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LA FABRIQUE DE L'USAGER. LE CAS DE LA COLLECTE SÉLECTIVE DES DÉCHETS Rémi Barbier Métropolis | « Flux » 2002/2 n° 48-49 | pages 35 à 46 ISSN 1154-2721 DOI 10.3917/flux.048.0035 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-flux1-2002-2-page-35.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Métropolis. © Métropolis. Tous droits réservés pour tous pays. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Métropolis | Téléchargé le 20/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Métropolis | Téléchargé le 20/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LA FABRIQUE DE L'USAGER. LE CAS DE LA COLLECTE SÉLECTIVE DESDÉCHETS

Rémi Barbier

Métropolis | « Flux »

2002/2 n° 48-49 | pages 35 à 46 ISSN 1154-2721DOI 10.3917/flux.048.0035

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-flux1-2002-2-page-35.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’éliminationdes déchets municipaux s’est progressivement recomposée

autour d’un impératif de valorisation. Une politique concernantles déchets d’emballages ménagers fut tout d’abord négociéeavec les industriels concernés. Ceux-ci s’engagèrent à participerà la promotion et au financement des opérations de collectesélective et de tri développées par les collectivités locales. Ilsconstituèrent pour cela une société privée, Éco-Emballages,chargée de mutualiser puis de redistribuer aux collectivitésleurs contributions respectives (1). Puis la loi du 13 juillet 1992mit en branle un processus complexe au terme duquel ladécharge devait perdre sa position d’exutoire dominant, pourêtre réservée à partir de 2002 à une part très réduite du flux dedéchets, constituée des seuls « déchets ultimes », le reste devantêtre obligatoirement valorisé (2).

Depuis, la collecte sélective des déchets d’emballagesménagers s’est, semble-t-il, durablement installée dans les sché-

mas techniques et dans les comportements. Dix ans d’un che-minement expérimental et collectif ont permis de passer de l’in-certitude radicale du début de la décennie quatre-vingt-dix :« les usagers vont-ils accepter de trier ? », à l’affirmation suivan-te : « la collecte sélective, c’est de la routine ! ». Aujourd’hui,Éco-Emballages comptabilise plus de quarante millions detrieurs, dont l’action permet le recyclage d’environ 1,7 millionsde tonnes de déchets. C’est évidemment peu au regard du gise-ment total d’ordures ménagères (environ vingt-cinq millions detonnes), mais l’importance et l’intérêt des collectes sélectivestiennent peut-être surtout au fait qu’elles « sont les seules inno-vations (dans le domaine de l’environnement) qui s’imposentvraiment à une majorité d’habitants » (Maresca et Poquet,1994).

Nous voilà dès lors face à l’alternative suivante : doit-onavaliser naïvement ce modelage public d’un comportementprivé au nom de toutes les « bonnes raisons écologiques » que

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ses promoteurs sont prompts à énoncer, ou faut-il, comme nousy invite Rumpala (1999), dénoncer une dynamique de « colo-nisation des comportements » entreprise au bénéfice du systè-me économique ? Entre ces deux écueils de la naïveté et de laposture critique, nous souhaitons montrer que cette histoirerecombine des intérêts multiples et qu’elle procède de logiquesaux ramifications complexes. Il nous faut pour cela situer letrieur de déchets dans le réseau d’événements, d’acteurs et dedispositifs dont il est issu. La trame de notre développement seradonc constituée d’une « description théorisée » de la moderni-sation de la gestion des déchets, dans laquelle alterneront lespoints de vue micro et macro autour des questions suivantes :quel est l’usager fabriqué par cette modernisation, de quellesmanières a-t-il pu marquer de son empreinte la mise au pointdes nouvelles configurations, quels ont été ses porte-parole, sesformes de présence ? Nous nous appuierons notamment surune série d’études de cas conduites en deux vagues succes-sives : d’abord au tout début de la phase de modernisation(Barbier et Larédo, 1995 ; Barbier, 1996), puis lorsque les col-lectes sélectives eurent atteint une maturité relative (Adage,1997 ; Hédéra, 1998) (3).

MOBILISATION GÉNÉRALE AUTOUR DES« CHOSES ABANDONNÉES »

Genèse d’une dynamique de « coercition mutuelle »

Il semble être de la nature paradoxale du déchet, objet « négli-gé, méprisé, rejeté », de « revenir pourtant périodiquement àl’ordre du jour » (Bertolini, 1990). Le dernier quart du XXesiècle n’aura pas fait mentir ce principe. En effet, à peine lesinterrogations des années soixante-dix sur la « civilisation de lapoubelle » s’étaient-elles éteintes qu’à la fin des années quatre-vingt les déchets réapparaissent sur le devant de la scènemédiatique et sur l’agenda des politiques publiques. La problé-matisation de la « question rudologique » (4) se fait selon deuxgrandes thématiques étroitement liées : d’une part, celle dudéveloppement durable ; d’autre part, celle de la maîtrise sanscesse à reprendre du fait urbain, c’est-à-dire des menaces queles « agrégats de comportements individuels » font peser sur la« continuation de la ville » (Segaud, 1992).

Les déchets sont tout d’abord saisis par la vague d’environ-nementalisation (5) qui se met en place au tournant des annéesquatre-vingt et quatre-vingt-dix. Le développement durable, quiprétend réconcilier développement et environnement, en

constitue le mythe mobilisateur. D’un point de vue technique,divers articles montrent comment les déchets participent direc-tement à l’émergence des « problèmes globaux » : gaspillagedes ressources, effet de serre, pollution des sols. Mais indépen-damment des bénéfices propres attendus des efforts de moder-nisation de la gestion des déchets, on crédite également celle-ci d’une vertu pédagogique importante dans la perspective dela mobilisation générale qui serait seule à la hauteur des nou-veaux défis. Les déchets sont l’un des véhicules permettantd’unifier ce nouveau champ de problèmes, de circuler entre le« local » et le « global », les problèmes visibles et les problèmesinvisibles, les temporalités courtes et les temporalités longues,les acteurs collectifs et les individus. « Bien sûr il y a la couched’ozone (…) mais l’écologie doit aussi — doit d’abord —s’exercer au ras des poubelles (…) En France nous avons de l’or-dure sur la planche. Malgré les règlements, notre belle Franceest de plus en plus sale, suffocante, toxique, délétère », martèlepar exemple en juin 1989 un journaliste du NouvelObservateur.

