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La génération Y : un écran de fumée pour cacher la résistance au changement ? Pour citer l’article : Folon, J., la génération Y, un écran de fumée pour cacher la résistance au changement, in Barlette, Y et al., Impact des réseaux numériques dans les organisations, management des technologies organisationnelles, n°03, Paris, presses des Mines, collection économie et gestion, 2013, p.107. Jacques Folon Maître de conférence Université de Liège Chargé de cours ICHEC Management School (Bruxelles) Chargé de cours invité Université de Lorraine [email protected] Résumé La génération Y est devenue un véritable sujet de recherches académiques et de récentes méta- analyses semblent démontrer que si l’existence d’une nouvelle génération est incontestable, ses caractéristiques supposées sont plus douteuses. En effet le caractère parfois peu scientifique des études a amené les chercheurs à remettre en question ce qui semblait être devenu une évidence, à savoir que cette génération est la cause du changement de paradigme que tant l’université que l’entreprise constatent. Or nous ne pouvons que constater que les évolutions actuelles sont dues aux changements technologiques et que les quatre générations qui coexistent s’y adaptent avec un degré d’efficacité dont les différences sont nettement moindres que certaines études ne le laissent croire. En réalité, il semble que les entreprises et universités sont confrontées à une évolution technologique entraînant, comme souvent une résistance au changement, changement qui s’applique à tous. Bref, nous sommes tous la génération Y. Mots-clés : génération Y, évolution technologique, résistance au changement, changement de paradigme.

La génération Y, un mythe pour cacher la résistance au changement ?

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Pour citer l’article publié: Folon, J., la génération Y, un écran de fumée pour cacher la résistance au changement, in Barlette, Y et al., Impact des réseaux numériques dans les organisations, management des technologies organisationnelles, n°03, Paris, presses des Mines, collection économie et gestion, 2013, p.107.

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La génération Y : un écran de fumée pour cacher la résistance au changement ?

Pour citer l’article :

Folon, J., la génération Y, un écran de fumée pour cacher la résistance au changement, in Barlette, Y et al., Impact des réseaux numériques dans les organisations, management des technologies organisationnelles, n°03, Paris, presses des Mines, collection économie et gestion, 2013, p.107.

Jacques Folon

Maître de conférence Université de Liège

Chargé de cours ICHEC Management School (Bruxelles)

Chargé de cours invité Université de Lorraine

[email protected]

Résumé La génération Y est devenue un véritable sujet de recherches académiques et de récentes méta-analyses semblent démontrer que si l’existence d’une nouvelle génération est incontestable, ses caractéristiques supposées sont plus douteuses. En effet le caractère parfois peu scientifique des études a amené les chercheurs à remettre en question ce qui semblait être devenu une évidence, à savoir que cette génération est la cause du changement de paradigme que tant l’université que l’entreprise constatent. Or nous ne pouvons que constater que les évolutions actuelles sont dues aux changements technologiques et que les quatre générations qui coexistent s’y adaptent avec un degré d’efficacité dont les différences sont nettement moindres que certaines études ne le laissent croire. En réalité, il semble que les entreprises et universités sont confrontées à une évolution technologique entraînant, comme souvent une résistance au changement, changement qui s’applique à tous. Bref, nous sommes tous la génération Y.

Mots-clés : génération Y, évolution technologique, résistance au changement, changement de paradigme.

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Abstract Generation Y becomes a real subject of scientific researches and some recent meta analysis seems to demonstrate that if the birth of a new generation is a fact, its supposed characteristics are more doubtful. Some studies were developed with a short number of subjects and as such new researches bring some questions about this generation. Even if both universities and business faced new technologies and new ways of working, these are more the consequences of technological changes than those due to the arrival of this new generation. Some recent studies demonstrate that usage of new technologies is nearly identical through the various generations. Moreover, the technological changes bring as usual some resistance to change. Consequently we may say that we all are generation Y.

