financement et les pays à capacité de financement dès le paiement
intrarégional. Plus précisément, les soldes des banques centrales se compenseraient par une
mise en concertation automatique entre les pays déficitaires et les pays excédentaires et ce
dès le paiement intrarégional.
Transposons ce cadre institutionnel aux faits de l’espèce évoqués plus haut. Avant de
rapprocher les pays A et B, rappelons que la banque régionale, en qualité d’intermédiaire
monétaire, imposerait au pays acheteur (banque centrale) que les paiements à découvert
soient couverts par une fraction du revenu national. En contrepartie la banque régionale
fournirait la liquidité nécessaire au paiement des importations des pays importateurs. Au
moment du paiement, le pays exportateur détiendrait une créance sur la banque régionale.
En qualité d’intermédiaire financier, la banque régionale émettrait des titres qu’elle
céderait au pays exportateur net. Du côté du pays exportateur, la banque centrale
transformerait la créance qu’il détiendrait sur la banque régionale en actif financier.
Notons que par l’intermédiaire de la banque régionale, le pays exportateur net qui
détiendrait un actif extérieur disposerait d’une fraction du revenu national d’un pays
importateur net. Pour le dire autrement, derrière cet actif extérieur, le pays exportateur net
deviendrait propriétaire d’une fraction du produit national d’un pays importateur
quelconque, car la banque régionale aurait autorisé un paiement à découvert sous réserve
qu’il soit couvert par une fraction du revenu national.
En garantissant que chaque paiement à découvert soit garanti par un dépôt en monnaie
nationale, la détention de créances sur la banque régionale signifierait que les résidents du
pays exportateurs nets détiendraient une fraction du revenu national (et donc du produit
national) des pays importateurs nets dès le paiement international. Ainsi, les détenteurs
d’actifs extérieurs nets acquéraient en possession définitive une fraction du revenu national
des pays importateurs dès le paiement. Pour le dire autrement, les résidents détenant des
actifs extérieurs, disposeraient automatiquement par l’intermédiaire de la banque régionale
d’un revenu stocké dans les comptes de la banque centrale du pays importateur net. Ainsi,
ce système permet de protéger les pays contre les opérations de prêts à intérêt basées entre
autres, sur le fait que l’on peut acheter sans détenir une contrepartie réelle.
3.3.4.3. Le financement de la dette extérieure des pays illiquides
Au-delà des fonctions monétaires et financières, la banque régionale se verrait
également allouer la fonction de préteur en dernier ressort pour gérer des crises
d’endettement extérieur (J. Stiglitz, 2010, p. 256) des pays membres de la zone de l’union
monétaire supranationale.
Si un pays débiteur ne parvenait pas à se refinancer sur le marché régional au sens où
les résidents des pays exportateurs nets seraient réticents à acheter des titres de dettes des
pays illiquides, la banque régionale qui serait créancière de sa propre dette, pourrait
intervenir en achetant les titres de dettes des pays illiquides14
, qui enregistreraient un ratio
d’endettement trop élevé, et les revendre en son nom sur le marché financier international
au pays exportateur net. Par cette intervention, la banque régionale apporterait un gage de
garantie qui permettrait au pays exportateur net d’acquérir ses titres de dette pour
refinancer la dette extérieure des pays illiquides.
Ainsi, en qualité de prêteur en dernier ressort, elle permettrait aux pays illiquides
d’obtenir des fonds, issus des pays en capacité de financement, pour couvrir leur besoins
14
A titre de rappel, dans le système réformé, les titres de dette des pays illiquides seraient
automatiquement couverts à 100% par un dépôt en monnaie nationale.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
de financement. Elle agirait en quelque sorte comme « le leader d’un système de crise,
impliquant les pays excédentaires » (M. Aglietta et S. Moatti, 2000).
3.3.4.4. Finalisation des paiements intrarégionaux
Avec Goodhart, nous considérons que le paiement est final quand le pays importateur
net éteint sa position d’endettement envers la banque régionale en exportant des produits
d’un montant égal et si le pays exportateur net importe des produits étrangers d’un montant
égal à sa créance. Comme en témoigne G.A.E. Goodhart, “Payment finality means that a
seller of goods or services or another asset receives something of equal value from the
purchaser which leaves the seller with no further claim on the buyer”(C.A.E. Goodhart-
1989- p 26).