Sur le plan de la gestion urbaine, les déchets ont de touttemps constitué un défi appelant une intervention collective. Lanature des défis et les réponses apportées ont considérablementvarié historiquement : enjeux d’encombrement, sanitaires etécologiques se sont succédés et combinés (Barbier, 1997).Toutefois, leur trame anthropologique commune a été explici-tée par Mary Douglas (1992). Celle-ci définit les déchetscomme une « offense contre l’ordre », une « anomalie » relati-ve à nos systèmes de classification des matières et des espaces,des choses qu’il convient par conséquent « d’écarter vigoureu-sement » afin qu’elles s’indifférencient « au sein d’un tas d’or-dures quelconque ». Or une série de scandales, de problèmestechniques, de défaillances réglementaires qui jalonnent cesannées charnières semblent montrer que les déchets échappentprécisément à cet horizon d’attente.

La révélation d’un trafic de « cargaisons pestilentielles dedéchets hospitaliers » entre la France et l’Italie (Le Figaro,26.07.1989, Dossier « Pollution, La France Poubelle »), ladécouverte que la France est la « terre d’asile des déchetssuisses » (Le Quotidien, 17.01.1990) et qu’une « mafia desordures » organise un trafic entre la France et l’Allemagne (l’É-vénement du jeudi, 20-26.08.1992), provoquent incompréhen-sion et indignation, quand dans le même temps on se rendcompte que « les vide-ordures débordent » et que « la Francecroule sous les déchets » (l’Humanité, 06.01.1989), que cer-

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tains équipements de traitement sont proches de la saturation etqu’il est de plus en plus difficile d’en construire en raison desoppositions locales. La répétition et la mise en équivalence parles médias de tous ces événements, qui auraient pu continuer àêtre traités localement, accréditent l’idée selon laquelle ils relè-vent au contraire d’une menace collective, celle d’une perte demaîtrise de la gestion des déchets : l’anomalie paraît irréduc-tible, soit que les déchets débordent des espaces et circuits oùon les pensait assignés, soit que, comme ces déchets toxiquesqui polluent lentement le sol, ils résistent au processus d’indif-férenciation que nous attendons d’eux, nous contraignant alors,tel sera le discours dominant, à sortir de notre indifférence àleur égard.

Comme toute pollution, la crise des déchets ouvre unefenêtre pour un exercice de « coercition mutuelle » (Douglas,1992), ouvert aux appétits de tous les entrepreneurs désireuxd’en influencer le cours : entrepreneurs moraux, soucieux demettre un terme au gaspillage et de responsabiliser les habi-tants, entrepreneurs politiques voyant s’ouvrir devant eux uncréneau d’intervention et de pouvoir, entrepreneurs écono-miques enfin, flairant le développement de nouveaux marchésou redoutant la remise en cause de leurs intérêts. Ce jeu desacteurs, qui sera décrit plus loin, va se couler dans la logique du« nouvel hygiénisme » : dans son effort de modelage des com-portements, il procède moins par autoritarisme moralisateur àl’ancienne que par « dramatisation des effets publics deconduites individuelles naguère tenues pour innocentes »(Raynaud, 1993). Cette perte de maîtrise sera alors imputée àune coupable négligence collective : « Jusqu’à présent nousvoulions ignorer ce que devenaient les restes de notre consom-mation. Les déchets étaient abandonnés à leur sort » (Cans,1990, souligné par nous). Conséquence directe : pour affronterce « défi gigantesque [qui] se pose aux sociétés industrielles :maîtriser enfin la marée des déchets » (L’usine nouvelle,27.08.1992), il faut que chacun « se réapproprie sa part dusale » (Barraqué, 1992). Un programme centré sur la participa-tion des usagers est donc tracé, en rupture avec la logique dedéresponsabilisation qui avait pu conduire, localement, jusqu’àla mise en place du « service complet », dans lequel les habi-tants n’avaient même plus à sortir leur poubelle (Guigo, 1991).Il s’agit donc à la fois de renouer avec une forme de collabora-tion entre habitants et services municipaux, encore courantejusque dans les années 1950/1960 (Barthélémy, 1989), et d’enréinventer les modalités.

Un nouveau réseau socio-technique centré surl’usager producteur-trieurCompte tenu des nombreuses incertitudes entourant les res-ponsabilités des différents acteurs ainsi que la validité desoptions techniques envisageables, le projet de redéfinition pré-cise des règles de « bonne vie commune » entre les hommes etleurs ordures est largement ouvert. Des facteurs tels que lastructure industrielle, le degré de concertation préalable entrepouvoirs publics et industriels, les présupposés généraux ou« conventions fondatrices » propres à chaque pays expliquenten grande partie la variété des trajectoires suivies au niveaueuropéen (Buclet et alii, 1997). En France, sous-tendue par lacroyance dans les possibilités de maîtrise technique des ques-tions d’environnement, portée par une industrie agroalimentai-re et de l’emballage puissante faisant face à des pouvoirspublics dépourvus de réelle doctrine (Defeuilley, 2000),appuyée également par une coalition élargie d’acteurs incluantquelques collectivités pionnières et les associations de consom-mateurs ou d’environnement, la traduction du projet de « coer-cition mutuelle » dans un nouveau réseau socio-technique cen-tré sur une « participation raisonnable » de l’usager se met rapi-dement en place. Ce réseau, que nous allons décrire (6), seracertes amélioré de manière continue mais jamais véritablementremis en cause.

La philosophie de la responsabilité sur laquelle il repose estclairement celle d’une « responsabilité partagée » entre tous lesacteurs. Elle s’oppose en cela à la responsabilité « canalisée »,qui aurait pu faire peser par exemple sur les seuls industriels lacharge d’une « réduction à la source » des emballages. En par-ticulier, l’usager, qui se profile derrière le consommateur, ne tar-dera pas à être concerné, comme en témoigne cette déclarationdu directeur de l’ex-Agence Nationale pour la Récupération etl’Élimination des Déchets : « le consommateur reconnaît être lepremier responsable de la pollution quand hier c’était encorel’industriel. (…) Nous avons commis une grossière erreur endisant que le consommateur ne dépense généreusement que350 kg de déchets par an parce que ces 350 kg ont généré peut-être dix tonnes de déchets. Cette vision réductionniste a incitéle consommateur à refuser d’endosser plus de responsabilité »(L’Environnement magazine, n° 1498, 1991, « Dossier : quellessolutions pour nos déchets ? »). Toutefois, la participationdemandée et par conséquent l’ambition du recyclage devrontrester modestes, le système des poubelles multiples « à l’alle-mande » servant à l’occasion de repoussoir. Limiter l’ambition