Keywords : Generation Y, Technological evolution, resistance to change, change of paradigm.

INTRODUCTION

Nous tenterons dans cet article, résultat d’une importante recherche et analyse de la littérature scientifique, par ailleurs abondante, consacrée à la génération Y, de faire la synthèse des recherches en cours et de démontrer que bon nombre de recherches tentent de caractériser, voire même de culpabiliser cette génération au lieu de constater une résistance, somme toute assez classique au changements amenés par les nouvelles technologies. Contrairement à ce qui est affirmé dans certains articles, ces nouveaux outils et possibilités offertes par les évolutions technologiques sont utilisés par tous avec une habileté qui est devenue trans-générationnelle.

LE CONTEXTE

Chaque génération est un nouveau peuple

M.de Toqueville

Indépendamment des avancées technologiques, un des sujets actuel de réflexion des chercheurs est l’arrivée de ce qui a été appelé communément la génération Y, au sein de laquelle le mélange des sexes, des origines ethniques, des générations n’a jamais été aussi important. Notre époque est aussi la première durant laquelle quatre générations, semblant aussi différentes, cohabitent côte à côte au sein des entreprises et des universités. Ces générations successives ont chacune leurs caractéristiques et «leur succession ne se fait pas comme la succession des lettres de l’alphabet, mais plutôt comme la balle d’un flipper réagissant (parfois de façon imprévisible) aux coups et chocs de notre société et de notre culture»[Zemke, 2000]. La génération Y est appelée ainsi non seulement parce qu’elle succédait à la génération X,

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mais aussi parce que cette lettre se prononce «why» en anglais du fait du questionnement systématique de cette génération, qui voudrait, selon certains, tout expliquer, tout comprendre.

Si les analyses des générations anciennes peuvent se faire avec un certain recul, les analyses de la génération Y manquent souvent de mise en perspective. Pichault et Pleyers rappellent : «Nous avons souligné les précautions dont il convenait d’entourer les résultats des recherches consacrées à la génération Y. Comme le reconnaissent Reddick et Coggburn, « la recherche empirique sur les valeurs au travail, l’implication et les motivations de la génération Y est actuellement insuffisante» [Reddick et Coggburn, 2008]. De leur côté, Kim et al., estiment que « les différences générationnelles, aussi bien dans les médias populaires que dans les publications professionnelles du management, se présentent sous la forme de résultats très variés et conduisent souvent à des stéréotypes en guise de conclusions. La masse croissante d’information de type anecdotique concernant les disparités générationnelles plaide pour davantage d’investigation et de validation empirique [Kim et al., 2009] »[Pinchault et Pleyers, 2010].

Il devient donc logique de se poser la question de savoir si la génération Y et les caractéristiques que certains lui reconnaissent sont bien réelles.

LA GÉNÉRATION Y : MYTHE OU RÉALITÉ ?

On ne naît pas internaute, on le devient !

G.Jacquinot-Delaunay

Nous nous concentrerons ici sur les aspects liés à l’arrivée de cette nouvelle génération dans le monde de l’université et de l’entreprise. Cette génération nouvelle, née après les années 1980, qui dès l’adolescence a connu Internet, le PC portable, et qui n’envisage pas un monde non connecté a selon de nombreux auteurs tellement de caractéristiques spécifiques que cette génération a suscité non seulement un grand nombre d’études mais aussi de nombreuses appellations différentes [Folon, 2012]. Une étude récente [Pinchault et Pleyers, 2010]basée sur un échantillon réellement représentatif démontre, elle, nettement plus de convergences que de différences entre les générations. « Il y a un mythe autour des nouvelles générations que l’on croit plus indépendantes et plus mobiles que les anciennes».

