19
La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas en Éducation Physique et Sportive (EPS) Marie-France CARNU5 INTRODUCTION Certains de nos travaux portant sur « l'analyse didactique du pro- cessus décisionnel de l'enseignant d'EPS » (Camus, 2ÜÜ3a) ont montré, à travers une étude de cas croisés, l'importante variabilité intra et interindivi- duelle dans l'activité décisionnelle des enseignants. Par ailleurs, l'étude des écarts constatés entre intentions et décisions a permis d'en mesurer les effets sur les contenus d'enseignement, constamment remaniés par les enseignants. L'analyse des entretiens d'après-coup menés quelques semaines après la fin du cycle a mis en évidence trois types d'effets: - une part concédée dans l'interaction afin de maintenir le contrôle de la classe; - une part révélée qui s'avère dans l'urgence plus pertinente que ce qui était prévu ; - une part enfin qui s'opère à l'insu des enseignants. Cette manifestation de l'inconscient de l'enseignant dans le processus d'enseignement- apprentissage apporte un nouvel éclairage et souligne l'intérêt d'une approche clinique dans la recherche en didactique.

La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignanten didactique clinique.

Études de cas en ÉducationPhysique et Sportive (EPS)

Marie-France CARNU5

INTRODUCTIONCertains de nos travaux portant sur « l'analyse didactique du pro­

cessus décisionnel de l'enseignant d'EPS » (Camus, 2ÜÜ3a) ont montré, àtravers une étude de cas croisés, l'importante variabilité intra et interindivi­duelle dans l'activité décisionnelle des enseignants. Par ailleurs, l'étude desécarts constatés entre intentions et décisions a permis d'en mesurer les effetssur les contenus d'enseignement, constamment remaniés par les enseignants.L'analyse des entretiens d'après-coup menés quelques semaines après la fin ducycle a mis en évidence trois types d'effets:

- une part concédée dans l'interaction afin de maintenir le contrôle dela classe;

- une part révélée qui s'avère dans l'urgence plus pertinente que ce quiétait prévu ;

- une part enfin qui s'opère à l'insu des enseignants. Cette manifestationde l'inconscient de l'enseignant dans le processus d'enseignement­apprentissage apporte un nouvel éclairage et souligne l'intérêt d'uneapproche clinique dans la recherche en didactique.

Page 2: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...Il.HEES

1. POUR UNE APPROCHE CLINIQUEL'approche clinique , te lle que nous la concevons , « s'intéresse au

sujet singu lier dans sa dynamique à lafois psychique et sociale » (Beille­rot, Blanchard-Laville, Mosconi, 1996) C'est une approche « au cas par cas,au un par un » (Terrisse, 1999) qui « intègre a priori la dimension dusujet » (Camus, 2003b) , ici le sujet enseignant. Utilisée dans le champ de larecherch e en didactique, cette approche nécessite que soient « revisités » cer­tains concepts, notamment ceux fondateurs de « temarité » et de transpositiondidactique. Dans le cadre de nos travaux, cette position nous incite égalementà redéfinir les notions d'intention et de décision. Enfin, il apparaît incontourna­ble de nous inscrire dans une théorie du sujet en didactique clinique.

2. UNE TERNARITÉ REVISITÉEL'approche ternaire , caractéristique du didactique a pour particularit é

de ques tionner la spécificité des contenus disciplinaires au regard de leursconditions de transmission et d'appropriation. Ainsi , tout ens eignement ­apprentissage peut être pensé dans le cadre d'un « modèle didactique systé­mique » (Astolfi, Develay, 1989) articulant trois « logiques » distinctes etinterdépendantes (schéma 2) :

- celle de la discipline d'enseignement qui ne peut échapper à unetransposition permettant à l'élève l'accès à des savoirs jugés utilesdans l'institution où s'opère leur transmission-appropriation;

- celle du sujet-enseignant qui a des intentions relatives aux savoirs àenseigner et prend, dans l'interaction, des décisions d'où émergent lessavoirs effectivement enseignés ;

- celle du sujet apprenant qui a également des intentions relatives auxsavoirs à apprendre et prend dans l'interaction des décisions révélantles savoirs effectivement appris.

Dans cette modélisation, tout le travail de la recherche en didactiqueclinique consiste à optimiser la connaissance de la mise en relation de ces trois« logiques » pour une meilleure ou une autre compréhension du fonctionne­ment didactique. Par ailleurs, cette mise en relation évolue dans le temps àcourt , moyen et long terme et s'inscrit dans un environnement spécifique.