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et/ou la complexité du tri répond certes au souci d’avancer pru-demment sur un terrain sociologiquement mal balisé, maisaussi à la volonté pour les industriels cotisant à Éco-Emballagesde limiter leur participation financière : celle-ci ne sauraitdépasser le montant (2,4 milliards de Francs par an) fixé initia-lement sur la base des estimations disponibles (Defeuilley,2000). Ce nouveau réseau repose ensuite sur une certainevision simplifiée des relations entre acteurs : les collectivitéssont incitées à mettre en place des collectes sélectives, lesindustriels conditionneurs sont appelés à participer à leur finan-cement, les entreprises du déchet sont sommées d’« industriali-ser leurs pratiques », les usagers sont invités à faire du tri ou plusexactement du « non mélange » à la source, les producteurs dematériaux enfin deviennent les recycleurs des flux de matièrestriées. Cette vision est complétée par une doctrine d’action plusgénérale : il s’agit de l’« approche globale », qui prône une ges-tion « multi-filières, multi-déchets, multi-partenaires » (Beguin,1993). Enfin, le réseau mobilise un substrat technique constituéd’une nouvelle gamme d’équipements, dont les plus embléma-tiques sont le sac et le centre de tri pour la collecte sélective diteen porte-à-porte, et les nouveaux conteneurs pour la collectedite en apport volontaire.

Les quelques acteurs-clefs qui portent le développement dece réseau appartiennent à des mondes hétérogènes. On y trou-ve sans surprise des membres de la haute administration duMinistère de l’environnement, dont l’un combine cette respon-sabilité avec un militantisme actif en faveur du tri sélectif ; lesmembres de l’ancienne agence d’objectifs spécialisée dans lagestion des déchets, intégrée à l’ADEME, qui vont animer unvaste programme d’action ; divers élus engagés dans desdémarches pro-actives ; les industriels conditionneurs, qui yvoient le moyen de crédibiliser leur lobbying autour de l’élabo-ration d’une future directive européenne sur les déchets d’em-ballages en disposant d’une « solution française » opposable àun modèle allemand déjà en place et beaucoup plus contrai-gnant (Glachant, 1994). On y trouve enfin quelques personna-lités issues de la mouvance associative formée à l’occasion dudéveloppement des premières collectes sélectives dans lesannées 1970, à l’image du concepteur du « modèle TRISELEC »de la Communauté urbaine de Dunkerque, prototype du sché-ma « seconde poubelle à domicile + centre de tri » appelé àdevenir un classique. Lancé en 1989, le modèle dunkerquoisfera l’objet dès 1992 d’une évaluation de la part de l’ADEME. Ilen ressortira que l’opération constitue, au titre de la mobilisa-

tion des habitants, un « indéniable succès » et que si elle ne« préfigure pas aujourd’hui une unité de traitement optimisée,elle constitue néanmoins une base solide pour approcher la fai-sabilité technique et économique de nouveaux centres »(Cheverry, 1992). Avec quelques autres expériences fortementmédiatisées et beaucoup visitées, ce modèle contribuera àrendre crédible le nouveau réseau en jouant le rôle de « lieuexemplaire », c’est-à-dire, pour paraphraser A. Micoud, (1991),de « lieu fait pour faire croire qu’une autre gestion des déchetsest possible ».

Ce consensus autour de la collecte sélective ne sera pasvéritablement remis en cause dans les années qui suivent, si cen’est sur certaines modalités organisationnelles. Les associa-tions d’environnement, de consommateurs ou de locataires s’enferont plutôt d’ardents propagandistes. Dès 1990 par exemple,à l’occasion d’un colloque sur « Les consommateurs et leursdéchets », la section aixoise de l’Union Fédérale desConsommateurs affirma sa volonté de participer à la sensibili-sation et à la responsabilisation des consommateurs-citoyens.La collecte sélective représentera pour ces associations, confor-mément au lien bien établi entre consommation et vie quoti-dienne (Pinto, 1992), un nouvel espace d’intervention de proxi-mité, bien souvent en tant que partenaires privilégiés, voireprestataires, des promoteurs du tri. Ce furent moins les critiques,certes importantes pour le dimensionnement général de la filiè-re mais finalement internes à la démarche (« faut-il vraimenttrier les pots de yaourt ? »), qui firent peser une menace sur lacollecte sélective que la dérision ou l’ironie sur un sujet, la pou-belle, que tout le monde n’était pas prêt à considérer comme le« vrai et très sérieux problème de société » pointé par lesmembres du Collège de la prévention des risques technolo-giques dans leur rapport sur la loi de 1992.

La méconnaissance partagée de la véritable « plus-valueenvironnementale » des collectes sélectives par rapport auxsolutions classiques d’incinération contribua certainement àmaintenir la cohésion de la coalition constituée (7). L’absencede controverse réelle sur ce point permit d’asseoir socialementle tri des déchets comme norme d’action valide, les tonnagesrecyclés et les emplois créés attestant suffisamment de son inté-rêt. La collecte sélective bénéficia donc pleinement de ces« mécanismes politiques forts et particulièrement consensuels(…) nécessaires pour assurer la mise au point et la durabilité desrègles d’usage et de gestion des biens publics », tels que préci-sément la propreté urbaine (Kiser, cité dans Strobel, 1994). Ce

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n’est que tardivement qu’une inflexion vers la réduction à lasource sera effectivement engagée et que le débat sur l’arbitra-ge environnemental entre recyclage et valorisation énergétiqueréapparaîtra dans les instances officielles, mais à un moment oùle tri semble faire d’ores et déjà figure d’évidence collective :n’en est-on pas à lancer des campagnes nationales et à organi-ser des « recyclades », sortes de journées festives autour du trisélectif ?

INVENTION ET STABILISATIONDU NOUVEL USAGER

Des besoins de l’usager à la performance duproducteur-trieur

Sur la base d’un sondage SOFRES de 1991 indiquant que 71 %des Français étaient favorables aux collectes sélectives, un jour-naliste de la Lettre du maire, dans le numéro du 10-16 juin1992, affirme : « Plus rien ne s’oppose donc à la mise en placede structures associant les usagers à la gestion des déchets ».Mais s’agit-il de (re)mobiliser un « usager déjà là » ou d’inven-ter un nouveau personnage, hybridant les sphères domestiqueet économique, privée et publique ? En fait, au traditionnel usa-ger sans qualités appréhendé par un tonnage produit ou unlitrage de poubelle mis à disposition, l’impératif de recyclagesubstitue un producteur-trieur inséré dans une filière industriel-le, dont il faut construire et maintenir la performance.L’alignement des comportements domestiques sur un standardcompatible avec les possibilités de la collectivité et les exi-gences des recycleurs passe par toute une série d’investisse-ments de forme (Thévenot, 1986), qui peuvent être résumés entrois grandes catégories : mise en mots du gisement, mise enconformité des pratiques, mise en valeur du geste tri.Reprenons-les brièvement.

