La Crise Des Subprimes

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La crise des subprimesRapport

Patrick Artus, Jean-Paul Betbze, Christian de Boissieu et Gunther Capelle-BlancardCommentaires

Olivier Garnier Jean-Herv LorenziComplments

Michel Aglietta, Patrick Amis, Nicolas Couderc, Jzabel Couppey-Soubeyran, Michel Crouhy, Olivier Godechot, Sonia Ondo Ndong, Hubert Reynier, Sandra Rigot, Sophie Sotil-Forgues et Laurence Scialom

Ralis en PAO au Conseil dAnalyse conomique par Christine Carl

La Documentation franaise. Paris, 2008 - ISBN : 978-2-11-007357-0 En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication est strictement interdite sans lautorisation expresse de lditeur. Il est rappel cet gard que lusage abusif de la photocopie met en danger lquilibre conomique des circuits du livre.

Sommaire

Introduction ............................................................................................ 5 Christian de Boissieu RAPPORT La crise des subprimes ....................................................................... 7 Patrick Artus, Jean-Paul Betbze, Christian de Boissieu et Gunther Capelle-Blancard Principales propositions ............................................................................ 7 Chapitre 1. Les facteurs lorigine de la crise ....................................... 11 1. Une situation macroconomique instable ..................................... 12 2. Des dysfonctionnements microconomiques ................................ 27 3. Des pratiques financires haut risque ......................................... 35 4. Conclusion ..................................................................................... 61 Chapitre 2. Le droulement de la crise et ses effets ................................ 63 1. Le droulement de la crise ............................................................ 65 2. Les effets moyen terme ............................................................... 83 3. Conclusion ................................................................................... 102 Chapitre 3. Les interventions pour endiguer la crise ............................ 103 1. Dfendre la solvabilit des emprunteurs ..................................... 103 2. La politique montaire ................................................................ 106 3. La question du prteur en dernier ressort .................................... 112 Chapitre 4. Amliorer la gouvernance financire ................................. 119 1. Un meilleur fonctionnement des agences de notation ................. 120 2. Leons de la crise pour la rglementation prudentielle des banques.................................................................................. 126 3. Autres recommandations concernant la rgulation financire .... 131 Annexe ................................................................................................... 135

LA CRISE DES SUBPRIMES

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COMMENTAIRES Olivier Garnier ..................................................................................... 143 Jean-Herv Lorenzi ............................................................................ 151 COMPLMENTS A. Les mesures de risque et leurs limites .................................. 155 Michel Crouhy B. Mark to market, mark to model et mark to make believe .................................................................. 163 Patrick Amis et Sophie Sotil-Forgues C. Titrisation, incitations et transparence .................................. 191 Nicolas Couderc D. Les bonus accroissent-ils les risques ? ............................... 203 Olivier Godechot E. Ble II face aux leons de la crise des subprimes ............. 219 Jzabel Couppey-Soubeyran F. Le rle spcifique des hedge funds dans la transmission du risque systmique : une contribution au dbat rglementaire ................................... 229 Michel Aglietta et Sandra Rigot G. La dbcle de Northern Rock : un cas dcole .................... 247 Sonia Ondo Ndong et Laurence Scialom H. La rgulation financire internationale et les centres off shore ................................................................... 259 Hubert Reynier

RSUM .............................................................................................. 263 SUMMARY ........................................................................................... 273

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Introduction

La crise financire des subprimes, qui a clat en aot 2007, est loin dtre acheve un an aprs. Elle touche en pratique lessentiel du systme bancaire et financier, et pas seulement les crdits hypothcaires accords aux mnages amricains risqus (les fameux subprimes). Elle soulve de redoutables interrogations sur les avantages et les inconvnients des procdures de titrisation, sur le rle des innovations financires dans le transfert des risques et donc leur traabilit, sur le contrle interne des risques et lorganisation mme des systmes de contrle prudentiel et de supervision bancaire, sur le dispositif gnral de rgulation bancaire et financire Le rapport qui suit analyse les ressorts de la crise des subprimes. Il tudie son impact sur la gestion des risques, leur valorisation, le comportement des banques et la croissance. Nombre de banques vont tre confrontes des besoins de fonds propres supplmentaires, et lappel aux fonds souverains constitue de ce point de vue une solution court terme, un dfi potentiel long terme sous langle de la gouvernance de ces banques. Le rapport prsente un certain nombre de recommandations. Certaines ne prennent leur sens qu lchelle mondiale, mme si elles supposent plus de coopration lintrieur de lEurope. Il en est ainsi de lamlioration du fonctionnement des agences de notation, de lapplication de certaines normes comptables (dont les principes de la fair value et du mark-to-market , ou, dfaut de march, du mark to model ). Dautres propositions touchent directement au fonctionnement de lEurope, lorsquil est question de renforcer dans le march unique la coordination des rgulateurs nationaux, quils soccupent des banques, des socits dassurance ou des marchs financiers. Le rapport a t prsent et discut lors de la sance plnire du CAE du 17 avril 2008.

Christian de BoissieuPrsident dlgu du Conseil danalyse conomiqueLA CRISE DES SUBPRIMES

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La crise des subprimesPatrick ArtusDirecteur de la Recherche et des tudes, Natixis

Jean-Paul BetbzeChef conomiste, Crdit agricole SA

Christian de BoissieuProfesseur lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne, Prsident dlgu du CAE

Gunther Capelle-BlancardProfesseur lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne, Conseiller scientifique au CAE

Principales propositions1. Fonctionnement des agences de notation et transparence de linformation Exiger des agences de notation quelles soient transparentes sur leurs modles et leurs mthodologies. Imposer que les agences de notation intgrent dans leurs valuations le risque de liquidit et les risques oprationnels, ct des risques de crdit. Cela peut se traduire par lattribution dune note complmentaire celles dj existantes ou par lutilisation dune chelle de notations diffrente lorsquil sagit de produits structurs Mettre en place des mcanismes visant rduire les conflits dintrt entre les metteurs et les agences de notation. Nous proposons notamment de revoir le systme de tarification et privilgions la formule de labonnement : chaque client dune agence de notation paierait un forfait annuel couvrant une large palette de prestations. Au-del de cette palette sajouteraient des frais supplmentaires (qui pourraient dpendre plus de la nature des oprations concernes que de leur montant). Renforcer le code de conduite de lOICV pour inciter les agences de notation sparer plus clairement leurs activits de notation et de conseil.LA CRISE DES SUBPRIMES

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Crer un label europen des agences de notation, limage du label amricain NRSRO. Ce label pourrait tre attribu par le CESR (Committee of European Securities Regulators). Revoir la classification des produits financiers proposs aux investisseurs, en incorporant le risque de liquidit comme critre. Exiger que les rseaux prescripteurs (banques, socits dassurance) se rfrent la classification des OPCVM faite par le rgulateur financier. 2. Adquation actif/passif des banques Dfinir des standards internationaux de liquidit. Ces derniers doivent rester simples et transparents, malgr la complexit de la finance moderne. Avant toute mesure, il est toutefois indispensable daffiner les concepts et les modles de gestion du risque dilliquidit. Ce travail danalyse est pralable tout accord international. Cest au Comit de Ble (largi aux pays mergents) que doit revenir le soin dorganiser ces travaux. Intgrer les considrations de liquidit dans le toilettage de Ble II au niveau de chacun de ses trois piliers : la dfinition du ratio de solvabilit (pilier 1), lexercice de la supervision bancaire (pilier 2) avec une attention croissante apporter dans cet exercice la liquidit, la discipline de march (pilier 3) puisque les banques devront tre plus transparentes sur leur situation de liquidit. Augmenter les pondrations des lignes de liquidit ( contingency lines ), par lesquelles les banques sengagent racheter des crdits quelles auraient titriss. Mettre au menu de la prsidence europenne, compter du 1er juillet 2008, un toilettage de la directive sur ladquation des fonds propres (CRD). 3. Normes comptables Assouplir les rgles de comptabilisation en valeur de march pour les investisseurs institutionnels en leur permettant de lisser leurs plus ou moinsvalues latentes sur plusieurs annes dans le cas o les titres sont dtenus jusqu lchance. 4. Gouvernance internationale 4.1. Au niveau europen court terme, faire voluer et renforcer les comits de niveau du processus Lamfalussy 3 (le CESR pour les rgulateurs financiers, le CEBS pour les banques, le CEIOPS pour les assurances), comme le recommande Tommaso Padoa-Schioppa. 8CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

moyen terme, crer un systme europen de superviseurs bancaires calqu sur le systme europen des banques centrales, comme le suggre Michel Pebereau. 4.2. Au niveau mondial Associer les principaux pays mergents et des reprsentants des pays en dveloppement aux travaux sur la liquidit. Remplacer le G7/G8 par un G13 ou un G15, permettant dassocier comme membres de plein exercice les grands pays mergents (Chine, Inde, Brsil, Indonsie). Veiller ce que la rglementation ne profite pas, in fine, aux places financires offshores. Cela plaide de nouveau pour une concertation la plus large possible.

