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UNIVERSITÉ PARIS 1 PANTHÉON-SORBONNE CENTRE DE RECHERCHE HiCSA (Histoire culturelle et sociale de l’art) LA CULTURE DES COMMANDITAIRES L’ŒUVRE ET L’EMPREINTE Actes de la journée d’étude édités sous la direction scientifique de Sulamith Brodbeck et d'Anne-Orange Poilpré Paris 2015 Pour citer cet article Sulamith Brodbeck, Anne-Orange Poilpré, « Introduction », dans Ead. (éd.), La culture des commanditaires. L'œuvre et l'empreinte, actes de la journée d'étude organisée à à Paris le 15 novembre 2013, Paris, site de l’HiCSA, mis en ligne en juin 2015, p. 3-18.

LA CULTURE DES COMMANDITAIRES L’ŒUVRE ET …hicsa.univ-paris1.fr/documents/pdf/Commanditaires_2015/00_Brodbeck... · Le lien avec les arts n’est pas primordial parmi les qualificatifs

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  • UNIVERSIT PARIS 1 PANTHON-SORBONNE CENTRE DE RECHERCHE HiCSA

    (Histoire culturelle et sociale de lart)

    L A CULTURE DES COMM A NDITA IRES

    LUVRE ET LEMPREINTE

    Actes de la journe dtude dits sous la direction scientifique

    de Sulamith Brodbeck et d'Anne-Orange Poilpr

    Paris2015

    Pour citer cet articleSulamith Brodbeck, Anne-Orange Poilpr, Introduction , dans Ead. (d.), La culture des commanditaires. L'uvre et l'empreinte, actes de la journe d'tude organise Paris le 15 novembre 2013, Paris, site de lHiCSA, mis en ligne en juin 2015, p. 3-18.

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    INTRODUCTIONSULAMITH BRODBECK

    Universit Paris 1 UMR 8167 Orient-Mditerrane

    ANNE-ORANGE POILPRUniversit Paris 1 EA 4100 HiCSA

    La journe dtude consacre La Culture des commanditaires. Luvre et lem-preinte, tenue le 15 novembre 2013 lINHA, clt le programme de lquipe des mdivistes de lHiCSA, commenc il y a quatre ans linitiative de Christiane Prigent et de Quitterie Cazes. En 2010, le Bti civil et religieux puis La culture des clercs en 2011, avaient articul une rflexion collective autour des commandi-taires du Moyen ge et de leur culture, mene selon des perspectives chrono-logiques et gographiques larges. La dmarche adopte pour cette prsente dition entend dterminer la manire dont les modalits et les intentions de la commande marquent luvre et conditionnent des choix formels, techniques et iconographiques. nouveau, langle chronologique se veut ouvert, depuis lAntiquit classique jusquau xive sicle, et lapproche gographique maintient son ouverture vers les chrtients dOrient. La diversit des cas tudis lors de cette journe, que reflte fidlement la publication de ses actes, a t propice des discussions approfondies sur les divers degrs dimplication du comman-ditaire dans le processus de fabrication des uvres. Ces dbats se sont gale-ment fait lcho de questions trs prsentes dans lhistoriographie rcente. La prsentation des contributions est organise selon des axes mettant en avant ces problmatiques, abordes et dbattues au moment de leur prsentation orale : Notables vergtes : ddicaces, facture et matriaux, Culture classique et culture biblique, Monumentalit et dessein politique, Portraits : hommage et donation.

    Cette journe, de mme que les prcdentes, a bnfici du soutien plein et entier de lEA 4100 Histoire Culturelle et Sociale de lArt. Notre reconnaissance sadresse tout particulirement Zinada Polimenova et Antoine Scotto, pour leur aide prcieuse dans lorganisation et le droulement de ces rencontres.

    Historiographie et lments de dfinitionPour lhistoire de lart des priodes anciennes, poser la question du com-manditaire simpose comme une tape ncessaire, que lapproche soit

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    monographique, thmatique ou sopre par le biais dun corpus. Dans cette production artistique, relevant exclusivement de la commande, les artistes / artisans ne travaillent pas seuls, agissant sous limpulsion dune demande, aristocratique, royale, religieuse ou civile 1. Mais le rappel de cette vidence ne fait quouvrir le champ de rflexion consistant interroger les modalits de cette commande et la manire dont elle marque la matrialit mme de luvre.

    Pourtant, lorsque, dans les premires dcennies du xxe sicle, mile Mle publiait ses synthses sur le xiiie sicle, puis sur le xiie, lhypothse du comman-ditaire et dun horizon dattente spcifique sa commande est absente 2. Selon lui, lglise, institution monolithe et univoque, simposait comme dtentrice dun savoir rudit, donnant aux artistes la grammaire artistique ncessaire leur travail dexcution. Grce des catgories comme le gnie des nations (ou du moins des cultures, grecque ou orientale), Mle postulait lorigine de phnomnes tels que la mort ou la renaissance de la sculpture monumen-tale. Il invoquait galement linfluence de certaines disciplines techniques sur dautres : par exemple, lincidence de lenluminure des manuscrits comme facteur prvalent dans la renaissance de la sculpture romane. ces grandes catgories abstraites, qui ont longtemps structur les rflexes mthodolo-giques et intellectuels des historiens de lart (du Moyen ge), se sont substitus dautres critres, qui doivent beaucoup linfluence des sciences sociales et de lanthropologie sur lhistoire et lhistoire de lart. Parmi eux : nos fameux commanditaires.