Si on admet que le « concept du résidu, c’est la masse »(Knaebel, 1991), l’introduction de la collecte sélective impliqueen premier lieu une mise en mots commune du « tas dedéchets ». Il s’agit d’aider le producteur-trieur à se repérer danscette collection hétéroclite de choses qu’est a priori le gisementde déchets. La principale difficulté vient de la rencontre entreun monde ordinaire, où les modes de qualification utilisés peu-vent rester souples et personnalisés, et l’alignement de type pro-fessionnel requis par la collecte sélective. Cet alignement doitpermettre tout à la fois d’obtenir des quantités suffisantes etd’éviter les « erreurs de bonne foi » : comment éviter par

exemple que la poubelle du recyclable ne soit identifiée à uneanti-poubelle destinée à toutes les choses qui « peuvent resser-vir », comme de la moquette ou du bois… mais qui encom-brent inutilement le centre de tri ?

La collecte sélective réclame ensuite une mise en confor-mité de certaines micro-pratiques de rangement du résidu,telles que l’emballage des déchets dans les petits sacs de cais-se, qui peuvent compliquer, voire davantage, le bon déroule-ment du traitement. Elle réclame aussi toute une série de micro-ajustements qui transforment certains lieux (le jardin, le séchoir,le balcon…) en annexes de l’espace rudologique. Derrière unepréoccupation exprimée parfois directement par les habitants— « l’organisation à l’intérieur des maisons et à l’extérieur[pose] problème », expliquèrent des Lillois lors d’une sessiondes Assises des résidus urbains en 1994 — se profile un enjeuessentiel, celui de la capacité des usagers à prolonger le travailinitial de mise en forme entamé par les promoteurs de projet pardes adaptations autonomes au bénéfice de la collecte sélective.

La mise en valeur du « geste tri », le reliant à un horizon desens qui le légitime, viendra justement conforter cet engage-ment individuel minimal, indispensable pour surmonter lesinévitables difficultés et colmater les failles du système. L’offrede sens tendra le plus souvent à inscrire le tri dans la sphère dela moralité, plus rarement dans la sphère de l’intérêt en jouantsur des mécanismes économiques de type tarification ouconsigne… Assez rapidement, les motivations déclarées destrieurs pourront être rapportées à l’une ou l’autre des six caté-gories suivantes : le civisme-citoyenneté, la volonté d’insertiondans le tissu social, l’écologie de proximité, la lutte contre lesexcès de la société de consommation, un impact positif enfaveur de l’emploi, la simplicité des modalités de tri (Cofremca,1994). Quoi qu’il en soit, une partie de l’art des porteurs de pro-jets consistera à articuler ces investissements de forme aux exi-gences du nouveau réseau et en particulier à la distribution desrôles retenue pour relier les cuisines à l’usine de recyclage.

La collecte sélective comme projet local :« foisonnement d’initiatives » et représentations desusagersÀ partir des années quatre-vingt-dix, un « foisonnement d’ini-tiatives » (P-H. Bourrelier, 1992), dont certaines se situent par-fois à la limite du bricolage artisanal, se met en place. Lesscripts testés, c’est-à-dire les programmes d’action coordonnantles rôles respectifs des usagers et du réseau (Akrich, 1987), peu-

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vent être assez différents même s’ils s’inscrivent tous dans lecadre défini précédemment. Dans le cas le plus classique, celuide la collecte des déchets d’emballages en vrac, le producteur-trieur gère simplement un nouveau flux de déchets, collecté parune benne traditionnelle et trié ensuite dans un centre de triplus ou moins sophistiqué. Le sac de tri peut être transparentpour ériger l’éboueur en contrôleur et lui permettre de vérifiersi le contenu est conforme ou non aux consignes. L’utilisationd’une benne à compartiments cristallise un partage du travaildifférent : au lieu de lesjeter, le producteur-trieurrange ses déchets propreset secs dans un bac, puisl’agent de collecte placeles matériaux rangés dansdes godets spécifiquesplacés sur le côté de labenne, godets qui sontensuite vidés régulière-ment dans les comparti-ments. Les déchets peu-vent être remis directe-ment au recycleur. Enfin,l’apport volontaire desdéchets dans des bornesdisposées sur la voiepublique libère l’usagercomme le collecteur decontraintes calendairesfixes, mais au détrimentd’un certain confort d’uti-lisation et, souvent, desquantités récupérées.

Comment, dans cespremières phases de lamodernisation, a été négocié ce qui devait être pris en chargepar la poubelle, la benne, la technologie de tri, le ripeur, le pro-ducteur-trieur ? Pour rendre compte de ces processus de choix,introduisons une typologie simple. Les nombreux élémentsentrant dans la composition d’une filière peuvent être classés endeux grandes catégories : les variables de commande, dont lescontraintes ou les caractéristiques sont jugées déterminantespour l’équilibre du dispositif ; les variables de bouclage, à par-tir desquelles seront obtenus les ajustements nécessaires. Cette

distinction ne recoupe pas celle entre éléments techniques etéléments humains : la technologie de tri comme le modèle deproducteur-trieur relèvent selon les cas de l’une ou de l’autre deces catégories (cf encadré).

On a ainsi deux formes polaires de mobilisation entre les-quelles les formes concrètes peuvent être situées : d’une partl’usager variable de commande pris dans une démarche de sol-licitation, et d’autre part l’usager variable de bouclage inscritdans un processus d’enrôlement actif. La position du curseur

résulte alors d’une négocia-tion socio-technique(Callon et Rip, 1992), aucours de laquelle sont éva-lués et confrontés les gra-dients de résistance respec-tifs du producteur-trieur etde la technologie de tri.Cette évaluation nécessitela mise en place de méca-nismes de représentationdes « habitudes » ou pro-priétés de ces actants (8).Concernant la technologie,les représentations se for-mèrent à l’occasion devisites, suivant les conseilsd’experts ou les proposi-tions de prestataires, égale-ment après expérimenta-tion, comme ce fut le caspar exemple à Lille. Pour lesproducteurs-trieurs, l’ac-cord sur « ce dont sontcapables les gens » futgénéralement obtenu en

combinant trois canaux de représentation, que nous allonsdétailler.