3. L'INTENTIONLe pôle conatif de l'action renvoie à un ensemble plus ou moins explicite

et conscient d'intentions. L'intention désigne la tension vers IDl but , la directionvers un objet. Pour Jérôme Bruner, « il y a intention lorsqu'il y a orientationet persévérance » (Bruner, 1987). Importée dans le champ des recherches endidact ique cet te notion est centrale et inco ntournable . Pour Brousseau,« l'in tention estj ondatrice de la didactique » (Brousseau, 1986 a). Plusieurs« instances intentionnelles» forment le « réseau intentionnel » de chaque

Page 3: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

L'intention

""""""- -

Discipline d'enseignementTRANSPOSITION

"

/ / / " '. ...>; - ---_. --- ---~ . ...-

»: : : -," , l '

" l , \l' "" "1 1 • 1

( \, ,~ :, ,

Sujet enseignant \. / Sujet apprenantINTENTIONS \'+-- - - -----'+ - - - - +/ INTENTIONS, x ,,'

DECISIONS " ____ ••, / -; ••••---- DECISIONS

ENVIRONNEMENT

c~~~~~~~~ . ~~~~~~~~> TEMPS

SCH~MA 2

Modélisation de la ternarité en didactique clinique'.

enseignant qui, lorsqu'il est en interaction avec les élèves, se transforme en« trame intentianneUe » (Portugais , 1999). Parmi les instances intentionnel­les, se trouve « l'inten tio » qui correspond au projet ou devoir social d'enseignercertains objets désignés corrune savoirs à enseigner . « L'intentio » relève davan­tage de l'institution que des sujets . Cette intention sociale d'enseigner un savoirinstitué est transformée par l'enseignant en intentions privées au regard de cemême savoir. Cette mutation s'opère à partir et à travers ce qu'il sait et ce qu'ilest et se traduit notanunent dans les intentions didactiques, intentions en jeudans une situation donnée. L'accès au réseau intentionnel est difficile. Les inten­tions didactiques rendent compte des savoirs à enseigner (Camus, 2002) . Ellesrenvoient à un «déjà-là intentionnel » agissant corrune un «fi ltre» (Loizon ,2004a) et constituant un des trois pôles d'un « déjà-là décisionnel » en amontde toute décision. D'autres «f i ltres » influencent également les décisions, Ilssont relatifs d'une part au « déjà-là conceptuel » et d'autre part au « déjà-làexpérientiel » . Certains de nos travaux ont mis en évidence des décalages, voirdes contradic tions ent re ces trois pôles. En effet, les liaisons fonctionnelless'exerçant entre la cognition, la conation et l'action effective de l'enseignant nesemblent pas relever d'une logique directement accessible. Ces liaisons , à l'insude l'enseignant, se révèlent d'une complexité extrême qui peut amener à penserque l'enseignement est « une activité impossible » (Perrenoud, 1996) .

1 À la représentation schématique triangulaire mettant en évidence trois pôles distincts et interné­pendants , nous superposons trois instanc es circulaires mettant en évidence des zones d'intersectionqui varient en fonction de la singularité des sujets et contextes d'enseignement . Dans le schéma, lazone d'intersection des trois logiques n'occupe qu'un e petite surface . Cette représentation illustre lacontingence de la rencontre entrc les trois logiques qui peut se faire ou ne pas se faire.

Page 4: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas.. .

4. LA DÉCISION

À l'origine, les théories de la décision ont été conçues pour rendrecompte des comportements observés en économie . Pour Lucien Sfez, la déci­sion est un concept évoluti f en crise (Sfez, 1994) . Son analyse distingue troisd éfinitions qui peuvent rendre compte de la façon dont les personnes pren-nent ou doivent prendre des décisions : .

- « La décision classique, c'est la bonne décision droite en liç ne,celle qui assure au sujet libre les choix de rentabilité, progressis­te, linéaire » (ibid. , 35). Cette première définition repose sur le pos­tu lat selon lequel à toute situation particulière correspo nd unedécision unique, la meilleure qui assure l'atteinte de l'objectif recher­ché, lui-même unique . Dans ce cas , le décideur sait opérer les choixcollectifs et individuels les mleux adaptés au contexte. Cet « hommecertain » transparent et rationnel est- toujours libre d'exercer avecdiscernement les grands arbitrages » . Mais cet excès de rationalitécons titue selon l'auteur l'échec le plus flagrant de la théorie tradition­nelle de la décision, théorie classique qui perdure, selon lui, jusqu'audébut du vingtième siècle. Commence l'ère de l'incertitude. L'hommen'est plus certain et la société a tm avenir improbable.

«La décision moderne, c'est un processus d'engagement progres­sif, connecté à d'autres, marqué par l'équijinalité, c'est à direl'ex istence reconn ue de plus ieurs chemins pour parv en i r aumême but » (ibid., 77) . Cette seconde définition intègre, du moins par­tiellement, la complexité et l'incertitude. Dans cette optique, l'hommeprobable reconnaît l'existen ce de plusieurs itinéraires pour parveniraux m êmes fins. Toutefois, cette théorie probabiliste paraît peu adaptéeà nos sociétés contemp oraines où « l'homme est devenu totalementaléatoire » (ibid., 79). Une troisième définition s'impose:

« La décision contemporaine est un récit toujours interprétable,multi-rationnel, dominé par la multi -finalitë, marqué par la re­con n ai ssan ce de p lusieurs buts p ossibles, sim ultan és, enrupture » (ibid., 122) . Cette dernière proposition dépasse les deuxprécédentes dont les schémas rationnels et linéaires semblent peuadaptés à la situation d'enseignement - apprentissage (E/A) . Elle in­tègre la contingence et l'aspect fortuit et contradictoire de cer tainesdécisions. Elle nous paraît plus proche de la réalité du terrain, autre- .ment dit de celle de l'enseignant. En effet, nous sonunes convaincusque l'enseignant poursuit plusieurs buts en même temps, parfois con­tradictoires, et que les chemins pour y parvenir sont nombreux et di­versement appréciés en fonction des contextes et des moments . Ainsi,par exemple, « l'errance " (Bru, 1991), le doute ou la non-action peu­vent être aussi des démarches de prise de décision. Par conséquent ,toute tentative de modélisati on qui, a priori , ne se donnerait pas lesmoyens de les décrire deviendrait très vite obsolète et inadéquate.

