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La Force de l’imagninaire

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les maladies du langage

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5La Martinière Diderot LyonMémoire de recherche professionnelUE10 2020

Cette recherche est une continuité des réflexions qui m’avaient animée à mon retour de stage en design, où j’avais été frappée par l’absence d’écoute d’autrui, d’échanges, de communications constructives. Elle prend aussi naissance dans le souvenir d’une rencontre dans les ateliers de l’opéra national de Vienne, en Autriche, lors de mon dernier stage en tant que costumière. Maria, chapelière, ne parlait que très peu anglais et je ne parlais pour ainsi dire pas du tout allemand. Nous avions travaillé ensemble durant une semaine, en communiquant autrement, à notre manière. Je me souviendrai toujours de ses deux larmes lors de mon départ, preuve que s’était formé entre nous autre chose, sans parler.

Pour Maria ,

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Les maladies du langage

sous la direction de Stéfanie Fragnon et François Jeandenand

clarisse barbotdsaa design mode et textile

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Je remercie Sophie Ricard, Matali Crasset, Banco Studio et Maria Grace Salamanca Gonzalez, chacune de ces rencontres a été un sursaut de compréhension, une extension de mon rapport au monde, cette recherche leur doit beaucoup.

Pour la confiance accordée, leur soutien, leurs idées, leur regard, je remercie très sincèrement Stéfanie Fragnon, Lola Diard et François Jeandenand.

Cette édition doit également beaucoup aux conseils précieux de Carole Guilloud, et à sa bienveillance joyeuse.

Merci aux deux Apolline qui sont des merveilles au quotidien,

À Cassandra, Justine, Lisa, Pauline, Zuzka.

À Clément et Anaïs aussi, toujours.

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Je le vois clairement chez mes patients la nervosité gagne du terrain nous nous parlons

tous très mal l’époque est effroyable pour le langage les

gens hurlent personne n’écoute personne ce que je vois dans les

corps c’est une forme de folie de la collectivité le corps social est

malade la folie du monde attaque le corps intime nous sommes tous

touchés

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction 15

Le corps social est malade 29

Entendre sans écouter ? 34Consommer participatif ? 38Chercher à comprendre –rencontre avec sophie ricard 40

Dépasser la limite par l’extension 45

Invitation : rencontre avec matali crasset 48Destinataire : sortir de la consommation 54Design inclusif: etre doué d’ignorance 58

Le langage de la guérison 65

Le silence 68Le manque 74L’imaginaire 78L’espoir dialogique, rencontre avec banco studio 80

Conclusion 85

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INTRODUCTION

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L’époque est effroyable pour le langage. Pourtant, j’ai encore tendance à penser qu’il est, entre autres, ce qui nous lie les uns aux autres. Que par lui nous parvenons à construire, à rassembler, mais à diviser également. Nous lions nécessairement le langage à la parole, l’écriture, la narration, le texte. Mais il est aussi l’expression de la communication, de la compréhension. Le marqueur de ce qui rassemble une société, des individus entre eux. Or nous entrons dans une période particulière, de recomposition, de conception d’alternatives à l’organisation sociétale que nous connaissons. Cela signifie l’effacement d’un monde ancien, mais aussi l’avènement d’une nouvelle société à modeler, qui ne pourra prendre forme que par l’action collective. Seulement comment cela peut-il se penser, si personne n’écoute personne ?

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Mon expérience de stage m’avait montré une réalité dysfonctionnelle. Le langage m’y avait paru insuffisant, compagnon d’incompréhensions, mais aussi de manipulations volontaires. Parce que j’ai été formée dans le milieu du théâtre avant de poursuivre mon parcours en design, j’ai une sensibilité particulière à la poétique des mots, au poids et à l’engagement de ce qu’ils disent. Mais j’ai aussi connaissance de la manière dont l’approche post-dramatique a apporté une nouvelle dynamique de construction, un nouvel espoir face à une sorte d’impossibilité de trouver les mots justes, censés, porteurs. Cette appellation, post-dramatique, proposée par Hans-Thies Lehmann en 1990 a depuis été largement adoptée dans les milieux de la scène, pour désigner les créations remettant en cause le primat du drame, du texte. Et puisque nous en sommes à souhaiter venir penser des démarches d’innovations

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sociales par le design, un vivre ensemble et donc de nouveaux langages de la cohésion sociale, il me semble riche de s’appuyer sur les hypothèses que le théâtre post-dramatique a déjà formulé, face à la difficulté énorme qu’il avait rencontré à établir le dialogue, la rencontre, par l’intermédiaire des mots seuls. Lors d’une master class aux Halles du Faubourg en février 2020, Paul Ardenne avait fait le choix de présenter le monde contemporain comme porteur de deux idéologies dominantes. Celle de l’effondrement sociétal lié à la crise climatique actuelle, idéologie de l’apocalypse et de la chute ; et celle du prendre soin, du care, ayant pris naissance dans un contexte hospitalier. Suivant cette idéologie du soin, il s’agit de faire le choix de repartir de ce que le langage propose déjà, d’en établir les maladies, les dysfonctionnements, mais également les potentialités.

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Le langage peut-il permettre une cohésion sociale ? Le langage doit-il être, est-il, forcément textuel et dramatique ? L’objectif est aussi de comprendre quelle place occupe le langage aujourd’hui en design, comment module-t-il les projets, les comportements ? Pouvons-nous envisager de soigner les dysfonctionnements qu’il présente ? Et surtout celui-ci est-il nécessaire ? Constitue-t-il réellement notre meilleur moyen de communication pour engager cette démarche d’innovation sociale ?

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Parce que j’étais sensible à l’idée de Patrick Bouchain selon laquelle un chantier, un texte, un projet ne pouvait se construire seul, j’ai fait le choix de nourrir cette réflexion de rencontres. De sortir, d’aller voir, d’aller échanger, de découvrir ce que les autres en pensaient. J’ai eu la chance immense de tomber sur des gens incontournables accessibles, qui m’ont permis de donner vie à cette idée de singulier-pluriel que je souhaitais développer.

J'avais la peur d'une écriture sortie ex nihilo qui vienne affirmer des choses sans résonnance avec les champs multiples et complexes de la réalité. Ce texte prend donc la forme d’une écriture plurielle, rassemblement d'un "ensemble de singularités, à la fois unies et séparées", selon le concept heureux du singulier-pluriel établi par Jean-Luc Nancy.

« Le singulier pluriel, c'est une façon d'éviter les pièges de la communauté. En latin, singulier ne se dit qu'au pluriel ; singulus n'existe pas, c'est singuli qui signifie ‹ un par un ›. » Jean-Luc Nancy

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Innovation sociale par le design Ezio Manzini distingue en 2014 design social et innovation sociale par le design dans Making things happen : social innovation and design. Il établit le design social comme s’attelant à résoudre des situations particulièrement problématiques comme la pauvreté, la maladie ou l’exclusion sociale. L’innovation sociale par le design, en revanche, concerne « tout ce que le design peut faire pour activer, soutenir et orienter les processus de changement social vers la durabilité » . Social Etymologiquement, social dérive de socius qui signifie « compagnon, associé, allié ». Il se rapporte à la vie des hommes en société, aux interactions qu’ils construisent entre eux. Il se veut porteur d’une logique positive, constructive, s’apparente à un accompagnement bienveillant. Il n’induit pas de penser pour la société, mais évoque de créer une dynamique sociale : des relations humaines.