L’ampleur des modifications introduites a dépendu biensouvent des représentations personnelles que les élus se fai-saient ex ante et a priori de la capacité des gens à transformerleurs habitudes. Ce facteur irréductible montre bien que lamodernisation fut d’abord et avant tout une question de poli-tique locale. Au besoin, cette définition du producteur-trieurcomme sujet politique a pu être activée par une procédure ad

L’usager : variable de commandeou variable de bouclage ?

L’exemple des Lilas — au moins en 1993/1994— esttypique d’une situation où le producteur-trieur est érigé envariable de commande : arguant du fait que les Lilasiens

disposent de fort peu de place pour une deuxième poubelleet qu’il faut éviter la confusion dans l’esprit des gens avecdes « solutions intellectuelles » comme la séparation entrele propre et le sec, les promoteurs de la collecte sélectivese contentent de suggérer des gestes à effectuer et dedensifier un réseau de conteneurs d’apport volontaire

disposés sur la voie publique. À l’inverse, à laCommunauté urbaine de Lille, le centre de tri est

rapidement devenu le cœur du dispositif, notamment parles contraintes liées à l’emploi de la technologie innovantedu « séparateur aéraulique ». Afin que le rendement duséparateur soit maximal, le programme attribué au

producteur-trieur dut être renforcé et c’est donc à l’usagerqu’échut la contrainte de bouclage : on lui demanda deséparer les « corps creux » (bouteilles) des « corps plats »(papiers-cartons) et non plus seulement le flux génériquedes « propres et secs ». Pour lui faciliter la tâche, ons’efforça de comprendre son vocabulaire, d’adapter lematériel à son style de maison, on lui envoya des

enquêteurs, et aussi des contrôleurs…

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hoc : organisation d’un référendum, convocation des Assisesdes résidus urbains afin de valider publiquement certainschoix… Ces représentations purent le cas échéant être influen-cées par la dynamique inter-locale résultant des visites et du« colportage des bonnes idées » auquel se livrèrent de nom-breux acteurs. Les porteurs de projet se sont efforcés en secondlieu de chiffrer le comportement du trieur à l’occasion dephases expérimentales sur des quartiers-tests. Ce type de repré-sentation a plutôt été porté par les ingénieurs municipaux, enaccord avec une culture technique faite de pragmatisme et deprudence : « avant de changer les comportements des gens, ilfaut tout mesurer ». Ces enquêtes fabriquèrent une image sim-plifiée et chiffrée de la population des producteurs-trieurs, deses performances, mais aussi de sa satisfaction et de sescontraintes : on mesura certes des compositions de poubelle etdes taux de présentation, en s’appuyant sur une terminologie etdes indicateurs progressivement stabilisés, mais on s’intéressaégalement, sur la base de questionnaires-types rapidement dis-ponibles (1994), à la gestion domestique de la poubelle (qui trieà la maison ?) et aux attitudes par rapport au tri. À Lille, ce sontpas moins de six configurations différentes qui seront ainsi tes-tées ! L’usager a pu enfin être représenté par ce qu’en disaientdes « porte-parole qualifiés », érigés en représentants fidèles dela population. À Gueugnon, ce sont les militantes de l’UFCS(Union Féminine Civique et Sociale) qui testèrent le matérielchez elles et assurèrent le relais vers les habitants ; dans laCommunauté Urbaine de Lille, une commune pilote pour lacollecte sélective demanda à un de ses conseillers municipauxde jouer le rôle de « Monsieur Propre » : il devint l’intermédiai-re privilégié entre les habitants et la Communauté Urbaine,tenant soigneusement à jour un « cahier de doléances » enri-chissant et affinant la représentation des usagers. Par sa capaci-té à mettre en avant les « étourdis » ou les « événements fami-liaux générateurs de déchets », il put prendre part efficacementau débat sur la fréquence de collecte sélective en rappelant larécalcitrance des aléas de la vie quotidienne aux impératifs dela rationalisation technico-économique.

La mise en œuvre de ces multiples canaux de représenta-tion, à des degrés évidemment divers selon les communes,illustre bien la vivacité d’une culture technique locale tradition-nelle, orientée notamment vers la « saisie de la demande socia-le » et la « compréhension du contexte » (Barthélémy, 1989), enmême temps que son ouverture forte à de nouvelles manièresde faire, comme les enquêtes, moins intuitives et plus

construites (Lorrain, 1993). En termes d’usages, ces diversesreprésentations servirent parfois à choisir entre différents sys-tèmes, parfois à procéder à de simples ajustements techniquesd’un programme décidé ex ante. Elles servirent aussi souvent àsimplement valider les options prises et à la « mise en valeurdes aspects positifs des résultats », sans qu’il faille voir là néces-sairement la preuve d’une démarche cynique ou machiavé-lique : simplement, grâce à l’ensemble des mécanismes mis enplace, l’enrôlement des usagers fut, en général, plus rapide etimportant que ne l’espéraient souvent les porteurs de projet(Hédéra, 1998).

La collecte sélective comme dynamique collectiveComme nous allons désormais le voir, ces micro-régulationsprirent place dans une dynamique expérimentale globale.Toutes ces initiatives et négociations locales s’inscrivent en effetdans une politique publique. Des questions essentielles seposent : comment concilier l’autonomie des collectivitéslocales et la nécessaire décentralisation des choix avec laconvergence du dispositif vers des objectifs qui sont nationaux,et même européens (9) ? Comment assurer le pilotage de ceprocessus et élaborer des repères et doctrines d’action cré-dibles, qui permettront de rassurer puis d’enrôler les collectivi-tés « attentistes » ? Le pilotage mis en place repose de manièreessentielle sur une dynamique de production continue deconnaissances (10), elle-même composée de deux volets : lepremier consiste en un effort de capitalisation de l’existant, basésur la mise en place de plusieurs programmes d’études pilotéspar l’ADEME et/ou par Éco-Emballages et destinés à constituerprogressivement une nouvelle ingénierie des déchets ; lesecond volet résulte de l’effort organisé d’anticipation des étatsdu monde futurs, basé sur la démarche de planification àlaquelle, dans chaque département, l’ensemble des acteurs futinvité à participer sous l’autorité du représentant de l’État.