Dans la continuité de l’exemple précédant, nous allons à présent envisager une
opération inverse et de même montant. L’objet de cette analyse nous permettra de définir le
paiement final des transactions intrarégionales. Pour que le pays A éteigne définitivement
sa position d’endettement envers la banque régionale, le pays doit exporter des produis
d’un montant égal au montant de sa dette extérieure. Si le pays B importe des produits au
pays A pour un montant de 100 UMR, la Banque Centrale du pays B donnerait l’ordre à la
banque régionale de payer le pays A. En câblant les instructions de la banque centrale du
pays B, la banque régionale transférerait le dépôt du pays B en faveur du pays A. (Table 2)
Table 2. Paiement du pays B en faveur du pays A
Banque régionale
Actif
Passif
Dépôt Pays B - 100 MR
Dépôt Pays A + 100 MR
L’examen du passif montre que le pays A serait crédité de 100 UMR. En exportant
des produits au reste du monde, le pays A éteindrait définitivement sa position
d’endettement envers la banque régionale. Du côté du pays B, le passif révèle que le pays B
serait débité pour le montant de ses importations. En important des produits d’un montant
équivalent à ses exportations antérieures, le pays B serait définitivement payé.
Table 3. Banque régionale, Paiement définitif international
Banque régionale
Actif
Dette du pays A (imp) + 100 MR
Dette du pays B (exp) - 100 MR
Passif
Créance du pays B (exp.) + 100
MR
Créance du pays A (imp) - 100 MR
SOLDE
0
SOLDE
0
En définitive, comme le laisse apparaître la table 3 consolidé de la banque régionale,
le paiement final des dettes extérieures est rendu possible lorsque le pays exporte des
produits d’un montant égal. Autrement dit, la finalisation du paiement international
conjugue deux semi-transactions de sens contraires.
3.4. Le développement économique et social régional
Ce cadre institutionnel, qui protège les pays membres de la zone monétaire régionale,
constituerait un puissant levier pour favoriser le développement économique et social.
Sur le modèle du plan SUCRE, un mécanisme de « coopération, d'intégration et de
complémentarité économique et financière destiné à promouvoir le développement intégral
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
de la région » pourrait être établi. En attribuant à la banque régionale une mission de
développement, les excédants de réserves pourraient être destinés à promouvoir les
investissements «d'importantes implications publiques ou macroéconomiques» dans les
pays chroniquement déficitaires. Comme en témoigne l’exemple des pays Amérique
Latine, le fonds de stabilisation appelé le fonds del Sur qui est alimenté par des
prélèvements opérés sur le montant des exportations permet à la banque régionale de
consentir des prêts aux pays en difficulté pour soutenir le développement de poste clé,
l’éducation, les infrastructures, la santé. De plus, les pays exportateurs nets pourraient, par
des mesures incitatives à investir dans les pays membres de la zone monétaire régionale,
qui ont un niveau d’exportation insuffisant pour importer.
Nous pourrions transposer ce modèle à l’échelle des pays du Maghreb ou d’Afrique.
Si certains pays membres de la zone monétaire régionale ont un niveau d’exportation
insuffisant pour importer, nous pourrions envisager des politiques de développement
régional. Ainsi, les pays, qui souffrent d’un déficit chronique, pourraient bénéficier des
avantages que procure la politique de développement régional.
4. Conclusion
Les crises de dette souveraine et bancaire suggèrent quelques pistes de recherche qui
pourraient permettre de mieux cerner les insuffisances de la zone monétaire européenne.
Nous avons établi que les Etats, ne pouvant pas se financer directement auprès de la banque
centrale, ont été contraints de rechercher des conditions de financement très compétitives sur
les marchés financiers internationaux qui proposaient des offres attractives. Face à la
situation d’insolvabilité de la plupart des Etats européens, ces derniers connaissent une crise
de la dette souveraine. Cette crise, accentuant le risque d’insolvabilité des banques détenant
dans leur bilan des titres souverains, pose le problème de la viabilité de la zone euro. En
effet, le coût de recapitalisation des banques incombe aux différents États. Or, les
conséquences budgétaires de ces sauvetages étant significatives, ce scénario nous mène dans
une impasse car, comme nous l’avons observé dans la section précédant, les Etats sont eux-
mêmes touchés par une crise de l’endettement. Les plans de sauvetage étant incertain,
l’absence de financement d’urgence apporté par les États membres pourrait constituer un
puissant canal de transmission des chocs financiers et économiques à l’échelle internationale.
Les pays du Maghreb, étant étroitement liés commercialement et financièrement avec
la zone euro, subissent de plein fouet les effets de la crise économique et bancaire.
Pour endiguer la crise, des réponses régionales peuvent être apportées. En prenant
pour point de départ, le plan Keynes, qui propose un ensemble de règles, de conventions et
d’institutions internationales, nous avons défini les contours de l’organisation monétaire
régionale. Ce système de paiement supranational, fondé sur une monnaie de référence
distincte d'une devise et l'institution d'une banque supranationale présente l’avantage
d'endiguer les contraintes de l'environnement extérieur comme les fluctuations erratiques des
taux de change. De plus ce cadre institutionnel permettrait d’établir des politiques de
développement économique et social au niveau régional.
Face à la crise de l’endettement, quelles réformes ?
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