Il est essentiel, avant de déterminer les caractéristiques de ce que nous appellerons par facilité, et comme il est généralement d’usage génération Y, d’analyser ce qui est entendu par cette génération et celles qui l’ont précédée. En étudiant la littérature, nous constaterons que les caractéristiques de cette génération sont moins différenciées que la presse quotidienne ne semble le préciser et que de plus les analyses de la littérature vont en sens divers, si ce n’est pas de façon contradictoire.

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COMMENT DÉFINIR LA GÉNÉRATION Y ? Nous pourrions croire que la génération Y, tout comme les précédentes, est définie de façon précise, tant dans en ce qui concerne sa dénomination qu’en ce qui concerne la période de naissance de ses membres. Il serait logique que tous les chercheurs s’accordent quant à la définition de ce concept qui a déjà quelques années. Or, force est de constater que, hormis l’appellation génération Y qui est la plus répandue, on désigne aussi cette génération, selon les auteurs, par plus de 20 appellations différentes et que la période temporelle qui la détermine ne comprend pas moins de dix périodes qui se chevauchent [Folon, 2012].

Qu’est-ce donc que cette génération qui a reçu d’elle-même ou d’autres tellement d’appellations différentes ? Ce concept a-t-il un sens ? Est-ce que la dénomination des générations précédentes a été l’objet de tant de controverses ? Des tentatives de dénomination aussi nombreuses ne peuvent que démontrer un certain embarras et une confusion certaine par rapport aux caractéristiques de cette génération et à l’évolution des comportements et des technologies. Or, comme le disait Boileau : «ce qui se conçoit bien s’énonce clairement...».

Il est d’ailleurs intéressant de signaler que pour les générations antérieures, la dénomination de celles-ci s’est faite de façon unique, le nom donné à chaque génération a été peu soumis à controverse, souvent tomba dans l’indifférence générale et fut parfois même peu utilisé.

Nous considérons que les dénominations en surnombre de la génération Y, dont certaines peuvent même constituer un rejet de celle-ci, en réalité ne définissent pas une génération mais sont plutôt l’expression d’une résistance aux changements technologiques et aux comportements nouveaux induits par ces technologies. Au lieu d’exprimer ce refus du changement, il est tellement plus simple de rejeter la faute sur les «jeunes», nouveaux boucs émissaires et sources de tous nos maux. On trouve même à l’affiche du théâtre l’Archipel à Paris en décembre 2011 une pièce de Patrice Laffont dont le titre est révélateur : «Je hais les jeunes». A part cette catégorie d’âge, quelle population pourrait être l’objet d’une telle haine publique même s’il s’agit d’un spectacle comique ? La haine des jeunes peut s’afficher et attirer le public, comme si la pensée unique avait trouvé sa victime expiatoire, source de tous les maux, et emblème de ces technologies qui obligent chacun de changer ses comportements. Les désignations multiples de cette génération comme bouc émissaire seraient-elles donc une solution de facilité pour les générations précédentes pour éviter de se remettre en question ou de faire évoluer leurs comportements ?

En conclusion de l’analyse tant des dénominations que de la période sur laquelle s’étendrait la naissance des membres de cette génération, on ne peut que constater , et pour la première fois pour cette génération, qu’il n’y a pas véritablement de consensus ni sur la dénomination ni sur l’âge des membres de cette génération.

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Selon notre hypothèse le caractère complexe du concept est lié à un phénomène de rejet des technologies nouvelles et de la remise en question indispensable pour les utiliser. Mais pour éviter d’accepter cette résistance au changement, la faute en est mise sur les épaules de cette génération Y, bouc émissaire idéal qui semble utiliser naturellement ces technologies.

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA GÉNÉRATION Y Après avoir identifié cette génération par rapport à celles qui précèdent, ne serait-ce que d’un point de vue date de naissance et dénominations (avec les divergences évoquées précédemment), il est temps de s’intéresser à ce que semblent être ses caractéristiques qui en font un sujet de perplexité tant au niveau des universités que des entreprises et organisations.