    En 1985, Robin Cormack, historien de lart byzantin, publiait Writing in Gold dans lequel il consacrait une tude au programme de lEnkleistra ou ermitage de Saint-Nophyte Paphos sur lle de Chypre 3. Dans son analyse, il sloigne

    1 Artistes, Artisans et production artistique au Moyen ge, Actes du colloque de Rennes (2-6 mai 1983), X. Barral I Altet (dir.), 3 vol., Paris, 1987 ; Potes et artistes : la figure du crateur en Europe au Moyen ge et la Renaissance, S. Cassagnes-Brouquet, G. Nore, M. Yvernault (dir.), Limoges, 2007 ; on verra galement le projet Corpus delle opere firmate del Medioevo italiano (Scuola Normale di Pisa / Centro di Ricerche Informatiche per i Beni Culturali) et les publications qui en manent. Corolaire au corpus lui-mme, Le opere e i nomi : prospettive sulla firma medievale : in margine ai lavori per il corpus delle opere firmate del Medioevo italiano, M. Manescalchi, M. M. Donato (dir.), Pise, 2000.

    2 E. Mle, Lart religieux du xiie sicle en France. tude sur les origines de liconographie du Moyen ge, Paris, 1922 (rd. en 1998) ; E. Mle, Lart religieux du xiiie sicle en France. tude sur liconographie du Moyen ge et sur ses sources dinspiration, Paris, 1898 (ldition du Livre de Poche, en 1990, reprenant Armand Colin, 1948).

    3 R. Cormack, Writing in Gold. Byzantine society and its icons, Londres, 1985, p. 221 et suiv. ; voir aussi M. Bacci, Vieux clichs et nouveaux mythes : Constantinople, les icnes et la Mditerrane , dans Perspective, 2, 2012, p. 347-364, ici p. 348.

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    de linterprtation strictement liturgique du programme iconographique pour sintresser au rle jou par le commanditaire et inspirateur du programme, le moine chypriote Nophyte (fig. 1). Cormack interprte alors les choix iconogra-phiques et compositionnels la lumire de la formation culturelle du moine, de ses orientations religieuses et dvotionnelles, de ses intentions et de sa relation avec les artistes, grce notamment aux nombreux textes autobiogra-phiques de Nophyte conservs (Typik Diathk, sorte dActe de fondation autobiographique, et la Thosmeia, rcit des merveilles de Dieu) 4.

    Fig. 1. Le moine Nophyte au pied de la Disis, Ermitage Saint-Nophyte, Paphos, Chypre, 1183 (ICA, Princeton, S. Tomekovic Database)

    Ainsi, partir des annes 1990, se dveloppe un courant dtudes mettant laccent sur les questions dordre sociologique, la valeur documentaire des monuments artistiques et les motivations des commanditaires 5. De nom-breuses tudes voient le jour autour de la personne du commanditaire (du patron , du committente , de l Auftraggeber , etc.). Ces tudes se distinguent par priode, par zone gographique, par catgorie dartefacts manuscrits, objets prcieux, dcor monumental, monastres, voire ville et urbanisme en insistant sur les motivations et les intentions des comman-ditaires, sur leur identit et leurs origines, sur leur relation latelier ou aux

    4 Voir notamment M.-H. Congourdeau, LEnkleistra dans les crits de Nophytos le Reclus , dans C. Jolivet-Lvy, M. Kaplan, J.-P. Sodini (d.), Les saints et leur sanctuaire Byzance : textes, images et monuments, Paris, 1993, p. 137-149.

    5 M. Bacci, Vieux clichs et nouveaux mythes cit., p. 356.

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    artistes et sur leur implication vis--vis du viewer , du spectateur 6. Certaines approches tentent de classer ce patronage et cet vergtisme en catgorie : imprial, aristocratique, ecclsiastique, laque 7 ; ou sattachent plus particu-lirement un genre de commanditaires, comme par exemple le patronage artistique fminin 8 ou les commandes collectives 9. Pratique traditionnelle de la socit de lpoque hellnistique et romaine, le patronage collectif est un phnomne courant dans lAntiquit tardive et se poursuit dans des monu-ments religieux plus tardifs o plusieurs personnes, voire une communaut entire, participent la fondation 10. Cest alors quapparat la difficult de dfinir prcisment le terme de commanditaire , tant on le voit rgulire-ment associ celui de donateur ou mme de destinataire de luvre. Le titre dune tude dAntonio Iacobini sur les manuscrits de la priode mac-donienne rvle parfaitement la complexit des protagonistes associs la cration dune uvre : Il segno del possesso : committenti, destinatari, dona-tori nei manoscritti bizantini dellet macedone 11 . Il est dailleurs intressant de remarquer qu Byzance aucun terme quivaut commanditaire 12 , on trouve occasionnellement les pithtes de donateur (doter) ou dentrepreneur (entalmatikos), quoi que ce dernier soit controvers et ait t reconsidr 13.