Page 5: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La transposition didactique questionnée

Ces trois approches théoriques (t raditionnelle , probabiliste , contin­gente) permettent d'éclairer la façon dont les décisions pourraient être prises.Importées dans la recherche en enseignement - apprentissage et en fonctiondes visées de recherche, les théories de la décision présentent deux facettes:l'une prescriptive et l'autre descriptive . La facette prescriptive permet dequantifi er et de qualifier les choix des enseignants en référence à une normeétablie a priori: le choix optimal. La facette descriptive permet de qualifier(parfois de quantifier) les décisions des enseignants en rendant compte desdiverses variables qui les d éterminent dans un contexte donné. Notre inten­tion est d'essayer de rendre intelligible l'activité décisionnelle de l'enseignantd'EPS en tant que sujet. Au travers de la complexité des phénomènes d'ensei­gnement-apprentissage et aux vues des contradictions au sein d'un « déjà-làdécisionnel », les approches rationnelles font obstacle, nous semble t-il, àl'identificat ion précise des déterminants réels et potentiels des processusdécisionnels des enseignants. En effet, l'enseignement ne peut être conçuselon un mode de pensée rationnel considérant l'enseignant capable de pren­dre à tout moment des décisions logiques et optimales en réponse à la contin­gence liée à l'environnement complexe dans lequel il est à la fois acteur,auteur, agent et élément , parfois agi par le système. Ainsi, la décision n'est quela partie visible d'un processus que nous cherchons à analyser et peut êtredéfinie comm e « une solution possible qui peut apparaî tre à m omentdonné en réponse à un problème particulier voire singulier » (Cam us,2003b). Nous verrons plus loin que le sujet ense ignant en est responsable.

Au travers des décisions de l'enseignant, émergent les contenus réel­lement enseignés en rupture ou en continuité avec les intentions relatives auxcontenus à enseigner.

5. LA TRANSPOSITION DIDACTIQUE QUESTIONNÉE

Nos travaux interrogent la transposition didactique « interne » (Che­vallard, 1985) , c'est-à-dire « la part du processus de transposition quiadv ient dans le système didactiq ue grâce aux transactions entre le sys­tème enseignan t, le systè'rne étudiant et le sustème d'objets à enseigner età étudier/apprendre» (Mercier, 2002) . Nous nous centrons plus particuliè­rement sur « le passage d'un contenu de savoir précis à une version didactiquede cet objet de savoir » (Verret, 1975 ; Chevallard, 1985). Cette phase de latransposition est « tout particulièrement l'affaire de l'enseignant » (Bru ,1991) . En effet, « un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir àenseigner subit dès lors un ensemble de transformations adaptatives quivont le rendre ap te à prendre place parmi les objets d'enseignement »

(Chevallard, 1985).

Importée dans le champ de la didactique clinique (schéma 3), cettepartie du processus de transposition est revisitée par la prise en compte de ladimension du sujet. Le savoir à enseigner, qui renvoie à l'intention didactique,relève de plusieurs influences (Martinand, 2000) qui sont autant de références

Page 6: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...

(Terrisse, 200 1) pour le sujet enseignant. Nous identifions au moins troissources différentes dans ces influences (Camus, 2005b) : interne, liée àl'expérienc e et à l'expertise de l'enseignant (Buznic, 2004) ; institutionn elle,liée aux programmes et à leur interprétation par l'enseignant ; sociale, liée à lapratique sociale de référence, sa représentativité, son caractère plus ou moinsscolarisable, son utilité perçue, son évolution, etc. C'est donc au carrefour deces influences que s'élabore l'intention didactique relative au savoir à ensei­gner (1). On comprend mieux alors d'une part, les vari abilit és intra et interindividuelle dans les intentions didactiques (Margnes, 2002) qui oriententensuite les décisions interactives d'où émerge le savoir enseigné (2) 2. Toute­fois, le savoir appris relève de la décision de l'élève (3).

Cette tentative de schématisat ion permet de dépasser une visionlinéaire de la transposition didactique et met au centre de la problématique laquestion des écarts : Certains travaux ont étudié les écart s entre savoir ensei­gné et savoir appris (Heuser, Cam us , Terrisse, 2005 ; Sauvegrain, 2005) .' Nostravaux se focalisent sur la mesure et la conscience chez les enseignants desécarts entre savoir à enseigner et savoir enseigné.

Une" compositi on sous influences » (Martinand, 2000)

Pratiques socialesde référence -

Savoir apprisLa décisiondu sujet apprenant

Savoirà enseignerL'intentiondidactique

Programmes« l'intentio »

Savoir enseignéLa décisiondu sujet enseignant

Savoirs d'expertiseet d'expérience

SCHÉMA 3

Schématisation de la transposition didactique en didactique clinique.

