76
Septembre 2007 Université catholique de Louvain Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Politiques La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des machines, la prière des hommes Pascal LAVIOLETTE Monographie présentée en vue de l’obtention du diplôme d’Études spécialisées en anthropologie (ANTR 3 DS) Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT Lecteurs : Pr. Daniel BODSON, Mathieu HILGERS

La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

Septembre 2007

Université catholique de Louvain Faculté des Sc iences Économiques, Soc ia les et Politiques

La gare ferroviaire de Parakou,

la détresse des machines,

la prière des hommes

Pascal LAVIOLETTE

Monographie présentée en vue de l’obtention du diplôme d’Études spécialisées en anthropologie (ANTR 3 DS)

Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT Lecteurs : Pr. Daniel BODSON, Mathieu HILGERS

Page 2: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 2

À Abdou Salam Fall, ami sénégalais qui en juillet 1992 à Porto-Novo, m’a initié à une Afrique africaine, même si « un long séjour dans l’eau

pour un tronc d’arbre n’en fera jamais un crocodile ».

À Régine, Sarah et Léa qui, en mars, juillet et août, ont fait preuve de compréhension, de patience et de soutien.

À Prospère Agbodouama (conducteur-mécanicien), Jules Agbomahena (chef de gare), Épiphane Akpoué (chef dépôt),

Marcel Capochichi (chef entretien), « Fous le camp ! » Abdoulkarim Garba (chef division trafic routier), Pierre Gandjo (chef manutention), Bio Gounou (agent de sécurité), M’Po Kouagou (chef amortissement),

Jean-Claude Kpodanho (secrétaire du directeur), Djibo Moutary (chef arrivage PV), Léandre Ondonyetan (chef section

frais de tonnage), Saley Yataga (directeur d’agence), Adrien Zannou (caissier)… et à tous leurs collègues cheminots.

Page 3: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 3

Remerciements

J’adresse mes plus profonds remerciements à Thierry Medjotin, traducteur

occasionnel, facilitateur attitré et compagnon de terrain toujours dévoué.

Je remercie chaleureusement les chercheurs du Lasdel1 (Laboratoire d'études et

de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local) présents

lors de mon passage à Parakou pour leur sens de l’accueil et pour les

informations précieuses qu’ils m’ont transmises : le Dr Éric Komlavi Hanonou, le

Dr Abou-Bakari Imorou, les doctorants Aziz Chabi Imorou et Saï Soutima.

Je tiens à remercier le professeur Pierre-Joseph Laurent, directeur du présent

mémoire, pour les conseils éclairés mais aussi pour l’amabilité avec laquelle il a

dispensé ceux-ci, avant mon départ et durant la réalisation du mémoire.

Merci également à Mathieu Hilgers pour ses encouragements avisés.

Enfin, merci à Nadine Duriau pour son travail efficace de relecture et à Jean-

Michel Hayen pour l’apport graphique indispensable et créatif en cartes et

croquis.

1 Le présent mémoire respectera les règles typographiques énoncées dans le Manuel de typographie française élémentaire (Yves PERROUSSEAUX, Ateliers PERROUSSEAUX éditeur, 4e édition, 1995).

NB : toutes les photos ont été réalisées durant le terrain par l’étudiant.

Page 4: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 4

Table des matières

Introduction ........................................................................ 5

La crise du rail ..................................................................... 9

1. Nostalgie ............................................................................................. 10 2. Histoire d’un chemin de fer................................................................... 11 3. Les rails se reposent ............................................................................ 13

3.1. « Quand l’OCBN était l’OCBN » ............................................................................................13 3.2. Les raisons du déclin ...........................................................................................................15 3.3. L’agence OCBN....................................................................................................................17

La prière des hommes....................................................... 20

4. Parakou...............................................................................................21 4.1. Le peuplement ....................................................................................................................21 4.2. Ville de transit .....................................................................................................................22 4.3. Tensions latentes, violences sporadiques..............................................................................24 4.4. Le marché Arzèkè et l’élite locale .........................................................................................25

5. Le culte des aînés ................................................................................ 29 5.1. La grande grève historique .................................................................................................. 31 5.2. Le 59e anniversaire ..............................................................................................................33

6. Les cheminots...................................................................................... 34 6.1. Sirène et frémissements ......................................................................................................35 6.2. L’attente..............................................................................................................................37

7. Le malheur des uns… ........................................................................... 40 8. Sorties de crise .................................................................................... 43

8.1. Première lueur d’espoir : le port sec.....................................................................................45 8.2 Seconde lueur d’espoir : Africarail ........................................................................................47 8.3. La privatisation : le contre-exemple sénégalais .....................................................................48

Joies et difficultés épistémologiques ............................... 51

9. Le choix du terrain ............................................................................... 52 10. Le temps ........................................................................................... 54 11. Micro-terrain, macro-expérience .......................................................... 56

Conclusion......................................................................... 60

Bibliographie ..................................................................................64 Annexes..........................................................................................69

Annexe 1 - Carte du Bénin..........................................................................................................70 Annexe 2 - Exercices ethnologiques préparatoires au terrain .......................................................71 Annexe 3 - Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009 ..............................................................73 Annexe 4 - États des routes Cédéao............................................................................................75 Annexe 5 - Infrastructures de transports en Afrique de l’Ouest ....................................................76

Page 5: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 5

Admirons la louable franchise des chemins de fer qui,

pour nous mettre en garde, inscrivent au front

de toutes les stations le mot « gare » !

Albert Willemetz

Introduction

Page 6: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 6

Cotonou, lundi 12 mars 2007, premier jour d’un terrain ethnologique d’un mois,

à passer entre deux gares terminus, avec les passagers, les vendeurs, les

bricoleurs de toute sorte, lors des arrêts organisés et des haltes impromptues

sur les 438 km de la ligne ferroviaire Cotonou–Parakou. Quartier Joncquet : un

immense volet métallique barre l’entrée de la « grande gare ». Le calme qui

règne sur la placette contraste nettement avec l’agitation folle de la capitale

économique où des milliers de zem2 imposent leur rythme ; ici, pas de

vendeuse, pas de chaland. « Le train ne circule plus. La machine est en panne.

Les pièces sont commandées mais elles tardent à arriver. C’est depuis deux

mois » me confie un fonctionnaire dépité. Sentiment qui m’affecte sur le champ.

Pour un anthropologue, voir son terrain disparaître, c'est très tendance. Un

terrain fuyant peut encore s'observer, s'analyser, s'expliquer. En ce qui me

concerne, mon objet d'étude s'est dissout avant même que je ne le rencontre.

Le train voyageurs Cotonou–Parakou, lieu mobile d'échanges marchands et non

marchands, lieu (é)mouvant de rapports sociaux, le train donc s'était fait la

malle… Mon projet anthropologique prenait l'eau. Les banquettes pourpres de

l'autorail Soulé n'accueilleront plus mon postérieur, comme elles l'avaient fait en

1997 et 1999, lorsque je cheminais, en compagnie de quelques stagiaires

journalistes et photojournalistes, dans les départements du Borgou ou des

Collines3.

Mes exercices ethnologiques préparatoires au terrain, laborieux et hivernaux

(janvier dernier), dans le Louvain-la-Neuve–Université à destination de Bruxelles

et Binche de 7 h 45, ne serviront à rien4. Je pouvais définitivement ôter de mon

esprit mes observations, mes pistes de réflexions, mes ébauches d’hypothèses…

Au diable le postulat séduisant de Daniel Terrolle – le voyage en train est

structuré comme un rite de passage, avec trois périodes successives qui le

2 Ou zemidjan : moto-taxis, « Littéralement "prends-moi sans ménagement", "sans précaution". Dans le langage courant, zemijan désigne indistinctement le vélomoteur-taxi ou son conducteur ou encore les deux à la fois » ; lire « La diffusion des innovations : l’exemple des zemijan dans l’espace béninois » de Noukpo San Agossou in Cahiers de géographie du Québec, Volume 47, numéro 130, Avril 2003 consulté le 3 juillet 2007 sur http://www.erudit.org/revue/cgq/2003/v47/n130/007971ar.html#no1. 3 Voir, pour plus de précision, la carte du Bénin en annexe 1, p. 71. 4 Parce qu’il m’est difficile de réellement les détruire, maigre consolation, je les publie en annexe…

Page 7: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 7

rythment : la séparation, la marge et l'agrégation5 – que je ne pourrai tester en

situation réelle, hors laboratoire.

Mauvais départ, en somme. Novice, je connaissais déjà l'errance de

l'ethnologue, chercheur non pas privé des balises de ses prédécesseurs mais,

pire encore, dépossédé d'objet. J'étais hagard – « a » privatif « gare » ? –

désorienté à l'idée de rentrer avec un carnet de terrain vierge, avec un carnet de

terrain vague, résultat d'observations de remplacement, de second choix, non

préparées, mal appropriées.

Avant de fouler un terrain ethnologique, j’ai donc eu à en refouler un autre. Non

sans mal. Les coupures d’électricité fréquentes à Cotonou – les « délestages » –

rendant les connections Internet très difficiles et le voyage à l’étranger de mon

directeur de mémoire n’arrangeaient rien à l’affaire : perdu en haute mer sans

radio, sans gilet ni canot de sauvetage. La première journée se termine dans

l’inquiétude et la fatigue, perdu dans une capitale économique où l’on mange à

la lueur d’une bougie et où l’on s’endort sans « brasseur6 ». La tempête gagne

mon cerveau. Que faire ? Tout devient prétexte à un autre terrain – l’évaluation

d’un projet de coopération mené dix ans auparavant ?, les zémidjan de

Cotonou ?, le tourisme à Grand Popo ?, etc. – mais rien ne me semble

suffisamment digne, ou assez préparé, ou ceci, ou cela. Comment expliquerai-je

à mon épouse cet échec, elle qui là-bas s’occupe de nos deux enfants ?

Comment affronterai-je mes collègues et professeurs du DES qui m’ont tant dit

qu’ils trouvaient mon terrain intéressant ? Que vais-je faire ici durant un mois,

déçu, stressé, idiot ? À quoi bon un tel investissement financier, ces fonds

perdus ?

Après ces vingt-quatre heures d’interrogation (et parfois d’angoisse), une

intuition me fit quitter Cotonou pour Parakou, par la route RNIE 2, celle qui

longe (et traverse régulièrement) les rails durant tout le trajet. Destination : le

terminus de la voie ferrée. Et, par chance, les bureaux du Lasdel7, le laboratoire

d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement

local, où ma rencontre avec le Dr Éric Komlavi Hanonou, chercheur, socio-

anthropologue, sera déterminante pour la présente étude. Sur ses conseils,

5 « "Entre-Deux" » in Ferveurs contemporaines. Textes d'anthropologie urbaine offerts à Jacques Gutwirth, réunis par Colette Pétonnet et Yves Delaporte, Paris, L'Harmattan (collection Connaissance des Hommes), 1993. 6 Ventilateur. 7 Quartier Albarika, « ancien Kilombo », route de Djougou.

Page 8: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 8

j'entrepris de ne pas lâcher le train mais au contraire de m'intéresser de près à

son absence, d'en diagnostiquer les causes, d'envisager les impacts

économiques et sociaux pour les utilisateurs, de repérer les nouvelles stratégies

de déplacement, etc. Bref, de m'interroger sur la crise du rail, sur son caractère

momentané ou définitif, annonciateur ou non de changements plus profonds.

Coïncidence ? C’est un texte du Lasdel, parcouru une nouvelle fois dans le vol

AF 814 Charles de Gaule–Cotonou, qui va dessiner les contours de mon

approche méthodologique :

« Sociologie, anthropologie et histoire, bien que partageant une seule et même

épistémologie, se distinguent "malgré tout" par les formes d’investigation

empirique que chacune d’entre elles privilégie, à savoir les archives pour l’historien,

l’enquête par questionnaires pour la sociologie, et "le terrain" pour l’anthropologie.

On conviendra cependant volontiers qu'il ne s'agit là que de dominantes, et qu'il

n'est pas rare que l'on aille emprunter chez le voisin. En particulier, l'enquête de

terrain a acquis une place non négligeable en sociologie. De fait, il n'y a aucune

différence fondamentale quant au mode de production des données entre la

sociologie dite parfois "qualitative" et l'anthropologie. Deux traditions fondatrices

fusionnent d'ailleurs clairement : celle des premiers ethnologues de terrain (Boas,

et surtout Malinowski) et celle des sociologues de l'école de Chicago8. »

Mon approche sera donc résolument socio-anthropologique et urbaine puisque,

pour ancrer empiriquement mon analyse, la gare ferroviaire de Parakou m'a

semblé un choix judicieux. Un lieu pour poser mes bagages (intellectuels) et

partir à l'aventure (scientifique).

8 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, « L’enquête socio-anthropologique de terrain : synthèse méthodologique et recommandations à usage des étudiants » in Études et travaux, n°13, Lasdel, Niamey, octobre 2003, p. 30.

Page 9: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 9

Et si l’Histoire plaisantait ?

Milan Kundera (« La plaisanterie »)

Première partie

La crise du rail

Page 10: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 10

1. Nostalgie

À Parakou, la gare somnole, écrasée sous les 45 °C de ce mois de mars9.

Absence totale de mouvement. Le lieu se prêterait volontiers au tournage d’un

western, d’un film fantastique voire d’une œuvre surréaliste. Quelques agents

plaisantent, d’autres dégustent à l’ombre de l’akpan10, d’autres assis à leur

bureau regardent la télévision, d’autres encore ont allumé la radio… Il règne une

sorte d’ennui désabusé.

Pierre Gandjo, chef manutention : « Avant, quand le train roulait, il y avait de l’agitation partout. On aurait dit un marché permanent ici. Plein de gens vendaient à manger. C’était plein de monde partout. »

Léandre Odonyetan, chef section frais de tonnage : « Quand il y avait du fret, c’était parfois 40 camions par jour qui venaient charger. C’était du sérieux. Après, on est tombé sur la détresse des machines. Le trafic est tombé. »

C’était il y a quelques années encore. Quand chaque jour plus d’une centaine de

passagers se pressaient dès 7 h 30 pour embarquer à destination de Cotonou ou

de l’une des 37 gares intermédiaires. Quand Parakou accueillait trois à quatre

trains marchandises, « souvent en U.M., en unités multiples c'est-à-dire avec

deux locomotives tirant une charge maximale de 1.050 t11 ». Quand les

voyageurs en provenance de Cotonou débarquaient aux alentours de 20 h 30,

chargés de marchandises diverses achetées dans le Sud et encerclés de

vendeuses de yovo doko (beignets de blé), de ata (beignets de haricot) ou

encore d’akassa (pâte de maïs). Quand la ligne était « desservie par un parc

moteur effectif de trois12 autorails et d’une quinzaine de locomotives diesel13 ».

Aujourd’hui, avec une seule machine en état de service !, le chemin de fer

béninois n’est plus que l’ombre de lui-même…

9 Climat tropical sub-humide de type transitoire soudanien : la température moyenne annuelle est de 27,51 °C avec deux maxima en début et en fin de saison sèche (29,6 °C en mars et 31,11 °C en octobre). La pluviométrie annuelle varie de 1.100 à 1.200 mm. 10 Bouillie de maïs fermentée, légèrement acidulée, servie avec des glaçons et du lait concentré, vendue par une marchande ambulante. 11 Vincent Agossou, chef dépôt retraité. 12 Ou quatre selon les sources. 13 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, « L’arrière-pays international du port de Cotonou » in Bulletin de la Société belge d’Études géographiques, SOBEG, 1996, p. 105.

Page 11: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 11

2. Histoire d’un chemin de fer

« À l’arrivée des colonisateurs sur ce continent massif qu’est l’Afrique, les seules

voies de pénétration étaient les cours d’eau dont très peu étaient navigables. Si

l’on voulait transporter des marchandises autrement que par portage, la seule

technique envisageable était la voie ferrée. C’est ainsi que les réseaux d’Afrique

francophone ont été constitués de pénétrantes issues des ports et rejoignant les

pôles économiques de l’intérieur dans un triple but, stratégique, économique et de

lutte contre les famines14 ». L’état d’esprit qui prévaut en ce tout début du 20e

siècle place le développement du rail au cœur du projet politique ouest africain. En

1906, le Gouverneur général Roume affirme qu’« Aucun progrès matériel et moral

n’est possible sans voies ferrées dans les colonies d’Afrique » et Espitalier conclut

que « Construire le chemin de fer dès la première heure de la colonie, c’est créer le

meilleur instrument de pacification, car habituer les populations indigènes à

commercer, c’est leur faire tomber les armes des mains15 ».

C’est dans ce contexte colonial que s’inscrit le développement du chemin de fer

dahoméen16. À Cotonou, important comptoir français au 19e siècle, un wharf17

est érigé entre 1891 et 1899 afin d’optimaliser la sécurité et la rapidité des

opérations de transbordement des passagers et des marchandises. « Sa

destinée fut rapidement liée au chemin de fer, puisqu’il fit office à partir de 1902

d’origine (sic) d’une ligne de pénétration coloniale typique à écartement

métrique18 ». Les ingénieurs civils et militaires de l’Afrique occidentale française

(AOF) envisagent dès 1897 une ligne Dahomey–Niger, de Cotonou aux rives du

Niger, soit 760 km de rails et un millier de voies navigables. Outre les enjeux

économiques, c'est-à-dire le développement des échanges commerciaux et la

capacité de drainer vers la côte les ressources naturelles de l’arrière-pays, le

gouvernement de l’AOF19 voit dans ce projet « un intérêt stratégique certain. En

14 DUPRÉ LA TOUR, « Histoire des chemins de fer d’Afrique Noire francophone » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 20. 15 Tous deux cités par KIMBA Idrissa, « L’échec d’une politique d’intégration : les projets ferroviaires et le territoire du Niger (1880-1940) » in Réalités et héritages, sociétés ouest africaines et ordre colonial, 18895-1960, Dakar, Direction des archives du Sénégal, 1997, p. 455, consulté le 09/07/07 sur http://tekur-ucad.refer.sn/IMG/pdf/01E3KIMBA.pdf. 16 Depuis l’indépendance (1er août 1960), le pays s’est successivement appelé République du Dahomey, République populaire du Bénin (1974), République démocratique du Bénin (1990). 17 Plate-forme métallique avançant dans la mer perpendiculairement au rivage permettant aux navires de charger et de décharger. 18 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 95. 19 Protectorat français depuis 1892, le Dahomey intègre l’Afrique occidentale française en 1904 avant de devenir indépendant le 1er juin 1960.

Page 12: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 12

effet, par le fleuve Niger et le Soudan français, (la voie ferrée) mettra en

communication le Dahomey avec les possessions de l’Afrique occidentale20 ».