    6 Voir notamment louvrage collectif de S. Birk et B. Poulsen (d.), Patrons and Viewers in Late Antiquity, Aarhus, 2012, et plus prcisment lintroduction qui dfinit les termes de Patrons and Patronage et de Viewer .

    7 S. Kalopissi-Verti, Patronage and Artistic Production in Byzantium during the Palaiologan Period , dans S. T. Brooks (d.), Byzantium: Faith and Power (1261-1557). Perspectives on Late Byzantine Art and Culture, New York/New Haven/Londres, 2007, p. 76-97.

    8 S. T. Brooks, Poetry and female patronage in late Byzantine tomb decoration: two epigrams by Manuel Philes , Dumbarton Oaks Papers, 60, 2006, p. 223-248 ; ou encore A.-M. Talbot, Building activity in Constantinople under Andronikos II: the role of women patrons in the construction and restoration of monasteries , dans N. Necipoglu (d.), Byzantine Constantinople: Monuments, Topography and Everyday Life, Leyde/Boston/Cologne, 2001, p. 329-343.

    9 A. Cutler, Art in Byzantine Society: Motive Forces of Byzantine Patronage , Jahrbuch der sterreichischen Byzantinistik, 31/2, 1981, p. 759-787, ici p. 763.

    10 Cest notamment le cas en Cappadoce, voir C. Jolivet-Lvy, La Cappadoce mdivale : images et spiritualit, Paris, 2001, p. 55.

    11 A. Iacobini, Il segno del possesso: committenti, destinatari, donatori nei manuscritti bizantini dellet macedone , dans F. Conca et G. Fiaccadori (d.), Bisanzio nellet dei Macedoni : forme della produzione letteraria e artistica, VIII Giornata di Studi Bizantini, Milano, 15-16 marzo 2005, Milan, 2007, p. 151-194.

    12 Patrons and patronage , dans A. Kazhdan (dir.), The Oxford Dictionary of Byzantium, New York/Oxford, 1991, III, p. 1602-1603.

    13 Karanlk kilise en Cappadoce, un personnage nomm Jean, figur en proskynse aux pieds du Christ dans la Bndiction des Aptres, est qualifi dentalmatikos : plutt que

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    Le concept de commanditaire se rapproche plutt du statut de ktitor ou ktetor, le fondateur ou le propritaire dune institution ecclsiastique 14. En outre, le commanditaire nest pas ncessairement le destinataire de luvre et le donateur peut tre qualifi de restaurateur ou second fondateur (anakainistes) 15. Ces considrations ont t rcemment illustres dans le col-loque intitul Donation et donateurs dans le monde byzantin, publi en 2012 16.

    La recherche concernant le domaine occidental concentre plus volontiers son enqute sur le Moyen ge final, riche en sources crites, en archives et en contrats 17. Pour le premier Moyen ge, la question du commanditaire est rare-ment pose en tant que telle, et souvent ltude doit se contenter de luvre elle-mme. Le commanditaire, mme sil est connu, nest pas toujours claire-ment nomm. Les pomes carolingiens crits en hommage Charlemagne ou Charles le Chauve et associs des manuscrits de luxe dressent avant tout lloge du souverain comme digne hritier de ses anctres, roi sage, pieu, bon, quitable. Le lien avec les arts nest pas primordial parmi les qualificatifs que reoit le souverain : cest surtout la prsence de lloge et du nom lui-mme, associs des textes sacrs, qui expriment une implication dans la commande artistique. Un manuscrit, lvangliaire de Godescalc (Paris, BnF, Nouv. Acq.

    dun entrepreneur , comme le supposait Jerphanion, il sagirait dun charg de mission du patriarche, cf. C. Jolivet-Lvy, La Cappadoce aprs Jerphanion. Les monuments byzantins des xe-xiiie sicles , Mlanges de lcole franaise de Rome. Moyen ge, 110-2, 1998, p. 899-930, ici p. 916-917 ; voir aussi linterprtation plus rcente de A. Tsakalos, Entalmatikou ou entalmati sou ? Nouvelle lecture de linscription dun donateur Karanlk kilise (Greme, Cappadoce) , Deltion, 25, 2004, p. 219-223.

    14 Selon Tania Kambourova, la racine - met en avant lide de la fondation, tandis que - se rapporte la notion de possession et dacquisition, cf. T. Kambourova, Ktitor : le sens du don des panneaux votifs dans le monde byzantin , Byzantion, 78, 2008, p. 261-287.

    15 M. Mullett, Founders, refounders, second founders, patrons , dans Id. (d.), Founders and Refounders of Byzantine Monasteries. Papers of the Fifth Belfast Byzantine International Colloquium, Portaferry, Co. Down, 17-20 September 1998, Belfast, 2007, p. 1-27.