LA CRISE DES SUBPRIMES

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Chapitre 1

Les facteurs lorigine de la crise

Imaginez une rgle tenue verticalement sur votre doigt : cette position trs instable devrait conduire sa chute, au moindre mouvement de la main ou en raison dun trs lger courant dair. La chute est lie fondamentalement au caractre instable de la position ; la cause immdiate de la chute est, elle, secondaire . Didier Sornette, 2002 2007 va entrer dans lhistoire avec le mot subprime, que lon pourra assez rapidement coller au mot de surprise(1). Les experts du FMI notaient en avril 2007 en dpit de la volatilit rcente sur les marchs financiers, la croissance mondiale devrait rester vigoureuse en 2007 et en 2008 (). Globalement, les perspectives semblent moins menaces quil y a six mois, mais elles ont encore plus de chances dtre rvises la baisse qu la hausse, les risques financiers tant de plus en plus proccupants. Les sources dincertitude sont les suivantes : un ralentissement plus brutal aux tatsUnis si le secteur du logement continue de se dtriorer ; un abandon des actifs risque si la volatilit sur les marchs financiers, aujourdhui faible par rapport au pass, augmente ; un regain de tensions inflationnistes alors que les carts de production continuent de diminuer, surtout en cas de nouvelle monte des cours du ptrole ; et le risque peu probable mais trs coteux dune rsorption dsordonne des dsquilibres levs de lconomie mondiale (FMI, 2007).(1) Dans la presse internationale, le terme subprime est mentionn dans 6 000 articles en 2006, 32 000 au 1er semestre 2007 et 130 000 au 2nd semestre 2007. Dans la presse francophone, ce terme apparat 6 fois en 2006, 700 fois au 1er semestre 2007 et 8 400 fois au 2nd semestre 2007 (requte ralise partir de la base de donnes Factiva qui rassemble le texte intgral de plus de 8 000 sources parmi lesquelles Le Monde, Les chos, Le Figaro, La Tribune, The Financial Times, The Wall Street Journal ainsi que tous les grands titres de la presse internationale).LA CRISE DES SUBPRIMES

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Bref, quelques mois avant la crise financire qui clate en aot, les marchs nannonaient pas de ralentissement mondial. Ils signalaient tous le risque dun ralentissement amricain, mais un ralentissement qui ne se transmettrait pas au reste du monde : cest la thorie dite du dcouplage . Quant aux risques financiers, ils pouvaient venir dune remonte de la volatilit, historiquement basse lpoque, mais sans quil soit possible den prciser lorigine. Ceci expliquait le sentiment des marchs financiers dalors : ils taient la fois plus srs dune croissance plus forte venir, mais avec lide (en apparence contradictoire) quun changement de trajectoire serait plutt ngatif quand il se manifesterait. Du mieux avant du pire, en quelque sorte, tel tait le sentiment largement rpandu par les experts publics et privs. Lhistoire devait en dcider autrement, puisque le retournement de la conjoncture financire et bancaire a t plus brutal et plus gnral que prvu. La crise financire qui dbute en aot 2007 est dabord une crise des crdits hypothcaires risque : les fameux crdits subprimes. Ce march, qui a certes connu une forte croissance ces dernires annes aux tats-Unis, est somme toute de taille relativement modeste. Il ne reprsente pas plus de 1 000 milliards de dollars, comparer la capitalisation boursire aux tatsUnis qui est de 20 000 milliards ou au patrimoine des mnages amricains qui slve pratiquement 60 000 milliards de dollars. Pourquoi la crise at-elle donc pris une telle ampleur ? Pour comprendre la squence de ces vnements, deux approches sont possibles : la premire met laccent sur les drglements qui se sont amplifis tout au long de 2007, la seconde considre quils se sont produits partir dune base elle-mme fragile. Cest cette dernire que nous retiendrons : la crise des subprimes intervient sur fond de dsquilibres financiers mondiaux. Elle en accuse les fragilits, comme une rgle tenue au bout dun doigt tient jusqu ce quelle tombe.

1. Une situation macroconomique instableLa crise financire est due proportion de la situation de fragilit quavait dveloppe lconomie mondiale. Une fragilit masque par ses succs : la libralisation globale des marchs financiers, lintgration des conomies, laction victorieuse des banquiers centraux dans leur lutte contre linflation. Cette situation a tout du paradoxe de la tranquillit . Le paradoxe de la tranquillit est une expression que lon doit lconomiste amricain Hyman Minsky. Ce dernier a dvelopp dans les annes soixante-dix lide que les crises de surendettement se prparent lorsque tout va bien et que les agents conomiques (entreprises, mnages) profitent de la croissance et des taux dintrt bas pour emprunter parfois au-del du raisonnable. Mais lorsque les taux dintrt se retournent la hausse, en particulier du fait du resserrement montaire, lendettement qui 12CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

paraissait soutenable, compte tenu du niveau modr des taux, devient insupportable et vire au surendettement. Pour la crise financire qui dbute en 2007, le paradoxe de la tranquillit se double dun paradoxe de la crdibilit (Borio et Shim, 2007) : la lutte contre linflation, ayant donn des rsultats trs favorables, a renforc la crdibilit des banques centrales. Une liquidit abondante entrane des rendements obligataires faibles et une diminution gnralise des primes de risque, les marchs intgrant lefficacit des politiques anti-inflationnistes des banques centrales. Il sensuit de leur part une recherche accrue de rentabilit, labri dune crdibilit accrue dans les instances de rgulation et les mthodes comptables, tandis que les innovations financires ne cessent de se dvelopper. Les dsquilibres qui ont conduit la crise des subprimes ne se sont pas enchans de faon linaire et unidirectionnelle. Cest mme tout le contraire : on a assist la conjonction de nombreux vnements qui se sont renforcs les uns les autres, ce qui complique videmment lanalyse. A posteriori, on peut nanmoins faire apparatre un ensemble de six faits styliss principaux. Le modle de base est celui de la thorie du surendettement inspir initialement des travaux dIrving Fisher en 1933 (Boyer, 1988). Traditionnellement, tout part dun choc de productivit qui a une incidence positive sur la croissance, qui elle-mme nourrit les anticipations de profits et se traduit par une augmentation des investissements et donc du crdit. Cette dynamique porte toutefois en elle plusieurs mcanismes de stabilisation. En effet, lexpansion du crdit est, normalement, limite par une hausse de linflation qui a pour consquence un durcissement de la politique montaire et une remonte des taux dintrt. En outre, les banques se voient contraintes dans leur offre de crdit par leurs besoins en fonds propres. Sauf que sur la priode rcente, les stabilisateurs automatiques (reprsents par les flches en pointills sur la figure) nont pas jou comme laccoutume(2). Ce qui suit explique pourquoi(3).

(2) Ce nest pas bien sr la premire fois quune crise nat dun problme de surendettement. Pour une mise en perspective historique de la crise des subprimes, voir Bordo (2007) et Reinhart et Rogoff (2008). (3) La figure 1.18 la fin de ce chapitre ralise la synthse des faits styliss et des enchanements qui ont conduit la crise. Les mcanismes numrots dans le texte (dsquilibres macroconomiques) et (dysfonctionnements microconomiques) renvoient cette mme figure.LA CRISE DES SUBPRIMES

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1.1. Une ample liquidit depuis 2002a. Masse montaire 30Agrgat troit M1 Tendance (estimation MCO : constante + trend)

En % du PIB

26

22

18

14 1980

1984

1988

1992

1996

2000

2004

2007

Lecture : Calcul sur six pays (tats-Unis, UEM, Royaume-Uni, Japon, Canada et Chine). Source : Datastream. b. Liquidit et accumulation des rserves de change En milliards de dollarsBase montaire Rserve de change

1 400 1 200 1 000 800 600 400 200 0 -200 1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Lecture : Variation sur un an de la base montaire et des rserves de change (en milliards de dollars) : tats-Unis, Canada, UE-15, Japon, Chine, Inde, autres pays dAsie, PECO, Amrique latine y compris Mexique, Russie, Norvge et OPEP. Source : Datastream.

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.1. Une ample liquidit mondiale Le point de dpart nous semble tre lexcs de liquidit au niveau mondial (paradoxalement, la crise actuelle se caractrise aussi par un asschement de la liquidit sur lequel nous reviendrons). Si lon prend, par exemple, le rapport entre la masse montaire au sens strict et le PIB (figure 1.1a) pour six grands pays ou zones montaires (tats-Unis, zone euro, Japon, Chine, Royaume-Uni et Canada) on voit quil passe de 18 20 % en moyenne sur la priode 1980-2000 plus de 26 % partir de 2002, pour atteindre prs de 30 % en 2006-2007. Les facteurs daugmentation de la liquidit sont aussi bien exognes quendognes. Parmi les facteurs exognes on peut citer, au moins pour la priode rcente, la progression trs rapide des rserves de change des banques centrales des pays mergents (la Chine en particulier) et des pays exportateurs de matires premires (figure 1.1b) ; or cette augmentation des rserves nest que partiellement strilise(4). Laugmentation des rserves est due dimportants excdents commerciaux et un fort taux dpargne dans ces pays qui connaissent des taux de croissance levs depuis plusieurs annes (ce rattrapage a par ailleurs contribu limiter le ralentissement de la croissance dans les pays de lOCDE depuis 2000). Parmi les facteurs endognes, on trouve naturellement lexpansion du crdit (dont les causes sont rechercher dans la croissance, la baisse des taux dintrts rels, les innovations financires) qui a nourri galement la liquidit mondiale. Quelles quen soient les raisons, cette liquidit abondante aurait pu susciter des risques inflationnistes, mais ils apparaissent sous contrle en raison de la crdibilit acquise par les banques centrales. 1.2. Une baisse globale de linflation et de sa volatilit Cette forte liquidit mondiale ne se traduit pas en inflation sur les biens et services, au contraire mme . La figure 1.2 montre quel point linflation mondiale na cess de baisser, passant dun niveau moyen de 12 % moins de 5 % depuis prs de dix ans. En mme temps, sa volatilit sest effondre. Il en est videmment de mme pour lOCDE, avec une baisse plus rgulire encore de linflation et de sa volatilit au cours des dernires annes.

(4) En 2007, les rserves mondiales de change ont cr de prs de 1 400 milliards de dollars et la base montaire mondiale de plus de 1 200 milliards de dollars. Voir aussi Reinhart et Reinhart (2008).LA CRISE DES SUBPRIMES

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1.2. La grande modration inflationniste depuis 1998

a. Inflation mondiale et sa volatilit Volatilit glissante sur cinq ans, en %Volatilit (chelle de gauche)

80

35 30 25

60Inflation (chelle de droite)

20 15

40

20

10 5

0 1975

0 1980 1985 1990 1995 2000 2005

b. Inflation OCDE et sa volatilit 60 50 40 30 20 10 0 1975Volatilit (chelle de gauche)

Volatilit glissante sur cinq ans, en %Inflation (chelle de droite)

16 14 12 10 8 6 4 2 0

1980

1985

1990

1995

2000

2005

Sources : FMI, OCDE et Datastream.