-- carte manquante --

Si à la veille de la Première Guerre mondiale, la ligne atteint Savè, à 293 km de

Cotonou, jusqu’en 1923, les effets économiques de la guerre ne permettront

plus aucune construction de ligne ferroviaire.

Le projet d’atteindre le Niger par le train au départ de Cotonou refait surface

dans l’entre-deux guerres. D’abord parce que « certains coloniaux pensaient que

l’apport matériel de l’AOF à la France pendant la guerre (en matières premières)

eut été plus important si les moyens d’évacuation avaient été plus

performants21 ». Ensuite parce que règne dans la région une lutte d’influence

entre Français et Britanniques ; aussi en raison de l’achèvement de la voie ferrée

Kano–Lagos en 1911, « Les autorités coloniales françaises insistent dans leurs

rapports sur la nécessité de lutter contre l’envahissement économique par

l’Angleterre et placent la question du chemin de fer au centre des

préoccupations économiques : "À l'heure actuelle les bénéfices de l'exploitation

des richesses du territoire profitent exclusivement à la seule colonie anglaise du

Nigeria dotée d'un important réseau de voies ferrées qui poussent leurs

antennes jusqu'à 200 km de nos centres de production agricoles"22 ».

-- carte manquante --

Deux entités vont exploiter le réseau ferroviaire : d’une part, la Compagnie

française de chemin de fer du Dahomey, une société privée qui chapeautait les

lignes de Cotonou à Savè (c'est-à-dire vers Parakou) et de Cotonou à Segboroué

(32 km vers l’ouest), ouvertes respectivement en 1906 et 1910 et regroupées

sous le terme générique de Central Dahoméen ; d’autre part, l'autorité coloniale,

20 BONTIANTI Abdou, « Un chemin de fer au Niger : rêve ou réalité » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 60. 21 KIMBA Idrissa, op. cit., p. 460. 22 KIMBA Idrissa, op. cit., p. 461.

Page 13: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 13

qui avait construit en 1905-1913 l'Est Dahoméen destiné à relier le port

lagunaire de Porto-Novo à Pobé (108 km), son arrière-pays, puis avait assuré en

1930 la jonction entre Cotonou et Porto-Novo (30 km)23. Dès lors, il n’est pas

étonnant que les tout premiers salariés cotonois soient des travailleurs ou des

ouvriers du wharf ou du chemin de fer.

L'exploitation des différentes lignes fut confiée en décembre 1930 au Service

des voies ferrées d'intérêt général du Dahomey, chargé également de la gérance

du wharf de Cotonou. Peu avant la guerre, l'ensemble fut repris par la Régie du

réseau "Bénin–Niger" (Réseau BN).

Si, à son apogée, le réseau comptait 608 km de lignes à voie métrique et

110 km à voie de 0,60 m, il n’a jamais atteint Malanville sur la rive gauche du

Niger, s’arrêtant à Parakou en 1936, à 438 km au lieu des 760 escomptés.

-- carte manquante --

De nombreuses raisons expliquent l’échec et l’abandon du projet : une

rentabilité économique incertaine ; la pénibilité des conditions de travail24 ; « les

deux guerres mondiales, la crise économique de 1929, les conditions climatiques

difficiles et les famines qui ont sévi en AOF dans les années 1930. Enfin, en

1936, l’argument stratégico-militaire n’était plus d’actualité vu que la pénétration

coloniale est parfaitement réalisée ainsi que la pacification de l’AOF25 ».

3. Les rails se reposent

3.1. « Quand l’OCBN était l’OCBN »

En 1954, le Réseau BN déclenche « l’opération hirondelle ». Soutenue par le

Haut Commissariat à Dakar et par une subvention de la Caisse de Compensation

23 D’après CARRIÈRE Bruno, « Un peu d'histoire » in La vie du rail, 14/07/04, consulté le 10 juillet 2007 sur http://www.archive-host2.com/membres/up/1124645788/p242526.jpg 24 « Il a fallu deux ans [1929-1931] et 3.000 travailleurs péniblement recrutés, le dynamitage de 18.000 m³ et 650.000 m³ de terrassement pour relier Savè à Alafia, une section de 20 km ! » selon Idrissa KIMBA, op. cit., p. 464. 25 BONTIANTI Abdou, op. cit., p. 61.

Page 14: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 14

des arachides du Niger-Est26, cette opération visait à évacuer par la voie

dahoméenne une partie de la récolte nigérienne d’arachides traditionnellement

écoulée via le port de Lagos :

« L’encombrement des Nigerian Railways et la pénurie de devises pour payer le

transport en zone Sterling incitèrent à monter une véritable opération multimodale

avec préacheminement routier (…) jusque Parakou et acheminement ferroviaire

final jusque Cotonou. Un flux important, aujourd’hui tari suite à la forte baisse de

la production (…) est alors venu se superposer aux modestes échanges que l’Ouest

du Niger entretenait déjà via Cotonou 27». Cette opération a également permis

d’approvisionner le Niger, au départ du Dahomey, en produits pondéreux (ciment,

tôles, fer, etc.)28.

Et aujourd’hui encore, les bordereaux des feuilles de tonnage utilisées par

l’OCBN à Parakou porte le sigle « O.H. »…

L'Organisation commune Dahomey–Niger créée en 195929 connaît une première

crise financière d’importance dès 1965. Suite à la cessation des activités du

wharf de Cotonou, dont l’OCBN était gestionnaire, au profit du nouveau port en

eau profonde et de la société nouvellement créée (Port autonome de Cotonou),

la société de chemin de fer perd la gestion du trafic portuaire et d’importants

bénéfices. En outre, la fin du transport des enrochements destinés à la

construction du port et le différend frontalier30 qui opposait le pays à la

République sœur du Niger, provoquant le détournement d’une partie du trafic

vers Abidjan, expliquent l’important déficit.

Sans concurrence réelle – l’état médiocre des routes et des pistes offre même

un certain monopole du transport de voyageurs vers le nord – et grâce à l’essor

important du trafic du port de Cotonou (stagnant sous les 300.000 t avant 1965,

il atteint près de 500.000 t en 1968 et près de 700.000 t en 197331), l’OCBN

26 KOGUI N’DOURO Issifou, Le transit facteur d’urbanisation de la ville de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie, Université Nationale du Bénin, 1978, p. 76. 27 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 106. 28 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 76. 29 Deviendra, en 1975, l’OCBN, l’Organisation commune Bénin–Niger des chemins de fer et des transports, établissement public bi-étatique doté d’une personnalité civile et d’une autonomie financière. 30 Depuis 1960, un conflit politique oppose les deux pays à propos de l’île de Lété (32 km²) située sur le fleuve Niger, conflit tranché par la Cour internationale de justice le 14 juillet 2005 et dont la décision a été acceptée par les deux parties. 31 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 99.

Page 15: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 15

redresse sa situation financière au début des années 70. Le Bénin confirme son

statut d’espace corridor32, de couloir de transit vers les pays de l’hinterland, avec

toutefois des relations inter-côtières importantes notamment avec le Nigeria33.

Comme dans les autres républiques issues de l’indépendance, le chemin de fer

connaît son âge d’or et accuse une forte croissance avec une moyenne annuelle

de 8% sur l’ensemble des réseaux34.

3.2. Les raisons du déclin

Alors que plus aucun des quatre autorails Soulé ne circule35, les seuls passagers

qui empruntent la ligne sont des touristes blancs ! À bord du Train d’ébène36,

deux wagons coloniaux en bois de teck datant de 1922 joliment rénovés et

tractés par une draisienne louée tout comme son conducteur à l’OCBN, une

clientèle aisée profite paisiblement d’un paysage varié entre Abomey, Dassa et

Parakou. Avec la dernière locomotive Alsthom diesel en état de fonctionner sur

les huit du parc initial (la BB 618, exclusivement destinée au transport de

marchandises), le Train d’ébène empêche les rails de se reposer

définitivement37. Détail piquant : depuis mon arrivée à Parakou, cinq jours

auparavant, la gare n’avait accueilli aucune machine… Ce dimanche 18 mars,

deux trains – l’un public, l’autre privé – s’y croisent !

En ville, chacun sait pourquoi « l’OCBN n’est plus l’OCBN ». « La crise a

commencé quand l’import de véhicules d’occasion s’est développé », me confie

un journaliste. Pour ce chercheur du Lasdel, c’est parce que « le parlement du

Niger est l’un des moins intellectuels de la sous-région ; (qu’)il est composé de

35 à 40% de commerçants transporteurs qui font pression pour que le chemin

de fer n’aboutisse pas (jusqu’au Niger). » Un intellectuel, membre d’un cabinet 32 DEBRIE Jean, De la continentalité à l’État enclavé, circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs ouest africain, Thèse de doctorat en géographie, Université du Havre, 2001, p. 99, consulté le 6 juillet 2007 sur http://www.batir-rca.org/enclavementContinentalite.pdf. 33 Le Bénin est décrit comme un « État-entrepôt », tirant l’essentiel de ses revenus des activités d’entreposage et de transit, s’inscrivant dans un double circuit officiel vers l’hinterland et illicite vers le Nigeria, (cf. IGUE John, SOULE Bio. L’État-entrepôt au Bénin. Commerce informel ou solution à la crise ?, Paris, Karthala, 1992). 34 DUPRÉ la TOUR François, « Histoire du chemin de fer en Afrique noire francophone » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 25. 35 Le dernier en état de marche a cessé de circuler début novembre 2006. 36 Propriétaire : Guy Catherine, un français, patron de Voyageur SARL, 01 BP 3041 Cotonou. 37 Un courrier reçu le 8 août m’informe que « la BB 618 tient toujours tant bien que mal, la 615 l’a secondée après un bricolage ».

Page 16: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 16

ministériel me demande : « pourquoi les gens prendraient le train qui met dix

heures pour relier Cotonou alors qu’en taxi on met seulement quatre à cinq

heures ? »

Un document interne et confidentiel rédigé par un cabinet de comptables de

Cotonou38, pose un diagnostic précis d’une situation désastreuse : l’OCBN, qui a

connu de bonnes performances jusqu’en 1998, est actuellement en état de

cessation de payement avec une chute de son chiffre d’affaires de 90% en sept

ans et un tonnage qui est passé de 340.000 t en 1998 à 52.000 t en 2005. Le

transport de voyageurs, totalement à l’arrêt depuis novembre dernier (voir

supra), décroît depuis 1986 : de 1.502.000 clients, le trafic est tombé à 442.000

en 199339.

Trafic marchandise OCBN

0

100

200

300

400

500

1986 1993 2000 2003 2005

ton

ne

(x

1.0

00

)

D’après J. Charlier et J. Tossa et le Plan de redressement de l’OCBN.

Financièrement, l’OCBN se montre incapable à recouvrer ses créances

(1,9 milliards de Francs CFA [2,9 millions EUR] dont 79% concernent des

entreprises nigériennes), créances qui sur les trois derniers exercices sont

passées de 102% à 291% du chiffre d’affaires.

Sur le plan technique, le document pointe l’inadéquation des équipements par

rapport à la demande du marché, la vétusté des locomotives et des machines de

manœuvre qui datent de plus de 25 ans, l’acquisition en 1994 de matériel

inadapté, l’échec de la réhabilitation de certains matériels qui s’est avérée

38 Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009, décembre 2006. 39 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 102.

Page 17: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 17

coûteuse et inefficace, la dégradation progressive de la voie ferrée sur toute la

ligne et le manque criard de rails et de traverses de réserve.

D’un point de vue économique, les auditeurs relèvent l’insatisfaction de la

clientèle, la faible capacité de transport (2,5% du trafic du Port autonome de

Cotonou) et la fuite du trafic au profit du Togo et du Ghana.

Le personnel40 n’échappe pas à l’analyse : trop nombreux par rapport au trafic

actuel (inadéquation de l’organigramme) ; engendrant des charges salariales

importantes ; présentant un taux d’analphabétisme de 75% ; démotivé en

raison des arriérés de salaire41, de la morosité de l’activité et du manque de

matériel performant.

Enfin, le plan propose une sortie de crise, avec des solutions à court terme et

d’autres à long terme42 nécessitant entre autres plus de 10 milliards de F CFA

(plus de 15 millions EUR) pour les trois premières années (2007-2009). Et

d’insister sur la nécessité que les deux États interviennent financièrement (sous

forme de prêt) parce que dans l’état actuel de l’OCBN aucune banque

n’accepterait de s’engager.

« L’exemple de la ligne Cotonou/Parakou, support de l’ouverture nigérienne, synthétise les problèmes rencontrés sur les voies ferrées africaines. (…) Le support technique ferroviaire ne répond pas aux attentes des chargeurs, à tel point que l’OCBN est actuellement dans l’obligation de signer un nombre croissant de dérogations aux transitaires, leurs permettant d’utiliser sur l’ensemble du trajet, dès Cotonou, le transport routier, dérogations qu’elle avait cherché jusqu’ici à éviter43. »

3.3. L’agence OCBN

À environ 2 km à l’ouest du cœur historique de la ville où se trouve le marché

international Arzèkè, l’agence OCBN de Parakou prend place dans un vaste

domaine rectangulaire de quelque 40 hectares partiellement clôturés, jouxtant la

route de Malanville. Elle regroupe quatre unités : la gare ferroviaire (transport

de passagers et de marchandises), la gare routière (transport de marchandises), 40 Pour être précis : 928 agents dont 47 cadres, 148 agents de maîtrise et 669 en personnel d’exécution. 41 Quatre mois en décembre 2006. 42 Détaillées dans l’annexe 3, p. 74. 43 DEBRIE Jean, op. cit., p. 154.

Page 18: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 18

le 4e district (entretien des installations fixes jusqu’à 100 km) et le dépôt

(entretien et réparation du matériel roulant). Son étendue et les services qu’elle

offre, ou qu’elle offrait pour être précis, en font la seconde implantation

ferroviaire du pays après celle de Cotonou. Y officient entre 60 et 70 salariés, et

une trentaine de tâcherons lorsque l’activité le permet.

Aucun matériel informatique n’équipe les bureaux défraîchis voire vétustes de

l’agence. Des papiers jaunis par le temps s’entassent çà et là, donnant

l’impression d’un grand désordre. Pourtant, chaque procédure fait

minutieusement l’objet de notes manuscrites dans des cahiers A5 ou dans des

carnets de formulaires pré-imprimés sur papier carbone.

Le site comprend quelques maisons de fonction de type colonial avec jardin

privatif pour le logement des principaux directeurs ; une gare pour les

voyageurs avec une salle d’attente, deux guichets, un quai de débarquement et

d’embarquement ; un poste de police ; des bâtiments administratifs ; un poste

de télécommunication ; des ateliers et une fosse d’entretien ; sept entrepôts de

stockage dotés de 25 quais pour le chargement direct sur camion ; une zone de

3.000 m² entièrement pavée pour le stockage de conteneurs ; plusieurs grues :

deux fixes de 40 et 80 t et une mobile (une Caterpillar, la plus utilisée) de 40 t.

Plus à l’est, une zone à l’abandon accueillait naguère les installations de la Nitra,

société de transit nigérienne, où quelques hangars et engins motorisés

croupissent. Plus à l’est encore, un pont-rail accueille les wagons de soufre pour

le déchargement et un pont bascule attend les camions après le chargement.

Cet impressionnant dispositif témoigne d’une intense activité, développée en

mode mineur aujourd’hui, liée essentiellement à la fonction même de la gare de

Parakou : terminus et point de rupture de charge – « une plate-forme de

transfert railroute quelquefois avec stockage intermédiaire de plus ou moins

longue durée44 » – où les marchandises venant par train du port de Cotonou

sont déchargées pour être acheminées par camions gros porteurs, les « titans »,

vers les pays de l’hinterland ; Niger pour l’essentiel, Burkina Faso, Mali et Tchad

dans une nettement moindre mesure.

« Ici, en fait, la gare se présente comme le répondant du Port de Cotonou à

l’intérieur du Territoire National. On y observe les mêmes mouvements qu’au

Port de Cotonou : mouvements de grues, mouvements de fourchettes,

44 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 106.

Page 19: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 19

mouvements de camions – chargement, déchargement. Magasins géants,

entrepôts, camions-citernes, véhicules poids lourds avec ou sans remorque ; ce

sont autant d’éléments qui frappent à la gare de Parakou.45 » Hélas, ce

commentaire de l’actuel ministre de la Défense date d’une autre époque.

45 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 4.

Page 20: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 20

La vie se divise en deux catégories : l’horreur et le malheur.

Woody Allen (« Annie Hall »)

Deuxième partie

La prière des hommes

Page 21: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 21

4. Parakou

4.1. Le peuplement

Ce sont le commerce, l’échange, le voyage et la diversité ethnique que l’on

retrouve aux fondements de la création de la ville de Parakou. Les Haoussa

(ethnie du nord du Nigeria et de l’est du Niger) traversaient la savane en quête

d’esclaves, d’or et de noix de kola ; le commerce se tenait dans des

caravansérails sous la protection de chefs de la région. Une protection rendue

nécessaire par les attaques des guerriers wasangari qui pillaient les caravanes.

Ce sont ces razzias qui ont obligé les chefs de terre de la région soutenus par le

chef du caravansérail de Parakou à offrir l’hospitalité à Yaï, un prince yoruba de

Savè choisi pour régner à Parakou.

« La sécurité une fois assurée et les raids wasangari relativement écartés, les

populations qui fuyaient le pillage pouvaient désormais trouver un refuge sûr à

"Kparaklou" (veut dire "tous les pays" en dendi [langue des Haoussa])46 ». Ce

nom est attribué à Kassi, un chasseur haoussa, qui a fondé l’agglomération en

construisant le premier édifice à l’est du marché47/48. La ville va d’abord compter

deux quartiers : Guru, celui des Bariba autour de la maison du chef, et Maro,

celui des étrangers musulmans.