    16 J.-M. Spieser et . Yota (d.), Donation et donateurs dans le monde byzantin. Actes du colloque international de luniversit de Fribourg, 13-15 mars 2008, Paris, 2012 (Ralits Byzantines, 14).

    17 Quelques publications rcentes : ses bons commandements. La commande artistique en France au xve sicle, A. Braem, P. A. Mariaux (dir.), Neuchtel, 2014 ; S. Metzger, Les desiderata des commanditaires dans les contrats provenaux du xve et du premier tiers du xvie sicle , dans F. Mller (dir.), De lobjet cultuel luvre dart en Europe, Genve, 2013, p. 99-116 : M. Tomasi, Matriaux, techniques, commanditaires et espaces. Le systme des retables la chartreuse de Champmol , dans Nederlands kunsthistorisch jaarboek, 2013, p. 28-55 ; M. Tomasi, Monumenti davorio. I dossali degli Embriachi e i loro commitenti, Pise, 2010 ; Lartiste et le clerc. Commande artistique des grands ecclsiastiques la fin du Moyen ge (xive-xve sicles), F. Joubert (dir.), Paris, 2006 ; Lartiste et le commanditaire aux derniers sicles du Moyen ge (xive-xve sicles), F. Jourbet (dir.), Paris, 2001.

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    Lat. 1203, 781-783) 18 (fig. 2), fait cependant exception. Charlemagne y est dsign, avec sa femme Hildegarde, comme ayant command lcriture du manuscrit, loccasion du baptme de leur fils : Hoc opus eximium Franchorum scribere Carlus / Rex pius, egregia Hildgarda cum coniuge, iussit. Cette phrase, si elle lve toute ambigut sur lorigine de ce livre prcieux, nest pas le seul lment clairant le lien unissant le souverain cet objet. Dans le pome de ddicace de lvangliaire de Godescalc (compos par le scribe lui-mme), qui dcrit avec prcision les circonstances du baptme royal par le pape Hadrien, le choix de certains mots rvle galement que le commanditaire partage des qualits avec lexcutant 19. Le scribe du manuscrit est dcrit par un terme de la mme famille que ceux qualifiant Charlemagne : studiosus (pour le souverain) et studuit (le verbe studere) pour Godescalc. Il sagit dune part dune pithte, qui renvoie aux arts libraux, donc une forme drudition, et de lautre un verbe indiquant laccomplissement une action concrte (la fabrication du livre). Les deux personnages partagent donc quelque chose quant ce livre prcieux qui les relie sa fabrication, Charlemagne comme commanditaire et homme de savoir, Godescalc comme excutant 20.

    Dans ce cas, et dune manire gnrale lorsquil sagit dune commande caractre religieux et politique ayant pour dessein dexalter le prestige et la pit dun personnage, ce dernier ne peut apparatre comme simple client. Mme sil est lorigine du geste et de la fabrication de lobjet, la mention de son nom sur et dans luvre rsulte dabord de ses qualits exceptionnelles ; en loccurrence un souverain remarquable, protecteur du christianisme. Luvre prend galement sens dans un panorama plus large ; dans lexemple

    18 On renverra la publication monographique la plus rcente, qui recense toute la production scientifique relative ce manuscrit : F. Crivello, Ch. Denol, Das Godescalc Evangelistar. Ein Prachthandschrift fr Karl den Grossen, Darmstadt, 2011.

    19 Plus grand que tous, mais ptri dhumble pit / Sage et avis, amateur des arts libraux (Providus ac sapiens, studiosus in arte librorum) / Gardien loyal de la justice, sincre et fidle) Godescalc, le plus humble de leurs serviteurs / Sest attach la ralisation de ce livre (Ultimus hoc famulus studuit complere Godesclac) .

    20 propos de la commande artistique lpoque carolingienne, simpose la thse (malheureusement indite) de J. Alazard-Fontbonne, La commande artistique et littraire de Charles le Chauve, 2 vol., soutenue en 2007 luniversit Paris Ouest-Nanterre, sous la direction de M. Sot ; H. L. Kessler, A lay abbot as Patron: Count Vivian and the First Bible of Charles the Bald , dans Commitenti e produzione artistico-litteraria nellalto medioevo occidentale, Settimane di Studio del centro italiano di studi sullalto medioevo, 4-10 avril 1991, no 39, 2 vol., Spolte, 1992, p. 647-675 ; R. McKitterick, Royal Patronage of Culture in Frankish Kingdoms under the Carolingians: Motives and Consequences , dans Commitenti e produzione, p. 93-129 ; on verra galement : P. E. Dutton, H. L. Kessler, The Poetry and Paintings of the First Bible of Charles the Bald, Ann Arbor, 1997.

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    prcdent, celui dun royaume chrtien renouvel par les rformes politiques et religieuses portes par toute une dynastie royale.

    Fig. 2. vangliaire de Godescalc, Paris, BnF, Nouv. Acq. Lat. 1203, fol. 3v-4.