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Outre le renforcement de la crdibilit des politiques anti-inflationnistes (notamment en raison de lindpendance des banques centrales), cette baisse gnralise de linflation est mettre sur le compte du rattrapage des pays mergents dont le dveloppement a exerc une pression la baisse sur le prix des biens manufacturiers, mme si dans le mme temps leur croissance pse sur le prix des matires premires(5). Cette stabilit de linflation se double dune moindre fluctuation du PIB et de ses composantes (figure 1.3), phnomne qualifi de grande modration (great moderation)(6). Cela saccompagne galement dune amlioration des situations macroconomiques et dune modernisation des structures financires des pays mergents. Tout est donc runi pour favoriser la confiance(7).1.3. Volatilit du PIB6 5 4 3 2 1 0 Monde tats-Unis Japon Roy.-Uni Allemagne France Canada cart-type des variations annuelles en %1960-1969 1970-1979 1980-1989 1990-1999 2000-2005

Sources : FMI et calculs Banque de France. (5) Kenneth Rogoff (professeur Harvard et ancien conomiste en chef au FMI), dans un discours la Rserve fdrale de Kansas City, dresse un bilan trs complet des arguments expliquant la baisse de linflation au niveau mondial, en insistant notamment sur le rle respectif de la mondialisation et des banques centrales (Rogoff, 2003). Voir Mishkin (2008) pour une critique. (6) noter quavant mme que la crise des subprimes nclate, Primiceri (2005) et Sims et Zha (2006) suggraient que la faible volatilit macroconomique tait, finalement, peut-tre plus due la chance (good luck hypothesis) qu des facteurs structurels (en particulier un meilleur usage des politiques montaires). Plus largement, voir Aghion, Angeletos, Banerjee et Manova (2005) et Cecchetti, Flores-Lagunes et Krause (2006). (7) En dcembre 2006, la Banque de France prsentait les chose de la manire suivante : les marchs financiers se calent aujourdhui sur un scnario parfait datterrissage en douceur de lconomie amricaine et mondiale, avec : une inflation stable et matrise ; une croissance ralentie mais soutenue, proche du potentiel (), puis une rduction (aux tatsUnis) des taux dintrt court terme ; lensemble permettant une croissance rgulire des profits , tout en mettant en garde contre de possibles dviations (Revue de la stabilit financire, n 9).LA CRISE DES SUBPRIMES

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1.4. La baisse de laversion au risque

a. Baisse de laversion au risque 2003-2006 cart-type 4 3 2 1 0 1 2 3 2000Scandale Enron... Crise du crdit Indice daversion au risque (taux, change,bourse, or) Core du Nord

11 septembre

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

b. Spreads sur obligations risques En points de base 1 900 1 700 1 500 1 300 1 100 900 700 500 300 100 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 700 500 300 100 100mergents (Em BI+) (ch. de gauche) Corporate (BAA) (ch. de gauche) Spread EM BI BAA (ch. de droite)

1 500 1 300 1 100 900

Sources : Bloomberg et calculs Crdit agricole.

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.3. Une baisse gnralise des primes de risque Il en rsulte une diminution de laversion au risque (figure 1.4a). En revanche, depuis aot 2007, laversion au risque est bien sr remonte brusquement pour atteindre un niveau suprieur celui atteint en septembre 2001 ou lors du scandale Enron. De manire plus prcise, si lon retient les seuls marchs obligataires (figure 1.4b), les rmunrations sont de lordre de 300 points de base (pb) dans les annes 2000 pour les notes BAA et de 800 pb pour les pays mergents (Emerging Markets Bond Index +), soit un spread de lordre de 500 pb. Ce dernier diminue alors rgulirement pour atteindre 300 pb partir de 2005, puis sannule pratiquement dbut 2007. La causalit est donc claire : lample liquidit conduit les acteurs chercher des actifs plus risqus pour leurs placements, en qute de rendement. La relative faiblesse de papier fait alors baisser les rendements, autrement dit le prix du risque. Plus le temps passe, plus de risques sont ainsi pris sans tre correctement rmunrs, en mme temps que la volatilit de linflation baisse et que la liquidit globale demeure importante. Les conditions dun retournement brutal se mettent en place, mais les acteurs financiers rechignent le prendre en compte, retenant lide que les banques centrales continuent de veiller la stabilit de lensemble. 1.4. Une baisse des taux dintrt long terme La baisse de linflation et de sa volatilit, combine la baisse des primes de risque, a conduit une baisse des taux dintrt long terme , malgr le resserrement (que certains jugent tardif) de la politique montaire amricaine. Cette baisse a t renforce par une rduction globale des emprunts mis par les tats, des politiques de contrle des dficits publics se mettant graduellement en place, notamment en Europe. Pour ce qui concerne les rendements obligataires, lexpression emblmatique de cette phase de confiance se retrouve dans le fameux conundrum dAlan Greenspan(8). Celui-ci, alors quil fait entrer la Fed dans une srie correctrice de hausses des taux Fed funds, et aprs avoir craint une raction adverse des rendements longs, mesure une rare inertie. Les taux longs amricains, et plus(8) Il y a peu de doutes, quavec la dsintgration de lUnion sovitique et lintgration de la Chine et de lInde au commerce international, les capacits productives mondiales satisfont mieux la demande globale de biens et services. Par ailleurs, le fait que les marchs financiers soient davantage intgrs signifie quune large part de lpargne mondiale sert aujourdhui financer des investissements transnationaux. Les bonnes performances, en termes dinflation, obtenues par de nombreux pays () ont sans doute aussi contribu contenir les anticipations inflationnistes et rduire les primes de risque. Mais rien de cela nest nouveau, aussi est-il difficile dattribuer le dclin des taux dintrt long terme ces derniers mois au renforcement de la globalisation. Pour le moment, le comportement largement non anticip du march obligataire mondial reste une nigme [conundrum]. Alan Greenspan, Federal Reserve Boards Semi-annual Monetary Policy Report to the Congress, 16 fvrier 2005.LA CRISE DES SUBPRIMES

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gnralement ceux des grands pays dvelopps, restent en effet bas, alors que la normalisation des taux courts se poursuit. Cette inertie des taux long engendre une certaine inquitude parmi les analystes. Linversion de la courbe des taux aux tats-Unis est en effet connue pour tre un bon indicateur du ralentissement conomique (Estrella, 2005 et Estrella et Mishkin, 1998). La figure 1.5 montre que lcart entre les taux effectifs et ceux conomtriquement calculs(9) atteint souvent 100 points de base sur la priode 2001-2004. Ce rsidu du modle est bien une mesure du conundrum.1.5. Lapparition du conundrum obligataire partir de 200411 10 9 8 7 6 5 4 3 1987 200 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 100 0 En %Taux 10 ans (ch. de gauche) Estimation (ch. de gauche) Rsidus du modle (ch. de droite)

200

100

Note : tats-Unis : taux dintrt long terme (variables explicatives : inflation, taux rel 3 mois, PIB). Sources : Datastream et calculs Crdit agricole.

Les explications sont nombreuses pour expliquer ce phnomne(10). Elles intgrent la fois la globalisation et la concurrence de faon gnrale (comme facteurs explicatif de la baisse de linflation au niveau mondial), lachat de titres publics par les banques centrales asiatiques (le global saving glut de Ben Bernanke, 2005), la crdibilit des banques centrales (une explication quelles ont, elles-mmes, souvent mise en avant) et, quoique plus rarement, la faiblesse de la demande dinvestissement au niveau mondial (Desroches et Francis, 2007).(9) Le modle utilise comme variables explicatives le PIB, linflation (effet Fischer) et les taux court terme (les variations de taux dintrt dcides par les banques centrales sont censes se transmettre aux maturits les plus longues). (10) Voir pour une synthse Ahrend, Catte et Price (2006), par exemple.

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.5. Une expansion du crdit dans un contexte non inflationniste La baisse des taux dintrt et des primes de risque alimente ainsi un crdit abondant et bon march . Mais cette abondante liquidit ne se retrouve pas dans les hausses de prix des biens (fait stylis 2). En effet, les facteurs de production ne sont pas pleinement utiliss, suite la rcession de 2001 et la croissance molle de 2003 dans les pays dvelopps qui fait sentir ses effets jusquen 2005. Par ailleurs, la concurrence des pays mergents cots salariaux faibles continue dagir sur les prix. La croissance non inflationniste se poursuit, mme quand les prix des matires premires se mettent crotre (ptrole, mtaux, produits alimentaires de base), suite notamment la demande des pays mergents, Chine en premier lieu. Et quand lide se rpand que la phase de dsinflation mondiale est en train de sachever, la perception demeure que la flexibilit de loffre joue dans ce processus un rle dsinflationniste dominant, mme sil est en passe de sarrter. La figure 1.6 montre ainsi que l output gap redevient positif mais que le niveau dinflation mondial sest stabilis par rapport la tendance, manifestant vraisemblablement un effet inertiel.1.6. Inflation et output gap dans lOCDE10 8 6 4 2 0 2 4 6 1971 4 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007 2 0Output gap (ch. de droite)

En points de %Inflation totale (cart la tendance 1975-2005) (ch. de gauche)

4

2

Sources : Datastream et Crdit agricole.

La baisse des taux dintrt et des primes de risque favorise aussi les oprations fort effet de levier. Et cette augmentation du levier dendettement nest pas seulement le fait des banques commerciales. Le levier des hedge funds et des fonds de private equity a en effet beaucoup augment depuis 2002 (figures 1.7a/b), tout comme celui des entreprises : en Europe, il y a hausse du levier des entreprises surtout par la hausse de lendettement (figure 1.7c), aux tats-Unis surtout par les rachats dactions (figure 1.7d).LA CRISE DES SUBPRIMES

21

1.7. Laugmentation de leffet de leviera. Levier des stratgies long/short equity3,0

2,5

2,0

1,5

1,0

0,5 2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Sources : Olympia Capital Group, CSFB/T et Natixis.

b. Effet de levier dans les LBO en Europe : niveau de la dette en multiple de lexcdent brut dexploitation12Achat Vente

En multiple de lEBE

10 8 6 4 2 0

2004

2005

2006

2007 (1er semestre)

2007 (2e semestre)

Sources : Fitch et Natixis.

22

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

c. Dette des entreprises120tats-Unis Etats-Unis Zone Euro Zone euro Royaume-Uni Royaume-Uni

En % du PIB

100

80

60

40 1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Sources : Datastream et Natixis.

d. missions nettes dactions par les entreprises non financires6 4 2 0 -2 -4 -6 -8 -10 2002tats-Unis Etat-Unis Japon Japon Zone euro Zone Euro Royaume-Uni Royaume-Uni

En % du PIB

2003

2004

2005

2006

2007

Sources : Datastream et Natixis.LA CRISE DES SUBPRIMES

23

1.8. La hausse du prix des actifsa. Bourses mondiale et mergentes en dollar 700 600M SCI mergents

Base 100 en 1990

500 400 300 200 100 0 1990M SCI Monde

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

b. volution des prix de limmobilier 350Espagne tats-Unis Royaume-Uni France

Base 100 en 1990

300

250

200

150

100 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Sources : Datastream et Crdit agricole.