2 Les savoirs enseignés subissent également de manière plus ou moins directe ces diversesinfluences.

Page 7: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Une théorie du sujet enseignant en didactique clinique

6. UNE THÉORIE DU SUJET ENSEIGNANTEN DIDACTIQUE CLINIQUE

Postuler la singularité du sujet enseignant et la mettre au cœur de nosanalyses didac tiques amène alors à se questionner autour d'une théorie dusujet enseignant en didactique afm de faire converger des options conceptuel­les et méthodologiques . Trois présupposés fondent et alimentent cett ethéorie :

1. le sujet enseignant est singulier, autonome et responsable. Certes,certains contextes sont de natu re à contraindre plus ou moins ' latransmission-appropriation des savoirs . Néanmoins, au-delà des con­traintes institutionnelles et contextuelles, l'enseignant se crée unespace de liberté et y évolue. Cet espace de liberté est en partiedéterminé par ses ressources décisionnelles , fruits d'une construc ­tion authentique. Ainsi, son histoire personnelle, son épistémologie àla fois privée et professionnelle, est lm élément central dans ses déci­sions. Les « déjà-là » conceptuel, intentionnel et expérientiel sont leproduit de cette histoire. Ces trois instances forment le déjà-là déci­sionnel à l'origine de toute décision (Camus, 2003b) ;

2. le sujet enseignant est assujetti. Dans la continuité de certains travauxen didactique des mathématiques (Chevallard, 1992) , nous pointonsici les multiples assujettissements institutionnels fournissant un jeu deco-déterminations à la fois ressources et contraintes pour l'enseignant.Ce jeu de co-déterminations passe par la société porteuse d'une cul­ture et de valeurs mais aussi par le système éducatif définissant desfinalités, des missions et des programmes à ses acteurs . Il passe encorepar l'établissement scolaire qui relève d'un fonctionnement et d'unrèglement intérieur propres et traverse aussi la classe qui défmit Uncontexte singulier d'enseignement-apprentissage. L'étude clinique decet ensemble de déterminations met en avant la variabilité intra etinterindividuelle dans ces multiples assujettissements en relation avecla singularité et la subjectivité des acteurs (schéma 4) ;

3. le sujet enseignant est divisé. Divisé d'une part entre une « sphèrepriv ée » et une « sphère publique » qui constitue son épistémologiepersonnelle et professionnelle (ce qu'il sait et ce qu'il est « supposésavoir » ; ce qu'il est et ce qu'il est supposé être) . Divisé ensuite entredes motifs « raison » et des mobiles « désir » (la contrainte ou le plai­sir, suivre son plan ou contrôler sa classe) ; divisé enfin entre cons­cient et inconscient (ce qu'il dit qu'il fait et ce qu'il fait , ce qu'il fautqu'il fasse et ce qu'il ne peut s'empêcher de faire ... ) . Ainsi, ce troi­sième présupposé intègre la dimension de l'inconscient, source denombreuses divisions chez le sujet-enseignant. Cette « hypothèsefreu dienne» (Sauret, 2000) permet, entre autre, d'éclairer la partd'insu dont nous avons fait à maintes reprises le constat, notammentdans le remaniement des contenus d'enseignement.

Page 8: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Résultats

1. celui des analyses préalables relatives à l'épistémologie des ensei­gnants associés à la recherche. Ces analyses permettent d'accéder au« déjà-là décisionnel ». La seconde phase renvoie à la propositionpuis à la négociation d'un script didactique dont l'analyse a. prioripermet d'extraire les intentions des enseignants collaborateurs;

2. le troisième temps est celui de la mise à l'épreuve, en phase interac­tive, des options négociées du script didactique. L'observation, insitu, des pratiques effectives rend compte des décisions prises dansl'urgence et dans la contingence. L'analyse a. posteriori de cettemise à l'épreuve et la mise en tension avec l'analyse a. priori permetd'accéder aux écarts entre intentions et décisions et aux effets de cesécarts sur les contenus enseignés ;

3. le dernier temps est celui de l'après-coup. La confrontation du pointde vue du sujet - enseignant aux hypothèses interprétatives du cher­cheur (lui aussi sujet) met en lumière d'une part, des convergenceset des divergences et d'autre part, un part d'insu dans l'activité déci­sionnelle des enseignants.

Ainsi, le corpus des données recueillies comporte des questionnaireset entretiens préliminaires avec des enseignants ayant accepté de participer àla recherche; deux entretiens de négociation; plusieurs leçons filmées; desentretiens avant et après chaque leçon; des entretiens « d'après-coup » réali­sés six semaines après la fin de la séquence d'enseignement. Tous les entre­tiens et les verbatim d'interaction sont intégralement retranscrits. Les enre­gistrements vidéo sont codés à partir d'une grille de variables préalablementsélectionnées 3. Ce codage s'effectue en plusieurs temps.

1. Repérage temporel des décisions (D) au regard des modalités desvariables utilisées par les enseignants.

2. Continuité (C) ou rupture (R) par rapports aux intentions (DC/DR).3. Prise en compte du fonctionnement didactique: adéquation (A) ou ina­

déquation (1) au regard de l'activité des élèves (DCA/DCl/DRAlDRl).

Le traitement des données s'appuie sur la complémentarité des analy­ses quantitatives et qualitatives. Les résultats émanent de la triangulationentre les différentes données :

invoquées: le « déjà-là décisionnel » ;- provoquées:« l'épreuve de l'interaction» ;

suscitées: « l'après-coup »,

9. RÉSULTATS

Au-delà de la singularité des cas, les résultats mettent en évidence lacontradiction au sein des décisions des enseignants. Au regard des effets

3 En référence à la classification de Marc Bru (1991).

Page 9: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...