Ces caractéristiques sont reprises des nombreux articles, eux-mêmes basés sur des études dont la qualité et la méthodologie commencent à donner lieu à certaines critiques, et ce notamment du fait du faible nombre de membres de cette génération étudiés ou parfois uniquement au sein d’une classe ou d’une seule université, ce qui limite la fiabilité des conclusions de ces recherches, qui sont parfois contradictoires.

Sillard reprend comme exemple une analyse effectuée sur 219 étudiants de l’université de l’Ohio [Karpinski, 2009], qui démontrait que les étudiants qui passent le plus de temps sur Facebook sont ceux qui ont les plus mauvais résultats scolaires ? Quelques mois plus tard une autre étude basée sur plus de 2.000 étudiants démontrait qu’aucun lien ne pouvait être établi entre l’usage de Facebook et les résultats scolaires. [Sillard, 2011]

Ils apparaissent selon les études parfois comme performants [Strauss et Howe,2000], mais aussi stressés [Wilson et Gerber, 2008] ou faisant preuve d’un tempérament « zapping » [Smati, 2011]. Ils seraient bons utilisateurs des technologies selon certains auteurs [Vasilescu, 2011] mais moins selon d’autres [Jacquinot-Delaunay, 2011].

Et les études sur les caractéristiques supposées de cette génération ont été jusqu’à analyser la façon dont il fallait organiser les réunions pour les intéresser, la façon de les intéresser au vin, comment les traiter à l’hôtel, comment les attirer dans les foires et congrès, la façon de les traiter au restaurant. Mais en lisant ces études, force est de constater qu’elles mettent en avant de nouvelles techniques pour attirer des clients « connectés » et que ces nouvelles offres seront utilisées par tous les clients potentiels, quel que soit leur génération, pour autant qu’ils utilisent les smartphones, tablettes et applications qui sont à disposition de tous.

A la lecture de ces contradictions et de ces supposées caractéristiques, une certaine confusion apparaît une fois de plus quant à la réalité du phénomène tel que trop souvent décrit.

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PEUT-ON CROIRE CES TYPOLOGIES DE LA GÉNÉRATION Y ? En analysant les caractéristiques supposées que nous avons reprises ci-dessus, avec leurs contradictions et leurs certitudes et en prenant en compte la façon dont les études qui amènent à ces conclusions ont été faites, il devient évident de se poser la question de la réalité de ces typologies. Et la cause de ces divergences semblent venir du manque criant de fiabilité des bases méthodologiques de nombre d’études se penchant sur cette génération. En effet certaines études se basent sur des étudiants d’une seule université, voire d’une seule classe, même fictive.

«On ne s’étonnera donc pas qu’un tel manque de rigueur méthodologique conduise à des résultats peu stabilisés. Ainsi Eisner [Eisner, 2005] rappelle-t-elle que, selon une enquête Work & Education menée par Gallup Organization, la génération Y est caractérisée par un sens aigu du loyalisme organisationnel, tout comme les générations précédentes. Mais elle mentionne également une autre étude (What You Need to Know) qui souligne une tendance plus affirmée de cette génération à délaisser l’entreprise en quête d’un travail meilleur. Ces deux tendances ne sont-elles pas parfaitement contradictoires ? Toujours selon Eisner mais aussi selon Yeaton [Yeaton, 2008], la génération Y serait plus sensible que la génération qui la précède à la problématique de l’équilibre vie privée - vie professionnelle. D’autres auteurs soulignent au contraire que cette question ne revêt pas plus d’importance pour la génération Y que pour les générations précédentes... Des exemples de ce type abondent.»[Pinchault et Pleyers, 2010]

Il apparaît donc que les caractéristiques de la génération Y semblent nettement moins caricaturales que celles qui circulent tant dans la littérature scientifique que dans les média populaires. Et donc, la question de savoir pourquoi cet acharnement à essayer de nous convaincre que les changements sociétaux, et notamment les nécessités de changements de modes de management ou d’enseignement sont nécessités uniquement par l’arrivée de la génération Y se pose indubitablement.