24

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.6. Une monte des prix dactifs Si lexcs de liquidit na pas eu dincidence sur le prix des biens et services, il en a eu un sur les prix dactifs dont loffre est davantage limite. Tout comme les tats, les entreprises grent au plus prs leur mission de titres, voire procdent des rachats, avec lide daccrotre ainsi la rentabilit de leurs capitaux propres, sachant en outre que la croissance des pays mergents offre des opportunits dinvestissements rentables. Les missions obligataires sont galement contrles, sous la pression des agences de rating (qui examinent de prs le risque pris par les entreprises) et aussi des actionnaires (qui ne rpugnent videmment pas une monte de leffet de levier, pour autant quelle soit mesure). Il nest donc pas surprenant que les bourses mondiales sinscrivent en hausse, notamment celles des pays mergents (figure 1.8a), de mme que les prix de limmobilier (figure 1.8b), qui correspond galement une offre assez rigide. Ds 2003, quelques conomistes (Case et Shiller, 2003)(11) craignent la rsurgence du phnomne de bulle spculative. Mais cette position (soutenue entre autres par Paul Krugman) est alors loin de faire consensus. Plusieurs tudes publies en 2004 par la Rserve fdrale de New York (McCarthy et Peach, 2004) ou de San Francisco (Krainer et Wei, 2004) suggrent en effet qu de rares exceptions prs laugmentation du prix de limmobilier se justifie par lvolution des fondamentaux (notamment dmographiques). Malgr la hausse des prix immobiliers, pour le gouverneur Edward M. Gramlich (Annual Housing Policy Meeting, Chicago, Illinois, 21 mai 2004), le bilan des dernires annes en termes daccession la proprit est trs positif : entre 1994 et 2003, neuf millions damricains sont devenus propritaires de leur rsidence principale ; qui plus est, la moiti dentre eux sont issus des minorits ethniques. Quoiquil en soit, la hausse du prix des actifs favorise lexpansion des crdits hypothcaires, puisque les emprunts sont gags sur la valeur des actifs immobiliers (principe de lacclrateur financier) . On peut aussi ajouter que la hausse des prix de limmobilier exerce une pression sur la politique montaire dans la mesure o des taux dintrt peu levs prservaient laccessibilit financire des logements. La hausse du prix des actifs a galement une incidence sur la consommation et sest traduite par un regain doptimisme favorable la croissance : cest ce quon appelle leffet richesse . Aux tats-Unis, une augmentation de 100 dollars des prix de limmobilier se traduit par une augmentation de la consommation des mnages de 2 dollars court terme et de 9 dollars

(11) Voir aussi Shiller (2007). Robert Shiller, Professeur lUniversit de Yale, est notamment clbre pour avoir mis en garde Alan Greenspan contre lexubrance irrationnelle des marchs boursiers ds 1996.LA CRISE DES SUBPRIMES

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long terme (Carroll, Otsuka et Slacalek, 2006)(12). Cet effet richesse li au prix de limmobilier est dailleurs plus fort que lorsquil sagit des marchs boursiers (Case, Quigley et Shiller, 2005). Cela peut en partie sexpliquer par les effets de refinancement hypothcaire (propres donc au march de limmobilier) qui ont soutenu fortement la consommation aux tats-Unis jusquen 2006 (voir encadr 1.1).

1.1. Illustration du mcanisme de refinancement hypothcaireComme en France, les mnages amricains qui ont contract un emprunt taux fixe peuvent tirer parti de la baisse des taux pour refinancer leur emprunt existant, cest--dire procder au remboursement anticip de leur emprunt taux fixe pour souscrire un nouvel emprunt des conditions plus favorables et diminuer les mensualits de remboursement de leur ancien prt (aux tatsUnis, une telle opration nimplique pas ou trs peu de pnalits de remboursement anticip). Plus important, et contrairement au cas franais, lorsque la valeur du collatral (le bien immobilier) augmente ce mcanisme nest pas indpendant du prcdent, puisque en gnral, les prix des actifs augmentent quand les taux dintrt baissent les mnages amricains peuvent accrotre leur endettement proportion de cette augmentation. Les mnages rcuprent alors la diffrence entre la valeur du nouvel emprunt et celle de lancien ; ces capitaux supplmentaires extraits sont appels cash out. La partie de ces liquidits supplmentaires qui nest pas destine financer lachat (ou la rnovation) du logement est appele mortgage equity withdrawal (MEW). Les capitaux extraits peuvent servir financer des dpenses de consommation, des achats dactifs non immobiliers, ou rembourser dautres crdits. Supposons quun mnage amricain ait acquis en janvier 2006 un logement dune valeur initiale de 200 000 dollars, pay pour moiti par apport et le reste par un emprunt sur 15 annuits constantes un taux fixe de 6 %. Lannuit constante est alors de 10 296 dollars dont la premire charge dintrt verser le 1er janvier 2006 reprsente 6 % x 100 000 dollars, soit 6 000 dollars. En juin 2006, les taux baissent de 6 5 % et le bien immobilier du mnage sest apprci de 10 %. Le mnage peut alors exercer une option incluse dans son emprunt hypothcaire lui permettant de refinancer son prt. Plus prcisment, il peut alors emprunter le capital restant d un taux plus bas augment du supplment de valorisation de son logement-collatral (ici 10 % x 200 000 dollars soit 20 000 dollars), soit un total de 120 000 dollars 5 %. Cette opration sapparente de fait un crdit la consommation dun montant de 20 000 dollars financ sur la base dun taux hypothcaire. On suppose ici pour simplifier

(12) Mais linverse est galement vrai ! La diminution du prix des actifs laquelle on assiste aujourdhui a une incidence forte sur la consommation (voir chapitre 2). Par ailleurs, notons quen Europe, leffet richesse est gnralement plus faible (Catte, Girouard, Price et Andr, 2004 et Slacalek, 2006), si ce nest au Royaume-Uni (Campbell et Cocco, 2007).

26

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

quaucun capital na t rembours entre le 1er janvier et le 1er juin. Du fait du niveau plus faible des taux dintrt, le nouvel emprunt peut conduire des charges dintrt suprieures, gales, ou infrieures celles de lancien emprunt. Dans notre exemple, la nouvelle charge dintrt reste constante (5 % x 120 000 dollars = 6 000 dollars), mais ce nest pas le cas de lannuit. Ainsi, pour maintenir des annuits constantes (ou pour diminuer le montant des nouvelles annuits), le mnage a la possibilit de jouer sur la maturit du prt. Dans notre exemple, pour maintenir une annuit constante de 10 296 dollars, le mnage doit jouer sur la maturit de son prt en laugmentant de 15 18 ans. Une tude de la Rserve fdrale de dcembre 2002 met ainsi en vidence que les oprations de refinancement menes en 2001 et dbut 2002 ont conduit un allongement de la maturit dans 80 % des cas. Concernant les remboursements mensuels, ceux-ci se rvlent plus levs au terme de lopration de rengociation dans 26 % des cas (42 % dans le cas doprations avec extractions de capitaux). Au terme de cette opration de rengociation, le mnage a augment son endettement, maintenu la charge de sa dette (annuit quivalente), nendosse pas de risque de taux (il est endett taux fixe) et dispose dun supplment de liquidit de 20 000 dollars.

Source : Eyraud, Fortin et Rivaud (2007).

2. Des dysfonctionnements microconomiques ces dsquilibres macroconomiques, il faut en outre ajouter des dysfonctionnements microconomiques (exigence de rentabilit et relchement des conditions dattribution des prts) ainsi que lessor de pratiques financires haut risque. 2.1. Une exigence de rentabilit Aprs la chute des valeurs boursires partir de 2000, les intermdiaires financiers ont d, pour satisfaire leurs clients, trouver dautres placements offrant une rentabilit leve . Lorsque les marchs dactions sont en berne, les investisseurs se tournent traditionnellement vers les marchs obligataires (flight to quality). Toutefois, en raison des dsquilibres macroconomiques examins prcdemment, les taux actuariels taient trs bas . Pour faire face cette exigence de rentabilit renforce par la concurrence des nouveaux intermdiaires financiers (hedge funds en particulier) les banques ont adopt deux types de stratgie : elles ont la fois augment leur volume dactivit en relchant les conditions dattribution des prts et innov .LA CRISE DES SUBPRIMES

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2.2. Un relchement des conditions dattribution des prts Le comportement des banques en matire dattribution des prts est traditionnellement procyclique : les critres sassouplissent lorsque la conjoncture est favorable et se durcissent en cas de retournement(13). Dans le cas de la crise des crdits subprimes, cet effet a jou pleinement comme le confirment plusieurs tudes empiriques rcentes. Les crdits subprimes dsignent les crdits hypothcaires accords des emprunteurs risque (cf. encadr 1.5), par opposition aux crdits primes qui sont souscrits par des emprunteurs qui offrent dexcellentes garanties de remboursement. Il y a encore une dizaine dannes, le march subprime tait considr comme une niche, mais entre 2001 et 2006, les montants ont t multiplis par 7 pour passer de 94 685 milliards de dollars(14). Les caractristiques de ces prts ont par ailleurs beaucoup volu. On constate ainsi une trs forte augmentation de la part des emprunts taux variables au dtriment des emprunts taux fixe : les premiers passent de 1 13 % et les derniers de 41 26 %. Le reste est compos de prts hybrides ( taux fixe les premires annes, puis taux variable) et de prts ballons qui prvoient le remboursement dune partie importante du capital la dernire priode. Ces derniers sont surtout populaires en 2006 o ils reprsentent 15 % des prts subprimes (contre moins de 3 % en 2005). Le score de crdit des emprunteurs (qui dpend de lhistorique des paiements, du montant du prt, de la dure, etc.) a, on sen doute, galement augment. En lien avec la baisse des taux dintrt sur les emprunts dtat ( court et long terme), les taux proposs aux mnages amricains ont diminu entre 2001 et 2004 de 9,4 6,7 % en moyenne. Mais plus surprenant, en 2005 et 2006, alors que les taux dintrt sur les emprunts dtat augmentaient, les taux des prts hypothcaires sont rests relativement stables.(13) La littrature thorique ce propos est abondante (voir DellAriccia et Marquez, 2006). Largument le plus courant est celui de lacclrateur financier (Bernanke et Gertler, 1989 et Kiyotaki et Moore, 1997) : la hausse du prix des actifs suscite une expansion du crdit, simplement car les actifs en question servent de collatraux ; il sensuit une nouvelle hausse du prix des actifs (et rciproquement en cas de baisse du prix des actifs). Berger et Udell (2004) suggrent galement que cet effet procyclique est li des imperfections sur le march du travail. En priode dexpansion du crdit, les institutions financires ont des difficults embaucher de nouveaux salaris, ce qui a une incidence ngative sur la qualit de lexpertise. Enfin, Rajan (1994) met en vidence des problmes dincitations et de mimtisme. Le problme vient de ce que les agents qui accordent les crdits sont valus sur la base de leur performance relative. Ils ont donc rationnellement intrt assouplir leurs conditions de prts en cas dexpansion du crdit, au risque de perdre des parts de march, et sengagent alors dans une course au moins-disant . En cas de retournement de la conjoncture, ils sont de toutes les faons relativement protgs dans la mesure o tout le secteur est sinistr. (14) Il ny a pas dvaluation officielle de lencours du march des subprimes. Pour DellAriccia, Igan et Laeven (2008) les montants ont seulement tripl pour atteindre 600 milliards de dollars. Alors que les emprunteurs subprimes ne reprsentaient que 9 % des emprunteurs immobiliers en 2000, ce pourcentage monte 20 % en 2006 ; par ailleurs, le montant moyen des crdits accords aux emprunteurs subprime a sensiblement augment pour reprsenter 90 % du montant moyen des crdits accords aux emprunteurs prime. Pour une analyse complte du march subprime, voir Mayer et Pence (2008).