SCHÉMA 4

La variabilité intra- et inter-individuelle dans les assujettissements endidactique clinique.

7. PROBLÉMATIQUE

Dans ce cadre conceptuel recomposé, notre projet est de « sortir del'ombre » (Artigue, 1988) l'activité décisionnelle de l'enseignant, en tant quesujet. En effet, comme le signale Perrenoud, « dans les métiers de l'humain,tout déni de la complexité, de la part d'irrationnel aussi bien que de la plu­ralité des rationalités en jeu renforce une fiction qui empêche de penserles pratiques » (Perrenoud, 1996). Entre déterminations externes et internes,entre contraintes et liberté, nous souhaitons apporter une autre intelligibilité dela complexité du processus d'enseignement-apprentissage. Si la contradictionest au sein des décisions de l'enseignant, nous souhaitons la décrire et la com­prendre. Nos questions se focalisent sur l'étude des écarts entre intention etdécision et sur les effets de ces écarts sur les contenus d'enseignement.

8. OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES

Deux options méthodologiques découlent de nos orientations concep­tuelles et de notre problématique. La première est l'étude de cas, constitutivede l'approche clinique. La seconde est la méthodologie d'ingénierie didactiqueparce qu'elle fournit un cadre d'analyse propice à l'identification et l'analysedes écarts entre intention et décision. Importée de la didactique des mathé­matiques, cette méthodologie a été remaniée pour les besoins de notre étude.Elle comporte plusieurs moments évolutifs:

Page 10: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...

constatés sur les contenus d'enseignement, les décisions des enseignants sem­blent obéir à trois « logiques » étroitement liées à la singularité des sujets et descontextes d'intervention, en étroite et constante interrelations : « la nécessitéde trancher », «le compromis » et «la compromission ». Nous allons illustrerces trois « logiques » au travers d'exemples pris dans des études de cas menéesdans le cadre de l'enseignement de la gymnastique en EPS et plus particulière­ment au collège dans le cycle central en classe de cinquième. Les trois ensei­gnants ayant accepté de participer à la recherche sont à la fois experts en gym­nastique et expérimentés 4. Ils évoluent dans trois sites différents. Nous lesnommerons « A», « B » et « C ». Les savoirs enjeu découlent de l'enseignement- apprentissage d'un élément clé: l'appui tendu renversé (ATR). Ils renvoient àune double construction par les élèves : celle des alignements bras - tronc ­jambes à la verticale renversée et celle du maintien de ces alignements.

9.1 Première illustration: un exemple de « compromission»chez l'enseignante Il A»

9.1.1 Présentation de « A »

« A » est donc experte en gymnastique et a 35 ans d'expérience. Elleévolue dans un contexte qu'elle juge « très favorable »5. La lecture des ques­tionnaires et des entretiens préalables met en évidence un « déjà-làdécisionnel» qui est présenté sommairement dans le tableau 8 suivant:

TABLEAU 8

Le déjà-là décisionnel de l'enseignante « A »,

4 Nous différencions l'expertise et l'expérience. L'expertise renvoie à la spécialisation dansl'activité support: ici la gymnastique. L'expérience renvoie à l'ancienneté dans le métier d'ensei­gnant d'EPS. Expéricnce et expertise sont deux facettes distinetes et interdépendantes de lacompétence professionnelle (Camus, 2üü5a).

5 Cette appréciation concerne les lieux et espaces didactiques, les équipements , les condi­tions de travail (horaires, équipe pédagogique), la connaissance des élèves, le climat de la classe.

Page 11: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Résultats

Une première lecture de ce tableau met en évidence les traces de cer­taines divisions :

entre la rigueur nécessaire pour la production de formes et le bien­être recherché chez les élèves;

- entre l'autonomie concédée dans la situation proposée aux élèves etle risque subjectif liée à une expérience douloureuse.

Par ailleurs, la triangulation de certaines données permet de mettreen évidence chez « A x le poids de certains ass ujettissements, notammentcelui des programmes. Nous les présentons rapidement dans le tableau 9.

TABLEAU 9

L'assujettissement de l'enseignante « A » aux programmes.

L'assujettissement de l'enseignante « A » aux programmes souligneune nouvelle division ent re l'envie de collaborer et un certain habitus profes­sionnel. L'option de n'enseigner que l'ATR pendant tout un cycle s'avère eneffet tr ès contraignante pour « A » qui n'a pas l'habitude d'aborder la gymnas­tique de cette façon. Elle se justifie en évoquant les programmes qui préconi­sent que soient abordées plusieurs actions gymniques au cycle central.

9.1.2 I/Iustration d'une décision

À la leçon 4, alors que les élèves travaillent « normalement » en cher­chant à se renverser en allant poser les mains le plus loin possibJe, J'ensei­gnante « A » s'approche d'un atelier et modifie le dispositif initial en disant àun élève : « tant pis si çajausse un peu, mais fai pas envie que tu te scrat­ches par terre, alors avance le pied et pose déjà les m ain s » , L'élève exé­cute la consigne et lorsque ses mains sont au sol, « A » lui prends les pieds etle renverse.