Langage Ensemble de symboles et de règles permettant de combiner ces symboles afin de donner des instructions à un ordinateur. Faculté que les hommes possèdent d'exprimer leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d'un système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques constituant une langue; p. méton. le langage comme réalisation de cette faculté. Vient de la langue, organe de la parole

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Lexique

Dramatique En français, on utilise le terme dramatique pour évoquer tout ce qui se rapporte au théâtre (une situation dramatique, un geste dramatique). Alors qu’en langue anglaise, est distinguée de manière nette la pièce de théâtre jouée (play) et la pièce de théâtre écrite (drama ). Le drame, le dramatique se rapporte uniquement au texte écrit, à la narration, et non ce qu’il y a autour. Post-dramatique Le Post-dramatique est à l’origine l’appellation d’un courant de théâtre. S’il est toujours très contemporain, il débute globalement avec la fin de la seconde guerre mondiale, commence déjà à transparaitre au travers du théâtre d’Alfred Jarry (Ubu Roi, 1896) et prend de l’ampleur au travers des bouleversements artistiques des années 50 et 60. Il est nommé par Hans-Thies Lehmann dans les années 90, théorisé par la suite dans Le théâtre Post-dramatique en 2010, puis utilisé par d’autres professionnels du théâtre comme Frédéric Vossier dans la revue Parages éditée par le Théâtre National de Strasbourg en 2016.

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le corps social est malade

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C’est une remarque récurrente. Que le corps social est malade. Qu’il y a de la violence, de la discordance. Que les gens ne s’écoutent pas, qu’ils hurlent. C’est une obsession constante au théâtre, les gens qui hurlent. Comme si parler plus fort, plus haut, plus agressivement, permettait de mieux comprendre, de mieux être ensemble. C’était ça, le rêve de Pasolini, et de bien d’autres d’ailleurs, que le théâtre soit forum, lieu commun, qu’il nous apprenne à DÉBATTRE ENSEMBLE. Dans l’idée de l’innovation sociale par le design, il y a le projet de concevoir AU SEIN d’une communauté, et non pas POUR elle. Et donc cette même recherche d’un état de grâce de la cohésion sociale. Seulement le design s’inscrit dans un contexte plus large que celui de l’unique cohésion sociale. Il touche aussi au politique et à l’économique et donc à tout ce qui en découle aujourd’hui. Méfiance, angoisse, peur, utopie, utilisation, manipulation, simplification...Quelles limites trouvons-nous au sein des projets d’innovations sociales aujourd’hui ? Quelles potentialités ?

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le corps social est malade

b. Les derniers référendums en France.

i. En contact.

d. Écoute.

h. Adèle Haenel quitte la cérémonie des césars après le sacre de Roman Polanski, réalisateur ayant fui la justice américaine pour viol sur mineur. Adèle Haenel a elle-même dénoncé des attouchements sur mineur de la part de réalisateur Christian Ruggia. Elle avait déclaré dans le New York Times «Récompenser Polanski, c’est cracher au visage des victimes».

m. Image des rassemblements pour le climat en 2019.En 2020, Greta Thunberg fait un discours au parlement européen où elle reproche aux politiques leur manque d’écoute des scientifiques et des jeunes manifestants.

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entendre sans ÉcoUter ?

D’une manière assez étonnante, alors que le langage est de plus en plus omniprésent, j’ai la sensation que nous ne nous sommes jamais aussi peu écoutés les uns les autres. L’information par le numérique a amené les fake news. Non pas qu’elles n’existaient pas avant, l’information a toujours été donnée selon un point de vue, et donc potentiellement biaisée. Mais internet, par ce qu’il permet de comparer des données et des informations, en a donné une conscience. Cette prise de conscience est devenue une méfiance des médias, de l’information, des écrits et du langage en général. A raison, comme le montre Clément Viktorovitch dans ses analyses rhétoriques sur Clique, qui amènent une prise de recul sur la manipulation du langage dans l’espace médiatique. Par ailleurs, nous sommes assaillis de messages, de textes, d’idées dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la rue au travers de la publicité… Il y a tant de contenu que nous ne pouvons pas tout voir, tout lire. Car cela signifierait traiter, analyser les informations qui sont présentes en trop grande quantité. C’est ce que Hartmut Rosa définissait comme l’une des aliénations créée par la modernité tardive : le trop. Combien recevons-nous de mails dans une journée ? Combien de lettres étaient envoyées avant ? Il y a probablement plusieurs dizaines voir plusieurs centaines de différences, tout traiter prendrait un temps déraisonnable, ne pas tout traiter signifie sélectionner.

«Celui qui avait recueilli

le plus de voix voyait

sa vision adoptée.

Mais très vite, les

Athéniens se sont

rendu compte que celui

qui s’exprimait le mieux

et remportait les suffrages

n’était pas toujours celui

qui avait les meilleures

idées. Le parler beau ne

menait pas forcément au

parler juste»

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le corps social est malade

Cela ne constitue qu’un exemple. Les réseaux sociaux –facebook et twitter notamment- fonctionnent de même selon un principe d’accumulation de courts encarts d’informations, que l’on peut scroller à l’infini. Nous ne pouvons pas tout lire, nous ne regardons que ce qui nous intéresse. C’est-à-dire, plus ou moins, ce que nous pensons déjà. Cela nous conforte dans notre vision des choses, réduit notre propension au dialogue. Le doute et la méfiance face au langage amènent à se recentrer sur le moi. Ils réduisent l’écoute, qui ne parait plus nécessaire ; et augmentent la sensation de non-écoute, puisque le langage ne circule plus. Réduction des débats, augmentation de la confrontation. Ce rapport élargi, même si peu développé, permet d’entrevoir l’ampleur des difficultés liées au langage rencontrées lors des projets d’innovation sociale (IS) par le design. En 2017, Marie-Julie Catoir-Brisson et Marine Royer suite à une étude d’un échantillon de projets de design l’IS, en établissent les dysfonctionnements principaux. Ce qui en ressort, c’est que la plupart des projets ont du mal à engager des processus de conception participatifs : maigre implication et intérêt de la part des populations, mais également difficulté à faire confiance à ces méthodes qu’ils ne connaissent pas, à ce langage qui n’est généralement pas le leur. Cela induit la deuxième problématique soulevée : le manque d’appropriation collective de la valeur ajoutée du projet, assez symptomatique de notre difficulté à concevoir des alternatives dans le domaine du social. C’est une réalité que j’avais assez largement expérimentée lors de mon stage à Bruxelles. Le décalage. Cette sensation de non