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

partir dune base de donnes (LoanPerformance) qui couvre plus de la moiti des prts hypothcaires subprimes accords aux tats-Unis (et prs de 90 % des prts hypothcaires subprimes titriss), Demyanyk et van Hemert (2008) montrent que la qualit des prts se dgrade de faon rgulire entre 2001 et 2006 (voir aussi Doms, Furlong et Krainer, 2007). La figure 1.9 reprsente le taux de dfaut des prts classs par anne dorigination : gauche le taux de dfaut effectif ; droite le taux de dfaut ajust pour tenir compte du contexte macroconomique (variation des prix de limmobilier, des taux dintrt, etc.) et des caractristiques des prts (le score de crdit, le ratio montant du prt sur revenu, etc.). La comparaison entre les deux est particulirement clairante. Lanne 2001 est lune des pires en termes de dfaillance sur les crdits subprimes (juste aprs 2006), mais ce taux lev est tout fait justifi par le contexte conomique. Toutes les conditions sont en effet runies : augmentation des taux dintrt directeurs, faible apprciation des prix immobiliers, etc. Une fois tenu compte de ces facteurs, le taux de dfaut ajust est un niveau relativement faible : le plus faible mme sur la priode 2001-2006. Aussi, la figure 1.9b fait-elle clairement apparatre laugmentation progressive du taux de dfaut, toutes choses gales par ailleurs, ce qui sinterprte bien comme une dtrioration de la qualit des prts. Il savre en outre quaucun segment nest pargn par cette augmentation du taux de dfaut : il concerne aussi bien les prts taux fixe, qu taux variable. Enfin, on assiste une trs forte diminution des carts de taux dintrt (i.e. des spreads) entre les emprunts primes et subprimes (figure 1.10a), en particulier sur la priode 2001-2004 qui concide avec celle o les crdits subprimes ont cru le plus rapidement. Cette baisse est en outre plus importante que pour les obligations dentreprises ; aussi ne peut-on pas lattribuer entirement la diminution de laversion pour le risque (fait stylis 3). La figure 1.10b reprsente lerreur de prvision du diffrentiel de taux entre les emprunts primes et subprimes en fonction du niveau des taux dintrt prime et des caractristiques des prts subprimes. Cette rgression fait clairement apparatre une diminution du spread non justifi par les fondamentaux. Cest bien le signe dune discrimination moindre entre les deux catgories demprunteurs. DellAriccia, Igan et Laeven (2008) disposent galement dune base de donnes remarquable(15). Cette base leur permet de valider empiriquement lide selon laquelle la recherche dune plus grande rentabilit est un des

(15) Ils utilisent en effet le registre des demandes de prts hypothcaires (Home Mortgage Disclosure Act, HMDA) des mnages amricains sur la priode 2000-2006. Ce registre inclut tous les emprunteurs, quils appartiennent la catgorie prime ou subprime, et un trs large ventail dinstitutions financires (banques, caisses dpargne). Le registre couvre ainsi 90 % environ des volumes de transaction sur les prts hypothcaires aux tats-Unis, soit prs de 70 millions de demandes de prt. Le principal avantage de cette base est quelle permet de raliser des tests au niveau rgional.LA CRISE DES SUBPRIMES

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1.9. Augmentation du taux de dfaut des crdits subprimes aux tats-Unisa. Taux de dfaut effectif 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 Nombre de mois depuis lorigination 20 22 24 En %2006 2005 2004 2003 2002 2001

b. Taux de dfaut ajust En % 14 12 10 8 6 4 2 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 Nombre de mois depuis lorigination Sources : First American Loan Performance Database et Demyanyk et van Hemert (2008).Moyenne pondre 2006 2005 2004 2003 2002 2001

30

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.10. Diminution du spread des crdits subprimes aux tats-Unisa. Spread de crdit 3Subprime Prime Spread BBB AAA Spread

En %

2

1

0 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

b. Erreur de prvision En % 1,0Erreur de prdiction Tendance

0,5

0,0

0,5 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Sources : First American Loan Performance Database et Demyanyk et van Hemert (2008).LA CRISE DES SUBPRIMES

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1.11. Relchement des conditions dattribution des prtsa. Variation du volume de crdits en fonction du taux de refus En %

3,0Expansion du volume de crdits

2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0,0

0,5 0,4

0,2

0,0 0,2 Taux de refus

0,4

0,6

b. Variation du volume de crdits en fonction du ratio prt/revenu 3,0Expansion du volume de crdits

En %

2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0,0

0,5 1,0

0,5

0,0

0,5 Ratio prt/revenu

1,0

1,5

2,0

Source : DellAriccia, Igan et Laeven (2008).

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

lments responsable de la crise des subprimes. Leur dmonstration repose sur cinq points. Ils montrent principalement que : laugmentation du volume des prts est lie un relchement des conditions dattribution, mesur par la diminution du taux de refus (figure 1.11a) et laugmentation du ratio montant du prt sur revenu (figure 1.11b)(16) ; laugmentation du volume des prts est associe avec une concurrence plus forte entre les institutions financires : laugmentation du nombre dentrants a eu pour effet de rduire le taux de refus des institutions financires en place (leffet est dautant plus fort que les nouveaux entrants ont une part de march importante) ; lassouplissement des critres dattribution est li lessor de la titrisation (cf. section suivante). La dtrioration des critres dattribution est en effet plus forte dans les rgions o la part des prts titriss est la plus importante (voir aussi Mian et Sufi, 2008 et Keys, Mukherjee, Seru et Vig, 2008) ; lexpansion du crdit est plus forte l o laugmentation des prix de limmobilier est la plus marque (mme en tenant de compte de lendognit) : cest le principe de lacclrateur financier. Il semble toutefois que les institutions financires ont surtout pari sur laugmentation continue des prix avec lide que les emprunteurs pourraient toujours rembourser leurs emprunts en vendant leur bien immobilier ; les conditions montaires ont aussi jou un rle : le cycle des critres correspond celui des taux dintrt directeurs aux tats-Unis. 1.2. Peu de changements dans la nature des prts immobiliers en FranceEn France, contrairement aux tats-Unis, il ny a pas eu depuis 2000 de changements radicaux dans loffre de prts immobiliers aux particuliers. Le nombre de prts accords a ainsi diminu de 2001 2004 passant de 1,86 1,60 million, pour ensuite augmenter jusqu 2,19 millions en 2006. Le montant total des offres de prts a en revanche augment progressivement de 71 171 milliards deuros entre 2001 et 2007 en raison de la hausse des prix de limmobilier. Celle-ci sest accompagne dune augmentation de la dure moyenne des prts. Mais dans le mme temps les banques franaises ont rclam davantage de cautions. La rpartition des prts accords en fonction du revenu varie, en outre, trs peu : environ 15 % des mnages emprunteurs gagnent moins de deux fois le SMIC, 50 % gagnent entre deux et quatre fois le SMIC, les 35 % restant, gagnant plus de quatre fois le SMIC. Ajoutons que les revenus des emprunteurs ont augment plus vite sur la priode que les revenus des autres mnages. Seule volution majeure, la part des crdits taux variable qui est passe de 4 % en 2002 20 % environ en 2004-2005, pour redescendre moins de 8 % en 2006 et moins de 2 % depuis le dbut 2008 (donnes de lObservatoire du financement du crdit logement).(16) Asea et Blomberg (1998), Lown et Morgan (2006), Jimenez et Saurina (2006) montrent aussi, mais en sappuyant sur dautres chantillons, que les conditions doctroi des prts ont tendance tre moins svres en priode de forte expansion du crdit.LA CRISE DES SUBPRIMES

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1.3. Le Community Reinvestment Act est-il en cause dans la crise des subprimes ?1. Prsentation du Community Reinvestment Act Aux tats-Unis, deux lois votes dans les annes soixante-dix (Fair Housing Act et Equal Credit Opportunity Act) visent dfendre laccs quitable au crdit en interdisant les pratiques discriminatoires, en particulier, les discriminations raciales(1). Une troisime, le Community Reinvestment Act (CRA), qui date de 1977, encourage les institutions financires (banques et caisse dpargne) rpondre aux besoins de crdit des communauts locales au sein desquelles elles oprent, y compris dans les quartiers revenu faible ou modr . La loi ne prcise pas comment les institutions financires doivent agir pour atteindre cet objectif et leur laisse donc une grande libert dactions. Les autorits fdrales de supervision du secteur bancaire veillent toutefois ce que lobjectif soit effectivement respect. Pour cela, les institutions financires sont values en fonction du volume de prts accords lensemble de la communaut, de la qualit de ces prts, des investissements et des services raliss dans les secteurs gographiques faible revenu, etc. Il en rsulte une apprciation globale excellent, satisfaisant, amliorer, non conforme qui est rendue publique (depuis 1992). De cette faon, les institutions financires sont incites adopter un comportement vertueux . Cette apprciation est, en outre, incluse dans le dossier de la banque lorsquelle souhaite ouvrir une nouvelle agence ou fusionner avec une autre institution. Autrement dit, une banque peut se voir sanctionne si elle manque ses obligations, telles que dfinies par la loi CRA. 2. Community Reinvestment Act et crise des subprimes En incitant les institutions financires prter dans les quartiers dfavoriss la lgislation na-t-elle pas contribu la crise des subprimes ? Certains conomistes en sont convaincus(2) et soulignent deux effets pervers de la loi CRA : elle pousserait les institutions financires prendre plus de risques quelles ne le feraient spontanment(3) ; les prts accords auraient aliment la bulle spculative immobilire. Certes, potentiellement, ces effets sont craindre. Dailleurs, Ben Bernanke, en mars 2007, mettait en garde les banques assujetties la loi CRA en leur demandant dtre prudentes dans lattribution des prts. Et lintervention du gouverneur de la Rserve fdrale laissait prsager une rvision de la loi.(1) Ces lois ont ainsi vocation lutter contre le redlining : terme qui dsigne une pratique attribue alors aux banques amricaines et qui consistait dlimiter dun trait rouge les zones gographiques o elles se refusaient investir. (2) Thomas J. DiLorenzo (2007) et Stan Liebowitz (2008). (3) Ce problme est dailleurs abord avant mme que la crise nclate, voir Marsico (2003) ou Barr (2005).