Seul nous intéressera ici le premier volet de cet apprentis-sage collectif (11). Comme il s’agissait de tester différentesconfigurations et de provoquer un effet d’entraînement, cer-taines collectivités ont été de manière tout à fait explicite trans-formées en laboratoire de la modernisation. En effet, expliquaalors le député-maire de Lons-le-Saulnier, J. Pélissard, un pion-nier de la collecte sélective, « on ne peut pas commencer à trai-ter la France de manière homogène. Une commission deconcertation réunissant Éco-Emballages, l’Association desmaires de France et des experts doit se mettre en place pro-

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chainement pour choisir les villes tests, ainsi que les projets derecyclage. Ces communes essuieront les plâtres ». Ce furent lesquarante et un sites-pilotes, sélectionnés après un appel à pro-jets, et qui firent l’objet de soutiens financiers et d’un suivi par-ticuliers, tant de la part des financeurs que d’une presse profes-sionnelle très attentive. De son côté, l’ADEME noua desconventions de partenariat avec une dizaine de collectivitésafin d’y réaliser des suivis technico-économiques ainsi que desenquêtes de satisfaction des usagers, visant à cerner leurs pra-tiques, difficultés, attentes, représentations. Ces suivis serontcomplétés par des études plus transversales portant par exemplesur le rôle des gardiens d’immeubles, la signalétique desdéchetteries, ou encore la place de l’insertion dans les centresde tri…

La diffusion des résultats fut assurée régulièrement par l’édi-tion de guides méthodologiques et la tenue de colloques, jour-nées d’études, rencontres nationales ou régionales… Entre la finde 1995 et 1996 parurent notamment un « Manuel de capitali-sation d’expériences », un « Recueil d’initiatives locales », etplusieurs guides portant aussi bien sur le choix de « l’implanta-tion des points d’apport volontaire » que sur la conduite géné-rale de projet. Des évaluations technico-économiques d’en-semble commencèrent à être diffusées également à partir de1996, suite à l’enquête réalisée par la Sofres pour le compte del’ADEME et de l’Association des maires de France. Bientôtapparurent également des « configurations gagnantes », boncompromis entre les contraintes et exigences technique, éco-nomique, réglementaire et sociologique. Compte tenu de l’im-portance de ce dernier facteur, l’impératif d’alignement descomportements des usagers fut précocement et précisémentoutillé, d’abord dès 1994 à l’aide d’un « Fonds commun decommunication », plus tard à l’aide d’un « Kit de communica-tion » comprenant guide de tri, lettres du maire, affichettes…prêts à l’emploi.

Doctrine sur l’usager et nouvelle relation de serviceÀ travers toute cette production, l’usager est devenu progressi-vement une variable relativement prévisible et maîtrisable d’unprojet socio-technique, assez bien saisi à l’aide du triptyque sui-vant : quelques ratios, quelques recommandations reflétant desexigences raisonnables et une doctrine d’intervention relative-ment simple. Au premier chef, la performance du trieur, élé-ment clef du dimensionnement d’un projet, exprimée enkg/hab/an, put assez rapidement être située, matériau par maté-

riau, entre une « valeur moyenne » et une « valeur optimiséeréaliste ». Actuellement, selon un directeur régional d’Éco-Emballages, « on peut dire à un élu au kg près ce qu’il va récol-ter ». De multiples études permirent également de construiredes portraits du bon ou du mauvais trieur, ou de catégoriser plusqualitativement la population. L’étude Hédéra (1998) distinguepar exemple : « ceux qui rejettent », les « pratiquants incita-teurs », les « gagnés au tri » et enfin les « hésitants ».

Progressivement intégré dans le savoir-faire organisationnelet gestionnaire en tant que producteur, l’usager est aussi envi-sagé comme porteur d’exigences légitimes. Considérons parexemple les critères permettant de comparer les deux grandesoptions de collecte sélective que sont l’apport volontaire ou leporte-à-porte, critères listés dans la brochure « Collectes sépa-ratives : les clefs de la réussite », éditée en 1998 par l’ADEME.Ces critères relèvent de trois grandes familles : la « qualité duservice pour l’habitant », qui se décline en : proximité, disponi-bilité, adhésion ; les « contraintes d’urbanisme », qui renvoientà l’encombrement et aux nuisances ; les « impacts sur les fac-teurs de coût » enfin, que sont les investissements, la qualité desmatériaux et les rendements des apports. On constate ainsi queles chargés de projet sont invités à mettre en regard la perfor-mance et la vitesse d’apprentissage du trieur, le coût qui sera infine supporté par le contribuable, les nuisances sonores ouolfactives que subira l’habitant, l’encombrement de la voirie oula distance que devra parcourir le piéton… bref, autant de situa-tions ou de rôles susceptibles d’entrer en interaction ou enconflit dans le cadre de la nouvelle gestion des déchets. Unefois cette mise à plat réalisée, c’est à la cellule projet d’arbitrerentre ces points de vue parfois contradictoires. Il est à cet effetrecommandé par l’ADEME d’associer les représentants associa-tifs ou d’usagers dès l’étude préparatoire.

Enfin, puisque « l’adhésion des ménages à la démarche decollecte sélective est la clé de la réussite du programme », etnotamment de la maîtrise des coûts, une doctrine d’interven-tion, d’inspiration behavioriste, est mise au point. Elle est résu-mée dans le « Manuel de capitalisation des expériences » de1996 par ces deux « idées force » : proximité, répétitivité. Plusprécisément, on peut reconstituer le schéma suivant : les atti-tudes et motivations, dont on a cerné par ailleurs la variété,déterminent pour partie les comportements ; ces attitudes glo-balement favorables au tri peuvent et doivent être renforcéespar des « messages » répétés dont l’impact sera d’autant plusfort qu’ils combineront contacts directs (remise en mains

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propres du guide de tri par exemple, ce qui suppose la multi-plication des interfaces humaines et des « relais ») et tracesécrites très pédagogiques ; le tout doit être accompagné d’unmécanisme de renforcement positif : il est recommandé de dif-fuser les (bons) résultats de la collecte sélective.

La dissémination de la relation de service, au sens d’unemultiplication des interfaces par lesquelles pourront transiterconsignes, réclamations, interrogations, conseils… est un com-plément indispensable à l’application de cette doctrine. Cettedissémination passe d’abord par l’envoi sur le terrain d’émis-saires, les fameux « ambassadeurs du tri », chargés de distribuerle matériel mais aussi d’expliquer les consignes, de rassurer, dejustifier, provoquant ainsi l’attention minimale nécessaire auchangement d’attitude. Elle passe ensuite par la mobilisationdes « relais », susceptibles de démultiplier et de désofficialiserles canaux par lesquels transitent les injonctions et/ou sollicita-tions, modalité d’influence sociale à l’efficacité bien documen-tée. Parmi ces relais figurent bien évidemment les agents de col-lecte et personnels des collectivités, les instituteurs, les gardiensd’immeubles, dont on découvrira par ailleurs que leur adhésionn’a rien de naturelle et doit être négociée (Tapie-Grime, 1998),mais aussi, plus rarement, des habitants « partenaires du tri »qui s’engagent, comme dans le Jura, « à promouvoir dans leurentourage l’idée du tri comme une solution d’avenir ». La dis-sémination de la relation de service passe enfin dans certainscas par le passage plus ou moins régulier de contrôleurs de laqualité du tri, faisant ainsi indirectement planer le doute sur lanature exacte de la nouvelle norme comportementale : la peurde l’amende et la crainte de la stigmatisation sociale peuventparfois être de puissants ressorts de modelage des comporte-ments. À terme, toutes ces médiations devraient s’effacer pourlaisser la place à une phase d’accoutumance, dans laquelle lanorme comportementale n’aura plus besoin d’être soutenueque par un certain nombre d’« indices routinisants » (Serverin,2000), tels que par exemple les pictogrammes présents sur lesguides, la distribution régulière de sacs de tri, ou les campagnesd’Éco-Emballages.