écoute, de non communication. Parce que si les gens parlent bien la même langue, je m’étais rendu compte qu’ils n’avaient pas le même langage. Que ce qui faisait signe, compréhension, pour l’un ne voulait pas dire la même chose pour l’autre. Que l’empathie avait ses limites aussi, tant les réalités de deux êtres humains peuvent être écartées. J’ai entendu dire « ce dont les sans-abris ont besoin le matin, c’est de boire leur café, comme tout le monde ». J’avais un peu des doutes. J’ai rencontré Habib à Bruxelles, un ancien sans-abri, pour tenter d’amener des idées plus ancrées dans le réel. Après avoir discuté durant une heure avec lui, j’avais cerné des enjeux, une part de la réalité de sa vie d’avant, mais j’étais totalement incapable de rendre compte d’un champ dans lequel mes compétences de design auraient pu intervenir de manière censée. Je ne comprenais pas assez. C’était quasiment perdu d’avance, deux mondes, deux réalités, qui se rencontrent. Et même avec beaucoup de bienveillance, qui ne parlent jamais vraiment la même langue. L’insuffisance du langage, avant d’être un problème rencontré en design est un problème sociétal qui sclérose. Il empêche d’avancer, crée une incompréhension, de la violence aussi. Force est d’admettre que le langage textuel n’est pas assez, qu’on ne lui fait plus confiance, qu’il ne rassemble pas.

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CONSOMMER PARTICIPATIF ?

«Après, la participation, c’est aussi quelque chose qui ‹ fait bien › aujourd’hui en art et en design, c’est à la mode » Laura Swietlicki

Ce qui est par exemple particulièrement intéressant dans le travail de l’artiste Katerina Sedà, c’est que l’on observe au sein d’un village entier participant à une expérience artistique des niveaux d’implication très variables. Et cela ne rend pas pour autant certaines participations non nécessaires. Par exemple sur le projet Mirror Hill en 2010, six cents familles ont participé. Chaque famille a dessiné la vue qu’elle avait de chez elle, puis les six cents dessins ont été rassemblés dans un livre redistribué dans chaque foyer. L’objectif était de réattribuer les dessins aux familles, et donc d’aller sonner chez ses voisins pour les rencontrer et voir au travers de leur fenêtre. Il n’y a évidemment pas eu le même engouement de la part de tous à réattribuer les dessins. Certaines familles n’ont probablement même pas essayé, mais même sans être actives, elles participaient en étant simplement habitantes là, selon une certaine forme de participation par la présence.

Aussi, il me parait nécessaire de distinguer la participation consommatrice de la participation productrice. Alors que l’une constitue une maladie sociale très contemporaine de la pensée capitaliste – le divertissement dirigé et contrôlé à outrance qui trouve son apogée avec des jeux type escape game- l’autre est déjà un dépassement de la sclérose. La participation sociale, la participation

constructrice s’apparente déjà à un premier outil d’aide à la construction d’un vivre ensemble, et donc au soin social.

David Zerbib, philosophe et critique d’art spécialiste des pratiques artistiques contemporaines réalise ce même constat : les œuvres sont, depuis le début des années 2000, de plus en plus axées sur la participation. C’est ce qu’il a nommé L’enjeu de l’activation, le besoin pour le visiteur de prendre part à ce qui se joue, d’être actif pour être impliqué voir immergé dans l’œuvre. La participation est évidemment à nuancer. Ce qui a du sens dans une démarche d’innovation sociale, c’est la participation dans son sens sociologique, l’engagement personnel que l’on vient développer au sein d’un groupe. La participation se distingue en ce sens de l’interaction telle que proposée par des collectifs artistiques comme Teamlab, où critiquée dans la série Do it Yourself d’Andy Warhol. Colorier une case n’est pas participer, il ne s’agit que d’une application du scénario qu’a dessiné pour nous l’artiste. Participer ne nécessite pas l’action, mais la présence. Dans son Interview pour Strabic, Patrick Bouchain le synthétisait très bien

« Tu peux très bien être assis au milieu du chantier dans un fauteuil en étant vieux, handicapé ou inhabile, et y participer ! »Patrick Bouchain

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CHERCHER À COMPRENDRE –RENCONTRE AVEC SOPHIE RICARD

Interview réalisée avec Justine Arnaud, Cassandra Bonnafous et Pierre Jaingueneau

Ce qui m’intéressait dans le projet d’architecture de Boulogne-sur-mer mené par Sophie Ricard, c’est que l’approche sociale de conception avait été envisagée parce que, politiquement, on ne savait plus quoi faire. Ce n’était pas vraiment un choix, plutôt un non-choix, parce qu’il n’était pas possible de déloger les habitants de ce quartier. C’est un projet très expérimental, mais aussi très engagé dans les choix qu’il fait. Il était intriguant pour moi car il était évident qu’il avait été engagé sans vraiment savoir ce que cela donnerait. Il y avait aussi le souhait de dépasser ces problèmes d’incompréhensions en envisageant une autre approche, celle d’habiter sur place. Patrick Bouchain partait du postulat qu’Il n’y a pas de

différence entre le moment d’observation et celui

du discours, la chose profonde s’exprime de manière

hasardeuse, comme souvent dans la vie. Habiter sur le lieu du projet architectural était donc pour Patrick Bouchain et Sophie Ricard une manière de chercher à comprendre cette chose profonde qui souvent ne s’exprime pas par le langage.

besoin d'être plus proche terrain, d'aller sur les sites mêmes où la problématique architecturale se posait, c'est ainsi que j'ai rencontré Patrick Bouchain. Ma réflexion d'architecte s'est très vite accompagnée d'une réflexion sociale et il me semblait que l'on comprenait mieux ces enjeux de société en étant sur le terrain. Mon métier, aujourd'hui, je le définirais comme contextualisé : aller habiter dans les villes où se situe le projet, comprendre le contexte politique et social, les grands enjeux de cette ville, pour mettre en place des stratégies adaptées.

Votre premier projet avec Patrick Bouchain, c'était celui de Boulogne-sur-mer, c'est cela ?

S.R : Lorsque je faisais mon stage de fin d'études avec lui, il m'a parlé de ce projet de réhabilitation de 60 foyers où le maire avait décidé de pallier la démolition du quartier face à la difficulté de reloger ces gens, qui souhaitaient pouvoir rester dans leurs logements. Nous avons décidé alors de répondre à ce projet, sans avoir d'idée a priori de ce que nous allions faire. A germé alors l'idée que si nous devenions nous-même habitant.e.s, nous allions pouvoir répondre au plus juste des besoins.

C'est donc là qu'est né le concept de permanence architecturale ?

S.R : Oui, j'ai habité pendant trois ans cette petite rue à Boulogne-sur-mer et donc le concept de permanence architecturale a commencé avec ce projet en 2010. Et c'était une façon d'exercer le métier qui me correspondait, qui n'était pas en agence mais sur les lieux mêmes de la commande et qui permettait de vivre directement une situation. A Boulogne, je suis devenue voisine. J'aime bien cet état-là, d'architecte-voisine.