34

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Il est bien sr difficile dvaluer les effets positifs de la loi CRA sur les populations faible revenu, mais considrer que cette loi a nourri la crise des subprimes serait excessif. La loi vise principalement viter les discriminations. aucun moment, elle ne contraint les banques prendre davantage de risques. Il est mme stipul dans la loi que les prts accords ne doivent pas mettre en pril la sant financire de loriginateur ; au contraire, les oprations menes dans les quartiers dfavoriss doivent tre compatibles avec des pratiques de prt saines ( the law [does not] require institutions to make high-risk loans that jeopardize their safety (). CRA activities should be undertaken in a safe and sound manner ). Il ne sagit donc pas dexiger de la part des banques quelles prtent de faon inconsidre. La loi CRA intervient seulement pour corriger certaines imperfections de march ( the CRA can be interpreted as an attempt to rectify market failures for example, by inducing banks to invest in building the knowledge and expertise necessary to lend profitably in lowerincome neighborhoods , Bernanke, 30 mars 2007). Dailleurs une tude de la Fed en 2000 montre que les institutions assujetties la loi CRA sont gnralement profitables et le taux de dfaut sur les prts nest pas disproportionn. Empiriquement, le lien entre CRA et crise des subprimes est loin dtre vident. La loi CRA existe depuis plus de trente ans et a t assouplie en 2005 : pourquoi les problmes ne sont-ils pas apparus plus tt ? Notons, en outre, que les deux tiers des prts hypothcaires aux tats-Unis sont accords par des institutions qui ne sont pas vises par la loi CRA. Une tude du cabinet Traiger et Hinckley en 2008 suggre enfin que les banques assujetties la loi CRA ont mme adopt un comportement plutt prudent : la part des prts subprimes(4) dans le total des prts hypothcaires y est infrieure la moyenne et elles ont beaucoup moins recours la titrisation.

(4) Les prts subprimes sont dfinis dans cette tude comme les prts pour lesquels le taux dintrt est suprieur de 3 points au taux des titres du Trsor de mme maturit (high cost loans).

3. Des pratiques financires haut risqueUn des piliers sur lequel repose la supervision du systme bancaire prvoit que laugmentation du volume de crdits saccompagne dune augmentation des besoins en fonds propres des banques, ce qui a pour effet, normalement, de contraindre ces dernires dans leur offre de prts. Mais ces dernires annes ce mcanisme stabilisateur na pas pleinement jou. Les institutions financires se sont trs bien adaptes cette contrainte en innovant(17), en particulier en laborant de nouveaux vhicules de titrisation .(17) Le dveloppement des innovations financires comme le rsultat de stratgies de contournement est un schma bien connu des conomistes depuis les travaux de Silber (1975 et 1983).LA CRISE DES SUBPRIMES

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3.1. Une norme marchisation des crdits risqus La technique de la titrisation nest pas nouvelle, mais ce qui est en cause depuis 2007, cest la titrisation de nouveaux produits de crdits, assortis de garanties elles-mmes nouvelles. Bref, il y a la fois permanence de la logique de la titrisation et innovations quant aux supports et aux rgles(18). 3.1.1. Une logique de base : la titrisation La titrisation est une opration financire qui consiste transformer des prts bancaires traditionnellement illiquides en titres aisment ngociables sur des marchs, par lintermdiaire dune entit juridique ad hoc. Le plus souvent, la banque lorigine des prts les cde un vhicule spcifique (special purpose vehicule ou SPV)(19) qui finance cette acquisition en mettant des titres sur les marchs. Les investisseurs qui achtent ces titres peroivent en contrepartie les revenus (intrts et remboursement du principal) issus des prts. La transformation dactifs illiquides en titres ngociables saccompagne souvent dune restructuration : les titres mis par le SPV ont ainsi des caractristiques diffrentes de celles des actifs sous-jacents en termes de modalits de paiements, de sensibilit aux risques La titrisation permet aux banques de transfrer le risque de crdit. Loprateur bancaire ou financier qui cde les crdits dont il est lorigine peut poursuivre ses oprations avec une base en fonds propres intacte. La titrisation sinscrit ainsi dans un large mouvement de dsintermdiation et de marchisation (ce dernier phnomne concernant aussi les produits drivs exotiques). Les premires oprations de titrisation ont vu le jour aux tats-Unis au dbut des annes soixante-dix sous lauspice de trois agences spcialises qui disposent de garanties de ltat (Government Sponsored Agencies) : la Federal National Mortgage Association (Fannie Mae), la Federal Home Loan Mortgage Corporation (Freddie Mac) et la Government National Mortgage Association (Ginnie Mae) (pratiquement un an aprs le dbut de la crise, Fannie Mae et Freddie Mac se sont retrouvs au cur dune crise de confiance, au point que le Trsor amricain projette un plan de 25 milliards de dollars pour leur venir en aide). Ce nest toutefois que depuis le milieu des annes quatre-vingt-dix que ces oprations ont vraiment pris de lampleur. La titrisation concernait initialement des prts hypothcaires (on parle dans ce cas de mortgage-backed securities, MBS), mais rapidement dautres types de crdits ont servi de supports : crdits automobiles, prts tudiant, encours de cartes bancaires (on parle alors dasset-backed securities, ABS). Et comme pour les produits drivs de manire gnrale, les ingnieurs financiers nont pas cess de proposer de nouveaux produits, toujours plus sophistiqus : collateralised mortgage obligations (CMO), collateralized debt obligations (CDO), collateralised synthetic obligations (o les sous-jacents sont des drivs de crdit), CDO (CDO de CDO), etc (voir encadr 1.4)(20).(18) Voir aussi dans ce rapport la contribution de Nicolas Couderc (complment C). (19) On parle aussi de trust, conduit ou fonds commun de crances (FCC). (20) Pour une prsentation de ces diffrents instruments, voir Cousseran et Rahmouni (2005).

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.4. Titrisation et nouveaux instruments1. Titres adosss des actifs (TAA : Asset-Backed Securities, ABS) Ce sont des titres reprsentatifs dun portefeuille dactifs financiers hors prts hypothcaires (prts la consommation, encours de cartes de crdit) 2. Titres adosss des hypothques (TAH : Mortgage-Backed Securities, MBS) Ce sont des titres reprsentatifs dun portefeuille de prts hypothcaires lis au financement de biens immobiliers. Lorsquil sagit de biens immobiliers rsidentiels, on parle de RMBS (Residential Mortgage-Backed Securities). Lorsquil sagit de biens immobiliers dentreprise (bureaux, centres commerciaux), on parle de CMBS (Commercial Mortgage-Backed Securities). 3. Titres garantis par des crances (TGC : Collateralised Debt Obligations, CDO) Ce sont des titres reprsentatifs de portefeuilles composs de crances bancaire et/ou dinstruments financiers ngociables (obligations, autres titres de crances) et/ou de drivs de crdit. On trouve des CLO (Collateralised Loan Obligations) o le sous-jacent est constitu de prts bancaires, des CBO (Collateralised Bond Obligations) o le sous-jacent est compos dobligations, des CSO (Collateralised Synthetic Obligations) o les sous-jacents sont des drivs de crdit, des CDO2 (CDO de CDO), etc. 4. Drivs de crdit Ce sont des instruments qui permettent de transfrer, par contrat, tout ou partie du risque de crdit portant sur un tiers, appel entit de rfrence. Ce risque peut tre la faillite, des problmes de paiement ou une baisse de la notation. Daprs la Commission bancaire (2002) : une contrepartie peut ainsi vendre un risque de crdit portant sur une crance dtermine, dite crance sous-jacente, une autre contrepartie qui, contre versement rgulier dintrts ou dune prime, lui effectuera un paiement si un vnement de crdit survient sur cet actif sous-jacent. La dfinition des vnements de crdit est essentielle dans une opration de driv de crdit puisque cest la constatation de lun deux qui constitue le fait gnrateur du paiement de la protection. Ils dterminent ainsi le spectre des risques contre lesquels lacheteur de protection souhaite se couvrir. Les vnements de crdit dfinis dans les contrats regroupent principalement les vnements tels que la faillite (bankruptcy), le dfaut de paiement (failure to pay) et la restructuration (restructuring) de lentit de rfrence. Ils peuvent galement comprendre tout autre vnement contractuellement dfini entre les parties telle que, par exemple, une dtrioration de la notation de lentit de rfrence .

LA CRISE DES SUBPRIMES

37

1.12. Le march de la titrisation aux tats-Unisa. March obligataire par type dmetteurs Encours en milliards de dollars 25 000Titirisation MBS + ABS

Collectivits locales Entreprises metteurs de MBS/CMO

Trsor amricain Agences (hors MBS/CMO) ABS

20 000

15 000

10 000

5 000

0 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

b. March des MBS 8 000 7 000 6 000 5 000 4 000 3 000 2 000 1 000 0 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Encours en milliards de dollarsMBS Priv CMO Public MBS Public

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

c. March des ABS3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 0 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Source : Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA). Encours en milliards de dollarsPrts automobiles Prts sur capital immobilier Autres Cartes de crdit Prts tudiants

Le dveloppement de la titrisation a t particulirement rapide. Si lon considre le march des MBS/CMO et des ABS obligataires, lencours fin 2007 aux tats-Unis slve prs de 10 000 milliards de dollars, soit une multiplication par trois en dix ans (figure 1.12). Ce march reprsente prs de 40 % du march obligataire, loin devant les obligations mises par les entreprises (5 800 milliards de dollars) ou par le Trsor (4 500 milliards de dollars). En Europe, le march de la titrisation est diffrent du march amricain. On distingue en effet les covered bonds (Pfandbriefe en Allemagne, obligations foncires en France) qui composent environ la moiti du march, et les ABS qui composent lautre moiti. Pour ce qui est du march des ABS, le march europen est relativement modeste compar au march amricain : au maximum, les missions dABS ont atteint 100 milliards deuros au deuxime trimestre 2007, contre 238 milliards deuros(21) aux tats-Unis sur la mme priode.