Nous en arrivons donc naturellement à notre hypothèse qui consiste constater que la génération Y a été positionnée comme la cause de tous nos maux, ce qui en fait une victime consentante et donc évite, face aux technologies et nouveaux comportements, une remise en question non désirée par le plus grand nombre.

LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT

Les changements liés à l’arrivée des nouvelles technologies sont nombreux, simultanés et particulièrement importants, ce qui pose problèmes aux collaborateurs, et ce tant à l’université qu’en entreprise. Et qui dit changement, remise en cause, dit aussitôt résistance au changement, comportement classique des collaborateurs confrontés à un changement et donc à un risque.

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L’université est confrontée à des mutations profondes. L’arrivée du Web 2.0 nécessite une remise en question de la pédagogie et du rôle des enseignants. L’arrivée du e-learning, des univers collaboratifs, des outils de curation, du web 2.0, des évolutions de la propriété intellectuelle que ce soit pour les publications scientifiques et pour les travaux d’étudiants remettent en cause tant son mécanisme de fonctionnement que ses méthodes d’enseignement.

En entreprise le knowledge management, l’intelligence collective et le partage des connaissances amènent aussi une remise en cause importante. Les entreprises sont confrontées à l’arrivée de la génération Y, et des fantasmes qui y sont liés, aux usages nouveaux liés aux possibilités du Web 2.0, à l’entrée en force des média sociaux, aux consommateurs-acteurs qui parlent de l’entreprise et de ses produits, ce qui leur impose une présence plus active en ligne.

Le changement lié aux nouvelles technologies est particulier car il génère des comportements spécifiques « des acteurs concernés qui sont susceptibles de :

•S’interroger sur leurs capacités à utiliser de nouvelles technologies, de nouveaux outils ;

•Craindre une perte de marge de manœuvre, de périmètre, d’autonomie ou d’identité du fait de l’évolution des pratiques, de la traçabilité, de la mise en histoire ;

•Se représenter le réseau comme le moyen de contrôler leur travail, désirs, sentiments, pensées à distance ou a posteriori ;

•Craindre des perturbations dans leurs travaux quotidiens ou une rupture de leurs habitudes du fait des changements induits. » [Agostinelli & Metge, 2009]

D’après un spécialiste de l’approche systémique [Malarewicz, 2011] , les changements dans les entreprises se succèdent actuellement à un rythme trop rapide pour que les employés puissent compléter les étapes de la courbe du deuil : un changement chasse l’autre. Et la nostalgie s’installe accompagnée de la résistance au changement.

Il est donc essentiel pour le management et la direction des entreprises et des universités d’anticiper sur ces résistances et d’informer, de former, de rassurer les collaborateurs pour tenter de minimiser ces résistances aux changements. « Le changement (dû au Web 2.0 et aux nouvelles technologies) est ici envisagé comme la reconnaissance d’un outil, son acceptation et sa maîtrise à travers un processus qui donne le statut d’artefact aux outils. (…) Toutefois, le problème est moins la maîtrise de l’outil que la maîtrise des interactions entre membres, de la médiation par l’outil, par les acteurs, (souvent dû à une focalisation sur des préoccupations d’ordre technique) mais surtout par les difficultés d’intégration de cet outil, étroitement liées à la possibilité et à la volonté des acteurs de participer à l’élaboration permanente d’un langage commun. »[Agostinelli & Metge, 2009]

En effet, il est clair que la succession des changements se réalise à une vitesse qui ne permet pas nécessairement aux collaborateurs de « digérer » les changements, ce qui peut être une des causes de l’augmentation des burn-out et dépressions.

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Conclusion : Nous sommes tous la génération Y !

Il est aussi aisé de distinguer un digital native d’un digital immigrant

qu’une statue grecque d’une statue romaine.