Cette décision en rupture avec les intentions alors que l'on n'observeaucun dysfonctionnement (DRA) est de nature à remettre en question les

Page 12: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...-contenus visés notamment le maintien de l'alignement bras-tronc qui étaitrecherché dans la situation initiale. Ainsi, entre la poursuite des objectifs et lacrainte de l'accident omniprésente chez cette enseignante, la décision prisedans l'urgence est une forme de « compromission » des savoirs en jeu dans lamesure où en avançant le pied et en posant les mains près du pied , l'anglebras-tronc se fenne. Pour se renverser et s'aligne r, l'élève doit alors empêcherses épaules de partir en avant et doit ouvrir l'angle bras - tronc. Cette solutionsi elle peut apparaître plus facile sur le plan affectif est beaucoup plus difficiletechniquement,

Dans l'entretien d'après-coup, « A » dira : « même s'i l était moche,l'ATR il l'afai: quand mê me » . Cette remarque pointe lille part d'insu dansle remaniement des contenus d'enseignement chez cette enseignante.

9.2 Deuxième illustration: un exemple de compromischez l'enseignant «B))

9.2.1 Présentation de « B »

« B » est également expert en gymnastique et a 25 ans d'expérience.Il enseigne dans un contexte qu'il estime « plutôt favorable». Suite aux ques­tionnaires et aux ent r et ie ns préalables nous esquissons le « déjà-làdécisionnel » de I'enseignant « B » (tableau la) .

T ABLE AU 10

Le déjà-là décisionnel de l'ense ignant << B ».

La lecture de ce tableau met en évidence les traces d'une premièredivision entre l'effort à consentir par les élèves et le plaisir recherché parl'enseignant .

Page 13: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Résultats

De la même façon que nous l'avons présentée pour l'enseignante« A », la triangulation de certaines donn ées permet de mettre en évidencechez « B » le poids de certains assujettissements, notamment celui d'une par­ticularité de l'établissement relative au gymnase dans lequel il évolue. Deuxenseignants se partagent l'espace et au grand regret de l'enseignant, il n'y apas de séparation entre les deux espaces (tableau 11) .

TABLEAU 11

L'assujettissement de l'enseignant « B » à certaines contraintes de l'établissement.

Cet assujettissement de l'enseignant « B » pointe une nouvelle divisionentre une contrainte locale et l'envie de collaborer. Par ailleurs, l'option den'enseigner que l'ATR pendant tout un cycle s'avère également très cont rai­gnante pour « B » qui n'a pas l'habitude d'aborder la gymnastique de cettefaçon. Il se justifie en évoquant l'absence d'un rideau de séparation qui ne per­met pas selon lui de créer un climat favorable pour la concentration des élèves.

9.2.2 I/Iustration d'une décision

Au cours de la quatrième leçon du cycle, l'enseignant, après avoir faitl'appel, armonce aux élèves : « bon, le travail qu'on va f aire est très contrai­gnan t, mais si vous travaillez bien, on f m-a un peu de trampoline à lafin ... » . Puis, environ IUle demi heure avant la fin du cours , il arrête la situationet propose une activité de trampoline. Cette décision est donc prise en conti­nuité avec ses intentions. Par ailleurs, elle intervient dans un contexte où aucundysfonctionnement n'apparaît (DCA) . Elle illustre ainsi un compromis permet­tant de régler le conflit entre la rigueur requise dans les tâches d'apprentissageet le plaisir recherché par l'enseignant pour ses élèves et lui-même.

On peut remarquer que si cette décision ne remet pas en question lanature des contenus visés, elle a pour conséquence d'écourter le t empsd'apprentissage relatif à la const ruction des alignements et du maintien à la

Page 14: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...

1-~ verticale renversée et fait émerge r de nouveaux contenus dans les situations,.. proposées au mini trampoline.

Dans l'entretien d'après-coup, « B » dira : « quand j'ai vu que cer­tains commençaien t à se lasser la leçon d'avan t, j e me suis autorisé unjoker, après tout i ls on t bi en travaillé donc c'é ta i t u n peu larécompense )} . Cette justification pointe également une part d 'insu dans leremaniement des contenus d'enseignement chez cet enseignant.

9.3 Troisième illustration: un exemple chez l'enseignante ({ C» :

la nécessité de trancher

9.3.1 Présentation de l'enseignante « C)}

Experte en gymnastique, « C » a 33 ans d 'expérience. Elle juge le con­t exte dans le que l e lle travaille « plutôt défavorab le » . Le « déjà-làdécisionnel » de l'ens eignante « C » est très sommairement présenté dans letableau suivant (tableau 12) :

T ABLEAU 12II:DI!

Le déjà-là décisionnel de l'enseignante « C ».

La lecture de ce tableau nous permet de relever les traces d'une divi­sion entre la recherche d'objectifs à long terme relatifs à la socialisation desélèves et ce lle d'un plaisir immédiat dans la réussite.

En appliquant la même démarche de triangulation de certaines don­nées nous pouvons mettre en évidenc e chez « C » le poids de certains assujet ­tissements, particulièrement celui du groupe classe qui s'avère difficile dans

Page 15: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Résultats

la mesure où quatre élèves d'une classe d'accueil, en grande difficulté sontvenus s'ajouter à une classe de cinquième relativement faible et peu motivée .Nous reprenons quelques extraits significatifs pour illustrer le poids de cetassuj ettissement particulier (tableau 13) .