(21) missions dABS : 321,1 milliards de dollars (SIFMA) convertis au taux de change de 0,74 euro pour 1 dollar.LA CRISE DES SUBPRIMES

39

3.1.2. Des produits structurs par tranches de risque et vendus selon diffrents niveaux de risque des investisseurs la diffrence de la titrisation classique, qui porte sur un portefeuille de crances bancaires (de prfrence homognes), le processus concerne dsormais des instruments financiers ngociables (obligations ou autres titres de crances) et des drivs de crdit. Des pools se crent ainsi qui ont chacun des crdits classs selon divers niveaux de risques. Cela permet ensuite de runir des crdits, issus de divers pools, et qui ont le mme niveau de risque pour le faire financer ensuite par des financeurs, acceptant des risques financiers pour un mme risque conomique. La tranche super senior est ainsi la plus sre, jusquaux tranches junior, qui sont mieux rmunres, mais plus exposes. Cest donc dune titrisation de produits composites quil sagit (figures 1.13 et 1.14) : la tranche senior est la plus protge et peut tre note AAA par les agences de rating ; la tranche mezzanine est plus expose et peut tre note BBB, ce qui lui procure un rendement lev ; la tranche equity est la plus expose de lensemble, avec un rendement ex ante non dfini et une esprance de gain particulirement leve. Par exemple, on peut trouver runi un mme niveau de risque densemble, par exemple pay Libor + 300 pb, financ par une part super senior Libor + 40, ce qui permettra de rmunrer les tranches plus risques Libor + 500, par exemple. On a bien lu : partir dun mme niveau de risque, valu BBB, on cre (entre autres) un risque AAA, que lon rmunre Libor + 40 On comprend le succs de ce type de produit. A priori, les CDO peuvent tre rpartis selon trois critres (Cousseran et Rahmouni, 2005) : la composition du portefeuille, avec un nombre croissant de produits et de combinaisons de produits sous-jacents, en lien avec la concurrence et le processus dinnovation que connat ce secteur ; lobjectif de la transaction, soit quil soit question de sortir des actifs dun bilan pour librer des fonds propres et/ou grer le portefeuille de risques (CDO de bilan), soit quil soit question de bnficier de lcart entre la rentabilit du portefeuille et la rmunration offerte aux souscripteurs des tranches (CDO darbitrage) ; le mode de transfert du risque de crdit, qui peut passer par une cession ou revtir une forme synthtique, lorsque le vhicule contracte des drivs de crdit sur les signatures ou les titres du portefeuille de rfrence (CDO synthtique, CSO) .

40

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

3.1.3. Des socits dassurances spcialises accordent des garanties et des banques des assurances de liquidit, ce qui conforte le processus de titrisation dans son ensemble Les garanties bancaires de liquidit dabord : les banques qui montent des oprations de titrisation sengagent, sous certaines conditions, en assurer la liquidit, ou assurer la liquidit des entreprises avec lesquelles elles sont en relation, si le march sassche. Ces lignes de crdits contingentes (back up lines) permettent ainsi la bonne fin des oprations dans les meilleures conditions, mais impliquent un engagement explicite de la banque et dment comptabilis en hors bilan. Les assurances monoline ensuite : la diffrence de lassurance qui mutualise les risques, lassureur monoline est un spcialiste de lanalyse des risques qui ne supporte pas le sinistre. Ses ressources viennent en effet des honoraires et non des primes, et le rglement dun sinistre se fait sur la base de sa situation financire, non de ses rserves. On comprend ainsi que ce qui fonde la spcificit de ce type dassurance est la qualit de son analyse, qui fonde ensuite sa notation, en liaison avec le risque particulier quelle porte en cas derreur. Il sagissait en effet, partir de 1999, de rassurer les marchs financiers et dempcher les crises des endettements obligataires, la suite de la faillite du Comt dOrange. On comprend donc que si lassurance monoline est ainsi en risque majeur si elle se trompe, ce qui implique a priori son srieux, on ne peut passer sous silence le fait quelle peut tre effectivement atteinte par une erreur, avec des effets en cascade, ou touche par des effets de crise venant dune autre assurance ou de la crise mme du march subprime. Le systme amont de quasi rassurance est luimme fragile. Il nest pas impossible que ce montage soit le plus fragile de lensemble, partir de lide quil fallait donner plus de garanties au march. Au total, si lon conoit que le systme de titrisation est ainsi structur, dune part, par des assureurs spcialiss qui risquent leur existence mme dans la qualit de leurs analyses, ce qui doit rduire tout comportement hasardeux et, dautre part, par des banques qui confortent la mise en march des oprations, en prenant leurs risques, les conditions sont runies pour un dveloppement raisonn. 3.1.4. Le CDO synthtique tranche unique comme synthse de cette phase dinnovations Le CDO synthtique permet dabord de transfrer le risque et de bnficier de lcart de rentabilit dans lopration (CDO de bilan et CDO darbitrage), sans cession des actifs. Il prserve ainsi la relation entre la banque et son client, puisque la notification de la cession des flux des actifs na pas lieu. Il exonre alors de la gestion des flux de trsorerie venant des actifs sous-jacents et de ses cots.

LA CRISE DES SUBPRIMES

41

42tape 2 Vhicule metteur Investisseurs Le vhicule met des tranches de CDO tape 3 Les tranches sont souscrites par des investisseurs Actif Passif Fonds Principal + intrts Tranches de CDO 100 Portefeuille dactifs 100 Tranches super senior ......... 85 (Euribor + 15 bps) Tranches mezzanine ............ 10 (Euribor + 300 bps) Tranche equity ...................... 5 (rendement lev) tape 3bis Le vhicule achte des protections et assure la liquidit Assureur (monoline) CDS (credit default swap) Banque Ligne de liquidit

1.13. Schma dun CDO de flux avec tranches dinvestisseurs

tape Le client cde le portefeuille dactifs au vhicule metteur 1

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Initiateur(s)

Portefeuiles dactifs

Fonds

100

Cession du portefeuille

Source : Auteurs.

1.14. Produits structurs par tranchesPerte sur le remboursement du capital 100 (en %) Taux de dfaut du portefeuille (en %) 100

Vhicule metteur Passif

Actif

0

5

15

Portefeuille dactifs

3 Tranche super senior ......... 85

100

Perte sur le remboursement du capital 100 (en %) Taux de dfaut du portefeuille (en %) 0 5 15 100

15 % 5% 0%

2 Tranche mezzanine ............. 10Perte sur le remboursement du capital 100 (en %) Taux de dfaut du portefeuille (en %) 0 5 15 100

1 Tranche equity ..................... 5

LA CRISE DES SUBPRIMES

Point dattachement/de dtachement : 1 attachement : seuil au-del duquel la tranche est affecte par les pertes du portefeuille dactifs ; dtachement : seuil au-del duquel la tranche totalement impacte. Source : Auteurs.

Note :

X%

2

3

43

Loriginateur peut ensuite vouloir seulement transfrer le risque estim du portefeuille en le garantissant par des CDS (Credit Default Swaps) sachant que le reste constitue une tranche dite super-senior, non finance et non note, mais qui se trouve subordonne la tranche senior elle-mme, ce qui en fait a priori la part la mieux garantie du tout. Comme le notent Olivier Cousseran et Imne Rahmouni (2005) : le principal attrait de ce genre de montage pour les banques cdantes qui y ont recours rside dans le fait quil permet damples transferts de risque de crdit et, partant, dimportantes conomies de fonds propres, un cot bien moindre que celui des CDO financs, grce une rduction substantielle du montant des tranches placer auprs des investisseurs. En outre, lachat de protection par le biais dune tranche super senior se rvle bien moins coteux (10 pb de prime) que la rmunration servie sur une tranche senior de notation AAA (Euribor + 50 pb), du fait de la prfrence des contreparties super senior (et, notamment, des assureurs monoline ) pour assumer le risque de crdit sans le financer . Enfin, ces CDO synthtiques peuvent avoir une tranche unique, cest-dire un seul acqureur qui acquiert la fois les tranches les plus sres et les plus risques. Dans ce cas, le vendeur du crdit lui-mme doit se protger la fois contre le risque de dfaut li au portefeuille et contre le risque de march li aux volutions des spreads de crdit. Pour cela, il doit se protger sur le march des CDS. En fait, au-del de ces sophistications, qui ont videmment aliment le dveloppement du march, en participant sa complexit, lessentiel est que de plus en plus de crdits sortent du circuit de lintermdiation bancaire, la suite de lactivit darrangeurs qui cherchent une rentabilit forte dans leur opration. Ces crdits structurs sont ensuite acquis par des oprateurs qui cherchent, leur tour, un couple risque/rentabilit lev pour des oprations de financement court. Cela ne va bien sr pas sans risques. Ces derniers sont dailleurs explicitement connus et interdits (voir encadr 1.5) La phase de titrisation ainsi dcrite est donc, la fois : totale puisque loriginateur ne conserve plus rien du risque de crdit li au sous-jacent ; complexe puisque la structuration repose sur des modles statistiques de probabilit de dfaut ; opaque puisque le sous-jacent nest plus prsent dans les transactions qui ne portent que sur du papier dcrit par une probabilit de dfaut. Leurs dtenteurs ne prennent ds lors plus comme indice de risque que le rating du papier quils dtiennent, estimant tort que ce papier est aisment liquide. La crise des subprimes est donc lillustration dune dynamique trop risque. Par diffrence, on comprend les raisons qui ont pouss franchir les lignes : dabord la recherche de rentabilit, auprs de clients fragiles aux44CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

quels il tait possible de proposer des conditions trs tendues, ensuite la possibilit de vendre ces crdits dautres banques ou de les titriser, sachant que les risques encourus taient alors levs, puisque le pari tait fait sur la hausse continue du prix du collatral, mais sachant aussi que les conditions de concurrence et de liquidit rduisaient par ailleurs la rentabilit des crdits risque faible ou mme moyen.