Le caravansérail, au cours du 19e siècle, va donner naissance à une place

commerciale, sise sur l’emplacement du marché actuel Arzèkè, à partir de 46 OMER Thomas, Parakou et sa région, Thèse de géographie, Université d’Abomey-Calavi, 1983, p. 103. 47 CHABI IMOROU Aziz, Dynamique de l’habitat dans les quartiers périphériques de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie et aménagement du territoire, Université d’Abomey-Calavi, 2002, p 21. 48 Ce n’est pas la seule thèse en présence. Selon le géographe-aménagiste Mohamed Dramane Adam, dans « Toponymie de la ville de Parakou » in Parakou-Info spécial n°7 (mai 2005), pp. 16-17 : « D’autres, par contre, pensent que ce nom aurait pour origine le groupe de mots "Kpara-Kocou" ; de "Kpara" qui signifie en dendi ville (ou village) et "Kocou" qui vient du mot yorouba Ayé Kocou (qui signifie les hommes se refusent à mourir). D’autres encore, les Bariba pensent que le nom Parakou a pour origine le mot "Korokou" qui désignait une variété d’arbres que l’on retrouvait sur la route de Sinagourou (quartier royal). Enfin, selon une quatrième source, le mot Parakou serait venu de "Karouko" qui signifie en langue haoussa du Wangara (centre ville) : le nombril autrement dit le cœur, l’épicentre d’une grande cité ; d’une cité qui accueillera tout le monde. » Toutefois l’auteur soutient que seules deux hypothèses résistent à l’analyse : « Karouko » de résonance haoussa et « Korokou » de résonance bariba, tout en privilégiant la première : le Roi de Kpébié (quartier de Parakou) aurait demandé une prière pour que son royaume s’agrandisse à un marabout haoussa qui, au terme d’une cérémonie, aurait enterré une marmite sacrée à un endroit qu’il aurait appelé « Karouko », lieu d’où devait se développer une grande cité.

Page 22: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 22

laquelle se sont installées les vagues successives de migrants : dans un premier

temps les Bariba venus du Nigeria occidental, ensuite les Haoussa.

Avec la colonisation, Parakou accueille des Européens, fonctionnaires et

militaires, mais également des tirailleurs sénégalais et maliens dont certains

s’installent définitivement. Néanmoins, l’immigration la plus importante concerne

les Adja-Fon, populations des régions côtières et du sud du pays embauchées

comme porteurs, guides, interprètes, fonctionnaires et agents de commerce. Elle

va s’accentuer avec l’arrivée du rail en 1937 ; la ville compte alors 2.736

habitants…

Le dernier recensement de la population49 met en évidence l’accroissement de la

population urbaine (taux de croissance annuel de 3,76% pour une moyenne

nationale de 2,84%) et permet de dresser un portrait plus précis des 150.000

Parakois. Ville implantée dans l'aire culturelle musulmane, 56% de la population

y pratiquent l'Islam, pour 26% la religion catholique ; le reliquat étant constitué

des différentes formes de protestantisme, de sectes diverses et de cultes

traditionnels ; le tout dans une grande harmonie.

Population à Parakou

0

20.000

40.000

60.000

80.000

100.000

120.000

140.000

160.000

1937 1978 1980 1992 2002

No

mb

re d

'ha

bit

an

ts

Compilation de plusieurs sources.

4.2. Ville de transit

Troisième ville du pays, après Cotonou (première ville, capitale économique) et

Porto-Novo (deuxième ville, capitale politique), chef-lieu du Borgou, l'un des

douze départements béninois, Parakou est la plus grande métropole

49 Troisième recensement général de la population et de l'habitation, Institut National de la Statistique et de l'Analyse économique, octobre 2003.

Page 23: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 23

septentrionale. Ancienne ville étape pour les caravanes, elle a hérité de cette

époque de deux caractéristiques fondamentales : d'une part, celle d'une

importante ville de transit commercial ; d'autre part, celle d'une cité

extrêmement cosmopolite qui a accueilli depuis des générations nombre de

migrants. Dès ses origines, Parakou a développé un marché d’envergure

régionale sinon internationale, marché Arzèkè.

À mi-chemin entre l’océan Atlantique et le fleuve Niger, au carrefour de quatre

grands axes routiers50 (vers Cotonou, vers Kandi et le Niger, vers Natitingou et

le Burkina Faso, vers Nikki et Nigeria), Parakou bénéficie d’une situation

géographique particulière qui « confère à la ville une position stratégique

indéniable (…). Cet aspect fondamental n’a certainement pas échappé au

colonisateur, qui pour mieux contrôler les populations de la région

septentrionale et pour mieux drainer les produits, les ressources de l’arrière-

pays a voulu faire de Parakou le siège local d’un pouvoir politique, administratif

et militaire51 ». Au fil du temps, Parakou s’est imposée comme une importante

métropole économique et administrative.

Durant l’époque coloniale, l’économie de traite – l’échange de biens

manufacturés contre des produits bruts à destination de la métropole – se

développe. Parakou reste le passage obligé des produits et marchandises d’une

région à l’autre mais ce passage change d’orientation : l’axe sud/nord,

perpendiculaire à la côte, se substitue à l’axe sud-ouest/nord-est de l’époque

précoloniale et de l’économie traditionnelle, c'est-à-dire la voie caravanière

reliant Sokoto au Nigeria à Salaga au Ghana.

Comme l’a montré Issifou Kogui N’Douro52, l’urbanisation plus récente de

Parakou entretient un lien ténu avec l’arrivée du rail en 1936 et le

développement du transit. Deux quartiers portent le nom des infrastructures

ferroviaires : le quartier Alaga – déformation de « à la gare » – situé derrière les

installations de l’OCBN (à l’ouest) et le quartier Dépôt qui s’est développé face

au centre de dépôt (au nord-ouest). Le quartier Tranza doit lui son nom au fait

que la société Tranzafricaine, devenue SNTN (Société nationale des transports

nigériens), garait ses véhicules à cet endroit de la ville.

50 Depuis que la RNIE3 a été complètement goudronnée (2004 ?), Parakou n’est plus le passage obligé ni le plus rapide pour rejoindre Natitingou au départ de Cotonou. 51 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 6. 52 Op. cit.

Page 24: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 24

Angèle Atchoguedé, habitante du quartier Alaga : « Mon papa, Moïse Atchoguedé, était aiguilleur OCBN et aussi accrocheur de wagons. Il était originaire de Bohicon (à 130 km au nord de Cotonou). Il vendait des jarres à Parakou. Vers 63, on lui a proposé un travail OCBN. C’était la brousse. Il n’a pas acheté le terrain (une concession d’environ 500 m² avec cinq habitations). Il l’a défriché et a construit dessus ».

-- carte manquante --

Docteur Abou-Bakari Imorou, Parakois, socio-anthropologue : « Le train a joué un grand rôle en ce qui concerne l’installation et l’intégration des gens du Sud. Le quartier Alaga s’est créé parce que les gens du Sud avaient des difficultés à s’intégrer dans le centre de la ville. Les terrains appartenaient à des Bariba ; chez les Bariba, on ne vend pas la terre, on l’échange contre une bouteille de sodabi (alcool de palme) ou contre une amitié. Dans ce quartier, habitent surtout des gens qui ont un rapport économique avec l’OCBN. Les épouses des cheminots sont actives dans le commerce avec le Sud. Et au marché Dépôt en face de la gare (entre la gare et le quartier Dépôt), ce sont surtout des gens du Sud qui vendent des marchandises du Sud ».

Le transport par rail jusqu’à Parakou va aussi favoriser dans un premier temps

l’implantation d’entreprises commerciales dont beaucoup sont actives dans le

transit et, dans un second temps, le développement de l’industrie : usine

d’égrenage de coton (Sonapra, 1968), usine de textile (Ibetex, devenue Coteb,

1975), brasserie (Sobebra, 1981) pour ne citer que les plus importantes.

4.3. Tensions latentes, violences sporadiques

Si la ville demeure cosmopolite53 et accueillante, des tensions ethniques, parfois

violentes, apparaissent sporadiquement (mais sans commune mesure avec

certains pays voisins) comme notamment lors des élections présidentielles de

1991 qui ont vu le candidat Soglo, Fon originaire d’Abomey remporter le premier

tour face au « nordiste » Mathieu Kérékou, et durant lesquelles le quartier Alaga

s'est vidé par peur de représailles.

53 Bariba 39%, Fon 16%, Yoruba 14%, Dendi 12,5%, pour ne citer que les groupes dominants ; on y dénombre également une importante proportion d'étrangers (3,5%) : Nigériens, Nigérians, Togolais, Ghanéens, …

Page 25: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 25

« En fait, les "sudistes" venus nombreux à Parakou depuis les années 1930 pour

travailler dans les différents services administratifs et au chemin de fer étaient

généralement mieux éduqués et occupaient de meilleurs postes que les gens

immigrés des régions du Nord. Ceci a bien sûr engendré un ressentiment parmi les

paysans du Nord et cette situation a été adroitement exploitée par les politiciens

locaux (…). Dans cette "ville frontière", où nul n’a de racines locales au-delà de trois

générations, le discours ethnicisant qui trace une coupure nette entre "sudistes" et

"nordistes" constitue un trait constant de la politique locale depuis les temps

coloniaux (aucun politicien un tant soit peu ambitieux ne peut s’empêcher de jouer

sur ce thème) et il a suscité des violences occasionnelles de la part de la population

"autochtone" (c’est-à-dire "nordiste") contre des "immigrants du sud". En fait, les

Béninois du sud associent souvent Parakou à des poussées de violence à la fois

sporadiques et récurrentes, habituellement liées à une élection politique. De tels

événements sont des sortes de pogroms dirigés directement contre les membres de

la population originaire du sud.54 »

Thierry Medjotin, petit-fils de cheminot, quartier Alaga : « Les gens du Nord ne font

pas confiance à ceux du Sud parce qu’ils trouvent qu’ils dribblent vite, qu’ils sont

malins, rusés. Ce sentiment est encore plus fort à l’égard des Fon d’Abomey en

raison de l’histoire. Les rois ont vendu comme esclaves des populations du Nord, pas

seulement, mais en tous cas pas des Fon. »

Docteur Abou-Bakari Imorou, Parakois, socio-anthropologue : « Il y a une tension

qui ne s’exprime pas de façon violente. Le cliché de supériorité des gens du Sud est

une réalité. C’est dû à l’installation des colonisateurs d’abord sur la région côtière.

C’est là que les premières écoles se sont ouvertes, bénéficiant aux populations

locales avant les populations du Nord. L’école au Sud a reproduit les clivages sociaux

parce que ce sont les nobles, les riches qui y ont été. Alors qu’au Nord, c’est

l’inverse. Les nobles ont refusé d’envoyer leurs enfants à l’école des Blancs. Ce qui

induit une sorte de culpabilité aujourd’hui. Les gens du Nord estiment que ceux du

Sud sont des malicieux à qui on ne peut pas faire confiance. C’est sans doute

pourquoi on dit "les nordistes tiennent les cornes et les sudistes traient le lait", c'est-

à-dire que le pouvoir est à ceux du Nord, comme Kérékou ou Boni. »

4.4. Le marché Arzèkè et l’élite locale

Un second exemple de dissension ethnique, ou plutôt de dimension ethnique

dans un conflit politique, nous fournit un prétexte heureux pour aborder une 54 BIERSCHENK Thomas, L'appropriation locale de la démocratie : analyse des élections municipales à Parakou, République du Bénin, 2002/03, Working papers n°39b, Institut d'anthropologie et d'études africaines, Université Johannes Gutenberg de Mayence, 2005, pp. 12-13, consulté le 5 juillet 2007 sur http://www.ifeas.uni-mainz.de/workingpapers/AP39b.pdf.

Page 26: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 26

page intéressante et en cours d’écriture de l'histoire de Parakou : la

décentralisation.

Au Bénin, la décentralisation résulte du renouveau démocratique engagé en

1990 par les « Forces vives de la Nation »55. Il faudra néanmoins près de dix ans

pour que des textes législatifs (lois du 15 janvier 1999 et loi du 9 mars 2000)

traduisent en droit ce processus et que se mette en œuvre l'organisation

administrative du pays créant notamment 77 communes qui se gèrent librement

par des conseils élus au suffrage universel. Ces communes se voient doter de la

personnalité juridique, donc d'une autonomie, et se voient également attribuer

des compétences (développement économique, aménagement, habitat,

urbanisme ; infrastructures, équipements, transports ; environnement, hygiène,

salubrité) et des ressources financières. En d'autres termes, dorénavant, « l'État

exerce un contrôle de tutelle en lieu et place d'un contrôle hiérarchique56 ». En

outre, Parakou s'est vu attribuer, tout comme Cotonou et Porto-Novo, le statut

de commune à statut particulier57, un statut qui dote la « capitale du Nord » de

compétences élargies (enseignement et formation professionnelle, transport et

circulation) et de ressources financières – en principe – subséquentes.

L'enjeu de la décentralisation est triple : politique, administratif et financier. Il

s'agit de réussir, d'une part, le passage d'un système du tout à l'État à un

système de partage de pouvoir et de ressources entre l'État et les collectivités

locales et, d'autre part, le passage d'un système sans collectivités locales à un

système à 77 communes.

Sur le terrain, les nouvelles administrations communales disposent certes de

l'autonomie fiscale leur permettant de percevoir impôts directs et indirects afin

de mener leurs politiques mais elles se heurtent aux populations qui résistent à

55 Le régime de Kérékou, qui a pris le pouvoir par les armes en 1972, proclame en décembre 1989, de son plein gré !, l'abandon du marxisme-léninisme et annonce la tenue d'une Conférence nationale des Forces vives de la Nation. Celle-ci s'ouvre le 19 février 1990 et amorce l'installation pacifique et la gestion d'une démocratie réelle qui perdure toujours. On retiendra que le Bénin, avec sa Conférence nationale des Forces vives (durant laquelle Kérékou se confessera publiquement… et sera acclamé !) a, selon Philippe David (Le Bénin, Éditions Karthala, Paris, 1998, p. 69), « inventé une procédure politique originale qui va faire florès, qu'on lui enviera et qu'on se pressera d'imiter au sud du Sahara avec des fortunes diverses. » 56 SAWADOGO Raogo Antoine et SEBAHARA Pamphile, "Historique de la décentralisation au Burkina Faso" in Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso, Pierre-Joseph Laurent (éd.), Bruylant-Academia, Louvain-la-Neuve, 2004, p. 60. 57 Loi n°98-005 du 15 janvier 1999 ; pour être reconnue commune à statut particulier, il faut remplir trois conditions : avoir une population d'au moins 100.000 habitants ; s'étendre sur 10 km ; disposer de ressources budgétaires suffisantes pour faire face aux dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Page 27: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 27

ce changement, provoquant nombre de difficultés budgétaires. En outre, les

transferts financiers de l'État aux collectivités locales ne leur garantissent pas un

appui suffisant pour le développement de leurs politiques. Enfin, les nouvelles

communes souffrent d'un manque de ressources humaines aptes à assumer les

missions nées de la décentralisation.

La décentralisation, nouveau credo des bailleurs de fonds58, repose sur le

postulat de l'effet démocratisant c'est-à-dire que les élites locales, jusqu'alors

écartées du pouvoir, une fois légitimement élues mobiliseront les ressources

locales et contribueront au développement économique de la commune par une

saine gouvernance. Comme l'écrit Thomas Bierschenk, « le petit nombre

d'études empiriques disponibles ne partagent pas exactement l'optimisme des

bailleurs quant au déclenchement d'un cycle vertueux entre démocratie,

gouvernance et développement à l'échelon local59 ».

Si le processus demeure inachevé, il n'en demeure pas moins qu'il a entamé une

transformation radicale du paysage politique, économique, social et administratif

du pays. Avec un enjeu énorme puisque le « Bénin (est) l'un des rares pays

d'Afrique que l'on puisse qualifier de démocratie modèle60 ». D'ailleurs, il n'est

pas un maquis (restaurant populaire) où, chaque jour, les Béninois ne

s'enorgueillissent pas d'une réelle culture de la démocratie en discutant, avec

passion parfois mais toujours librement, des aléas de la vie politique nationale

ou régionale, s'affichant clairement partisans ou opposants du président Boni.

C’est dans ce contexte totalement nouveau que le conflit va surgir. Il oppose

deux big men locaux61 : le maire élu aux élections communales de décembre

2002 (mars 2003 pour le second tour), Rachidi Gbadamassi, à son rival pour le

fauteuil mayoral, un dénommé Moutari. Le premier sera donc élu, tandis que le

second exerce la présidence de la SGMP, la société de gestion du marché rénové

Arzèkè dans laquelle la ville possède un quart des parts. La SGMP ne dispose

que de peu de manœuvre dans la mesure où le bailleur de fonds de la

rénovation, l’AFD (Agence française de développement) lui impose de fixer des

loyers suffisamment élevés pour couvrir ses frais ; « les commerçants taxèrent

la société de gestion d’exploiteuse, estimant que le prix exorbitant des loyers les

empêchait de faire de bonnes affaires, tandis que celle-ci s’abritait derrière les

58 Au Bénin, la décentralisation est essentiellement appuyée par l'Allemagne et la France. 59 BIERSCHENK Thomas, op. cit, p. 2. 60 BIERSCHENK Thomas, op. cit, p. 1. 61 Sur les big men, voir LAURENT Pierre-Joseph, « Le big man local où la "gestion coup d'État" de l'espace public » in Politique africaine, n°80, décembre 2000, pp. 169-181.

Page 28: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 28

contraintes imposées par le contrat et le fait que les actionnaires avaient

certainement investi dans ce projet afin d’en tirer un bénéfice. Relevons que

Gbadamassi, lors de la campagne avait promis de diminuer les tarifs de la

SGMP… Des manifestations houleuses, faisant circuler des slogans appelant à la

justice sociale, orchestrées par les commerçants mais conduites par des jeunes

hommes disponibles, furent l’une des expressions du conflit. On recourut à des

arguments ethniques (les commerçants dendi accusèrent à un moment la

société de gestion d’être dirigée par des Bariba)62. » Comme l’a montré Abou-

Bakari Imorou63 :

« Les lieux communs sur le caractère référentiel du mot étranger pour trancher

une dispute ou pour amener les acteurs à se positionner en faveur de telle ou telle

partie sont réguliers à Parakou (…). Il n'est pas toujours facile de dire qui est

autochtone à Parakou. » Néanmoins, in fine, l’option retenue quant à l’attribution

des places au nouveau marché a « donc été celle de ne pas opter pour un schéma

qui va avantager les étrangers. (…) Toujours est-il que les étrangers n'ont pas pu

avoir officiellement de place. Les Nigériens sont restés sur le site provisoire et les

ressortissants du Sud au marché Dépôt. (…) A ce niveau du jeu de l'autochtonie,

ce sont les traditionnels étrangers à savoir les sudistes et les expatriés qui ont été

victimes de la gestion en faveur des autochtones. (…) La ville est caractérisée par

la facilité qu'ont les leaders à mobiliser les populations autour d'arguments

ethniques. La situation apparaît telle qu'une fois l'argument ethnique caduc, il

devient presque impossible de mobiliser les acteurs autour d'une même cause. On

peut se demander quelle règle déterminera le jeu politique local.64 »

Revenons au conflit et à la nouvelle classe de dirigeants politiques amenée à

faire ses preuves en matière de bonne gouvernance. L’affaire va aboutir au

tribunal où, en première instance, Moutari obtiendra gain de cause… avant de

décéder mystérieusement – aucune mort n’est naturelle au Bénin… - quelques

jours seulement après l’issue du procès (septembre 2003). Toujours résolu à

faire baisser les taxes de la SGMP, le maire maintient ses pressions à l’égard de

la direction de la société de gestion allant jusqu’à s’approprier par la force les

clés du marché. Aussi, un arrêt de la cour d’appel de Parakou (février 2005)

condamne « la mairie de Parakou à payer à la SGMP la somme de soixante

millions de francs à titre de dommages intérêts et à la remise des clés du

62 BIERSCHENK Thomas, op. cit, p. 31. 63 «Dynamique des pouvoirs locaux liés à la gestion du Marché Central de Parakou», Le bulletin de l'APAD, n° 19, Les intéractions rural-urbain : circulation et mobilisation des ressources, mis en ligne le 24/07/06, consulté le 25 juillet 2007 sur http://apad.revues.org/document436.html. 64 IMOROU Abou-Bakari, op. cit.