UN USAGER NORMALISÉ ?

Reprenons toute cette histoire. Au démarrage de la modernisa-tion, l’usager apparaissait essentiellement comme une figureabstraite, mobilisée dans la rhétorique de justification du chan-gement : il était, paradoxalement, à la fois une source essentiel-le du problème, en tant que consommateur, et en même temps

un élément décisif de la solution. À l’issue du processus quenous venons de décrire, le déchet d’emballage s’est écarté de sadéfinition traditionnelle de « chose abandonnée » pour accéderau statut de « chose que l’on transmet » ; de son côté l’usagerest devenu une variable assez facilement activable sans qu’ilsoit particulièrement nécessaire de faire appel de surcroît à sesqualités vives de citoyen. On peut, comme le fait Rumpala(1999), dénoncer la « colonisation de l’espace vécu », c’est-à-dire la rationalisation des modes de vie à des fins utilitaires, enl’occurrence pour préserver le système de production domi-nant. Il peut être tentant également de faire référence à l’« inves-tissement politique des corps » si bien décrit par Foucault(1975) à propos de la mise en place de la société disciplinaire,combinaison d’extraction de comportements et de productionde savoirs normalisants, quand bien même l’appel à la respon-sabilité individuelle et collective et l’assentiment qui peut endécouler adouciraient le versant coercitif du changement. Est-ilpossible de nuancer, voire de résister à l’emprise de ce discourscritique ? Quatre séries d’arguments nous paraissent pouvoirêtre retenus.

Au-delà de l’amélioration technique des gestions locales, ilest indéniable que la mise en place de la nouvelle « machine-rie du propre » a pu servir de multiples intérêts : politiques etéconomiques au premier chef, mais aussi sociaux même si c’estsans doute de manière plus diffuse. En effet, comme tout appelà la mobilisation suivant la mise en évidence d’une menace, la« coercition mutuelle » a une fonctionnalité sociale plus large.Le recours fréquent à la notion de « geste civique », pour dési-gner le « jeter utile » auquel les usagers sont invités, montre quela collecte sélective peut également servir à renforcer la per-ception par chacun de l’unité et de la solidarité de la société,perception toujours menacée dans les sociétés modernes à« solidarité organique », et tout particulièrement en cettedécennie quatre-vingt-dix. Comme l’explique H-P. Jeudy(1991), c’est simultanément la présence d’un pouvoir et « l’ima-ge de l’unité de la ville » que manifeste l’action parfois specta-culaire des services de propreté. La gestion des déchets se situeainsi d’emblée à la confluence des dynamiques matériellespropres au réseau des déchets, des jeux de pouvoir, d’intérêts etde domination, et enfin des intuitions de ces acteurs compa-rables aux « chefs [qui] sont les porte-parole d’une logiqueinconsciente qui les porte comme s’il y avait une sagesse degroupe, analogue à la “sagesse du corps” qui nous fait savoirquand il a besoin de sucre ou de graisse » (Debray, 1991).

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Ensuite, même si l’initiative est restée très majoritairementdu côté des élus, une forme de participation des usagers a pus’exercer à travers la mise en place des expérimentations localessur lesquelles furent branchés, on l’a vu, plusieurs mécanismesde représentation. Même si c’est évidemment insuffisant,comme le rappelle Jeannot (1998), pour qu’une référence à lacitoyenneté soit envisageable, d’une manière certes diffuse etsouvent silencieuse, les programmes ont été ajustés avec lesusagers. En continuant à rester au plus près du détail de l’action,on pourra également opposer de Certeau (1990) à Foucault, enrappelant que l’ouverture autour des déchets de ce nouveaudomaine partagé entre sphère privée et sphère publique n’estpas un lieu de transparence absolue, que vont s’y développerde nouvelles opacités, de nouvelles « ruses et tactiques de l’usa-ger », et que si celui-ci accepte de participer il n’en est pasnécessairement la dupe du système. L’identification et la dénon-ciation des intérêts sous-jacents, ceux de l’industrie de l’embal-lage ou des opérateurs du déchet en l’occurrence, constituentune ressource critique largement répandue. « Et pourtant, ilstrient », a-t-on envie de dire, pour toutes sortes de raisons, parceque ce n’est pas trop compliqué, parce qu’on leur demande,parce qu’ils trouvent cela satisfaisant, parce que le nouveau sys-tème est plus pratique que l’ancien, parce qu’on s’y habituerapidement et que tout est fait pour que le nouveau geste setrouve comme enchâssé dans un nouvel univers matériel etsymbolique qui le soutienne fermement.

Par ailleurs, parce qu’elle multiplie les occasions de ren-contre et donc de dialogue avec les usagers, parce que figureaussi explicitement dans la « doctrine sur l’usager » l’obligationde rendre des comptes, même si c’est sous la forme minimaledes tonnages triés et de leur devenir, cette « colonisation descomportements » contient en quelque sorte en elle-même leprincipe, fragile mais réel, de sa démocratisation. Il suffit pourcela d’accepter, comme nous y invite encore G. Jeannot (1998),de voir dans l’« épreuve d’accountability », c’est-à-dire dansl’obligation pour les responsables de l’action publique derendre compte de leurs actes devant les citoyens, une compo-sante de la relation citoyenne entre services publics et usagers.Si le passage du « contrôle local de l’usager » à l’« actionpublique du citoyen » n’a pas encore été réalisé par des asso-ciations ou collectifs d’usagers, comme dans le domaine del’eau par exemple, sauf dans les cas spécifiques des projetsd’implantation d’équipements où c’est davantage le riverainque l’usager qui est concerné, il n’empêche qu’avec la mise en