1.5. Les crdits subprimes dans le Commercial Bank Examination Manual ou pourquoi il faut en faire peu et ne pas les titriserIl est intressant de noter que si le manuel de banque amricain (publi par la Rserve fdrale la rfrence 2133) avait t suivi, rien de ce qui sest pass au cours de ces derniers mois naurait eu lieu ! Le manuel commence en effet par mettre en avant, pour des raisons de stabilit financire, la ncessit de freiner les crdits ce type de clients fragiles. Federally insured banks tend to avoid lending to customers with poor credit histories because of the higher risk of default and resulting loan losses. Mais il note aussi, dans le mme paragraphe : however, some lender extend their risk-selection standards to attract lower-credit quality accounts . Lexplication de cette contradiction, au moins apparente, vient de lide quil faut certes veiller la solidit du systme bancaire dans son ensemble, donc ne pas faire ptir les clients de qualit derreurs doctroi de prt, mais quil ne faut pas non plus proposer des conditions de crdit abusives en utilisant sans raison le terme de subprime, ni exclure non plus certaines populations de laccs au crdit. Le domaine du subprime doit tre analys et suivi de prs, par des employs de banques spcialiss, avec des mesures spcifiques des risques au niveau de la banque elle-mme. La dfinition de la population subprime est ainsi trs prcise. Generally, subprime borrowers will display a range of one or more creditrisk characteristics, such as : two or more 30-day delinquencies in the last 12 months, or one or more 60-day delinquencies in the last 24 months ; judgment, foreclosure, repossession, or chargeoff in the prior 24 months ; bankruptcy in the last five years ; relatively high default probability as evidenced by, for example, a credit bureau risk score (FICO) of 660 or below (depending on the product or collateral), or other bureau or proprietary scores with an equivalent default probability likelihood ; debt-service-to-income ratio of 50 percent or greater, or an otherwise limited ability to cover family living expenses after deducting total monthly debt-service requirements from monthly income .

LA CRISE DES SUBPRIMES

45

Mieux mme, les experts fdraux sont au fait des risques de rachat de ces crdits forte marge (et risqu lev) par dautres banques : As they evaluate expected profits, institutions that purchase subprime loans from other lenders or dealers must give due consideration to the cost of servicing these assets and to the loan losses that may be experienced. For instance, some lenders who sell subprime loans charge borrowers high up-front fees, which are usually financed into the loan. This provides incentive for originators to produce a high volume of loans with little emphasis on quality, to the detriment of a potential purchaser. Further, subprime loans, especially those purchased from outside the institutions lending area, are at special risk for fraud or misrepresentation (that is, the quality of the loan may be less than the loan documents indicate . Ce paragraphe sintitule Purchase Evaluation et a t crit en novembre 2002 dans le manuel (page 3 de la section). Enfin, dans la section Securitization and Sale , les experts ajoutent une partie spcialement consacre la titrisation et ses risques en cette matire. To increase their loan-production and servicing income, some subprime lenders originate loans and then securitize and sell them in the asset backed securities market. Strong demand from investors and favourable accounting rules often allow securitization pools to be sold at a gain, providing further incentive for lenders to expand their subprime-lending program. However, the securitization of subprime loans carries inherent risks, including interim credit risk and liquidity risks, which are potentially greater than those for securitizing prime loans. Accounting for the sale of subprime pools requires assumptions that can be difficult to quantify, and erroneous assumptions could lead to the significant overstatement of an institutions assets. Moreover, the practice of providing support and substituting performing loans for nonperforming loans to maintain the desired level of performance on securitized pools has the effect of masking credit-quality problems. Institutions should recognize the volatility of the secondary market for subprime loans and the significant liquidity risk incurred when originating a large volume of loans intended for securitization and sale. Investors can quickly lose their appetite for risk in an economic downturn or when financial markets become volatile. As a result, institutions that have originated, but have not yet sold, pools of subprime loans may be forced to sell the pools at deep discounts . Cette partie a t revue en mai 2007 (page 5 de la rubrique cite).

Prsente ainsi, la hausse des prix des logements garantissait lendettement de lemprunteur, mme subprime. On avait limpression que la maison pargnait pour son propritaire, alors que la hausse de son prix venait dun financement de plus en plus ais (figure 1.15). Le crdit faisait le prix, prix qui validait le crdit mais toute logique de cette nature a videmment ses limites. Cest mme toute lhistoire de la crise des subprimes que davoir tent de trouver des moyens dviter, tout le moins de rduire et/ou de diffrer, la manifestation de cette baisse de rentabilit, en la compensant par des risques mal valus et mal recenss. 46CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1.15. tats-Unis : prix de limmobilier et taux dintrt (aprs la hausse, la chute des prix immobiliers amricains)18Prix mdian dans lancien (ch. de gauche)

En %

13

14 10 6 2

Taux hypothcaire (ch. de doite)

11

9

7 2 6 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 5

Sources : NAR, Census Bureau et Crdit agricole.

3.2. Sophistication et complexit Il existe un large consensus parmi les conomistes pour reconnatre les bienfaits de linnovation financire (voir par exemple Shiller, 2004 ; Stulz, 2004 ; Rajan, 2005). Ces dernires permettent, en effet, une baisse des cots de transaction et une plus grande souplesse dans les oprations financires. Elles sont censes galement contribuer lefficience des marchs, en amliorant le processus de dcouverte des prix, et permettre une meilleure allocation des risques. Dailleurs, mme aujourdhui, si tout le monde reconnat que la titrisation a jou un rle essentiel dans la crise des subprimes, cette pratique nest pas en elle-mme remise en cause. Pour autant, cette crise montre clairement les dangers de la sophistication lexcs. 3.2.1. Complexit des produits, protection des emprunteurs et des pargnants Dans le cas de la crise des subprimes, la complexit des nouveaux produits a dabord jou au niveau des utilisateurs finaux : la fois souscripteurs de prts hypothcaires amricains et pargnants. Laugmentation du volume des prts hypothcaires aux tats-Unis sest faite principalement par une hausse des prts aux mnages conomiquement les plus fragiles (catgorie subprime par opposition la catgorie prime). Or, dans le mme temps, les contrats de prts sont devenus de plusLA CRISE DES SUBPRIMES

47

en plus complexes : en particulier, la part des prts taux variable et des prts hybrides (dont le taux dintrt est rajust la hausse aprs une priode de deux ans, par exemple) a fortement augment. Dans certains cas, au plus haut de leuphorie, les institutions financires (principalement non bancaires) ont eu recours des pratiques commerciales trs agressives, parfois mme la limite de la lgalit (Ashcraft et Schuermann, 2007). lautre bout de la chane, certains pargnants ont aussi t victimes de la complexit des nouveaux produits financiers. En parallle avec la baisse des taux dintrt, les banques ont en effet propos leurs clients institutionnels et particuliers, quoique dans une moindre mesure pour ces derniers des OPCVM montaires dits dynamiques , voire dynamiques + . Ceuxci ont connu une forte croissance entre 2000 et 2007, leur part de march passant de 3 % 8 % (figure 1.16). Depuis, leur part de march a nettement diminu : en fvrier 2008 elle est peine de 4 %.1.16. Part de march des OPCVM montaires dynamiques et dynamiques + 8 7 6 5 4 3 2 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Note : Encours des OPCVM de droit franais agrs faisant appel lpargne publique. Source : Europerformance.

En %

La presse spcialise a pourtant mis en garde les pargnants vis--vis de ces produits. Ainsi, peut-on lire dans un article de La Vie Financire publi en mars 2005 : Attention : au sens rglementaire du terme, les montaires dynamiques plus nexistent pas. Il sagit dune pure appellation marketing. Cela pose un problme de visibilit. Car des pargnants achetant des montaires, fussent-elles plus, pensent gnralement acqurir un produit de trsorerie sans risque alors quen ralit, ils mettent en portefeuille un OPCVM dont la gestion est souvent volontaire. Pour lAutorit des mar48CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

chs financiers, ces fonds sont dailleurs estampills diversifis. Htrogne, la catgorie rassemble donc des produits grs selon des stratgies plus ou moins offensives . Htrogne : cest mme un euphmisme. Pour faire face lexigence de rentabilit des investisseurs, certains grants ont redoubl de crativit. Et il savre que certains fonds avaient massivement investi en actions ou en actifs titriss : hauteur de plus de 50 % parfois (comme pour le fonds Oddo court terme dynamique ). Ces fonds ont bien sr t les premiers souffrir de la crise des subprimes (le fonds Oddo court terme dynamique , par exemple, a t liquid ds aot 2007). On peut toujours arguer que les investisseurs sont, dune certaine manire, complices : rien ne les obligeait choisir ces fonds. Mais se pose malgr tout le problme de la transparence et in fine celui de la confiance. Dans le souci de protger les particuliers, de nombreuses rgles ont, par le pass, t dictes pour limiter la publicit et laccs certains produits considrs comme trop complexes et/ou risqus. Mais avec la libralisation du systme financier, la tendance sest inverse. Depuis quelques annes, les particuliers se voient en effet offrir un ventail de produits toujours plus large. A priori, lavantage est double : dune part cela permet aux mnages de mieux diversifier leur portefeuille ; dautre part cela accrot la profondeur du march, ce qui est susceptible damliorer la rpartition des risques et de faciliter leur mutualisation. Mais les produits auxquels les mnages ont dsormais accs, via lintermdiaire des fonds, sont de plus en plus complexes et risqus. Il est bien sr particulirement difficile de savoir si les avantages lemportent sur les inconvnients, mais il convient dtre vigilants pour viter toute drive dans les conditions de commercialisation des produits complexes (voir les recommandations du chapitre 4 en faveur dune meilleure transparence)(22). 3.2.2. Le risque oprationnel et le risque de modle La complexit des nouveaux produits financiers nest pas juste un problme de comptences et ne concerne pas uniquement les utilisateurs finaux. Cette sophistication introduit en effet deux nouveaux types de risques : le risque oprationnel et le risque de modle. Le comit de Ble dfinit le risque oprationnel comme le risque de pertes provenant de processus internes inadquats ou dfaillants, de personnes et systmes ou dvnements externes . Cette dfinition recouvre les erreurs humaines, les fraudes et malveillances, les dfaillances des systmes dinformation, les problmes lis la gestion du personnel, les litiges commerciaux, les accidents, incendies, inondations (elle exclut toutefois les risques stratgiques et de rputation). Autrement dit, son champ dapplication est particulirement large.(22) Voir aussi le rapport relatif la commercialisation des produits financiers, prsent par Jacques Delmas-Marsalet, MINEFI, novembre 2005.LA CRISE DES SUBPRIMES

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En quoi les nouveaux instruments financiers augmentent-ils le risque oprationnel ? La premire raison tient leffet de levier permis par les produits drivs. Ces derniers permettent en effet de prendre des positions trs importantes avec une mise de fonds relativement mode