Page 29: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 29

marché Arzèkè de Parakou à ladite société65. » La veille d’un nouveau procès (le

6 novembre 2005), le président de la Cour d’Appel de Parakou, le juge Coovi,

chargé de diriger les débats et par ailleurs menacé dans le cadre du dossier

Arzèkè, est retrouvé assassiné, « le corps à peine brûlé coincé dans la malle

arrière de son véhicule Terrano 4x4 de commandement, son sexe martyrisé, une

blessure à la nuque66. » Gbadamassi, principal suspect, sera incarcéré durant

plus de cinq mois67 et destitué ; un arrêté préfectoral nommera Adambi, premier

adjoint de Gbadamassi, maire de Parakou (25 janvier 2006).

5. Le culte des aînés

Au quartier Alaga, j’ai rendez-vous avec Marcel de Souza, 83 ans. Le « vieux »,

comme on dit ici avec respect, est président de la section de Parakou de l’ACR,

l’association des cheminots retraités. Après 32 années passées comme agent

comptable d’abord au Réseau Bénin–Niger, puis à l’OCBN, Marcel de Souza

regrette, comme tous, la situation actuelle. D’autant que lui, il a connu l’âge d’or

du chemin de fer.

Le lendemain, j’assiste à la réunion mensuelle de l’assemblée de l’ACR. Une

vingtaine d’hommes et quelques femmes y participent, à l’ombre des manguiers,

dans la cour du président de Souza. Debout, face aux membres assis sur de

petits bancs de bois, le « ségé68» Vincent Agossou, la mine sérieuse, alternant le

français et le fon, retrace durant de longues minutes l’histoire de l’OCBN et

dresse le bilan d’une situation morose. Ensuite, avec solennité, il entame

patiemment la longue lecture d’un document69 qui replonge ces anciens en

octobre 1947, quand a débuté « la grande grève historique de cinq mois et dix

jours70 » des cheminots noirs de l’AOF. Je découvre, à cette occasion, un

65 OLOWO Venceslas, « Affaire SGMP et mairie de Parakou : Le flou s’installe à nouveau » in Le Matin, consulté le 26 juillet 2007 sur http://www.sonangnon.net/actualites/2005/avril/intmatin0704_3.php. 66 KPOCHEME Franck, « Affaire assassinat du juge Séverin Coovi : Comment Gbadamassi a été libéré provisoirement » in Le Matinal du 24/04/06 consulté le 26 juillet sur http://www.africatime.com/Benin/nouvelle.asp?no_nouvelle=252226&no_categorie= 67 Aujourd'hui en liberté mais toujours prévenu. 68 Secrétaire général. 69 OCBN, Mémoire sur la grève historique de 5 mois 10 jours des cheminots africains de l’ex-AOF (10 octobre 1947 – 18 mars 1948). Commémoration du 50e anniversaire à Cotonou les 16 et 17 avril 1998. 70 « La grande grève historique de cinq mois [prononcer sin mois] et dix jours », cet ensemble de mots répété à l’envi et toujours avec solennité revêt un caractère incantatoire.

Page 30: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 30

épisode peu connu de l’histoire coloniale française, mais un épisode fondateur

de l’Afrique de l’Ouest moderne !

« Ainsi la grève s’installa à Thiès. Une grève illimitée qui, pour beaucoup, tout au long de la ligne, fut une occasion de souffrir, mais, pour beaucoup aussi, une occasion de réfléchir. Lorsque la fumée s’arrêta de flotter sur la savane, ils comprirent qu’un temps était révolu, le temps dont leur parlait les anciens, le temps où l’Afrique était un potager. C’était la machine qui maintenant régnait sur leur pays. En arrêtant sa marche sur plus de quinze cents kilomètres, ils prirent conscience de leur force, mais aussi conscience de leur dépendance. En vérité, la machine était en train de faire d’eux des hommes nouveaux. Elle ne leur appartenait pas, c’était eux qui lui appartenaient. En s’arrêtant, elle leur donna cette leçon.71 »

71 SEMBENE Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, Pocket, Paris, 1971 (première édition en 1960), p. 63.

Page 31: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 31

5.1. La grande grève historique

La grève trouve son origine dans la frustration des auxiliaires ferroviaires de

l’AOF qui, à l’inverse des agents français, ne disposaient ni d’allocations

familiales ni de retraite « ni de sécurité d’emploi car leur décision ou note

d’embauche portait généralement la mention de "Situation précaire et

essentiellement révocable". Le leitmotiv était donc, à compétence égale salaire

égal72. »

Face à la direction de la Régie des Chemins de fer de l’AOF qui refuse les

revendications des cheminots auxiliaires (cadre unique à tous les agents,

revalorisation des salaires, paiement des allocations familiales, octroi de la

retraite) et adopte une attitude peu constructive, les leaders syndicalistes

décident après quelques mois de négociations infructueuses de cesser le travail.

Dès le 10 octobre 1947, plus aucune « fumée de la savane » ne va parcourir les

réseaux Dakar–Niger, Conakry–Niger, Abidjan–Niger et Bénin–Niger :

20.000 cheminots se croisent les bras.

« La guerre des œufs contre les cailloux73 » va s’éterniser. Non sans

conséquences. Dans les zones rurales, les grévistes et leur famille souffrent

d’isolement et de famine en raison de la rareté de l’approvisionnement en vivres

et en eau potable. Des meneurs syndicalistes sont arrêtés et jetés en prison. Les

populations se divisent sur la pertinence de la grève et ses effets dévastateurs.

Des bagarres éclatent, des règlements de compte s’organisent et endeuillent

nombre de familles. « Les gens eurent faim, certains grévistes virent même

leurs épouses s’en aller abandonnant le domicile conjugal74 ; ce fut la désolation

dans les foyers75 » mais ni cela ni « les intimidations des autorités ferroviaires,

les tracasseries policières et administratives, les arrestations et les

condamnations arbitraires, l’indifférence et les moqueries de certains

72 OCBN, op. cit., p. 6. 73 Comme l’une des protagonistes du roman de Ousmane Sembene qualifie la grève. 74 Dans son roman Les bouts de bois de Dieu, Ousmane Sembene insiste lui davantage sur le rôle émancipateur de la grève pour les femmes, pour la plupart soutien inconditionnel des grévistes : « Le retour des marcheuses a été bien accueilli, mais les hommes ont du mal à les dompter. Moi-même au début, elles venaient m’assaillir comme des lionnes, elles voulaient tout commander ! Enfin tout est rentré dans l’ordre (…) Mais à l’avenir il faudra compter avec elles. » (p. 348). 75 OCBN, op. cit., p. 21.

Page 32: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 32

fonctionnaires de l’administration locale ne désarmèrent pas les cheminots

grévistes76 ».

— Deune, ta femme te fait savoir que tout va bien. — Savez-vous ce qu’elle m’a dit, avant-hier ? … « Si tu reprends le travail sans les autres, je te coupe le machin ! »77

La France tentera une parade par l’envoi d’agents de la SNCF, mais « les

mécaniciens européens supportèrent très difficilement la chauffe de bois.

Quelques rares trains mis en circulation n’atteignirent Parakou que plusieurs

jours après leur départ de Cotonou. La circulation fut quasi nulle jusqu’à la fin

de la grève. Les voyageurs se solidarisèrent avec les grévistes car tous les trains

circulèrent sans voyageurs à bord78. »

Face à la détermination des cheminots de l’AOF et du soutien de leur famille,

l’administration coloniale cèdera le 18 mars, après cinq mois et dix jours d’une

grève historique, sur l’ensemble des revendications : salaires revalorisés avec

effet rétroactif, allocations familiales, gratuité des soins médicaux, retraite

garantie. « Dans tous les chemins de fer de l’AOF et même de l’AEF, le

Dahoméen n’était plus perçu comme le fidèle auxiliaire du colon mais désormais

comme un digne travailleur africain à parts entières et chez lui.79 » Ce nouveau

statut des cheminots noirs annonce celui d’un continent tout entier, affranchi de

sa tutelle coloniale80.

76 OCBN, op. cit., p. 19. 77 SEMBENE Ousmane, op. cit., p. 76. 78 OCBN, op. cit., p. 27. 79 Ibidem, p.34. 80 Sur le train comme outil politique, d’émancipation sociale ou de confrontation, on lira avec intérêt Michel Agier et sa description des trains des ghettos (inspirée de Gordon Pirie, « Travelling under Apartheid » in The Apartheid City and Beyond, Routledge, London, 1992) : « Niches d’apartheid en mouvement, les trains transportaient chaque jour un million et demi de voyageurs depuis les townships noirs vers les grandes villes d’Afrique du Sud. (...) Dans les années 1980, des comités de train se formèrent pour organiser les boycotts, des journées de protestation, et pour le soutien à des mouvements de grève. Lors des périodes d’état d’urgence, certains trains devinrent des lieux clandestins de réunion politiques. (...) Selon un syndicat, durant l’année 1989, la police aurait arrêté 450 voyageurs à la sortie des trains, coupables d’y avoir chanté des chants de liberté. (...) Par une remarquable perversion, les trains furent utilisés pour miner les bases de l’apartheid au lieu d’assurer simplement leur service et leur rôle de ségrégation. (...) C’est dans les structures de l’apartheid elle-même, matérielles (trains) et sociales (ségrégation résidentielle de la population noire) que sont nées la solidarité, la mobilisation et l’action politique qui contribuèrent amplement à l’élimination de l’apartheid. (...) Entrer dans le train pour un trajet d’une heure vers la ville, ce n’était plus tout à fait entrer dans une niche de l’apartheid

Page 33: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 33

5.2. Le 59e anniversaire

Le lundi 19 mars, l’ACR me convie à la fête de commémoration de la « grande

grève historique » qu’elle organise pour ses membres dans le jardin du vieux de

Souza. Près de la maison principale, des femmes s’activent autour de brasiers

sur lesquels bouillonnent de grandes marmites. Il est 8 h 00 et la température

commence déjà à grimper. Après la messe célébrée en ville tôt le matin81, la

cour s’agite. Une quarantaine de membres, majoritairement des hommes mais

je compte également une dizaine de veuves de cheminots, ont pris place sur les

bancs disposés en « U » face à la table présidentielle, nappée et garnie de fleurs

en papier, qui accueille les membres du bureau.

Le « ségé » prend la parole. Il rappelle – en fon – que tous ne sont pas en ordre

de cotisation, ce qui génère quelques réactions. Une voix grave et forte avertit

en français : « À votre attention, le président vous parle ! », entraînant dans

l’assemblée quelques vifs « Écoutez !, Écoutez ! ». Le vieux de Souza adresse

alors un mot de bienvenue, salue protocolairement ma présence tandis que trois

participants servent un apéritif : un sachet de biscuits pour chacun, du gin pour

les responsables, du sodabi pour tous les autres. Un photographe, mandé par

l’ACR, a rejoint la fête pour « prendre des vues ».

Acclamés par des « Alléluia ! », des applaudissements et des cris de joie

stridents, deux membres de l’ACR viennent déposer sur la table la maquette –

délicatement sortie des tissus protecteurs qui l’enrobaient – d’un autorail Soulé,

« une maquette réalisée par des enfants de cheminots » me confie le président.

L’assistance s’anime quelque peu. On sert des bières et des « sucreries »

(limonades). On remplit successivement les assiettes de viande, de riz au chou,

de poisson, d’akassa, d’amiowo (pâte rouge de maïs et d’huile de palme)… Les

circulant du township à la ville, c’était s’engager dans une situation d’anti-apartheid clandestin » (in L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Éditions des archives contemporaines, Paris, 1999, pp. 74-77.) 81 Une cérémonie musulmane eut lieu la veille mais les membres de l’ACR sont très majoritairement catholiques (environ 90%).

Page 34: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 34

appétits sont féroces malgré la chaleur et le manque d’air (ou serait-ce déjà

l’effet du gin ?). Plusieurs femmes, avec une relative discrétion, emballent une

partie du festin dans un sachet plastique noir pour l’emporter et le partager en

famille plus tard. Une maman plus âgée chahute davantage que les autres,

cherchant à se faire servir du gin, puis tentant de dérober une bière… tout en

rendant de Souza furieux.

Peu après 11 h 00, la fête arrive à son terme. Le président remercie l’assemblée

pour sa présence avant que tous, religieusement, n’entament une prière en fon,

suivie d’un Notre père et de deux Je vous salue Marie en français. Avant de

quitter les lieux, chacun serre la main des autres participants en leur souhaitant

« la paix du Christ ».

6. Les cheminots

« Dans le cadre de la mise en œuvre des instructions du Chef de l’État relatives à la

gestion optimale du temps de travail dans l’Administration Publique Béninoise, il est

rappelé aux agents qu’en dehors du respect strict des horaires de travail qui sont de

8 h 30 à 12 h 30 le matin et de 15 h 00 à 18 h 30 l’après-midi, les temps de visite de

leurs parents et amis sont fixés entre 11 h 30 et 12 h 30 le matin et 17 h 30 et

18 h 30 l’après-midi. » Ministère des Transports et des Travaux publics. Février

2007.

Cette note, collée au tableau d’affichage, à côté du bureau du chef frais de

tonnage, lieu de passage du personnel, n’a pas été lue par les agents que je

questionne et dont les bureaux se trouvent à quelques mètres à peine. Certains

même la découvrent. Dans une certaine mesure, elle éclaire sans doute les

propos du directeur de cabinet du même ministre : « le redressement de l’OCBN

n’est pas l’affaire du directeur général seul. Il dépend aussi des cheminots eux-

mêmes82 » ; ou ceux du directeur général de l’OCBN83 : « Pour redresser la

situation, la chose la plus importante, c’est la prise de conscience des cadres. »

Monsieur Saley Yataga, directeur de l’agence OCBN à Parakou, me reçoit chaque

jour près d’une heure, sans rendez-vous. Mes visites semblent le divertir.

82 SEWADE Bruno, « Changement à la tête de l’OCBN, objectif : remettre les trains sur les rails » in La Nation, 14/12/2006 consulté le 9 juillet 2007 sur http://beninhuzu.org/2007/spip.php?article451&var_recherche=OCBN. 83 Rencontré à Cotonou le 2 avril 2007 (voir infra).

Page 35: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 35

Nigérien, musulman, homme d’une cinquantaine d’années frisant les deux

mètres, toujours souriant, il me questionne plus qu’il ne répond à mes

questions. Un vendredi, je le surprends assis à son bureau lisant Marketing &

Management, bien qu’il m’affirme être venu mettre de l’ordre dans ses papiers ;

il prépare un bac+4 car « le projet de port sec sur Parakou m’incite à être

davantage diplômé ». Un autre jour, il m’emmène sur le site de l’agence et me

fait visiter les différentes installations (dont le poste radio, en charge du suivi

des camions) ou me demande de bien vouloir corriger un rapport de visite de

l’Inspection des Douanes… Un autre jour encore, je le retrouve studieux

parcourant une nouvelle fois son manuel de marketing et de management. Bien

que ma présence soit officieuse – il attend une réponse de Cotonou pour

m’autoriser à effectuer mon « stage » –, Saley Yataga me permet de lire

certains documents. Sa posture à elle seule révèle l’état de l’activité ferroviaire à

Parakou : nulle la plupart du temps, faible lorsqu’un train marchandises arrive

en gare.

6.1. Sirène et frémissements

Certes, lorsque la BB 618 s’annonce à grands coups de sirène en franchissant la

barrière métallique de l’entrée du domaine, la fourmilière s’agite un peu ; un

frémissement s’observe. La locomotive s’immobilise à hauteur du bureau du chef

de gare ; le machiniste descend quelques colis privés de la cabine ; deux

fonctionnaires s’attaquent aux vérifications d’usage : nombre de wagons,

tonnage et contenus. Rien d’anormal, rien ne manque : le convoi repart pour

une centaine de mètres. La locomotive se défait de ses wagons – trois wagons

« PV », pour petite vitesse c’est-à-dire des marchandises de détails, sept

wagons de sacs de riz et quatre citernes d’hydrocarbures à destination de la

Sonacop – pour se garer sur la fosse, au dépôt, où un mécanicien entame un

entretien sommaire.

L’« entretien » terminé, un conducteur-mécanicien, Prospère Agbodouama,

prend le relais et m’invite à bord pour le triage des wagons. Durant près d’une

heure, je participe à la mise en place des wagons à décharger et à l’agencement

du prochain convoi. Sur la passerelle latérale de la machine, à l’extérieur, un

assistant enclenche au signal du conducteur la marche avant ou la marche

arrière à l’aide d’un bâtonnet de fortune d’une cinquantaine de centimètres « car

la commande manuelle du poste de conduite ne fonctionne plus ». Accrochage.

Marche arrière. Marche avant. Décrochage. Etc.

Page 36: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 36

Le train quitte Parakou à destination de Cotonou environ cinq heures après son

arrivée, non sans être passé à la Sonapra pour y accrocher quelques wagons de

coton.

À la gare durant ce temps, les particuliers entament les démarches de douane

pour récupérer leurs colis auprès du chef « arrivage PV ». Une douzaine de

porteurs OCBN s’activent sur le quai afin de charger les marchandises des

particuliers – bidons de sodabi, nattes en bois, fûts de lubrifiants, caisses

diverses… – dans des « taxis-ville » (des R4 ou des 504 bâchées), sur des

charrettes tirées par des « pousse-pousse man » ou sur des zems qui durant

plusieurs heures offrent un agréable ballet. Les clients patientent, s’organisent,

râlent ou se laissent tenter par une boisson fraîche, un akpan ou des beignets

proposés par les quelques vendeuses ambulantes qui se sont installées pour la

journée.