Comment définiriez-vous votre métier aujourd’hui ?

Sophie Ricard : C'est une vaste question. Lorsque je faisais mes études, j'avais la sensation que l'architecture que l'on m'enseignait était trop déconnectée du contexte du projet. Très vite, j'ai eu le

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le corps social est malade

Quels avantages avez-vous ressentis à travailler selon cette méthode-là ?

S.R : Cela permettait de comprendre des situations sociales complexes, qu'un architecte qui travaille de manière classique ne peut pas intégrer dans son projet parce qu'il se trouve éloigné, même en termes d'habitation, du contexte.

et quelles difficultés ? Cela ne doit pas être facile de parvenir à faire accepter une démarche aussi inhabituelle ?

S.R : Il faut arriver avec une grande humilité, se faire petit, arriver en tant qu'habitant, avec sa propre culture sans essayer d'être quelqu'un d'autre et par le vivre ensemble et l'échange culturel cela permet petit à petit d'établir des rapports de grande confiance et d'installer des relations très simples. Cela prend du temps, mais en vivant avec eux l'on gagne rapidement en crédibilité, contrairement à quelqu'un qui viendrait une fois par semaine.

Et est-ce qu'il n'y a pas un moment, sur ce type de projets qui sont assez long, trois ans par exemple à Boulogne, où le projet s'essouffle ?

S.R : Sur des projets menés de cette manière-là, il faut se donner un horizon. Il faut savoir partir. A Boulogne, j’ai mené le projet sur trois années, et je suis partie. Ce qui est intéressant c’est de créer ce passage de relai pour qu’il y ait un coordinateur qui prolonge la démarche sur place. J’ai mis en place les conditions pour qu’il y ait une prise de relai derrière mon départ.

Pensez-vous que ce type de démarches continuera à se développer ?

S.R : Je l'espère. La démarche de la permanence architecturale commence réellement à porter ses fruits. Sans que cela soit aussi poussé que ce que j'ai pu faire à Boulogne, l'idée d'ouvrir un bureau sur le site même, cela se fait de plus en plus, cela prend sens pour les architectes.

Ce que je comprends suite à cette rencontre avec Sophie Ricard, c’est que chercher à appréhender la réalité de l’autre complètement, à parler la même langue que l’autre, est notre première erreur. Sophie Ricard me montre la qualité et l’importance du vivre

ensemble, de partager des éléments de vie en commun. Cela permet de recréer les bases d’une confiance, mais aussi d’avoir un socle commun d’expérience sur lequel s’appuyer lorsque l’on cherche à communiquer. On construit ainsi une nouvelle base de langage commune. Je suis aussi interpellée par cette idée d’architecte-voisine qui induit une posture de concepteur.ice social activateur.ice de projet et non pas décideur. Sophie Ricard dit souvent ne pas souhaiter avoir une posture de sachant, que ce sont les personnes pour qui on fait le projet qui connaissent le mieux leurs problématiques. Cette image de concepteur.ice-voisin.e donnerait donc plutôt l’idée d’un individu allié, d’un soutien.

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dÉpasser la limite par l extension

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Les limites sont aussi habitées par des espoirs, des potentiels. Il y a aussi un espace à prendre, à modeler et valoriser. La limite d’une chose ne peut, et ne doit, être une fin en soi. C’est bien là la richesse de la création, de l’imagination, de pouvoir étendre pour dépasser. VOIR AU-DELÀ. Voir la limite comme un potentiel créatif, et non pas comme un arrêt. Je veux croire que nous sommes en capacité d’élargir le champ des possibles. Que le point d’arrêt de la communication auquel nous sommes arrivés aujourd’hui est un point de départ. Nous établissons déjà des options, la créativité des designers, des artistes, rêve déjà ces dépassements. Quelles possibilités sont envisagées pour dépasser ce climat de méfiance actuelle ? Pour faire circuler à nouveau la parole ? Pour sortir d’une culture consommatrice et aller vers une culture de la production ? Pour repenser la création en commun ?

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La Force de l’imagninaire

INVITATION : RENCONTRE AVEC MATALI CRASSET

Interview réalisée avec Justine Arnaud et Cassandra Bonnafous

Lorsque nous pensons à un design de participation, d’implication, vient d’emblée résonner le nom de Matali Crasset. Ses projets basés sur le Do it yourself à ses débuts (Digestion, 1998, Permis de construire, 2000) mais également par la suite sur le vivre ensemble (Cohabitation à la biennale du design de Saint-Etienne en 2006, Extensions de générosité à la biennale d’art contemporain de Rennes en 2010) et l’importance de l’imaginaire (chuchotements, 2013). Matali Crasset a ouvert une voie de réflexion, sur la manière dont nous pouvons envisager de recomposer un vivre ensemble, et par quels langages. Nous la rencontrons autour d’un projet conçu avec le Centre Pompidou en 2018, Saul et les hoopies.

Comment définiriez-vous votre pratique aujourd’hui ?

Je fais à la fois de l’objet et de l’architecture à échelle

humaine. De toute façon être designer c’est travailler pour les autres, ce n’est jamais travailler pour soi. Notre métier nous demande d’appréhender beaucoup de domaines différents, il se caractérise vraiment par une méthodologie de travail. Le propre du designer c’est d’être multilogue pour qu’à la fin tout le monde ait une image mentale qui permette de statuer sur une vision du projet.

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épasser la limite par l’extension

Que pensez-vous de l’approche participative en design ?

En France il y a beaucoup de confusion sur l’idée du participatif, parce qu’on n’a jamais fait ça. En Suisse par exemple, il y a toute une culture du participatif. Les gens sont sans arrêt questionnés, avec des votations pour donner leur avis sur l’évolution des prises de décisions. En France ce n’est pas du tout ça. Le participatif, pour être bénéfique et ne pas arriver à une sorte de « consensus mou » doit être guidé. Il faut demander aux gens des choses qui rentrent dans leur expertise. Ce qui est compliqué c’est qu’on ne peut pas faire de copié collé dans ce genre de projet, il faut s’adapter au contexte.

Vous avez réalisé pour le centre Pompidou le projet Saul et les hoopies, à destination des enfants, quel était le concept du projet ?

L’idée c’était de faire sortir l’œuvre du musée. Je me souviens du temps du spectacle de fin d’année dans les écoles où tout le monde mettait son énergie pour créer une sorte de « moment merveilleux » commun. Saul et les hoopies permettait de créer une histoire que les enfants s’approprient dans les écoles par l’intermédiaire de chansons. Ils apprennent l’histoire, mais l’interprètent ensuite un peu comme ils le souhaitent. La plateforme-manège vient ensuite dans les écoles pour que se joue ce petit «spectacle », basé sur le principe des houppettes qui permettent aux enfants de mieux rentrer en communication avec les animaux et le végétal de l’environnement.