TABLEAU 13

L'assujettissement de l'enseignante « C » à la classe.

Cet ass ujettissement au groupe classe, récurrent dans le discours,souligne une autre division de l'enseignante entre l'envie de poursuivre sonplan et le besoin de contrôler la classe. Si en théorie, l'option de n'enseignerque l'ATRpendant tout lm cycle est pertinente pour « C ", elle s'avère en effetcontingente du fait de l'imprévisibilité liée au contexte d'enseignement.

9.3.2 I/Iustration d'une décision

À la fin de la leçon 5, alors que la dispersion de certains élèves s'estaccrue, l'enseignante « C » s'adresse fermement à un élève déviant en luidisant: « tu vas t'asseoir là et tu n 'en bouges plus... et à laf in du cours tum'amènes ton carnet de correspondance » . L'élève en question obéit àl'injonction ce qui met un terme à cette situation difficile et permet à l'ensei­gnante de reprendre le cont rôle de la classe.

Cette décision en rupture avec les intentions du fait d'un dysfonction­nement jugé insupportable par l'enseignante (DRI) est de nature à remettreen question les contenus visés dans la mesure où elle met à l'écart de toutapprentissage possible relatif à l'ATR l'élève en question.

Dans l'entretien d'après-coup , « C » dira : «je sais bien que ce gossea des problèmes, mais en classe il est ingérable... J'au rai bien envie del'aider mais je suis pas là pour ça.. . » . Cette réflexion montre comment

Page 16: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Conclusi~n

dans la pratique usuelle. Ces solutions constituent les ressources décisionnel­les et déterminent, à des moments donnés, le pouvoir décisionnel de l'ensei­gnant.

Nos travaux montrent qu'en fonction des moments, des contextes etdes événements, l'enseignant est alors amené à prendre différents types dedécisions (tableau 14) que l'on peut rapprocher des trois approches théori­ques (traditionnelle, probabiliste, contingente) que nous avons développéesen début de chapitre en référence à Lucien Sfez (Sfez, 1994) :

- des décisions « certaines» qui se caractérisent par la rigidité et la sta­bilité des solutions qui ne sont pas, à l'instant où elles sont posées, re­mises en question par leur auteur ;

- des décisions « probables » marquées par la flexibilité et la fragilitédes solutions alternatives qui émergent dans le doute et sont entou­rées de réserves ;des décisions « contingentes » caractérisées par la précarité des solu­tions incertaines qui peuvent être ou ne pas être.

TABLEAU 14

Différents types de décisions didactiques.

Si les décisions sont souvent délibérées, nos travaux mettent en avantqu'elles se produisent parfois à l'insu des sujets et qu'elles entraînent de pro­fonds remaniements des contenus d'enseignement.

La nécessité de trancher, le compromis ou la compromission sontdonc des illustrations de la partie visible d'un processus intime et complexequi peuvent renvoyer à ces trois types de décisions. Au-delà des contrainteset des spécificités institutionnelles, la logique qui les sous-tend est à chercherà la fois dans l'épistémologie des sujets et dans les particularités des contextesinteractifs différemment appréciés par les sujets.

11. CONCLUSION

Cette recherche en didactique clinique permet d'apporter une autrecompréhension à l'activité décisionnelle de l'enseignant qui semble oscillerentre une recherche de rationalité et la subjectivité des acteurs. Que ce soit lacompromission, le compromis ou la nécessité de trancher, il semblerait que lanature des solutions apportées relève de la singularité des sujets et des con­textes. En effet, entre intentions et décisions se révèle toute la dynamique du

Page 17: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

~ '. La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas...

l'enseignante, divisée entre une « sphère privée » et une « sphère publique »

éprouve la nécessité de trancher. Cette « douloureuse » décision prise dansl'urgence ne peut satisfaire l'enseignante « C » qui se justifie néanmoins enmettant en avant son rôle et son statut d'enseignante.

1O. DISCUSSION

Au travers des illustrations développées au cas par cas dans cette con­tribution, nous mettons en avant la complexité et la dynamique de l'activitédécisionnelle de l'enseignant et ses effets plus ou moins déterminants sur lescontenus d'enseignement constamment remaniés dans le temps. Lorsque « lanécessité de trancher » s'impose à l'enseignant, la solution apportée dansl'urgence se traduit soit par une rupture entre intention et décision en réac­tion au dysfonctionnement repéré par l'enseignant (DR!) soit par le choix decontinuité malgré le problème rencontré (DCI) qui est alors subi par l'ensei­gnant. Cette deuxième option est encore plus coûteuse que la première carelle alimente un sentiment d'impuissance qui entre dans la construction sanscesse renouvelée d'un « déjà-là expérientiel » pas toujours en phase avec le« déjà-là intentionnel » et le « déjà-là conceptuel ». L'ana lyse quantitativemontre toutefois que ce type de décision est plutôt rare. La « nécessité detrancher » semble se produire lorsqu'aucune autre solution n'est envisageabledu fait même de la nature du problème perçu par l'enseignant. Plus nombreuxsont les « compromis» et les « compromissions » qui, même s'ils ne satisfontpas les enseignants , permettent d'apporterd es solutions qui maintiennent larelation didactique entre enseignant et élèves, autrement dit qui permettentde suivre sans le rompre tout à fait « le fil du savoir » aussi fragile soit-il. Il s'ensuit des écarts parfois considérables entre les savoirs à enseigner et les savoirsréellement enseignés. On perçoit bien ici à quel point le processus d'enseigne­ment - apprentissage est labile et contingent.