Isidore Dagbeji, chauffeur à la gare des taxis-ville dans l’enceinte de l’OCBN :

« Aucun autre taxi ne peut venir charger à la gare. Avant, il y a avait 20 taxis-ville

ici, maintenant c’est à peine six ou sept. Aujourd’hui, c’est une très bonne journée,

j’ai fait cinq voyages. Parfois, c’est zéro voyage même si c’est rare fois. Quand c’est

trois, c’est bien. Certains taxis ont fait un ou deux voyages seulement aujourd’hui.

Les trois wagons sont vides mais il y a des propriétaires qui ne sont pas encore

venus chercher leurs marchandises. La gare est foutue. Rien ne marche et ils sont

en train de dire que tout va marcher. »

Coïncidence en ce jour d’activités ferroviaires, le client nigérien, les

établissements Moussa Larabou qui importe du riz thaïlandais, a payé à l’OCBN

un important montant afin que lui soit livré 300 t stockées dans le magasin H.

L’opération hirondelle s’est remise en branle : dix camions, inscrits en ordre utile

auprès du chef frais de tonnage ont été sélectionnés pour se rendre à Niamey ;

sept « RB » et trois « RN » selon une règle internationale de transit. Trois

« titans » se sont présentés au quai de chargement où, sous la double

surveillance d’un agent de l’OCBN et du transporteur, au pas de course, charge

sur la tête, pieds nus ou en sandalettes, par plus de 40 °C, des tâcherons

alignent sur le camion 15 rangées de 40 sacs de 50 kg en moins d’une heure.

Trois autres « titans » viennent alors se placer pour un second chargement.

Ainsi de suite.

Page 37: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 37

6.2. L’attente

Mais dans l’intervalle, durant les trois à cinq jours sans train, que faire ? Au

guichet n°2, celui où l’on vend les billets pour les passagers en « 1ère classe

toute destination et en 2e pour Cotonou uniquement », un homme, la

cinquantaine, m’intrigue. À son poste chaque jour malgré l’absence de l’autorail

depuis des mois. Généralement recroquevillé sur sa chaise, derrière son bureau,

il écoute un minuscule transistor, un stylo bille à la main et tripote sans cesse la

couverture d’un grand registre devenu inutile. « Les bons jours la recette

pouvait monter jusqu’à un million de F CFA (1.500 EUR), mais ça peut aussi être

500 ou 600.000. Ça va reprendre. Tu viens ici, tu ne fais rien. Faut être triste »,

me dit-il.

Ce sentiment, « l’OCBN va redevenir l’OCBN », est partagé par tous les agents.

Attitude somme toute normale de la part de fonctionnaires parmi les mieux

payés du pays. À l’apparence seulement… Les traitements ne sont plus versés

depuis quatre mois. Mais, comme l’affirme avec force Pierre Gandjo, chef

manutention, « comme nous sommes à notre poste, les salaires seront versés ».

Premier paradoxe : ouvriers et employés prestent (mais sans réellement

travailler la plupart du temps) afin de percevoir un salaire… qu’ils ne touchent

pas ! Second paradoxe : aucun ne montre l’envie de se révolter ou de mener

des actions syndicales « parce que de toute façon il n’y a plus rien dans la

marmite », « on sait qu’il n’y a pas d’argent pour nous payer ».

Pierre Gandjo, chef manutention, sur l’impact familial et économique du non

versement des salaires : « Ça dépend d’une personne à l’autre. Chacun se

débrouille à sa manière. Soit en faisant un petit quelque chose en dehors du

service comme ceux qui ont un diplôme de soudeur. D’autres ont un petit capital

qu’ils gèrent avec leur femme. Moi je suis fils de paysan, donc je me donne aux

activités champêtres durant la saison des pluies. À des autochtones (lui est

originaire de la région de Bohicon), j’ai reçu une parcelle sur laquelle je peux

cultiver. C’est à 4 km de chez moi. Je ne paye pas mais quand la récolte est

terminée, je fais un cadeau au propriétaire en donnant soit de l’arachide, du maïs,

de l’haricot ou du manioc. Si je me donne à ces activités, c’est parce que j’ai une

grande famille : deux femmes et dix enfants. Je n’y vais pas en semaine mais je

paye parfois des manœuvres. À ce jour, j’ai plus de six mois de repos à cause des

heures supplémentaires. L’an dernier, on m’a donné cinq mois de repos (payés). Je

suis resté à la maison et toute la saison des pluies je me suis occupé des

champs. »

Page 38: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 38

Pierre Gandjo habite le quartier Gannon (6 km au sud-ouest du centre) : « Ceux

qui habitent à Alaga, c’est parce qu’ils ont des parents cheminots qui habitaient là-

bas. Autour de la maison, on cultive également le piment, le gombo, la tomate.

Une femme s’occupe des enfants et vend les légumes devant la maison. L’autre fait

un petit commerce en ville. Elle vend de l’essence frelatée venant du Nigeria qu’elle

achète à un grossiste à Parakou. Pour la viande, je peux compter sur un petit

élevage domestique : environ vingt coqs, une quarantaine de pigeons, très peu de

moutons, huit environ. Et quand j’ai besoin d’argent en poche, je vends un

mouton. Avant, quand il y avait le salaire, je n’avais pas de problème. Parfois, je

suis obligé d’emprunter quand un enfant est malade ou qu’il y a un décès. Je me

débrouille en attendant que la situation soit meilleure. »84

Le marasme que connaît l’OCBN aurait entraîné une recrudescence des vols à

l’intérieur même de l’agence. Au point que le directeur, Saley Yataga, ait dû

réagir en imposant de nouvelles procédures85 notamment en ce qui concerne les

magasins de stockage : un agent de la police doit être présent à chaque

ouverture et fermeture de porte et signer un court procès verbal ; les clés étant

consignées au poste de sécurité dans un coffre métallique et accessibles

uniquement en présence du chef transit. Mais « les vols continuent, m’affirme

un cheminot, il y en a encore beaucoup. La pompe qui servait à extraire le

gazole de la citerne a été volée. C’est une machine qui coûte des millions. Je

pense que c’est un agent de l’OCBN car la machine était enfermée et qu’il fallait

connaître le terrain. Le « titan » qui est à l’entrée de la gare tout près du poste

de police, il n’était pas là avant. Il était au dépôt mais on a volé un alternateur

complet ». Un cadre me confirme : « Les vols au dépôt, c’est forcément des

gens de l’intérieur puisque c’est dans des locaux fermés. »

Dans l’enceinte OCBN, aux abords du petit rond-point qui fait face à la gare,

trois établissements privés se sont installés : une cabine téléphonique, où une

vendeuse propose également de l’eau Alafia, fraîche et saine, en pochette

plastique de 50 cl et des cartes prépayées pour GSM, un maquis et un atelier de

tournage, ajustage et soudure. Ces trois commerces ont pour propriétaires des

agents de l’OCBN. La présence de l’atelier, elle, n’est pas sans poser problème.

Sis à moins de 100 mètres des installations du district (qui, pour rappel, gère

l’entretien des installations fixes, donc dispose d’outillage) et propriété du chef

84 Début août, Pierre Gandjo m’a adressé un courrier : « Nous sommes à cinq mois d’arriérés de salaire. (…) Quant à mes activités champêtres, rien n’a marché cette année. La saison des pluies a été entrecoupée par une saison sèche qui a évidemment séché toutes les cultures. Je traverse actuellement les moments les plus difficiles de mon existence. » 85 Il a adressé le PV de la réunion ainsi qu’une lettre au directeur général à Cotonou, le 27 février, restée sans réponse.

Page 39: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 39

district lui-même, il enquiquine jusqu’au directeur d’agence qui ne sait trop

comment mettre un terme à une situation que lui-même juge ambiguë.

La rumeur veut que l’OCBN soit une entreprise où la pratique du vodoun (culte

vaudou) a toujours excellé. Il se raconte nombre d’histoires d’envoûtement qui

trouvent leur origine dans la jalousie entre collègues.

Marcel Soumenou, journaliste : « Il y avait beaucoup de jalousie. C’est connu.

Quand quelqu’un réussissait, il était victime d’envoûtement, on sabotait sa

machine, on volait des pièces importantes. Un oncle qui travaillait à l’OCBN disait

qu’il fallait mettre de côté la moitié de son salaire pour payer les gris-gris et les

protections. »

En tout état de cause, l’oisiveté et la précarité engendrées par « la misère des

machines » pourraient raviver les tensions et exacerber les rites occultes. Sujet

délicat… Je rencontre un mécanicien bientôt « dégagé » (à la retraite), Justin

Amoussou, un parent de mon informateur, « apeuré qui craint beaucoup les

envoûtements » :

« La pratique de la magie est fort développée ici. Il y a beaucoup de jalousie. Si tu

es bien dans ton travail, on peut chercher à te faire du mal. » À propos d’un

collègue : « Il a été envoûté quand il a voulu quitter sa femme, c’est la mère de sa

femme qui a fait ça. C’est une sorcière. Il a pris des congés pour se soigner à

l’hôpital mais ça n’a servi à rien. Même les médicaments traditionnels n’ont rien

donné. » À propos d’un autre collègue : « Parfois, il ne se sent pas bien, sa tête

gonfle, son corps change, il attrape des boutons. La maladie est provoquée par la

belle-mère. Cette femme a dérangé (envoûté) sa propre fille parce qu’elle ne

voulait pas qu’elle épouse cet homme. »

Il m’explique que, pour éviter tout problème pour lui, sa femme et ses enfants, il

ne dit rien s’il voit des vols ou des membres du personnel qui ne travaillent pas

correctement, en ajoutant que « c’est ça aussi qui a contribué à ce que l’OCBN

soit dans cet état ».

Un cadre me confie qu’« en 22 ans, je n’ai jamais vécu la situation. C’est plutôt

la vieille génération. Et puis qui voudrait ma place ? Avec plus de travail et plus

de responsabilités alors que les salaires ne suivent pas ! », reconnaissant

implicitement qu’il connaît les motivations des pratiques vodoun.

« On n'a pas besoin d'une loupe pour constater [que] 800 agents ploient sous le

poids de l'âge. Parfois payés en retard ou du tout pas. La plupart s'en sont remis à

Page 40: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 40

l'alcool. Et il est un secret de polichinelle qu'il y a assez de médisances, de coups

bas et surtout comme nous sommes en Afrique, notamment au Bénin, des

pratiques occultes qui ont cours dans cette structure. Des décès mystérieux sont

souvent enregistrés.86 »

Je n’en saurai pas davantage.

7. Le malheur des uns…

« Pour qui a voyagé une fois en train, connaît la sensation ; des couples, des

amitiés se sont nouées dans les Wagons, puisque, c'était des heures de voyage,

assis côte à côte, ou l'un face à l'autre87. » Pour autant, l’amour des Béninois

pour leur train n’a rien de… gratuit. Au contraire, un trajet en seconde classe fut

bien souvent l’occasion d’une modeste épargne. Une épargne légale pour les

bénéficiaires de « permis », c'est-à-dire les agents et leur famille mais

également les retraités et leur famille. Une épargne illégale pour les fraudeurs

de toutes sortes : « Il a été accordé à tout le personnel de voyager et de faire

voyager leur famille, notamment les enfants qui n'ont pas 18 ans sans frais.

Mais très tôt, la faveur a pris d'autres tournures ; les neveux, les nièces, les

cousins, les cousines et même les amis ont commencé par en bénéficier. Du

directeur au tickettier, le code était connu. "Telle personne assise dans le

2e wagon non loin des toilettes, ne lui demande rien, c'est un proche, on se

verra après. Est venue ensuite, la période des faux voyageurs et enfin la goutte

d'eau qui a fait déborder le vase, fut la magouille au niveau des responsables au

sommet. Ainsi, des amis de familles d'agents travaillant à l'OCBN ont voyagé

pendant plusieurs années sans rien payer88". »

Saley Yataga, directeur de l’agence OCBN à Parakou : « Les retraités ont droit à

douze permis (gratuité), les femmes aussi douze permis et les enfants ont douze

permis également. Quand les douze permis sont épuisés, il y a encore douze

permis à demi-tarif. »

Vincent Agossou, secrétaire général de l'ACR : « Nous, cheminots, avons de la

peine parce que nous avons des coupons pour le train. Mais maintenant on doit

86 AMOUSSOU Arnaud, « Renouveler le personnel de l’Ocbn avant même l’achat d’autres Wagons » in Fraternité, 11/07/07, consulté le 15 juillet 2007 sur http://fr.allafrica.com/stories/200707110417.html. 87 Ibidem. 88 AMOUSSOU Arnaud, op. cit.

Page 41: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 41

prendre les cars et nos femmes aussi souffrent. On n’a pas d’argent pour aller à

Cotonou. »

Dieudonné Hountondji, commerçant, petit-fils d’un chef menuisier de l’OCBN : « Tu

sais, un contrôleur peut avoir quatre femmes… »

S’il m’est impossible d’analyser avec précision le manque à gagner dû à

l’absence de train, tous les témoignages récoltés à Parakou convergent sur un

point : le commerce souffre.

Madame Eulalie Ogoubiyi, vendeuse au marché Dépôt depuis 30 ans : « Avant, les

marchandises arrivaient en grande quantité. Pour le transport des marchandises, le

train était moins cher que les occasions (taxis). Aujourd’hui, il y a moins de clients.

Et je vends les produits plus chers parce que je les achète chez un grossiste.

Quand il y avait le train, je commandais moi-même, sans passer par le grossiste.

L’échange était plus facile, l’argent circulait plus à cette époque. Il y avait

beaucoup plus de marchandes parce que certaines arrivaient avec le train pour

venir vendre de façon ponctuelle puis repartaient le soir même ou le lendemain.

Moi je prenais souvent le train voyageurs pour aller chercher de l’huile rouge (de

palme) à Allada. [Quand sa commande était prête, un jour ou deux plus tard] Je

chargeais ma commande, entre 25 et 50 bidons de 25 litres, dans un wagon du

train marchandises et je remontais à Parakou, cela environ une fois par mois. Si le

train reprend, cela va reprendre pour tout le monde. »

Vestige d'une période plus faste, dans l’enceinte OCBN, à quelques dizaines de

mètres de la salle d’attente et des guichets, le maquis – propriété d’un agent du

chemin de fer mais exploité par sa femme – a fermé ses portes, « depuis un an

ou deux parce que le train ne vient plus » comme le précise la jeune vendeuse

voisine.

Tous ne se désolent pas de cette situation. Des rails agonisants, une population

contrainte d’emprunter la route, certains y ont vu l’occasion de développer un

business prometteur : le transport routier de passagers89. Certes deux

compagnies existaient déjà sur la place depuis longtemps mais uniquement pour

assurer une liaison Parakou–Niger, en l’absence de liaison ferrée. Depuis 2005,

six sociétés90 ont vu le jour créant une concurrence plus que sérieuse91 : le

89 Sur le développement des routes en Afrique de l’Ouest, voir l’annexe 4, p. 76. 90 Bénin Routes, Pax Express, NTS (Nationale des transports et services), Confort Lines, AÏR Transport, RTV (Rimbo Transport Voyageurs). 91 Ce qui nuance l’argumentation selon laquelle la concurrence de la route a eu raison du transport voyageurs par rail.

Page 42: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 42

trajet Parakou-Cotonou s’effectue en six heures, avec un départ garanti sans

retard, dans un confort appréciable (un siège par personne) pour un montant de

5.000 à 6.000 F CFA (7 à 9 EUR). Même les « occasions », ces taxis-brousse

Peugeot 504 ou 505 qui, aux gares routières, attendent de charger six

passagers (deux à l’avant, quatre à l’arrière) avant de démarrer, « ce qui peut

durer un peu », souffrent d’une telle concurrence ; le même trajet coûte

7.000 F CFA, soit de 1.000 à 2.000 F CFA de plus, sans aucune garantie d’être

plus rapide.

La route, d’autres se l’ont appropriée : les « titans », ces camions poids lourds

surchargés, de deuxième ou de troisième génération, dégageant d’épaisses

fumées noires à chaque accélération, peinant même dans les côtes de faibles

intensités. Parakou en vit depuis que l’OH, l’opération hirondelle, fut créée en

1954 (voir supra) : dans le tissu urbain, « une conception architecturale nouvelle

a vu le jour jumelant le garage et l’habitat dans les zones nouvellement

occupées. (…) Le transit a apporté à Parakou des changements quantitatifs et

qualitatifs plus stables que l’industrie92. » Et de fait, dès que l’on s’écarte du

centre urbain historique, l’on croise partout en ville des parcelles où stationnent

des camions et sur les « trottoirs » des mécaniciens affairés à réparer une

panne ; des carcasses de « titans » errent çà et là…

Actuellement, on dénombrerait 400 transporteurs routiers à Parakou, regroupés

au sein de cinq syndicats, totalisant une flotte de mille camions et constituant

une couche sociologique plutôt aisée. Dans la proche banlieue parakoise, à

environ deux kilomètres du centre, je rencontre le représentant d’un

transporteur parakois, en d'autres termes le coordinateur de la flotte, des

ouvriers et des missions de chargements et déchargements pour le compte d'un

patron. Âgé d'à peine trente ans, s'exprimant dans un français peu

compréhensible stigmate d'une très faible scolarité, Salifou Issiakou-Chabi vit

dans une somptueuse villa construite récemment où l'immense antenne

parabolique, les équipements hi-fi et le mobilier intérieur témoignent d'une

certaine opulence ; « le transport, ça donne » me chuchote l'amie interprète qui

m'accompagne.

Salifou Issiakou-Chabi : « Ça travaille un peu bien. Le patron a 13 camions, bientôt

deux supplémentaires. Tous roulent pour le moment. Des "RB" qui font le tronçon

Cotonou – Niger à partir du port. En saison, les camions vont aussi à Cotonou avec

92 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 129.

Page 43: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 43

des balles de coton. Depuis un an ou deux, il n'y a pas de camions qui restent

parqués à attendre, pas besoin d'aller à l'appel de l'OCBN où le travail manque

alors qu'il y a assez de travail à Cotonou. »

L’entretien terminé, nous reprenons les mobylettes. Salifou Issiakou-Chabi nous

conduit au garage de son patron non sans faire une escale devant une parcelle

longue d’environ 60 mètres et large d’une quarantaine de mètres, clôturée d’une

solide palissade en béton, où ce jeune représentant envisage prochainement de

débuter des activités à son propre compte, dans le transport cela va sans dire.

Faute de train, je redescends à Cotonou à bord d’un minibus Mercedes d’une

trentaine de places. Lorsqu’il s’arrête comme à son habitude à Bohicon, en plein

centre d’un petit marché, je dénombre autant de vendeuses ambulantes que de

passagers, agitées, attroupées à l’entrée du car, interpellant chacun des

voyageurs pour lui vendre des boissons fraîches, des biscuits, des beignets, de

la pâte et de la sauce, du poisson séché, de la viande, du pain, des fruits ou

encore des mouchoirs en papier ou des lunettes de soleil… Voilà, en modèle

réduit, à quoi ressemblait chacune des 37 haltes de l’autorail le long des 438 km

de la ligne : un marché informel, dynamique, vivant ; indispensable lieu

d’échanges économiques93.