    Le cas de lvangliaire de Godescalc, appartenant la catgorie bien sp-cifique des livres sacrs, met en lumire le fait que la prsence et la mention du commanditaire dans luvre dpassent une simple volont de traage des origines de lobjet. Empreinte laisse par le biais des images ou des mots, ces indices renvoie toute une conception de la socit chrtienne et de ses dif-frentes composantes dans laquelle luvre sinscrit comme une mdiatrice, comme vhicule dune idologie. La clart du processus de la commande pro-prement dite prcisant les modalits du financement, dcidant de lapparat ornemental et symbolique est secondaire, alors que comptent davantage le rsultat final et lexaltation de certains noms, de certains aspects du contexte religieux ou politique.

    Il ne sagit donc ici que dentrevoir le commanditaire travers luvre. Les tituli de lAntiquit tardive et du haut Moyen ge, ou les mentions du Liber Pon-tificalis, de mme que des quelques pomes de ddicaces prsents dans les manuscrits de luxes carolingiens, nous laissent sur notre faim pour penser le commanditaire hors de cas spcifiques (et exceptionnels ?). Dans de nombreux

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    monuments cultuels palochrtiens, le ddicant (vque dans la plupart des cas), qui ne se confond pas ncessairement avec le commanditaire, est fr-quemment reprsent proximit immdiate du sanctuaire. Cette exaltation de la figure du pasteur grce limage en contexte ecclsial rappelle quaux anciennes habitudes de lvergtisme antique se substituent des impratifs relevant cette fois dun univers o lglise et ses mdiations institutionnelles et concrtes imposent leurs principes 21.

    Lorsquelle est nomme, laction de la commande, du patronage artistique, appa-rat plutt dans des formules recourant aux verbes fonder, offrir, dcorer, historier, res-tituer, restaurer, embellir, reprsenter, voire mme peindre , action reve-nant au commanditaire de luvre et non lartiste. Le titulus de la basilique Tho-dorienne dAquile (vers 315) (fig. 3) livre un exemple loquent, bien que rare pour les hautes poques, dune rfrence dtaille un com-manditaire ecclsiastique et son implication per-sonnelle dans le btiment cultuel dont il a la charge : Heureux Thodore, avec laide de Dieu tout-puissant et quand le ciel teut confi le troupeau (des fidles), tu as avec bonheur ralis (fecisti) tout cela, et tu las glorieuse-ment ddi (dedicasti) 22 .

    21 J.-P. Caillet, Limage du ddicant dans ldifice cultuel (ive-viie s.) : aux origines de la visualisation dun pouvoir de concession divine , Antiquit tardive, 19, 2011, p. 149-169.

    22 Id., Laffirmation de lautorit de lvque dans les sanctuaires palochrtiens du haut Adriatique : de linscription limage , Deltion Hristianiks Arhaiologiks Etaireias, 24, 2003,

    Fig. 3. Aquile, basilique Thodorienne, mosaque de pavement, vers 315.

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    Linscription na pas pour but de garder mmoire du processus de la com-mande au sens o nous pourrions lentendre aujourdhui (une intention com-bine un financement), mais cherche plutt exalter la tche pastorale de lvque, dans laquelle il est assist de la confiance divine, et laquelle se rapporte ldification dun lieu qui en matrialise lexercice. Si le verbe facere veut dire faire, mais aussi faire faire, cest bien une action quil renvoie. Une action dans laquelle le rle de Thodore est aussi dtre le mdiateur de la volont de Dieu, que lon verrait bien ici comme le vritable commanditaire du monument et de son dcor.

    Fig. 4. Keramidion, la Sainte Tuile, Panaghia Arakiotissa, Lagoudra, Chypre, 1192 (clich A. Nicolades)

    Dans une perspective similaire, sur le diptyque en ivoire de la fin du xiie sicle du trsor de la cathdrale de Chambry figure, la fin de la longue inscription grecque grave sur les bordures, la formulation suivante : [] demandant toutefois, au-del du raisonnable, ta grce pour ce que jai reprsent, moi, Raictor, ton fidle serviteur trs aimant 23 . Ou encore dans le dcor peint de la Panaghia Arakiotissa de Lagoudra sur lle de Chypre, linscription ddi-catoire situe sous limage de la Sainte-Tuile ou Keramidion (fig. 4) prcise : Le sanctuaire trs vnr de la Mre de Dieu trs sainte dArakou, fut histori par lempressement et le zle propre du quir Lon fils dAuthentos, le mois de

    p. 21-30. galement, du mme auteur : Lvergtisme monumental chrtien en Italie et ses marges, daprs lpigraphie des pavements de mosaque (ive-viie sicles), Rome, 1993.

    23 Voir la notice dans le catalogue dexposition : J. Durand (d.), Byzance. Lart byzantin dans les collections publiques franaises, Muse du Louvre, 3 novembre 1992-1er fvrier 1993, Paris, 1992, p. 266, notice 174.

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    dcembre de lindiction 11, en lan 6701 (=1192) 24 . Les exemples prsentant ainsi des verbes daction lis au rle du commanditaire dans luvre se multi-plient aussi bien dans lOccident latin qu Byzance.