place des comités consultatifs d’usagers et la parution du décretrelatif au « rapport annuel sur le prix et la qualité du servicepublic d’élimination des déchets », c’est bien la logistique mini-male de possibles « contrôles croisés » entre usagers et autori-tés publiques qui se met en place localement. Ces contrôlescroisés pourraient d’ailleurs déborder la seule gestion desdéchets et remonter vers le secteur de la distribution, voire del’emballage. Là encore, cette possibilité semble inscrite dans lanature même du dispositif : le glissement opéré aux niveauxnational et local vers la prévention des déchets élargit l’intérêtde l’usager, de la question des déchets à celle de la consom-mation elle-même. De plus, parce qu’il faudra bien pérenniserles emplois-jeunes que sont souvent les « ambassadeurs du tri »,certains envisagent déjà de les transformer en « conseillers enéconomie familiale, spécialistes de la consommation raisonnéeet de la gestion durable des déchets » (FNE, 2001). Quelsqu’aient été les intérêts économico-politiques à l’origine descollectes sélectives, une sorte d’effet boomerang n’est donc pasinenvisageable. À un niveau plus général, une possible rupturedu consensus autour des collectes sélectives pourrait débouchersur un débat civique d’ensemble, comme le souhaite l’auteurd’un récent rapport officiel (Prévot, 2001).

Enfin, toute politique des corps est aussi l’occasion d’unélargissement et, on a envie de dire, d’un enrichissement de ceà quoi les personnes sont attachées, donc de ce qui constitueleur propre ; en conséquence elle participe plutôt d’une recréa-tion que d’une normalisation de l’individu. Déjà, à laRenaissance, si l’on suit D. Laporte (1978), une politique desdéchets « inédite », qui s’était traduite notamment par laconstruction des fosses d’aisance et l’obligation de « balayerdevant sa porte », participa à « l’émergence de sentiments de lafamille et de l’intimité » et fit des ordures l’un des supports parlesquels s’établit un partage entre le domaine du privé et celuidu public. Un parallèle peut être dressé avec la « conquête del’eau » en tant qu’histoire de la propreté corporelle. À partir duXIXe siècle, le développement des nouvelles pratiques corpo-relles basées sur la toilette résulta largement de la diffusion ver-ticale de modèles édilitaires, modèles eux-mêmes appuyés surl’idéologie bourgeoise, sur une industrie bientôt florissante, surle recours à des formes d’inculcation qui n’ont rien à envier àce que nous connaissons aujourd’hui pour les déchets(Goubert, 1986). Mais, dans le même temps, comme le ditG. Vigarello (1985), « l’histoire de la propreté tient en définitiveà une polarité dominante : la constitution, dans la société occi-

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dentale, d’une sphère physique appartenant en propre au sujet,l’élargissement de cette sphère, le renforcement de ses fron-tières aussi, jusqu’à l’éloignement du regard d’autrui ». Le gainn’est pas négligeable. Reste à identifier de quelle émergenceparticipe la mise en place des nouvelles gestions des déchets.Peut-être, si l’on suit Dagognet (1997) l’enjeu serait-il celui d’unintérêt, d’une revalorisation, voire d’une « compassion » pour« le fragile, le délaissé, le secondaire » : mais vers où nousconduiront ces nouveaux attachements, dans quel ensembles’inscriront-ils ? La question reste ouverte.

Rémi Barbier est docteur en socio-économie,maître de conférences à l’École Nationale

du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES).Il travaille depuis plusieurs années sur la modernisation de la gestiondes déchets. Il anime le thème « Usagers et acceptabilité sociale » ausein de l’unité mixte Cemagref-ENGEES Gestion des services publics.

Ses travaux portent sur la gestion des objets controversés (équipementsde traitement des déchets ; boues des stations d’épuration) et sur la

place de l’usager dans la modernisation des services publics locaux.CEMAGREF - ENGEES

Laboratoire Gestion des Services Publics1, Quai Koch - BP 1039 - F 67070 Strasbourg cedex

téléphone : 03 88 24 82 48 – télécopie : 03 88 24 82 84email : [email protected]

NOTES

(1) Cet accord négocié entre le gouvernement et les indus-triels trouva sa traduction réglementaire dans le décret du01/04/1992. Sur la genèse, la dynamique et l’évaluation d’Éco-Emballages, voir Defeuilley (2000).

(2) L’histoire de la notion de déchet ultime mériterait undéveloppement à elle seule. Disons simplement pour fixer unordre d’idées que le processus devait conduire à l’évolution sui-vante : faire en sorte que la décharge n’absorbe plus que 10 %du flux de déchets, contre 50 % initialement ; les autres déchetsdevaient être valorisés sous forme énergétique, matière (recy-clage) ou biologique (compost).

(3) Ces études furent conduites en partenariat avec lesexperts de l’ADEME, notamment pour l’identification des col-lectivités à étudier et leur capacité à couvrir un spectre suffi-samment large de configurations.

(4) Expression forgée par le géographe J. Gouhier, la rudo-logie désigne la science du déchet.

(5) Nous faisons ici un parallèle avec la notion de « vaguede rationalisation » utilisée par Hatchuel et Weil (1992) pourpériodiser l’histoire de la diffusion des techniques managérialesau sein des entreprises. Chaque vague est soustendue par un« mythe rationnel », susceptible de lui servir notamment demétaphore mobilisatrice. La notion d’environnementalisation

(ou d’écologisation) désigne pour Latour (1999) une recompo-sition générale des rapports entre humains et non-humains.

(6) Nous adaptons ici les catégories mises au point parHatchuel et Weil (1992) pour décrire les techniques managé-riales : philosophie gestionnaire, vision simplifiée des relationsentre acteurs, substrat technique.

(7) Sur le rôle des incertitudes partagées dans la genèse et ladynamique des filières d’élimination des déchets, voir notam-ment Aggeri et Hatchuel (2000) ainsi que Godard (2000).

(8) La notion d’habitude, au sens de propriété discutabled’un actant, a été introduite par Latour (1999). La notion d’ac-tant est plus large que celle d’acteur, puisqu’elle désigne égale-ment les non-humains.

(9) Une directive européenne sur les emballages, adoptéeen 1994, fixe des minima de valorisation.

(10) Sur le rôle des connaissances dans la conduite des poli-tiques publiques environnementales, nous nous inspirons ici deAggerri et Hatchuel (2000).

(11) Indiquons simplement que l’analyse critique des plansdépartementaux sera à l’origine de l’une des inflexionsmajeures de la politique publique, aboutissant à partir de 1998à un renforcement des exigences de recyclage.

BIBLIOGRAPHIE

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Page 13: La fabrique de l'usager. Le cas de la collecte selective

Flux n° 48/49 Avril - Septembre 2002

46 Dossier

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