Quelles contraintes avez-vous rencontrées à venir inclure les parents dans ce temps du manège normalement destiné aux enfants ?

Ce n’est pas une contrainte, c’est une invitation. J’ai choisi le chant parce que ce n’est pas excluant, c’est quelque chose que l’on partage. Le spectacle ne se joue pas que sur la plateforme, il est général. C’est important de ne pas considérer cela comme une contrainte mais de faire acte de générosité et ouvrir son projet à beaucoup de gens différents. Même si le projet est adressé aux enfants, il ne doit pas leur être dédié, tout le monde peut s’y reconnaitre, tout le monde peut participer.

Nous nous demandions effectivement comment les parents avaient réagi à cette invitation à participer aux jeux de leurs enfants ?

Tous mes projets sont en général une invitation à être actif, à reprendre la main sur les choses. Dans un manège on est passif. L’idée c’était de faire comme une petite comédie musicale, mais qui n’aurait pas besoin d’être apprise. Les instruments de musiques par exemple ne demandent pas d’apprentissages, ils fonctionnent avec des percussions, il suffit de suivre le rythme : tout le monde peut le faire ! L’enjeu c’est plutôt cela : de proposer des choses presque instinctives pour que cela devienne un moment presque exceptionnel du fait d’être ensemble. C’est aussi grâce à la musique que cela marche, elle permet beaucoup de choses.

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dépasser la limite par l’extension

b. Porte d’entrée.

i. Sophie Ricard à Boulogne-sur-mer.

d. Digestion, par Matali Crasset.

h. L’école de blé en herbe, Matali Crasset.

m. Le studio Bless propose une série de chaussures customisables, à «faire soi-même».

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dépasser la limite par l’extension

DESTINATAIRE : SORTIR DE LA CONSOMMATION

Le design centré-utilisateur, de la manière dont nous l’envisageons aujourd’hui, se pense souvent de manière dramatique. Ce que j’entends par là, c’est que les méthodes de conception s’appuient sur des pratiques narratives de type scénarios d’usage ou personas. Lorsque j’étais en stage, nous concevions des « personnes types » et les actions que nous les imaginions faire. C’est-à-dire que nous décidions par avance, pour eux, d’une sorte de scénario de vie. C’est ce que Fiona Du Mesnildot, ayant suivi un parcours de recherche en design social à la Design Academy of Eindhoven étudie dans son mémoire Another Dollhouse. Elle aborde la sur-dramatisation de notre approche du design en comparant une maison à une scène de théâtre, où les objets présents ne constitueraient que des props, des « outils de jeu », et nous serions apparentés à des « poupées », qui suivent le mouvement. Pour Marie-Julie Catoir-Brisson et Marine Royer, envisager l’innovation sociale par le design passe déjà par une reconsidération de notre manière de problématiser le design. C’est-à-dire qu’au lieu de le penser en termes d’usage -design centré-utilisateur– il s’agit de le penser en terme social, ce qu’elles se proposent de nommer design centré-humain. C’est une approche qui ouvre une autre voie. Cela amène à ne plus concevoir en étant axé sur le besoin, mais sur le ressenti et le relationnel. Le centre d’attention est déporté : vers les personnes, vers autrui, vers l’attention à.

Or, si nous admettons l’idée d’un design

centré humain pour aller vers une démarche d’innovation sociale par le design, cela suppose de remettre en question ce statut de « poupée ». La conception selon une approche sociale nécessite, en effet, un engagement individuel au sein d’un groupe. La métaphore de la poupée est pour Fiona Du Mesnildot une manière de visualiser un individu qui agit sans penser consciemment – le spectateur coloriant les cases du Do it yourself d’Andy Warhol par exemple- ce qui finalement est une remise en cause de notre statut de consommateur.rice. Donc en déportant l’attention d’un design centré-utilisateur vers un design centré-humain, nous remettons en cause le statut d’usager-consommateur admis. Bernard Steigler propose dans ce contexte la nouvelle appellation de destinataire-praticien. Si cela peut sembler ne constituer qu’un simple jeu sur les mots, changement de vocabulaire, il me semble pour autant nécessaire. Parce que cela suit la même logique qui avait amené Pier Paolo Pasolini à choisir de renommer le spectateur destinataire, dans son théâtre de la parole. Parce que ce théâtre devait être un théâtre d’idées, de débat, de réflexion commune et que donc la personne venant y assister ne pouvait avoir une position de simple consommateur culturel. Elle venait en sachant qu’il serait attendu d’elle un effort, une réflexion, un engagement et donc, d’une certaine façon, une prise de parole. Pour penser le théâtre comme un espace de soin social, il fallait pour Pasolini que la pièce soit support, et qu’elle s’élargisse par la rencontre avec celui ou celle qui venait voir, avec le ou la destinataire.

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b. Andy Warhol , Do it yourself, 1962.Acrylique et crayon sur lin, 177,2 x 137,5 cm, Musée Ludwig, Cologne, Allemagne.

i. Props for domestic drama, Fiona Du Mesnildot, 2015.

d. Do Create, Droog Design.

h. Le programme Manufacto proposé par la fondation d’entreprise Hermès intervient dans des classes pour faire découvrirla manière dont sont fabriqués les objets qu’ils utilisent.

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DESIGN INCLUSIF: ETRE DOUÉ D’IGNORANCE

Choisir d’être ignorant, de se bander les yeux, est une idée qui fait son chemin, qui intéresse. L’idée d’un « design universel » avait été évoquée par Kenza Drancourt lorsque nous l’avions rencontré au mois d’octobre autour de sa méthode de travail inclusive. L’objectif était de partir de situations de handicap (cécité, paralysies, surdité…) et de concevoir des projets qui nous parlent de la même manière que nous soyons en situation de handicap permanent, temporaire ou pleine capacité physique. L’aspect peut-être idéal ou utopique de ce projet permet néanmoins de questionner ce sur quoi nous basons notre réflexion, ce que nous considérons avoir en commun. La conversation venait toujours se réarticuler autour des sens, qui sont finalement notre manière universelle d’appréhender le monde : toucher, vue, odorat, ouïe, goût. Le musée des Beaux-arts de Lyon a choisi depuis quelque temps de travailler dans cette optique inclusive. Il développe notamment des expériences de médiation sensorielles, pour que notre manière d’appréhender l’art ne se réduise pas à la vue, s’étende aux autres sens et soit donc accessible plus largement. Si j’ai des problèmes de vue par exemple (daltonisme, cécité partielle ou complète…), j’ai toujours la possibilité de toucher, ou de sentir, d’entendre… J’avais visité l’exposition « L’art et la matière : Prière de toucher » du Musée des beaux-arts avec une amie, Apolline Morel,

« [Il y a] Beaucoup de gens très intelligents aujourd’hui, très informés, qui éclairent le lecteur [ou la lectrice], lui disent où il faut aller, où va le progrès, ce qu’il faut penser, où poser les pieds ; je me vois plutôt comme celui qui lui bande les yeux, comme un qui a été doué d’ignorance et qui voudrait l’offrir à ceux qui en savent trop.»