    Lexploitation des nombreuses sources crites du bas Moyen ge (en par-ticulier les prix-fait), documentant les tapes de la commande et de la ra-lisation des uvres, a contribu faire exister ce personnage du comman-ditaire comme prenant personnellement linitiative de la conception et du financement dune uvre. Il est alors mentionn par des documents crits, et cette fois bien caractris par ses exigences. Mais, dans son introduction au collectif Lartiste et le commanditaire aux derniers sicles du Moyen ge, Fabienne Joubert 25, opre demble une ncessaire mise en garde. En effet, la confrontation de prix-fait avec les uvres conserves montre bien souvent des diffrences trs nettes entre les demandes de lacheteur et la ralisation finale. Lexemple choisi est celui du couronnement de la Vierge de la Chartreuse de Villeuneuve-ls-Avignon (fig. 5), uvre pour laquelle le descriptif initial du retable ne correspond pas, dans sa composition et les personnages figurs, au rsultat final. Le contrat en dirait donc plus long sur les relations entre artistes et commanditaires en amont et en aval de la signature du document, que sur luvre elle-mme.

    Sans dvelopper ltude de ce cas prcis, rappelons que la porte de la source crite, qui semblait venir rassurer lhistorien de lart dans sa compr-hension du processus de la commande, doit tre nuance. Et surtout, pour les priodes antrieures, labsence de contrat ne condamne pas ignorer le processus de la commande : cest luvre, en tant quobjet unique, qui consti-tue le premier indice, le vritable point de repre dans son apprciation. Ainsi entrevoir le commanditaire dans luvre revient plutt interroger nouveau nos catgories habituelles de ltude stylistique, technique, formelle, icono-graphique, pour en confronter les conclusions avec lapport des documents darchives, quand ces derniers existent.

    24 Traduction dA. Nicolaides, Lglise de la Panagia Arakiotissa Lagoudra, Chypre. tude iconographique des fresques de 1992 , Dumbarton Oaks Papers, 50, 1996, p. 1-137, ici p. 4.

    25 Voir note 17. Lartiste et le commanditaire aux derniers sicles du Moyen ge (xiiie-xvie sicles), F. Joubert (dir.), Paris, 2001 ; Lartiste et le clerc : commandes artistiques des grands ecclsiastiques la fin du Moyen ge, xive-xvie sicles, F. Joubert (dir.), Paris, 2006.

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    Fig. 5. Enguerrand Quarton. Couronnement de la Vierge, 1454. Muse Pierre du Luxembourg, Villeneuve-ls-Avignon

    Le commanditaire : une empreinte dans luvreCette troisime journe sur le thme de la Culture des commanditaires a pour sous-titre Luvre et lempreinte . Il sagit en effet de saisir lidentit et la culture du commanditaire travers les traces visuelles laisses dans luvre. Certaines inscriptions conserves dans les dcors monumentaux et sur les objets font lloge des donateurs et commanditaires, considrs comme les vritables auteurs, sans attacher la moindre importance celui qui a ralis luvre. En outre, les commanditaires se font reprsenter en images dans leur cration, des emplacements cls. Le souvenir dun individu merge alors dans le corps de luvre, inscrivant sa marque dans une forme de permanence qui vise lintemporalit et la mmoire. Ces inscriptions et ces portraits conser-vs posent la question de leur visibilit et leur lisibilit. Les textes taient-ils destins tre lus ou simplement tre vus 26 ? Quelle tait la fonction de ces

    26 Voir ce propos R. Nelson, Image and Inscription: Pleas for Salvation in Spaces of Devotion , dans L. James (d.), Art and Text in Byzantine culture, Cambridge, 2007, p. 100-119.

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    signes visuels ? Dans quelle mesure nous renseignent-ils sur le niveau socio-culturel du commanditaire ? Ces traces sont-elles le signe dun prestige social, une forme de pit, une qute dexpiation ou une volont de simposer comme un bienfaiteur du culte ? qui et quoi renvoient ces empreintes laisses dans le monument ou dans luvre ? Et sont-elles ncessairement celles de celui qui passe la commande ?

    Lorsque les inscriptions et portraits manquent, ce sont les uvres elles-mmes quil convient danalyser. Les matriaux employs, les choix icono-graphiques et formels oprs, la technique utilise sont autant dindices susceptibles de rvler lorigine, le statut, les gots et parfois les motivations religieuses et/ou politiques de celui qui est lorigine du processus de cration. Il sagit bien de dfinir la culture du commanditaire, savoir lensemble des traits distinctifs qui le caractrisent, que ces traits soient spirituels, matriels ou intellectuels, dans une perspective individuelle ou une appartenance col-lective. Les termes allemands de Bildung et de Kultur sont, dans cette optique, riche de sens, distinguant dune part une culture personnelle mar-que par lducation et la formation, et dautre part une culture collective, une appartenance sociale.