Vincent Agossou, secrétaire général de l'ACR : « Depuis les problèmes, le pays est

malade parce que les villages qui sont éloignées du goudron ne peuvent plus

envoyer les marchandises. »

8. Sorties de crise

Au siège central de l’OCBN à Cotonou, je termine mon périple par un entretien

avec Monsieur Rigobert Azon, le nouveau directeur général de la société de

chemin de fer. Nommé en décembre dernier, il a pour délicate mission de

remettre les trains sur les rails. Nous sommes plusieurs à patienter ; l’agenda du

« dégé » lui impose un conseil d’entreprise qui s’éternise.

93 À propos du « commerce féminin ferroviaire », lire le très intéressant article d’Agnès Lambert, « Les commerçantes maliennes du chemin de fer Dakar-Bamako », qui décrit l’intense circulation des marchandises, de l’argent et des privilèges accordés entre les agents de l’État et les commerçantes formant un système unique, (in Grands commerçants d'Afrique de l'Ouest : logiques et pratiques d'un groupe d'hommes d'affaires contemporains, GRÉGOIRE Emmanuel et LABAZÉE Pascal (éds), Paris, Karthala-ORSTOM, Paris, 1993 consulté en ligne le 20 juillet sur http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/b_fdi_03_05/40024.pdf.)

Page 44: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 44

En complet veston, cravate joliment assortie, l’homme courtois mais fermé qui

me reçoit en cette fin d’après-midi est fatigué et, il le sait, pas au bout de ses

peines. Son vaste bureau, la moquette, les larges fauteuils, la table basse vitrée,

l’équipement informatique, l’air conditionné, les documents rangés tranchent

radicalement avec les installations du directeur d’agence de Parakou et avec

l’atmosphère qui y règne. Sur l’écran de l’ordinateur, un intriguant message de

veille défile : « Jusqu’où irez-vous ? ».

« Ça va repartir. On est en train d’intervenir sur les machines. Nous avons

beaucoup de créances et nous avons décidé de mener une politique de

recouvrement de celles-ci. La volonté des deux États est la même, théoriquement.

Nous sommes en attente d’une réaction de ces deux États qui doivent décider

d’injecter des fonds. On va attendre le conseil d’administration dans trois jours

pour vérifier cela. De plus, la Cédéao a décidé de travailler à l’interconnexion du

rail. L’Inde va financer 250 millions de dollars pour l’étude faisabilité. L’OCBN va

décoller. C’est très sûr. » Rigobert Azon.

Cet optimisme (ou cette foi ?) n’a guère trouvé d’écho à ce jour. « Le vent du

changement qui a soufflé dans ce service par le renouvellement de la direction

générale semble ne rien avoir apporté (…). Le chef de l’État, le docteur Boni

Yayi, le seul habilité à décanter la situation au sein de cette institution doit se

pencher sur cette déplorable situation que vivent les cheminots94 » pouvait-on

lire récemment dans la presse.

La réaction présidentielle tient dans une visite récente, le 9 juillet dernier, dans

les locaux même de l’OCBN à Cotonou. « L'équipe du président Boni Yayi a

retrouvé des BB en pleine rouille, des locomotives bonnes pour une exposition

au musée Quai Branly95 » sans toutefois annoncer de mesures radicales qui

pourraient sauver une société moribonde. Le chef de l'État devrait analyser tout

prochainement les propositions de dons de locomotives du gouvernement

indien… Peut-être de quoi faire circuler des trains, mais pas davantage.

94 « Crise à l’OCBN : Les cheminots appellent le docteur Boni Yayi au secours » in Le Béninois libéré du 16/05/07 consulté le 9 juin 2007 sur http://beninhuzu.org/2007/spip.php?article1469. 95 AMOUSSOU Arnaud, op. cit.

Page 45: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 45

Il me revient à l’esprit cette phrase de Prospère Agbodouama, le conducteur-

mécanicien qui m’avait invité à bord le la BB 618 à Parakou :

« Le nouveau gouvernement dit que ça va aller mais, depuis dix mois, il ne fait que

conjuguer le futur ».

8.1. Première lueur d’espoir : le port sec

Avec une augmentation importante du trafic ces dernières années (2 millions de

tonnes en 1993 à près du double en 200496), le port de Cotonou se trouve

aujourd’hui dans une situation de congestion considérable, mais limité dans son

développement terrestre en raison de l’urbanisation de la ville. Le port sec, dont

l’implantation a été décidée à Parakou, est une infrastructure spécialisée dans le

transbordement de marchandises entre différents modes de transports (en

l’occurrence ici, chemin de fer et camions), développant également d’autres

activités telles que le stockage intérimaire, notamment de conteneurs vides,

l’entretien de conteneurs, l’accomplissement des procédures douanières, etc.

On comprend facilement les avantages du projet tant pour le port (gain

d’espace, réduction des délais de passage, amélioration de la qualité du service)

que pour la ville de Cotonou (diminution des problèmes de circulation et

réduction de la pollution) ou pour celle de Parakou (confirmation comme nœud

central de transport à destination de l’hinterland, création d’emplois).

Cela étant, le succès du développement du port sec dépendra de

l’accomplissement de certaines conditions, et l’étude de faisabilité de citer en

premier lieu : « La disponibilité d’un système de transport ferroviaire97 ». Aussi,

le succès de l’un semble dépendre du succès de l’autre : l’OCBN gagnerait

beaucoup à voir se développer le port sec mais celui-ci a besoin d’un chemin de

fer performant. Paralysie ?

Le directeur de l’agence OCBN de Parakou, Saley Yataga, avait bien perçu les

enjeux. Le 12 décembre 2006, il écrivait au directeur général à Cotonou pour lui

rappeler qu’il avait fait procéder au déguerpissement des populations installées

sur le site parce que « le projet de port sec était à mon humble avis une raison

96 Royal Haskoning, Étude de faisabilité pour la construction d’un port sec à Parakou, mai 2006, p. 5. 97 Op. cit., p. 7.

Page 46: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 46

convaincante pour faire taire toute velléité de réclamation ou de réoccupation

des entreprises ». À la même époque, il écrivait au maire de Parakou pour lui

réaffirmer que « son » site dispose des atouts nécessaires pour développer le

port sec (un domaine de 40 ha, des grues fixes et mobiles, des magasins de

stockage, des capacités d’accueil de conteneurs, etc.).

Mais le port ne s’implantera pas sur le site de l’OCBN. En août 2006, à Gannon,

quartier rural situé à quelque six ou sept kilomètres au sud-ouest de la ville, le

long de la ligne de chemin de fer et non loin de l’usine de la Sobebra, une

délégation ministérielle a posé la première pierre du Port sec de Parakou. Le site

existe bel et bien ; il est le fruit d’un projet de coopération entre le Bénin et la

Malaisie, que le Parti du Renouveau démocratique, parti d’opposition, aurait

qualifié « d’éléphants blancs98 ». Huit mois s’étaient écoulés lors de mon

passage sur le site le 27 mars. Hormis la stèle inauguratrice, rien ne laissait à

cet instant présager l’installation d’une activité portuaire dans cette partie de

brousse : pas la moindre infrastructure, aucune délimitation de l’espace, aucun

travaux de génie, …

98 Promesses en l’air, gestes qui ne seront pas suivis d’effets.

Page 47: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 47

8.2 Seconde lueur d’espoir : Africarail

En janvier 1999, un accord entre les gouvernements du Bénin, du Burkina Faso,

du Niger et du Togo a permis de confier à la société concessionnaire Africarail,

créée en 2002, la gestion du programme d’interconnexions et d’extension du

réseau ferroviaire de la sous-région99. L’interconnexion relierait Cotonou à Lomé

en passant par Parakou, Kandi, Mallanville, Dosso, Niamey, Téra, Dori,

Ouagadougou, Tenkodogo, Dapango, Lama-Kara, Sokodé, Blita. Un autre

tronçon, Porto Novo–Lomé, fermerait la boucle. Le coût du projet qui

nécessitera la construction de 2.000 km de nouveaux rails est provisoirement

estimé à deux milliards de dollars.

-- carte manquante --

« Ce tracé, explique Hamadou Kaffa, administrateur général d’Africarail, permettra

ainsi de former une boucle économique entre les ports autonomes de Cotonou et

de Lomé de manière à ce que les Etats enclavés ne soient pas tributaires d’un seul

port. Le projet a pour objectif la réduction de la pauvreté et de la fracture

énergétique entre les pays, d’assurer la survie et la viabilité des réseaux existants,

d’adapter la capacité globale des transports aux besoins, de désenclaver les

régions et de favoriser la mise en valeur des potentialités agropastorales,

touristiques, industrielles et minières. (…) Nous y voyons des avantages énormes

et multiples, notamment en matière d’échanges, de communication, de création

d’emplois (plus de 2.000 emplois pendant et après les travaux) mais aussi

d’activités collatérales génératrices de revenus100. »

Ce programme a reçu le soutien de la Communauté des États sahélo-sahariens

(CEN-SAD, 18 États), de l'Union économique et monétaire ouest-africaine

(Uémoa) et est intégré dans le Plan d'action pour l'interconnexion ferroviaire des

États membres de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique

de l'Ouest). Enfin, Africarail fait partie des 21 projets prioritaires retenus dans le

99 BONTIANTI Abdou, op. cit., p. 64. 100 NANA Bachirou, « Hamadou Kaffa, administrateur général du Projet AFRICARAIL : "Nous avons 2000 km de rails à réaliser" » in Sidwaya du 01/03/07 consulté le 25 juillet 2007 sur http://www.lefaso.net/article.php3?id_article=19466.

Page 48: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 48

Plan d'action à court terme du Nepad (Nouveau partenariat pour le

développement de l'Afrique)101.

La critique d’Abou Bonanti qui explique pourquoi la ligne n’a jamais dépassé

Parakou102 (« aucune étude précise n’a été faite : les bases de calcul des coûts

estimatifs n’ont pas été élucidées. En dépit de l’accord de principe de certains

bailleurs de fonds ou institutions financières, cette lacune ne serait pas de

nature à convaincre les milieux financiers à investir dans une entreprise dont on

ne connaît pas la rentabilité économique ») semblerait cette fois rencontrée

puisque, selon l’administrateur général d’Africarail, la DAB, la Banque africaine

de développement, a marqué son accord pour un financement des études à un

peu plus de trois millions de dollars. Un groupement international103 a été

chargé de la réalisation des études dont les résultats sont attendus en juin 2008.

S’il ne s’agit pas d’éléphants blancs, les rails béninois atteindraient le Niger un

peu plus d’un siècle après les premiers plans. Mais, rappelons-nous ce qu’écrivait

déjà en 1978 Issifou Kogui N’Douro104 : « À des niveaux plus élevés, le

prolongement de cette voie jusqu’au Niger est à l’étude. Cette étude, selon les

rapports des travaux Bénino-Nigériens, paraît très avancée. »

8.3. La privatisation : le contre-exemple sénégalais

L’État béninois a tenté à maintes reprises de trouver le salut de l’entreprise

ferroviaire dans sa mise en concession, mais à ce jour l’appel d’offre n’a connu

aucun succès. Au Sénégal, l’expérience de la privatisation date de 2003 dans un

contexte semblable à celui du Bénin : à partir des années 80, le rail souffre

d’une dégradation progressive du matériel, d’un sous-investissement massif et

d’une concurrence accrue des camions.

Le groupe franco-canadien Canac-Getma qui remporte la concession d’une

durée de 25 ans, avec obligation d’assurer un service pour les passagers, confie

l’exploitation de la mythique ligne Dakar-Niger105 reliant Dakar à Bamako à une

101 http://www.africarail.org/ consulté le 25 juillet 2007. 102 Op. cit. 103 CIMA international (Canada) et UMA-AECOM (États-Unis). 104 Op. cit., p. 87. 105 Cf. Les bouts de bois de Dieu.

Page 49: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 49

nouvelle société, Transrail106. Espoirs de jours meilleurs, donc. « Pourtant, les

trains n’ont jamais aussi mal roulé. Les rails ont cessé d’être remplacés. Le

ballast n’en peut plus, les tire-fond ont disparu, des traverses se sectionnent et,

surtout, les rails flambent : leur dilatation sous l’effet de la chaleur est telle qu’ils

se gondolent, échappant à leurs écrous de jonction. Alors, les trains

déraillent.107 »

Des Blancs, des Canadiens cette fois, occupent à nouveau les bâtiments de la

direction à Thiès, haut lieu du syndicalisme sénégalais. Les fantômes des

grévistes de 1948 conseillent sans doute les cheminots maliens et sénégalais qui

n’acceptent pas l’abandon du trafic voyageurs108 au profit du fret, la baisse des

salaires, le licenciement de plus de 600 postes ou l’absence des investissements

promis… malgré les profits colossaux de Transrail (un milliard par mois, selon

Cocidirail, le Collectif citoyen pour le développement intégré et la restitution du

rail malien109). Aussi, les grèves ont repris en juin et juillet 2006 à l’initiative de

l’alliance entre Fetrail (Fédération des travailleurs du rail, Sénégal) et Sytrail

(Syndicat des travailleurs du rail, Mali).

Le collectif citoyen Cocidirail, soutenu par les usagers et les cheminots de la

ligne mais aussi de la sous-région, exige la renationalisation du chemin de fer, et

dénonce « la démission nationale et totale des dirigeants maliens, c'est-à-dire

une volonté politique au profit des multinationales et d'eux-mêmes les

dirigeants, contre les intérêts de la patrie et sous la pression du FMI et de la

Banque Mondiale110 ».

106 MUNIÉ Vincent, « L’Afrique de l’Ouest sous tensions. Bataille syndicale autour du rail sénégalais » in Le Monde diplomatique, février 2007, pp. 10 et 11, consulté le 9 juillet 2007 sur http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/MUNIE/14405. 107 Ibidem. 108 Selon le quotidien L’essor (« Trafic voyageurs sur les rails : le nouveau matériel aiguise les appétits », 16/04/07, consulté le 28 juillet 2007 sur http://www.essor.gov.ml/), l'État a acquis du nouveau matériel roulant : 38 voitures et trois locomotives d'une valeur de plus de 13 milliards… créant une polémique. La direction générale de Transrail se dit disposée à présenter un plan de transport des voyageurs performant avec les nouveaux matériels acquis mais le conseiller technique au ministère de l'Équipement et des Transports chargé du trafic ferroviaire est, lui, formel : « Transrail n'aura pas la gestion des trains voyageurs. L'État ne peut pas acheter du matériel roulant pour plus de 13 milliards F CFA (19.800 EUR) pour le confier à une société privée étrangère. Il n'en est pas question ». 109 http://www.cocidirail.info consulté le 20 juillet 2007. 110 « Déclaration du Cocidirail à l'issue du Forum Social Mondial Polycentrique de Bamako », http://www.cocidirail.info.

Page 50: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 50

Dans un contexte de privatisation où la rentabilité est assurée avec peu

d’investissement grâce à une politique sociale ultra-libérale, Africarail, le projet

d’interconnexion des rails africains, intéresse, outre Transrail, les multinationales

déjà actives dans le chemin de fer : Sitarail au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire

(groupe Bolloré), Camrail au Cameroun (groupe Bolloré), Setrag au Gabon

(groupe Eramet), Togorail au Togo (goupe West African Cement).

Un réseau ferré ouest-africain verra sans doute le jour. Privé ? Public ? Au

bénéfice des populations ? Rien n’est moins certain.

Page 51: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 51

Troisième partie

Joies et difficultés épistémologiques

Page 52: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 52

« Le terrain représente l’alpha et l’omega de tout exercice ethnologique » nous

enseigne Michaël Singleton111. Aussi, il me paraît utile, après avoir jusqu’ici laissé

autant que faire se peut la parole aux observés, de m’exprimer sur ma pratique,

ses forces et ses faiblesses, de poser un regard critique, sans pour autant

tomber dans le mythe du terrain « lorsque l’anthropologue s’en autoproclame le

héros en dramatisant ses propres difficultés112 ».

Sans doute vais-je réécrire ce que d’autres apprentis anthropologues ont déjà

exprimé – qu’importe puisque « chaque terrain est un cas à part113 »… – mais

l’enjeu m’apparaît d’importance : un mémoire doit sa valeur, à mon sens, autant

à la manière dont il a été réalisé qu’au produit final.

9. Le choix du terrain

Ai-je été tenté, dans le choix du terrain, par l’exotisme, la recherche d’un

ailleurs, d’un lointain différent ? Absolument. Même si l’Afrique et le Bénin plus

particulièrement ne m’étaient pas totalement étrangers puisque, dans un cadre

associatif ou professionnel, j’ai eu l’occasion, lors de séjours relativement

courts114 de deux à quatre semaines, de m’y rendre et d’y apprécier des

hommes et des femmes, à l’écart et à l’abri de certains stéréotypes.

Cette modeste connaissance aura probablement sauvé mon entreprise, ce qui

n’est pas rien : « privé » de train voyageurs, ma capacité à rebondir aurait

probablement été nulle en terre inconnue. Elle m’aura aussi permis, je crois, de

réussir mon entrée sur le terrain ethnologique finalement retenu, la gare de

Parakou : en effet, quel précieux temps ai-je économisé en prenant le soin, dès

mon arrivée et cela chaque jour, de rencontrer le directeur de l’agence et de

discuter de tout et de rien (sa femme, mes études et les siennes, la Belgique,

l’anthropologie, Dieu, etc.)… mais pratiquement jamais du chemin de fer ! Ce

sens du protocole, du contact et de la plaisanterie m’aidera grandement. Tout

comme, détails techniques, l’achat d’une puce Areeba (avec un numéro de

portable béninois) et la réalisation sur place de cartes de visite.

111 Amateurs de chiens à Dakar, Plaidoyer pour un interprétariat anthropologique, L’Harmattan/Academia, Paris/Louvain-la-Neuve, 2006, p. 11. 112 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, op. cit., p. 30. 113 SINGLETON Michaël, op. cit., p. 40. 114 Bénin (1992, 1997, 1999), Côte-d’Ivoire (1993), Gabon (1995), Congo (2001).

Page 53: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 53

Une certaine pratique de l’Afrique m’avait aussi poussé à demander avant mon

départ une attestation de mission « officielle » au professeur Olivier Servais,

responsable des programmes. Ce merveilleux sésame m’aura été des plus utiles

pour accéder aux bibliothèques et centres de documentation, ou pour être pris

au sérieux par le directeur d’agence à Parakou. Le poids des mots, le choc du

logo…

Mais, sans m’alourdir sur ma mésaventure, force est de constater que je me suis

retrouvé en position de faiblesse, improvisant tout en sachant que « partir sur le

terrain sans idée préconçue, sans théorie, relève de la fantaisie115 ».