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dépasser la limite par l’extension

Mes paupières fermées, tu m’accompagnes dans ce parcours en me tenant par la main. Cela a déjà quelque chose de moins solitaire qu’une visite de musée classique puisque elle ne peut pas se faire seule. J’essaye, tout d’abord, de me raccrocher à des sensations déjà perçues pour me situer dans cet espace non familier. En touchant les différentes sculptures, je laisse, peu à peu, émerger des sensations. Pour me figurer plus précisément ces objets, je tente de mettre des mots, de

te décrire ce que je perçois. De salle en salle, la construction de l’espace prend la forme d’une cartographie des sens qui se déchiffre grâce aux indices donnés par la matière. Dès lors, l’imagination corporelle prend le dessus et offre ainsi, une nouvelle perception des choses par le corps. Cette exposition m’invitait à être dans une certaine immédiateté face à mes émotions ou aux réactions

et comportement des autres. Il ne s’agissait donc pas de faire appel à des connaissances mais plutôt à des souvenirs.

et je me demandais quel souvenir elle en conservait, sans les a priori que je pouvais avoir. Elle m’a écrit ceci :

Elle tente de reconstruire dans son esprit ce qui se déroule autour. Et généralement cela ne correspond pas exactement à la réalité, mais il y a forcément une part de réel que son imagination a complété. Ce que nous remarquons, c’est que souvent nos mots ne parviennent pas à traduire tout ce qui est ressenti, tout notre imaginaire aussi. Il n’est évidemment pas possible de penser un design absolument universel, mais il est par contre possible d’accepter de se remettre ponctuellement en position d’ignorance. Chacun son tour. Ou en même temps. Ainsi accepter d’explorer ensemble l’inconnu, parce que nous avons établi ensemble que nous ne savions pas, selon une approche très socratique.

Ce que décrit ici Apolline, c’est une perte de ses repères classiques de l’expérience muséale, et donc une certaine forme d’ignorance, une nécessité de se réapproprier son environnement. Et dans ce cadre-là, elle fait appel à trois éléments pour l’aider : les autres d’abord, elle me laisse l’accompagner, mais également ses souvenirs et son imaginaire.

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bb. Fanny Pellier, Compagnons de turbulences, 2019. Objets médiateurs dans la relation parent-enfant, ils ont le rôle de catalyseurs de l’agitation, et de relais d’énergie dans la maison.

i. Le studio Goodmood Laboratory travaille sur la manière dont les textures et matériaux influencent notre rapport au monde. Les informations qu’ils renvoient.

d. Bless conçoit son défilé n°50 comme un moment de rencontres, d’échanges.

h. Yoann Bourgeois, Passants, 16 Septembre 2018. Spectacle vivant, Ouverture de la 18eme biennale de la danse, Lyon, France. A l’opposé de la danse virtuose qu’il propose habituellement, le chorégraphe amène ici l’idée d’un spectacle construit avec des «passants». Des gens comme vous et moi, qui ne sont pas necessairement interessés par monde de l’art ou du spectacle, qui «n’ont pas l’habitude du plateau» et montent sur scène».

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le langage de la gUÉrison

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En élargissant le champ des possibles, en s’accordant sur le fait que la limite de nos manières de communiquer s’accorde à la LIMITE DE NOTRE IMAGINATION, nous pouvons envisager l’avenir sous des angles INFINIS. S’accorder des possibilités multiples, s’appuyer sur ce que nous avons en commun, de manière universelle : les sens, l’imaginaire, l’empathie, peut-être aussi l’humour et la bienveillance. Penser l’innovation sociale par le design, c’est penser une GUÉRISON mais aussi et surtout une RELATION. Le ou la designer accompagne le soin, mais ne soigne pas lui-même tout comme la médecine psychique ne peut soigner un.e patient.e sans son implication. Il s’agit d’un CHEMIN COMMUN, où il est important de prendre en compte le singulier, pour nourrir la cohésion et le langage commun. Comment ces points de communication universelle peuvent-ils être utilisés pour améliorer la cohésion sociale et initier des démarches d’innovations sociétales ? Est-il envisageable ou purement utopique de penser la création en design selon cette idée du singulier-pluriel ?

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LE SILENCE

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préférons le silence »

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b. John Cage, 4’33’’, 29 août 1952.Morceau de musique, première à Woodstock, New York, Etats-Unis.Le morceau est une invitation à écouter les bruits et sons de la salle.

i. Silence.

d. Tamara Cubas, Permanecer, 2016, spectacle vivant, durée non établie, première à FIAC Bahía, Brésil.Dans permanecer, chaque spectateur vient à son tour sur la scène remplacer l’artiste. L’attention se focalise sur chaque individuet le spectacle créé une relation entre les personnes présentes et un réel sentiment «d’avoir été là».

h. Marie Marcombe, Au lieu de voir, ils regardaient, 2019. Le projet vise à produire des dispositifs d’attention, intriguants, qui invitent à écouter ou regarder plus attentivement son entourage.

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le langage de la guérison

Nous pourrions choisir de préférer le silence, le manque, le vide. C’est peut-être finalement ainsi que nous nous comprenons le mieux. En ne parlant pas. En faisant le choix d’arrêter d’utiliser des mots un peu à côté, des mots pas justes. C’est peut-être de cette manière que nous éprouvons le plus d’empathie pour autrui. Parce que si nous arrêtons de parler, cela signifie qu’il faut vivre. Il faut se mettre à la place de, imaginer. Et finalement cela change déjà tout. C’est l’effacement de la confrontation aussi. J’ai souvenir d’une représentation de Depuis que nous sommes arrivés il pleut, à l’ENSATT en 2019. A l’une des étapes du spectacle, la scène était divisée en deux. Nous étions sur la scène, un comédien sur les gradins. Le comédien posait des questions. De plus en plus clivantes.

auraient été on ne peut plus vives, agressives, insultantes. Mais nous n’avions pas le droit de parler, seulement d’observer les réactions des corps. Lors des premières questions, il nous semblait difficile d’accepter une autre opinion que la nôtre, les regards se faisaient facilement mauvais. Mais la « conversation » continuait au fil des questions, laissant apparaitre la complexité des opinions et engagements de chacun de nous, nos hésitations également. Il semblait alors difficile de ne pas accepter l’autre en tant que tel, car aux divergences répondaient des convergences. Nous n’étions pas d’accord sur tout, mais nous étions finalement d’accord sur beaucoup. Accepter de ne pas réagir négativement, c’était aussi accepter que nous fassions partie d’une même communauté, malgré le fait que le singulier ne rencontrait pas toujours la pensée commune.

«La liberté est plus importante que la sécurité. Placez-vous à droite de la scène pour oui, à gauche pour non»

«Les français d'origine française doivent être prioritaires sur les français d’origine étrangère. Placez-vous à droite de la scène pour oui, à gauche pour non.»