    Ensuite, certains contextes historiques prcis peuvent conditionner forte-ment lapprciation et la comprhension de la commande non documente. Lpoque carolingienne, et laspiration renouer avec les pratiques politiques et artistiques de la fin de lAntiquit, ou toute priode tourne vers un pass glorieux qualifie gnralement de Renaissance ou Renovatio oriente des choix esthtiques, matriels et iconographiques.

    Arturo Quintavalle 27, dans ses travaux sur liconographie des xie-xiie et ses liens avec la Rforme grgorienne suppose mme lexistence dun Dicta-tus Papae contenant des instructions prcises quant lusage de certaines scnes et figures, de catalogues de modles, mme de diffuser des images

    27 A. Quintavalle, Paradise Lost. Commitenti e programmi narrativi in Occidente nellet della Riforma , dans Medioevo: i commitenti. Atti del convegno internazionale di studi, Parma, 21-26 settembre 2010, A. Quintavalle (dir.), Milan, 2011, p. 13-43 ; On verra galement dans Roma e la Riforma gregoriana. Tradizioni e innovazioni artistiche (XI-XII seolo), S. Romano et J. Enckell Julliard (dir.), Rome, 2007, larticle de V. Pace, La riforma e i suoi programmi figurativi : il caso romano, fra realt storica e mito storiografico , p. 49-59 qui reconsidre la question de lidentit du commanditaire des peintures de lglise infrieure de San Clemente Rome. galement, les travaux fondamentaux dH. Toubert sur lart et la Rforme, Un art dirig. Iconographie et Rforme grgorienne, Paris, 1990. Sur le milieu romain : V. Pace, Arte a Roma nel medioevo. Commitenza, ideologia e cultura figurativa in monumenti e libri, Naples, 2000 ; P.-Y. Le Pogam, Les matres duvre au service de la papaut dans la seconde moiti du xiiie sicle, Rome, 2004.

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    fonctionnant lunisson des principes rformateurs 28. Pour A. Quintavalle, le caractre strotyp de certaines formules iconographiques et leur diffusion dans une aire gographique large, rsulte de lutilisation de documents pres-criptifs, mais dont lexistence demeure hypothtique. Y aurait-il alors des com-manditaires aveuglment soumis des directives idologiques ? Cette thse a linconvnient de rduire la porte du contexte local dans le processus de la commande, et rvle certaines limites de la mthode srielle de ltude des images, conduite peut-tre ici aux limites de la surinterprtation. Lanalyse dA. Quintavalle insiste sur une empreinte historique dans luvre, celle dune poque, pas ncessairement dun commanditaire. Or, luvre est aussi le rsultat dune intention bien prcise (celle dun individu, dune communaut), une intention, certes conditionne par un contexte idologique, les gots, les modes et les conventions sociales dune poque.

    Portrait dAnicia JulianaNous avons choisi, pour illustrer les diffrentes problmatiques de cette jour-ne, le portrait dAnicia Juliana dans les Dioscorides de Vienne (fig. 6). Cette image reflte merveille la persistance des traditions passes, la relation par-fois ambige entre le portrait et le commanditaire, et enfin la pluralit des fonctions et intentions dune telle reprsentation. Le Codex medicus Graecus 1 de la Bibliothque nationale dAutriche est un vnrable tmoin du dbut du vie sicle. Lorientation du recueil est clairement pharmacologique, malgr la prsence dopuscules consacrs aux animaux. Le folio 6v du manuscrit pr-sente la princesse Anicia Juliana, fille dOlybrius, phmre empereur dOcci-dent (472) 29.

    28 A. Quintavalle, Rforme grgorienne et origines de lart roman , dans Compostelle et lEurope. Lhistoire de Diego Gelmrez, Catalogue de lexposition, Cit de larchitecture et du patrimoine, Paris 16 mars-16 mai 2010, M. Castieiras (dir.), Milan, 2010, p. 204-231, en particulier p. 228-230.

    29 Sur Anicia Giuliana, voir notamment : C. Capizzi, Anicia Giuliana (462 ca.-530 ca.). Ricerche sulla sua famiglia e la sua vita , Rivista di studi bizantini e neoellenici, n.s. 5, 1968, p. 191-226 ; Id., Anicia Giuliana, la committente (c. 463-c. 528), Milan, 1997 (Donne dOriente e dOccidente, 4). Sur limage des Dioscorides de Vienne, se rfrer entre autres : B. Kiilerich, The Image of Anicia Juliana in the Vienna Dioscurides: Flattery or Appropriation of Imperial Imagery? , Symbolae Osloenses, 76, 2001, p. 169-190 ; L. Brubaker, The Vienna Dioskorides and Anicia Juliana , dans A. Littlewood, H. Maguire, J. Wolschke-Bulmahn (d.), Byzantine Gardens Culture, Washington (D.C.), 2002, p. 189-214 ; G. Nathan, Pothos tes Philoktistou: Anicia Julianas Architectural Narratology , dans J. Burke (d.), Byzantine Narrative, Papers in Honour of Roger Scott, Melbourne, 2006 (Byzantina Australiensia, 16), p. 433-443.