« Ainsi, la décision en enseignement apprentissage est un événementpossible qui peut se produire à n'importe quel moment de la situation didacti­que en réponse à une situation problématique . L'enseignant en est l'auteur,l'agent et l'acteur » (Cam us, 2üü3b). Elle signe un acte responsable et authen­tique du sujet et s'origine à des moments donn és de l'épreuve de l'interactionpar l'appréciation plus ou moins définie et circonscrite d'un ou des problèmesde nature différente qui va alors pro curer à l'enseignant des motifs et desmobiles variés souvent simultanés, parfois contradictoires , source de division.La perception du ou des problèmes par l'enseignant est nécessaire pour quese produise la décision 6: Toutefois elle n'est pas suffisante . Elle emprunteaussi de possibles itinéraires de réponses singuliers , nombreux plus ou moinsconvergents et débouche sur de possibles solutions plus ou moins intégrées

6 En l'absence de problème identifié plus ou moins précisément par r enseignant , nous pen­sons qu'il ne peut y avoir de décision telle que nous la définissons. Est décidable ce qui peut fairel'objet d'une décision.

Page 18: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

ti ti

La décision de l'enseignant en didactique clinique. Études de cas..._ p l

sujet enseignant singulier, assujetti et divisé et la convergence de nos optionsconceptuell es et méthodologiques éclaire cett e dynamique. Ainsi, si commeGuy Brousseau l'affirme « l'intention est fondatrice de la didactique » (Brous­seau, 1986) , l'étude de la décision nous semble révélatri ce de l'intérêt d'unedidactique clinique qui intègre a p riori la dimension du sujet. D'autre part, sila plupart des recherches en didactique mettent en avant du point de vue ins­titutionnel le savoir comme principal organisateur de la pratique enseignante,la dimension clinique dans ces travaux souligne davantage l'importance desrelations multiples que le sujet enseignant (et le sujet élève supposé appren­dre) entretient avec les savoirs en jeu et amène une autre lecture et compré­hension du fonctionnement didactique. Le savoir est certes considéré commeun élément exogène aux systèmes enseignant et enseigné en ce sens qu'il pro­vient de l'extérieur, répond à la demande institutionnelle suite à un pro cessusde transposition et légitime les pratiques enseignantes dont l'analyse rendcompte - ou non - de sa circulation . Toutefois, il est aussi et en même tempsconsidéré conune une composante endogène qui prend peu à peu naissance,forme et force à l'intérieur des sujets, à chaque épreuve de l'interaction. Cettecomposante endogène du savoir est selon nous de nature à renouveler les pro­blématiques de recherche dans le champ de la didactique et des sciences del'éducation.

À ce stade de la réflexion, notre contribution dans la constitution dece champ de recherche met en avant certains éléments qu'il nous faudra soitapprofondir soit développer à savoir :

- le couplage intime et étroit entre le sujet, tel que nous l'avons présen­té , et la situation didactique que l'on pourrait définir comme la néces­saire rencontre ent re les trois instances imbriquées de la temaritédidactique ;

- la mise enjeu combinée de déterminants ou d'organisateurs à la foisextrinsèques et intrinsèques aux sujets qui conduit à une autre lectu­re du fonctionnement didactique ;

- le développement de travaux portant sur les décisions d'élèves. En ef­fet , si la décision d'enseigner appartient à l'enseignant , l'appropriationne suit pas les mêmes règles et les mêmes logiques que la transmis­sion. La décision d'apprendre appartient, en dernier ressort, à l'élève.

,.Enfin, opter pour une théorie du sujet dans la recherche en didactique

nous amène aujourd'hui à nous questionner sur la posture du chercheur entant que sujet , lui aussi. Cette posture peut être caractérisée par la prise encompte plus ou moins explicite et assumée des « perturbations » occasionnéeschez les praticiens par les dispositifs mis en place par le chercheur pourrecueillir et traiter le matériel de recherche - aut rement dit par la reconnais­sance d'un « effet - chercheur» sur, dans et pour la recherche (Camus, 2007).Prendre en compte la subjectivité du chercheur dans sa quête de rationalitéamène à évoquer les dimensions éthique et déontologique de la recherche surles pratiques enseignantes . C'est aussi en quelqu e sorte une façon

Page 19: La décision de l'enseignant en didactique clinique. …eroditi.free.fr/Enseignement/DDM_M1_S2/09 Carnus 2009 - La decision... · La décision de l'enseignant en didactique clinique

Conclusion

d'« objectiver la subjectivité » du chercheur - subjectivité constitutive desobjets, questions, théories, démarches, matériel et résultats de sa recherche,subjectivité empreinte d'une histoire et d'une trajectoire singulière. Cette der­nière remarque ouvre des perspectives de recherche qui nous apparaissentmaintenant nécessaires à développer pour renforcer la congruence entre nosoptions conceptuelles et méthodologiques.