Nous étions forcés de participer, d’exprimer notre avis, mais cependant interdits de parler, interdits de réagir par rapport aux choix des autres. Et pourtant nous n’étions pas du tout d’accord. Si ces questions étaient apparues lors d’une conversation, les réactions

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le langage de la guérison

LE MANQUE

«Je peux encore parler mais uniquement avec des gestes. Si vous avez assez d'imagination, je sais que vous pourrez m'entendre. Et peut-être même me comprendre.»Cendrillon - Joel Pommerat

J’avais été surprise de la cohésion que cela peut parfois permettre en allant voir Tous des oiseaux, de Wajdi Mouawad qui avait suscité un engagement instantané. Une standing ovation commune, sans concertement, sans même regarder ce que les autres faisaient. Comme s’il ne pouvait y avoir autre chose qu’une adhésion globale, tous au même moment. Le spectacle abordait des problématiques très diverses, qui avaient résonné différemment pour

chacun mais qui avaient pourtant unis tout le monde. Lina-Marie Köppen démontre par ailleurs une réelle richesse de réflexion quant à l’application de cette problématique en design. En 2013, elle propose dans le cadre de son master en Design Social à la Design Academy d’Eindhoven le projet Learn to unlearn. Elle remet en question la narration habituelle associée à chaque

objet pour proposer une série de production qui « apprennent à désapprendre ». Elle formule ainsi une invitation, à ce que chacun déroule sa propre narration et imagine un usage particulier aux objets proposés. Cette proposition très marquée, se comprend comme une réflexion sur la possible réduction de la « définition » des projets de design, c’est-à-dire la réduction des scénarios d’usage qui leur sont associés. La conceptrice fait don d’un espace à habiter, d’un manque à remplir. Elle offre à l’homme une place à construire, une parole nouvelle à déployer. La narration de l’objet n’étant ainsi jamais fixée, celui-ci n’est jamais bloqué dans un sens.

Ce rapport au silence me rappelle ce que Pierre Notte dit du manque, dans la lignée de Marguerite Duras. Que C’est à partir du manque qu’on donne à voir et que c’est depuis ce qu’il n’y a pas qu’on voit ce qu’il y a. Le manque permet d’entendre, d’imaginer l’indicible. C’est comme cela que se pense le théâtre, au travers de ce qui n’est pas dit. On imagine l’horreur de l’autre : le viol (Anéantis, Sarah Kane ; Accesso, pablo Lorrain), la violence

conjugale (31 Rue Vandenbranden, compagnie peeping Tom), la violence de la révolution et de l’oppression (Et les colosses tomberont, Laurent Gaudé), la peur de la mort (Le pays lointain, Jean-Luc Lagarce)… Le théâtre ne dit jamais vraiment, il évoque et nous laisse le temps, par le silence, d’écouter et d’imaginer, d’interpréter les signes. Il ne dit pas une réalité unique mais une réalité multiple, en nous laissant la place

de nous approprier. C’est aussi cela qui distingue le théâtre du cinéma, c’est qu’il porte en lui une certaine forme d’universalité grâce à ce manque là.

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La Force de l’imagninaire

Il n’est qu’un état de forme, propice à la réécriture constante, libre de faire son chemin. Au lieu de voir par le biais du décalage que créent nos singularités, le manque nous permet de penser par la part que nous avons en commun, qui résonne avec les autres. Ce qui ne signifie pas penser pareil, ou avec les mêmes mots, mais bien comme des êtres-humains qui cherchent à entrevoir la réalité de l’autre, sans pour autant prétendre y comprendre absolument tout, sans prétendre pouvoir penser pour lui.

Répétitions de l’Opéra Cosi Fan Tutte mis en scène par Anne

Theresa de Keersmaeker. Chaque chanteur y est doublé d’un danseur qui exprime par le mouvement les

paroles énnoncées.

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le langage de la guérison

L’imaginaire

Le 2 février 2020, je participe à un atelier de Théâtre de l’Oppression organisé par la doctorante en philosophie Maria Grace Salamanca Gonzalez. Elle utilise ce théâtre conceptualisé par Augusto Boal comme un médium de recherche. Je souhaite ainsi envisager comment cette approche par le manque et l’imaginaire, propre à la pratique théâtrale, pourrait trouver sa place dans un processus de conception de design. Maria Grace Salamanca Gonzalez choisit d’aborder la recherche par une pratique de terrain pour faire cohabiter le souhaitable et le possible, l’idée et la pratique et s’appuie pour cela sur les recherches du théâtre post-dramatique. Elle propose lors de cet atelier de réfléchir aux oppressions vécues en ville pour voir si, collectivement, nous pouvons venir amener de potentielles solutions. Elle fait la demande à chacun de penser à une situation d’oppression et de la représenter sous la forme d’une image, d’un symbole pour la communiquer aux autres.

Elle utilise ici l’approche par le manque. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, donc on essaie d’imaginer pour l’autre, de se mettre à sa place. On construit de l’empathie en tentant de recomposer des situations. Et c’est cette empathie qui amène à former des groupes, attirés par ce autour de quoi il leur semble s’être retrouvé. Après cette étape-là seulement, on raconte les situations et les problématiques dans leur entièreté car on a créé de

l’attention, de l’intérêt pour autrui. En fait, on a déjà créé un groupe, une cohésion sociale, terreau propice à la conception d’innovations sociales. L’étape suivante est de composer une représentation symbolique, par le corps, de cette situation d’oppression, sans parler, et de tenter d’y apporter une résolution, toujours sans paroles. Si la résolution ne semble pas possible, on imagine des scénarios utopiques. Si ceux-ci n’apportent pas de réponse en soi, ils permettent d’établir ce qui manque pour aboutir à une situation qui semblerait idéale à tous les membres du groupe. Seulement après ces étapes-là s’ouvre le temps de débat, de dialogue. On a cette fois-ci constitué, ensemble, un langage et une réalité commun.e sur lesquels baser le dialogue. Ce qui est intéressant, et ce qui fait que cela fonctionne, c’est que ce langage commun a été formé sur la base d’expériences singulières qui se recoupaient plus ou moins entre elles au sein d’un groupe. Et comme ce langage commun est conçu autour des expériences physiques menées ensembles ensuite, tout le monde est replacé sur le même niveau de langage, de culture, de connaissance, de légitimité de parole.

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le langage de la guérison

L’ESPOIR DIALOGIQUE, RENCONTRE AVEC BANCO STUDIO

Interview réalisée avec Nathalan Pouilloux et Hélène Cabot

Je souhaitais terminer avec la présentation de la démarche de travail du studio de design Banco qui, à lui seul, traduit à la fois l’espoir d’un changement vers un design centré humain, et le réalisme de la complexité économique que cela induit. C’est une rencontre entre l’idée et la réalité, dans toute son imperfection. Tout ce qu’il y aurait à améliorer, à repenser. Accepter que cela ne fonctionne pas aussi parfois, que ce ne soit pas possible tout de suite. Dans cette rencontre avec Ella Perdereau, Pauline Sauvanet et Lola Day, il y a aussi la reconnaissance que cette idée du singulier-pluriel et de la prise de place de l’imaginaire est une idée qui fait son chemin. Elle trouve une résonnance dans des pratiques contemporaines, cela fait sens.