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    Fig. 6. Anicia Juliana, Dioscorides de Vienne, Vienne, sterreichische Nationalbibliothek, cod. med. gr. 1, fol. 6v, vie sicle.

    Reprsente en trne, elle porte la trabea strie dor qui la distingue non seulement en tant que patricienne mais peut-tre galement en tant que membre de la cour impriale en exil. Elle est assise sur la sella curulis, dote dun coussin pourpre, et porte le diadme, symbole de son statut et de son autorit. Elle est flanque des personnifications droite de Phronesis (la Pru-dence, la Sagesse) et gauche de Megalopsychia (la Magnanimit). Dans la partie infrieure gauche, deux allgories personnifies compltent la scne : la premire, identifie par linscription comme tant lEucharistia Technon (la Gratitude des Arts), est prosterne et embrasse le pied droit de la princesse ; la deuxime est qualifie de Pothos tes Philoktistou (Dsir pour la dvotion de btir ou Amour pour la fondation). Ce petit gnie nu et ail prsente un livre ouvert sur lequel Juliana dpose quelques pices de sa main droite, tandis que sa main gauche tient un livre ou un diptyque. La composition prend place dans une toile huit branches inscrite dans un cercle. Les pointes de ltoile

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    contiennent les lettres du nom de la protagoniste principale tandis que les interstices du cercle prsentent des scnes de gnies sadonnant des travaux de btisseurs. Enfin, autour du mdaillon, une inscription ddicatoire, en par-tie lacunaire, rend hommage la gens Anicii, et en particulier Anicia Juliana pour la fondation dune glise ddie la Theotokos in Honoratae situe dans les faubourgs de Constantinople 30.

    Cette miniature dans le manuscrit des Dioscorides est un hommage rendu la princesse Anicia Juliana pour la fondation dglises dans la capitale ; on met en avant ses qualits de protectrice des Arts, damoureuse des construc-tions, de bienveillante donatrice. Ainsi, ce portrait nest pas celui du comman-ditaire du manuscrit mais bien celui du destinataire de luvre 31. Sil illustre au sens premier les qualits de la princesse, il reflte au sens large, limage de lidologie dynastique, associant la souveraine aux vertus de la Sagesse, de la Prudence et de la Magnanimit. Les personnifications de Phronesis et de Megalopsychia refltent les ides aristotliciennes de vertus dans lesquelles les actes de patronage sont le devoir des puissants. Aristote dfinit notamment la Prudence (Phronesis) comme la disposition agir dans son intrt propre comme dans lintrt gnral, disposition dvolue quelques dirigeants poli-tiques exemplaires, expriments et vertueux, capables dutiliser les moyens les mieux accords des fins moralement fondes 32. La Magnanimit ou gran-deur dme est clbre par Aristote dans un passage clbre de lthique Nicomaque o il fait de la Megalopsychia le couronnement de toutes les ver-tus 33. Ainsi, dans cette priode de transition de lAntiquit tardive, on cherche concilier le systme des vertus hrit de la philosophie grecque, mis en scne ici dans les diffrentes allgories personnifies, avec le systme chrtien (de la triade foi, esprance, charit) quincarne Anicia Juliana, pro-chalcdonienne convaincue, multipliant les fondations ecclsiastiques Constantinople, dont notamment la clbre glise Saint-Polyeucte 34.

    30 G. Nathan, Pothos tes Philoktistou: Anicia Julianas Architectural Narratology cit., p. 436.31 Voir notamment E. Gamillscheg, Das Geschenk fr Juliana Anicia: berlegungen zu Struktur

    und Entstehung des Wiener Dioskurides , dans K. Belke, E. Kislinger, A. Klzer et al. (d.), Byzantina Mediterranea. Festschrift fr Johannes Koder zum 65. Geburtstag, Vienne/Cologne, 2007, p. 187-195.

    32 M.-C. Granjon, La prudence dAristote : histoire et prgrinations dun concept , Revue franaise de science politique, 49, 1999, p. 137-146, ici p. 138.

    33 Aristote, thique Nicomaque, traduction, prface et notes par J. Voilquin, Paris, 1992, Livre VI, p. 169-189.

    34 Voir notamment G. Downey, The pagan virtue of Megalopsychia , Byzantine Syria, 76, 1945, p. 279-286. Lauteur met en valeur la signification du terme megalopsychia dans la mosaque dAntioche o cette vertu est reprsente dans un mdaillon central entour de six scnes de chasse.

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    Ce portrait est ainsi une uvre hommage, une uvre ddicace qui met en valeur les qualits de commanditaire de la princesse, dans une rhtorique visuelle inscrite dans la continuit de lvergtisme antique, au profit de la cit. la fin de lAntiquit tardive, dans le contexte du christianisme triom-phant, lvergtisme ne disparat pas compltement, mais se transforme progressivement 35.

    35 Voir lIntroduction dans J.-M. Spieser et . Yota (d.), Donation et donateurs cit. ; J.-P. Caillet, Lvolution de la notion dvergtisme dans lAntiquit chrtienne , dans ibid., p. 11-24.