A. Ben Soussan

Bien que de nombreuses analyses aient tenté de démontrer l’existence de cette fameuse génération Y qui se distinguerait des précédentes par de nombreuses caractéristiques spécifiques, nous sommes néanmoins confrontés à d’autres études (généralement plus scientifiques) qui semblent démontrer au contraire que les différences entre les générations ne sont pas si importantes ni si tranchées. Si quelques activités sont clairement plus populaires chez les jeunes générations, en particulier l’usage des média sociaux ou les jeux en ligne, les différences vont en diminuant avec le temps avec l’augmentation des usages par toutes les générations.

Il est vrai que cette génération existe, tout comme les précédentes et les suivantes, mais ce n’est pas son existence qui entraîne un tel changement de société, de comportements mais plutôt les technologies et leurs utilisations par tous et partout. Il devient «normal» de se servir des ressources mises à notre disposition, et ce quelque soit son âge. L’environnement technologique a fondamentalement changé pour tout le monde, pour l’Université et pour l’entreprise, et certains montrent comme face à tant d’autres innovations, une résistance au changement assez classique. Mais les critiques des nouvelles technologies ne sont pas neuves. Rappelons nous les attaques de Socrate contre l’écriture, de Gessner contre l’imprimerie, de Malesherbes contre les journaux, et de tant d’autres contre la radio, la télévision, Internet, les média sociaux, [Sillard, 2011], sans oublier le célèbre ouvrage [Carr, 2010] : « l’internet rend-il stupide ? ».

Il est évident que nous avons tous changé, que nos façons de rechercher l’information, de gérer notre temps, notre travail et même notre cerveau ont changé. Nous ne pouvons pas ignorer que l’accès aux informations nous offre des « facultés » complémentaires : « une mémoire plus puissante mille fois que la nôtre ; une imagination garnie d’icônes par millions ; une raison aussi, puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nous n’eussions pas résolus seuls. Notre tête est jetée devant nous, en cette boite cognitive objectivée » [Serres, 2012].

Plusieurs études semblent démontrer qu’Internet, les média sociaux et le Web 2.0 ont un effet positif. Quel meilleur exemple que la génération Y n’est pas la seule concernée, que les travaux [Small et al., 2008] qui constatent en étudiant par résonance magnétique des participants entre 50 et 75 ans, que les internautes montraient une activité plus importante des aires dédiées aux raisonnements complexes.

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Enfin pour revenir au concept de génération, comment résister à l’analyse de Hatmunt Rosa [Rosa, 2007]. «A l’âge de l’accélération, nous assistons à l’usure et à l’obsolescence des métiers, des technologies, des objets courants, des mariages, des familles, des programmes politiques, des personnes, de l’expérience, des savoir-faire, de la consommation.[…] Dans notre modernité tardive, de nos jours, le monde change plusieurs fois en une seule génération. Le père n’a plus grand chose à apprendre à ses enfants sur la vie familiale, qui se recompose dans cesse, sur les métiers d’avenir, les nouvelles technologies, mais vous pouvez même entendre des jeunes de 18 ans parler d’ «avant» pour évoquer leurs 10 ans, un jeune spécialiste en remontrer à un expert à peine plus âgé que lui sur le «up to date» ».

Ce qui est essentiel est que tout le contexte a changé, ce qui a des conséquences pour l’humain, et ce quelle que soit sa génération. «Sans que nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années 1970. Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace.»[Serres, 2012]

On ne peut que suivre Gérard Berry [Berry, 2008] qui déclare : «si les gens se déclarent surpris par les progrès du numérique et les transformations associées, c’est avant tout parce qu’ils abordent la question avec «un schéma mental inadapté» signe d’un défaut de bon ses informatique. »

Il est donc normal de paraphraser J.F. Kennedy en déclarant : «je suis un membre de la génération Y» quelque soit l’âge de celui qui prononce cette phrase.

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(à Paraître)

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