Pourriez-vous nous parler un peu plus de votre méthodologie de travail collective justement ?

L : Nous n’avions pas forcément le temps de nous retrouver ensemble pour travailler, donc nous avons construit cette approche de travail par cadavre exquis parce que c’était très important pour nous de laisser de la place à l’autre au sein de ce travail collectif. L’idée c’était de couper une page en trois, d’en occuper un tiers, et de laisser le reste aux deux autres. La vision du collectif permet d’avoir un point de vue multiple sur l’objet et donc d’éliminer certains écueils, de le rendre plus juste. E : Oui, et puis l’idée c’était aussi de se faire plaisir. On n’est pas non plus en vacances, mais on enlève un peu les cadres.L : On a décidé aussi de prendre le temps de faire des projets, que cela prenait du temps de laisser murir un projet.P : Cette notion de temps est importante, puisque le principe de notre travail c’est aussi de créer des rencontres, et cela prend du temps de nouer des belles relations.

Pour vous c’est une démarche de travail qui ne serait donc pas applicable dans une réalité professionnelle associée à une rémunération ?

E : Si… mais il faudrait peut-être revoir le rapport au chiffre d’affaire, à la production. En entreprise aujourd’hui on ne prend pas six mois, un an pour faire un projet. Mais j’ai bon espoir, il y a des projets qui se montent dans ce sens.L : Dans le professionnel aujourd’hui, disons que la relation n’est pas ce qui est à la base du projet, mais ce n’est pas pour ça qu’elle ne se fait jamais. E : Disons qu’aujourd’hui nous avons l’énorme liberté avec Banco studio de pouvoir amener aussi nos relations humaines dans notre travail. En entreprise on ne pourrait

Comment définissez-vous votre travail aujourd’hui ?

Nous voulions en parallèle de nos activités rémunératrices aller vers des lieux non dictés par la contrainte commerciale, que nous ne pouvions pas forcément explorer au sein de nos activités respectives. Nous voulions faire ça en collectif, cela donnait aussi de la force et de l’ambition à nos projets, de ne pas être seuls.

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le langage de la guérison

pas dire au sein d’une réunion « Il y a mon tonton qui fait ça », ce sont d’autres relations.

Vous menez souvent des workshops dans les écoles, comment appréhendez-vous ces temps-là ?

L : Souvent le but c’est d’apprendre à travailler en collectif, c’est finalement la plus grosse contrainte que nous posons aux élèves.E : Le travail collectif permet aussi de rythmer, et il permet de montrer l’importance d’être toujours présent physiquement et intellectuellement lors du processus de création. L : Ce n’est pas le résultat finalement qui est important. E : Oui et des fois on a imposé certains binômes de profils très différents qui finalement fonctionnent vraiment très bien.L : Cela permet de comprendre comment se placer dans un collectif. E : D’apprendre à déléguer aussi, à faire confiance à l’autre.

Cela ne vous créé jamais de frustrations, dans votre travail, de déléguer ?

L : Si au début de ma vie professionnelle, quand je voyais que ma création n’était jamais ce qui était produit. Plus vraiment aujourd’hui.E : Au sein de Banco Studio, on se fait entièrement confiance aussi. On attend presque aussi que cela ne ressemble pas à ce que l’on avait imaginé lorsqu’on donne le projet aux autres.P : J’ai même toujours une réelle impatience positive de voir le travail des autres. Ce qui est fort dans notre démarche de travail c’est qu’on n’imagine jamais le résultat final et donc le résultat n’est jamais une déception, ce sont toujours des surprises heureuses.

Avez-vous ce désir de transmettre votre approche de travail ?

L : La transmission a toujours été importante pour nous, parce qu’on est aussi dans cette optique de relation. Travailler avec des étudiants, c’est aussi une manière de

construire d’autres relations.

E : Oui, c’est important aussi pour les étudiants d’apprendre qu’être à plusieurs, cela permet d’aller au-devant des problèmes (techniques ou de communication). Même si nous n’avons pas du tout une

vérité absolue évidemment.

Banco Studio au Maroc pour une

collection de tapis

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CONCLUSION

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Les définitions du design sont multiples, changeantes, en renouvellement constant et le travail de recherche d’Elise Goutagny en témoigne. L’une de ces définitions serait d’envisager le design comme une discipline force de proposition à revers d’une idée souvent admise selon laquelle le design serait une activité de résolution de problèmes. Un design d’innovation sociale ne se pense donc peut-être pas comme une résolution –le.la designer à l’idée brillante et révolutionnaire- mais comme un apport de propositions, de méthodologies, de fédération autour d’un projet, d’une idée, d’une problématique. Et pour que cela fonctionne, il faut trouver des moyens de communiquer avec justesse. Cela signifie éviter le consensus mou dont avait peur Matali Crasset, l’acquiescement et les dialogues un peu vide, la non-écoute de l’autre, le referment sur ses propres opinions, la peur de ne pas savoir « assez » pour pouvoir dire, la

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difficulté de faire confiance… En fait, il s’agit de prendre en compte toute la complexité humaine. Ses besoins effectivement, mais également ses ressentis, ses relations avec le monde, avec les autres, dans tout ce que cela a d’indéfini et d’imprécis. Je trouve à cela beaucoup de justesse. Cela amène évidemment à reconsidérer notre approche pour aller vers un design centré-humain mais également nos moyens de communications, les mots sont souvent trop fermés pour donner de la place à cette complexité-là. C’est pour cela que je suis sensible à l’approche post-dramatique au théâtre. Elle ouvre le langage, elle l’étend. On appréhende ainsi le monde en prenant le temps de lui rendre sa complexité et de réactiver l’empathie. Et finalement, ce que nous disait Sophie Ricard, c’est que lorsque l’on fait réellement attention à cette complexité humaine, il parait évident que les transformations à apporter sont

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rarement révolutionnaires. Ce sont souvent des petits pas, des petites choses et des besoins très simples mais qui apportent un vrai bien-être. Alors cela donne évidemment une pratique du design beaucoup plus modeste, beaucoup moins honorifique , mais peut-être finalement plus valorisante, plus censée dans le monde à venir. Il n’est peut-être pas nécessaire de construire nouveau et élégant tout le temps. Il existe des maladies qui se soignent, dès lors que l’on souhaite faire le premier pas de s’y essayer. Et c’est peut-être là le premier pas vers l’équilibre.*

* Dans un texte intitulé Les maladies du Costume de théâtre (cf titre), Roland Barthes parle des pathologies du costume de théâtre et la manière dont il convient trouver un équilibre dans chaque chose, pour que l’ensemble fonctionne.

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