Parti pour m’immiscer dans un non-lieu cher à Marc Augé, une voiture de train

voyageurs116, soit « un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni

comme relationnel, ni comme historique117 », j’ai découvert un lieu mort,

sociologiquement asséché, vidé de ses acteurs, privé de ses logiques

fondatrices ; un espace clos et statique mais éloigné de toute surmodernité (et

de ses excès) : la gare africaine – lorsqu’elle vit – n’est pas un lieu d’errance,

mais un endroit investi de sens, ancré dans le passé. Bref, un lieu collectif (et

non anonyme ou impersonnel), un « vrai lieu » anthropologique, « espace de

relations, de mémoire et d’identification relativement stabilisées118 ».

À défaut de savoir ce que je cherchais, pour paraphraser Robert Cresswell119, j’ai

essayé d’en trouver davantage. Au risque de me perdre. Mon observation

participante a, par appétit de recherche, porté sur tout (les métiers et les

procédures de travail, les rapports entre collègues, les postures des travailleurs,

les enjeux socio-économiques, le magico-religieux sur le lieu de travail, etc.) et

me laisse, in fine, le sentiment de n'avoir porté sur rien parce qu’aucun des

sous-thèmes n'a pu être exploré en profondeur.

115 CRESSWELL Robert et GODELIER Maurice, « La problématique en anthropologie » in Outils d’enquête et d’analyses anthropologiques, Maspéro, Paris, 1976, p. 24. 116 Mais à tort, car le train voyageurs au Bénin ne connaît pas les excès de la surmodernité, c'est-à-dire, comme l’écrit Michel Agier « le rétrécissement de l’espace à l’échelle planétaire grâce au développement des moyens de transport et de communication, le resserrement du temps et de l’histoire par l’omniprésence des informations médiatiques, et la prédominance de l’individu comme modèle d’action et de communication » (op. cit., p. 53.) 117 AUGÉ Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992, p. 100. 118 AGIER Michel, op. cit., p. 53. 119 CRESSWELL Robert et GODELIER Maurice, op. cit., p. 22.

Page 54: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 54

10. Le temps

Comment gérer le temps ? Cette question me semble être au cœur d’un projet

de recherche anthropologique a fortiori quand il est de courte durée et mené

sous d’autres cieux. L’obsession participante impose la présence sur le terrain

mais la recherche de données requiert parfois de s’en distancer. Les rares et

indispensables documents sur Parakou se consultent… à Cotonou ! Comment

comprendre le rôle de la gare sans déambuler dans la ville ? Fallait-il

manœuvrer la locomotive pour gérer le triage ou en descendre pour interroger

les passagers du Train d’ébène ? Devais-je délaisser Parakou quelques jours

pour m’installer le long de la ligne, dans un village privé du train120 ?

L’entrée même sur le terrain est extrêmement chronophage. Il convient

d’installer rapidement une relation de confiance, afin de récolter par la suite

autre chose que des informations de convenance ou de surface, c'est-à-dire de

perdre du temps à en gagner.

S’il faut « avoir perdu du temps, beaucoup de temps, énormément de temps,

pour comprendre que ces temps morts étaient des temps nécessaires121 », il

faut aussi reconnaître que beaucoup de temps morts… tuent l’enquête : trouver

une thèse au centre de documentation de la Flash122 puis, le cas échéant, la

faire photocopier coûte une journée (ou deux si la responsable du centre a un

tracas de mobylette...). Obtenir un rendez-vous, retrouver l’interprète, patienter

longtemps pour enfin réaliser un entretien inutile, voilà une après-midi fichue !

Truisme assumé : une observation participante de quatre semaines à l’étranger

me semble inévitablement aboutir à un produit inachevé, imparfait ; au mieux, il

s’agira d’un excellent travail de repérage. Au terme de celle-ci seulement, on sait

qui doit encore être interviewé ou réinterrogé, quels pans entiers de

l’observation peuvent être abandonnés au profit de quels autres… Où être, où

ne pas être. C’est que « le premier objet de l’enquête n’est pas de répondre à

des questions mais de découvrir celles que l’on va se poser, et il faut, pour cette

120 Ne pas l’avoir fait est l’un de mes regrets ethnologiques, mais coincé par le temps, le nez dans mon terrain parakois… 121 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, op. cit., p. 32. 122 Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l’Université d’Abomey-Clavi.

Page 55: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 55

simple découverte, du temps : le temps de comprendre où sont, dans l’univers

des enquêtés, les problèmes et les enjeux (…)123 ».

Le mémoire ne peut donc se lire que comme un exercice, un entraînement, une

répétition parce que « la qualité ethnographique [ne] peut s’appliquer [qu’] à

tout type d’enquête qui repose sur une insertion personnelle et de longue durée

du sociologue dans le groupe qu’il étudie124 ». Le mémoire, lui, repose sur une

micro-immersion, indispensable expérience ethnographique certes mais sans

aucune mesure avec le credo anthropologique, la longue durée, condition sine

qua non d’un terrain de qualité : « Toutes les enquêtes ont en commun de faire

un pari sur le temps. N’insistons pas sur le plus évident : la familiarisation et le

repérage dans un univers étranger, la diversification des situations observées,

de contacts et des sources d’information, la possibilité de profiter des "heureux

hasards", ceux qui font que l’on est là "au bon moment", tout cela suppose une

durée : là se trouve le principal gisement des quelques découvertes de

l'ethnographie.125 »

Un terrain exotique de courte durée représente aussi une prise de risques qu'il

convient de ne pas sous-évaluer. Qu’advient la recherche quand l’étudiant

souffre de paludisme (à P. falciparum, pénible souvenir de 1999 !) ou de

diarrhée bactérienne, ou encore est victime d’un accident (les déplacements en

zemidjan ou en « occasion » sont réellement périlleux)126 ou de « coupeurs de

têtes », ces bandits qui depuis quelques années braquent les taxis sur les routes

béninoises ? Cette question m’a plus d’une fois traversé l’esprit, me rappelant les

conséquences d’un échec : un dérapage budgétaire (profitons-en pour rappeler

l’investissement que nécessite un terrain exotique s’il n’est pas subsidié :

vaccins, visa, traitement antipaludique, passeport, avion, séjour …), sans parler

du blâme social qu’imposeront au retour les proches puisque « l’enquête

ethnologique est rarement une activité culturellement reconnue et socialement

utile (même dans nos sociétés !).127 »

123 SCHWARTZ Olivier, « L’empirisme irréductible » in ANDERSON Nels, Le Hobo. Sociologie du sans-abri, Nathan, Paris, 1993, p. 281. 124 SCHWARTZ Olivier, op. cit., p. 267. 125 Ibidem, p. 268. 126 Aussi, je comprends mieux Michaël Singleton (op. cit., p. 36) quand il écrit que « La simple démarche d’observer et de participer ne semble pas toujours aller de soi pour tout le monde. J’ai eu à suivre des anthropologues en herbe sur le terrain au Sénégal : un tiers se faisait rapatrier sanitairement dans les vingt-quatre heures (…). » 127 COPANS Jean, L’enquête ethnologique de terrain, Armand Colin, Paris, 2005, p. 9.

Page 56: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 56

Aussi, l’apprenti ethnologue sur le terrain devra en partie compter sur le facteur

chance. Comment, dans la courte durée, rechercher et trouver et convaincre un

« local » de traduire des entretiens, d’aider dans certaines démarches,

d’expliquer les tenants et aboutissants de quelque situation sinon en s’appuyant

sur un heureux hasard ? N’aurais-je pas demandé à ce jeune serveur, ce

premier matin à Parakou pour entamer une discussion et me sentir moins perdu,

d’où il était originaire et mon enquête aurait pris une autre direction : Thierry,

comme je l’ai déjà écrit, petit-fils de cheminot habitant Alaga, m’a guidé, m’a

épaulé dans mes recherches, a traduit plusieurs entretiens. Sérieux, dévoué,

intéressant. Au bon moment, au bon endroit…

11. Micro-terrain, macro-expérience

Dans le même temps, cet exercice, cet entraînement, cette répétition sur place

se sont révélées être d’une indispensable nécessité épistémologique. Dans un

décor où chacun croit en une reprise du service voyageurs pour le lendemain,

personne n’ose affirmer que le train ne circule plus. Seule une présence, une

confrontation in situ contraint les interlocuteurs à admettre une réalité, peut-

être momentanée mais vérifiable : le-train-voyageurs-ne-circule-pas. Autrement

dit, seule cette présence permet de mesurer la « souffrance sociale128 » d’une

partie de la population.

Toutefois, cette confrontation directe n’enlève pas toutes les incompréhensions.

Cartésien, rigoureux, précis, combien de fois n’ai-je pas reçu comme réponse à

une question quantifiable des « bientôt », « non loin », « avant », « il va

arriver », « ça va durer un peu », etc. ? Dans ce contexte, il n’est pas toujours

aisé de mesurer les données…

Thomas Omer, 129 à propos de sa quête d’informations sur sa ville : « À défaut de

la pratique de l’écriture, la tradition orale perpétue dans la mesure des capacités

humaines de mémorisation, les faits essentiels. "En Afrique, dit Hampaté Ba un

sage malien, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle". Il a donc

128 Et l’une des nombreuses pistes d’approfondissement de cette recherche devrait aller dans ce sens (cf. HILGERS Mathieu, à propos des opérations de lotissements urbains et de leurs conséquences : « peu de travaux se sont intéressés de façon systématique à la souffrance sociale que de tels modes de gestion engendrent chez les populations les plus fragiles » in Une ethnographie à l’échelle de la ville. Urbanité, histoire et reconnaissance à Koudougou (Burkina Faso), Thèse de doctorat en anthropologie, UCL, Louvain-la-Neuve, 2007, p. 23.) 129 Op. cit., p. 22.

Page 57: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 57

fallu retrouver les bibliothèques épargnées par l'incendie de la mort pour recueillir

les données sur l'histoire de Parakou. (…) L'hospitalité ne pose pas de problème ;

on reçoit toujours un étranger, mais il obtient rarement ce qu'il cherche, soit on le

renvoie chez un autre censé mieux informé, soit on lui raconte des contre vérités.

L'enquêteur a donc subi toutes ces épreuves croyant que la communauté de

langue était une "carte de bibliothèque" valable. »

L’épreuve de l’autre dans son contexte est riche d’enseignement : l’entretien d’une vendeuse au marché Dépôt est révélateur d’autres difficultés liées à la situation elle-même. Voici, ce que de manière brute, j’ai pu noter à chaud à Parakou :

L'entretien s'est déroulé au marché, vers 17h00, durant l'activité professionnelle de la vendeuse ; la raison de ce choix tenait dans la volonté de mettre le plus en confiance la personne interrogée mais également dans la possibilité de mener, si nécessaire, plusieurs entretiens.

Feed-back :

1. Ne pas maîtriser la langue constitue un handicap. Mais en même temps, le décalage (le temps de la réponse avant la traduction) m'a permis de rester "accroché" à ma conduite d'entretien, de reposer ou de repréciser les questions sans réponse ou esquivées ;

2. J'ai bien perçu le désir de l'interviewée de ne pas répondre à mes questions mais sans oser dire qu'elle ne voulait pas répondre. Ce n'est qu'après un travail de mise en confiance, avec patience, en acceptant toutes les réponses avec enthousiasme, en plaisantant avec elle, et en lui achetant quelques denrées que l'interviewée aura répondu à l'ensemble de mes questions avec une certaine pertinence ;

3. Le rythme était lent : chaque simple question était traduite par des phrases quatre à cinq fois plus longues (en tout cas, ce fut mon impression) et il fallait souvent poser la même question trois fois, de façons différentes et non pas de manière répétitive mais bien "çà et là" dans l'interview avant d'obtenir une réponse ;

4. Non négligeables, en termes de difficultés périphériques mais bien réelles : les jeunes enfants qui viennent chahuter ; les autres vendeuses, moqueuses ou jalouses, qui interviennent, interpellent… ; les odeurs, la chaleur, les mouches…

Autre enseignement mais grande frustration : immergé dans un milieu –

masculin – de fonctionnaires, mon observation participante dépendait des

horaires de travail, m’écartant de la sphère privée des agents et des auxiliaires

de l’OCBN, lesquels d’ailleurs n’envisageaient pas que, m’intéressant au chemin

de fer, je puisse m’intéresser également à eux et à leurs proches. Seule sans

doute la durée…

Page 58: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 58

Enfin, la pauvreté des sources (dans la communauté scientifique, qui se soucie

de Parakou ? qui se soucie du rail béninois ?) a pu être partiellement mais

heureusement contournée grâce aux travaux universitaires disponibles à

Abomey-Calavi, grâce également à des documents de travail, des courriers, des

brochures diverses ou à un audit officiel transmis à titre confidentiel que seuls

des rapports personnels directs ont pu permettre.

Cela dit, même la recherche d’un mémoire à la Flash de l’Université d’Abomey-

Calavi (en l’occurrence le travail de Issifou Kogui N’Douro) a valeur heuristique

pour le novice. L’expérience met le chercheur en contact avec la plus grande

université du pays, soit 45.000 étudiants, et l’autorise à assister à un cours ex-

cathedra dans la pénombre – coupure d’électricité oblige, le fameux

« délestage » – d’un auditoire saturé. Il y découvre un centre de documentation

d’à peine 20 m² (toujours dans la pénombre) où cinq à six étudiants tout au

plus peuvent profiter d’un banc et partager une étroite table de travail, le long

des étagères de rangement ; où s’asseoir et se croiser relève parfois de la

prouesse gymnique ; où « faute de place » des dizaines de mémoires s’empilent

à même le sol en dehors de tout classement ; où, pour seul support de

recherche, l’assistant bibliothécaire dispose de feuilles manuscrites et

dactylographiées, parfois volantes, parfois agrafées, jaunies par les années et

les nombreuses manipulations. Et où, pour trouver, « il faut fouiller un peu »…

Mais surtout, bénéficier (à nouveau) d’une chance énorme ! Il ne s’agit

nullement d’y voir une expérience dépaysante mais bien une façon de vivre le

quotidien, de le bricoler faute de mieux ; d’y lire les stigmates des rapports

asymétriques entre le Nord et le Sud ; d’y déceler le maillon d’un système qui

explique en partie la quête d’un ailleurs, au péril de sa vie, mais ceci nous égare.

En tout cas, cette courte (mais intensive) présence parmi la communauté des

cheminots de Parakou m’aura permis d’appréhender l’immense détresse

d’hommes condamnés à attendre, écrasés sous le poids de l’inactivité, témoins

de l’agonie de ce qui jadis faisait leur fierté. Aucun échange d’e-mail, aucune

« administration » de questionnaires n’y seraient jamais parvenus.

Alea jacta est… Modestement, avec les données recueillies sur place et en

articulation avec d’autres sources, j’ai essayé de comprendre autrui, de lui

Page 59: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 59

donner la parole, de faire sens avec lui. Artisan plutôt qu’artiste (statut

qu’accorde Evans-Pritchard à l’anthropologue130), j’ai pu – autre enseignement –

me tester en situation réelle, à l’image d’un jeune musicien à qui un virtuose

propose de jouer un bref moment devant son public. Ai-je réussi ? Ai-je, malgré

les contraintes et les opportunités ci-dessus énoncées, réalisé un inventaire du

lieu d’autrui, « une topographie, en long et en large, des institutions et des

idéologies qui influencent les mœurs et les mentalités des individus du milieu où

on a choisi de s’implanter en anthropologue prospectif131 » ? Suis-je parvenu,

grâce notamment aux exigences méthodologiques glanées çà et là, à bricoler un

objet anthropologique digne des sciences sociales empiriques et non « une

forme savante de journalisme, de chronique ou d’auto-biographie exotique » ?

La réponse ne m’appartient plus.

130 SINGLETON Michaël, « De l’épaississement empirique à l’interpellation interprétative en passant par l’ampliation analogique : une méthode pour l’Anthropologie Prospective » in Recherches sociologiques, vol. 32, 2001, p. 17. 131 SINGLETON Michaël, op. cit., p. 21.

Page 60: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 60

La lente désaffection d’un train, qu’il parcoure la plus

lointaine des vallées pyrénéennes, le fin fond des villages

perdus de l’Oural ou les plaines arachidières de l’Afrique,

est toujours le signe d’un renoncement.

Vincent Munié (op.cit.)

Conclusion

Page 61: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 61

Parakou m’a accueilli durant un mois en mars/avril 2007. Il m’a semblé courtois

de lui faire honneur (don, contre-don… on n’en sera jamais quitte) et de profiter

de ma recherche pour la présenter. Pas uniquement par plaisir ou esprit altruiste

mais surtout en raison de la pauvreté des sources disponibles sur la troisième

ville du Bénin132 et de l’intérêt de celle-ci dans l’approche du sujet.

Une question m’a longtemps hanté : pourquoi diable personne parmi mes

contacts béninois, ni aucun des nombreux sites web consultés avant mon

départ, n’évoquait la crise du rail et l’absence de trafic passager133 ? Ce travail,

fruit d’un micro mais très enrichissant terrain ethnologique, y répond au moins

partiellement. Les « ça va repartir » entendus moult fois traduisent l’état d’esprit

d’une population face à une situation pour elle inadmissible ; un espoir, une

forme de croyance en dehors de toute objectivité.

C’est que le train béninois, tout comme d’autres trains d’Afrique de l’Ouest, n’est

pas seulement un moyen de transport en commun gratuit – qui bénéficie de

« permis gratuits » ou de coupons demi-tarif, qui s’arrange avec le contrôleur,

qui encore fraude tout simplement… Mis en chantier durant la période coloniale,

le chemin de fer a charpenté physiquement et socialement le pays ; il a été

l’épine dorsale du transport voyageurs et marchandises, contribué au

développement du port de Cotonou, permis de sceller une étroite collaboration

avec un État voisin. Le rail a également contribué à l’expansion démographique,

économique et géographique de la troisième ville du pays, point de rupture de

charge indétrônable, siège stratégique de l’opération hirondelle. Plus encore,

grâce à la « grande grève historique de cinq mois et dix jours », le chemin de

132 À titre illustratif, on notera que Les villes secondaires d'Afrique noire 1970-1997, bibliographie analytique et commentée, ne comporte que deux références "Parakou"… sur 1.200 (BERTRAND Monique, CEAN, 1997). 133 À la vérité, un ami béninois m’a envoyé un mail quelques jours avant mon départ pour me faire part de ses doutes, mais je n’y ai guère prêté attention pensant que son statut de conseiller ministériel l’invitait davantage à emprunter des 4X4 officiels que le train. Grossière erreur, je le confesse !

Page 62: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 62

fer fut l’outil de l’émancipation des travailleurs noirs, prémices

d’indépendance134.

Cet imposant héritage social et culturel plombe le moral béninois. Hier société

prestigieuse où chacun rêvait de faire carrière, source de fierté nationale (une

équipe de football de première division se nomme « Cheminots OCBN FC »…),

l’entreprise ferroviaire est aujourd’hui à vendre, en faillite virtuelle.

Élément central de l’économie de subsistance, formelle ou informelle, de milliers

de petites gens et moyen de transport économique et sûr (à défaut d’être

rapide), le train passagers est légitimement attendu et espéré par une

population socio-économiquement modeste.

Quant aux tonnes de marchandises à destination de l’hinterland, elles

parcourent le trajet Cotonou–Parakou, autrefois exclusivement réservé au rail, à

bord de camions gros porteurs entraînant une multitude de problèmes. Les

centaines de « titans » qui chargent au Port autonome de Cotonou

congestionnent la ville, rajoutant d’importants ennuis de circulation dans le

centre et en périphérie, paralysant un peu plus le tronçon routier jusqu’au-delà

d’Abomey-Calavi. Jamais neufs et circulant sur des routes à l’état incertain,

nombre de ces poids lourds connaissent des tracas mécaniques les obligeant à

se garer sur la voie ou engendrent des accidents provoquant un sentiment

d’insécurité auprès des utilisateurs du « goudron ». Enfin, même si « le manque

actuel de ressources financières des pays africains conduit à l’absence de

considération environnementales dans les choix de politiques et les

comportements relatifs aux transports135 », il n’en demeure pas moins que le

transport ferré est quatre fois moins polluant que le transport routier.

Les arguments ne manquent pourtant pas pour ressusciter le train. Et si

quelques portes de sortie de crise semblent entrouvertes, rien n’autorise

aujourd’hui ni d’affirmer que in fine l’OCBN ou la voie ferrée plus généralement

seront sauvés ni qu’en cas de succès pour le chemin de fer, à l’instar du cas

sénégalais, celui-ci bénéficie aux populations rurales et urbaines.

134 Au programme officiel de l’enseignement secondaire béninois, le roman historique de Ousmane Sembene contribue à entretenir la mémoire. 135 RIZET Christophe e. a., « Effet de serre et financement du chemin de fer en Afrique » in Le chemin de fer en Afrique, op. cit., p. 381.

Page 63: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 63

Étrangement, cette problématique – l’agonie du rail béninois, les impacts socio-

économiques et humains – semble largement ignorée ici et absente de la

recherche en sciences sociales alors que « La qualité de la circulation des

hommes et des biens est depuis longtemps connue comme une clef importante

du développement de l’Afrique. Pierre Gourou faisait déjà, voici plus de

cinquante ans, du désenclavement et de l’ouverture aux échanges, une des clefs

du développement de l’Afrique136 ». Cette monographie, bien que trop

modestement, contribue, je le souhaite, à combler une lacune.

136 LESOURD Michel et NINOT Olivier, « Un divorce au Sénégal. Le chemin de fer "Dakar-Niger" et la route nationale » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 123.

Page 64: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 64

Bibliographie

Page 65: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 65

Ouvrages scientifiques

AGIER Michel L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Éditions des archives contemporaines, Paris, 1999.

AUGÉ Marc Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992.

BERTRAND Monique Les villes secondaires d'Afrique noire 1970-1997, bibliographie analytique et commentée, CEAN, 1997.

BIERSCHENK Thomas L'appropriation locale de la démocratie : analyse des élections municipales à Parakou, République du Bénin, 2002/03, Working papers n°39b, Institut d'anthropologie et d'études africaines, Université Johannes Gutenberg de Mayence, 2005, consultable en ligne sur http://www.ifeas.uni-mainz.de/workingpapers/AP39b.pdf.

CHALÉARD Jean-Louis, CHANSON-JABEUR Chantal (éds) Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006.

CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob « L’arrière-pays international du port de Cotonou » in Bulletin de la Société belge d’Études géographiques, SOBEG, 1996.

COPANS Jean L’enquête ethnologique de terrain, Armand Colin, Paris, 2005.

CRESSWELL Robert et GODELIER Maurice « La problématique en anthropologie » in Outils d’enquête et d’analyses anthropologiques, Maspéro, Paris, 1976.

DAVID Philippe Le Bénin, Éditions Karthala, Paris, 1998.

DEBRIE Jean De la continentalité à l’État enclavé, circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs ouest africain, Thèse de doctorat en géographie, Université du Havre, 2001, consultable en ligne sur http://www.batir-rca.org/enclavementContinentalite.pdf.

HILGERS Mathieu Une ethnographie à l’échelle de la ville. Urbanité, histoire et reconnaissance à Koudougou (Burkina Faso), Thèse de doctorat en anthropologie, UCL, Louvain-la-Neuve, 2007.

Page 66: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 66

IGUE John, SOULE Bio. L’État-entrepôt au Bénin. Commerce informel ou solution à la crise ?, Karthala, Paris, 1992.

IMOROU Abou-Bakari « Dynamique des pouvoirs locaux liés à la gestion du Marché Central de Parakou » in Le bulletin de l'APAD, n° 19, Les interactions rural-urbain : circulation et mobilisation des ressources, mis en ligne le 24/07/06, consultable en ligne sur http://apad.revues.org/document436.html.

KIMBA Idrissa « L’échec d’une politique d’intégration : les projets ferroviaires et le territoire du Niger (1880-1940) » in Réalités et héritages, sociétés ouest africaines et ordre colonial, 18895-1960, Dakar, Direction des archives du Sénégal, 1997, consultable en ligne sur http://tekur-ucad.refer.sn/IMG/pdf/01E3KIMBA.pdf.

LAMBERT Agnès « Les commerçantes maliennes du chemin de fer Dakar-Bamako » in Grands commerçants d'Afrique de l'Ouest : logiques et pratiques d'un groupe d'hommes d'affaires contemporains, GRÉGOIRE Emmanuel et LABAZÉE Pascal (éds), Paris, Karthala-ORSTOM, Paris, 1993 consultable en ligne sur http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/b_fdi_03_05/40024.pdf.

LAURENT Pierre-Joseph « Le big man local où la "gestion coup d'État" de l'espace public » in Politique africaine, n°80, décembre 2000.

OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre « L’enquête socio-anthropologique de terrain : synthèse méthodologique et recommandations à usage des étudiants » in Études et travaux, n°13, LASDEL, Niamey, octobre 2003. [Ce texte reprend « La politique de terrain. Sur la production des données en anthropologie » paru in Enquête, numéro 1, 1995.]

OMER Thomas Parakou et sa région, Thèse de géographie, Université d’Abomey-Calavi, 1983.

SINGLEON Michaël - Amateurs de chiens à Dakar, Plaidoyer pour un interprétariat

anthropologique, L’Harmattan/Academia, Paris/Louvain-la-Neuve, 2006. - « De l’épaississement empirique à l’interpellation interprétative en passant

par l’ampliation analogique : une méthode pour l’Anthropologie Prospective » in Recherches sociologiques, vol. 32, 2001.

SCHWARTZ Olivier « L’empirisme irréductible » in ANDERSON Nels, Le Hobo. Sociologie du sans-abri, Nathan, Paris, 1993.

SAWADOGO Raogo Antoine et SEBAHARA Pamphile « Historique de la décentralisation au Burkina Faso » in Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso, Pierre-Joseph Laurent (éd.), Bruylant-Academia, Louvain-la-Neuve, 2004.

Page 67: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 67

TERROLLE Daniel « "Entre-Deux" » in Ferveurs contemporaines. Textes d'anthropologie urbaine offerts à Jacques Gutwirth, réunis par Colette Pétonnet et Yves Delaporte, Paris, L'Harmattan (collection Connaissance des Hommes), 1993.

Littérature grise et mémoire

CHABI IMOROU Aziz Dynamique de l’habitat dans les quartiers périphériques de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie et aménagement du territoire, Université d’Abomey-Calavi, 2002.

KOGUI N’DOURO Issifou Le transit facteur d’urbanisation de la ville de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie, Université Nationale du Bénin, 1978.

OCBN Mémoire sur la grève historique de 5 mois 10 jours des cheminots africains de l’ex-AOF (10 octobre 1947 – 18 mars 1948). Commémoration du 50e anniversaire à Cotonou les 16 et 17 avril 1998.

Non renseigné Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009, décembre 2006.

Royal Haskoning Étude de faisabilité pour la construction d’un port sec à Parakou, mai 2006.

SEMBENE Ousmane Les bouts de bois de Dieu, Pocket, Paris, 1971 (première édition en 1960).

Institut National de la Statistique et de l'Analyse économique Troisième recensement général de la population et de l'habitation, Cotonou, octobre 2003.

Sites Internet

Africarail http://www.africarail.org/

Codicirail http://www.cocidirail.info

L’atlas Web de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest http://www.atlas-westafrica.org/spip.php?rubrique5

Page 68: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 68

Article de presse

ADAM Mohamed Dramane « Toponymie de la ville de Parakou » in Parakou-Info spécial, n°5, mai 2005.

AMOUSSOU Arnaud « Renouveler le personnel de l’Ocbn avant même l’achat d’autres Wagons » in Fraternité, 11/07/07, consultable en ligne sur http://fr.allafrica.com/stories/200707110417.html.

CARRIÈRE Bruno « Un peu d'histoire » in La vie du rail, 14/07/04 consultable en ligne sur http://www.archive-host2.com/membres/up/1124645788/p242526.jpg.

KPOCHEME Franck « Affaire assassinat du juge Séverin Coovi : Comment Gbadamassi a été libéré provisoirement » in Le Matinal du 24/04/06 consultable en ligne sur http://www.africatime.com/Benin/nouvelle.asp?no_nouvelle=252226&no_categorie=.

KEITA M. « Trafic voyageurs sur les rails : le nouveau matériel aiguise les appétits » in L’essor, 16/04/07, consultable en ligne sur http://www.essor.gov.ml/.

MUNIÉ Vincent « L’Afrique de l’Ouest sous tensions. Bataille syndicale autour du rail sénégalais » in Le Monde diplomatique, février 2007, consultable en ligne sur http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/MUNIE/14405.

NANA Bachirou « Hamadou Kaffa, administrateur général du Projet AFRICARAIL : "Nous avons 2000 km de rails à réaliser" » in Sidwaya du 01/03/07 consultable en ligne sur http://www.lefaso.net/article.php3?id_article=19466.

OLOWO Venceslas « Affaire SGMP et mairie de Parakou : Le flou s’installe à nouveau » in Le Matin, consultable en ligne sur http://www.sonangnon.net/actualites/2005/avril/intmatin0704_3.php.

SEWADE Bruno « Changement à la tête de l’OCBN, objectif : remettre les trains sur les rails » in La Nation, 14/12/2006 consultable en ligne sur http://beninhuzu.org/2007/spip.php?article451&var_recherche=OCBN.

Page 69: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 69

Annexes

Page 70: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 70

Annexe 1 – Carte du Bénin

-- carte manquante --

Depuis 2000, le Bénin compte 12 départements : Alibori, Atacora, Atlantique, Borgou, Collines, Couffo, Donga, Littoral, Mono, Ouémé, Plateau, Zou.

Page 71: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 71

Annexe 2 – Exercices ethnologiques préparatoires au terrain

Train IR 07h45 Louvain-la-Neuve – Bruxelles – Binche. Arrêts à Ottignies, Rixensart, Genval, La Hulpe,

Observations entre LLN et Bruxelles Central. Toujours à la même place.

Dates : 15, 16, 17, 22, 23, 24 et 29 janvier.

(+ quelques observations dans d'autres trains, à d'autres heures) L'observation porte sur les voyageurs dans le train ; pas sur le quai avant ni après.

Type de train à banquettes en skaï (trois places ou deux places) >< fauteuil, accoudoir, tissu137.

Difficultés à observer parce que :

proximité avec les passagers, essayer qu'ils ne modifient pas leurs comportements à cause de moi ; sentiment d'être un flic, sentiment aussi d'être moi-même observé à cause de mon comportement (quelques prises de note pour ne pas oublier) ça me renvoie à deux expériences antérieures : Shell (espionnage commercial) et Palais d'été ;

en raison de la configuration du train, à part ma banquette, celle en face et les deux de l'autre côté du couloir, je ne vois pas grand-chose d'autre, quelques gens debout quand il y a du monde ; qu'est-ce que je cherche ? y a-t-il quelque chose à trouver ?

Résultats bruts des observations : les gens chuchotent, les conversations mêmes proches ne sont pas audibles en raison du bruit du train + du bruit ambiant des chuchotements + du faible volume des conversations ; globalement, il y a abstinence de communication :

- seuls ceux qui se connaissent discutent ;

- certains rompent cette abstinence : un enfant ou deux jeunes adultes trisomiques ou un groupe de sept étudiantes qui se rendent à un examen (elles forment une sorte de communauté) ;

- un élément hors du quotidien banal (observé une seule fois) permet de rompre cette abstinence [une dame plus âgée utilise un titre de transport interdit avant 9h00 ; le contrôleur lui fait payer un voyage et une taxe, soit 5,9 € au lieu de 2,9 € ; une autre dame intervient pour s'offusquer de la réaction du contrôleur tandis qu'un homme d'une trentaine d'années explique que lorsque les contrôleurs sont à deux, ce qui est le cas ici, ils sont moins compréhensifs] ;

la plupart des gens voyagent en solitaire ;

certains se connaissent avant la montée dans le train (étudiants en stage, un père et sa fille) 137 Tous les voyageurs ne sont pas égaux… Il y a des trains de gammes différentes (siège individuel, confort sonore, informations digitales sur écran, …), mais les voyageurs n'ont pas réellement le choix.

Page 72: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 72

beaucoup lisent "Métro" (~40 à 60%) ;

certains lisent un roman (~5 à 10%), certains lisent un quotidien DH ou LS ou LLB (~5 à 10%) ; beaucoup écoutent MP3 ou lecteur CD (~30 à 40%) ;

- et tous doivent écouter le même requiem…

à partir d'Ottignies, du monde, toutes les places assises occupées, des gens debout ;

les mines sont sérieuses, presque tristes, songeuses ; les habits sont plutôt sombres ;

pratiquement personne ne mange ou ne boit durant le voyage ;

très très faible utilisation pour ne pas dire quasi nulle des porte-bagages métalliques (alors que chaque voyageur a un sac à dos ou un cartable) ; idem en ce qui concerne les crochets pour les vêtements (chacun garde son manteau, sa veste… alors que la température permettrait de le retirer) ; il y a une logique d'installation138 dans le train à LLN où celui-ci est à quai une dizaine de minutes avant le départ :

- le voyageur s'assied sur une banquette libre (sans vis-à-vis) ; - dans le sens de la marche ;

- près de la fenêtre ;

- quand ces places sont occupées, le voyageur s'assied en vis-à-vis, sens inverse de la marche, près de la fenêtre ou en oblique ;

certains voyageurs s'asseyent à la même place tous les jours (où cette place est libre) :

- deux étudiants en stage (facile pour se retrouver et converser) ;

- d'autres voyageurs solitaires ;

certains voyageurs adoptent chaque jour la même posture ;

on passe de l'espace à la promiscuité entre Ottignies et Schuman et de la promiscuité à l'espace entre Schuman et Bxl Central : il y a une "chorégraphie" dans le train, certains voyageurs se lèvent et se repositionnent selon les critères énoncés plus haut ;

le contrôle des billets a lieu une fois sur cinq ; aucun retard à signaler ;

il n'y a guère d'imprévu, sorte de banalité du quotidien.

138 Sauf quand le voyageur connaît quelqu'un ou monte dans le train avec une connaissance.

Page 73: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 73

Annexe 3 – Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009

Solutions proposées

Au niveau organisationnel :

nouvel organigramme ; moins de directions techniques ;

rationaliser l’effectif et le personnel.

Au niveau technique :

afin de désengorger le Port autonome de Cotonou, de faciliter l’accès aux pays de l’hinterland et de réduire les coûts et les délais : acquisition et exploitation de locomotives de type CC (en exploitation au Sénégal et au Togo), moins chères, plus robustes, plus puissantes ;

remplacement des rails 22 kg par des rails 36 kg ;

remplacement des rails usés ou défectueux ;

à long terme, modernisation de tout le réseau, renouvellement du matériel d’exploitation actuel (dont nouvel écartement des voies et acquisition de locomotives neuves afin de s’adapter aux normes internationales dans le domaine ferroviaire).

Au niveau social :

dynamiser le service commercial afin de répondre au marché qui existe et qui s’accroît ;

engagement de quatre techniciens supérieurs et organisation de recyclages pour augmenter le niveau de compétence ;

épurer les arriérés de salaires pour motiver le personnel.

Au niveau financier :

respect scrupuleux des procédures en vigueur ;

renforcer les contrôles financiers, administratifs et techniques ;

maîtriser les charges (personnel, voyages et déplacements, communications téléphoniques, eau, électricité, carburant) ;

procéder à la restructuration du pool routier à Parakou.

Impacts financiers

1. Actions à mener à court terme :

exploitation de quatre machines BB 600 et d’un autorail :

• entretien : 50 millions

• entretien des wagons : 20 millions

• entretien des voies et des télécommunications : 125 millions

Page 74: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 74

apurement partiel des arriérés de salaire : 110 millions

commande de deux locomotives rénovées : 630 millions

935 millions

2. Actions à mener durant la mise en service du nouveau matériel

investissement et réfection des voies, travaux de génie civil, acquisition de matériel de télécommunication : 190 millions

lancement de la commande du nouveau matériel pour la mise en service en 2008 : 2,8 milliards

2,99 milliards

3. Actions à mener durant l’exercice 2008-2009

investissements (réfection des voies, génie civil) : 1,9 milliards

commande matériel de traction neuf : 3,2 milliards

5,1 milliards

4. Investissements exercice 2009 1,7 milliards

Prévisions

Tableau de prévision des recettes (en milliards) des charges (en milliards)

2007 8 2007 6,4 2008 10,1 2008 8,3 2009 10,3 2009 8,5

Page 75: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 75

Annexe 4 – États des routes Cédéao

-- carte manquante --

Page 76: La gare ferroviaire de Parakou, la détresse des …s3.e-monsite.com/2010/12/16/16298269memoire-gare-parakou-pdf.pdf · Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT ... Marcel Capochichi

p. 76

Annexe 5 – Infrastructures de transports en Afrique de l’Ouest

-- carte manquante --